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N2093B3W
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par Axel Valard
Le 14 Avril 2025
Il avait annoncé qu’il n’en resterait pas là. Il a attendu huit mois. Mais finalement, il a tenu sa promesse et mis sa menace à exécution. Le trompettiste Ibrahim Maalouf a décidé, récemment d’assigner le festival du cinéma américain de Deauville devant le tribunal des affaires économiques de Paris (ex-tribunal de commerce). Au civil donc, il réclame un peu plus de 500 000 euros en guise de réparation pour avoir été écarté du jury du festival, l’été dernier, en raison du « malaise » que suscitait sa présence.
Pour bien comprendre cette affaire, il faut d’ailleurs remonter à l’été dernier. Au mois d’août exactement. Dans un premier temps, Aude Hesbert, la directrice du festival, dévoile la liste des prestigieux membres qui constitueront le jury, à l’occasion des 50 ans du festival. Mais quelques semaines plus tard, alors que le festival s’apprête à s’ouvrir, elle révèle, dans les colonnes de la Tribune Dimanche, d’abord, du Parisien, ensuite, qu’Ibrahim Maalouf a finalement été écarté de ce jury.
La raison ? La « contestation très forte » qui s’est « élevée de tout horizon » quant à la participation du musicien à ce festival célèbre dans le monde entier. Selon Aude Hesbert, l’annonce de la présence d’Ibrahim Maalouf au sein du jury avait suscité des « réactions sur les réseaux sociaux et dans les médias » et « un malaise dans l’équipe » du festival, en raison d’une affaire d’agression sexuelle sur mineure visant le musicien dans le passé.
« Les Américains sont vigilants sur le sujet des violences sexuelles »
Condamné en 2018 à quatre mois de prison avec sursis, 20 000 euros d’amende et une inscription au fichier des auteurs d’infractions sexuelles, le jazzman, lauréat de quatre Victoires de la musique et d’un César de la meilleure musique de film, avait finalement été relaxé par la cour d’appel de Paris en juillet 2020.
« La preuve matérielle des faits (…) n’est pas rapportée, notait ainsi la cour dans son arrêt. Ce qui ne signifie pas que [l’adolescente] a menti, mais que sa vérité n’est pas partagée, en l’absence d’éléments suffisamment pertinents, précis et concordants. »
« Il convient en conséquence d’infirmer le jugement [rendu en première instance] en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de relaxer Ibrahim Maalouf et de les renvoyer des fins de la poursuite. »
Quatre ans après, Aude Hesbert affirme dans les colonnes du Parisien, n’avoir pas eu l’ambition de se « substituer à la justice » mais avoir pris la décision de retirer le musicien du jury en raison de « menaces » sur le bon déroulement de son festival. « Nous sommes un festival de cinéma américain, et les Américains sont très vigilants sur le sujet des violences sexuelles », terminait-elle.
Le musicien a décliné des participations à des concerts
De quoi relancer tous les débats sur le difficile respect de la présomption d’innocence, du respect de l’innocence même dans le cas très précis d’Ibrahim Maalouf, à l’ère nécessaire de la libération de la parole en matière de violences sexuelles et sexistes.
Évidemment, le trompettiste n’a jamais compris pourquoi il avait été évincé du festival, alors qu’il avait été définitivement relaxé par la justice, la plaignante n’ayant pas formé de pourvoi en cassation. D’autant plus qu’il était allé jusqu’à faire condamner Le Parisien en diffamation pour avoir révélé l’affaire à l’origine « sans base factuelle solide », selon les termes du jugement.
C’est pour cela qu’il vient donc d’assigner le festival devant la justice pour faire reconnaître ses préjudices. À commencer par le manque à gagner économique évidemment. Son raisonnement est simple : pour se rendre disponible pour le festival de Deauville avant d’en être écarté, il a décliné plusieurs propositions de concerts et d’autres propositions de représentations. Arles, Thuir, Monte-Carlo, Bruxelles, Anvers… Il estime ainsi son préjudice économie à un peu plus de 340 000 euros. Si l’on ajoute 150 000 euros réclamés au titre du préjudice moral et réputationnel et les frais d’avocat, la demande du musicien dépasse les 500 000 euros.
