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par Axel Valard
Le 10 Juillet 2025
La question est presque philosophique : comment surveiller un prisonnier qui s’est déjà évadé à deux reprises en utilisant notamment des explosifs tout en lui offrant des conditions de détention dignes ? Enfermé à Vendin-le-Vieil (Pas-de-Calais), l’ancien braqueur Redoine Faïd pose ce casse-tête depuis des années à l’administration pénitentiaire. Lundi 7 juillet, il a contraint une juge d’application des peines à répondre à la question. Travaillant au tribunal de Béthune, celle-ci a rendu une ordonnance estimant que les conditions de détention étaient « contraires à la dignité humaine de par leur combinaison, leur durée et l’absence de perspectives données au détenu ». Ce faisant, la magistrate a ordonné à l’administration pénitentiaire de prendre des mesures pour mettre fin à cette situation. Mais le parquet de Béthune a fait appel de cette ordonnance. C’est donc désormais la chambre de l’application des peines de la cour d’appel de Douai (Nord) qui va devoir répondre à cette question.
Ce dossier n’est pas nouveau. Redoine Faïd dénonce depuis des années ses conditions de détention. Condamné dans l’attaque avortée d’un fourgon bancaire ayant conduit à la mort de la policière municipale Aurélie Fouquet, il avait écopé d’une peine de 28 ans de réclusion criminelle. À cette sanction se sont depuis ajoutés dix ans de prison dus à son évasion à l’arme de guerre de la prison de Sequedin en avril 2013 et une autre peine de quatorze ans, consécutive à son évasion, en hélicoptère cette fois, du centre pénitentiaire de Réau (Seine-et-Marne) en 2018. « La date de sa fin de peine est actuellement fixée au 17 août 2057 », rappelle la juge d’application des peines dans son ordonnance.
Le souci, c’est que sa santé se dégrade de plus en plus d’après des médecins-experts qui l’ont examiné ces dernières années. Les praticiens ont jugé que ses conditions de détention entraînaient des complications « réelles » et qui peuvent devenir « irrémédiables ». « L’isolement prolongé est susceptible de lui provoquer de graves troubles de la santé somatique et psychique, expliquent-ils. Le patient n’ayant aucun contact physique avec ses proches depuis plusieurs années, ses déplacements étant extrêmement limités, l’accès à l’activité physique étant également limitée…».
Une deuxième grille sur la fenêtre et des rondes nocturnes.
Épaulé par l’avocat Benoît David, spécialisé dans les affaires pénitentiaires notamment, Redoine Faïd a listé tous les problèmes qu’il rencontre derrière les barreaux. Le premier, c’est l’isolement auquel il est astreint depuis « a minima onze ans », rappelle la juge d’application des peines dans son ordonnance. Ainsi, les échanges au parloir qu’il peut avoir avec ses proches se font forcément derrière une vitre en plexiglas, à l’aide d’un hygiaphone, ce qui lui interdit tout contact physique.
Dans sa requête, il explique aussi que le 20 mai dernier, des travaux ont été effectués dans sa cellule afin d’installer sur sa fenêtre une deuxième grille superposée à la première déjà installée et rendant le passage de la lumière naturelle quasi nul. Il ajoute aussi qu’il fait l’objet de passages de surveillants pénitentiaires qui allument les luminaires quatre fois par nuit.
Dernier point, et non des moindres, Redoine Faïd a peu d’activités en prison. Il déplore ainsi le fait que l’administration pénitentiaire ne lui permet pas, à l’heure actuelle, de pouvoir participer à des activités, telles que la danse ou la luminothérapie.
Surveillé car « susceptible d’introduire des explosifs »…
Ces dernières semaines, la juge d’application des peines s’est rendue sur place dans sa cellule pour constater tous ces éléments, comme le prévoit la procédure. Elle a aussi évidemment interrogé l’administration pénitentiaire qui a, logiquement, une vision diamétralement opposée à celle du détenu qu’elle héberge.
L’administration estime ainsi que « les droits fondamentaux de Redoine Faïd sont respectés », arguant notamment qu’il a la possibilité de conserver des liens sociaux par le biais d’activités telles que l’enseignement, les visiteurs du visiteur de prison ou encore le Défenseur des droits et qu’il dispose d’un créneau d’une heure par jour qu’il utilise fréquemment.
Elle ajoute que les rondes nocturnes sont « applicables à tous les détenus » faisant l’objet d’une surveillance renforcée. Et explique aussi, concrètement, que ce prisonnier a fait l’objet de 29 fouilles depuis le 1er janvier « au motif qu’il est susceptible d’introduire des explosifs difficilement détectables », dans la mesure où il y est déjà parvenu par le passé.
