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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
Le 27 Mars 2014
Première remarque liminaire : lorsque l'on n'appelle pas un chat, un chat, c'est qu'il y a comme un gêne latente à enfreindre le seuil de la maison d'un citoyen et à troubler son quotidien, même lorsque l'on présume qu'il n'est pas un honorable contribuable. Mais, le droit fiscal est coutumier du fait : pour adoucir la pilule du "redressement fiscal" -par trop corrective-, on a vu poindre dernièrement la "rectification fiscale" -errare humanum est-. Les règles sont les mêmes, mais la terminologie est sensée adoucir l'humeur du contribuable fortement soupçonné, si ce n'est d'avoir fraudé, du moins d'avoir omis malencontreusement de déclarer certains revenus, certains biens. "La perversion de la cité commence par la fraude des mots" écrivait Platon. Mais, les juges de la Cour européenne des droits de l'Homme ne s'y sont pas trompés : mettant dans le même sac "perquisition" et "visite domiciliaire" pour juger du bien fondé du recours, par l'Etat et ses commis, à ce qui constitue, par métonymie, l'une des plus graves atteintes à la personne. Dans le cadre d'un cambriolage, les victimes n'évoquent-elles pas souvent l'idée d'une violation de leur intimité... Légaliser et encadrer l'introduction de tiers -souvent non désirés - dans l'enceinte du foyer n'amoindrit certainement pas ce sentiment.
Deuxième remarque liminaire : la perquisition du domicile d'un avocat en vaut deux ! Si l'article 56-1 du Code de procédure pénale prévoit un régime particulier des "visites" matinales auprès des avocats, en permettant à ces derniers d'être assistés de leur Bâtonnier dont la valeur morale est éminente, c'est bien parce qu'en procédant à une telle perquisition, les forces de police attentent, dans le respect des lois et règlements le plus souvent, à l'intimité de l'avocat lui-même, mais également à celui de sa clientèle. Et, secret professionnel oblige, une telle violation de conscience n'est pas à prendre à la légère et doit être sévèrement encadrée lorsqu'elle apparaît nécessaire. Ce que nous enseigne la Cour de Strasbourg, dans son arrêt du 21 janvier 2010, condamnant la France pour violation de l'article 8 de la Convention relatif au respect de la vie privée et du domicile, c'est non seulement que l'avocat doit toujours bénéficier de garanties spéciales de procédure compte tenu de son sacerdoce judiciaire ; mais aussi, que sa profession constitue, pour lui, un état de la personne qui, à l'image du serment d'Hyppocrate pour les médecins, ne le quitte pas, qu'il soit ou non inscrit au tableau d'un Ordre français. Avocats expatriés, réjouissez-vous : vous bénéficiez des mêmes protections que vos confrères officiant dans votre pays de résidence.
Troisième remarque liminaire : si l'on ne peut que se réjouir du fait que l'article 164 de la "LME" introduise la possibilité d'un appel devant le premier président de la cour d'appel en matière de droit de visite des agents de l'administration des impôts et permette d'obtenir un contrôle juridictionnel effectif de la décision prescrivant la visite, on sera coi devant cet arrêt publié de la Chambre commerciale de la Cour de cassation, rendu le 9 mars 2010, qui nous expliquera, sans rire, que l'appel peut intervenir un an et demi après la visite domiciliaire et an après la notification de la proposition de rectification fiscale, sans que la procédure soit contraire au "procès équitable" de l'article 6 § 1 de la Convention européenne. Quelle importance si le mal est fait, le juge d'appel s'en tiendra, oeillères obligent, aux éléments de fait présumant une fraude fiscale existant au moment du prononcé de l'ordonnance autorisant la "visite". Bel exercice d'abstraction pour le juge qui aura connaissance du résultat, sur le fond, de la "perquisition fiscale" et, surtout, belle garantie qu'un appel, qui s'il annule les conséquences d'une mauvaise appréciation souveraine par les premiers juges, n'emporte pas moins pour le contribuable la certitude de se faire redresser sur ce chef ou sur un autre... Faible garantie lorsque le même jour, la Cour régulatrice nous rappelle que l'article L. 16 B du LPF exige de simples présomptions, et non des indices précis, graves et suffisamment concordants pour faire présumer l'existence d'une fraude fiscale !
Dernière remarque liminaire : toujours en matière de "visite domiciliaire", on ne pourra être que circonspect, lorsque l'on apprend, par la voie de la cour d'appel de Paris, dans un arrêt rendu le 4 février dernier, que malgré le fait que le juge doive vérifier de manière concrète que la demande d'autorisation de visite et de saisie domiciliaire qui lui est soumise est bien fondée, certaines ordonnances sont totalement rédigée par l'administration elle-même... Soyons heureux, alors, que le juge des libertés encense, ici, le rôle indépendant de contrôle des demandes d'autorisation de visite et de saisie administratives et l'obligation de motivation d'un tel acte, rappelant que s'il n'est pas interdit au juge de reprendre les motifs figurant dans la requête, il ne saurait être admis qu'une telle ordonnance ne comporte aucune mention dont le juge soit le rédacteur effectif et dont il résulterait qu'il ait procédé à une quelconque vérification personnelle ni concrète, même succincte et partielle du bien fondé de la demande, et alors même qu'au regard du bref délai et du nombre et de l'importance des documents produits une telle vérification eut été impossible. Et face à ce forfait procédural, contraire au sacerdoce magistral, gageons que les juges nationaux, pleinement indépendants, sanctionnent sans relâche toute atteinte aux libertés fondamentales aux titres desquelles figure le respect de la vie privée et du domicile... sinon la Cour européenne s'en chargera, à l'image de son contentieux intransigeant, mais manifestement nécessaire, en faveur des droits de la défense.
Pour conclure : l'avantage avec la numérisation, l'informatique et la cybercriminalité, c'est que l'on voit venir à grands pas la cyber-perquisition qui, si elle ne constitue pas moins une violation de l'intimité -selon ce qui se cache sur le disque dur- ne trouble pas, du moins formellement, le foyer familial... Mais, là encore, il conviendrait d'adapter les règles pour assurer une efficacité sans faille face au banditisme sur internet et face au terrorisme mondialisé, tout en préservant le respect des droits fondamentaux. Il n'y a qu'à lire la cour d'appel de Paris, toujours, dans un arrêt du 21 janvier 2010, pour s'apercevoir du chemin qu'il reste à parcourir. En l'espèce, la cour se prononce en faveur de la nullité partielle d'une procédure de visite et saisie domiciliaire, considérant que la saisie d'éléments informatiques à caractère privé ou couverts par le secret professionnel doit être annulée, sans pour autant que ces faits n'entraînent la nullité de l'ensemble de la procédure...
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N5947BNL
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par Vincent Téchené, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition privée générale
Le 07 Octobre 2010
Lexbase Hebdo - édition privée générale a souhaité revenir sur le sujet avec ce dernier qui a accepté de répondre à nos questions.
Lexbase : Quelles sont les raisons qui ont motivé le développement d'une activité de précontentieux au sein de votre cabinet ?
Fabrice Marchisio : Aujourd'hui, chez Cotty, Vivant, Marchisio et Lauzeral, plus de 50 % de l'activité est dédiée au contentieux et au précontentieux. Tous nos avocats font du conseil et du contentieux. Ces activités, et notamment le conseil, sont plutôt cycliques, si bien que la polyvalence de nos collaborateurs permet ainsi de conserver les mêmes équipes lorsque l'on assiste, comme c'est le cas depuis un an à une baisse d'activité dans le domaine du conseil et notamment des M&A (Mergers and Acquisitions).
Ceci étant, le développement du précontentieux vient d'un constat somme toute assez simple, qui me semble-t-il est assez largement partagé, et qui tient à l'inertie judiciaire. Aujourd'hui, on assiste à une véritable désynchronisation entre le rythme des affaires et celui de l'institution judiciaire. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : alors que le nombre de contentieux par habitant a été multiplié par 6 depuis 1940 et que la population s'est accrue de plus de 70 % dans ce même intervalle, le nombre de magistrats est passé de 5 000 à 8 500 en 70 ans, soit un accroissement infiniment plus faible que l'augmentation du nombre de contentieux. Les délais de traitement des procédures au fond sont devenus absurdement long : attendre entre 3 ans et 5 ans pour obtenir une décision exécutoire et parfois plus de 8 ans pour obtenir une décision définitive n'a pas de sens économique et cela engendre une modification profonde des comportements à l'égard de la règle de droit.
A cela s'ajoute une seconde problématique centrale, qui tient finalement à l'absence de punitive damages (dommages et intérêts punitifs), contrairement à ce qui existe dans les pays anglo-saxons. En droit français, la théorie de la réparation civile repose traditionnellement sur un principe de compensation du dommage occasionné par la faute du débiteur ; que ce soit en matière contractuelle ou en matière délictuelle, on cherche à remédier à une situation dommageable, on ne cherche pas à sanctionner celui qui en est la cause. Il devient alors, dans certaines circonstances, économiquement plus rentable pour un cocontractant de ne pas respecter ses engagements et de payer des dommages et intérêts que d'exécuter ses obligations contractuelles : on aboutit à une situation absurde en termes d'efficacité sociale dans laquelle on perd juridiquement tout en gagnant économiquement.
L'objectif du précontentieux est donc de renverser cette tendance dans laquelle le débiteur bénéficie d'un immense levier. Ce faisant, le précontentieux doit être considéré comme une guerre psychologique plutôt que comme une guerre juridique : il s'agit de prendre l'ascendant sur le débiteur en créant une situation anxiogène pour ce dernier et, dès lors, le contraindre à payer ou, tout le moins, à transiger. Dans cette phase de précontentieux tout peut se dénouer rapidement, en 2 ou 3 jours ; en fait, en précontentieux, c'est un peu comme si le film se déroulait en accéléré.
Lexbase : Quels sont les outils juridiques que nous offre le droit français pour permettre la résolution des litiges dans la phase précontentieuse ?
Fabrice Marchisio : Il faut toujours avoir à l'esprit que le but ici est de tout faire pour éviter une assignation au fond et donc de créer une situation intenable pour le débiteur en exerçant une pression suffisamment forte pour l'obliger à transiger et l'outil juridique qui permet de parvenir à ce résultat est la saisie conservatoire. Peu utilisées en France, ou paradoxalement essentiellement sur de petits dossiers en droit civil, elles sont un moyen considérablement efficace pour faire pression sur le débiteur et le contraindre à payer ses dettes. Leur efficacité à ce niveau est, toutefois, subordonnée à une condition essentielle : il faut détenir des informations complètes sur le débiteur et au moins sur ses dix principaux débiteurs. Or, en France, connaître les principales composantes du patrimoine d'une personne -qu'elle soit physique ou morale- est loin d'être hors de portée ; en deux ou trois jours il est possible, notamment en utilisant des conseils spécialisés en intelligence économique, de disposer de l'ensemble des informations indispensables à la réussite de cet outil. Il s'agit là d'une condition nécessaire car, je m'explique, le but étant d'asphyxier le débiteur, il convient de saisir des éléments qui atteignent cet objectif. Ainsi, par exemple, si votre débiteur est une société qui réalise un chiffre d'affaires de 50 millions d'euros et que l'on effectue une saisie de 4 millions d'euros sur ses comptes bancaires, en principe en 10 ou 15 jours, le débiteur n'a pas d'autre solution que de négocier. A la fin du mois, il devra au minimum payer les salaires de ses salariés, au risque de se retrouver virtuellement en état de cessation de paiement et il est évidemment plus rapide de payer sa dette ou de transiger que de demander un refinancement de 4 millions à sa banque.
Afin d'illustrer le pouvoir d'une saisie conservatoire, imaginez que vous soyez producteur de foie gras et qu'un créancier saisisse votre stock le 23 décembre, vous n'aurez alors d'autre choix que de transiger quelques heures après la saisie, sous peine de voir votre chiffre d'affaires de l'année grandement amputé. De même, si le débiteur est un fabricant automobile et que vous saisissez une pièce quelconque nécessaire à la production de voitures, vous pouvez être assuré de débloquer très rapidement la situation car aujourd'hui la production est à flux tellement tendu que si le constructeur ne transige pas, il prend le risque que sa chaîne de production s'arrête au bout de 3 ou 4 jours.
Lexbase : Quelles sont les règles procédurales applicables à la saisie conservatoire ?
Fabrice Marchisio : Comme toute mesure conservatoire, pour être valablement autorisée par le juge, deux conditions cumulatives doivent être réunies (loi n° 91-650 du 9 juillet 1991, art. 67 N° Lexbase : L4669AHE) :
- l'existence d'une créance paraissant "fondée en son principe" ;
- l'existence de circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement.
Reprenons chacune de ces conditions.