Après une première audience, fin mars, les deux parties doivent se revoir devant un juge conciliateur pour tenter de trouver un terrain d’entente. Il y a du travail : Patrick Maisonneuve, l’avocat du festival, a déjà prévenu que les organisateurs de la cérémonie étaient en « désaccord total avec les demandes formulées par Ibrahim Maalouf ».
Une position que déplore Fanny Colin, l’avocate du musicien. « Il est regrettable que le festival de Deauville s’entête à ne pas reconnaître sa faute. C’est ici une question de principe et Ibrahim Maalouf ira, cela va sans dire, jusqu’au bout de la procédure » ; Si la conciliation n’aboutit pas, l’affaire devrait faire l’objet d’une audience devant le tribunal des affaires économiques de Paris. Sans doute pas avant l’automne.
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N1942B3C
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Le 10 Avril 2025
Mots clés : environnement • compétitivité • climat • responsabilité des entreprises • droits humains
Plus que jamais, à l’heure d’une nouvelle bataille économique entre continents, l’environnement semble relégué au second plan car perçu comme une entrave à l’enrichissement des nouveaux empires. Alors que deux d’entre eux (États-Unis et Russie) ne s’embarrassent guère de sentiments en la matière, l’Union européenne avait voulu s’ériger en modèle de vertu dès 2021, avant de revoir ses ambitions face à la dénonciation par certains groupes et politiques de la surcharge normative affectant la compétitivité des entreprises européennes. Pour en savoir plus sur le sujet, Lexbase Avocats a rencontré Muriel Guillin-Modaine, avocate associée, De Gaulle Fleurance*.
Lexbase : Pouvez-vous nous rappeler les objectifs initiaux de la loi européenne sur le climat adoptée le 24 juin 2021 ?
Muriel Guillin-Modaine : La loi européenne sur le climat (Règlement (UE) n° 2021/1119 du 30 juin 2021 établissant le cadre requis pour parvenir à la neutralité climatique N° Lexbase : L1361L7K) entérine la neutralité climatique d'ici 2050 et fixe un objectif intermédiaire qui est la réduction des gaz à effet de serre d'au moins 55 % d'ici à 2030. La loi fixe un cadre juridique contraignant avec l’obligation pour les États membres de prendre les mesures permettant d’atteindre lesdits objectifs. Ils sont tenus en particulier de renforcer leur adaptation au changement climatique et d'élaborer des stratégies pour limiter les impacts de l’activité économique sur le climat. Un certain nombre de moyens ont également été décidés, comme la création d’un Conseil supérieur indépendant et l'introduction d’un budget carbone pour l'Union européenne.
Lexbase : Quels en sont les textes les plus emblématiques ? Ont-ils déjà connu un début de mise en oeuvre ?
Muriel Guillin-Modaine : On peut déjà mentionner la Directive « CS3D » (Directive (UE) n° 2024/1760 du Parlement européen et du Conseil du 13 juin 2024, sur le devoir de vigilance des entreprises N° Lexbase : L0909MNY), adoptée par l'Union européenne en juillet 2024 et qui n'est, pour l'instant, pas entrée en vigueur en France puisque les États membres ont jusqu'en juillet 2026 (juillet 2027 si le paquet Omnibus est adopté) pour la retranscrire dans leur droit national. La directive CS3D peut être qualifiée de directive "to do", c'est-à-dire une Directive imposant une obligation de faire, par opposition à la Directive « CSRD » (Directive (UE) 2022/2464 du 14 décembre 2022), qui relève davantage d'une obligation de reporting (« to report » ). Cette dernière impose aux entreprises la publication d’informations extra-financières en matière de durabilité N° Lexbase : L1830MGU). Le calendrier d‘application de la CS3D est progressif en fonction de la taille de l'entreprise, avec à terme (d’ici 2029), un dispositif qui s'applique à toutes les entreprises européennes employant plus de 1 000 personnes et générant un chiffre d'affaires mondial annuel de plus de 450 millions d'euros.
