La lettre juridique n°391 du 15 avril 2010

La lettre juridique - Édition n°391

Éditorial

Aides d'Etat : "donner, c'est donner ; reprendre, c'est..."

Lecture: 5 min

N7452BNC

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3212626-edition-n-391-du-15-04-2010#article-387452
Copier

par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


Cette semaine, oublions Aristote, Nietzsche et Gide, pour nous attacher au bon sens populaire, puisque c'est bien la vox populi qui, plus que nos illustres penseurs, donne le la, lorsqu'il s'agit de faire (instauration de la peine plancher en cas de récidive à la suite d'affaires concernant des multirécidivistes remis en liberté avant le terme de leur condamnation, hier ; suppression du juge d'instruction à la suite d'une dérive individuelle hautement médiatique, "l'affaire d'Outreau", aujourd'hui) ou de défaire (recul sur le contrat première embauche sous la pression "de la rue", hier ; recul sur l'instauration d'une "taxe carbone" sous le sceau d'enjeux électoraux, aujourd'hui) le droit.

Accoudons-nous au zinc du café de la Gare du Nord, dévisageant d'un air goguenard ces aficionados du Thalys et du Menkenpiss bruxellois, pour deviser sur un principe juridique pleinement fondé, mais qui n'en constitue pas moins une incohérence dommageable aux yeux du commun : la restitution des aides d'Etat. A priori, le sujet n'est pas très porteur, pour animer la matinée des adeptes du petit kawa ; pas si certain que cela...

Articles 87 et 88 du Traité de l'Union ou principe de concurrence, ou pas, il n'en demeure pas moins que voir nos élites de Bercy toquer à la porte de la Commission pour demander l'autorisation d'aider (financièrement) leurs concitoyens relève clairement d'un abandon de souveraineté -nous y sommes habitués depuis l'Acte unique-, mais, plus encore, d'un ordre public économique sous tutelle communautaire. Lorsque les autorités tutélaires de Bruxelles n'interdisent pas à un Etat membre de percevoir un impôt ou une taxe jugé contraire à la liberté d'établissement ou à la liberté de prestation de services, elles condamnent leurs dépenses fiscales (crédits ou réductions d'impôts) ou les subventions étatiques à l'adresse des économies nationales ou régionales. On ne saurait en vouloir à un organe communautaire d'abhorrer le chauvinisme, exception faite que les économies des 27 sont loin d'être structurées de la même manière et que, au final, chacun a plus intérêt à défendre son terroir économique, plutôt que de favoriser une convergence économique communautaire ou une concurrence trans-étatique. Car, plus qu'un modèle économique, les Etats comme la France ont comme priorité de protéger un modèle social, fléché de toute part par un dumping social qui laisse aux voeux pieux toute concurrence réellement non faussée.

On aura beau concéder qu'il existe de nombreuses dérogations au couperet de la Commission (aides régionales ; aides à l'investissement et à l'emploi en faveur des PME ; aides à la création de petites entreprises par des femmes ; aides pour la protection de l'environnement ; aides au capital-investissement ; aides à la recherche, au développement et à l'innovation ; aides à la formation ; aides en faveur des travailleurs défavorisés ou handicapés...), sans compter la règle de minimis exemptant du carcan bruxellois les subventions de faible montant : le sentiment de ne pas avoir les mains libres, lorsque l'on souhaite favoriser une politique d'intérêt national, ne peut qu'accentuer le divorce -encore faut-il qu'ils fussent, un jour, mariés- entre les citoyens européens et leurs institutions européennes.

Pourquoi cette amertume ? Parce que "ce n'est pas tant l'aide de nos amis qui nous aide que notre confiance dans cette aide" nous confie Epicure. Nul n'est censé ignorer la loi ! Si bien que, lorsqu'un agriculteur perçoit une subvention d'exploitation, il est prié de vérifier, avant d'encaisser son chèque, que l'Etat a bien notifié auprès de la Commission son projet d'aide ou de subvention ; et, lorsque l'Etat ne l'a pas fait, d'éplucher la littérature communautaire, pour savoir si l'aide en question est bien légale. Sans quoi, qu'il ne s'étonne pas que 15 ans plus tard on lui réclame la restitution des subventions indues ! En matière de sécurité juridique et pour l'autorité de l'Etat, c'est une gageure. Et, ce d'autant qu'aucune action en responsabilité de l'Etat pour défaut de notification et conséquences dommageables auprès des entreprises subventionnées n'est envisageable : principe d'efficacité communautaire oblige. Efficacité communautaire qui malmène notre droit interne, au demeurant, en oubliant qu'il n'y a pas de répétition de l'indu, lorsque le paiement est délibéré -c'est-à-dire que le solvens a volontairement payé, en connaissance de cause : ici, en sachant qu'il n'a pas respecté la procédure communautaire- ; et en tout état de cause, que cette répétition doit être partielle lorsqu'elle cause un préjudice certain à l'accipiens.

Alors, lorsque, sans revenir sur l'imbroglio sans nom de l'affaire en cause, la Cour de justice de l'Union européenne intime, le 11 mars 2010, au juge français d'ordonner la restitution des aides versées entre 1980 et 2002 au Centre d'exportation du livre français, lui interdisant de surseoir à statuer dans l'attente de la décision définitive de la Commission tout en rappelant "qu'une confiance légitime du bénéficiaire de l'aide ne peut naître d'une décision positive de la Commission, d'une part, lorsque cette décision a été contestée dans les délais de recours contentieux puis annulée par le juge communautaire, ni, d'autre part, tant que le délai de recours n'est pas expiré ou, en cas de recours, tant que le juge communautaire ne s'est pas définitivement prononcé" : les dents grincent face au dogmatisme tutélaire.

Et, elles grincent d'autant plus que l'on sait la restitution, comme dans la plupart des cas, impossible : la situation financière des subventionnés ne le permettant pas, sauf à entraîner la fermeture de nombreuses entreprises ou exploitations ; l'Etat refusant, le plus souvent, de se déjuger auprès de ses administrés et, néanmoins, "clients" électoraux ou lobbyistes. Une étude commandée en 2006 par l'exécutif européen constatait, déjà, le peu de recours nationaux permettant la récupération de ces aides. Une mansuétude des juges nationaux telle, que la Commission recommande, en février 2009, dans sa communication concernant l'application par les juridictions nationales de la réglementation relative aux aides d'Etat, que les concurrents et les tiers désavantagés par l'octroi de l'aide illégale aient possibilité d'obtenir une protection efficace de leurs intérêts par le biais des actions en dommages-intérêts exercées contre l'autorité ayant octroyé l'aide. A la différence des actions tendant à la restitution de l'aide, l'action en dommages-intérêts leur permet d'être directement indemnisés du préjudice subi. Et, faisant toutefois son mea culpa, le 29 avril 2009, la Commission européenne adoptait le Paquet "simplification" visant à accélérer le processus décisionnel en matière d'aides d'Etat...

Une tempête dans un verre d'eau, alors ? Pas si l'on compte le temps perdu à traiter ces affaires de restitution d'aides et à lire toute la logorrhée scripturale sur le sujet. Mais, que voulez-vous : "Bon droit a besoin d'aide" nous livre un tenant de la sagesse populaire, Molière, dans La comtesse d'Escarbagnas.

newsid:387452

Procédures fiscales

[Chronique] Chronique de procédures fiscales - Avril 2010

Lecture: 11 min

N7399BND

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3212626-edition-n-391-du-15-04-2010#article-387399
Copier

par Thierry Lambert, Professeur à l'université Paul Cézanne Aix Marseille I

Le 07 Octobre 2010


Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité en matière de procédures fiscales réalisée par Thierry Lambert, Professeur à l'Université Paul Cézanne Aix Marseille III. Au sommaire de cette chronique, on trouvera, tout d'abord, un arrêt rendu le 22 janvier 2010 par le Conseil d'Etat portant sur l'exercice loyal du droit de communication (CE 3° et 8° s-s-r., 22 janvier 2010, n° 317026, mentionné aux tables du recueil Lebon). Est, ensuite, abordée, avec un arrêt du Haut conseil rendu le 27 janvier 2010, la question de la mise en demeure, non obligatoire, adressée par l'administration à un contribuable (CE 3° et 8° s-s-r., 27 janvier 2010, n° 305291, mentionné aux tables du recueil Lebon). Enfin, cette chronique revient, à la lumière d'un arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation rendu le 19 janvier 2010, sur la révélation d'un don manuel par le conseil des contribuables et l'application de la pénalité de 80 % (Cass. com., 19 janvier 2010, n° 08-21.476, F-P+B).
I - Exercice loyal du droit de communication : CE 3° et 8° s-s-r., 22 janvier 2010, n° 317026, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4553EQP)

Monsieur V., agissant en son nom et au nom de ses trois fils, s'était engagé à céder à une société appartenant au groupe Bolloré les titres de la société Compagnie privée d'El Rhaba que les uns et les autres détenaient. Le transfert de titres a été réalisé au profit d'une société civile du groupe Bolloré, pour un prix acquitté en 1992 et en 1994.

A la suite d'une vérification de comptabilité des sociétés du groupe Bolloré, suivie d'un contrôle sur pièces des revenus de Monsieur V. l'administration a constaté que ce dernier avait omis de déclarer la quote-part de la plus-value lui revenant, réalisée lors de la cession, et avait estimé qu'il était redevable de cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu au titre de la plus-value réalisée sur la cession des actions et à raison de la plus-value résultant du complément de prix.

Avant la mise en recouvrement des impositions, il n'est pas contesté que le contribuable avait demandé à l'administration de lui communiquer le registre des transferts de titres de la société et l'acte portant promesse de vente entre les parties, ce dernier étant partiellement reproduit dans la notification de redressements.

L'administration n'a pas fait droit à la requête du contribuable pour les documents obtenus de tiers au motif que le contribuable a pu avoir connaissance des renseignements contenus dans ces documents ou de certains d'entre eux.

En l'espèce, le Conseil d'Etat rappelle par un considérant de principe que : "lorsque le contribuable en fait la demande à l'administration, celle-ci est tenue de lui communiquer, avant la mise en recouvrement des impositions, les documents ou copies de documents contenant les renseignements qu'elle a obtenus auprès de tiers et qui lui ont été opposés, [...] il en va ainsi, alors même que le contribuable a pu avoir connaissance de ces renseignements ou de certains d'entre eux, afin de lui permettre d'en vérifier et, le cas échéant, d'en discuter l'authenticité et la teneur".

Cette décision s'inscrit à la suite de la jurisprudence par laquelle le Conseil d'Etat a considéré que l'administration doit informer le contribuable, toujours avant la mise en recouvrement des impositions, de l'origine et de la teneur des renseignements recueillis en exerçant son droit de communication, quand bien même ceux-ci proviennent des déclarations du contribuable (CE 8° et 3° s-s, 28 juillet 2000, n° 198440 N° Lexbase : A6528ATX). La portée de l'obligation qui pèse sur l'administration est limitée aux seuls éléments fondant une rectification (CE Contentieux, 12 octobre 2001, n° 217378 N° Lexbase : A1808AXA). En outre, le seul fait de l'absence d'information sur les modalités d'obtention de renseignements par l'administration ne prive pas pour autant le contribuable de la possibilité de demander, et d'obtenir, la communication des documents consultés par l'administration (CE 9° et 10° s-s-r., 27 avril 2009, n° 300760, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6410EGI). Ajoutons qu'au cas où les documents sont détenus par d'autres administrations, l'administration fiscale qui a seulement pris connaissance de ces documents dans l'exercice de son droit de communication doit renvoyer le contribuable vers les services administratifs concernés (CE 3° et 8° s-s-r., 26 novembre 2007, n° 291048 N° Lexbase : A9648DZD).

Rappelons que, lorsque dans le cadre de son droit de communication l'administration consulte au cours d'une vérification les pièces comptables saisies et détenues par l'autorité judiciaire, elle est obligée de soumettre leur examen à un débat oral et contradictoire (CE 3° et 8° s-s-r., 25 avril 2003, n° 234812 N° Lexbase : A7683BSD).

Quand la mauvaise qualité des documents ne permet pas que ceux-ci soient déplacés ou d'en faire des copies, l'administration peut proposer au contribuable de les consulter dans ses bureaux.

Dans un avis rendu le 21 décembre 2006, le Conseil d'Etat a considéré que l'obligation d'informer le contribuable de la teneur et de l'origine des renseignements et documents obtenus de tiers, qui s'impose à l'administration sous peine d'irrégularités, ne se limite pas à ceux obtenus dans le cadre de l'exercice du droit de communication (CE, avis, 21 décembre 2006, n° 293749, N° Lexbase : A1476DTT, RJF, 2007, 3, comm. 314). Toutefois, l'obligation ne s'étend pas aux informations fournies annuellement par des tiers à l'administration et au contribuable conformément aux dispositions du Code général des impôts. L'article L. 76 B du LPF (N° Lexbase : L7606HEG) codifie le principe. Désormais deux obligations s'imposent à l'administration quelle que soit la nature du contrôle. D'une part, elle doit informer le contribuable de la teneur et de l'origine des renseignements et documents obtenus de tiers, sur lesquels elle s'appuie pour motiver des rectifications. D'autre part, elle a pour obligation de communiquer au contribuable, sur sa demande et avant la mise en recouvrement des impositions, les documents qu'elle a invoqués.

En conséquence, le contribuable peut obtenir communication des documents originaux, ou des copies de ces documents, dès lors qu'ils ont été obtenus dans le cadre de l'exercice du droit de communication auprès des tiers et qu'ils fondent les rectifications. L'information du contribuable doit porter sur les renseignements et les documents que l'administration a obtenus de tiers (CE 8° s-s., 21 mars 2008, n° 284799 N° Lexbase : A5016D7W). La demande doit être faite par le contribuable avant la mise en recouvrement.

II - Une mise en demeure, non obligatoire, adressée par l'administration à un contribuable peut-elle coûter cher à un contribuable non précautionneux ? CE 3° et 8° s-s-r., 27 janvier 2010, n° 305291, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7552EQR)

La société Thies Gmbh & Co. a fait l'objet de deux vérifications de comptabilité pour la période du 1er janvier 1993 au 31 décembre 1996. Elle a été mise en demeure de déposer des déclarations de TVA au titre de la période du 1er janvier 1994 au 31 décembre 1995. N'ayant pas satisfait à cette obligation, elle a été taxée d'office (LPF, art. L. 66-3 N° Lexbase : L7601HEA).

Le principe est bien établi : une société qui se livre à des opérations passibles de la TVA encourt une taxation d'office dès lors qu'elle n'a pas produit de déclarations ou qu'elle les a remises hors délai (CE Contentieux, 25 février 1981, n° 14322 N° Lexbase : A4215AKC), DF, 1981, comm. 1507). De la même manière, il a été jugé qu'un contribuable peut être taxé d'office quand bien même la responsabilité de la production tardive des déclarations soit du fait du comptable qui n'a pas fait diligence (CE Contentieux, 17 novembre 1986, n° 44713 N° Lexbase : A4518AMB, RJF, 1987, 1, comm. 85). Il appartient au contribuable de faire la preuve du dépôt, dans les délais, de ses déclarations (CE Contentieux, 30 janvier 1987, n° 50148 N° Lexbase : A2598APW, RJF, 1987, 3, comm. 335).

Dès lors qu'un contribuable est en situation d'être taxé d'office, il appartient à l'administration de faire connaître au plus tard devant le juge de l'impôt la méthode adoptée par elle et les calculs précis qui lui ont permis de déterminer les bases de taxation (CE Contentieux, 6 janvier 1984, n° 36632 N° Lexbase : A3615ALH, DF, 1984, comm. 1052, concl. Fouquet).

L'administration n'est pas tenue d'adresser au redevable une mise en demeure avant de procéder à une taxation d'office en matière de TVA, pour défaut de déclaration du montant des affaires passibles de cette taxe (CAA Bordeaux, 1ère ch., 20 octobre 1992, n° 91BX00677 N° Lexbase : A1253A8W, DF, 1993, comm. 1418). L'arrêt précité dispose, en outre, que le contribuable ne saurait se prévaloir, sur la base de l'article L. 80 A du LPF (N° Lexbase : L4634ICM), d'une note du 6 mai 1988, recommandant aux agents de l'administration fiscale d'adresser une mise en demeure préalable, au motif que cette instruction est relative à la procédure d'imposition.

L'article 287-2 du CGI (N° Lexbase : L3092IGM) prescrit aux redevables soumis au régime réel normal d'imposition de déposer mensuellement des déclarations en indiquant le montant total des opérations réalisées et le détail des opérations taxables. En conséquence, la situation de taxation d'office, dans laquelle se trouve un redevable de la TVA astreint à souscrire des déclarations mensuelles du régime normal, s'apprécie mois par mois (CE Contentieux, 6 janvier 1986, n° 42182 N° Lexbase : A7624AMC, RJF, 1986, 2, comm. 175, concl. Fouquet).

Lorsqu'une personne physique ou morale, ou une association, s'abstient de souscrire une déclaration, ou la souscrit tardivement, le montant de l'impôt mis à la charge du contribuable est assorti, en plus de l'intérêt de retard, d'une majoration de 10 % (CGI, art. 1728 N° Lexbase : L1715HNT). Cette majoration est portée à 80 %, lorsque la déclaration n'a pas été déposée dans les trente jours suivant la réception de la deuxième mise en demeure notifiée par pli recommandé d'avoir à la produire dans ce délai (CGI, art. 1728).

L'administration a porté la majoration de 10 % à 40 % au motif que la déclaration n'a pas été déposée dans les trente jours suivant la réception d'une mise en oeuvre, invitant le contribuable à régulariser la situation, par pli recommandé (CGI, art. 1728).

La pénalité pour défaut ou retard dans la production d'une déclaration est exclusive de toute appréciation quant à la nature des manquements du contribuable (CE Contentieux, 10 février 1989, n° 58873 N° Lexbase : A0693AQQ, RJF, 1989, 4, comm. 392). Peu importe que celui-ci soit de bonne foi ou qu'il ait commis des manquements délibérés avec ou sans manoeuvres frauduleuses.

L'intérêt de retard et la majoration ont pour base de calcul le montant des droits mis à la charge du contribuable, ou résultant de la déclaration déposée hors délai.

Pour le Conseil d'Etat, le fait que la mise en demeure ne soit pas obligatoire est sans importance. Dès lors que celle-ci a été faite, l'administration est fondée à appliquer la majoration de 40 %.

Les sages du Palais-Royal écartent l'idée que les pénalités qui ne sont ni "répercutables" sur l'acheteur, ni déductibles du montant des majorations seraient contraires à la libre circulation des marchandises consacrée par le Traité de Rome instituant la Communauté économique européenne.

Ajoutons, bien que le contribuable ne soulève pas ce point, que le Conseil d'Etat a jugé qu'un contribuable n'est pas autorisé à soutenir que les pénalités de l'article 1728 auxquelles il est assujetti devraient être écartées au motif que, faute de permettre au juge de l'impôt d'en moduler le taux, le dispositif serait contraire avec l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR) (CE 9° et 10° s-s-r., 6 juin 2007, n° 270955 N° Lexbase : A8140DWE, RJF, 2007, 10, comm. 1042).