Voilà donc les termes du débat qui se pose désormais à la chambre d’application des peines. Surveiller quelqu’un en permanence tout en maintenant des conditions de vie « dignes ». Un équilibre à trouver pour les magistrats qui doivent rendre leur décision dans un délai d’un mois. Soit avant le 7 août.
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par Virginie Natkin et Yann Le Foll
Le 10 Juillet 2025
Jacques Bouyssou, récemment nommé coprésident du Litigation Committee de l’International Bar Association – une première pour un avocat français – revient sur une année 2025 marquée par de nombreuses actualités pour la communauté juridique. Cofondateur du cabinet Alerion, où il dirige le département Contentieux, Arbitrage et pénal des affaires ainsi que le Spanish & Latam Desk, il évoque également la dynamique de l’association Paris Place de Droit, qui célèbre cette année son 10ᵉ anniversaire avec le lancement du Paris Dispute Resolution Day. Spécialiste du contentieux international et de l’arbitrage, il analyse les évolutions de la discipline, notamment la convergence des pratiques procédurales entre les systèmes de droit et l’émergence de nouveaux standards inspirés de l’arbitrage. Enfin, il partage sa vision de l’impact croissant de l’intelligence artificielle sur la pratique du droit, entre opportunités d’efficacité et enjeux de responsabilité.
Virginie Natkin. Vous êtes le fondateur de Paris, Place de Droit. Quelle est l'actualité de l’association en 2025 ?
Jacques Bouyssou. 2025 marque le 10e anniversaire de Paris, Place de Droit, qui rassemble les acteurs de l’écosystème du droit des affaires. Après avoir conduit cette belle association pendant dix ans, Frank Gentin et moi avons transmis la présidence et le secrétariat général à Patrick Sayer, Valence Borgia et Stéphanie Smatt-Pinelli. C’est à la fois l’illustration du dynamisme de l’association et de sa diversité professionnelle ! A titre personnel, cela me permet de me concentrer sur le Paris Dispute Resolution Day, une manifestation majeure que lance Paris Place de Droit et qui sera la première d’un rendez-vous annuel dédié à tous les acteurs du contentieux des affaires, quel que soit leur univers professionnel ou leur discipline : directeurs juridiques, experts, financeurs, juges, universitaires, avocats – toutes catégories confondues.
Cette journée, prévue le 2 décembre, prendra la forme d’un colloque, avec 12 thématiques d’actualité : intelligence artificielle, financement du procès, contentieux devant des chambres internationales, règlements amiables, etc. Le programme est en cours de finalisation.
L’événement est ouvert à tous, avec une dimension internationale. Déjà soutenu par FTI, le Cercle Montesquieu, l’AFJE, l’Association Nationale des Juristes de Banque, le Barreau de Paris, et de nombreux grands cabinets d’affaires parisiens, il devrait réunir entre 350 et 500 participants. C’est une première du genre en France.
Virginie Natkin. Vous avez récemment été nommé coprésident du Litigation Committee de l’International Bar Association. En quoi consiste cet organisme et quel est votre rôle ?
Jacques Bouyssou. L’International Bar Association (IBA) est le plus grand réseau d’avocats au monde, avec plus de 30 000 membres. Elle permet aux avocats d’échanger sur leurs pratiques professionnelles, de créer des liens et bien sûr de travailler ensemble.
Le Litigation Committee, qui réunit des praticiens du contentieux international venant du monde entier, est l’un des plus importants comités de l’IBA. Il. Il se retrouve deux fois par an pour réfléchir à des problématiques communes. En avril dernier, à Singapour, nous avons travaillé sur l’innovation dans le procès en droit des affaires, en particulier l’usage de l’intelligence artificielle et le développement des chambres commerciales internationales, à Singapour, mais aussi à Paris.
J’ai eu l’honneur d’être le premier Français à présider ce comité. C’est important pour la communauté française du droit, car l’IBA est un lieu de dialogue entre common law et civil law. Il est essentiel que les spécificités du droit français et ses solutions originales en contentieux internationaux y soient mises en valeur.
Virginie Natkin. Vous avez fondé Alerion en 2003. En quoi ce cabinet se différencie-t-il des cabinets où vous avez travaillé ?