Cette Directive qui instaure le devoir de vigilance européen, oblige les entreprises à identifier, à prévenir, à atténuer, voire à stopper leurs impacts négatifs sur les droits humains et sur l'environnement. Le cœur de ce dispositif est l'élaboration d'un plan de vigilance qui comprend une cartographie des risques avec une évaluation des sous-traitants, des fournisseurs et enfin, de toute la chaîne de valeur de l'entreprise.
L’entreprise a pour obligation, dans le cadre de l’établissement de son plan de vigilance, de mener des échanges avec les parties prenantes, avec l’objectif de mettre en œuvre des mesures de prévention et d'atténuation afin de diminuer son impact tant sur les droits humains que sur l'environnement.
Enfin, l’entreprise est tenue au titre du devoir de vigilance d’élaborer un plan de transition climatique qui doit permettre de s'assurer de la compatibilité du modèle économique et de la stratégie de l'entreprise avec une transition vers une économie durable, la limitation du réchauffement climatique à 1,5 degré et l'objectif de neutralité climatique d'ici à 2050.
Le deuxième texte central qui découle du Pacte Vert Européen est la Directive « CSRD », qui fixe des obligations en matière de reporting extra-financier pour les entreprises permettant une comparabilité et une cohérence des informations publiées par les différentes entreprises européennes. Le but est d’encadrer les données extra-financières aussi étroitement que les données financières, afin de faciliter une prise de décision stratégique des investisseurs au bénéfice de la durabilité.
Contrairement à l'approche adoptée aux États-Unis, la CSRD s'appuie sur un principe de double matérialité, c'est-à-dire une matérialité dite « financière » qui mesure les impacts des enjeux de durabilité sur les performances financières de l'entreprise et une matérialité dite « d’impact » qui mesure les conséquences des activités de l'entreprise sur la société et l'environnement.
La CSRD est entrée en application en France au 1er janvier 2024 avec, comme pour la CS3D, une application lissée dans le temps comportant trois vagues de sociétés en fonction du nombre de salariés et du chiffre d’affaires annuel réalisé.
Les grandes entreprises et les entreprises cotées ont commencé leur reporting extra-financier au titre de la CSRD « exercice 2024 » pour un reporting 2025. Les deux autres vagues concernent l’exercice 2025 pour un reporting en 2026 et l'exercice 2026 pour un reporting en 2027.
Le « paquet omnibus », présenté par la Commission européenne le 26 février dernier, propose de réajuster certaines obligations réglementaires à la suite du rapport « Draghi » qui a pointé un problème de compétitivité des entreprises européennes du fait des lourdeurs réglementaires - encore aggravé depuis l’élection de Donald Trump. La première modification est le report de l’entrée en vigueur des obligations de reporting de la CSRD pour les deuxième et troisième vagues. La seconde est la modification des seuils avec une application aux entreprises employant plus de 1 000 salariés (contre 250 auparavant), réalisant plus de cinquante millions d’euros de chiffres d’affaires ou ayant vingt-cinq millions d’euros de bilan total, ce qui entraînerait une diminution du périmètre de plus de 80 % des entreprises par rapport à l’objectif initial. Le « paquet omnibus » comprend toutefois un encouragement au reporting volontaire.
La CS3D comprend moins de modifications avec un report de la transposition du 1er juillet 2026 au 1er juillet 2027 et de l’entrée en vigueur au 1er juillet 2028 pour les grandes entreprises. En outre, l’évaluation est désormais limitée aux partenaires commerciaux directs, sauf informations mettant en cause un partenaire commercial indirect qui ne respecterait pas les droits humains ou environnementaux. En cas de risques identifiés, l’entreprise aura juste une obligation de suspendre la relation avec le partenaire (et non plus d’y mettre fin). Mentionnons aussi l’évaluation de la chaîne de valeur, qui deviendrait non plus annuelle mais quinquennale, la limitation de la notion de parties prenantes aux salariés et leurs représentants et aux communautés dont les droits ou intérêts pourraient être affectés par les activités de l’entreprise, et la suppression du régime de responsabilité harmonisé au niveau européen et un renvoi aux droits nationaux des États membres en la matière.