III - Révélation d'un don manuel par le conseil des contribuables et application de la pénalité de 80 % : Cass. com., 19 janvier 2010, n° 08-21.476, F-P+B (N° Lexbase : A4656EQI)

Il peut arriver qu'un don manuel soit révélé dans un acte émanant du conseil de contribuables à l'attention de l'administration.

L'article 757 du CGI (N° Lexbase : L8104HLQ) pose deux principes. Le premier retient que "les actes renfermant soit la déclaration par le donataire ou ses représentants, soit la reconnaissance judiciaire d'un don manuel, sont sujets au droit de donation". Le second affirme clairement que "la même règle s'applique lorsque le donataire révèle un don manuel à l'administration fiscale". Ces dispositions s'appliquent à toutes personnes, qu'elles soient physiques ou morales. Ces dispositions ne s'appliquent pas aux dons manuels consentis aux organismes d'intérêt général visés à l'article 200 du CGI (N° Lexbase : L3284IGQ).

La doctrine administrative rappelle qu'à "l'origine, le don manuel est une donation qui s'opère par simple tradition de la main à la main, mais la jurisprudence a admis la validité des dons manuels par chèques, des dons manuels de titres, de bons de caisse" La doctrine ajoute que "la notion de don manuel peut porter sur des biens meubles corporels et incorporels et même se réaliser par un simple jeu d'écritures" (DB 7 G-3161 du 20 décembre 1996).

Les dons manuels révélés à l'administration fiscale par le donataire doivent être déclarés ou enregistrés dans le délai d'un mois à compter de leur révélation, et assujettis aux droits de donation dans les conditions de droit commun (CGI, art. 635 A N° Lexbase : L7658HL9).

Sont des dons manuels les virements constatés au profit d'un contribuable à la suite d'une vérification de comptabilité, portés ainsi à la connaissance de l'administration, dont l'intention libérale résulte de l'absence de contrepartie (Cass. com., 24 octobre 2000, n° 97-21.594, F-D N° Lexbase : A3525AU4, RJF, 2001, 2, comm. 256). Il a été jugé que le fait que les versements aient pour contrepartie la poursuite de relations intimes n'exclut pas la qualification de don manuel (Cass. com., 8 juillet 1997, n° 95-14.904 N° Lexbase : A0039AUY, DF, 1997, comm. 1089).

La révélation doit être contenue dans un acte écrit du donataire et résulter d'un acte positif, peu importe qu'elle soit spontanée, fortuite ou provoquée. Le deuxième alinéa de l'article 757, relatif à la révélation au profit de l'administration, n'exige pas l'aveu du don de la part du donataire. Par exemple, la présentation par une association de sa comptabilité, à l'occasion d'une vérification fiscale, qui l'oblige à la présentation de documents comptables, vaut révélation au sens de l'article 757, alinéa 2, précité, même si chacune des sommes est modique (Cass. com., 5 octobre 2004, n° 03-15.709, FS-P+B N° Lexbase : A6171DDW, DF, 2002, comm. 351, note Bergerès).

En l'espèce, la Cour de cassation rappelle que, dès lors que la possibilité pour un avocat de représenter un contribuable au cours de la procédure d'imposition n'est pas subordonnée à la justification du mandat qu'il a reçu, le courrier de ce dernier vaut révélation au sens de l'article 757 précité.

En outre, faute d'avoir invoqué, devant la cour d'appel, un manquement de l'administration à son obligation de loyauté, en utilisant la correspondance de l'avocat à l'occasion d'un contentieux, ce moyen soulevé par le contribuable devant la Cour de cassation est un moyen nouveau mélangeant le fait et le droit qui ne saurait être examiné.

Enfin, le juge de cassation vise l'article 1728-1 du CGI (N° Lexbase : L1715HNT), dans sa version en vigueur à l'époque. Lorsqu'une personne physique ou morale, ou une association, est tenue de souscrire une déclaration ou de présenter un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation d'impôts, droits, taxes, redevances ou sommes établis ou recouvrés par l'administration fiscale, s'abstient de présenter cet acte dans les délais, le montant des droits mis à la charge du contribuable ou résultant de la déclaration ou de l'acte déposé tardivement est assorti de l'intérêt de retard (CGI, art. 1727 N° Lexbase : L2931IGN), et d'une majoration de 10 %. Ce taux est porté à 80 % quand il y a eu une seconde mise en demeure, invitant le contribuable à régulariser la situation. La Cour de cassation affirme que cette majoration de 80 % (CGI, art. 1728) n'est pas une pénalité de mauvaise foi, que nous qualifierons, aujourd'hui, de manquement délibéré.

newsid:387399

Contrat de travail

[Jurisprudence] La modification du contrat de travail imposée par l'effet d'un transfert d'entreprise

Réf. : Cass. soc., 30 mars 2010, n° 08-44.227, Société Office dépôt, FS-P+B (N° Lexbase : A4042EUA)

Lecture: 7 min

N7426BND

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3212626-edition-n-391-du-15-04-2010#article-387426
Copier

par Sébastien Tournaux, Maître de conférences à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010


La règle est acquise de longue date, en cas de transfert d'entreprise, l'employeur repreneur doit conserver le contrat de travail des salariés transférés sans y apporter de modification. Mais que décider lorsque la modification du contrat de travail résulte non d'une volonté de l'employeur, mais d'une conséquence directe du transfert du contrat de travail lui-même ? C'est à cette question que répond la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 30 mars 2010. La Haute juridiction établit, dans cette situation, une procédure particulière devant être respectée par l'employeur à défaut de laquelle le salarié peut demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail (I). Malgré l'effort manifeste de précision et de clarté de l'arrêt, les contours de cette procédure demeurent tout de même encore un peu flous (II).


Résumé

Lorsque l'application de l'article L. 1224-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0840H9Y) entraîne une modification du contrat de travail autre que le changement d'employeur, le salarié est en droit de s'y opposer. Il appartient alors au cessionnaire, s'il n'est pas en mesure de maintenir les conditions antérieures, soit de formuler de nouvelles propositions, soit de tirer les conséquences de ce refus en engageant une procédure de licenciement. A défaut, le salarié peut poursuivre la résiliation judiciaire du contrat, laquelle produit alors les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

I - L'établissement d'une procédure spécifique à la modification du contrat imposée par l'effet d'un transfert d'entreprise

  • Modification dans la situation juridique de l'employeur : effets généraux

Lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur ayant pour conséquence de transférer une entité économique autonome de l'entreprise, le très emblématique article L. 1224-1 du Code du travail prévoit que l'ensemble des contrats de travail affectés à l'activité transférée sont eux aussi automatiquement transférés à l'entreprise entrante.

Les effets principaux du transfert d'entreprise sont bien connus : tous les contrats de travail en cours au jour de la modification -y compris les contrats suspendus- sont transférés au nouvel employeur. Ce transfert s'opère de plein droit si bien que, ni le salarié, ni les employeurs successifs ne peuvent s'y opposer (1). Rappelons rapidement que le transfert emporte également des effets sur le plan collectif puisque le transfert des contrats de travail des salariés protégés devra obtenir l'aval de l'inspection du travail (2) et que les conventions et accords collectifs en vigueur dans l'entreprise avant le transfert se trouvent automatiquement mis en cause (3).

Parmi ces effets, l'espèce commentée nous amène à nous arrêter un peu plus longuement sur les règles encadrant le transfert du contrat de travail lui-même.

  • Modification dans la situation juridique de l'employeur : effets sur le contenu du contrat de travail

Selon une formule habituellement utilisée par la Chambre sociale de la Cour de cassation, le contrat de travail subsiste avec le nouvel employeur "dans les conditions mêmes où il était exécuté au moment du changement d'exploitation" (4). Seul le cocontractant du salarié doit changer, aucun élément du contrat de travail ne pouvant être modifié. A contrario, des éléments relevant de la sphère des conditions de travail peuvent être modifiés (5).

Parmi les éléments protégés lors du transfert figure, d'abord, l'ancienneté au service de l'ancien employeur qui doit rester acquise au salarié, ce qui s'avèrera essentiel au moment du calcul de certains avantages conventionnels ou de l'indemnité de licenciement (6).

Le nouvel employeur ne peut surtout pas modifier unilatéralement le contrat de travail qui lui est transféré. Il ne s'agit là finalement que d'une application classique de la jurisprudence "Raquin" à la situation du transfert d'entreprise : ce n'est pas parce que l'employeur change que les éléments du contrat autre que le cocontractant doivent être modifiés (Cass. soc., 8 octobre 1987, n° 84-41.902, M. Raquin et autre c/ Société anonyme Jacques Marchand N° Lexbase : A1981ABY). Ainsi, le salarié devra conserver sa qualification (7), son lieu de travail, sa rémunération (8) et son volume horaire de travail.

Le salarié va également conserver les éléments accessoires au contrat de travail. Ainsi, par exemple, le salarié ne pourra être privé de son logement de fonction (9). De la même manière, la clause de non-concurrence adjointe au contrat de travail initial sera elle aussi transférée avec le contrat de travail au bénéfice du nouvel employeur (10).

  • Les conséquences d'une modification du contrat à l'occasion du transfert

Quelles sont les conséquences du non-respect, par le nouvel employeur, de cette obligation de maintenir le contrat de travail dans l'état dans lequel il se trouvait au moment du transfert ? Intuitivement, on perçoit que les conséquences ne devraient pas différer de celles intervenant en cas de modification unilatérale du contrat de travail par l'employeur : le salarié devrait avoir le droit de refuser le transfert et, en cas de persistance du nouvel employeur, pourrait prendre acte de la rupture de son contrat de travail ou demander la résiliation judiciaire du contrat aux torts de l'employeur. C'est au sujet des conséquences d'un tel forçage du contrat que la Chambre sociale apporte quelques précisions dans l'arrêt commenté.

  • L'affaire

En l'espèce, un salarié avait été engagé en qualité de VRP exclusif pour la vente de fournitures de bureau et de travaux d'imprimerie. L'activité imprimerie de son employeur était cédée au mois d'octobre 2002 à une autre société. Les fonctions du salarié étant répartie entre l'activité imprimerie et l'activité papeterie, son contrat de travail se trouvait scindé en deux parties, comme l'accepte depuis toujours la Cour de cassation (11). Au mois de février 2003, c'est cette fois l'activité papeterie qui fut transférée à une société tierce. Or, au sein de cette seconde société, existait déjà un réseau de commerciaux et de VRP dans le secteur et pour la clientèle qui avaient, jusqu'ici, été exclusivement attribués au salarié. Le salarié passait donc d'un statut de VRP exclusif à celui de VRP multi-carte. Après plusieurs demandes restées sans réponse de renégociation de ses conditions d'emploi avec le repreneur, le salarié saisit le juge prud'homal d'une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail en raison de la modification unilatérale de son contrat.

Les juges du fond prononcèrent la résiliation du contrat au tort de l'employeur, lequel se pourvut en cassation. Devant la Chambre sociale, l'employeur soutenait pour l'essentiel que la modification n'était pas de son fait mais résultait de la scission du contrat de travail par l'effet de la séparation entre les activités papeterie et imprimerie.

La Chambre sociale, par un arrêt rendu le 30 mars 2010, rejette le pourvoi. De manière très pédagogique, la Cour de cassation précise la marche à suivre en cas de modification du contrat de travail rendue nécessaire par le transfert de l'entité économique. Dans ce cas, en effet, le salarié est en droit de refuser la modification proposée. Le cessionnaire qui n'est pas en mesure de conserver les conditions antérieures doit formuler de nouvelles propositions au salarié ou, en cas de refus persistant, engager une procédure de licenciement. A défaut d'une telle procédure, le salarié peut poursuivre la résiliation judiciaire de son contrat de travail. La Chambre sociale conclut son raisonnement en jugeant que, puisqu'une modification du contrat était intervenue et que l'employeur n'avait pas pris les mesures -renégociation ou licenciement- qui lui incombaient, la résiliation judiciaire avait été prononcée à bon droit.

II - Les contours de la procédure spécifique à la modification du contrat imposée par l'effet d'un transfert d'entreprise

Il n'y a, à première vue, rien de très étonnant dans la solution rendue par la Chambre sociale. Cependant, l'analyse plus fine de son argumentation montre un certain nombre de sous-entendus auxquels il est difficile de savoir quel crédit accorder.

  • Une procédure réservée à la modification imposée par le transfert

Lorsque l'employeur entend modifier un élément du contrat de travail du salarié, sous réserve des règles particulières en matière économique ou disciplinaire, il doit en faire la proposition au salarié qui doit expressément l'accepter. Si le salarié refuse, on estime généralement que l'employeur dispose de deux possibilités : soit il renonce à la modification envisagée, soit il engage une procédure de licenciement, licenciement dont le caractère justifié dépendra de la cause de la modification proposée.

Cependant, les faits ayant donné lieu à l'espèce commentée différaient en ce que la modification du contrat de travail ne résultait pas d'une volonté de l'employeur mais d'une sorte d'effet collatéral du transfert de l'entité économique autonome. C'est pour cette raison que la procédure est légèrement aménagée, l'employeur ne pouvant matériellement pas "renoncer" à la proposition de modification. En effet, la Cour utilise deux formules qui semblent réserver la procédure décrite aux hypothèses de modification indépendantes de la volonté de l'employeur.

D'abord, il faut que ce soit "l'application de l'article L. 1224-1 du Code du travail [qui] entraîne une modification du contrat de travail autre que le changement d'employeur". Ensuite, il faut que le cessionnaire ne soit "pas en mesure de maintenir les conditions antérieures".

  • Une obligation de renégociation imposée à l'employeur repreneur

A l'image de la procédure envisagée par l'article 136 du projet de réforme du droit des contrats en matière de changement de circonstances imprévisible et insurmontable, ce fait s'imposant à l'employeur lui ouvre alors la faculté, soit de renégocier le contenu du contrat de travail du salarié transféré, soit de rompre le contrat. Cependant, contrairement à ces dispositions du projet en matière d'imprévision, la rupture du contrat n'intervient pas nécessairement par la voie judiciaire, l'employeur conservant le pouvoir de licencier le salarié.

Comme toujours dans ce genre de situation, le licenciement du salarié ne reposera sur une cause réelle et sérieuse qu'à la condition que l'employeur puisse justifier d'un motif personnel ou d'un motif économique. On voit mal quel motif personnel pourrait justifier la rupture. Un motif économique pourrait éventuellement être invoqué, mais encore faudra-t-il que les éléments soient démontrés. Face au caractère hypothétique du caractère justifié du licenciement, l'employeur devra donc nécessairement tenter de renégocier le contrat. Sans le dire véritablement, la Chambre sociale introduit donc, dans cette hypothèse, une obligation de renégociation du contrat de travail.

  • La résiliation judiciaire, conséquence du défaut de renégociation

Ce n'est qu'à défaut de renégociation ou de licenciement que le salarié pourra demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail. Cette formule ne manque pas d'ambiguïté. Faut-il comprendre que le salarié qui, invité par l'employeur à le faire, refuserait de renégocier son contrat à la suite d'un tel transfert ne pourrait pas demander la résiliation judiciaire en raison de la modification ? Malgré le flou laissé par la Chambre sociale sur cette question, il est possible d'espérer que l'employeur ne pourra pas se voir reprocher d'avoir modifié le contrat de travail lorsque cette modification était imputable au transfert lui-même et qu'il a tenté, de bonne foi, de renégocier le contrat.

La décision demeure également silencieuse sur d'autres conséquences possibles. Ainsi, la Cour accepte que le salarié puisse poursuivre la résiliation judiciaire du contrat de travail, mais elle ne précise pas s'il peut prendre acte de la rupture de son contrat de travail. Il ne peut pas véritablement être reproché à la Cour de cassation de ne pas se prononcer sur un point de droit n'ayant pas été soulevé par les parties au procès. Cependant, il serait fort étonnant que la porte de la prise d'acte soit fermée au salarié, notamment parce que celle-ci repose sur des ressorts finalement très proches de ceux de la résiliation judiciaire (12).


(1) Cass. mixte, 7 juillet 2006, n° 04-14.788, M. Jean-François Petavy, P+B+R+I (N° Lexbase : A4285DQR) et les obs. de G. auzero, Cession d'unité de production en phase de liquidation judiciaire : le transfert des contrats de travail s'impose !, Lexbase Hebdo n° 225 du 27 juillet 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N1220ALR).
(2) V., notamment, C. trav., art. L. 2411-5 (N° Lexbase : L0150H9G) et C. trav., art. L. 2421-9 (N° Lexbase : L0222H94).
(3) C. trav., art. L. 2261-14 (N° Lexbase : L2442H9C).
(4) Cass. soc., 24 janvier 1990, n° 86-41.497, Société Nouvelle Micromécanique pyrénéenne c/ M. Abadie et autres (N° Lexbase : A8736AAS).
(5) Cass. soc., 29 avril 2009, n° 08-40.130, Mme Chantal Fezans, F-D (N° Lexbase : A6565EGA).
(6) Cass. soc., 10 octobre 2000, n° 98-42.189, La société de Confection industrielle de Dompierre (CID) (N° Lexbase : A7790AHY).
(7) Cass. soc., 4 avril 1990, n° 86-43.629, Mlle Lecocq c/ Société Union aéronautique régionale UAR et autre (N° Lexbase : A2514AHL).
(8) Cass. soc., 9 mars 2004, n° 02-42.140, M. Alain Parfus, F-D (N° Lexbase : A4956DB8).
(9) La Chambre sociale précise, toutefois, que le salarié conservera son logement seulement "si cela est matériellement possible", v. Cass. soc., 20 mars 1997, n° 95-17.470, M. de Matos Xapelli c/ M. Salicis (N° Lexbase : A1948AC7).
(10) Cass. soc., 6 décembre 1994, n° 91-42.173, Société Huard c/ M. Rebours et autre (N° Lexbase : A0898ABU).
(11) Cass. soc., 2 mai 2001, n° 99-41.960, Mme Evenas-Baro c/ Société Sonauto et autre (N° Lexbase : A5482AG7).
(12) Pour l'une comme pour l'autre, il convient que l'employeur ait commis un manquement suffisamment grave à ses obligations contractuelles pour que la rupture produise les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse. La différence majeure de régime entre ces deux modes de rupture demeure tout de même que, dans un cas, le contrat de travail est rompu immédiatement alors que dans l'autre, le contrat est maintenu jusqu'à la décision judiciaire.


Décision

Cass. soc., 30 mars 2010, n° 08-44.227, Société Office dépôt, FS-P+B (N° Lexbase : A4042EUA)

Rejet, CA Toulouse, 4ème ch., sect. 1, 2 juillet 2008.

Textes cités : C. trav., art. L. 1224-1 (N° Lexbase : L0840H9Y)

Mots-clés : modification dans la situation juridique de l'employeur ; transfert du contrat de travail ; modification du contrat de travail ; obligation de renégociation ; résiliation judiciaire

Lien base : (N° Lexbase : E8852ESN)

newsid:387426

Contrat de travail

[Jurisprudence] Prise d'acte : la Cour de cassation plus stricte ?