Tout d'abord, la créance doit paraître fondée en son principe et là il faut bien avoir à l'esprit que le créancier n'a pas à démontrer l'existence d'une créance certaine, liquide et exigible, puisqu'il s'agira du débat au fond qui ne nous intéresse pas à ce niveau. Le juge va donc statuer sur la seule base de l'apparence. Ainsi, toutes les créances évaluables en numéraire, d'origine contractuelle ou délictuelle, sont susceptibles de donner lieu à mise en oeuvre d'une mesure conservatoire.
Il faut, ensuite, qu'il existe des circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement et la loi du 9 juillet 1991 a considérablement assoupli la charge de la démonstration qui incombe au créancier, puisque antérieurement, il était nécessaire de démontrer une "urgence" et un "péril" qui étaient appréciés beaucoup plus restrictivement. Ont ainsi été admises comme des menaces de recouvrement : des difficultés financières notoires ; la faiblesse d'un fond de roulement (Cass. com., 20 avril 1982, n° 80-13785, Gelin c/ SA Cie Cecico Equipement, publié au bulletin N° Lexbase : A2583CII) ; ou encore la non-publication des comptes sociaux.
La compétence matérielle relève toujours du juge de l'exécution (JEX), avec cependant une option au profit du président du tribunal de commerce lorsque la créance est commerciale et seulement avant tout procès (loi n° 91-650, art. 69 N° Lexbase : L9669E3I ; décret n° 92-755 du 31 juillet 1992, art. 211 N° Lexbase : L3621AHL). Le juge compétente territorialement est le juge du lieu du domicile du défendeur ou, à défaut de domicile connu ou si le débiteur a son domicile à l'étranger, le juge du lieu d'exécution de la mesure.
L'autorisation est délivrée par ordonnance rendue sur requête ; il s'agit donc d'une procédure non contradictoire, ce qui présente un avantage certain, dans la mesure où cela permet indéniablement de préserver l'effet de surprise, et en cas de refus d'autorisation, le débiteur ne sera pas informé de la tentative.
Par ailleurs, il est essentiel de bien connaître, ou à défaut de vérifier, en particulier dans les cas d'urgence, la façon dont chaque tribunal "gère" les autorisations. Il existe, en effet, des pratiques différentes d'une juridiction à l'autre :
- à Paris, le juge des requêtes siège l'après-midi et les requêtes peuvent être soutenues oralement ;
- à Versailles, la procédure est uniquement écrite et la requête est donc adressée au juge qui fait part de sa décision ultérieurement par voie postale ;
- à Nanterre, les requêtes peuvent être soutenues oralement uniquement devant le JEX, et le matin (par écrit uniquement devant le président du tribunal de commerce).
Il convient également d'attirer l'attention sur le rôle essentiel de l'huissier de justice, compte tenu du formalisme rigoureux auquel sont soumises les saisies conservatoires et des délais qui y sont attachés, un seul manquement suffisant à entraîner la caducité. Ainsi :
- la saisie doit être pratiquée dans les 3 mois de l'ordonnance l'autorisant (décret n° 92-755, art. 214 N° Lexbase : L3624AHP) ;
- elle doit être signifiée au débiteur dans les 8 jours (décret n° 92-755, art. 58 N° Lexbase : L3755AHK) ;
- le créancier doit engager le processus d'obtention d'un titre exécutoire dans le mois de la saisie (décret n° 92-755, art. 215 N° Lexbase : L3625AHQ) ;
- si la saisie a été pratiquée entre les mains d'un tiers, il faut lui signifier copie des actes engageant le processus d'obtention d'un titre exécutoire dans les 8 jours de leur date (décret n° 92-755, art. 216 N° Lexbase : L3626AHR)
Lexbase : Quels sont les moyens de riposte du débiteur ?
Fabrice Marchisio : Le débiteur bénéficie de deux moyens de riposte.
Le premier consiste à proposer de substituer à la mesure conservatoire une autre mesure propre à sauvegarder les intérêts des parties, comme par exemple une caution bancaire irrévocable ou la consignation d'une somme égale à tout ou partie du montant de la créance (loi n° 91-650, art. 72 N° Lexbase : L9673E3N). Alors, dans de telles circonstances, si le créancier perd l'avantage conféré par la saisie d'un bien dont l'indisponibilité gène le débiteur de façon immédiate, le remplacement par une sûreté personnelle conférée par un tiers peut parfois être préférable si la mesure conservatoire a été pratiquée alors que la société était au bord de la cessation des paiements. Tout dépend des circonstances de l'espèce et là encore l'analyse de la situation du débiteur déterminera la stratégie à adopter.
Le second moyen consiste à demander au juge la mainlevée de la mesure conservatoire (loi n° 91-650, art. 72 ; décret n° 92-755 du 31 juillet 1992, art. 217 N° Lexbase : L3627AHS). Si le débiteur obtient la mainlevée de la mesure conservatoire, il est toutefois toujours possible de faire appel de cette décision. Or, ici, l'appel n'a pas en théorie d'effet suspensif, si bien qu'une fois la mainlevée ordonnée par le JEX, le débiteur n'est plus asphyxié par la saisie d'une partie de son actif et donc la pression opérée pour qu'il paye ou transige risque de disparaître. Néanmoins, l'article 31 du décret du 31 juillet 1992 offre là la possibilité de contrecarrer très rapidement les effets de la mainlevée en demandant au premier président de la cour d'appel un sursis des mesures ordonnées par le JEX. Or, si, par exemple, la saisie porte sur un compte bancaire, il convient d'informer la banque, teneur du compte, que la demande de suspension de la mainlevée est effectuée pour qu'elle se refuse de libérer les sommes le temps de la décision du président de la cour d'appel. Les risques encourus par le banquier, qui pourrait voir sa responsabilité engagée seraient trop grands et d'ailleurs, à ma connaissance, aucune banque de la Place de Paris ne s'y risque.
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Réf. : CEDH, 21 janvier 2010, Req. 43757/05 (N° Lexbase : A4497EQM)
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N5907BN4
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par Romain Ollard, Maître de conférences à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV
Le 07 Octobre 2010
Le requérant, estimant avoir été privé du bénéfice tant du régime de protection spéciale prévu à l'article 56-1 du Code de procédure pénale que d'un recours effectif devant une instance nationale pour contester la perquisition et les saisies, saisit la CEDH qui décide de le suivre sur ces deux points. Par le présent arrêt, la Cour condamne, en effet, l'Etat français pour violation de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (CESDH) (N° Lexbase : L4798AQR) en estimant que "l'ingérence était, dans les circonstances de l'espèce, disproportionnée par rapport au but visé, et que l'intéressé n'a pas bénéficié d'un contrôle efficace tel que voulu par la prééminence du droit et apte à limiter l'ingérence à ce qui était nécessaire dans une société démocratique".
Epousons la démarche suivie par la Cour européenne, en envisageant successivement ces deux fondements, le premier -de pur fond-, tenant à la violation de l'article 8 de la Convention qui pose le principe du droit au respect du domicile (I), le second -de procédure-, touchant à la violation du droit à un recours effectif (II).
I - La violation du droit au respect du domicile
Avant d'envisager la question du droit au respect du domicile de l'avocat (B), il fallait au préalable déterminer si ce dernier pouvait bénéficier des garanties spéciales prévues par l'article 56-1 du Code de procédure pénale (A) alors qu'il n'était pas inscrit au barreau français.
A - L'applicabilité des garanties spéciales prévues par l'article 56-1 du Code de procédure pénale
En l'espèce, les parties s'opposaient sur la question de savoir si la perquisition litigieuse était intervenue au domicile du requérant en sa qualité d'avocat ou de simple particulier. La réponse était essentielle puisqu'elle conditionnait l'applicabilité du régime des garanties spéciales prévues par l'article 56-1 du Code de procédure pénale qui dispose que "les perquisitions dans le cabinet d'un avocat ou à son domicile ne peuvent être effectuées que par un magistrat et en présence du Bâtonnier ou de son délégué".
Selon le Gouvernement, la perquisition litigieuse était intervenue au domicile du requérant en sa qualité de simple particulier, de sorte qu'il ne relevait pas du régime de protection spéciale prévu pour les perquisitions au domicile des avocats. L'argument n'était pas dénué de pertinence, dès lors que l'avocat requérant, exerçant à titre principal son activité au Portugal, n'était inscrit à aucun barreau en France. Or, selon le Gouvernement, la profession d'avocat ne peut s'exercer que dans le cadre d'un ordre professionnel et requiert une inscription auprès de l'autorité compétente de l'Etat membre. Aussi, le requérant ne justifiant ni de son inscription auprès d'un barreau français, ni d'une quelconque activité en France, il ne pouvait prétendre bénéficier des garanties spéciales susvisées.
La Cour européenne refuse cependant de suivre le Gouvernement sur ce point. Elle relève, en effet, que les dispositions du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, organisant la profession d'avocat (N° Lexbase : L8168AID), modifié par le décret n° 2004-1123 du 14 octobre 2004 (N° Lexbase : L3686GU3), permettent aux avocats ressortissants de l'un des Etats membres de la Communauté européenne de venir accomplir à titre permanent ou occasionnel, sous leur titre professionnel d'origine, leur activité professionnelle en France. L'article 202 du décret impose seulement aux avocats exerçant à titre occasionnel leur activité sur le territoire français de faire usage de l'un des titres mentionnés à l'article 201, et de pouvoir justifier de leur qualité auprès de l'autorité devant laquelle il se présente lorsqu'il assure une prestation de service. Ainsi, à la différence d'un avocat exerçant à titre permanent, l'avocat n'exerçant son activité qu'à titre occasionnel n'est pas tenu de s'inscrire auprès d'un barreau national. En conséquence, la Cour relève que le requérant n'a pas été mis en mesure de bénéficier des dispositions de l'article 56-1 du Code de procédure pénale auxquelles il pouvait, pourtant, prétendre, dès lors qu'il remplissait les conditions prévues par le droit interne pour exercer la profession d'avocat en France à titre occasionnel. La question de la violation de l'article 8 de la Convention pouvait dès lors être posée.
B - Le droit au respect du domicile de l'avocat
L'article 8 de la CESDH dispose que "toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance" avant d'ajouter, en son alinéa 2, qu'il "ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui".
La Cour européenne observe d'emblée que l'ingérence constituée par la perquisition avait, conformément à l'article 8 de la Convention, une base légale dès lors que les articles 92 (N° Lexbase : L7166A48) et 94 (N° Lexbase : L8713GQR) du Code de procédure pénale permettaient au juge d'instruction d'ordonner la perquisition et qu'elle poursuivait un but légitime, à savoir la recherche de preuves et la prévention des infractions pénales (3).
En revanche, la Cour de Strasbourg refuse, en l'espèce, de considérer l'atteinte au droit au respect du domicile constituée par la perquisition comme nécessaire et proportionnée au but poursuivi. Sans doute le droit de la Convention n'interdit-il pas d'imposer aux avocats un certain nombre d'obligations susceptibles de concerner les relations avec leurs clients, notamment en cas d'indices plausibles de participation d'un avocat à une infraction. Mais, dès lors qu'en l'espèce la perquisition litigieuse concernait des faits totalement étrangers au requérant, ce dernier n'ayant à aucun moment été soupçonné d'avoir commis une infraction ou participé à une fraude quelconque en lien avec l'instruction, l'atteinte au droit au respect du domicile -l'intérêt sacrifié- n'était pas proportionnée à l'intérêt protégé -la prévention d'infractions pénales- : "l'ingérence était, dans les circonstances de l'espèce, disproportionnée par rapport au but visé".
En outre, après avoir rappelé, conformément à sa jurisprudence constante (4), que "les exceptions que ménage le paragraphe 2 de l'article 8 appellent une interprétation étroite et [que] leur nécessité dans un cas donné doit se trouver établie de manière convaincante", la Cour ajoute que l'atteinte au droit au respect du domicile constituée par une perquisition doit impérativement être entourée de garanties adéquates et suffisantes contre les abus (5), plus particulièrement encore s'agissant des perquisitions et des saisies au domicile ou dans le cabinet d'un avocat dès lors que ces actes sont susceptibles de porter atteinte au secret professionnel, qui est la base de la relation de confiance qui existe entre son client et lui (6). Partant, si le droit interne peut prévoir la possibilité de perquisitions ou de visites domiciliaires dans le cabinet ou au domicile d'un avocat (7), celles-ci doivent impérativement être assorties de "garanties spéciales de procédure" (8), ce qui est notamment le cas lorsqu'elles sont exécutées en présence du Bâtonnier de l'Ordre des avocats (9). Aussi, en refusant à l'avocat requérant le bénéfice des garanties spéciales prévues par l'article 56-1 du Code de procédure pénale, l'Etat français a violé l'article 8 de la Convention.
Mais, outre cette question de fond tenant au droit au respect du domicile, la Cour européenne condamne également l'Etat français sur le fondement du droit à un recours effectif.