Malgré ces modifications importantes, l’objectif de limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré reste paradoxalement maintenu.
Lexbase : Que faut-il attendre selon vous pour l'avenir de ce texte ?
Muriel Guillin-Modaine : Le « paquet omnibus » est une simple proposition de modification émanant de la Commission européenne et l’adoption des nouveaux textes n’interviendra qu’après l’aboutissement du trilogue Parlement-Commission Conseil.
En France, est passé devant le Sénat le 10 mars dernier un texte de modification de la loi de transposition de la CSRD qui devrait arriver devant l’Assemblée nationale au mois d’avril. Est pour l’instant prévu un report de quatre ans de l’application.
Ce qui est sûr en l’état c’est que la CSRD et la CS3D vont forcément subir des modifications. La question est celle de leur ampleur.
*Propos recueillis par Virginie Natkin, chargée d’affaires grands comptes Avocats et Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Public
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Réf. : Cass. civ. 2, 27 mars 2025, n° 22-21.527, F-B N° Lexbase : A42090CU
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N2094B3X
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par Alexandre Autrand, doctorant, Université de Limoges, école doctorale Gouvernance des Institutions et des Organisations, Observatoire des Mutations Institutionnelles et Juridiques
Le 14 Avril 2025
La Cour de cassation rappelle et précise sa jurisprudence au sujet de l’insuffisance des diligences de l’huissier de justice (V. Cass. civ. 2, 8 décembre 2022, n° 21-14.145 N° Lexbase : A10288YQ). Elle considère que lorsqu’un acte de signification a été délivré à l’étude de l’huissier au motif de l’absence de la personne concernée, mais qu’il n’a pas été procédé à d’autres vérifications de l’adresse que la présence du nom sur la boîte aux lettres, cela constitue un vice de forme.
Faits et procédure. Le 13 novembre 2012, le tribunal de grande instance de Fort-de-France, condamne Monsieur [S] [X] à payer une certaine somme à la société NACC. Par requête du 26 janvier 2022, la société NACC a saisi le tribunal aux fins de rectification d’une erreur matérielle affectant le jugement qui a été rendu le 13 novembre 2012. L’erreur portait sur le prénom du débiteur, qui se dénommait non pas Monsieur [S] [X], mais M. [N], [V] [X]. Le tribunal de grande instance de Fort-de-France a rendu un jugement rectificatif le 29 mars 2022. Par un acte du 30 avril 2022, la société NACC a cédé la créance litigieuse à la société B-Squared Investments. M. [N], [V] [X] décide alors d’attaquer cette décision, par une déclaration de pourvoi déposée auprès de la Cour de cassation, le 5 avril 2023.
Recevabilité du pourvoi. Les défenderesses au pourvoi, à savoir les sociétés NACC et B-Squared Investments, affirment que le pourvoi de M. [N], [V] [X] est tardif, car il a été formé par une déclaration du 5 avril 2023, alors que le jugement rectificatif lui a été signifié le 21 juin 2022. Le demandeur au pourvoi conteste quant à lui la validité de cette signification. Dans le cas d’espèce, le procès-verbal de signification a été délivré à l’étude de l’huissier de justice, au motif de l’absence de la personne concernée, sans qu’il n’ait été procédé à d’autres vérifications de l’adresse que la présence du nom sur la boîte aux lettres.