Jacques Bouyssou. J’ai eu la chance de travailler dans de très beaux cabinets : Gide à Paris, puis Gómez-Acebo & Pombo en Espagne, et enfin August & Debouzy à Paris. J’y ai beaucoup appris, notamment auprès d’avocats de très haut niveau, qui m’ont transmis la dimension entrepreneuriale du métier.
C’est dans cet esprit que, avec mes associés, nous avons fondé Alerion en 2003, avec trois piliers :
C’est sans doute notre plus grande réussite, au-delà de la satisfaction de nos clients.
Virginie Natkin. Quels sont les critères pour devenir associé au sein de chez Alerion ?
Jacques Bouyssou. Chez Alerion, il y a deux voies pour devenir associé : interne ou externe.
La voie interne, c’est pour les collaborateurs du cabinet : on devient senior, puis counsel, et ensuite on peut postuler pour être associé, après cooptation par les associés. Il faut avoir développé une clientèle, maîtriser techniquement sa matière, et savoir animer une équipe — c’est une qualité essentielle pour piloter un portefeuille de clients.
Pour un associé externe, c’est une autre démarche : on regarde si la compétence technique peut compléter l’offre d’Alerion et si le candidat partage les principes sur lesquels s’est construit le cabinet : excellence dans le domaine de compétence et agilité dans l’accompagnement du client.
Dans tous les cas, nous voulons des associés proches de nos clients, connaissant leur domaine d’activité, les particularités de leur entreprise et les hommes et les femmes qui la constituent.
Virginie Natkin. Vous avez récemment présenté en Espagne le dispositif des chambres commerciales internationales du tribunal et de la Cour d'appel de Paris à l'occasion de la consécration de sa compétence exclusive en matière d'arbitrage international. Quelle en a été la réception ?
Jacques Bouyssou. La réception a été très positive. La Cour d’appel de Paris, en matière d’arbitrage international, bénéficie d’un prestige reconnu dans le monde entier. Ses décisions sont lues et suivies notamment dans la sphère du monde civiliste et dans le monde de l’arbitrage internationale. Le fait pour la France de pouvoir offrir une juridiction spécialisée pour les enjeux du commerce international est un grand atout et offre une grande sécurité juridique aux plaideurs.
L’intérêt en Espagne s’explique par la proximité de nos cultures juridiques : l’Espagne, comme la France et une grande partie du monde, appartient à la famille civiliste. Ce modèle intéresse aussi l’Amérique latine, également très proche de la place de Madrid.
Virginie Natkin. Votre spécialité est le contentieux international intégrant le contentieux devant les juridictions étatique et l'arbitrage. Quelles sont les évolutions marquantes de cette discipline ?
Jacques Bouyssou. L’évolution la plus significative de cette discipline est, selon moi, étroitement liée aux attentes des plaideurs, qui sont en grande majorité des entreprises opérant dans un environnement économique globalisé, imprégné de common law et de culture anglo-saxonne. De la même manière que l’on observe une forme d’uniformisation de la culture du commerce international – avec l’anglais comme lingua franca –, on constate dans le domaine du contentieux une convergence des attentes procédurales des entreprises, indépendamment de leur système juridique d’origine.
Cette évolution se manifeste notamment par l’émergence de standards procéduraux internationaux, communs à la fois aux traditions de common law et à celles du droit civil. Il s’agit là d’un phénomène relativement nouveau : auparavant, ces deux systèmes proposaient des règles processuelles nettement distinctes. Aujourd’hui, les contentieux commerciaux internationaux révèlent une volonté des juridictions étatiques d’offrir des pratiques harmonisées, en phase avec celles de l’arbitrage international, pour répondre aux exigences des entreprises.
L’un des exemples les plus parlants est l’implication accrue des parties dans la gestion du procès. Inspirée de l’arbitrage, la conférence de gestion du calendrier de procédure est une pratique qui tend à se généraliser. Elle permet une concertation entre le juge, les avocats et les parties – en particulier les entreprises – pour organiser de manière conjointe les différentes étapes du procès. C’est un outil essentiel, car il répond à l’une des principales préoccupations des entreprises : la prévisibilité, tant en termes de coût que de calendrier. Savoir à l’avance combien de temps une procédure durera – combien d’exercices elle affectera – et quel en sera le coût permet aux entreprises de mieux anticiper et maîtriser les risques liés au contentieux.
Une autre tendance notable, également héritée de l’arbitrage, est la valorisation croissante de l’oralité des débats, à travers l’audition des parties, des témoins et des experts. Dans les systèmes de droit civil, comme en France, la preuve écrite est traditionnellement prédominante, malgré les outils offerts par notre Code de procédure civile pour recourir à la preuve orale. On observe désormais une évolution de la culture procédurale: l’oralité prend une place plus importante dans le déroulement des procédures, notamment au sein des chambres internationales du tribunal des activités économiques et de la cour d’appel de Paris.