II - La violation du droit à un recours effectif
La CESDH du 4 mars 1950 impose aux Etats signataires qu'il existe pour tout justiciable "un recours effectif devant une instance nationale". Or, la Cour européenne considère que ce "droit au juge" n'a pas été respecté en l'espèce dès lors que l'avocat requérant n'a "pas bénéficié d'un contrôle efficace tel que voulu par la prééminence du droit et apte à limiter l'ingérence à ce qui était nécessaire dans une société démocratique" (10), aucun recours effectif ne lui ayant été offert pour contester la perquisition et les saisies dont il a fait l'objet.
S'agissant d'abord du recours exercé devant le juge des libertés et de la détention, en vue de faire constater l'illégalité de la perquisition et obtenir la restitution des objets saisis, la Cour relève que cette procédure a pour unique objet de trancher les contestations élevées par le Bâtonnier ou son représentant à l'occasion de la saisie de documents dans le cadre de la perquisition du cabinet ou du domicile d'un avocat. Or, le Bâtonnier ou son représentant n'ayant pas assisté à la perquisition au domicile du requérant, un tel recours était, par hypothèse, voué à l'échec.
Quant au recours devant le président de la chambre de l'instruction ensuite, la Cour note que le requérant n'avait pas la qualité requise par la loi, dès lors qu'il n'était ni partie à la procédure ni témoin assisté. En conséquence, ce second recours ne saurait être qualifié d'efficace, d'autant que le mécanisme du pourvoi en cassation n'était légalement pas ouvert au requérant, eu égard aux dispositions de l'article 567-1 du Code de procédure pénale, aux termes desquelles le président de la chambre criminelle rend une ordonnance de non admission s'agissant des pourvois formés contre une décision non susceptible de recours.
Enfin, la Cour européenne rejette l'argument du Gouvernement selon lequel le requérant aurait pu introduire une action en responsabilité de l'Etat pour fonctionnement défectueux de la justice sur le fondement de l'article L. 141-1 du Code de l'organisation judiciaire (N° Lexbase : L7823HN3), de sorte que les voies de recours internes n'auraient pas été épuisées. En effet, de nature exclusivement indemnitaire, un recours pour une mise en jeu de la responsabilité de l'Etat n'aurait pas été de nature à permettre l'annulation de la perquisition litigieuse, seule recherchée par le requérant, si bien qu'un tel recours ne saurait être conçu comme un "contrôle efficace" de la légalité de la perquisition et des saisies.
Dans ces conditions, il apparaît que le requérant n'avait pas été en mesure d'invoquer utilement ses griefs dans le cadre des procédures internes. La CEDH ne pouvait, dès lors, que conclure à la violation du droit à un recours effectif.
(1) C. proc. pén., art. 99 (N° Lexbase : L7171A4D).
(2) Sur l'analyse détaillée des règles gouvernant les perquisitions et les saisies dans le cabinet d'un avocat ou à son domicile, v. notamment B. Bouloc, Procédure pénale, Dalloz, 21ème éd., 2008, n° 684 ; S. Guinchard et J. Buisson, Procédure pénale, Litec, 4ème éd., 2008, n° 333, 1866.
(3) Voir déjà, en ce sens, CEDH, 16 décembre 1992, Req. 72/1991/324/396 (N° Lexbase : A6532AWT).
(4) CEDH, 25 février 1993, Req. 83/1991/335/408 (N° Lexbase : A6543AWA), série A, n° 256-B, p. 62, § 38 ; CEDH, 25 février 2003, Req. 51772/99, § 68 (N° Lexbase : A3073A7X), CEDH 2003-IV).
(5) V., notamment, CEDH, 25 février 1993, Req. 82/1991/334/407, §§ 56, 39 et 37 (N° Lexbase : A6542AW9), série A, n° 256-A, B et C ; CEDH, 6 septembre 1978, Req. 5029/71, §§ 50, 54 et 55 (N° Lexbase : A3754ET9), série A, n° 28 ; CEDH, 24 août 1998, Req. 88 /1997/872/1084, § 31 (N° Lexbase : A7236AWW), CEDH 1998-V ; CEDH, 29 mars 2005, Req. 57752 /00, § 35 (N° Lexbase : A6255DH7).
(6) CEDH, 24 juillet 2008, Req. 18603/03, § 41 (N° Lexbase : A8281D9L).
(7) V. Particulièrement S. Guinchard et J. Buisson, Procédure pénale, Litec, 4ème éd., 2008, n° 333, 1866.
(8) CEDH, 16 décembre 1992, Req. 72/1991/324/396, précité, § 37 ; CEDH, 25 février 2003, Req. 51772/99, précité, § 69 ; CEDH, 24 juillet 2008, Req. 18603/03, précité, § 42.
(9) CEDH, 25 février 2003, Req. 51772/99, précité, § 69 ; CEDH, 24 juillet 2008, Req. 18603/03, précité, § 43.
(10) V. également en ce sens, CEDH, 6 septembre 1978, Req. 5029/71, précité, §§ 50, 54 et 55, et CEDH, 29 mars 2005, Req. 57752/00, précité, § 35 et 43.
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Réf. : Cass. soc., 3 mars 2010, 2 arrêts, n° 08-41.600, Société Collectes valorisation énergie déchets (Coved), FS-P+B+R (N° Lexbase : A6512ESY) et n° 08-40.895, M. Thierry Fortune, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6509ESU)
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par Sébastien Tournaux, Maître de conférences à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV
Le 07 Octobre 2010
Résumés Pourvoi n° 08-41.600 : un changement d'employeur, qui constitue une novation du contrat de travail, ne s'impose au salarié que si les conditions d'application de l'article L. 1224-1 du Code du travail sont remplies. En cas d'application de dispositions conventionnelles prévoyant et organisant le transfert des contrats de travail hors application de ce texte, l'accord exprès du salarié est nécessaire au changement d'employeur et échappe au contrôle de l'inspecteur du travail s'il s'agit d'un salarié protégé. Pourvoi n° 08-40.895 : lorsqu'une autorisation administrative pour le transfert du contrat de travail d'un délégué du personnel a été accordée à l'employeur, le juge judiciaire ne peut, sans violer le principe de la séparation des pouvoirs, remettre en cause l'appréciation par l'autorité administrative de l'application de l'article L. 1224-1 du Code du travail. L'autorisation administrative de transfert ayant été délivrée sur le fondement de l'article L. 1224-1 du Code du travail, le changement d'employeur s'imposait au salarié. |
I - Retour sur les règles relatives au transfert conventionnel du contrat de travail du salarié protégé
Texte figurant parmi les plus emblématiques du Code du travail, l'article L. 1224-1 dispose que, "lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l'entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise". Si la reprise du contrat de travail par l'employeur "entrant" s'impose à lui, il en va de même pour le salarié qui ne peut refuser le transfert du contrat (1).
Tel n'est, en revanche, pas le cas lors d'un transfert conventionnel ou d'un transfert volontaire du contrat, notamment en cas de perte de marché. Le transfert conventionnel correspond à l'hypothèse dans laquelle une convention collective de branche impose à l'entreprise qui récupère un marché perdu par une autre entreprise de reprendre les contrats de travail des salariés qui étaient affectés à ce marché (2). Quant au transfert volontaire, il s'agit de la situation dans laquelle les deux entreprises successives s'entendent pour que l'entreprise entrante reprenne les salariés de l'entreprise sortante affectée au marché perdu (3).
Dans ces deux situations et ce, malgré la résistance de certains juges du fond (4), la Cour de cassation estime usuellement que le transfert du contrat de travail ne s'impose pas aux salariés qui doivent donner leur accord exprès au transfert (5).
Ces règles concernant le transfert, qu'il soit légal, conventionnel ou volontaire, peuvent être perturbées lorsque le salarié en cause ressort de la catégorie des salariés dits protégés.
L'article L. 2414-1 du Code du travail (N° Lexbase : L3906IBB) prévoit, en effet, que le transfert du contrat de travail d'un salarié protégé, par application de l'article L. 1224-1 du Code du travail, doit au préalable être soumis à l'autorisation de l'inspecteur du travail (6). Comme en matière de licenciement, l'administration du travail à la charge de s'assurer que le salarié ne fait pas l'objet d'une mesure discriminatoire (7).
La Cour de cassation a étendu cette règle au cas du transfert conventionnel puisqu'un arrêt rendu par la Chambre sociale le 28 mai 2003 disposait "que lorsqu'un salarié protégé fait partie du personnel dont le contrat de travail est en partie transféré au repreneur d'une activité en application d'une convention ou d'un accord collectif, ce transfert est soumis à l'autorisation administrative" (8). Ce sont ces solutions qui font l'objet de précisions dans les deux décisions sous examen.
II - Le principe : l'absence d'interférence de l'autorisation de l'inspecteur du travail sur l'accord du salarié au transfert
Dans une première affaire (pourvoi n° 08-41-600), un salarié élu délégué du personnel était chargé de l'exécution du marché de collecte des ordures ménagères liant son employeur à un syndicat intercommunal de traitement des ordures ménagères. Ce marché fut attribué, en 2003, à un autre prestataire. L'employeur sortant avait obtenu l'autorisation de l'inspecteur du travail de transférer le contrat de travail de ce salarié. Ce transfert était intervenu, non par application de l'article L. 1224-1 du Code du travail, mais en application de l'annexe V de la Convention collective nationale des activités du déchet . Le salarié refusa cependant le transfert. L'employeur sortant décidant de ne plus lui donner du travail, le salarié saisit le juge prud'homal d'une demande en résiliation judiciaire du contrat de travail.
La cour d'appel rejeta la demande du salarié en jugeant, principalement, que le refus par le salarié de signer le nouveau contrat de travail proposé par la société entrante ne faisait pas échec au transfert du contrat.
La Chambre sociale de la Cour de cassation casse et annule cette décision au visa des articles 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC) et L. 1224-1 du Code du travail et de la Convention collective nationale des activités du déchet prévoyant le transfert conventionnel en cas de perte de marché.
Elle rappelle, d'abord, qu'à ses yeux, "un changement d'employeur, qui constitue une novation du contrat de travail, ne s'impose au salarié que si les conditions d'application de l'article L. 1224-1 du Code du travail sont remplies" (9). Il en découle alors que "l'accord exprès du salarié est nécessaire au changement d'employeur" et, ensuite, que ce transfert "échappe au contrôle de l'inspecteur du travail".
La règle de principe posée par la Chambre sociale constitue une variation des règles prétoriennes en matière de transfert conventionnel du contrat des salariés protégés. Désormais, en cas de transfert conventionnel et, probablement par extension (10), en cas de transfert volontaire du contrat de travail d'un salarié protégé, l'employeur devra toujours obtenir l'accord exprès du salarié et cet accord ne sera pas contrôlé par l'inspecteur du travail.
L'idée qui semble guider ce raisonnement est la suivante. Le salarié doit donner son accord exprès puisqu'il s'agit d'un transfert conventionnel. Dès lors qu'il donne son accord exprès, on peut penser que le salarié n'est pas victime d'une mesure discriminatoire de l'employeur sortant qui chercherait à se débarrasser du salarié, à tout le moins si le consentement du salarié n'est pas vicié. A partir de là, le contrôle de l'inspecteur du travail visant à s'assurer que la mesure n'est pas discriminatoire devient en partie inutile.
Il reste cependant délicat d'apprécier la véritable portée de cette règle. Faut-il comprendre, dans une appréciation large, que l'employeur sera dispensé de toute demande d'autorisation à l'administration du travail ? Faut-il, au contraire, dans une appréciation étroite, seulement comprendre que l'éventualité d'une autorisation donnée par l'inspecteur du travail n'a pas d'influence sur la faculté pour le salarié d'accepter ou de refuser le transfert ?
La première conception, qui constituerait un véritable revirement de jurisprudence, doit être rejetée tant elle serait contestable. Trois arguments plaident contre une telle interprétation.
Primo, cette solution présupposerait que le consentement donné par le salarié purge toute hypothèse de discrimination et dispense donc d'un contrôle de l'inspection du travail. Cette idée est très contestable et il suffit, pour s'en convaincre, d'observer le nombre très important de saisines du juge prud'homal pour une démission dont le salarié demande la requalification en prise d'acte de la rupture du contrat de travail. Ce n'est manifestement pas parce que le salarié émet sa volonté de rompre ou de transférer le contrat de travail que cette volonté est purgée de tout vice (11).
Secundo, la décision de la Chambre sociale ne serait guère cohérente avec la conciliation opérée par le législateur s'agissant d'autres consentements du salarié protégé. L'exemple qui vient évidemment à l'esprit est celui de la rupture conventionnelle du contrat de travail (12). Celle-ci fait, à l'évidence, l'objet d'un consentement du salarié, qui plus est d'un consentement dont les partenaires sociaux et le législateur se sont attachés à assurer la liberté (13). Pour autant, malgré ce consentement théoriquement expurgé de tout vice pour résilier le contrat, le système d'autorisation de l'inspecteur du travail a été maintenu pour que le salarié puisse rompre le contrat par rupture conventionnelle (14).
Tertio, cette interprétation mènerait peu ou prou à gommer toute différence entre le transfert conventionnel du salarié protégé et celui du salarié non titulaire d'un mandat de représentation du personnel. En cas de transfert conventionnel ou de transfert volontaire, le salarié protégé serait traité comme un salarié comme un autre.