Solution. La Cour de cassation refuse de déclarer nul l’acte de signification qui a été délivré à l’étude d’huissier. Elle considère que lorsqu’un huissier de justice vérifie l’adresse de la personne visée par l’acte seulement par la présence du nom sur la boîte aux lettres, et sans réaliser d’autres vérifications, cela constitue un vice de forme. Dans cette hypothèse, l’acte de signification encours la nullité selon conditions l’article 114 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1395H4G. Après avoir énoncé la lettre de cet article, la Cour de cassation constate que M. [N], [V] [X] n’allègue aucun grief. De ce fait, les juges du droit considèrent que M. [N], [V] [X] ne peut pas remettre en cause la validité de l’acte de signification. Ainsi, les juges du quai de l’horloge considèrent que le pourvoi de M. [N], [V] [X] est tardif, et donc, irrecevable.
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N2052B3E
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Le 08 Avril 2025
Mots clés : avantages en nature • flotte d'entreprise • véhicules thermiques • véhicules électriques • URSSAF
Les nouvelles dispositions applicables aux véhicules de fonction depuis début février 2025 sont moins avantageuses pour les entreprises disposant d’une importante flotte de véhicules, notamment thermiques. En effet, la base de calcul de ces avantages en nature passe de 30 à 50 % du coût global annuel du véhicule pour les locations (entretien et assurance compris) et de 9 à 15% pour les véhicules achetés. Toutefois, un abattement accru est prévu pour les véhicules électriques, particulièrement s’ils sont produits en Europe. Pour faire le point sur ces nouveautés, Lexbase a interrogé Guillemette Watine, avocate en droit de la Sécurité sociale*.
Lexbase : Quelles sont les caractéristiques et la finalité de l’avantage en nature « véhicule » ?
Guillemette Watine : Tout travail mérite salaire… même quand il ne prend pas la forme d’argent. C’est de ce constat que naît la notion d’avantage en nature.
Le point de départ est donc simple : le salarié qui accomplit une prestation pour le compte de son employeur doit être rémunéré en contrepartie du travail effectivement fourni.
Ce paiement intervient à des échéances régulières, sous la forme d’une somme d’argent versée par virement, chèque ou espèces, sauf disposition particulière imposant un autre mode de règlement [1].
Mais la rémunération peut également comprendre, en tout ou partie, des avantages en nature :
Il s’agit de biens ou de services mis à la disposition du salarié par l’employeur, lui permettant d’économiser des dépenses qu’il aurait normalement dû supporter lui-même (par exemple : logement, repas, véhicule, matériel informatique, etc.).
Ces avantages, assimilés à un complément de salaire, doivent être intégrés à l’assiette des cotisations et contributions sociales pour leur valeur brute et apparaître sur le bulletin de paie [2].
Parmi les différentes formes d’avantages en nature pouvant être consenties par l’employeur, la mise à disposition d’un véhicule figure parmi les plus fréquents et les plus contrôlés par l’URSSAF.
Il est caractérisé lorsque l’employeur met à disposition de façon permanente un véhicule dont il est propriétaire ou locataire, et que le salarié est autorisé à l’utiliser à des fins personnelles [3].
La notion de permanence est ici essentielle.
L’objectif de l’évaluation de l’avantage en nature « véhicule » - comme pour tout avantage en nature - est de garantir l’intégration de toutes les formes de rémunération dans l’assiette des cotisations sociales.
Cette réintégration est indispensable, puisque les cotisations sociales financent l’ensemble du système de protection sociale en France : assurance maladie, maternité, invalidité, retraite, allocations familiales, assurance chômage, accidents du travail… Intégrer les avantages en nature à l’assiette des cotisations permet donc d’assurer une équité de traitement entre les salariés quelle que soit la forme de leur rémunération.
Lexbase : Dans quels cas l’avantage en nature « véhicule » doit-il être mis en place ?
Guillemette Watine : Chaque fois qu’un véhicule est mis à disposition d’un salarié par l’employeur, il est nécessaire de s’interroger sur l’usage qui en est fait :
Le véhicule est-il utilisé exclusivement dans le cadre de l’activité professionnelle du salarié ?
Si la réponse est oui, l’employeur devra être en mesure de le justifier de manière probante [4].