Enfin, dans un monde de plus en plus instable, marqué par une multipolarité croissante, une multiplication des crises et une remise en question de l’État de droit dans certaines régions, la vie des affaires a plus que jamais besoin de stabilité et de confiance. Les entreprises recherchent des juridictions fiables et prévisibles. À ce titre, l’émergence de places judiciaires internationales majeures – telles que Paris, aux côtés de Londres, New York ou Singapour – constitue un facteur clé de stabilité et de confiance. Elle illustre aussi le rôle essentiel que joue la communauté du droit dans le maintien d’un environnement propice à la prospérité des échanges économiques à l’échelle mondiale.
Virginie Natkin. Quel est votre regard sur l’intelligence artificielle juridique ? Que pensez-vous de son utilisation par les avocats, et selon vous, quelles évolutions la profession peut-elle connaître avec l’essor de l’intelligence artificielle générative ?
Jacques Bouyssou. Je suis à la fois très curieux, intéressé et enthousiaste face aux outils proposés par l’intelligence artificielle. Je suis convaincu qu’ils offrent une opportunité réelle d’améliorer la qualité du service rendu aux clients, notamment en le rendant plus rapide et, dans certains cas, plus complet.
Cela étant dit, je n’ignore pas les défis que pose cette technologie. Deux me semblent particulièrement importants. Le premier concerne la nécessité de conserver un esprit critique, qui est au cœur du métier d’avocat. Un avocat ne peut évidemment pas se contenter d’adopter sans recul une solution suggérée par une intelligence artificielle. Il doit exercer son raisonnement juridique, mobiliser sa culture, son expérience, pour évaluer la pertinence des réponses générées. D’autant plus que l’on sait qu’en l’état actuel, ces outils peuvent être sujets à ce que l’on appelle des « hallucinations ». Des erreurs notables ont déjà été observées dans la pratique, ce qui impose une vigilance constante et un contrôle rigoureux.
Le deuxième enjeu majeur est celui de la confidentialité. Nous traitons des informations sensibles, confiées par nos clients dans un cadre protégé. Il est absolument fondamental de garantir la sécurité de ces données lorsqu’on recourt à des outils d’intelligence artificielle. La profession devra donc encadrer strictement l’usage de ces technologies pour que la confidentialité demeure absolue.
Une fois ces deux enjeux identifiés et correctement maîtrisés – l’esprit critique et la confidentialité –, je crois que l’intelligence artificielle peut véritablement servir la profession. Elle permettra aux avocats de se recentrer sur ce qui constitue l’essence même de leur métier : la valeur ajoutée.
Ce que les clients attendent d’un avocat, ce n’est pas l’exécution de tâches répétitives ou standardisées – celles-ci peuvent parfaitement être confiées à une machine. Ce qu’ils recherchent, c’est un regard avisé, le fruit d’une expérience, une capacité à apprécier des situations complexes, à proposer des solutions sur mesure. C’est précisément là que l’avocat démontre toute sa plus-value.
Dans mon domaine, le contentieux international, cette plus-value est encore plus marquée : l’expertise dans les conflits de lois, la maîtrise de systèmes juridiques différents, la gestion de la compétence juridictionnelle, tout cela ne peut s’improviser ni être délégué à un algorithme. Cela exige un savoir-faire humain, nourri par la pratique.
En définitive, je crois que l’intelligence artificielle va nous aider à nous concentrer sur l’essentiel, sur la technicité, sur l’accompagnement stratégique, et sur une prestation sur mesure à haute valeur ajoutée.
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Réf. : Guide des marchés publics d'assurance des collectivités territoriales et de leurs groupements
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par La Rédaction
Le 10 Juillet 2025
Le 9 juillet 2025, le Gouvernement a publié un guide des marchés publics d'assurance des collectivités territoriales et de leurs groupements. Il est destiné à faire face à la complexité croissante des marchés d’assurance et à la hausse de la sinistralité, les collectivités territoriales ayant exprimé des besoins accrus d’accompagnement juridique.