Réf. : Cass. soc., 30 mars 2010, n° 08-44.236, Société Bio rad laboratoires c/ Mme Nicole Rieunier-Burle, FS-P+B (N° Lexbase : A4043EUB)

Lecture: 5 min

N7424BNB

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3212626-edition-n-391-du-15-04-2010#article-387424
Copier

par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010


Sept ans après l'invention de la prise d'acte de la rupture du contrat de travail, la Chambre sociale de la Cour de cassation pourrait bien avoir donné le vrai premier signal de reflux de cette technique de rupture du contrat de travail et ce, pour tenter d'en limiter la prolifération. Dans un arrêt en date du 30 mars 2010, la Haute juridiction affirme, en effet, que seules les fautes suffisamment graves commises par l'employeur et qui empêchent la poursuite du contrat de travail pourront désormais justifier la prise d'acte, par le salarié, de la rupture de son contrat de travail aux torts de l'employeur. Mais cette reformulation des conditions de la prise d'acte (I) sera-t-elle suffisante pour endiguer la prolifération aujourd'hui constatée ? Rien n'est moins sur (II).


Résumé

La prise d'acte permet au salarié de rompre le contrat de travail en cas de manquement suffisamment grave de l'employeur qui empêche la poursuite du contrat de travail.

I - Des conditions jusque-là mal définies

  • Etat des lieux

La Chambre sociale de la Cour de cassation a dégagé, à partir de 2003, les principes applicables à la prise d'acte, par le salarié, de la rupture de son contrat de travail aux torts de l'employeur, et qui "produit les effets, soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d'une démission" (1).

Si de nombreuses précisions ont depuis été apportées à ce régime, aucune véritable définition n'a été donnée des manquements commis par l'employeur qui "justifient" la rupture aux torts de l'employeur. Dans la plupart de ses décisions, la Cour de cassation s'est, en effet, contentée de viser les faits pour conclure que ces derniers "justifiaient", ou non, la rupture du contrat à ses torts, mais sans livrer de véritable critère.

  • Exemples de prises d'acte justifiées

Ont ainsi été considérés comme justifiant la rupture le fait de s'abstenir, "sans justificatifs et malgré des réclamations persistantes, de payer au salarié l'intégralité de sa rémunération variable et de ses frais professionnels" (2) ; de porter "atteinte à l'intégrité physique ou morale de son salarié" (3) ; "de se soustraire volontairement au paiement d'une créance salariale très ancienne, pendant neuf mois" (4) ; d'interdire à un "salarié, auquel une mise à pied annoncée par appel téléphonique n'avait pas été notifiée dans les formes légales, d'accéder à son lieu de travail pendant 3 jours", manquant, ainsi, "à son obligation de fournir du travail à son salarié" (5) ; de refuser à un salarié la classification conventionnelle de cadre à laquelle il peut prétendre (6) ; ou, encore, de ne payer qu'en partie le salaire (7).

  • Exemples de prises d'acte injustifiées

En revanche, n'est pas justifiée la prise d'acte en raison du "retard apporté dans l'organisation de la visite de reprise" (8), "dans l'établissement des comptes et le paiement des commissions" (9) ou "dans le paiement de la rémunération de la salariée" (10).

  • L'insuffisance des critères

Dans toutes ces affaires, une vague référence à la "gravité" des faits et au pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond tenait lieu de critère, ce qui apparaissait comme faible (11), la Cour considérant parfois les faits comme "non suffisamment graves" (12). C'est dire tout l'intérêt de cet arrêt en date du 30 mars 2010, qui donne, pour la première fois, des indications sur les comportements patronaux justifiant la prise d'acte par le salarié aux torts de son employeur de la rupture du contrat de travail.

II - De nouvelles conditions réellement plus strictes ?

  • L'affaire

Dans cette affaire, une salariée avait été engagée en 1986 par le groupe Sanofi et y exerçait les fonctions de secrétaire générale de la branche "diagnostics" lorsque le groupe a cédé cette branche à la société Bio rad laboratoires en 1999. Cette société a décidé une réorganisation impliquant des licenciements et établi un plan social prévoyant, notamment, des départs volontaires. La salariée, dont le contrat de travail prévoyait une indemnité en cas de départ non fautif imputable directement ou non à l'employeur, s'est portée candidate au départ volontaire sur la base d'une proposition de poste de l'institut Pasteur, sa candidature ayant reçu un avis favorable de la cellule de gestion de la procédure de reclassement. La validation du projet de reclassement externe et le bénéfice des indemnités prévues au plan ayant été conditionnés à un accord motivé de l'employeur, l'institut Pasteur a rappelé à la salariée que, sans réponse de sa part à cette date, il reviendrait sur sa proposition. La société n'ayant pas répondu à la salariée malgré ses demandes, celle-ci, estimant être tenue dans l'ignorance de son avenir professionnel, a pris acte de la rupture de son contrat de travail et a rejoint l'institut Pasteur, avant de saisir la juridiction prud'homale de diverses demandes au titre d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La cour d'appel de Paris avait fait droit à ses demandes après avoir retenu que l'absence de réponse de l'employeur dans le délai prévu par le plan à la demande de validation du projet de reclassement externe de la salariée constituait un manquement suffisamment grave pour fonder la prise d'acte.

Or, cet arrêt est cassé pour violation des articles L. 1231-1 (N° Lexbase : L8654IAR), L. 1237-2 (N° Lexbase : L1390H9D) et L. 1235-1 (N° Lexbase : L1338H9G) du Code du travail, la Haute juridiction affirmant, dans un attendu de principe, que "la prise d'acte permet au salarié de rompre le contrat de travail en cas de manquement suffisamment grave de l'employeur qui empêche la poursuite du contrat de travail" et considérant "qu'il résultait de ses constatations que s'il y avait manquement de l'employeur, celui-ci n'était pas de nature à faire obstacle à la poursuite du contrat de travail".

  • Un incontestable revirement de jurisprudence

Cet arrêt constitue d'évidence un revirement de jurisprudence. Jusqu'à présent, la Cour de cassation se contentait de vérifier si les griefs formulés à l'égard de l'employeur étaient "suffisamment graves" pour "justifier" la prise d'acte. Désormais, il conviendra de déterminer en quoi le comportement de l'employeur "empêche la poursuite du contrat de travail" ou est "de nature à faire obstacle à la poursuite du contrat de travail". La mise en exergue de cette nouvelle formule appelle quelques observations juridiques et pratiques.

  • Une nouvelle définition fédératrice

Sur le plan juridique, la formule semble réaliser la jonction avec la définition de la faute grave de l'employeur qui autorise le salarié à rompre par anticipation le contrat de travail à durée déterminée (13). Cette uniformisation des conditions est heureuse car il n'est pas sain que les régimes soient trop éparpillés et les conditions de rupture trop hétéroclites. Gageons que cette nouvelle définition rejaillira rapidement sur le régime de la résolution judiciaire du contrat de travail qui était soumise, jusqu'à présent, au même critère que la prise d'acte (14).

  • Une nouvelle définition pratiquement plus contraignante ?

Sur le plan pratique, la nouvelle formule semble plus restrictive que la précédente puisqu'elle implique la preuve que les fautes de l'employeur ont, dans une certaine mesure, "contraint" le salarié à quitter l'entreprise, là où la seule référence à des fautes suffisamment grave ne semblait pas l'exiger.

Reste à déterminer si ce nouveau critère est de nature à infléchir les solutions aujourd'hui admises.

Une chose est certaine. Dans l'affaire qui a donné lieu à l'arrêt commenté, le différend avec l'employeur ne portait pas sur les modalités de la relation de travail (rémunération, durée du travail, fonctions, etc.), mais uniquement sur le bénéfice d'une prime de départ pour un salarié qui avait, de toute façon, décidé de quitter l'entreprise. Il apparaissait, par conséquent, que la faute de l'employeur, qui n'avait pas répondu à sa demande de bénéficier de la prime de départ volontaire prévue dans le plan de sauvegarde de l'emploi, ne l'avait pas véritablement déterminé à partir.

Mais dans les hypothèses rencontrées antérieurement, l'employeur manque toujours à ses obligations essentielles (harcèlement, paiement des salaires, etc.), et il semble bien que même en faisant application du critère nouvellement dégagé, les prises d'acte concernées auraient également produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse dans la mesure où le salarié ne pouvait plus demeurer dans l'entreprise.

Il est, bien entendu, trop tôt pour déterminer l'impact pratique de cette nouvelle décision, mais il n'est pas certain qu'elle sera, à elle-seule, capable d'endiguer la vague des prises d'actes.


(1) Cass. soc., 25 juin 2003, n° 01-42.679, Société Technoram c/ M. Thierry Levaudel, FP+P+B+R+I (N° Lexbase : A8977C8Y) et lire nos obs., "Autolicenciement" : enfin le retour à la raison !, Lexbase Hebdo n° 78 du 3 juillet 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N8027AAK).
(2) Cass. soc., 25 avril 2007, n° 05-44.903, Société JS Concept, F-D (N° Lexbase : A0239DWR).
(3) Cass. soc., 30 octobre 2007, n° 06-43.327, Société Cabinet Proconsulte et cie, F-P (N° Lexbase : A2435DZ9).
(4) Cass. soc., 18 juin 2008, n° 07-41.125, Société AVL Ditest France, F-D (N° Lexbase : A2304D99).
(5) Cass. soc., 10 novembre 2009, n° 08-42.769, Association Vol moteur de l'aéro-club du Doubs, F-D (N° Lexbase : A1913EN8).
(6) Cass. soc., 6 janvier 2010, n° 08-43.683, Société Compagnie européenne de révision et d'audit, F-D (N° Lexbase : A2161EQ4) : "ayant relevé que la salariée avait l'expérience professionnelle d'une année au niveau 'N 4' et au moins un diplôme sanctionnant quatre années d'études supérieures après le bac pour être classée cadre au niveau 3 de la convention collective à compter du 1er janvier 2000 et constaté que tel n'avait pas été le cas, la cour d'appel, qui n'avait pas à procéder aux recherches prétendument omises et appréciant souverainement les éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, a retenu que le manquement de l'employeur à ses obligations avait été suffisamment grave pour permettre à la salariée de prendre acte de la rupture du contrat de travail".
(7) Cass. soc., 20 janvier 2010, n° 08-43.476, Société Adonis, FS-P+B (N° Lexbase : A4710EQI) : "ayant relevé, par une appréciation souveraine, que le fait pour l'employeur de ne pas rémunérer l'intégralité des heures de travail effectuées par le salarié, de ne rémunérer que partiellement les heures supplémentaires et de ne pas régler intégralement les indemnités de repas caractérisait un manquement suffisamment grave pour justifier la prise d'acte, la cour d'appel a, par ce motif, légalement justifié sa décision" (lire nos obs., La prise d'acte justifiée ouvre droit à l'indemnité de préavis et de congés payés afférente, Lexbase Hebdo n° 381 du 5 février 2010 - édition sociale N° Lexbase : N1526BNT) ; Cass. soc., 10 février 2010, n° 08-43138, Société Medica France, inédit (N° Lexbase : A7748ERE) : "la cour d'appel qui, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation des éléments de fait et de preuve soumis à son examen, et sans avoir à s'expliquer sur les pièces qu'elle a décidé d'écarter, a constaté que l'employeur n'avait pas réglé la prime d'ancienneté pendant trois mois, qu'il avait prononcé une mise à pied disciplinaire de deux jours qu'elle a annulée, et qu'il avait omis de régler à la salariée une rémunération pour les journées de formation économique et sociale avant sa comparution devant le conseil de prud'hommes sans donner d'explications sur les raisons de l'absence de paiement, a souverainement estimé que les manquements par l'employeur à ses obligations étaient suffisamment graves pour justifier la rupture du contrat de travail par la salariée, en sorte qu'elle produisait les effets d'un licenciement nul, en l'absence d'autorisation de l'autorité administrative".
(8) Cass. soc., 16 mai 2007, n° 06-41.468, M. Matthieu Wiel, F-D (N° Lexbase : A2642DWR).
(9) Cass. soc., 27 mars 2008, n° 06-45.752, Mme Stéphanie Delhomme, F-D (N° Lexbase : A6060D7L).
(10) Cass. soc., 13 janvier 2009, n° 07-43.916, Mme Isabelle Brunello, F-D (N° Lexbase : A3521ECE) ; Cass. soc., 14 octobre 2009, n° 08-40.723, M. Goumane, FP-P+B (N° Lexbase : A0925EM9) : "la cour d'appel a constaté que l'ouverture en Allemagne, en application du Règlement susvisé d'une procédure collective à l'égard de l'employeur, le 7 avril 2003, soit avant les prises d'acte de la rupture, en mai 2003, était à l'origine du non paiement des salaires depuis cette date ; qu'elle a ainsi fait ressortir que la carence de l'employeur dans le paiement des salaires ne pouvait être fautive qu'entre le 30 mars et de 7 avril 2003, et a souverainement décidé que ce manquement ne suffisait pas à justifier la décision des salariés de prendre acte de la rupture de leur contrat de travail dès lors qu'était mise en oeuvre la garantie des créances salariales liées à l'insolvabilité de l'employeur" (lire les obs. de Ch. Willmann, Prise d'acte : au regard du Règlement CE n° 1346/2000 du 29 mai 2000, le non-paiement de salaire n'est pas nécessairement fautif, Lexbase Hebdo n° 369 du 29 octobre 2009 - édition sociale [LXB= N1821BME]).
(11) Cass. soc., 25 avril 2007, n° 05-44.903, préc..
(12) Cass. soc., 16 mai 2007, n° 06-41.468, préc. ; Cass. soc., 27 mars 2008, n° 06-45.752, préc. ; Cass. soc., 18 juin 2008, n° 07-41.125, préc. ; Cass. soc., 13 janvier 2009, n° 07-43.916, préc. ; Cass. soc., 21 janvier 2009, n° 07-41.822, Mme Valérie Delaunay, FS-P+B (N° Lexbase : A6459EC9) : "la cour d'appel, qui a retenu que la difficulté technique du mi-temps thérapeutique et de ses conséquences excluait la mauvaise foi de l'employeur, et qu'aucun des autres reproches, à l'exclusion de l'absence de prise en compte du temps d'habillage et de déshabillage, n'était établi, a estimé que les manquements de l'employeur n'étaient pas suffisamment graves pour justifier la rupture aux torts de ce dernier, [...] en a exactement déduit que la rupture produisait les effets d'une démission" (lire les obs. de S. Tournaux, Le salarié inapte peut prendre acte de la rupture de son contrat de travail !, Lexbase Hebdo n° 336 du 5 février 2009 - édition sociale N° Lexbase : N4778BIS).
(13) Cass. soc., 6 décembre 1994, n° 91-43.012, Société à responsabilité limitée Le Refuge c/ M. Gérard Perrotin (N° Lexbase : A3831AA7), RJS, 1995, n° 5 (défaut de paiement des salaires) ; Cass. soc., 22 mai 1996, n° 94-43.287, M. Thierry Gudimard c/ Association sportive beaunoise dite 'ASB', inédit (N° Lexbase : A6383CY3), Dr. soc., 1996, p. 981, obs. G. Couturier (modification du contrat de travail). Dernièrement Cass. soc., 2 décembre 2009, n° 08-43.995, M. Christophe Pétrini, F-D (N° Lexbase : A3526EPB) : faute "rendant impossible le maintien du lien contractuel jusqu'à son terme".
(14) Cass. soc., 3 novembre 2004, n° 02-43.039, Mme Françoise Vicharette c/ Mme Béatrice Deschaseaux, F-D (N° Lexbase : A7611DDA) : les juges du fond doivent rechercher "si le défaut de paiement des heures supplémentaires ne constituait pas, de la part de l'employeur, un manquement d'une gravité suffisante pour justifier la résiliation du contrat de travail, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision" ; Cass. soc., 9 avril 2008, n° 06-44.508, M. Jean-François Brassard, F-D (N° Lexbase : A8759D7K) : "la seule non-délivrance de bulletin de salaire pendant deux mois n'était pas un motif suffisamment grave pour justifier la résiliation du contrat de travail aux torts de l'employeur".


Décision

Cass. soc., 30 mars 2010, n° 08-44.236, Société Bio rad laboratoires c/ Mme Nicole Rieunier-Burle, FS-P+B (N° Lexbase : A4043EUB)

Cassation CA Paris, 21ème ch., sect. A, 24 juin 2008, n° 07/01617, Mme Nicole Rieunier-Burle (N° Lexbase : A3998D9X)

Dispositions visées : C. trav., art. L. 1231-1 (N° Lexbase : L8654IAR), L. 1237-2 (N° Lexbase : L1390H9D) et L. 1235-1 (N° Lexbase : L1338H9G)

Mots clef : contrat de travail ; rupture ; prise d'acte ; conditions

Lien base : (N° Lexbase : E9677ES9)

newsid:387424

Sociétés

[Questions à...] Quand la signature de la lettre de licenciement dans une SAS devient risquée - Questions à Maîtres Catherine Michelet-Quinquis et Anne-France Léon-Oulié, Avocats, Ernst & Young, société d'avocats

Réf. : CA Colmar, 4ème ch., sect. B, 13 janvier 2009, n° 08/01150 (N° Lexbase : A2129EN8), CA Versailles, 5 ème ch., 24 septembre 2009, n° 08/02615 (N° Lexbase : A2125ENZ) et CA Paris, Pôle 6, 2ème ch., 3 décembre 2009, n° 09/05422 (N° Lexbase : A6415EPB)

Lecture: 9 min

N7509BNG

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3212626-edition-n-391-du-15-04-2010#article-387509
Copier

par Vincent Téchené, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition privée générale et Fany Lalanne, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010

Formalisme excessif ou sécurisation nécessaire ? C'est la question que soulèvent les dernières jurisprudences des juridictions du fond concernant le pouvoir de licencier au sein des SAS. En effet, en entendant assez largement que seul le président d'une société par actions simplifiée a le pouvoir de procéder au licenciement des salariés de ladite société, les cours d'appel de Paris (CA Paris, Pôle 6, 2ème ch., 3 décembre 2009, n° 09/05422, M. Sébastien Pellerin et autres N° Lexbase : A6415EPB), Colmar (CA Colmar, 4ème ch., sect. B, 13 janvier 2009, n° 08/01150, Mademoiselle Valérie Ferreira c/ SA Cora N° Lexbase : A2129EN8) et Versailles (CA Versailles, 5ème ch., 24 septembre 2009, n° 08/02615, Madame Solange Vinzend c/ SA Distribution Casino France N° Lexbase : A2125ENZ) ont jeté un certain trouble tant elles semblent éloignées du pragmatisme du monde des affaires et de l'esprit des textes ayant animé à la création de la SAS. Mais, au-delà de ces considérations presque théoriques, les solutions retenues par les juridictions du fond invitent les juristes, en l'absence de décision de la Cour de cassation en la matière, à la plus grande prudence.
Dans ces trois affaires, en substance, des salariés employés par des sociétés constituées sous forme de SAS contestaient la validité de leurs licenciements, estimant que le signataire de la lettre de licenciement n'avait pas qualité à agir à défaut de respecter les règles de fonctionnement interne des SAS et plus particulièrement l'article L. 227-6 du Code de commerce (N° Lexbase : L6161AIZ) relatif aux modalités de représentation de la SAS à l'égard des tiers. A cette question, les juridictions de fond donnent une réponse à l'unisson, sujette néanmoins à la critique : en application des dispositions de l'article L. 227-6 du Code de commerce, pour que les licenciements litigieux soient valables, les lettres de licenciement doivent émaner soit du président de la SAS, soit de la personne autorisée par les statuts à recevoir délégation pour exercer le pouvoir de licencier, détenu par le seul président et d'ailleurs, ajoute pour sa part la cour d'appel de Paris, conformément au régime légal de la SAS qui, contrairement à celui d'autres formes de sociétés, concentre dans les mains du seul président la totalité des pouvoirs, traditionnellement répartis entre divers organes, et renvoie, pour d'éventuelles autres dispositions, aux statuts. Alors, parce que les conséquences pratiques de ces décisions, tant en matière de droit du travail que de droit des sociétés, sont de toute première importance, Lexbase Hebdo - édition privée générale et Lexbase Hebdo - édition sociale ont rencontré deux praticiennes dans chacun de ces domaines, Maître Catherine Michelet-Quinquis, avocat, Ernst & Young, société d'avocats, responsable de la ligne droit des sociétés du bureau de Bordeaux, et Maître Anne-France Léon-Oulié, avocat, Ernst & Young, société d'avocats, responsable de la ligne droit social du bureau de Bordeaux.