Si la réponse est non, c’est-à-dire si le salarié est autorisé à utiliser le véhicule à des fins personnelles, alors un avantage en nature est constitué. Celui-ci devra être évalué et intégré à l’assiette des cotisations sociales.
En effet, lorsque l’utilisation du véhicule est strictement limitée à un usage professionnel, et que l’employeur peut le démontrer de manière précise — notamment via un journal de bord recensant les rendez-vous, les trajets et les kilomètres parcourus à titre professionnel —, il ne s’agit pas d’un avantage en nature : les frais liés à cet usage sont alors considérés comme des frais professionnels, exonérés de cotisations sociales.
En revanche, dès que le salarié est autorisé à utiliser le véhicule en dehors de ses horaires de travail, le week-end ou durant ses congés, même de manière ponctuelle, l’usage personnel du véhicule constitue un avantage en nature.
Au-delà du respect des règles, c’est donc une véritable culture de la justification que les entreprises doivent développer en anticipant et en structurant chaque avantage ou frais professionnels afin qu’ils soient documentés et défendus avec cohérence.
Lexbase : Justement, comment éviter un risque de redressement URSSAF lié à l’avantage en nature « véhicule » ? Doit-il être intégré dans le contrat de travail ?
Guillemette Watine : Il faut savoir que les règles relatives à l’évaluation d’un avantage en nature « véhicule » sont toutes énumérées sur le site du Bulletin officiel de la Sécurité sociale [5].
Les informations qui y sont publiées, sont mises à jour en fonction des évolutions législatives et réglementaires et sont opposables à l’URSSAF.
Depuis le 1er janvier 2025, le BOSS intègre désormais les rescrits dits « de portée générale » notamment au sein de la rubrique « Avantage en nature ».
Il est donc important de s’y référer.
Dans beaucoup de situations, les entreprises mettent à disposition un véhicule pour des raisons professionnelles sans toutefois en justifier sa réelle utilisation.
Le premier risque URSSAF se situe ici.
Le principe veut que l’avantage en nature « véhicule » n’est pas constitué lorsque l’usage personnel du véhicule est exclu de manière effective et encadrée par l’employeur.
Ainsi, aucune évaluation n’est requise lorsque le salarié est tenu de restituer le véhicule à l’employeur pendant ses périodes de repos hebdomadaire et de congés payés. De même, si le salarié conserve le véhicule en permanence mais qu’il lui est formellement interdit de l’utiliser à des fins personnelles pendant ces périodes, aucun avantage en nature ne doit être comptabilisé.
Cette interdiction doit toutefois être précisée par écrit.
L’utilisation strictement professionnelle d’un véhicule peut effectivement être formalisée dans le contrat de travail, mais pas uniquement : règlement intérieur, note de service, courrier ou mail émanant de l’employeur.
En outre, il peut être utile de mettre en place des dispositifs de traçabilité rigoureux et plusieurs outils peuvent être mobilisés : la rédaction systématique de notes de frais détaillées par le salarié, mentionnant notamment la date, l’objet du déplacement, l’itinéraire suivi, les adresses de départ et d’arrivée, ainsi que le kilométrage parcouru. La tenue d’un agenda professionnel permet également de refléter l’activité réelle du salarié.
À ce sujet, la jurisprudence rappelle que la preuve « peut être apportée par tout moyen » en application de l'article 1358 du Code civil N° Lexbase : L1008KZD [6].
L’URSSAF admet certaines tolérances, en particulier lorsque le salarié est tenu de restituer le véhicule pendant ses jours de repos ou ses congés, mais qu’un véhicule de l’entreprise lui est néanmoins mis à disposition pour ses trajets domicile-travail. Dans ce cas, il n’est pas considéré qu’il s’agit d’un avantage en nature si l’octroi du véhicule est justifié par les besoins de son activité professionnelle, et que l’employeur est en mesure de démontrer que l’utilisation des transports en commun est impossible ou inadaptée, en raison notamment de la distance, des horaires ou de conditions de travail spécifiques.