Dans ces conditions, il paraît plus raisonnable de considérer que la portée de la solution rendue est plus modérée et qu'elle consiste, simplement, à envisager que, lorsque l'inspecteur du travail donne son accord à l'employeur pour que le contrat de travail soit transféré, il demeure malgré tout nécessaire que le salarié protégé donne son accord exprès au transfert. Cette interprétation, outre qu'elle paraît plus raisonnable, a également le mérite de mieux s'articuler avec la solution rendue par le second arrêt et qui fait alors figure d'exception à la règle décrite.
III - L'exception : l'accord exprès du salarié repoussé par la qualification de transfert légal opéré par l'inspecteur du travail
Dans cette seconde affaire (pourvoi n° 08-40.895), un cuisinier, titulaire d'un mandat et donc salarié protégé, avait été engagé par les services de restauration d'une clinique privée. En 2000, la clinique externalisait son service de restauration à la société Sodexo. Une autorisation administrative de transfert du contrat de travail était délivrée par l'inspection du travail sur le fondement de l'article L. 1224-1 alors que, manifestement, ce texte ne pouvait trouver à s'appliquer et qu'il s'agissait d'un transfert conventionnel. Quelques années plus tard, la société Sodexo licenciait le salarié. Celui-ci contesta à la société sa qualité d'employeur et saisit la juridiction prud'homale d'une demande en nullité de son licenciement. L'argument du salarié tenait à ce que le contrat de travail n'avait jamais été transféré de la clinique à la société de restauration faute d'accord exprès au transfert de sa part.
La cour d'appel saisie, constatant que l'autorisation administrative de transfert avait été délivrée sur le fondement de l'article L. 1224-1 du Code du travail, rejeta la demande du salarié et jugea que le changement d'employeur s'était imposé au salarié.
La Chambre sociale de la Cour de cassation rejette le pourvoi en estimant "que lorsqu'une autorisation administrative pour le transfert du contrat de travail d'un délégué du personnel a été accordée à l'employeur, le juge judiciaire ne peut, sans violer le principe de la séparation des pouvoirs, remettre en cause l'appréciation par l'autorité administrative de l'application de l'article L. 1224-1 du Code du travail".
La Cour décline donc la compétence du juge judiciaire sur la qualification du transfert lorsque l'inspection du travail a estimé, fut-ce à tort, que le transfert répondait aux conditions du transfert légal.
Ce deuxième arrêt rendu par la Chambre sociale pose une exception à la liberté du salarié protégé d'accepter ou de refuser le transfert de son contrat de travail, exception qui replace l'inspecteur du travail sur le devant de la scène.
En effet, la deuxième espèce nous enseigne que, lorsque l'employeur demande l'autorisation à l'administration du travail de transférer le contrat d'un salarié protégé et que l'inspecteur du travail autorise le transfert sur le fondement de l'article L. 1224-1 du Code du travail, le transfert s'opère de manière automatique si bien que le salarié perd la faculté de s'opposer au transfert de son contrat de travail.
Autrement dit, l'erreur d'appréciation de l'inspecteur du travail qui qualifie de transfert légal un transfert qui, pourtant, aurait dû être qualifié de transfert conventionnel, semble en quelque sorte transformer le transfert conventionnel en transfert légal. L'argumentation de la Cour de cassation est quasi imparable, puisque la Chambre sociale s'appuie sur le principe de séparation des pouvoirs, sur la distinction entre les ordres judiciaire et administratif.
Presque imparable... Car, en réalité, un argument interpelle nécessairement l'interprète.
On se souviendra que le législateur fait parfois peu de cas de la distinction entre ordre judiciaire et ordre administratif, comme c'est là encore le cas s'agissant de la rupture conventionnelle. Faut-il rappeler, en effet, que l'homologation ou le refus d'homologation de la rupture conventionnelle du contrat de travail par les services locaux de l'administration du travail n'est pas justiciable devant le juge administratif, mais devant le conseil de prud'hommes ?
Bien entendu, on rétorquera que le juge judiciaire est moins légitime que le législateur pour interférer dans les règles de compétence du juge administratif. Quoi qu'il en soit, ce voile pudique que la Cour de cassation place devant ses yeux face à l'interprétation de l'administration pourrait mener à des différences de positions jurisprudentielles sur les transferts de contrat de travail. Le juge administratif pourrait, par exemple, adopter une position beaucoup plus souple du transfert légal ressortissant de l'article L. 1224-1 du Code du travail et y faire entrer la perte de marché. Un véritable fossé entre salariés protégés et salariés "de droit commun" pourrait alors se creuser.
(1) Cass. soc., 26 septembre 1990, n° 87-41.092, Mme Mercier et autre c/ Société V Distribution (N° Lexbase : A9055AAM) ; Cass. soc., 11 mars 2003, n° 01-41.842, M. Jean-Michel Voisin c/ M. Gilles Gauthier, FS-P+B+I (N° Lexbase : A3883A7X).
(2) Pour des exemples de conventions collectives prévoyant de tels transferts, v. l’Ouvrage "Droit du travail", Les exemples de conventions ou accords collectifs prévoyant le transfert des contrats de travail (N° Lexbase : X0216ABM).
(3) Pour une exemple récent, v. Cass. soc., 13 mai 2009, n° 08-41.977, Société La Mimetaine, F-D (N° Lexbase : A9867EGK).
(4) V., par ex., Bordeaux, ch. soc., sect. B, 30 octobre 2008, n° 07/3755, Faugeras c/ SA Citram Aquitaine (N° Lexbase : A1162EER), Cah. Juris. Aquitaine et Midi-Pyrénées 2009-1, p. 86, obs. S. Tournaux.
(5) Pour le transfert volontaire, v. Cass. soc., 7 novembre 1989, n° 86-43.524, Mme Esnaud et autres c/ Caisse autonome nationale de la Sécurité sociale dans les Mines et autre ([LXB=5251CGL]), Bull. civ. V, 1989, n° 644 ; Cass. soc., 12 décembre 2001, n° 99-45.921, M. Gilles Pellegrini, F-D ([LXB=6583AX4]), RJS, 4/2002, n° 398 ; pour le transfert conventionnel, v. par ex. Cass. soc., 2 avril 1998, n° 96-40.383, Société Lafitte c/ Mme Maryse Lesbarrères (N° Lexbase : A6934AHB).
(6) Sur cette question d'une manière générale, v. A. Mazeaud, La protection des représentants du personnel en cas de transfert partiel d'entreprise, in Mélanges Despax, p. 539
(7) C. trav., art. L. 2421-9 (N° Lexbase : L0222H94).
(8) Cass. soc., 28 mai 2003, n° 01-40.512, Société de prestations européennes de nettoyage (SPEN) c/ M. Souleymane Soumarou, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6798CKY) et les obs. de G. Auzero, Transfert partiel d'entreprise en application de dispositions conventionnelles et représentation du personnel, Lexbase Hebdo n° 75 du 12 juin 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N7698AAD). V., déjà en ce sens, Cass. soc., 30 mars 1999, n° 97-40.578, Société Abilis, société anonyme c/ M. Sid Ahmed Benbouziane, inédit (N° Lexbase : A3689C7R).
(9) Sur la novation du contrat de travail, v. L. Gaudin, La novation en droit du travail, une notion en quête d'utilité, RDT, 2008, p. 162.
(10) Le premier arrêt dispose que la règle posée s'applique "hors application" de l'article L. 1224-1 du Code du travail, ce qui confirme son applicabilité au transfert conventionnel.
(11) Sur la valeur à accorder à l'accord du salarié en droit du travail, lire P. Lokiec, L'accord du salarié, Dr. soc., 2010, p. 140.
(12) F. Favennec-Héry, La rupture conventionnelle, mesure phare de l'accord, Dr. soc., 2008, p. 314 ; X. Prétot, L'homologation de la rupture conventionnelle par l'autorité administrative, Dr. soc., 2008, p. 316 ; G. Auzero, L'accord du 23 janvier 2008 sur la modernisation du marché du travail : l'ébauche d'une "flexisécurité à la française", RDT, 2008, p. 152 ; nos obs., Article 5 de la loi portant modernisation du marché du travail : la rupture conventionnelle du contrat de travail, Lexbase Hebdo n° 312 du 11 juillet 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N5222BGI).
(13) L'exigence de la tenue d'un ou plusieurs entretiens, l'existence d'un délai de rétractation et la prévision d'une homologation par l'administration du travail n'ont d'autre visée que d'assurer le libre consentement des parties.
(14) C. trav., art. L. 1237-15 (N° Lexbase : L8169IAS).
Décisions 1° Cass. soc., 3 mars 2010, n° 08-41.600, Société Collectes valorisation énergie déchets (Coved), FS-P+B+R (N° Lexbase : A6512ESY) Cassation, CA Paris, 22ème ch., sect. B, 5 février 2008 Textes applicables : C. trav., art. L. 1224-1 (N° Lexbase : L0840H9Y) ; C. civ., art. 1134 (N° Lexbase : L1234ABC) ; Annexe V de la Convention collective nationale des activités du déchet du 11 mai 2000 Mots-clés : transfert conventionnel d'entreprise ; salariés protégés ; maintien des contrats de travail ; accord exprès du salarié ; absence de contrôle de l'inspecteur du travail Lien base : (N° Lexbase : E8882ESR) 2° Cass. soc., 3 mars 2010, n° 08-40.895, M. Thierry Fortune, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6509ESU) Rejet, CA Rennes, 5ème ch. prud'hom., 18 décembre 2007 Textes applicables : C. trav., art. L. 1224-1 (N° Lexbase : L0840H9Y) Mots-clés : transfert conventionnel d'entreprise ; salariés protégés ; maintien des contrats de travail ; qualification de l'inspecteur du travail ; transfert répondant aux conditions de l'article L. 1224-1 ; transfert automatique du contrat de travail Lien base : ({"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 43960, "corpus": "encyclopedia"}, "_target": "_blank", "_class": "color-encyclopedia", "_title": "Le sort des contrats de travail des salari\u00e9s prot\u00e9g\u00e9s en cas de transfert partiel d'entreprise", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: E8871ESD"}}) |
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Réf. : Ass. plén., 5 mars 2010, n° 08-42.843, Syndicat des copropriétaires Les Jardins de France c/ M. Baudouin-Henry Tassy, P+B+R+I (N° Lexbase : A6211EST)
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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
Le 07 Octobre 2010
Résumé La disposition du règlement de copropriété qui instaure une procédure d'autorisation préalable avant le licenciement du personnel du syndicat constitue une garantie de fond résultant valablement d'un engagement unilatéral du syndicat des copropriétaires dont les salariés peuvent se prévaloir. |
I - L'existence de garanties procédurales de fond
Les procédures applicables en matière de licenciement relèvent de l'ordre public social et peuvent donc être améliorées par voie conventionnelle ou par toute autre source.
Depuis 1999, la Chambre sociale de la Cour de cassation considère que les obligations consultatives préalables au licenciement constituent pour les salariés des garanties de fond dont le non-respect prive le licenciement de cause réelle et sérieuse (1).
La même sanction concerne l'obligation d'informer le salarié du droit de saisir la commission (2), de lui communiquer les pièces du dossier (3), de l'informer sur le déroulement de la consultation (4) ou du respect des mentions qui doivent figurer impérativement sur le procès-verbal établi par la commission et transmis au salarié (5).
La Cour de cassation applique cette jurisprudence non seulement aux obligations procédurales stipulées dans des conventions collectives, mais également aux dispositions de même objet contenues dans une circulaire (6), un règlement intérieur (7) ou encore un pacte d'actionnaire (8).
Dans toutes ces hypothèses, l'attribution au salarié de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse suppose que la violation des règles supplémentaires soit imputable à l'employeur ; si le non-respect est imputable à un dysfonctionnement uniquement causé par l'organisme consultatif lui-même, alors le licenciement, même prononcé sans respect de la procédure, pourra être justifié (9).
II - La consécration d'une nouvelle garantie procédurale de fond tirée de la violation des dispositions du règlement de copropriété
C'est à une nouvelle application de cette jurisprudence que nous convie l'Assemblée plénière de la Cour de cassation dans cet arrêt en date du 5 mars 2010.
Dans cette affaire, un couple avait été recruté par un syndicat des copropriétaires. Contestant la régularité de leur licenciement au regard des stipulations du règlement de copropriété, les deux salariés avaient saisi la juridiction prud'homale de demandes de dommages et intérêts pour absence de cause réelle et sérieuse.
La cour d'appel d'Aix-en-Provence leur avait donné raison après avoir considéré les dispositions du règlement de copropriété subordonnant le licenciement du concierge à un vote majoritaire de l'assemblée des copropriétaires comme une garantie de fond.
Cet arrêt avait été sèchement cassé par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt inédit rendu en formation restreinte en date du 16 mai 2007 (10).