Lexbase : Quel est l'état du droit s'agissant du pouvoir de licencier dans la SAS ?

Anne-France Léon-Oulié : Traditionnellement, il échet au représentant légal d'une société (président-directeur général, président, gérant), c'est-à-dire à l'employeur, de licencier.
Les articles du Code du travail relatifs à la procédure de licenciement ne distinguent pas selon la forme juridique de l'entreprise. Le Code du travail se contente d'évoquer la notion "d'employeur". Ne peut donc procéder au licenciement d'un salarié que celui qui a la qualité d'employeur ou de représentant de l'employeur, c'est-à-dire une personne ayant reçu mandat pour licencier.
Pendant longtemps, la jurisprudence avait admis que l'employeur puisse déléguer son pouvoir de licencier à un membre de l'entreprise. Dernièrement encore, la Chambre sociale de la Cour de cassation a reconnu la légitimité du mandat donné à un directeur des ressources humaines par une société mère pour conduire la procédure de licenciement et notifier son licenciement à un salarié employé par l'une de ses filiales, sans qu'il soit nécessaire que la délégation de pouvoirs soit donnée par écrit. La Cour de cassation a estimé en l'espèce que le DRH n'était pas une personne étrangère aux filiales (Cass. soc., 23 septembre 2009, n° 07-44.200, FS-P+B+R N° Lexbase : A3386ELY).
Néanmoins, diverses décisions récentes, toutes émanant de cours d'appel, viennent de mettre à bas les certitudes dont étaient pétris les professionnels du droit en la matière, en considérant qu'au sein d'une SAS, seul le président serait habilité à licencier.
Ces arrêts ont annulé des licenciements pour défaut de pouvoir du signataire de la lettre de licenciement. Dans ces affaires, les juges semblent adopter le raisonnement suivant :
- la lettre de licenciement doit être notifiée par l'employeur :
- l'employeur est déterminé par les règles applicables en droit des sociétés qui prévoient une représentation à l'égard des tiers par le président et, le cas échéant, par une ou plusieurs personnes portant le titre de directeur général (DG) ou directeur général délégué (DGD) à condition que les statuts aient donné ce pouvoir de représentation à ces derniers ;
- les délégations doivent être inscrites dans les statuts, faire l'objet d'une publicité au RCS et apparaitre sur l'extrait K-bis de la société.

En conséquence, et dans le prolongement de cette jurisprudence émergente, au sein d'une SAS, une lettre de licenciement ne pourrait être signée que par le président, le DG ou ses délégataires, mais à condition que la délégation initiale et les sous-délégations soient conformes aux règles jurisprudentielles précitées.

Lexbase : Les décisions qui annulent les licenciements se fondent pour ce faire sur l'article L. 227-6 du Code de commerce, aux termes duquel la SAS est représentée à l'égard des tiers par son président, considérant de la sorte que le salarié est un "tiers". Quels sont les arguments qui plaident en faveur d'une telle conception ? La partagez-vous ?

Catherine Michelet-Quinquis : Toute personne appelée à contracter avec une société doit le faire en parfaite sécurité.
La notion de "représentation légale" de la société assure ce rôle de sécurisation de la signature sociale et garantit aux tiers, quels qu'ils soient, que les engagements pris par la société à leur égard ne pourront pas être remis en cause sous la simple réserve qu'ils soient contractants de bonne foi, c'est-à-dire qu'ils puissent valablement penser que la personne avec laquelle ils contractent a bien le pouvoir d'engager la société.
Cette sécurisation est assurée dès lors que le nom du représentant légal figure sur l'extrait K-bis délivré par le registre du commerce et des sociétés.
Il n'y a pas là de raison de distinguer entre les différents engagements sociaux, qu'ils soient souscrits à l'égard d'un fournisseur, d'un client ou d'un salarié et que ce soit au moment de la conclusion ou au contraire de la rupture du contrat de travail de ce dernier.
Avant la conclusion de son contrat de travail, le salarié est en effet un tiers à la société ; il doit bénéficier de l'information nécessaire lors de cet engagement ; il n'y a pas de raison de raisonner différemment lorsque survient la rupture du contrat.

Lexbase : Les solutions retenues par les juridictions du fond dans le cadre de la SAS ne vont-elles pas à contre-courant de la jurisprudence relative à la délégation de pouvoir en général et en contradiction directe avec l'esprit des textes ayant mis en place la SAS ?

Catherine Michelet-Quinquis : Le représentant légal, quel que soit le titre qu'il prenne selon la forme sociale considérée, PDG, gérant, président, ne peut en pratique signer tous les actes émanant de la société, en l'occurrence, dans les cas particuliers de la conclusion des contrats de travail ou de la notification de licenciement, comme c'est aussi le cas pour la signature des engagements commerciaux, la pratique a dû faire appel à la théorie de la délégation de pouvoirs.
Cette délégation de pouvoirs émanant du dépositaire de la signature sociale et qui peut descendre de délégant en délégataires successifs par la chaîne des subdélégations, doit simplement satisfaire aux critères posés par la jurisprudence permettant de vérifier la réalité d'une délégation régulièrement consentie et exercée.
La société devra simplement être en mesure de prouver aux salariés, objet de la décision de licenciement, que cette décision a bien été prise par une personne, son représentant légal, ou le délégataire ou subdélégataire du représentant légal, disposant dans le cadre de ses fonctions et par l'effet des délégations consenties, de l'autorité, de la compétence et des moyens lui permettant de prendre une telle décision.
C'est ainsi, et surtout dans le cas d'une chaîne de délégations, qu'il y a lieu de recommander une formalisation par écrit et la plus grande des précisions dans l'étendue des délégations de pouvoirs consenties.
Ces précautions ont le grand intérêt de protéger les décisions de l'entreprise, de sécuriser les auteurs de ces décisions et de certifier à la personne objet de la décision prise, en l'occurrence le salarié, que cette décision émane bien de l'autorité sociale compétente.
Cette jurisprudence est actuellement remise en cause par la cour d'appel de Paris dans le cadre des sociétés par actions simplifiées, la motivation prenant appui sur les règles de fonctionnement de la SAS.

Il apparaît ici utile de rappeler rapidement ces règles et l'esprit qui a animé l'instauration de cette forme de société.
La SAS répond aux besoins du monde des affaires de disposer d'une forme de société par actions d'une extrême souplesse, capable de s'adapter, de se personnaliser en fonction des besoins spécifiques de ses associés.
Parmi les quelques règles auxquelles il n'est pas permis de déroger, figurent celles selon laquelle le représentant légal de la SAS est, de droit, le président (C. com., art. L. 227-6).
Cependant, le choix de cette forme sociale, extrêmement fréquente dans les groupes de sociétés disposant d'un grand nombre d'établissements, rend en pratique impossible le monopole de la signature de tous les actes sociaux par ce seul président.
C'est ainsi que pour clarifier certaines pratiques, le Code de commerce, en son article L. 227-6 modifié, a expressément prévu que, outre le président, représentant légal investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la SAS dans la limite de son objet, les statuts pouvaient prévoir les conditions dans lesquelles une ou plusieurs autres personnes auxquelles seraient conféré le titre de directeur général ou de directeur général délégué, pourraient également exercer les pouvoirs confiés au président.
En ce cas, et selon la règle commune stipulée pour tous mandataires sociaux, la désignation de tels directeurs généraux et directeurs généraux délégués doit évidemment faire l'objet d'une publication au registre du commerce et des sociétés de façon à assurer parfaitement l'information des tiers.
En outre, l'étendue des pouvoirs conférés à ces mandataires sociaux doit être très précisément définie par les dispositions statutaires.
Selon les cas, ces pouvoirs peuvent être extrêmement étendus et recouvrer l'ensemble des pouvoirs du président lui-même ou, au contraire, être plus circonscrits selon les domaines de compétences confiés à tel ou tel directeur général.
Ainsi, avec ce mode de fonctionnement où les fondements légaux doivent être au cas par cas précisés par les dispositions statutaires, la SAS a su, au fil des années, se doter d'un mode de représentation légale adaptable à chaque cas, soit une représentation par un seul président, soit une représentation légale plurale qui ne doit en aucun cas être confondue avec une délégation, cette dernière devant réunir les conditions cumulatives ci-avant rappelées.
En conclusion, les deux arrêts de la cour d'appel de Paris frappés de pourvoi, qui stipulent que pour leur validité, les lettres de licenciement doivent émaner, soit du président de la société, soit de la personne autorisée par les statuts à recevoir délégation pour exercer le pouvoir de licencier détenu par le seul président, nous paraissent faire une interprétation quelque peu erronée de l'article L. 227-6 du Code de commerce qui définit les modalités possibles de la représentation légale de la SAS.
Contrairement à ce que croit pouvoir affirmer la cour d'appel de Paris, la totalité des pouvoirs n'est pas concentrée entre les mains du seul président ; nous venons de rappeler en effet que d'autres personnes, directeur général ou directeur général délégué, avaient le pouvoir de représenter la société et ce, par habilitation légale et statutaire et non par l'effet d'une délégation de pouvoirs.
En outre, à supposer que la personne en charge de la décision de licenciement dispose d'une délégation de pouvoirs, il n'y a pas lieu, dans le cas spécifique de la SAS, à ajouter une condition supplémentaire -celle d'une autorisation par les statuts et d'une publicité au registre du commerce et des sociétés- aux critères traditionnellement requis par la jurisprudence.
Enfin, l'affirmation que fait le cour d'appel d'un principe de concentration entre les mains du seul président, de la totalité des pouvoirs, nous paraît exagérément autocrate et juridiquement infondée, compte tenu de la rédaction de l'article L. 227-6 du Code de commerce qui prévoit expressément que ce pouvoir de représentation peut être partagé avec des directeurs généraux.

Il nous paraît donc nécessaire d'appréhender avec prudence la jurisprudence actuelle de la cour d'appel de Paris et d'attendre la position de la Cour de cassation sur ce sujet.

Lexbase : Les juridictions du fond ont retenu comme sanction la nullité du licenciement. Que pensez-vous de cette solution ? N'est-elle pas en contradiction avec la jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation qui considère traditionnellement que le licenciement notifié par une personne non habilitée est dépourvu de cause réelle et sérieuse (Cass. soc., 26 avril 2006, n° 04-42.860, F-D N° Lexbase : A2112DPW) ?

Anne-France Léon-Oulié : Il est certain que la nullité du licenciement constitue une sanction très dure pour l'entreprise. En effet, la majeure partie du temps, les lettres de licenciement, quelle que soit la forme juridique d'une société, sont signées par des personnes qui ne sont pas étrangères à l'entreprise et qui disposent d'un mandat apparent pour les salariés de prendre des décisions importantes.
Il a été notamment jugé que l'irrégularité pouvant affecter la procédure de licenciement, y compris au titre du mandat donné à un tiers pour la conduire, ne saurait suffire à priver de cause réelle et sérieuse le licenciement (Cass. soc., 2 octobre 2002, n° 00-41.801, F-D N° Lexbase : A9026AZC).
Le licenciement est, en revanche, dépourvu de cause réelle et sérieuse dès lors qu'il a été notifié par une personne étrangère à l'entreprise (Cass. soc., 26 avril 2006, n° 04-42.860, préc.).
Il est clair que les derniers arrêts rendus en matière de SAS ont adopté une position rigoureuse tranchant avec la jurisprudence classique relative à l'auteur de la lettre de licenciement.

Lexbase : Vu l'état actuel du droit et les incertitudes qui entourent les délégations de pouvoir dans les SAS et la validité des licenciements prononcés par les délégataires, quelles sont vos préconisations en la matière ?

Anne-France Léon-Oulié : On ne peut qu'inviter actuellement un employeur, président d'une SAS, à sécuriser les procédures de licenciement en signant lui-même les lettres de licenciement. Il faut préciser que les Conseils des salariés se sont emparés de cette manne providentielle que constituent ces arrêts, en n'hésitant pas à examiner en premier lieu la qualité du signataire des lettres de licenciement au sein d'une SAS afin de solliciter ainsi à titre principal la nullité du licenciement, économisant une perte de temps à conclure sur le fond.
Il convient donc de moraliser le débat, étant précisé que tout un chacun attend actuellement impatiemment un arrêt de la Cour de cassation clarifiant la situation compte tenu de l'insécurité juridique créée par ces arrêts.
La prudence reste toutefois de mise et la plus grande attention doit être portée tant à l'égard du contenu des statuts et de la délégation de pouvoirs y figurant, qu'à l'égard des procédures de licenciement requérant la signature indispensable du président d'une SAS.

newsid:387509

Aides d'Etat

[Jurisprudence] Chronique de droit communautaire - Mars 2010

Lecture: 14 min

N7505BNB

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3212626-edition-n-391-du-15-04-2010#article-387505
Copier

par Olivier Dubos, Professeur de droit public à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 21 Octobre 2011

Lexbase Hebdo - édition publique vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité en matière d'aides d'Etat, réalisée par Olivier Dubos, Professeur de droit public à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV. Au mois de mars 2010, le Tribunal de première instance de l'Union européenne et la Cour de justice de l'Union européenne ont rendu des arrêts apportant des précisions sur le droit des aides d'Etat. Dans deux affaires concernant le secteur bancaire, le Tribunal a fait une application souple du critère de l'investisseur privé (aff. T-163/05), et ne s'est pas montré plus exigeant quant à l'appréciation de l'obligation de la Commission d'ouvrir la procédure contradictoire de l'article 108, paragraphe 2, TUE (ex-article 88 CE) (T-36/06). Quant à la Cour de justice, dans une affaire française à rebondissements, elle a rappelé fermement l'obligation de restitution des aides illégales (aff. C-1/09).
  • Le critère de l'investisseur privé pour l'appréciation de l'existence d'aides accordées au secteur bancaire (TPIUE, 3 mars 2010, aff. T-163/05, Bundesverband deutscher Banken eV c/ Commission européenne N° Lexbase : A5750ESR)

Helaba est l'une des plus grandes banques allemandes et a le statut d'organisme de droit public. Elle a bénéficié d'un apport d'1,264 milliard d'euros provenant d'un fond comprenant les créances du Land de Hessen issues des crédits à faible taux accordés pour la promotion de la construction de logements sociaux. Cet apport a été fait sous la forme d'un apport tacite en capital. La Commission a estimé qu'une partie de cet apport tacite était constitutive d'une aide d'Etat et devait faire l'objet d'une restitution. En revanche, elle a estimé que l'autre partie n'était pas constitutive d'une aide. C'est cet aspect de la décision qui était contesté devant le Tribunal de l'Union européenne. L'argument principal reposait sur l'utilisation, par la Commission, du critère de l'investisseur privé. Selon ce critère, une mesure étatique constitue une aide si l'entreprise bénéficiaire reçoit un avantage économique qu'elle n'aurait pas obtenu dans des conditions normales de marché. Dans la mesure où il s'agit d'une appréciation particulièrement complexe, le juge ne procède qu'à un contrôle de l'erreur manifeste d'appréciation. Dans l'affaire en cause, deux aspects ont été particulièrement discutés devant le Tribunal : le modèle progressif adopté par l'apport litigieux (A), et sa nature même (B).

A - Le modèle progressif

Une partie de l'apport litigieux était à la disposition d'Helaba pour garantir ses activités commerciales alors que l'autre partie ne l'était pas. Pour cette dernière, la Commission avait conclu à l'existence d'une aide dans la mesure où elle ne faisait pas l'objet d'une rémunération. Pour la partie à disposition d'Helaba, avait été mis en place un modèle progressif qui permettait de verser la rémunération (1,4 %) non pas sur la totalité de l'apport, mais sur des tranches prévues à l'avance. En réalité, il avait été stipulé dans le contrat que ces différentes tranches n'étaient pas toutes accessibles à la banque pour le développement de ces activités commerciales. Pour le Tribunal, il était, dès lors, logique que le Land ne soit rémunéré que pour les tranches effectivement consacrées au développement des activités commerciales. Les autres tranches ne doivent être rémunérées qu'à un taux plus faible pris en compte par la Commission pour calculer le montant de l'aide versée par le Land, et devant donc faire l'objet d'une action en restitution.

B - La nature de l'apport tacite

Le Land avait procédé à un apport tacite en capital. Cet apport devait servir de fonds propres de garantie pour la banque Helaba. Ce type de fonds constitue un mécanisme hybride car il revêt à la fois les caractéristiques d'un titre de participation et d'un titre de créance. Il était convenu qu'Helaba verserait en contrepartie une rémunération de 1,4 % au Land. Pour que ce montage financier puisse bien constituer un apport tacite en capital et non pas une aide, le Tribunal s'assure d'abord que, dans l'hypothèse d'une faillite, ce capital sera remboursé avant le capital social lui-même. Se fiant à des rapports d'expertises fournis par République fédérale d'Allemagne, le Tribunal conclut que tel est bien le cas.

Il a, ensuite, examiné le profil de rentabilité de l'apport en capital du Land à Helaba. Il était, en effet, convenu, dans le contrat, une rémunération fixe, du moins aussi longtemps que la banque ne subissait pas de pertes. En revanche, lorsqu'il y a apport en capital social et non pas apport tacite, la rémunération varie par nature en fonction des bénéfices réalisés. Le Tribunal considère que n'est pas pertinent le fait que le versement de la rémunération, même si celle-ci est fixe, dépende de ce que la banque n'enregistre pas un déficit annuel et de ce que ledit versement ne donne pas lieu à un tel déficit. Cet élément est commun à tous les apports tacites reconnus en tant que fonds propres de base, dans la mesure où une telle condition est fixée par la loi allemande qui régit les apports tacites.