La jurisprudence vient régulièrement compléter l’interprétation des règles applicables. Et en matière d’avantage en nature « véhicule », la Cour de cassation a opéré une évolution notable :
Dans les affaires en cause, l’URSSAF avait redressé une société sur plusieurs fondements, notamment au titre des avantages en nature « véhicule ». Le redressement reposait sur l’absence de preuve du caractère exclusivement professionnel des déplacements et des dépenses engagées. La cour d’appel avait validé cette position, estimant que les attestations des salariés ne permettaient pas, de manière précise et individuelle, de justifier la nature professionnelle des trajets concernés.
Jusqu’alors, la jurisprudence considérait que les seules déclarations des salariés ne suffisaient pas à démontrer que les montants versés par l’employeur correspondaient exclusivement à des trajets professionnels.
La Cour de cassation a toutefois censuré ce raisonnement, considérant que les motifs retenus étaient « insuffisants à caractériser dans son principe et dans son montant » l’avantage en nature reproché [7].
Cette décision marque un assouplissement significatif en faveur des entreprises, en reconnaissant la valeur probante des déclarations des salariés lorsqu’aucun élément contraire ne vient les infirmer.
Il convient toutefois de rester attentif à l’application de cette nouvelle position par les juridictions du fond dans les contentieux à venir.
Le second risque URSSAF se trouvera dans une mauvaise évaluation de l’avantage en nature :
De manière générale, la valeur des avantages en nature à réintégrer dans l’assiette des cotisations peut être déterminée selon deux modalités : soit sur la base de leur valeur réelle, soit, lorsque cela est expressément prévu, par application de forfaits.
Quelle que soit la méthode retenue, la traçabilité des avantages accordés restera essentielle.
Lexbase : Quelles sont les modalités d’évaluation de l’avantage en nature « véhicule » en 2025 ?
Guillemette Watine : L’arrêté du 25 février 2025, relatif à l'évaluation des avantages en nature pour le calcul des cotisations de Sécurité sociale des salariés affiliés au régime général et des salariés affiliés au régime agricole N° Lexbase : L7248M8X, fixe désormais les règles applicables à l’évaluation des avantages en nature accordés par l’employeur. Il remplace et abroge à cette occasion les arrêtés antérieurs du 10 décembre 2002 et du 17 juin 2003, qui encadraient jusqu’alors ces modalités pour chacun des régimes.
En ce qui concerne l’avantage en nature « véhicule », ces nouvelles modalités s’appliquent à tous les véhicules attribués à compter du 1er février 2025, quelle que soit leur date d’acquisition.
Le choix de l’évaluation est toujours laissé à l’employeur : soit elle est évaluée forfaitairement, soit elle est calculée sur la base des dépenses réellement engagées.
Si certains principes communs s’appliquent, les modalités vont toutefois varier selon que le véhicule est acheté ou loué, de même s’il a plus ou moins de 5 ans.
Lorsque l’employeur ne peut apporter la preuve des dépenses réellement engagées, les redressements opérés lors d’un contrôle URSSAF seront effectués sur la base du forfait.