Sur renvoi, la cour d'appel de Montpellier avait refusé de s'incliner et confirmé la décision de la cour d'Aix. Le syndic ayant formé un pourvoi en cassation sur le même motif que précédemment, il convenait donc de saisir l'Assemblée plénière de la Cour de cassation.
Cette fois-ci, les deux pourvois sont rejetés et la résistance des magistrats de la cour de Montpellier récompensée, en même temps qu'est désavouée la Chambre sociale de la Cour de cassation (11).
Après avoir relevé que la clause du règlement de copropriété imposant, préalablement au licenciement d'un salarié du syndicat de copropriétaire, d'obtenir l'autorisation préalable de la majorité des copropriétaires, pouvait être invoquée directement par les salariés, la Cour affirme que cette procédure "constituait une garantie de fond" dont l'"inobservation avait pour effet de rendre sans cause réelle et sérieuse leurs licenciements".
III - Une solution justifiée
Le moins que l'on puisse dire est que cette solution semble audacieuse. Le lien existant entre le règlement de copropriété, en ce qu'il définit les compétences du syndic, mandataire de la copropriété, et le licenciement des salariés de la copropriété, n'est pas des plus évidents, car le premier concerne la gestion de l'ensemble immobilier, et le second les rapports avec le personnel. Si on peut comprendre que le règlement intérieur puisse instaurer une procédure préalable au licenciement et que les salariés puissent en réclamer l'application, puisqu'il s'agit du règlement de l'entreprise et qu'il concerne directement les salariés, tel ne semble pas être le cas ici.
Quoi qu'il en soit, et au-delà de ces réserves, la solution est finalement justifiée, car même si le règlement de copropriété n'est pas l'instrument adéquat pour restreindre le pouvoir de licencier de l'employeur (le syndicat) ou de son représentant (le syndic), force est de constater qu'en l'espèce, il restreignait effectivement ce droit en contraignant le syndic à recueillir la majorité des voies des copropriétaires avant de prononcer un licenciement. Il s'agissait donc bien d'une procédure concernant à la fois les pouvoirs du syndic et les droits des salariés, et il semblait, dès lors, légitime que ces derniers puissent les invoquer à leur profit.
On pourrait toutefois faire observer, avec Gilles Auzero, qu'il pourrait sembler étrange de permettre au salarié d'invoquer à son profit le défaut de pouvoir de la personne qui a prononcé le licenciement pour en déduire l'absence de cause réelle et sérieuse, car en principe il conviendrait de considérer l'acte comme nul, voire inexistant, puisque la personne qui a notifié le licenciement agissait sans pouvoir (12), à moins, bien entendu, que l'acte litigieux ne soit sauvé par la personne ayant compétence, par exemple dans le cadre d'une ratification. La remarque, qui concerne ici le règlement de copropriété, nous semble d'ailleurs également valoir pour les dispositions du pacte d'actionnaire (13).
Mais on sait que la nullité du licenciement est réservée à la violation d'un statut particulier ou des droits et libertés fondamentales des salariés. Or, tel n'est évidemment pas le cas ici, et le constat du défaut de cause réelle et sérieuse semble déjà suffisant.
(1) Cass. soc., 23 mars 1999, n° 97-40.412, Mme Jaureguy c/ M. Leray, ès qualités de liquidateur de l'association d'aide à domicile en milieu rural pour le canton de Puymirol et autre (N° Lexbase : A3552AU4), Dr. soc., 1999, p. 634, obs. J. Savatier ; Cass. soc., 28 mars 2000, n° 97-43.411, Société nouvelle Air Toulouse international c/ M. Texier et autre (N° Lexbase : A6374AG8), RJS, 2000, n° 530 ; Cass. soc., 11 juillet 2000, n° 97-45.781, M. Demarcke c/ Société Allianz Via assurances (N° Lexbase : A3560AUE), Dr. soc., 2000, p. 1027, et les obs. ; Cass. soc., 8 janvier 2002, n° 99-46.070, Mlle Yves-Marie Gustave c/ Compagnie Assurances générales de France vie (AGF Vie), FS-D (N° Lexbase : A7816AXR), Dr. soc., 2002, p. 466, obs. J. Savatier ; Cass. soc., 6 juillet 2004, n° 02-43.731, M. Bernard Hubert c/ Société BNP-Paribas, F-D (N° Lexbase : A0415DDQ) ; Cass. soc., 22 octobre 2008, n° 06-46.215, M. Bruno Payet (N° Lexbase : A9294EAH) et nos obs., Licenciement et non-respect des procédures conventionnelles : la Cour de cassation toujours aussi intransigeante, Lexbase Hebdo n° 325 du 6 novembre 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N6856BHE) ; Cass. soc., 17 décembre 2008, n° 07-43.241, Lycée d'enseignement professionnel rural et privé L'Oustal, F-D (N° Lexbase : A9165EB3) (article 3231 du statut du chef d'établissement adopté par le conseil d'administration du conseil national de l'enseignement agricole privé) ; Cass. soc., 21 janvier 2009, n° 07-41.788, M. Christophe Cuignet, FS-P+B+R sur le premier moyen (N° Lexbase : A6458EC8) (article 9.3 de la Convention collective nationale des personnels de formation de l'enseignement agricole privé du 4 novembre 1993) ; Cass. soc., 4 juin 2009, n° 07-41.631, Société Le Football Club Sochaux Montbéliard, FS-D (N° Lexbase : A6184EHI) (article 13.1 de la Charte de football professionnel) ; Cass. soc., 17 juin 2009, n° 08-40.391, Société Filhet-Allard, F-D (N° Lexbase : A3098EIL) (convention collective des entreprises de courtage d'assurances) ; Cass. soc., 16 septembre 2009, n° 08-40.261, Société Aviva vie, F-D (N° Lexbase : A1088ELU) ; Cass. soc., 22 septembre 2009, n° 08-42.036, Société Mutuelle du Mans assurances vie, F-D (N° Lexbase : A3547ELX).
(2) Cass. soc., 31 janvier 2006, n° 03-43.300, Caisse méditerranéenne de financement (CAMEFI) c/ M. Jean-Pierre Darnard, F-P (N° Lexbase : A6480DMX) ; Cass. soc., 18 octobre 2006, n° 03-48.370, Société SMA Vie Btp, FS-P+B (N° Lexbase : A9583DRD).
(3) Cass. soc., 11 juillet 2006, n° 04-40.379, M. Ange Cenent, F-P (N° Lexbase : A4373DQZ)
(4) Cass. soc., 16 septembre 2008, n° 07-41.532, Caisse régionale de crédit agricole mutuel de la Guadeloupe (CRCAMG), FS-P+B (N° Lexbase : A4076EA9).
(5) Cass. soc., 29 juin 2005, n° 03-44.376, M. Michel Berthelot c/ Société Gan Prévoyance, FS-P+B (N° Lexbase : A8543DIA), Bull. civ. V, n° 221.
(6) Cass. soc., 7 juillet 2009, n° 07-44.884, M. Georges Toulouse, F-D (N° Lexbase : A7228EIK) (§ 2 de la circulaire PERS 846 relative aux mesures disciplinaires au sein d'EDF-GDF).
(7) Cass. soc., 2 mars 2010, n° 08-44.087, Association des parents d'enfants inadaptés (APEI), F-D (N° Lexbase : A6517ES8) (règlement intérieur d'une association gérant un foyer de l'Adapei).
(8) Cass. soc., 18 mars 2009, n° 07-45.212, Société Archives généalogiques Andriveau, F-D (N° Lexbase : A0837EEQ).
(9) Cass. soc., 3 juin 2009, n° 07-42.432, Société Saem transports de l'agglomération de Montpellier, FP-P+B (N° Lexbase : A6186EHL) (article 54 de la Convention collective nationale étendue des réseaux de transports publics urbains de voyageurs du 11 avril 1986) et les obs. de G. Auzero, Mise en oeuvre des procédures conventionnelles de licenciement : de quelques distinctions autour de la notion de "garanties de fond", Lexbase Hebdo n° 355 du 19 juin 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N6572BKM).
(10) Cass. soc., 16 mai 2007, n° 05-45.332, Syndicat des copropriétaires Les Jardins de France, F-D (N° Lexbase : A2510DWU).
(11) Notons, toutefois, que l'arrêt de 2007 avait été rendu par un seul magistrat, en juge unique et que ce dernier ne siège d'ailleurs plus à la Cour.
(12) G. Auzero, L'exercice du pouvoir de licencier, Dr. soc., 2010, p. 289, sp. p. 293.
(13) Cass. soc., 18 mars 2009, n° 07-45.212, préc..
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par Anne Lebescond, Journaliste juridique
Le 07 Octobre 2010
Patrick Léonard : Cette vocation est née de mon désir de dépasser le simple exercice individuel, pour m'impliquer au niveau collectif. Elle s'est imposée à moi en tant que suite logique de la voie que j'avais empruntée jusque là.
J'ai, tout d'abord, exercé les fonctions de membre du conseil de l'Ordre. Parallèlement, j'ai enseigné la procédure civile au sein du centre de formation professionnelle de la cour d'appel de Nîmes jusqu'en 2005. J'ai rejoint ensuite, pour deux mandats, le conseil d'administration de la CARPA, dont je suis devenu président il y a cinq ans. J'employais une grande partie de mon temps à réformer et moderniser l'institution. Enfin, j'ai été élu délégué régional auprès de l'UNCA (Union nationale des CARPA), dont je suis, depuis 2008, l'un des administrateurs.
Lexbase : Pouvez-vous nous présenter le Barreau de Nîmes ? Quelle est son identité ? Quelles sont ses spécificités ?
Patrick Léonard : L'identité du Barreau de Nîmes tient, en premier lieu, à sa cohésion. Toutes les formes d'exercice professionnel y sont représentées et sont prises en compte. Les avocats du conseil ne se sentent pas différents des avocats du judiciaire et vice versa. Ils exercent tous la même profession d'avocat, dans le respect des termes de leur serment, avec le même souci de compétences, d'éthique et de rigueur, et sont tous et au même titre des créateurs de droit.
Au titre de mon mandat, je continue dans cette volonté d'unité. Depuis 34 ans que j'exerçais dans le monde judiciaire, j'étais connu de lui. Mes fonctions au sein de la CARPA m'ont permis de me rapprocher de tous mes autres confrères, issus du milieu du conseil. J'ai très vite compris la nécessité d'envisager cette profession comme une entité globale.
Tout clivage est néfaste. Nous devons tous oeuvrer pour que l'avocat ne soit plus perçu par le public comme l'équivalent du "chirurgien urgentiste" en matière pénale. Les usagers du droit doivent savoir que l'activité judiciaire ne représente qu'une petite partie de notre activité globale.
Pour se rapprocher d'eux, le Barreau mène une politique forte de partenariats. Des conventions sont signées avec, notamment, le tribunal de grande instance de Nîmes pour le Conseil départemental de l'accès au droit (CDAD), le club de presse et de communication du Gard, avec la Chambre de commerce, avec la Chambre des métiers, avec la faculté, avec le Conseil général du Gard pour les droits de l'enfant et avec la Maison des ados. Nous avons, également, créé l'Institut nîmois des avocats conseil (INAC), afin de rapprocher l'avocat des dirigeants, qu'il s'agisse de TPE ou de multinationales.
Le Barreau de Nîmes s'implique aussi fortement dans la "mission de service public" qu'est la défense pénale. Le dispositif repose, en majeure partie, sur les avocats qui, d'une part, assurent les permanences et, d'autre part, supportent financièrement le système à double titre : eu égard à la rémunération dérisoire qu'ils perçoivent au titre de l'aide juridictionnelle (16 unités de valeur qu'il s'agisse d'une procédure devant le juge de proximité ou devant le Conseil constitutionnel dans le cadre de la question prioritaire de constitutionnalité -QPC-) et compte tenu de la prise en charge du coût de celle-ci par les Ordres. L'Ordre de Nîmes emploie, de son côté, un salarié à temps plein pour gérer les permanences.
Notre Barreau est, enfin, pluraliste, dans le sens où toutes les spécialités y sont représentées, du droit de la famille au droit des affaires, en passant par le droit public. La filière d'enseignements de cette dernière matière proposée par la faculté de Nîmes ne cesse de se développer. L'Ordre a souhaité accompagner ce mouvement. Nous avons participé à la mise en place d'une formation complémentaire dispensant un diplôme de contentieux du droit public.
Lexbase : Quels sont les prochains rendez-vous fixés par votre Barreau ?
Patrick Léonard : Le Barreau de Nîmes souhaite commémorer l'action d'un de ses membres, le Bâtonnier Charles Bedos, le 29 mars prochain. Une cérémonie débutera à 11 heures devant le Palais de justice, au cours de laquelle sera apposée une plaque en sa mémoire. Pendant la Seconde guerre mondiale, Charles Bedos n'a pas hésité à prendre la défense de deux jeunes communistes qualifiés de terroristes par la police de Vichy (2), Jean Robert et Vincent Faïta. Pour cette défense et pour autres actes de résistance, la Gestapo l'a arrêté et déporté au camp de Mauthausen, auquel il a réchappé.