Il convenait, par ailleurs, d'examiner le volume de l'apport du Land au regard des fonds propres d'Helaba. A partir du moment où est admis le modèle progressif, il apparaissait que devait être seulement prise en compte la part de l'apport consacrée à l'expansion des activités commerciales. Dès lors, il ne fallait pas considérer la totalité de l'apport, mais simplement les différentes tranches mobilisées pour le développement des activités commerciales. Etait, en outre, contestée l'importance de l'apport litigieux au regard du capital social. Cet apport représentait, en effet, 40 % du capital d'Helaba. Ce point était important car, selon les critères prudentiels traditionnels, un apport tacite ne peut dépasser 15 % du capital social. Toutefois, le Tribunal estime que les banques publiques des Länders n'ont pas le même profil de risque que les banques privées. Dès lors, il ne lui paraît pas inconcevable qu'un apport tacite puisse représenter 40 % du capital social de la banque.

Il convenait, enfin, de tenir compte de la situation du marché au moment de l'apport litigieux. Le Tribunal rappelle, tout d'abord, que la comparaison entre le comportement des investisseurs publics et celui des investisseurs privés doit être établie par rapport à l'attitude qu'aurait eu, lors de l'opération en cause, un investisseur privé, eu égard aux informations disponibles et aux évolutions prévisibles à ce moment. Dès lors, la Commission n'était pas tenue de se prononcer uniquement au regard des conditions du marché au moment du versement de l'apport en cause, mais elle pouvait, également, se fonder sur certaines évolutions qui pouvaient raisonnablement être envisagées par les opérateurs économiques.

  • L'ouverture de la procédure contradictoire de l'article 108, paragraphe 2, TUE (ex-article 88 CE) (TPIUE, 3 mars 2010, aff. T-36/06, Bundesverband deutscher Banken eV c/ Commission européenne N° Lexbase : A5752EST)

Selon l'article 108, paragraphe 3, TUE, "la Commission est informée, en temps utile pour présenter ses observations, des projets tendant à instituer ou à modifier des aides. Si elle estime qu'un projet n'est pas compatible avec le marché intérieur, aux termes de l'article 107, elle ouvre sans délai la procédure prévue au paragraphe précédent. L'Etat membre intéressé ne peut mettre à exécution les mesures projetées avant que cette procédure ait abouti à une décision finale". Le Tribunal rappelle fort logiquement que "la Commission ne peut, par conséquent, s'en tenir à la phase préliminaire de l'article 88, paragraphe 3, CE pour prendre une décision favorable à une mesure étatique que si elle est à même d'acquérir la conviction, au terme d'un premier examen, que cette mesure ? soit ne constitue pas une aide au sens de l'article 87, paragraphe 1, CE, [devenu article 107 TUE] soit, si elle est qualifiée d'aide, est compatible avec le marché commun" (point n° 125). L'ouverture de la procédure de l'article 108, paragraphe 2, TUE (ex-article 88 CE) permet, en effet, aux différents parties intéressées (Etat, entreprise bénéficiaire, entreprises concurrentes) de présenter leurs observations.

Selon une jurisprudence classique de la Cour, la Commission doit donc ouvrir cette procédure dès qu'elle éprouve "des difficultés sérieuses" pour apprécier si la mesure étatique est compatible avec le marché commun (CJCE, 20 mars 1984, aff. C-84/82, République fédérale d'Allemagne c/ Commission des Communautés européennes N° Lexbase : A8187AUR, Rec., p. 1451). La Commission se trouve donc dans une situation de compétence liée. Toutefois, par pragmatisme, il est admis que, dès la phase de l'article 108, paragraphe 3, TUE, la Commission puisse engager un dialogue non seulement avec l'Etat qui a procédé à la notification, mais, également, avec les entreprises concurrentes.

Evidemment, l'incertitude de cette solution résulte de l'interprétation de la notion de "difficultés sérieuses". Le Tribunal rappelle que "l'existence de telles difficultés doit être recherchée tant dans les circonstances d'adoption de l'acte attaqué que dans son contenu, d'une manière objective, en mettant en rapport les motifs de la décision avec les éléments dont la Commission disposait lorsqu'elle s'est prononcée sur la compatibilité des aides litigieuses avec le marché commun" (point n° 127). Il appartient au requérant de rapporter la preuve de l'existence de difficultés sérieuses. En l'espèce, le requérant arguait simplement que la Commission avait appliqué de manière erronée le critère de l'investisseur privé. Or, le Tribunal rappelle que "l'examen de l'existence de difficultés sérieuses ne vise pas à savoir si la Commission a correctement appliqué l'article 87 CE, mais à établir si elle disposait, au jour où elle a adopté la décision attaquée, d'informations suffisamment complètes pour apprécier la compatibilité de la mesure litigieuse avec le marché commun" (point n° 129). Dès lors, la Commission n'a pas commis d'illégalité en refusant d'ouvrir la procédure de l'article 108, paragraphe 2, TUE.

  • L'obligation pour le juge national de prononcer la restitution des aides illégales (CJUE, 11 mars 2010, aff. C-1/09, Centre d'exportation du livre français (CELF) et Ministre de la Culture et de la Communication c/ Société internationale de diffusion et d'édition (SIDE) N° Lexbase : A9737ESG)

Le soutien financier de la République française au Centre d'exportation du livre français (CELF) a fait l'objet de nombreuses procédures devant les juridictions administratives françaises et devant les juridictions de l'Union européenne. Le CELF est une société anonyme coopérative qui est commissionnaire à l'exportation. Elle exporte, ainsi, des ouvrages français à l'étranger, et est chargée d'une mission de promotion de la culture française. Elle a bénéficié entre 1980 et 2002 de subventions d'exploitation versées par l'Etat. La Cour de justice s'est prononcée sur l'interdiction, pour le juge national, de surseoir à statuer dans l'attente de la décision définitive de la Commission (B), et la notion de circonstance exceptionnelle permettant la limitation de l'obligation de récupération (C). Pour bien comprendre ces deux aspects, il convient, au préalable, de rappeler les nombreux antécédents procéduraux de cette affaire (A).

A - Les procédures devant les juridictions communautaires et nationales

Un concurrent du CELF a déposé plainte devant la Commission qui a estimé l'aide compatible avec le marché commun et n'a pas soulevé d'objection. Cette décision a été annulée par le TPICE, lequel a estimé que la Commission aurait dû engager la procédure contradictoire de l'article 108, paragraphe 2, TUE (TPICE, 18 septembre 1995, aff. T-49/93, Société internationale de diffusion et d'édition (SIDE) c/ Commission des Communautés européennes N° Lexbase : A3133AWX). La Commission a, par la suite, déclaré l'aide illégale car elle n'avait pas fait l'objet de la notification prévue à l'article 108, paragraphe 3 TUE, mais compatible avec le marché commun. Cette décision a, également, été annulée par le Tribunal au motif que la Commission avait commis une erreur manifeste d'appréciation dans la définition du marché pertinent et ne pouvait donc déclarer l'aide compatible. Une troisième fois, la Commission a déclaré l'aide compatible. Cette décision a aussi été annulée par le Tribunal. Le 8 avril 2009, la Commission a alors repris la procédure afin de permettre à toutes les parties intéressées de présenter leurs observations en vue d'une décision finale.

Le Conseil d'Etat a d'abord été saisi d'un pourvoi contre un arrêt de la cour administrative d'appel de Paris (CAA Paris, 4ème ch., 5 octobre 2004, n° 01PA02717, Ministre de la Culture N° Lexbase : A9745ESQ) qui enjoignait au CELF de rembourser à l'Etat les aides dont il avait bénéficié. Le Conseil d'Etat a décidé de saisir la Cour de justice d'une question préjudicielle. Cette dernière a estimé que "l'article 88, paragraphe 3, dernière phrase, CE doit être interprété en ce sens que le juge national n'est pas tenu d'ordonner la récupération d'une aide mise à exécution en méconnaissance de cette disposition, lorsque la Commission [...] a adopté une décision finale constatant la compatibilité de ladite aide avec le marché commun au sens de l'article 87 CE. En application du droit communautaire, il est tenu d'ordonner au bénéficiaire de l'aide le paiement d'intérêts au titre de la période d'illégalité. Dans le cadre de son droit national, il peut, le cas échéant, ordonner, en outre, la récupération de l'aide illégale, sans préjudice du droit de l'Etat membre de mettre celle ci à nouveau à exécution, ultérieurement. Il peut, également, être amené à accueillir des demandes d'indemnisation de dommages causés en raison du caractère illégal de l'aide". Elle a, par ailleurs, ajouté que "dans une situation procédurale telle que celle du litige au principal, l'obligation, résultant de l'article 88, paragraphe 3, dernière phrase, CE, de remédier aux effets de l'illégalité d'une aide s'étend, également, aux fins du calcul des sommes à acquitter par le bénéficiaire, et sauf circonstances exceptionnelles, à la période écoulée entre une décision de la Commission [...] constatant la compatibilité de cette aide avec le marché commun et l'annulation de ladite décision par le juge communautaire" (CJCE, 12 février 2008, aff. C-199/06, Centre d'exportation du livre français (CELF) et Ministre de la Culture et de la Communication c/ Société internationale de diffusion et d'édition (SIDE) N° Lexbase : A7461D44, Rec., p. I-469).

Dans son arrêt du 19 décembre 2008 (CE 9° et 10° s-s-r., 19 décembre 2008, n° 274923, Centre d'exportation du livre français N° Lexbase : A8789EB7), le Conseil d'Etat a enjoint au ministre de la Culture de procéder au recouvrement d'intérêts sur les aides pour la période comprise entre le début du versement de l'aide, en 1980, et sa décision procédant au renvoi préjudiciel à la Cour de justice. La même obligation est imposée au ministre pour la période débutant à la date de la décision de renvoi et la date à laquelle l'aide aura, de manière définitive, était considérée compatible, ou à la date à laquelle il aura été procédé à la restitution de l'aide incompatible.

Pour ce qui concerne le remboursement de l'aide elle-même, le Conseil d'Etat a décidé de poser une nouvelle question préjudicielle à la Cour de justice en raison de la dernière décision d'annulation du Tribunal intervenue postérieurement à l'arrêt préjudiciel de la Cour. Il souhaitait savoir si le juge national avait le pouvoir de surseoir à statuer jusqu'à ce que la Commission se soit prononcée sur la compatibilité de l'aide. Il voulait, par ailleurs, savoir si, dans l'hypothèse où la Commission a déclaré à trois reprises l'aide compatible avec le marché commun, avant que ces décisions soient annulées par le Tribunal, une telle situation est susceptible de constituer une circonstance exceptionnelle pouvant conduire le juge national à limiter l'obligation de récupération de l'aide.

B - L'interdiction pour le juge national de surseoir à statuer dans l'attente de la décision définitive de la Commission

De manière tout à fait cohérente, la Cour de justice rappelle que, dans l'hypothèse où une décision de la Commission a été annulée par le juge communautaire, cette décision est supposée n'avoir jamais existé. Il s'agit d'une conséquence du caractère rétroactif de l'arrêt. Dès lors, la juridiction nationale se trouve, également, dans la même situation que si elle était saisie d'une demande de restitution dans l'hypothèse où l'aide n'aurait pas été notifiée. En effet, dans une telle situation, il n'existe aucune décision de compatibilité de l'aide de la Commission.

La Cour de justice rappelle de manière classique "que l'article 88, paragraphe 3, CE confie aux juridictions nationales la mission de sauvegarder, jusqu'à la décision finale de la Commission, les droits des justiciables face à une méconnaissance éventuelle, par les autorités étatiques, de l'interdiction édictée par cette disposition" (point n° 26). L'effet direct ainsi reconnu à cette disposition rend la mission du juge national relativement complexe dans la mesure où seule la Commission a, par ailleurs, le pouvoir de déclarer l'aide compatible avec le marché commun. Dès lors, la Cour de justice a jugé, dans l'arrêt "SFEI" (CJCE, 11 juillet 1996, aff . C-39/94, Syndicat français de l'Express international et autres c/ La Poste N° Lexbase : A4973AW4, Rec., p. I-3547), qu'en dépit de l'ouverture d'une procédure devant la Commission, les juridictions nationales devaient protéger les droits des justiciables (des entreprises concurrentes au bénéficiaire de l'aide) découlant de l'obligation de notification de l'article 108 TUE, paragraphe 3. Les juridictions nationales ont, par conséquent, l'obligation de prononcer les mesures propres à remédier à l'illégalité de la mise à exécution des aides, afin que le bénéficiaire ne puisse les percevoir jusqu'à la décision de la Commission.

La Cour en déduit alors logiquement qu'"une décision de sursis à statuer produirait, de facto, le même résultat qu'une décision de rejet de la demande de mesures de sauvegarde. Elle aboutirait, en effet, à ce qu'aucune décision sur le bien-fondé de cette demande ne soit prise avant la décision de la Commission. Elle reviendrait à maintenir le bénéfice d'une aide pendant la période d'interdiction de mise à exécution, ce qui serait incompatible avec l'objet même de l'article 88, paragraphe 3, CE [devenu article 108 TUE] et priverait cette disposition de son effet utile" (point n° 31). Cela conduirait à remettre en cause l'effectivité des procédures nationales.

Dès lors, il appartient à la juridiction nationale de prononcer des mesures de sauvegarde sous trois conditions : l'on doit être en présence d'une aide, que celle-ci soit versée ou ait déjà été versée, et il ne doit pas exister de circonstances exceptionnelles rendant "inappropriées" (sic !) cette aide. La Cour précise que les mesures de sauvegarde consistent à ordonner la restitution de l'aide ou, tout le moins, à ordonner le versement des fonds sur un compte bloqué, afin que le bénéficiaire n'en conserve pas la disposition. Cette dernière possibilité a été suggérée par une communication de la Commission relative à l'application des règles en matière d'aides d'Etat par les juridictions nationales. La Cour précise, en outre, qu'une simple condamnation au paiement d'intérêts sur des sommes qui demeureraient dans les comptes de l'entreprise ne respecterait pas l'obligation de "standstill" édictée à l'article 88, paragraphe 3, CE. Elle estime, de manière fort cohérente, que l'entreprise n'aurait pas nécessairement pu obtenir sur le marché bancaire un prêt d'un égal montant aux aides versées.

Il restait donc à la Cour à se prononcer sur la notion de circonstances exceptionnelles.

C - La notion de circonstance exceptionnelle permettant la limitation de l'obligation de récupération

La Cour de justice avait jugé que "la possibilité, pour le bénéficiaire d'une aide illégale, d'invoquer des circonstances exceptionnelles, qui ont légitimement pu fonder sa confiance dans le caractère régulier de cette aide, et de s'opposer, par conséquent, à son remboursement, ne saurait certes être exclue" (CJCE, 20 septembre 1990, aff. C-5/89, Commission des Communautés européennes c/ République fédérale d'Allemagne N° Lexbase : A9405AUU, Rec., p. I-3437, spéc. n° 16). La Cour visait, ici, l'hypothèse dans laquelle l'entreprise bénéficiaire de l'aide pouvait légitimement penser que l'aide avait fait l'objet d'une notification par l'Etat. Dans son premier arrêt "CELF" (CJCE, 12 février 2008, aff. C-199/06, précité), la Cour avait souligné le caractère spécifique de l'affaire dans laquelle trois décisions de la Commission, déclarant la compatibilité de l'aide, avaient déjà été adoptées, mais dont deux avaient été annulées. Le contexte des deux affaires était donc différent.

La Cour avait alors souligné, et elle le rappelle de nouveau, "qu'une confiance légitime du bénéficiaire de l'aide ne peut naître d'une décision positive de la Commission, d'une part, lorsque cette décision a été contestée dans les délais de recours contentieux puis annulée par le juge communautaire, ni, d'autre part, tant que le délai de recours n'est pas expiré ou, en cas de recours, tant que le juge communautaire ne s'est pas définitivement prononcé" (point n° 45). La suite de la motivation n'est guère charitable pour le Conseil d'Etat français et pour la Commission européenne. Elle laisse, en effet, entendre que, dès le premier arrêt "CELF", il était clair que l'existence d'une série de décisions positives de la Commission, ensuite annulées par le TPIUE, ne constituait pas une circonstance exceptionnelle. La survenance d'une troisième annulation n'y change rien. La Cour souligne, non sans malice, que "la succession peu courante de trois annulations traduit, a priori, la difficulté de l'affaire et, loin de faire naître une confiance légitime, apparaît plutôt de nature à accroître les doutes du bénéficiaire quant à la compatibilité de l'aide litigieuse". Il s'agit là d'une allusion à peine voilée à la complaisance de la Commission à l'égard des autorités françaises...

Olivier Dubos, Professeur de droit public à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

newsid:387505

Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] Contestation de la représentativité syndicale pendant la période transitoire instituée par la loi du 20 août 2008

Réf. : Cass. soc., 31 mars 2010, n° 09-60.115, Société Sonodina c/ Mme Laetitia Rocher, F-P+B (N° Lexbase : A4141EUW)

Lecture: 7 min

N7423BNA

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3212626-edition-n-391-du-15-04-2010#article-387423
Copier

par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010


Interprétant les dispositions transitoires de la loi du 20 août 2008 (1), la Cour de cassation a récemment considéré que celles-ci maintiennent, jusqu'aux résultats des premières élections professionnelles postérieures à la date de publication de la loi, à titre de présomption qui n'est pas susceptible de preuve contraire, la représentativité des syndicats à qui cette qualité était reconnue avant cette date. La situation n'est, cependant, pas figée puisque, durant cette même période transitoire, d'autres syndicats peuvent accéder à la représentativité que ce soit par l'affiliation, ou en la prouvant. Un arrêt rendu le 31 mars 2010 par la Chambre sociale tire les premières conséquences de cette position de principe, en affirmant qu'un syndicat qui ne bénéficie pas des présomptions précitées peut voir sa représentativité contestée en justice.


Résumé

Durant la période transitoire instituée par la loi du 20 août 2008, l'employeur est en droit de contester la représentativité d'un syndicat ne bénéficiant pas des présomptions édictées par l'article 11, IV de la loi du 20 août 2008.
La participation d'un syndicat à la négociation d'un accord collectif ne saurait emporter renonciation par l'employeur à contester ultérieurement sa représentativité.

I - Dispositions transitoires de la loi du 20 août 2008 et représentativité syndicale

  • L'interprétation prétorienne des dispositions transitoires

Par trois importants arrêts rendus le 10 mars 2010, commentés dans ces mêmes colonnes, la Cour de cassation a précisé le sens des dispositions transitoires instituées par la loi du 20 août 2008 relativement à la représentativité syndicale (2).