Dépenses réelles (évaluation annuelle) | Véhicule de moins de 5 ans | Véhicule de plus de 5 ans |
Véhicule acheté | 20% du coût d’achat TTC + Frais accessoires (assurance, entretien etc.) x part d’usage privé (= km perso/ km total) | 10% du coût d’achat TTC + Frais accessoires (assurance, entretien etc.) x part d’usage privé (=km perso/ km total) |
Véhicule acheté avec prise en charge du carburant par l’employeur | Ajouter les frais réels de carburant au calcul précédent | |
Véhicule loué | Coût annuel de la location TTC + entretien + assurance x part d’usage privé (= km perso/ km total) | |
Véhicule loué avec prise en charge du carburant par l’employeur | Ajouter les frais réels de carburant au calcul précédent |
FORFAIT ANNUEL Pour les véhicules mis à la disposition du salarié à compter du 1er février 2025 | Véhicule de moins de 5 ans | Véhicule de plus de 5 ans |
Véhicule acheté | 15 % du coût d’achat | 10 % du coût d’achat |
Véhicule acheté et prise en charge par l’employeur des frais de carburant | 15 % du coût d'achat + frais réels (sur factures) de carburant utilisé à des fins personnelles OU 20 % du coût d’achat | 10 % du coût d'achat + frais réels (sur factures) de carburant utilisé à des fins personnelles OU 15 % du coût d’achat
|
Véhicule loué ou en location avec option d’achat | 50 % du coût global* | |
Véhicule loué ou en location avec option d’achat et prise en charge par l’employeur des frais de carburant |
67% du coût global*
|
* L'évaluation obtenue sera plafonnée au montant de l'avantage en nature qui aurait été évalué si l'employeur avait acheté le véhicule, le prix de référence du véhicule étant le prix d'achat TTC du véhicule par le loueur, rabais compris, dans la limite de 30 % du prix conseillé par le constructeur pour la vente de véhicule au jour du début du contrat.
Lexbase : Existe-t-il des règles spécifiques pour les véhicules électriques ?
Guillemette Watine : Il existe en effet une tolérance applicable aux véhicules fonctionnant exclusivement à l’électricité et mis à la disposition des salariés.
Le régime transitoire qui était alors en vigueur a été prolongé et prévoit notamment un traitement social avantageux de l’avantage en nature lié à l’usage du véhicule.
Ainsi, qu’il soit évalué selon la valeur réelle ou selon une valeur forfaitaire, l’avantage ne tient pas compte des frais d’électricité supportés par l’employeur pour la recharge du véhicule.
Jusqu’au 31 janvier 2025, un abattement de 50 % s’appliquait sur la valeur de l’avantage en nature, dans la limite de 2 000,30 euros par an.
À compter du 1er février 2025, de nouvelles règles s’appliquent avec des modalités différenciées selon le mode d’évaluation retenu et sous réserve du respect d’un éco-score minimal [8].
Ainsi, lorsque l’avantage en nature est calculé sur la base de la valeur réelle, un abattement de 50 % reste applicable, dans la limite annuelle de 2 000,30 euros. En revanche, si l’évaluation est réalisée selon une méthode forfaitaire, l’abattement est plus généreux : 70 %, avec un plafond porté à 4 582 euros par an [9].
Par ailleurs, d’autres avantages sont prolongés jusqu’au 31 décembre 2027 :
Ces tolérances illustrent la volonté des pouvoirs publics d’encourager la mobilité électrique, tout en encadrant strictement les conditions d’exonération pour éviter tout détournement à des fins personnelles.
[1] C. trav., art. L. 3242-1 N° Lexbase : L0880H9H.
[2] CSS, art. L.242-1 N° Lexbase : L6153M8E.
[3] Circulaire DSS/SDFSS/5B du 7 janvier 2003.
[4] Cass. civ. 2, 19 septembre 2013, n° 12-21.803, F-D N° Lexbase : A4884KLH ; Cass, civ. 2, 9 janvier 2025, n° 21-25.916, FS-B N° Lexbase : A67986PH.
[6] Cass. civ. 2, 20 mars 2025, n° 22-19.731, F-D N° Lexbase : A69190BU.
[7] Cass. civ. 2, 22 sept. 2022, n°s 21-10.760 N° Lexbase : A87388KT, 21-10.761 N° Lexbase : A86468KG, 21-10.762 N° Lexbase : A86938K8.
[8] C. énergie, art. D. 251-1 N° Lexbase : L6876MR4. Le respect de l’éco-score est apprécié à la date de mise à disposition du véhicule. Pour être éligible, le véhicule doit figurer sur la liste officielle des modèles ayant atteint le score environnemental minimal, établie par l’arrêté du 14 décembre 2023 N° Lexbase : L0063M8T.
[9] Si le véhicule ne satisfait pas à cette exigence d’éco-score, l’avantage en nature est évalué selon les barèmes classiques (réels ou forfaitaires), sans application d’abattement.
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