Nous organisons, également, un colloque qui se tiendra à Nîmes, le 10 septembre prochain, sur le thème des bouleversements de la norme en droit du travail, auquel vont participer les plus grands spécialistes de la matière, issus tant du monde universitaire que professionnel.
Lexbase : Faisons, maintenant, un tour d'actualité. La question se pose de la réforme de la gouvernance. Pensez-vous qu'elle soit nécessaire ?
Patrick Léonard : Si vous pensez aux barreaux de cours, sachez que cette solution me semble être une fausse bonne idée, en ce que les avocats seraient éloignés de leurs interlocuteurs naturels. Le maillage du territoire serait, me semble-t-il, bien mal assuré. Le désengagement de l'Etat en la matière (ainsi qu'en témoigne la réforme de la carte judiciaire, par exemple) est très inquiétant, notamment, parce que les premiers touchés sont, forcément, les plus nécessiteux.
Mon avis est que le lieu de vie d'un barreau, son siège, doit être le même que celui du président du tribunal de grande instance et du procureur de la République. C'est à cet échelon que le rôle du Bâtonnier est indispensable. Ceci n'écarte ni les perspectives d'une représentation nationale renforcée (dont le CNB serait le plus légitime prétendant), ni la possibilité de mutualiser les moyens.
La question est, en fait, de savoir si les moyens, en particulier administratifs et financiers, peuvent être mutualisés au niveau régional. Outre le regroupement des CARPA, je pense à l'inscription des avocats et à l'organisation de la représentation des parties devant la cour par les avocats du ressort.
D'autres solutions existent, qui répondent aux impératifs de proximité. Nous avons créé la Conférence des Bâtonniers de la cour d'appel de Nîmes.
Lexbase : Une autre question fait débat, celle de l'élargissement du champ d'intervention de l'avocat. Le Conseil national des barreaux en a fait un cheval de bataille, quand d'autres (notamment, le Président de la Conférence des Bâtonniers) appellent à une réflexion approfondie en amont sur les différences de métiers et la place de la déontologie. Quelle est votre position ?
Patrick Léonard : Je suis, a priori, favorable à toutes les formes d'élargissement des champs d'intervention, mais je pense qu'elles passent par la reconnaissance de l'avocat comme conseil privilégié et permanent de l'"usager du droit", en toutes matières. L'avocat est LE professionnel du droit qui intervient dans le cadre d'une activité fortement réglementée, qui bénéficie d'une formation initiale de qualité et qui est soumis à une obligation de formation continue sanctionnée. Il est, donc, le seul professionnel en mesure d'offrir une vraie compétence.
Partant de ce postulat, il est permis d'étendre les domaines d'intervention, sous réserve du respect de la déontologie et des principes essentiels régissant notre exercice. Ainsi, pour exemple, la fiducie ou le mandat de protection future me semblent être d'excellentes opportunités. D'autres avancées récentes s'inscrivent dans le coeur même de notre exercice, tels la QPC ou l'acte d'avocat (dont on attend avec impatience son examen par l'Assemblée).
Lexbase : Michèle Alliot-Marie vient de soumettre à la concertation l'avant-projet de loi sur la réforme de la procédure pénale. Les réactions ont été vives et nombreuses, en particulier de la part des avocats et des magistrats. Une marche réunissant plusieurs milliers de personnes a eu lieu à Paris le 9 mars dernier (1). Quel est votre sentiment sur le texte ? Etes-vous solidaire de ce type d'initiatives ?
Patrick Léonard : Concernant la marche du 9 mars dernier, il faut rappeler que l'initiative était syndicale. Or, l'expression syndicale ne se confond pas avec l'expression ordinale et le mot d'ordre du représentant des Bâtonniers, la Conférence, a été de privilégier l'écoute et le dialogue. Mon devoir est de suivre cette directive, ce qui m'allait, également, sur le plan personnel.
Il n'en demeure pas moins que nous nous mobilisons également fortement, face à un texte qui est tout sauf satisfaisant. Je ne fustige pas nécessairement la suppression du juge d'instruction. La création de ce statut a été dictée pour répondre aux besoins de la population du XIXème siècle, rurale, pour une grande partie analphabète et dont les principales préoccupations avaient trait à la famille, la propriété, les successions etc.. Le juge d'instruction leur rendait le droit et la défense de leurs intérêts accessibles. Aujourd'hui, la société est complètement transparente et ces besoins ont évolué. Une réforme peut, donc, être amorcée, mais sous conditions. En particulier, elle doit nécessairement permettre un réel contrepoids au Parquet. Les droits de la défense doivent être autant assurés que ceux de l'accusation. Dans ce cadre, le rôle de l'avocat dans les différentes procédures (dont celle de la garde à vue) doit être renforcé. Les propositions formulées par la Chancellerie de limiter l'intervention de l'avocat au cours de cette mesure à deux entretiens d'une demi-heure et l'instauration d'une garde à vue "light", l'"audition libre", propice à favoriser les abus, est inacceptable. Le système français est loin d'être d'équerre avec les exigences de la Cour européenne des droits de l'Homme. Il est grand temps d'y remédier.
Et, depuis son entrée en vigueur en mars 2010, la question de la conformité de la garde à vue aux exigences du respect des droits fondamentaux est la QPC la plus posée au Conseil. En partenariat avec l'UJA, nous avons organisé une opération qui prévoyait que je sois commis d'office sur deux dossiers, afin, justement, de soulever la QPC et la nullité de la procédure.
Par jugement du 1er mars 2010 et dans deux dossiers, le tribunal correctionnel de Nîmes a retenu la QPC pour le premier, et la nullité de l'audition du prévenu au regard de la Convention européenne des droits de l'Homme dans le second.
Enfin, il me semble impératif que cette réforme, d'une part, consacre l'indépendance du Parquet et, d'autre part, organise un arbitrage effectif et impartial par le juge de l'instruction.
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par Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Metz
Le 21 Octobre 2011
Dans cette affaire, un agent de la fonction publique hospitalière, père de trois enfants, a demandé à son employeur sa mise à la retraite d'office en se prévalant du principe d'égalité des rémunérations posée en droit communautaire, tel qu'interprété par la Cour de justice des Communautés européennes et par le Conseil d'Etat (1). L'employeur du requérant accepta la demande sous réserve de la décision de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL). La Caisse des dépôts et consignations, gestionnaire de la CNRACL, rejeta la demande au motif que seul un agent féminin réunissant, au moins, 15 ans de service effectif, et étant mère de trois enfants pouvait prétendre à la liquidation de sa pension. Le requérant saisit alors le tribunal administratif d'un recours en annulation de cette décision de refus mais, avant le premier jugement, une loi du 30 décembre 2004 (2) supprima cette limitation contraire au droit communautaire tout en conditionnant, élément nouveau, le droit à la retraite anticipée à une interruption effective de l'activité liée à la naissance de l'enfant dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat (3). Il était, par ailleurs, prévu que cette modification soit d'application immédiate, même pour les "demandes présentées avant leur entrée en vigueur qui n'avaient pas donné lieu à une décision de justice passée en force de choses jugée" (4). L'instruction du recours du requérant devant le tribunal administratif fut close et le décret en Conseil d'Etat susmentionné fut adopté le 10 mai 2005 (5). Les nouvelles dispositions entrèrent en vigueur le lendemain de la publication du décret d'application, soit le 12 mai 2005.
Par un jugement du 5 juillet 2005 (6), le tribunal administratif de Melun rejeta le recours du requérant, en faisant application des dispositions de la loi nouvelle. Il considéra que le requérant ne faisait état d'une interruption d'activité d'une durée supérieure à deux mois que pour l'un de ses trois enfants et que, dès lors, il ne remplissait pas la condition posée par le législateur et précisée par le pouvoir réglementaire pour bénéficier de la liquidation immédiate de sa pension. Par requête du 28 septembre 2005, le requérant saisit le Conseil d'Etat d'un pourvoi en cassation dans le cadre duquel il invoqua l'article 6 § 1 de la Convention (N° Lexbase : L7558AIR) et l'article 1er du premier Protocole additionnel (N° Lexbase : L1625AZ9). Le 24 mars 2006, le Conseil d'Etat déclara le pourvoi non admis, sans motiver sa décision.
Le 27 mai 2005, le juge suprême, statuant par avis contentieux dans l'affaire "Provin"7 (7), avait pourtant estimé que ces nouvelles dispositions rétroactives méconnaissaient l'article 6 § 1 de la Convention. Il considéra, toutefois, que cette incompatibilité ne pouvait être invoquée que par les fonctionnaires qui, à la date d'entrée en vigueur des dispositions litigieuses, avaient, à la suite d'une décision leur refusant le bénéfice du régime antérieurement applicable, déjà engagé une action contentieuse en vue de contester la légalité de cette décision. Il estima, en outre, que ces dispositions étaient contraires à l'article 1er du premier Protocole additionnel, lorsque les fonctionnaires remplissaient les conditions antérieurement applicables et qu'ils avaient présenté, avant la publication de la loi, une demande ayant donné lieu à une décision de refus antérieure au 12 mai 2005, le jour de l'entrée en vigueur de la loi.
Sur le fondement de cette décision, et ayant épuisé les voies de recours interne, le requérant saisit la CEDH pour faire valoir ses droits. Le requérant se plaignant, notamment, de l'application rétroactive du nouveau dispositif, sans qu'il n'ait été tenu compte de l'avis "Provin", et sans qu'il n'ait été en mesure d'en débattre devant le tribunal administratif, la loi étant entrée en vigueur après la clôture de l'instruction. Sur la question de la recevabilité, la Cour ne retient pas l'argument du Gouvernement selon lequel la non-admission du pourvoi serait due à l'invocation de moyens nouveaux devant le Conseil d'Etat. Elle constate, par ailleurs, que le motif de non-admission n'est pas précisé dans l'arrêt du Conseil d'Etat (point 33), et que ce n'était qu'à cette occasion que le requérant pouvait expressément soulever son grief tiré de la violation de l'article 6 § 1, et non pas devant le tribunal administratif, dans la mesure où la loi nouvelle était entrée en vigueur après la clôture de l'instruction.
Sur le fond, la juridiction strasbourgeoise constate qu'avant l'entrée en vigueur de la loi de 2004, et grâce à la jurisprudence communautaire, "le requérant pouvait légitimement s'attendre à obtenir son admission à la retraite anticipée", que l'article nouveau, s'il "exclut expressément de son champ d'application les décisions devenues définitives [...] s'applique, toutefois, aux procédures introduites devant le juge administratif avant son entrée en vigueur", qu'il avait "ainsi pour effet d'influer sur l'issue des litiges en cours" (point 39). Or, cette rétroactivité de la loi ne peut être jugée conforme à l'article 6 § 1 que si elle "reposait sur d'impérieux motifs d'intérêt général" (point 40). Sur ce terrain, la Cour constate que la nouvelle condition ne visait "qu'à préserver le seul intérêt financier de l'Etat en diminuant le nombre de pensions versées aux fonctionnaires parents de trois enfants" (point 41). Or cet intérêt "ne permet pas [à lui seul] de justifier l'intervention rétroactive d'une loi de validation" (point 41) (8). La France est donc condamnée sur ce motif.
Il y a là application d'une jurisprudence désormais classique de la Cour concernant la question de la rétroactivité d'une loi. La Cour sanctionnant le rôle ambigu joué par le Conseil d'Etat, à la fois censeur et protecteur de la rétroactivité de la loi (9). Si le Conseil d'Etat avait opté, déjà sans surprise, pour l'inconventionalité de l'article 136 II de la loi du 30 décembre 2004 (affaire "Provin" précitée), il avait laissé une certaine marge de manoeuvre au Gouvernement en précisant, de façon peu avisée, que la loi rétroactive pouvait être juridiquement acceptable dans ses modalités si elle ne portait pas atteinte à la "substance même" d'un droit reconnu par des lois antérieures. Autrement dit, le législateur pouvait durcir considérablement et de façon rétroactive les conditions de mise en oeuvre d'un droit, dès lors qu'il ne vide pas ce droit de son contenu. C'est cette marge de manoeuvre qui est sanctionnée en l'espèce, là encore sans surprise, par la CEDH.