Ce guide propose un cadre pédagogique, des recommandations opérationnelles et des outils directement mobilisables : check-lists, modèles d’inventaire, recommandations sur l’allotissement ou encore articulation juridique entre les codes
Après une synthèse des bonnes pratiques (suivre en continu le patrimoine de la collectivité, prévoir directement un contrat d’une durée ferme de 4 ou 5 ans…), le guide aborde les missions indispensables à maîtriser pour les collectivités : assurance et assurabilité ; franchises et primes ; gestion et maîtrise des risques ; les acteurs de l’assurance ; le recours à une assistance externe).
Sa première partie est consacrée à l’identification des risques à couvrir (connaître les principaux risques contre lesquels s’assurer). Les deuxième et troisième parties concernent la passation (choix de la procédure, pièces à fournir, notification) et l’exécution des marchés publics d’assurance (application des stipulations contractuelles, résiliation et médiation).
À ce sujet. Lire L’assurabilité des collectivités territoriales, une notion en péril ? Questions à Guillaume Gauch, avocat associé et Romain Millard, avocat, Selas Seban & Associés, Le Quotidien, 2 juin 2025 N° Lexbase : N2314B34. |
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Le 04 Juillet 2025
► Dans cet épisode, Lucas Gintz, avocat en droit immobilier, Chomel & Gintz Avocats, décrypte le BEFA – le bail en l’état futur d’achèvement – un outil juridique souvent utilisé dans les opérations de construction ou de rénovation.
Au programme :
Un éclairage essentiel pour les praticiens du droit immobilier, les investisseurs, les promoteurs et les gestionnaires d’actifs.
► Un épisode à retrouver sur Youtube, Spotify, Deezer, et Apple Podcasts.
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Réf. : CE, 1°-4° ch. réunies, 6 juin 2025, n° 493882, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : B4340AIL
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par Valentin Lesfauries, avocat au Barreau de Pau, docteur en droit public, chercheur associé au Centre d’études et de recherches comparatives sur les constitutions, les libertés et l’Etat (CERCCLE, Université de Bordeaux)
Le 10 Juillet 2025
Mots-clés : bonus de constructibilité • PLU • article L. 151-28 • intégration paysagère • permis de construire
Par un arrêt du 6 juin 2025, le Conseil d’État confirme la solution retenue par le tribunal administratif de Nîmes dans un contentieux opposant plusieurs riverains à la société Cogedim Languedoc Roussillon, au sujet d’un permis de construire un ensemble immobilier de 115 logements. La Haute juridiction valide l’interprétation selon laquelle le règlement d’un PLU peut légalement encadrer l’octroi du bonus de constructibilité écologique (prévu par l’article L. 151-28 du Code de l’urbanisme) par des conditions qualitatives tenant à l’intégration architecturale et au respect du caractère de la zone. Elle apporte également des précisions importantes sur les conséquences de l’absence de régularisation en application de l’article L. 600-5-1. La décision, qui confirme l’analyse du juge du fond, illustre une volonté de renforcer l’exigence de cohérence urbanistique dans l’usage des majorations de gabarit.
Le bonus de constructibilité dit « écologique », instauré par la loi n° 2005-781 du 13 juillet 2005, de programme fixant les orientations de la politique énergétique N° Lexbase : L5490MS7, poursuit un objectif incitatif fort. Il vise à encourager l’innovation environnementale dans la construction, en permettant un dépassement des règles de gabarit – notamment d’emprise au sol ou de hauteur – jusqu’à 30 %. Mais ce bonus ne constitue pas un droit inconditionnel. Il est subordonné à une démonstration de performance énergétique ou environnementale exemplaire, et à l’existence de règles locales d’urbanisme permettant son application.
Dans une démarche de performance environnementale, imposée notamment par la Directive (UE) n° 2010/31 du 19 mai 2010, sur la performance énergétique des bâtiments L5894IMA N° Lexbase : L5894IMA [1], certains choix dans la construction – comme l’augmentation de l’épaisseur des planchers – peuvent entraîner une élévation de la hauteur des niveaux. Cela peut poser problème dans les zones régies par un Plan local d’urbanisme (PLU) limitant strictement les hauteurs autorisées.
Pour éviter que ces contraintes freinent les projets exemplaires sur le plan environnemental, outre la dérogation instituée à l’article L. 152-5-2 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L6908L7Y par la loi « Climat et Résilience » [2], les PLU peuvent fixer des règles strictes sur les caractéristiques des constructions – notamment leur gabarit ou leur intégration paysagère – pour préserver la qualité architecturale et urbaine des territoires (article L. 151-18 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L2596K9Z).