Ces trois décisions comportaient le même motif de principe que l'on retrouve reproduit à l'identique dans l'arrêt sous examen. Aux termes de celui-ci, "si les dispositions transitoires des articles 11, IV, et 13 de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 ont maintenu jusqu'aux résultats des premières élections professionnelles postérieures à la date de la publication de la loi, à titre de présomption qui n'est pas susceptible de preuve contraire, la représentativité des syndicats à qui cette qualité était reconnue, avant cette date, soit par affiliation à l'une des organisations syndicales représentatives au niveau national ou interprofessionnel, soit parce qu'ils remplissaient les critères énoncés à l'article L. 2121-1 du Code du travail (N° Lexbase : L3727IBN) alors en vigueur, les nouvelles dispositions légales, interprétées à la lumière des articles 6 et 8 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 (N° Lexbase : L6821BH4) n'excluent pas qu'un syndicat qui ne bénéficie pas de cette présomption puisse établir sa représentativité, soit par affiliation postérieure à l'une des organisations syndicales représentatives au niveau national ou interprofessionnel, soit en apportant la preuve qu'il remplit les critères énoncés à l'article L. 2121-1 du Code du travail dans sa rédaction issue de cette loi, à la seule exception de l'obtention d'un score électoral de 10 % auquel il devra satisfaire dès les premières élections professionnelles organisées dans l'entreprise".

L'interprétation retenue des dispositions de la loi du 20 août 2008, et spécialement de son article 11, IV, invite à distinguer, durant la période transitoire, deux groupes de syndicats : ceux qui bénéficient d'une présomption irréfragable de représentativité et ceux dont la représentativité peut être contestée.

  • Présomption irréfragable de représentativité et contestation de la représentativité

Jusqu'aux résultats des premières élections professionnelles postérieures à la date de publication de la loi (i.e. la période transitoire), certains syndicats bénéficient d'une présomption de représentativité qui n'est pas susceptible de preuve contraire. Sont concernés les syndicats qui, à la date de publication de la loi, bénéficiaient de la représentativité, soit par affiliation à l'une des organisations syndicales représentatives au niveau national ou interprofessionnel, soit parce qu'ils avaient fait la preuve, à cette même date, de leur représentativité sur le fondement des critères énoncés à l'article L. 2121-1 du Code du travail dans sa rédaction alors en vigueur (3). Ces syndicats jouissent d'une position privilégiée puisque leur représentativité ne peut en aucune façon être contestée.

Reste alors le cas des syndicats qui viendraient à établir leur représentativité, soit par affiliation postérieure à la publication de la loi, soit en apportant la preuve qu'ils remplissent les critères énoncés à l'article L. 2121-1 dans sa rédaction issue de cette loi, à la seule exception d'un score électoral de 10 %. Doit-on considérer, pour reprendre les termes de la Cour de cassation, que ces syndicats bénéficient "des présomptions édictées par l'article 11, IV, de la loi" (4) ? S'agissant des seconds, la réponse ne fait guère de doute : ils ne bénéficient pas d'une telle présomption. C'est ce que tend à confirmer l'arrêt sous examen, dans lequel était en cause un syndicat autonome (5). Par voie de conséquence, dès lors qu'un tel syndicat entend exercer une prérogative attachée à la représentativité, celle-ci peut être contestée en justice, ainsi qu'il sera vu plus avant.

La difficulté concerne les syndicats qui viendraient à s'affilier à une organisation syndicale représentative au plan national interprofessionnel durant la période transitoire. Du fait de cette affiliation, ils bénéficient de la représentativité. Mais, celle-ci supporte-t-elle la preuve contraire ? Il nous semble difficile de l'admettre tant en droit qu'en fait. Tout d'abord, et à la différence de la représentativité prouvée qui, par définition, n'est pas acquise tant qu'elle n'a pas été établie, la représentativité par affiliation découle de ce seul acte juridique. En d'autres termes, dès lors que l'affiliation est effective, la représentativité est acquise. En outre, en admettant que cette représentativité supporte la preuve contraire, on peine à imaginer sur quel(s) fondement(s), ou plus exactement sur quel(s) critère(s), elle pourrait être contestée.

Si tant est que cette interprétation soit la bonne, seuls les syndicats non affiliés à une organisation représentative au plan national interprofessionnel pourraient donc voir leur représentativité contestée.

II - Les modalités de la contestation de représentativité

  • La solution

En l'espèce, par lettre du 17 septembre 2008, le syndicat autonome des services défense des salariés (SASDS) avait notifié à une société la création d'une section syndicale au sein de l'entreprise et la désignation de Mme X en qualité de déléguée syndicale. Cette dernière avait été remplacée le 7 janvier 2009, avant d'être à nouveau désignée le 26 février 2009. Contestant la représentativité du syndicat au niveau de l'entreprise, la société avait saisi le tribunal d'instance d'une demande d'annulation de cette dernière désignation.

Pour débouter la société de cette demande, le jugement attaqué avait relevé que l'employeur n'avait contesté ni la représentativité du SASDS lors de la création de la section syndicale, ni la première désignation de Mme X le 17 septembre 2008. Il avait, en outre, invité l'intéressée aux réunions du comité d'entreprise postérieures et le syndicat avait participé le 13 janvier 2009 à la négociation d'un accord d'entreprise relatif au temps d'habillage et de déshabillage. Les juges du fond avaient, par suite, retenu que le syndicat en cause avait été reconnu de fait comme représentatif dans l'entreprise en sorte que la désignation de Mme X était régulière.

Cette décision est censurée par la Cour de cassation au visa des articles 11, IV, et 13 de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 et de l'article L. 2121-1 du Code du travail dans sa rédaction issue de la loi. Ainsi que l'affirme la Chambre sociale, "en statuant ainsi, alors, d'une part, que jusqu'aux prochaines élections professionnelles, la désignation de Mme [X] le 26 février 2009 ouvrait une nouvelle faculté de contestation de la représentativité du syndicat qui ne bénéficiait pas des présomptions édictées par l'article 11, IV, de la loi, d'autre part, que la participation d'un syndicat à la négociation d'un accord collectif ne saurait emporter renonciation par l'employeur à contester ultérieurement sa représentativité, enfin, que la création d'une section syndicale n'est pas réservée aux seuls syndicats représentatifs dans l'entreprise, le tribunal a violé les textes susvisés".

  • Appréciation

Manifestant une méconnaissance certaine du mécanisme de la représentativité prouvée, la décision des juges du fond appelait, de manière inéluctable, la censure. Quelques rappels sont à cet égard nécessaires. Tout d'abord, la représentativité n'est jamais contestée dans l'absolu. Elle ne peut l'être que lors de l'exercice d'une prérogative qui lui est attachée. Ensuite, et aussi critiquable que cela puisse paraître, cette représentativité peut être contestée à chaque fois qu'une telle prérogative est exercée (6). Il ne faut, en effet, pas oublier que la représentativité est constatée à un moment donné : un syndicat antérieurement jugé non représentatif peut le devenir, tandis que celui-ci qui avait été déclaré représentatif peut en perdre le bénéfice. Enfin, on ne saurait admettre que l'employeur puisse "reconnaître", ne serait-ce qu'en fait, la représentativité d'un syndicat (7). Pour le dire de manière plus juridique, et en reprenant les termes de la Cour de cassation, l'employeur ne saurait renoncer à l'avance, que ce soit de manière implicite ou explicite, à son droit de contester la représentativité d'un syndicat liée, nous l'avons vu, à l'exercice d'une prérogative qui lui est attachée.

Ainsi, l'employeur qui ne conteste pas la participation d'un syndicat à une négociation collective ne "reconnaît" pas sa représentativité (8) et conserve donc le droit de contester celle-ci lors de l'exercice ultérieur par ce même syndicat d'une prérogative exigeant cette qualité, telle que, par exemple, la désignation d'un délégué syndical. En l'espèce, l'employeur était donc en droit de contester la nouvelle désignation de Mme X. La solution aurait été différente s'il n'y avait pas eu une "nouvelle" désignation. Mais cela aurait été la conséquence de la règle selon laquelle, passé le délai de quinze jours, la désignation est purgée de tous vices.

Au final, la solution retenue apparaît parfaitement justifiée, même si elle laisse encore dans l'ombre certaines interrogations (9). On ne saurait, toutefois, en faire le reproche à la Cour de cassation qui ne pouvait aller au-delà du pourvoi dont elle était saisie. On ajoutera que cet arrêt a d'indéniables vertus pédagogiques pour l'avenir. A terme, en effet, ne subsistera plus que la représentativité prouvée. Faut-il pour autant s'inquiéter d'une multiplication des recours aux juges aux fins de contestation de la représentativité ? On peut en douter. D'une part, certaines prérogatives qui étaient antérieurement réservées aux seuls syndicats représentatifs sont désormais plus largement ouvertes. D'autre part, on peut penser que pour ne pas être le seul critère de représentativité, le fait d'atteindre le seuil fatidique de 10 % des suffrages aux élections professionnelles bridera quelque peu les velléités de contestation.


(1) Loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail (N° Lexbase : L7392IAZ). Voir nos deux éditions spéciales, Lexbase Hebdo n° 317 du 11 septembre 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N9830BG8) et Lexbase Hebdo n° 318 du 18 septembre 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N1826BH4).
(2) Cass. soc., 10 mars 2010, 3 arrêts, n° 09-60.065, Société Elidis boissons services, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A9741ESL), n° 09-60.246, Syndicat Sud aérien, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A9742ESM) et n° 09-60.282, Pôle emploi Auvergne, FS-P+B+R (N° Lexbase : A1867ETC). Lire notre chron., Portée des dispositions transitoires de la loi du 20 août 2008 relativement à l'établissement de la représentativité syndicale, Lexbase Hebdo n° 388 du 26 mars 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N6056BNM).
(3) Il faut donc comprendre que, par l'effet des dispositions transitoires, une représentativité prouvée se mue, pendant cette période, en représentativité présumée.
(4) On est tenté d'ajouter, "tel qu'interprété par la Cour de cassation".
(5) C'est-à-dire un syndicat non affilié à l'une des organisations syndicales représentatives au plan national interprofessionnel.
(6) Ce qui permet de comprendre tout l'intérêt de la présomption irréfragable de représentativité.
(7) Cela a d'autant moins de sens qu'il n'est pas le seul à pouvoir contester la représentativité d'un syndicat.
(8) Ne parlons même pas de la création d'une section syndicale dont la Cour de cassation rappelle, à très juste titre, que, depuis la loi du 20 août 2008, elle n'est plus réservée aux syndicats représentatifs.
(9) On peut, néanmoins, s'interroger sur la référence faite "aux prochaines élections professionnelles". Il ne faudrait pas comprendre cela comme interdisant de contester la représentativité d'un syndicat postérieurement à cette date, aurait-il obtenu 10 % des suffrages.


Décision

Cass. soc., 31 mars 2010, n° 09-60.115, Société Sonodina c/ Mme Laetitia Rocher, F-P+B (N° Lexbase : A4141EUW)

Cassation partielle de TI Puteaux, contentieux des élections professionnelles, 31 mars 2009

Textes visés : loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail, art. 11, IV, et 13 (N° Lexbase : L7392IAZ) ; C. trav., art. L. 2121-1 (N° Lexbase : L3727IBN)

Mots clefs : représentativité syndicale ; loi du 20 août 2008 ; dispositions transitoires ; contestation de la représentativité

Lien base :

newsid:387423

Droit constitutionnel

[Manifestations à venir] La question prioritaire de constitutionnalité, un nouveau droit pour le justiciable

Lecture: 1 min

N7448BN8

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3212626-edition-n-391-du-15-04-2010#article-387448
Copier

Le 07 Octobre 2010

A l'initiative du tribunal de grande instance de Créteil, l'Ordre des avocats du Barreau du Val-de-Marne organise, en association avec la Faculté de Droit de Paris-Est, le mardi 11 mai 2010, une conférence débat sur le thème de "la question prioritaire de constitutionnalité, un nouveau droit pour le justiciable".
  • Accueil et présentation générale

Henri-Charles Egret, Président du tribunal de grande instance de Créteil
Jean-Jacques Bosc, Procureur de la République près le tribunal de grande instance de Créteil
Jean-Jacques Israël, Doyen de la Faculté de Droit de Paris-Est
Arnauld Bernard, Bâtonnier de l'Ordre des avocats du Barreau du Val-de-Marne

  • Programme

- La question prioritaire de constitutionnalité, nouvel eldorado pour les droits fondamentaux ?
- La question prioritaire de constitutionnalité, quelle question ? (aspect substantiel)
- La question prioritaire de constitutionnalité, comment la poser ? (aspect procédural)
- Table ronde : premiers regards sur une révolution constitutionnelle

  • Intervenants

Jacqueline de Guillenchmidt, Membre du Conseil constitutionnel
Anne Levade, Professeur à la Faculté de Droit de Paris-Est
Alain Lacabarats, Président de chambre à la Cour de cassation
Corinne Ledamoisel, Présidente de chambre au tribunal administratif de Melun
Jean-Yves Le Bouillonnec, avocat et député-maire de Cachan
Emmanuel Piwnica, Avocat aux Conseils
Xavier Delcros, Avocat et Professeur de droit

  • Date

Mardi 11 mai 2010
9h00 - 12h30

(entrée libre)

  • Lieu

Palais de justice de Créteil
Salle A
17-19, rue Pasteur Valléry-Radot
94011 Créteil cedex

  • Renseignements

Tél : 01-45-17-06-06
Fax : 01-42-07-04-18
Mail : bl.ordre94@wanadoo.fr

La participation des avocats à cette conférence débat sera validée au titre de la formation continue.

newsid:387448

Entreprises en difficulté

[Chronique] Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté de Pierre-Michel Le Corre et Emmanuelle Le Corre-Broly - Avril 2010

Lecture: 13 min

N7479BNC

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3212626-edition-n-391-du-15-04-2010#article-387479
Copier

Le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique de Pierre-Michel Le Corre et Emmanuelle Le Corre-Broly, retraçant l'essentiel de l'actualité juridique rendue en matière de procédures collectives. Ont été sélectionnés, ce mois-ci, deux arrêts : tout d'abord, dans le premier arrêt en date du 2 mars 2010, la cour d'appel de Rennes se prononce sur l'articulation des dispositions du droit des entreprises en difficulté avec celles régissant les mesures d'exécution et les mesures conservatoires. En effet, les juges rennais considèrent que le créancier ne peut prendre des mesures conservatoires pendant la période d'observation, à l'encontre d'une caution personnelle personne physique, que si l'assignation au fond est antérieure au jugement d'ouverture et poursuivent leur raisonnement en retenant que la mesure conservatoire prise ne peut être maintenue au prétexte que la créance ne serait pas exigible contre la caution. Ensuite, dans le second arrêt sélectionné cette semaine et daté du 30 mars 2010, la Chambre commerciale de la Cour de cassation apporte une précision utile concernant la technique de la purge des inscriptions de sûretés grevant les biens en présence d'un plan de cession.
  • La poursuite de la caution pendant le plan de sauvegarde (CA Rennes, 2ème ch., 2 mars 2010, n° 09/01711, Banque Populaire Atlantique BPA SA c/ M. Michel Evin N° Lexbase : A9011ETW)

Depuis la loi du 10 juin 1994 (loi n° 94-475, relative à la prévention et au traitement des difficultés des entreprises N° Lexbase : L9127AG7), le législateur a entendu aménager la situation des cautions personnes physiques, afin, avait-il pensé, d'inciter les dirigeants, généralement caution de leur société, à saisir la juridiction au plus vite pour le traitement des difficultés de leur entreprise.
Poursuivant sa démarche, en 2005 (loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005, de sauvegarde des entreprises N° Lexbase : L5150HGT), le législateur a souhaité étendre la protection instituée au profit des codébiteurs et des garants autonomes, personnes physiques. En 2008 (ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008, portant réforme du droit des entreprises en difficulté N° Lexbase : L2777ICT), enfin, le législateur a étendu le dispositif à tous les garants personnes physiques.
Il résulte ainsi désormais de l'article L. 622-28, alinéa 2, du Code de commerce (N° Lexbase : L3512IC3) que "le jugement d'ouverture suspend jusqu'au jugement arrêtant le plan ou prononçant la liquidation toute action contre les personnes physiques coobligées ou ayant consenti un cautionnement ou une garantie autonome".

Cette interdiction de poursuite des garants personnes physiques doit toutefois être coordonnée avec la liberté pour les créanciers de pratiquer des mesures conservatoires sur les biens de ceux-ci. En ce sens, l'alinéa 3 de l'article L. 622-28 du Code de commerce prévoit que "les créanciers bénéficiaires de ces garanties peuvent prendre des mesures conservatoires".
Aucune difficulté ne se présente si le créancier a assigné au fond les garants personnes physiques avant le jugement d'ouverture de la procédure collective du débiteur principal. Il pourra alors valablement prendre sa mesure conservatoire pendant la période d'observation.
Une difficulté, en revanche, se présente si le créancier, comme c'était le cas en l'espèce, n'a pas encore lancé son assignation au jour du jugement d'ouverture de la procédure collective du débiteur.
Il faut, en effet, coordonner les textes du droit des entreprises en difficulté avec les textes régissant les mesures d'exécution et les mesures conservatoires.

La prise de mesures conservatoires présuppose qu'après la mesure conservatoire autorisée par le juge de l'exécution ou le président du tribunal de commerce, sauf pour le créancier à être en possession d'un titre, mais non exécutoire, le créancier assigne ou procède par voie d'injonction de payer, pour valider la mesure conservatoire, dans le mois qui suit l'exécution de la mesure (décret n° 92-755, du 31 juillet 1992, art. 215 N° Lexbase : L3625AHQ). Or, l'instance ne peut être lancée. L'article R. 622-26, alinéa 2, du Code de commerce (N° Lexbase : L0898HZB, anciennement décret n° 2005-1677 du 28 décembre 2005, art. 101, al. 2 N° Lexbase : L3297HET) se contente d'indiquer, pour sa part, qu'"en application du troisième alinéa de l'article L. 622-28, ces créanciers peuvent pratiquer des mesures conservatoires, dans les conditions prévues aux articles 210 [N° Lexbase : L3620AHK] et suivants du décret n° 92-755 du 31 juillet 1992 instituant de nouvelles règles relatives aux procédures civiles d'exécution, pour l'application de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution [N° Lexbase : L9124AGZ]". La difficulté reste entière. Il faut pourtant essayer de coordonner le principe de suspension des actions en justice et celui de la liberté de prise de mesures conservatoires.

La lettre de l'article L. 622-28, alinéa 2, du Code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi de sauvegarde des entreprises, évoque une suspension des actions. Pour qu'il en soit ainsi, encore faut-il que l'action ait été engagée. Si elle ne l'a pas été avant le jugement d'ouverture, elle ne peut plus l'être après. C'est ce que décide la deuxième chambre de la Cour de cassation (1). Ainsi, selon cette analyse, la possibilité de prendre des mesures conservatoires pendant la période d'observation, à l'encontre d'une caution personnelle personne physique est-elle extrêmement limitée. Ce n'est en effet que si l'assignation au fond est antérieure au jugement d'ouverture et donc à la prise de la mesure conservatoire que cette dernière sera possible. C'est la solution fidèlement adoptée en l'espèce par la cour d'appel de Rennes, qui prend d'ailleurs le plus grand soin dans ses motifs de viser cet arrêt.

Ce n'est pourtant assurément pas ce qu'avait voulu le législateur, qui avait clairement autorisé la possibilité pour les créanciers, non seulement dans le redressement judiciaire, mais aussi dans la sauvegarde, de prendre des mesures conservatoires afin d'interdire aux garants personnes physiques d'organiser en toute légalité leur insolvabilité. En somme, le législateur ménageait la chèvre et le chou.

Aussi faut-il préférer la solution de la Chambre commerciale de la Cour de cassation qui a restauré l'esprit du texte de l'article L. 621-48, alinéa 2, du Code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi de sauvegarde des entreprises (N° Lexbase : L6900AIE, devenu C. com. art. L 622-28, al. 2) en décidant qu'"en application du deuxième de ces textes [décret du 31 juillet 1992, art. 215], si ce n'est dans le cas où elle a été pratiquée avec un titre exécutoire, le créancier qui a été autorisé à pratiquer une mesure conservatoire contre une caution personnelle personne physique doit, dans le mois qui suit l'exécution de la mesure, à peine de caducité, introduire une procédure ou accomplir les formalités nécessaires à l'obtention d'un titre exécutoire, même si le débiteur principal a fait l'objet d'un redressement judiciaire ; que dans ce cas l'instance engagée est suspendue jusqu'au jugement arrêtant le plan de redressement ou prononçant la liquidation judiciaire du débiteur principal" (2).

En interdisant au créancier de lancer son assignation au fond pendant la période d'observation, la cour d'appel de Rennes nous semble aller au-delà de l'esprit des textes.

Elle va, en outre, prolonger son raisonnement au stade de l'exécution du plan de sauvegarde. La difficulté est alors grande. En effet, selon l'article L. 626-11, alinéa 2, du Code de commerce (N° Lexbase : L3459IC4), les cautions personnes physiques bénéficient des dispositions du plan de sauvegarde. Il en résulte qu'elles peuvent bénéficier tout à la fois des remises et des délais du plan. La question qui nous intéresse plus spécialement ici est celle des délais.
Le créancier peut-il faire condamner une caution personne physique, après l'adoption du plan de sauvegarde ? A priori, les textes ne l'interdisent pas. Mieux même, ils semblent bien le permettre. En effet, les poursuites contre les cautions personnes physiques sont, selon l'alinéa 2 de l'article L. 622-28, suspendues jusqu'au jugement arrêtant le plan de sauvegarde. Il faut donc comprendre, face à un texte restrictif de droits, qui mérite une interprétation stricte, que la poursuite devient possible sitôt le plan de sauvegarde adopté. Oui, mais pour qu'il en soit ainsi, encore faut-il qu'une dette soit exigible pour que la caution puisse être condamnée à la payer. Or, si la dette n'est pas exigible contre le débiteur principal, elle ne peut l'être davantage contre une caution. Là prend toute son importance la disposition de l'alinéa 2 de l'article L. 626-11 du Code de commerce : les cautions personnes physiques bénéficient des dispositions du plan de sauvegarde. Si la dette est "moratoriée" à l'égard du débiteur, cela signifie qu'elle l'est tout autant contre la caution. Par principe, donc, le créancier, même après l'adoption du plan de sauvegarde, ne peut donc faire condamner la caution à payer une dette qui n'est pas exigible.

Il en ira différemment si le débiteur a laissé impayé un dividende de son plan de sauvegarde.
Il faut alors décider que le principe de possibilité de reprise des poursuites existe, puisqu'il résulte de l'interprétation sans équivoque de la lettre de l'article L. 622-28, alinéa 2, du Code de commerce, mais que la condamnation de la caution ne peut intervenir qu'à hauteur des sommes devenues exigibles contre le débiteur au fur et à mesure de l'exécution du plan et, par voie accessoire, contre la caution.
Cette solution interdit de prendre le jugement de condamnation contre la caution, malgré la fin de la période d'observation, pour la totalité des sommes dues par le débiteur, puisque ces sommes ne sont pas immédiatement exigibles, du fait des délais du plan de sauvegarde, dont bénéficie la caution personne physique.

Faut-il pour autant considérer, comme l'a fait la cour d'appel de Rennes, que la mesure conservatoire prise ne peut être maintenue au prétexte que la créance ne serait pas exigible contre la caution ? Une réponse négative s'impose clairement et pour une raison très simple : la mesure conservatoire ne présuppose nullement l'exigibilité de la créance qu'elle entend garantir. La cour d'appel est donc allée trop loin.

La solution consiste donc à admettre la possibilité d'inscrire la mesure conservatoire pendant la période d'observation et, pour ce faire, au besoin d'assigner au fond la caution pendant cette même période. En revanche, l'instance au fond doit ensuite se trouver suspendue pendant toute la durée d'interdiction d'exécution contre la caution. Pendant la suspension de cette action, le créancier procédera autant que de besoin au renouvellement de la mesure conservatoire pratiquée, qui est atteinte de caducité à l'expiration d'un délai de trois ans. Si le débiteur manque à l'exécution de ses obligations du plan de sauvegarde, le créancier est en droit de poursuivre la caution et donc d'obtenir sa condamnation. L'affaire placée au rôle de la juridiction pourra alors en ressortir pour autoriser la condamnation de la caution à hauteur des sommes laissées impayées par le débiteur principal, qui seront identiquement devenues exigibles contre la caution.

Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du CERDP (ex Crajefe) et Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises

  • Biens non compris dans le plan de cession et purge des inscriptions de sûretés (Cass. com., 31 mars 2010, n° 09-13.101, F-P+B N° Lexbase : A4103EUI)

Le plan de cession est une technique de sauvetage de l'entreprise par sa cession à un tiers, le repreneur. Ce dernier n'est pas l'ayant cause à titre particulier du débiteur cédant. Il n'a donc pas à payer le passif de ce dernier. Il s'engage à payer un prix de cession, forfaitaire et global, qui permettra d'apurer le passif, c'est-à-dire de l'éteindre, avec ou sans paiement. En effet, le prix de cession constitue, par principe, la limite des engagements du repreneur. En conséquence, les créanciers du débiteur cédant n'ont aucune action personnelle contre le repreneur. Ils n'ont pas davantage de droit de suite à son encontre.

La solution est exactement reproduite par l'article 93 de la loi du 25 janvier 1985 (N° Lexbase : L6733AHT). Selon l'alinéa 4 de ce texte, le complet paiement du prix emporte purge des inscriptions grevant les biens compris dans la cession. De manière redondante, l'alinéa 2 de l'article 93 prévoit que le paiement du prix de cession fait obstacle à l'exercice, à l'encontre du cessionnaire, des droits des créanciers inscrits sur ces biens. Précisons que ces dispositions sont respectivement devenues les alinéas 3 et 2 de l'article L. 642-12 du Code de commerce (N° Lexbase : L3334ICH), depuis la loi de sauvegarde des entreprises.
Cela signifie donc que le complet paiement du prix de cession fait disparaître la sûreté qui grève le bien cédé, alors même qu'il n'emporterait pas paiement du créancier inscrit.

Par exception à cette règle selon laquelle le créancier inscrit sur les biens cédés n'a pas d'action contre le repreneur, l'alinéa 3 de l'article 93 de la loi du 25 janvier 1985 (devenu C. com., art. L. 642-12, al. 4) réglemente une technique appelée transfert de la charge de la sûreté, qui oblige le repreneur à payer aux créanciers inscrits les sommes restant dues après l'entrée en jouissance du repreneur, entre les mains du prêteur, qui a financé le bien sur lequel la sûreté a été inscrite en garantie du prêt.
La règle est clairement conçue comme une exception au principe d'absence de prise en charge des dettes du débiteur d'origine par le repreneur. Elle est évidemment d'interprétation stricte et son application présuppose que toutes les conditions posées par le texte soient réunies : des échéances d'un crédit restant à échoir après l'entrée en jouissance du repreneur, ayant servi au financement d'un bien, une inscription de sûreté sur ce bien en garantie du financement et, enfin, l'intégration dans le plan de cession du bien grevé de la sûreté.

En l'espèce, une banque avait accordé un prêt à une société d'économie mixte (SEM), destiné à la construction d'un ensemble immobilier. Ce prêt avait été garanti par des hypothèques conventionnelles inscrites sur chacun des lots. En 1985, l'emprunteur devait vendre à terme à une personne physique, Mme A., deux lots, chacun grevé d'une hypothèque. Quatre ans plus tard, la SEM est placée en redressement judiciaire. Deux ans plus tard, en 1991, un plan de cession est adopté au profit notamment d'une société. La personne physique ayant acquis en 1985 les deux lots les revend en 1997, c'est-à-dire six ans après adoption du plan de cession, à une autre personne physique, Mme R.. Cette dernière cherche à son tour à vendre ensuite ces deux lots, mais elle ne le peut, au motif que les hypothèques inscrites sur ces deux lots n'avaient toujours pas été purgées. Dans ce contexte, Mme R. assigne le repreneur, aux fins d'obtenir la mainlevée des inscriptions d'hypothèques. Cette dernière assigne pour sa part, aux mêmes fins, le prêteur.
La cour d'appel, pour justifier la condamnation de la banque à donner mainlevée des hypothèques, relève, d'une part, que le prix de cession avait été intégralement versé par le repreneur, et, d'autre part, qu'il n'y avait pas eu transfert du prêt garanti au profit de Mme R., acquéreur final des deux lots hypothéqués.
Un pourvoi est alors formé par la banque. La question qui se posait était de savoir si le prêteur pouvait être condamné à donner mainlevée des inscriptions d'hypothèques, alors que les biens grevés de la sûreté n'avaient pas été cédés au repreneur, mais à un tiers, avant le jugement arrêtant le plan de cession. A cette question, la Cour de cassation, censurant la décision de la cour d'appel, répond par la négative. Elle reproche à la cour d'appel de s'être déterminée "sans rechercher si les biens immobiliers de Mme R. et sur lesquels étaient inscrites les deux hypothèques prises au profit [de la banque], étaient inclus dans le plan de cession".

La question n'était pas simple. Il s'agissait de coordonner les règles relatives au droit de suite, à la purge des inscriptions de sûreté et au plan de cession. Or la cour d'appel, manifestement, a eu une coordination erronée des principes applicables en la matière.

La question de l'application du transfert de la charge de la sûreté ne devait pas se poser en l'espèce. Pourquoi ? Tout simplement parce que le bien grevé de sûreté avait été vendu à un tiers, avant l'adoption du plan de cession, et non au repreneur, dans le cadre de ce même plan de cession. L'article 93, alinéa 3, de la loi du 25 janvier 1985 était absolument sans application puisqu'il n'y a pas eu, en l'occurrence, intégration d'un bien grevé de sûreté dans un plan de cession. Le bien avait été vendu, en effet, avant l'adoption du plan.
Puisque la règle du transfert de la charge la sûreté, qui constitue une exception au principe de la purge des inscriptions de sûreté, n'avait pas vocation à s'appliquer, il ne restait plus, a priori, qu'à appliquer le principe : le complet paiement du prix de cession emporte purge des inscriptions. Les sûretés disparaissent par le seul effet de l'adoption du plan de cession.
Toutefois, cette règle est enfermée dans des conditions précises. Le complet paiement du prix de cession emporte certes purge des inscriptions, mais si et seulement si les biens grevés de la sûreté sont compris dans le plan de cession. Il n'emporte pas purge des inscriptions des biens cédés à des tiers avant l'adoption du plan cession.

Le droit commun des hypothèques, dans ce contexte, a pleine vocation à s'appliquer, faute de disposition contraire. Lorsqu'un bien grevé d'une hypothèque est successivement cédé, l'hypothèque suit l'immeuble entre quelques mains qu'ils passent. Ce n'est là que l'application du droit de suite. Tant que le banquier prêteur n'est pas remboursé du prêt consenti, l'hypothèque subsiste.
Il y a donc eu, en l'occurrence, des erreurs dans l'affectation des fonds. Lors de la première vente intervenue, c'est-à-dire celle effectuée entre la SEM et Mme A., les fonds auraient dû être reversés par le vendeur au prêteur hypothécaire. A la suite de cette première vente, les fonds versés à Mme A. par Mme R. auraient identiquement dû être affectés au désintéressement du créancier hypothécaire.

Au final, puisque le créancier hypothécaire n'a pas été remboursé, il conserve, jusqu'à péremption, et sauf renouvellement, son hypothèque et il est donc logique qu'il puisse valablement l'opposer à la personne qui entend acheter les deux lots à leur dernier propriétaire, à savoir Mme R..
On le voit, le prêteur, qui a la chance que le bien grevé de la sûreté à son profit soit vendu avant l'adoption du plan de cession, et surtout avant l'ouverture de la procédure collective, est largement mieux traité que le prêteur bénéficiant d'une sûreté prise sur un bien cédé dans le cadre du plan de cession. Par principe, dans ce dernier cas, il n'obtiendra que le droit de participer aux répartitions sur la quote-part du prix de cession affecté au bien grevé de sa sûreté pour l'exercice de son droit de préférence. Mais il entrera en concours avec les créanciers titulaires de privilèges généraux et ses chances de paiement sont donc minimes. Dans le meilleur des cas, il bénéficiera du transfert de la charge de la sûreté et obtiendra directement du repreneur paiement des échéances du crédit restant à échoir après l'entrée en jouissance du repreneur. Mais, dans ces deux hypothèses, on est très loin de la situation du créancier titulaire d'une sûreté autorisé à exercer son droit de suite, puisque, en ce cas, le détenteur hypothécaire est tenu de toute la dette garantie par l'hypothèque et non pas seulement d'une partie de celle-ci.

Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences à l'Université du Sud-Toulon-Var, Directrice du Master 2 Droit de la banque et de la société financière de la Faculté de droit de Toulon


(1) Cass. civ. 2, 30 avril 2002, n° 00-20.372, M. André Rivera c/ Banque populaire provençale & corse (BPPC), FS-P+B sur le premier moyen (N° Lexbase : A5571AYY), Bull. civ. II, n° 85 ; D., 2002, AJ 2260, obs. A. Lienhard ; JCP éd. E et A, 2002, chron. 1380, p. 1521, n° 3, obs. Ph. Pétel ; Act. proc. coll., 2002/11, n° 140, obs. Ph. Pétel ; Dr. et patr., 2002, n° 108, p. 114, obs. M.-H. Monsérié-Bon ; RTDCom., 2003, 163, n° 2, obs. A. Martin-Serf ; Defrénois, 2003, art. 37752, p. 779, note Ph. Théry ; Rev. proc. coll., 2004, p. 230, n° 2, obs. F. Macorig-Venier.
(2) Cass. com. 24 mai 2005, n° 03-21.043, Société Banque de Bretagne c/ M. Michel Benysty, FS-P+B (N° Lexbase : A4213DIU), Bull. civ. IV, n° 117, D., 2005, AJ 1632, obs. A. Lienhard, D., 2005, somm. 2084, obs. P. Crocq, JCP éd. E, 2005, chron. 1274, p. 1423, n° 5, obs. Ph. Pétel, JCP éd. E, 2005, chron. 1860, p. 2203, n° 3, obs. Ph. Delebecque et Ph. Simler, Dr. et proc,. 2005/5, p. 282, note P. Crocq, Act. proc. coll., 2005/11, n° 132, note J. Vallansan ; Cass. com. 24 mai 2005, n° 00-19.721, M. Fernand Navarra c/ Société Crédit commercial de France, FS-P+B (N° Lexbase : A4117DIC), Bull. civ. IV, n° 116, D., 2005, somm. 2084, obs. P. Crocq, Dr. et proc., 2005/5, p. 282, note P. Crocq, Act. proc. coll., 2005/11, n° 132, note J. Vallansan, RD banc. et fin., 2005/4, p. 27, n° 141, obs. S. Piédelièvre, Defrénois, 2005/23, p. 1937, chron. 38287, n° 12, note D. Gibirila, Gaz. proc. coll., 2005/3, p. 49, nos obs..

newsid:387479

Juristes d'entreprise

[Evénement] Remise du prix du Cercle Montesquieu, l'occasion d'un plaidoyer pour une fusion des avocats et des juristes d'entreprise

Lecture: 5 min

N7507BND

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3212626-edition-n-391-du-15-04-2010#article-387507
Copier

par Anne Lebescond, Journaliste juridique

Le 27 Mars 2014

Le 8 avril 2010 s'est déroulée aux salons Drouot-Montaigne la quatorzième cérémonie de remise du prix du Cercle Montesquieu. Depuis 1997, la prestigieuse association, qui compte plus de 280 adhérents (dont la quasi-totalité des plus grosses entreprises installées en France), récompense les meilleurs ouvrages en droit des affaires, à l'usage du directeur juridique. La tradition veut que le Prix du Cercle soit remis par une personnalité du monde du droit : l'ouvrage d'Antoine Masson, Les stratégies juridiques de l'entreprise, a été récompensé, cette année, par le plus célèbre avocat du moment, Jean-Michel Darrois. Celui-ci est intervenu sur un thème d'actualité, particulièrement cher au Cercle : le rapprochement des avocats et des juristes d'entreprise au sein d'une même profession avec la création d'un nouveau statut, l'avocat en entreprise (1).
"Ardent partisan du rapprochement entre les avocats et les juristes d'entreprise", l'association a contribué aux travaux du groupe de travail mis en place en 2005 par Pascal Clément, alors Garde des Sceaux, et a, également, été entendue par la commission "Darrois" en 2009. Elle approuve la création de l'avocat en entreprise et la plupart des modalités envisagées jusqu'alors, notamment :

- un exercice sous le titre, le statut, et la déontologie de l'avocat ;

- le bénéfice et les obligations du secret professionnel ;

- l'interdiction du droit de plaider devant les juridictions où la représentation par un avocat est obligatoire ;

-un contrôle de la part de l'Ordre sur les aspects éthiques et déontologiques ;

- et une éligibilité au Conseil de l'Ordre, au Bâtonnat, et au Conseil national des barreaux (CNB).

Ainsi que l'ont souligné Yannick Chalme (L'Oréal), le nouveau Président du Cercle, et Jean -Michel Darrois, la création d'un tel statut serait la suite logique de l'évolution de la fonction juridique au sein de l'entreprise. Celle-ci a, en effet, dû se renforcer considérablement aux cours des vingt dernières années, dans un contexte de foisonnement des textes et de complexité des droits.

La réforme renforcerait le statut du juriste au sein de l'entreprise, en lui conférant une légitimité et une indépendance accrues. Elle offrirait, en outre, aux directions juridiques françaises des armes équivalentes à celles prévues par les systèmes issus de la common law pour l'exercice de leurs fonctions. On pense, en particulier, au bénéfice du legal privilege (2).