Depuis 2016, un mécanisme de « bonus de constructibilité » permet toutefois de dépasser ces règles, dans une certaine limite, pour les projets à forte performance environnementale ou énergétique (article L. 151-28, 3° N° Lexbase : L0315NAW). Ce bonus peut atteindre jusqu’à 30 % de surface supplémentaire pour une construction neuve. Cependant, cette disposition n’est applicable que dans les communes ayant fait figurer une clause relative à ce bonus dans leur PLU.
Avec l’entrée en vigueur progressive de la RE2020 – le 1er janvier 2022 pour les logements, puis le 1er juillet 2022 pour les bureaux et établissements scolaires – les seuils de référence en matière de performance énergétique et carbone ont été réévalués.
Un arrêté du 8 mars 2023 est venu actualiser les critères permettant de qualifier un projet d’exemplaire, en fixant les niveaux de performance minimale requis pour bénéficier des différents dispositifs liés à la qualité environnementale ou énergétique des constructions [3].
Cependant, l’innovation écologique ne dispense pas du respect des formes urbaines. Le juge du Palais-Royal, au travers de la décision commentée, se positionne dans une ligne équilibrée, en valorisant la performance environnementale tout en réaffirmant le rôle du PLU comme outil d’intégration du bonus écologique aux circonstances locales.
En l’espèce, le Conseil d’État a du se prononcer sur la possibilité, pour les auteurs d’un PLU, de conditionner ce bonus de constructibilité à des critères liés à la qualité architecturale et paysagère.
Cette pratique est répandue dans les PLU récents, souvent pour éviter que le bonus écologique, en apparence vertueux, ne serve de justification à des projets massifs dérogeant à l’échelle urbaine locale. En ce sens, le Conseil d’État valide une logique d’encadrement, réconciliant performance environnementale et cohérence urbaine. C’est un rappel important que le bonus de constructibilité n’est pas un passe-droit, mais un levier dont l’usage peut être modulé, dans l’esprit du projet urbain local.
Cette solution consacre également une interprétation souple du 3° de l’article L. 151-28, qui renvoie expressément au respect des autres règles du PLU. Le juge reconnaît ainsi une marge de manœuvre aux collectivités locales, sous réserve que les conditions posées soient précises, proportionnées et motivées (I). Cette latitude s’inscrit dans une logique de décentralisation normative propre au droit de l’urbanisme, où l’équilibre entre règles nationales et adaptation locale est toujours délicat à tracer.
Le juge du Palais-Royal a également dû se prononcer sur le mécanisme de régularisation prévu par l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L0034LNL. Cette clarification est bienvenue pour les praticiens. Trop souvent, cette possibilité est utilisée de manière dilatoire par certains pétitionnaires, qui sollicitent des délais pour ajuster leurs projets sans intention réelle de corriger les vices identifiés. En affirmant que l’absence de régularisation ferme la porte à tout recours ultérieur au mécanisme de régularisation hors prétoire (article L. 600-5 N° Lexbase : L0035LNM), le Conseil d’État envoie un signal de rigueur procédurale (II).
I. La légalité d’un encadrement du bonus écologique par le PLU
Le principal enjeu de l’affaire portait sur la légalité des articles UD 9 et UD 10 du PLU de Nîmes, qui, tout en permettant un dépassement de l’emprise et de la hauteur pour les constructions « exemplaires » sur le plan énergétique, subordonnent ce bonus à des conditions supplémentaires : le respect du caractère de la zone et une bonne insertion urbaine, architecturale et paysagère.
La société Cogedim contestait ces conditions en défense, arguant qu’elles excédaient la marge d’appréciation que l’article L. 151-28 du Code de l’urbanisme laisserait aux auteurs du PLU. Pour la requérante, ces critères constituaient une atteinte illégale au droit de propriété, dans la mesure où le législateur n’avait pas prévu de telles restrictions à l’octroi du bonus écologique.
Le Conseil d’État rejette cette argumentation. Il rappelle que les dispositions législatives permettent aux auteurs du PLU de fixer des règles propres, pourvu qu’elles respectent le cadre législatif général et soient suffisamment précises. En l’espèce, l’article L. 151-28 prévoit que le bonus peut être instauré « dans le respect des autres règles établies par le document », ce qui ouvre selon le Conseil d’État la possibilité d’introduire des conditions supplémentaires dès lors qu’elles sont motivées et en cohérence avec les objectifs du document d’urbanisme.
L’analyse confirme également la possibilité pour un porteur de projet d’invoquer, en défense, l’illégalité des dispositions d’un PLU qui lui sont opposées. Le Conseil d’État juge opérant ce moyen de défense, dès lors qu’il tend non pas à obtenir l’annulation du document d’urbanisme, mais à empêcher l’application d’une de ses dispositions estimée illégale. Cette solution s’inscrit dans la droite ligne de l’avis « Marangio » du 9 mai 2005 [4], et se distingue de la jurisprudence « Commune de Courbevoie » [5], qui limite l’usage de l’exception d’illégalité par les requérants.
Enfin, le juge administratif valide la nature qualitative des critères fixés par les articles UD 9 et UD 10 du PLU. Contrairement à ce que soutenait la société Cogedim, rien dans l’article L. 151-28 n’impose que les conditions d’octroi du bonus soient exclusivement « quantitatives ». Le Conseil d’État confirme que des exigences comme l’intégration dans le tissu urbain, l’harmonie paysagère ou le respect du caractère de la zone peuvent être mobilisées, à condition d’être formulées de manière intelligible et prévisible pour les pétitionnaires.
La décision du Conseil d’État renforce la capacité des collectivités à encadrer, voire restreindre, les effets du bonus écologique, à condition que les critères posés soient formulés de manière claire, prévisible et proportionnée, ce qui invite les collectivités à manier « la carotte » plutôt que le « bâton » [6]. Cela exige une vigilance accrue lors de la rédaction des règlements de PLU.
Les critères tels que le « respect du caractère de la zone » ou « la bonne intégration paysagère » doivent être définis avec soin pour éviter toute censure pour imprécision. La jurisprudence administrative, bienveillante à l’égard des collectivités, n’admet pas pour autant des exigences purement subjectives ou dépourvues de lien avec les objectifs du PLU. La présente décision valide explicitement la mobilisation de telles conditions dès lors qu’elles sont motivées et appliquées de manière cohérente.
En pratique, les collectivités doivent donc veiller à :
Ainsi, le bonus écologique devient un instrument au service d’une densification maîtrisée, non un moyen de dérogation systématique à l’échelle urbaine locale.
II. Une clarification bienvenue sur les régularisations et l’économie des articles L. 600-5 et L. 600-5-1
Le second apport jurisprudentiel concerne l’usage combiné – ou non – des mécanismes de régularisation prévus par les articles L. 600-5 et L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme.
Le juge administratif avait initialement sursis à statuer sur les recours dirigés contre les permis, pour permettre une régularisation dans le cadre de l’article L. 600-5-1. En l’absence de mesure de régularisation produite par la société pétitionnaire dans le délai imparti, les juridictions du fond ont logiquement annulé les permis. Devant le Conseil d’État, Cogedim soutenait que le juge aurait dû, malgré tout, recourir à l’article L. 600-5 afin de n’annuler le permis que partiellement et permettre une régularisation hors prétoire.
Ce raisonnement est écarté sans ambiguïté. Le Conseil d’État réaffirme que le mécanisme de l’article L. 600-5-1 constitue un « fusil à un coup [7] » : une fois ce dispositif actionné sans effet, il n’est plus possible de basculer vers le régime de régularisation par annulation partielle prévu par l’article L. 600-5. Cette solution avait déjà été affirmée dans une décision de 2021 [8] et surtout dans une décision de section de 2024 [9], que l’arrêt ici commenté prolonge logiquement. Ni la doctrine, ni les juges n’avaient eu à se prononcer sur la possibilité ou le devoir, pour le juge, d’utiliser sa capacité à annuler, sous conditions, un permis de construire en vertu de l’article L. 600-5, une fois la possibilité de régularisation éteinte [10].
Cette jurisprudence vise à éviter une spirale procédurale où le juge se verrait contraint de multiplier les sursis à statuer ou les annulations partielles, sans jamais trancher définitivement les litiges. Elle repose sur une exigence de diligence du pétitionnaire, qui dispose d’une opportunité claire et unique pour régulariser son projet dans le cadre de l’article L. 600-5-1.
Le Conseil d’État en profite pour rappeler que l’usage de l’article L. 600-5 reste possible de manière autonome, mais seulement en dehors de tout sursis à statuer déjà prononcé. Il précise enfin qu’en l’absence de mesure de régularisation produite, le juge peut néanmoins opter pour une annulation partielle si les vices ne concernent qu’une portion identifiable du projet, sans pour autant déclencher une nouvelle régularisation.