Aujourd'hui, en France, si les juristes d'entreprise sont soumis au secret professionnel (au titre de l'article 55 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques N° Lexbase : L6343AGZ) et si leurs collaborateurs ont, en principe, contracté une obligation de confidentialité, leurs consultations ne sont couvertes, ni par la confidentialité, ni par le secret professionnel, et peuvent donc être saisies dans toute procédure. Parallèlement, la Common Law reconnaît le droit d'un client ayant reçu un avis juridique d'un avocat de refuser de produire tout document contenant cet avis dans le cadre d'une procédure civile, pénale ou administrative (disclosure ou discovery). Les juristes d'entreprise français réclament depuis longtemps le bénéfice d'un secret professionnel absolu, général et illimité dans le temps, identique à celui des avocats et dont ils ne pourraient être relevés.

Pour l'ensemble des ces raisons, la création du nouveau statut est ardemment souhaitée par le Cercle Montesquieu et par les autres principales associations professionnelles représentant les juristes (dont l'AFJE, l'AJAR et l'ANJB), mais aussi, par le CNB, la Conférence des cent et le barreau de Paris.

Elle est, en revanche, loin de faire l'unanimité auprès des barreaux de province, qui s'inquiètent, entre autres, d'une atteinte à l'indépendance de la profession du fait de la subordination inhérente à un statut salarié.

A cette crainte, citons la réponse formulée dans l'avis de la commission de la Conférence des Bâtonniers du 2 août 2009 : "l'avocat en entreprise saura s'imposer par sa formation initiale de haut niveau, son obligation de formation continue et donc sa compétence, cette dernière étant aussi une des clefs de l'indépendance". Et, celle de Jacques Barthélémy : "il est habituel d'associer activité libérale et statut social de non salarié, ce qui relève d'un contresens majeur. La profession d'avocat, comme celle de médecin, est libérale et le professionnel exerce de ce fait une profession libérale quel que soit le mode particulier d'exercice de son art". Et, de conclure : "l'indépendance, caractéristique essentielle de toute profession libérale, c'est l'indépendance technique dans l'exercice de l'art" (3).

Autrement dit, le lien de subordination à l'égard de l'employeur ne doit concerner que la détermination des conditions du travail de l'avocat, pour ne pas porter atteinte à l'indépendance de son exercice comme il en va déjà de même, aujourd'hui, pour l'avocat salarié en cabinet.

D'autres, indique Jean-Michel Darrois, craignent une contamination aux autres fonctions hybrides de l'entreprise (directeurs des ressources humaines, directeurs administratifs et financiers, etc.) ou encore une nouvelle concurrence de la part des juristes d'entreprises au détriment des avocats. Enfin, certains regrettent qu'il soit d'emblée exclu que l'avocat en entreprise puisse plaider. Très judicieusement, l'invité du Cercle dissipe ce regret : l'avocat en entreprise ne bénéficierait pas de la distance nécessaire en cas de contentieux et les conséquences en interne d'un échec judiciaire pourraient être fort désagréables pour lui.

A ces différentes réticences s'ajoute le fait qu'à ce jour, de nombreuses controverses ne sont pas tranchées. La question du maintien de la passerelle existante, par exemple, divise encore fortement, au sein même de chacune des professions. Le compromis le plus probable à l'heure actuelle consisterait au maintien du dispositif pendant dix ans, afin de sauvegarder les droits acquis à ce jour et de permettre une réforme de l'accès au CAPA aboutie. A l'issue de ce délai, la passerelle serait supprimée.

La question du rôle de l'employeur est, elle aussi, vivement débattue : ce dernier peut-il, notamment, revenir sur la qualité de l'avocat en entreprise ou celle-ci est-elle attachée à la personne ? Des interrogations demeurent, enfin, sur le statut social et le régime des retraites.

Nous voilà donc prévenus. Le débat sur la légitimité de la création de l'avocat en entreprise n'est pas simple et certaines contestations perdurent, expliquant, peut-être que la question n'ait as été abordée dans le projet de loi présenté au Conseil des ministres par Michel Alliot-Marie en mars dernier, sur la réforme des professions juridiques et judiciaires (4). Dans un tel cadre, Jean-Michel Darrois recommande fermement aux juristes de mettre fin à toutes discordances et de s'adresser d'une seule voix aux avocats, aux pouvoirs publics et aux autres acteurs concernés. "Ou les conséquences pourraient être catastrophiques...".

Deux jours avant cette cérémonie, le 6 avril 2010, le CNB ouvrait à nouveau la concertation sur cette réforme encore "mal connue". Thierry Wickers, président du Conseil, avait déjà consulté, courant 2009, les Bâtonniers de France pour connaître le point de vue de leur barreau sur le rapport "Darrois". Cette fois, la consultation est plus formelle : les Bâtonniers sont invités à répondre à plus de 29 questions traitant de tous les aspects de la création de l'avocat en entreprise, et ce, dans les deux mois (soit, d'ici le 6 juin prochain).

Pour les aider dans leurs réflexions, le CNB met à leur disposition le rapport établi par son groupe de travail "Avocats en entreprise", présidé par Jean-Louis Cocusse. Le texte recommande fermement la création du nouveau statut et répond à toutes les critiques formulées jusqu'à maintenant par les opposants au projet.

A l'issue de la concertation, les réponses seront synthétisées dans un rapport définitif, qui sera soumis au vote du CNB. Si le vote devait être favorable, un projet de texte réformant la loi et le décret pourrait être adressé à la Chancellerie. "Dans l'hypothèse inverse, le risque est qu'un jour un texte, aboutissant au même résultat mais selon des modalités qui n'auraient pas été proposées par la profession, lui soit soumis et qu'elle n'ait plus qu'à en discuter les détails".


(1) Lire Quels rapprochements pour les professions de juriste d'entreprise et d'avocat ? - Etat des lieux, Lexbase Hebdo n° 3 du 13 octobre 2009 - édition professions (N° Lexbase : N0905BMH).
(2) Lire Quels rapprochements pour les professions de juriste d'entreprise et d'avocat ? Questions à Vincent Malige, General Counsel, Scor SE, Lexbase Hebdo n° 3 du 13 octobre 2009 - édition professions (N° Lexbase : N0938BMP).
(3) Jacques Barthélémy, audition par le CNB, le 10 septembre 2008.
(4) Lire Ce qu'il faut retenir du projet de loi de modernisation des professions judiciaires et juridiques réglementées, Lexbase Hebdo n° 24 du 25 mars 2010 - édition professions (N° Lexbase : N6155BNB).

newsid:387507

Avocats/Institutions représentatives

[Questions à...] Modernité et nouvelles technologies, un "ticket" gagnant pour le Bâtonnat "Paris 2011" - Questions à Christiane Féral-Schuhl et Yvon Martinet

Lecture: 8 min

N7500BN4

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3212626-edition-n-391-du-15-04-2010#article-387500
Copier

par Anne Lebescond, Journaliste juridique

Le 07 Octobre 2010



Les compétences et le timing sont deux paramètres déterminants d'une réussite. La règle est universelle. La réunion de ces deux conditions l'est beaucoup moins... Alors, quand l'occasion se présente, il ne faut surtout pas la laisser passer. En pleine révolution numérique et face aux enjeux actuels de modernisation de la justice en général et de la profession d'avocat en particulier, la candidature de Christiane Féral-Schuhl au Bâtonnat de Paris 2011/2012 et d'Yvon Martinet au vice-Bâtonnat a de très fortes chances d'être un ticket gagnant.

Démonstration.
Lexbase : Pouvez-vous nous exposer vos parcours respectifs et vos motivations à proposer ce ticket aux élections du Bâtonnat de Paris ?

Christiane Féral-Schuhl : J'ai intégré la dimension ordinale dès le début de mon activité professionnelle. En 1982, j'ai été membre de la commission des relations extérieures créée par le Bâtonnier Danet et animée par Philippe Sarfati. J'ai ensuite été élue à la CARPA où j'ai successivement été membre du conseil d'administration puis du comité de direction. De 1994 à 1996, j'ai été membre du Conseil de l'Ordre puis, en 1997, en charge de la commission des marchés émergents et nouvelles technologies.

Parallèlement, je me suis tournée vers le monde associatif. Eu égard à mon domaine d'expertise, les NTIC, je souhaitais contribuer aux réflexions liées aux nouvelles technologies envisagées à travers le prisme de la profession d'avocat. Les bénéfices de ces outils ont toujours été une évidence pour moi. J'ai intégré l'ADIJ (Association pour le développement de l'informatique juridique), dont j'assume la présidence depuis 2000. L'impulsion donnée par cette association a trois dimensions :

- en amont, en identifiant dans tous les domaines du droit les outils technologiques opportuns ;

- au quotidien, en favorisant, via l'information et la formation, l'utilisation des nouvelles technologies ; et

- au-delà des frontières, en tant que point de rencontre et d'échanges entre les professionnels français et étrangers.

A l'heure cruciale de la dématérialisation des procédures et des enjeux de modernisation de la profession, cette expérience peut profiter à mes confrères afin de les aider à vivre le virage technologique actuel comme le moyen de devenir plus forts, plus présents et plus réactifs.

Ces nouveaux outils de communication, de travail et de formation doivent être envisagés comme un trait d'union entre les professionnels. Les avocats peuvent les intégrer sans aucune rupture avec leur exercice intellectuel. Pourtant, il existe déjà, indéniablement, une "fracture numérique". Pour preuve les difficultés auxquelles se heurte la mise en place du RPVA, alors même qu'elle est indispensable à un exercice en adéquation avec son temps. Dans ce changement, mon objectif prioritaire est qu'aucun de mes confrères ne se retrouve ou ne reste "au bord de la route". A mes yeux, le niveau ordinal est pertinent pour accompagner aux mieux la profession dans l'ère numérique.

Je considère que c'est, aujourd'hui, une chance d'appartenir au Barreau de Paris. Paris est l'une des premières places internationales du droit et reste ouvert sur la diversité et notre Barreau est traditionnellement le défenseur des libertés publiques. Cette chance, je voudrais qu'elle soit vécue comme telle par chaque avocat de ce Barreau

Quant à l'institution du vice-Bâtonnier, depuis novembre 2009, elle permet de présenter un ticket au Bâtonnat. C'est à mon sens une véritable opportunité pour favoriser la gouvernance du Barreau de Paris, qui compte près de 23 000 avocats inscrits et occupe une place prépondérante sur la scène juridique nationale et internationale. Yvon Martinet était, pour moi, un choix d'évidence ; la partie la plus simple d'une réflexion complexe (présenter sa candidature à de telles fonctions n'est, en effet, pas une décision facile à prendre !). Nous nous connaissons depuis de nombreuses années et nos cabinets ont progressivement développé des relations croisées. Je sais à quel point il est efficace et s'investit pour la profession. Nous partageons les mêmes motivations et nos profils sont tout à fait complémentaires.

Yvon Martinet : Nous avons travaillé pour la première fois ensemble au sein de la commission des marchés émergents, dans le cadre des travaux menés sur les OGM. Nous nous sommes retrouvés, par la suite, au sein d'un réseau informel de réflexions, les "Droits croisés", auquel participent nos structures (Féral-Schuhl/Sainte-Marie pour les NTIC et Savin Martinet Associés pour le droit de l'environnement), aux côtés des cabinets Arsène Taxand (pour la fiscalité) et La Garanderie et Associés (pour le droit social).

Lorsque Christiane Féral-Schuhl m'a proposé ce ticket, je n'ai pas hésité. Tout comme elle, j'ai combiné mon exercice professionnel avec des fonctions syndicales et représentatives et nous partageons la même vision de la Profession et de son avenir. Rejoindre sa candidature est la suite logique de mon parcours.

Ancien Premier secrétaire de la Conférence du stage, j'ai été Président de l'Union des jeunes avocats (UJA) de Paris puis vice-président de la Fédération nationale de l'Union des jeunes avocats (FNUJA). J'ai, également, été membre de la délégation française auprès du Conseil des barreaux de l'Union européenne et membre du Conseil national des barreaux. Au niveau ordinal, j'ai été Chargé de missions auprès du Bâtonnier Paul-Albert Iweins et j'ai ainsi pu contribuer à de nombreuses initiatives comme le "Bus de la solidarité" Initiadroit et, plus récemment, aux côtés de Christian Charrière-Bournazel pour la pépinière d'avocats. Depuis 2007, je suis coresponsable de la commission ouverte "Environnement et Développement Durable" de l'Ordre.

Lexbase : Vos parcours respectifs et votre expertise en nouvelles technologies sont des atouts dans le cadre de cette élection. Quels sont les autres attraits de votre candidature ?

Yvon Martinet : Si nos profils et nos domaines d'expertise sont parfaitement complémentaires, nos parcours professionnels sont, en revanche, similaires. Ils nous ont permis une appréhension globale de la profession.

Nous avons tous les deux une expérience au sein de cabinets à grande dimension internationale : Salans pour Christiane Féral-Schuhl et Depardieu pour moi. Par la suite, nous avons chacun cofondé un cabinet de spécialité, réputé dans nos domaines d'expertise respectifs (NTIC et droit de l'environnement). Notre perspective de la diversité de la profession et des enjeux pour chacun (grandes, moyennes et petites structures) est forte. Nous pouvons, en outre, faire profiter nos confrères de nos expériences entrepreneuriales et de notre connaissance approfondie du monde des affaires.

Lexbase : Dans l'hypothèse où vous seriez élus, quelle serait la clé de répartition entre vous ?

Christiane Féral-Schuhl : La répartition se construit au fil de notre campagne et évoluera, si nous sommes élus, au cours de nos mandats ; il est, d'ores et déjà, évident qu'Yvon Martinet serait en charge des thématiques relatives à la réforme de la procédure pénale, mais j'entends intervenir en première ligne sur la défense des libertés publiques et les enjeux liés à la dématérialisation des procédures. Plus qu'une répartition figée, nous envisageons de raisonner par projets et par dossiers pour plus d'efficacité et de cohérence.

Lexbase : Votre campagne est avant-gardiste et interactive. Vous vous inscrivez résolument dans la modernité...

Christiane Féral-Schuhl : La "forme" de la campagne est, en effet, cohérente avec le "fond", qui porte, notamment, sur l'absolue nécessité pour les avocats de s'inscrire dans la révolution numérique en cours et de profiter de cette occasion exceptionnelle pour renforcer leurs efficacité et compétitivité.

Nous avons, donc, choisi d'utiliser tous les moyens, les outils numériques en tête, nous permettant de nous rapprocher de nos confrères. Le blog de campagne est interactif et nous invitons les avocats de Paris à échanger leurs points de vue et à faire remonter leurs besoins et attentes. A cette fin, nous mettons en ligne sur cette plateforme des questionnaires. Cette initiative est inédite.

La première enquête avait pour thème la formation initiale et continue. Les contributions ont été très nombreuses et enrichissantes. Elles montrent que la formation initiale est trop longue, trop théorique et insatisfaisante, notamment, sous l'angle des enseignements techniques, fiscaux, sociaux et comptables. Les retours sur la formation continue sont beaucoup plus positifs, ce qui n'exclut pas qu'elle puisse être améliorée. Le second thème que nous abordons actuellement est celui de la collaboration.

Nous organisons, également, des réunions publiques de réflexions. La première portait sur la place des jeunes dans la profession. Y ont participé près d'une centaine d'avocats. Depuis, nous réunissons environ cent cinquante participants. Notre cinquième réunion a lieu le 15 avril, à 19h30, dans les locaux de la Fondation des entreprises Ricard et portera sur le sujet "l'argent et les avocats".

Lexbase : Deux projets de loi essentiels pour la profession ont récemment été présentés. Celui sur la réforme de la procédure pénale et celui sur la modernisation des professions judiciaires et juridiques. Quels sont vos sentiments sur ces textes ?

Yvon Martinet : Concernant l'avant projet de loi de réforme de la procédure pénale, la concertation est biaisée par les deux prérequis de Michèle Alliot-Marie : aucune discussion n'aura lieu sur la suppression du juge d'instruction et sur un nouveau statut du parquet (qui lui garantirait une totale indépendance, en particulier vis à vis de l'exécutif). Pourtant, la Cour européenne des droits de l'Homme vient de juger dans l'arrêt "Medvedyev" qui concerne la France (CEDH, 29 mars 2010, Req. 3394/03 N° Lexbase : A2353EUP), que "le procureur de la République n'est pas une autorité judiciaire' au sens qu'[elle] donne à cette notion : comme le soulignent les requérants, il lui manque en particulier l'indépendance à l'égard du pouvoir exécutif pour pouvoir être ainsi qualifié".

Ensuite, il faut souligner qu'aucune étude d'impact n'a été ou ne sera réalisée. Or, il est impensable d'envisager une réforme aussi importante sans accompagnement budgétaire ou sans avoir une idée de son coût. Comme l'a souligné Jean-Denis Bredin dans les colonnes de Libération, la procédure pénale est, depuis toujours, le parent pauvre de la justice, elle-même l'"hyper parent pauvre" du budget de l'Etat. A titre d'exemple, l'enveloppe allouée à l'aide juridictionnelle en Grande-Bretagne équivaut aux sommes déboursées par la France pour la justice en général !

Enfin, les propositions formulées sur la réforme de la garde à vue place l'avocat en marge de cette grave mesure privative des libertés, au mépris du respect des droits de la défense. La garde à vue doit être traitée comme l'a été la question de la poursuite et de la répression au sein de l'espace Schengen. Je pense à une procédure de garde à vue européenne uniformisée, qui reprendrait les dénominateurs commun des Etats : une durée de 24 heures au plus, la présence de l'avocat dès le début de la mesure et tout au long et des droits équivalents quelque soit la procédure en cause (en particulier, pour les cas de terrorisme). Aujourd'hui, paradoxalement, plus les accusations portées sont graves, plus les droits de la défense diminuent.

Je pense franchement qu'en l'état ce projet de réforme ne pourra pas être maintenu et l'on peut saluer l'initiative conjointe prise par le CNB et l'USM permettant de trouver un accord magistrats/avocats sur une enquête préliminaire contradictoire, un avocat présent dès le début de toute procédure de privation de liberté et une collégialité de l'instruction pour les procédures criminelles.

Christiane Féral-Schuhl : Il y aurait beaucoup à dire sur le projet de loi de modernisation des professions juridiques et judiciaires. L'un des points qui me préoccupe concerne l'acte d'avocat. Certes, c'est un nouveau champ d'activité pour les avocats mais pour que celui-ci prenne réellement tous ses effets, il est indispensable que l'Ordre s'investisse sur les problématiques liées à la conservation des actes (leur intégrité et leur authenticité devant être garanties, selon la loi), à l'image de ce qu'ont fait les notaires. La dimension technique est indissociable de la mise en oeuvre du dispositif !

Quant aux questions liées aux structures d'exercice (notamment, concernant l'ouverture du capital), il faut être vigilant à ce qu'aucune atteinte ne soit portée aux principes essentiels régissant la profession, en particulier, en termes de déontologie ou de conflit d'intérêts. Il faut, ici encore, bien prendre la mesure des conséquences liées à l'entrée dans le capital d'investisseurs.

newsid:387500