L’arrêt confirme que les juges du fond peuvent prononcer une annulation totale dans ce cas, sans être tenus de rechercher si le projet pourrait faire l’objet d’une annulation partielle régularisable. Cette ligne jurisprudentielle, qui repose sur l’objectif de clarté et de célérité du contentieux de l’urbanisme, met les porteurs de projet face à leurs responsabilités : il leur appartient de produire des mesures de régularisation concrètes et complètes dans le délai imparti. À défaut, ils s’exposent à une annulation pure et simple, avec toutes les conséquences juridiques et financières qui en découlent.
Il convient toutefois de relever que le juge conserve, même en dehors de tout sursis à statuer, la possibilité d’annuler partiellement [11] le permis si les vices sont parfaitement circonscrits. Cette possibilité, qui ne déclenche pas le régime de régularisation différée, permet d’éviter des annulations excessives lorsque seule une partie du projet est irrégulière. Elle contribue à l’équilibre recherché entre sécurité juridique et respect des règles d’urbanisme.
La décision commentée illustre l’un des dilemmes majeurs de l’urbanisme contemporain : comment favoriser la transition énergétique sans déséquilibrer les tissus urbains ?
Le bonus de constructibilité est un outil vertueux dans son intention – encourager les bâtiments à faible impact environnemental – mais il peut devenir une faille si les promoteurs s’en emparent sans respecter les contraintes de forme, d’insertion ou d’usage. L’arrêt met en garde contre une application automatique du bonus, qui risquerait de heurter les équilibres locaux et d’alimenter les contentieux.
Cette affaire révèle les tensions entre densification (objectif légitime pour limiter l’artificialisation des sols) et acceptabilité locale. Dans les zones à dominante pavillonnaire, le passage à des constructions en R+3 peut profondément modifier le paysage, même en respectant les exigences énergétiques. L’appréciation du juge sur l’insertion paysagère du projet n’est pas anecdotique : elle devient le filtre principal d’un urbanisme durable mais raisonné.
À retenir
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[1] Cette Directive impose qu'à partir du 31 décembre 2020, tous les nouveaux bâtiments doivent être des bâtiments NZEB (Nearly Zero Energy Buildings). Cette échéance a été avancée, pour les bâtiments publics, au 31 décembre 2018. Toutefois, la directive ne donne pas de définition claire de ce qu'il faut entendre par bâtiment NZEB : l’article deux indique qu’il s’agit d’un bâtiment à très haute performance énergétique. E. Iavorschi, L.D. Milici, V.C Ifrim, V. Ungureanu, C Bejenar, A Literature Review on the European Legislative Framework for Energy Efficiency, Nearly Zero-Energy Buildings (nZEB), and the Promotion of Renewable Electricity Generation, Energies 2025, 18, 1436, site MDPI.
[2] La loi n° 2021-1104, du 22 août 2021, portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets N° Lexbase : L6065L7R, a introduit une disposition spécifique dans le Code de l’urbanisme (C. urb., art. L. 152-5-2 N° Lexbase : L6908L7Y). Celle-ci permet aux autorités compétentes d’accorder, sous certaines conditions, une dérogation aux règles de hauteur pour les constructions démontrant un haut niveau de performance environnementale, sans pour autant permettre l’ajout d’un étage.
[3] Arrêté du 8 mars 2023, modifiant l'arrêté du 12 octobre 2016, relatif aux conditions à remplir pour bénéficier du dépassement des règles de constructibilité prévu au 3° de l'article L. 151-28 du Code de l'urbanisme N° Lexbase : L0315NAW.
[4] CE n° 277280 N° Lexbase : A2186DIS ; P. Soler-Couteaux. Le Conseil d'État précise la portée et la mise en oeuvre du principe général selon lequel l'autorité administrative ne peut appliquer un règlement illégal, Revue de droit immobilier. Urbanisme - construction, 2005, 05, pp. 346.
[5] CE, 7 février 2008, n° 297227 N° Lexbase : A7166D48.
[6] H. Périnet-Marquet, Le droit de l’urbanisme à l’épreuve du droit de la construction. À propos du bonus écologique de constructibilité, Constr.-Urb.,2016, repère 9.
[7] G. Roux, Le dispositif de régularisation de l'article L. 600-5-1 : un fusil à un coup, AJDA, 2023 p. 579.
[8] CE, 9 novembre 2021, n° 440028 N° Lexbase : A81427B8.
[9] CE, 14 octobre 2024, n° 471936 N° Lexbase : A877059P.
[10] A. Goin et L. Cadin, Juste une dernière chance. Régularisation des autorisations d’urbanisme : une fois, mais pas deux, AJDA, n° 40, pp. 2168-2175.
[11] CE, 1er mars 2013, n° 350306 N° Lexbase : A9297I8T.
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