Un infirmier, après avoir assuré son service de garde le jour de Noël et participé, en fin de journée, à un "pot" organisé par l'hôpital, a été victime d'un accident mortel en rentrant de son service à Paris vers son domicile dans l'Oise. Mis à part le côté tragique d'un tel accident, lorsqu'un fonctionnaire décède en activité, avant la limite d'âge, en raison de blessures ou de maladies subies dans l'exercice des fonctions ou à l'occasion de l'exercice des fonctions, son conjoint a droit, non seulement à la moitié de la pension, mais, également, au versement de la moitié de la rente viagère d'invalidité attribuable à la victime (10). La conjointe a donc fait une demande de réversion de la rente d'invalidité de son conjoint au directeur général de la Caisse des dépôts et consignations, gestionnaire de la CNRACL à laquelle était affilié l'infirmier, mais elle se vit opposer une décision de refus qu'elle attaqua devant le tribunal administratif d'Amiens. Celui-ci estima que l'accident dont avait été victime le conjoint fonctionnaire ne revêtait pas le caractère d'un accident de service, et refusa d'annuler la décision de refus (11). Il jugea, en effet, que la gare dans laquelle la victime était décédée se trouvait en dehors de son itinéraire normal qui le conduisait habituellement à son domicile, et que cette situation n'était ni liée aux nécessités de la vie courante, ni en relation avec l'exercice de ses fonctions. Il ressortait des pièces du dossier que l'infirmier avait probablement dû s'endormir et avait laissé passer la gare où il effectuait habituellement la correspondance, d'où sa descente à la gare suivante. Il se trouvait, de ce fait, en dehors de son trajet habituel au cours duquel l'accident est présumé lié au service. C'est à bon droit que la Caisse des dépôts et consignations avait, en conséquence, refusé la qualification d'accident de service, et c'est ce qui a conduit le tribunal administratif d'Amiens à rejeter le recours de la veuve contre ce refus.
Demandant l'annulation de cette décision, la requérante soulève, à l'appui de son pourvoi, le fait que son conjoint s'était involontairement retrouvé dans la gare en question en raison d'un assoupissement en estimant, ainsi, qu'il n'avait commis aucune faute et que l'accident devait, en conséquence, être qualifié d'accident de service. La Haute juridiction considère, toutefois, que si, effectivement le salarié, du fait de son assoupissement dans le train de retour, avait légèrement modifié son trajet (dépassement de la gare habituelle de correspondance), ce qui expliquait la survenue de l'accident mortel dans une gare située au-delà, l'instruction avait démontré que cela ne traduisait "aucune intention de sa part de ne pas rejoindre directement son domicile dans un délai habituel". Elle en déduit donc, alors même que l'accident serait imputable à une faute de l'intéressé, que l'accident dont il a été victime a, par suite, le caractère d'un accident de service. Et sa veuve est légitime, en ce sens, à demander l'attribution d'une rente viagère d'invalidité à titre de réversion.
En jugeant de la sorte, le Conseil apprécie assez souplement la notion d'accident de service qui ne bénéficie d'aucune réelle définition et fait évoluer sa jurisprudence relative à l'accident de trajet du fonctionnaire, en créant un troisième cas pour lequel l'accident de trajet demeure bien lié au service : "le détour involontaire". Auparavant, la Haute juridiction administrative considérait qu'était lié au service l'accident survenu sur "le trajet direct" entre le domicile de l'agent et son lieu de travail, et admettait seulement le détour lié "aux nécessités de la vie courante". Si l'accident de trajet est précisé par l'article L. 411-2 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L5212ADE) à l'égard des salariés, on ne trouve pas de définition textuelle applicable aux fonctionnaires. Une nouvelle fois, seule la jurisprudence administrative renseigne sur le sujet.
L'accident doit avoir eu lieu lors d'un temps de parcours considéré comme raisonnable. Les retards, dès lors qu'ils ne sont pas excessifs ou justifiés (état du trafic routier, incident dans le métro, etc.), sont donc admis (12). Le trajet commence du lieu de départ de l'agent (domicile ou résidence, peu importe), et s'achève à l'arrivée sur le lieu d'affectation de l'agent (13). La jurisprudence accepte que l'agent public se détourne de son trajet entre son lieu de travail et celui de son domicile si, selon la formule jurisprudentielle consacrée, "ce détour n'est pas étranger aux nécessités de la vie courante". Sans évidemment pouvoir donner de définition de telles nécessités, il est possible d'en donner quelques exemples suffisamment éclairants : ainsi, un détour pour se rendre dans une boulangerie (14), ou bien le passage dans une pharmacie pour y retirer des médicaments commandés la veille (15). En revanche, il a été jugé que le trajet effectué par un agent pour se rendre du lieu où il se restaurait quotidiennement à celui où il avait l'habitude de consommer un café en complément de son repas était étranger aux nécessités de la vie courante. Ce trajet supplémentaire pour aller déguster son café ne pouvait être rattaché qu'à la satisfaction d'un confort personnel, voire à une gourmandise évidemment indéfendable face à l'austère notion de "nécessités de la vie courante", qui s'oppose pleinement à celle de "convenances personnelles" (16).
Mais, pour que la qualification d'accident de trajet ne puisse pas être discutée, il ne suffit pas que le détour soit motivé par les nécessités de la vie courante. Il faut encore que ce détour ne conduise pas le fonctionnaire à dépasser son domicile ou ne l'amène pas dans une direction opposée à celle de son domicile ou de son lieu de travail (17). Il convient donc de distinguer le détour pouvant être justifié par les nécessités de la vie courante du dépassement, beaucoup plus difficilement admis par la jurisprudence, et seulement si celui-ci n'est que "léger", l'interprétation de ce standard ne dépendant que de la bonne volonté du juge et de la capacité de persuasion du requérant (18).
Il faut, en ce sens, en l'espèce, reconnaître cette bonne volonté du juge. L'imputabilité de l'accident au service ne fait guère l'objet devant les juridictions administratives de grandes réflexions théoriques. Il arrive même que surviennent quelques décisions peu orthodoxes plongeant l'observateur, et la doctrine parfois, dans le désarroi. La jurisprudence en la matière n'est pas figée, l'imputabilité au service dépend étroitement des circonstances de fait, de temps et de lieu, et rend délicate une tentative de classification, ainsi que l'édiction de critères précis. Le juge aurait largement pu considérer, comme il l'avait déjà fait, qu'un détour pour accomplir un acte de la vie courante empêchait la qualification d'accident de service, et que le caractère involontaire du détour est directement imputable à un fait personnel de l'intéressé, ce qui aurait conduit à le regarder comme détachable du service. Il n'en a rien été, et il est appréciable, en ce sens, que le juge administratif fasse, en certains cas, preuve d'équité face à la terrible froideur des faits.
Mlle X, diabétique insulinodépendante et reconnue travailleur handicapé, s'est présentée au concours externe déconcentré d'adjoint administratif dans le cadre des emplois réservés aux travailleurs handicapés de la Police nationale. Avant même le passage du concours, le médecin inspecteur général adjoint du service déclarait d'abord la requérante inapte au recrutement d'adjoint administratif. C'est, ensuite, le médecin inspecteur régional du service, qui décidait, quant à lui, qu'"un diabète insulinodépendant, maladie pouvant ouvrir droit à un congé longue maladie" était incompatible avec l'emploi en cause. En conséquence, le chef du bureau du personnel du service refusait sa candidature au concours au motif de son inaptitude médicale par une décision en date du 17 septembre 2007. C'est cette décision qui est déférée au tribunal administratif de Lyon pour annulation, la requérante demandant, au surplus, la condamnation de l'Etat pour réparation des préjudices subis. Entre temps, la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE) fut saisie, cette dernière constatant l'existence d'une discrimination liée au handicap (19) et présentant ses observations en ce sens devant le tribunal administratif. Par jugement en date du 12 juin 2008, ce dernier a, avant-dire droit sur les demandes présentées par l'intéressée, prescrit une mesure d'expertise en vue de déterminer si son état de santé était de nature à l'empêcher, pendant la durée de sa vie active, d'exercer les fonctions d'adjoint administratif de première classe de la police nationale.
Selon le tribunal administratif, l'appréciation des conditions d'aptitude physique pour l'admission dans la fonction publique ne peut porter que sur la capacité du candidat, estimée au moment de l'admission, à exercer les fonctions en question. Cette appréciation peut prendre en compte les conséquences, sur cette aptitude, de l'évolution prévisible d'une affection déclarée, mais, également, l'existence des traitements permettant de guérir l'affection ou de bloquer son évolution. Pour le tribunal, suivant en cela le rapport d'expertise, le diabète insulinodépendant ne constituait pas, à la date donnée, un obstacle à l'exercice des fonctions correspondantes, dont il n'est pas soutenu qu'elles impliqueraient des contraintes inhabituelles incompatibles avec cet état de santé. En outre, des traitements appropriés à ce type de diabète permettaient, dans le cadre d'une prise en charge totalement autonome par le patient, de bloquer durablement l'évolution de la maladie.
La décision du tribunal est un exemple concret de l'extension des droits et garanties des handicapés à la fonction publique. C'est d'abord la loi du 11 février 2005, pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées (20), qui a élargi le champ des personnes handicapées concernées (21). Cette dernière a, également, supprimé les commissions techniques d'orientation et de reclassement professionnel "secteur public", qui avaient pour mission de reconnaître la qualité de travailleur handicapé et d'apprécier l'aptitude physique de l'intéressé avec l'emploi postulé dans la fonction publique. Le nouvel article premier du décret du 10 décembre 1996 (22), modifié par celui du 13 février 2006 (23), simplifie la procédure puisqu'il est seulement exigé du candidat que son handicap soit jugé compatible avec l'emploi postulé. Mais jugé compatible par qui ? Tel est l'objet du II de l'article premier du décret de 1996 modifié. Désormais, ce sont les médecins généralistes agréés en matière de handicap, ordinairement chargés d'apprécier l'aptitude physique des agents lors de leur accès à la fonction publique, qui se prononcent sur l'aptitude des personnes handicapées, le Gouvernement souhaitant que, par une formation adéquate, les médecins puissent mieux évaluer l'étendue et les conséquences d'un handicap et soient, ainsi, mieux à même d'évaluer l'aptitude physique des candidats. Dans chaque département, la liste de ces médecins est arrêtée par le préfet.
Le statut général de 1946 disposait que nul ne pouvait être nommé dans un emploi public s'il ne remplissait les conditions d'aptitude physique nécessaires pour l'exercice des fonctions envisagées, mais il prévoyait, également, une exclusion de principe à l'égard des malades de la tuberculose, d'un cancer ou d'une maladie nerveuse. L'exclusion de principe à l'égard des malades a disparu en 1983, seule subsistant l'appréciation de la condition d'aptitude physique particulière à certains corps ou à certaines fonctions, prévue, en ce cas, dans les statuts particuliers du corps concerné. De manière générale, les candidats à la fonction publique doivent remplir les conditions d'aptitude physique indiquées dans les statuts particuliers (24). Il en va, toutefois, de la condition d'aptitude physique comme d'autres conditions posées à l'entrée dans la fonction publique. Celle-ci se trouve progressivement assouplie pour tenir compte de certains impératifs, comme ici le refus de la discrimination à l'égard des personnes souffrant de maladie évolutive. Si la jurisprudence a accueilli depuis longtemps la règle selon laquelle les candidats à la fonction publique devaient physiquement être aptes à exercer les fonctions auxquelles ils se destinent (25), l'évolution récente tend à restreindre la rigueur et le champ matériel d'application de cette norme. L'administration peut ne pas autoriser un candidat à se présenter aux épreuves d'un concours pour des raisons liées à l'inaptitude à exercer les fonctions à remplir, et peut donc légalement apprécier l'impact prévisible et inévitable des fonctions exercées sur l'état de santé d'une personne pour justifier le refus de la nommer (26). Cela signifie que l'appréciation de l'aptitude physique à exercer les fonctions peut prendre en considération les conséquences, sur cette aptitude de l'évolution prévisible d'une affection déclarée.
Toutefois, elle doit aussi tenir compte de l'existence de traitements permettant de guérir l'affection ou de bloquer son évolution. En ce sens, un arrêté qui prévoit que les candidats aux concours ne doivent être atteints d'aucune affection médicale évolutive pouvant ouvrir droit à un congé de longue maladie ou de longue durée est illégal (27). L'autorité compétente doit prendre en considération, lors de l'appréciation de l'aptitude physique d'un candidat souffrant d'une affection évolutive, les différents moyens thérapeutiques de l'enrayer, voire de la guérir. Il s'agit d'obliger l'employeur à tenir compte des moyens existants pour lutter contre l'évolution de certaines maladies et de faire, en quelque sorte, bénéficier à cette catégorie de candidat des possibilités de compenser la maladie, comme cela existe depuis 2005 pour les personnes handicapées. Ainsi, toute décision fondée sur l'inaptitude physique future, potentielle et imprévisible du candidat constitue une mesure disproportionnée lui conférant un caractère discriminatoire.
Le juge effectue un contrôle normal des conditions établies par les statuts particuliers et recherche si elles sont justifiées par les exigences de la fonction. Il a, ainsi, pu juger que la cécité n'était pas une cause d'exclusion de l'enseignement supérieur (28), pas plus, pour d'autres types de fonction, que le fait d'être hémophile (29). N'est pas non plus incompatible avec les fonctions d'inspecteur des postes le fait d'être amputé d'un bras (30). L'on peut rapprocher l'espèce d'une tendance générale en faveur d'une égalité réelle qui ne se contente plus d'une égalité théorique des droits. En effet, si l'égalité en droit est reconnue, elle est rarement suivie d'une égalité formelle, la lutte contre toutes formes de discriminations et, notamment, celles liées au handicap ou à l'état de santé participant d'une égalité d'accès plus effective à l'emploi public.
Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Metz
(1) La limitation aux seules mères du droit à la retraite anticipée a, en effet, été jugée contraire au principe d'égalité des rémunérations par le juge communautaire (CJCE, 29 novembre 2001, aff. C-366/99, Joseph Griesmar c/ République française N° Lexbase : A5833AXC, Rec. CJCE, 2001, I, p. 9383, JCP éd. G, 2002, II, n° 10102, note C. Moniolle, AJFP, 2002, n° 1, p. 11, note A. Fitte-Duval, Europe, 2002, comm. n° 9, note D. Ritleng) puis par le Conseil d'Etat (CE Contentieux, 29 juillet 2002, n° 141112, Griesmar N° Lexbase : A1869AZA, D., 2002, p. 2832, note A. Haquet, AJDA, 2002, p. 823, concl. Lamy).
(2) Loi n° 2004-1485 du 30 décembre 2004, de finances rectificative pour 2004 (N° Lexbase : L5204GUB), JO du 31 décembre 2004, p. 22522.
(3) Cf. l'article L. 24 du Code des pensions civiles et militaires de retraite (N° Lexbase : L0313HPB), qui dispose que "lorsque le fonctionnaire civil est parent de trois enfants vivants [...] à condition qu'il ait, pour chaque enfant, interrompu son activité dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat".
(4) Cf. l'article 136 II de la loi de finances rectificative pour 2004, et modifiant le Code des pensions civiles et militaires de retraite (N° Lexbase : L4334G8Z), selon lequel "les dispositions du I sont applicables aux demandes présentées avant leur entrée en vigueur qui n'ont pas donné lieu à une décision de justice passée en force de chose jugée".
(5) Décret n° 2005-449 du 10 mai 2005 (N° Lexbase : L4334G8Z), pris pour l'application de l'article 136 de la loi n° 2004-1085 précitée, JO du 11 mai 2005, p. 8174 ; cf. l'article. R. 37-I du Code des pensions civiles et militaires de retraite ([LXB=L1005IEX ]), selon lequel "l'interruption d'activité prévue au premier alinéa du 3° du I et au premier alinéa du 1 bis du II de l'article L. 24 doit avoir eu une durée continue au moins égale à deux mois et être intervenue alors que le fonctionnaire ou le militaire était affilié à un régime de retraite obligatoire".
(6) TA Melun, 5 juillet 2005, n° 0402311 (N° Lexbase : A7451ERE).
(7) CE Contentieux, 27 mai 2005, n° 277975, M. Provin (N° Lexbase : A4113DI8), RFDA, 2005, p. 1003, concl. Devys, AJDA, 2005, p.1455, note C. Landais et F. Lenica, AJFP, 2005, p. 205, note F. Berguin.
(8) Voir, en ce sens, CEDH, 23 juillet 2009, Req. 30345/05, Joubert c/ France (N° Lexbase : A1212EK4), à propos de l'inconventionalité d'une loi de validation en matière fiscale qui "visait, en réalité, à préserver le seul intérêt financier de l'Etat en diminuant le nombre de procédures fiscales annulées par les juridictions administratives", (point 62), et "n'était pas justifiée par l'intérêt général" (point 64).
(9) Voir, en ce sens, P. Boutelet, Le Conseil d'Etat, censeur et protecteur de la rétroactivité des lois, AJFP, 2005, p. 57.
(10) Cf. dispositions du décret n° 65-773 du 9 septembre 1965, portant règlement d'administration publique (N° Lexbase : L1003G8N) (JO du 12 septembre 1965, p. 8131), reprises par le décret n° 2003-1306 du 26 décembre 2003, relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (N° Lexbase : L0974G8L) (JO du 30 décembre 2003, p. 22477).
(11) TA Amiens, 31 décembre 2007, n° 0600122 (N° Lexbase : A4199D8Z).
(12) Voir, en ce sens, CE, 15 mai 1985, n° 54396, Ministre de l' Economie, des Finances et du Budget c/ Mme Ethève (N° Lexbase : A3755ETA), où n'est plus considéré comme un accident de service l'accident survenu au fonctionnaire quatre heures après qu'il ait quitté son travail.
(13) L'accident ainsi survenu sur le parking du lieu de travail de l'agent doit être regardé comme survenu à l'occasion du service (CE 3° et 8° s-s-r., 9 février 2005, n° 263312, Ministre des Solidarités c/ Renard N° Lexbase : A6774DGY).
(14) CE Contentieux, 2 février 1996, n° 145516, Ministre du Budget c/ Dussailland (N° Lexbase : A7655ANT).
(15) CAA Bordeaux, 1ère ch., 1er avril 1999, n° 96BX00626, Iriarte (N° Lexbase : A8627BDU).
(16) CAA Paris, 4ème ch., 7 juillet 2005, n° 01PA03508, Mme Liliane Bouhier (N° Lexbase : A2278DKL).
(17) Voir, par exemple, CE Contentieux, 4 juillet 2001, n° 210667, Ministre de l'Economie c/ Ferrand (N° Lexbase : A5031AUU), Gazette du Palais, 2003, 5-6 février, p. 15, note J.-L. Pecchioli où il s'agit du cas d'un agent ayant fait une erreur d'itinéraire et ayant rebroussé chemin.
(18) CE, 27 octobre 1995, n° 154629, Ministre du Budget c/ Cloatre (N° Lexbase : A6244ANL), où la qualification d'accident de service est reconnue à un dépassement de l'itinéraire normal de 200 mètres pour aller chez la nourrice.
(19) Délibération n° 2008-215 du 29 septembre 2008, relative aux conditions de l'évaluation de l'aptitude physique pour la participation au concours externe déconcentré d'adjoint administratif de la police nationale (N° Lexbase : X7129AG7).
(20) Loi n° 2005-102 du 11 février 2005 (N° Lexbase : L5228G7R) (JO du 12 février 2005, p. 2353).
(21) Ne sont plus seulement visées les personnes ayant la qualité de travailleurs handicapés mais, également, toutes les victimes d'accidents du travail ou de maladies professionnelles, les titulaires d'une pension d'invalidité, les anciens militaires titulaires d'une pension d'invalidité, les sapeurs-pompiers victimes d'accident, survenu, ou de maladie, contractée, en service, les titulaires de la carte d'invalidité, ou encore les titulaires de l'allocation aux adultes handicapés de l'article L. 5212-13 du Code du travail (N° Lexbase : L5806IAB).
(22) Décret n° 96-1087 du 10 décembre 1996 (N° Lexbase : L1076G8D), relatif à l'application de l'article 38 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984, portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale (N° Lexbase : L3840E3M) (JO du 13 décembre 1996, p.18284).
(23) Décret n° 2006-148 du 13 février 2006 (N° Lexbase : L6798HGU), modifiant le décret n° 96-1087 du 10 décembre 1996, précité (JO du 14 février 2006, p. 2256).
(24) Il n'est plus exigé, comme dans le statut de 1959, qu'ils soient exempts de toute affection tuberculeuse, cancéreuse, nerveuse ou poliomyélitique, ou définitivement guéris.
(25) CE, 12 janvier 1938, n° 56012, Pellissier, Rec. CE, p. 12.
(26) Voir, par exemple, CAA Lyon, 3ème ch., 3 décembre 1996, n° 95LY00132, Youssoufian (N° Lexbase : A8955BEE), Rec. CE, tables, p. 961.
(27) CE 3° et 8° s-s-r., 6 juin 2008, n° 299943, Union générale des syndicats pénitentiaires CGT (N° Lexbase : A9577D89), JCP éd. A, 2008, n° 2196, note C. Moniolle et JCP éd. G, II, n° 10163, note F. Lerique, AJDA, 2008, p. 2017, note V. Vaccaro-Planchet.
(28) CE, 25 juillet 1952, Loubeyre, D., 1953, jurispr. p. 5, concl. Guionin.
(29) CE, Ass., 24 janvier 1975, n° 93052, Association française des hémophiles (N° Lexbase : A6430B8N), Rec. CE, p. 52, RTDSS, 1975, p. 381, note Rougevin-Baville ; CE, 6 avril 1979, n° 9510, Picot (N° Lexbase : A9537AI3), Rec. CE, p. 768, AJDA, 1979, p. 41, obs. S. Salon.
(30) CE, 12 novembre 1965, n° 57650, Davéo (N° Lexbase : A8898B7P), Rec. CE, p. 610.
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Le 16 Septembre 2012
Avant l'intervention de la loi de sauvegarde des entreprises (loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 N° Lexbase : L5150HGT), le professionnel libéral ne pouvait pas faire l'objet d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, au contraire des sociétés exerçant une activité libérale. Le professionnel libéral ne pouvait pas davantage bénéficier des procédures de traitement du surendettement des particuliers.
Sensible à cette difficulté, le législateur du 26 juillet 2005 a étendu aux professionnels libéraux les procédures collectives jusqu'alors réservées aux commerçants, artisans ou agriculteurs. L'article L. 620-2, alinéa 1er, du Code de commerce (N° Lexbase : L3445ICL) prévoit ainsi désormais que "la procédure de sauvegarde est applicable à tout commerçant, à toute personne immatriculée au répertoire des métiers, à tout agriculteur, à toute autre personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante, y compris une profession libérale soumise à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé, ainsi qu'à toute personne morale de droit privé". La même formulation est reprise en matière de procédure de redressement (C. com., art. L. 631-2, al. 1er N° Lexbase : L3325IC7) ou de liquidation judiciaire (C. com., art. L. 640-2, al. 1er N° Lexbase : L3393ICN).
L'accueil des professionnels libéraux au sein des personnes physiques susceptibles de faire l'objet d'une procédure collective a fait naître, tant en doctrine (1) qu'en jurisprudence, une interrogation : l'ancien professionnel libéral exerçant ultérieurement ses fonctions au sein d'une société a-t-il la qualité exigée pour faire l'objet, à titre personnel, d'une procédure collective ? Par trois arrêts de principe destinés à la plus large diffusion (trois arrêts "FS-P+B+R+I") rendus le 9 février 2010, la Chambre commerciale de la Cour de cassation répond à cette question.
Dans les trois espèces, un avocat exerçant son activité dans le cadre d'une SELARL ou d'une société civile professionnelle avait été assigné en redressement ou en liquidation judiciaire par un créancier plus d'un an après le début de l'exercice de l'activité au sein de la personne morale. Deux arrêts rendus par les cours d'appel de Montpellier (CA Montpellier, 20 mai 2008) et de Paris (CA Paris, 3ème ch., sect. B, 26 juin 2008, n° 07/18805, Monsieur Le chef de service comptable du service des impôts des entreprises centralisateurs de Paris 75008 c/ M. Pierre Gonzalez N° Lexbase : A4585D9P) avaient déclaré la demande des créanciers recevable, tandis qu'un autre arrêt de la cour d'appel de Paris (CA Paris, 3ème ch., sect. A, 11 mars 2008, n° 07/18826, M. Monsieur Le chef de service comptable du service des impôts des entreprises de Paris 7ème Gros Caillou Varenne c/ M. Jean-Michel Baloup N° Lexbase : A7122D7W) s'était, au contraire, prononcé en faveur d'une irrecevabilité.
Sur le pourvoi formé à l'encontre de ces trois arrêts, la Chambre commerciale pose le principe suivant "attendu que l'avocat, qui a cessé d'exercer son activité à titre individuel pour devenir associé d'une société [d'exercice libéral ou civile professionnelle], n'agit plus en son nom propre mais exerce ses fonctions au nom de la société ; il cesse dès lors d'exercer une activité professionnelle indépendante au sens [des articles L. 631-2 et L. 640-2] du Code de commerce ; que le tribunal peut ouvrir à son égard une procédure [de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire] après cette cessation d'activité, lorsque tout ou partie du passif provient de l'activité professionnelle antérieure ; que toutefois, si la procédure est ouverte sur l'assignation d'un créancier, cette dernière doit intervenir dans le délai d'un an à compter de la cessation de l'activité individuelle".
La Chambre commerciale de la Cour de cassation répond ainsi clairement à la question de l'éligibilité à la procédure collective d'un ancien professionnel libéral exerçant ses fonctions au nom d'une société. Elle pose un principe (I), en y apportant un tempérament (II) assorti de modalités (III).
I - Principe. La Chambre commerciale considère que l'avocat qui cesse son activité à titre individuel pour devenir associé d'une société civile professionnelle cesse d'exercer une activité professionnelle indépendante au sens de l'article L. 631-2 (en redressement) et L. 640-2 (en liquidation) du Code de commerce. Le critère retenu par la Cour est celui du mode d'exercice des fonctions qui le sont, non en nom propre, mais au nom de la société. Cette solution présente le mérite d'être dans la droite ligne de celle qui avait été adoptée à l'égard du gérant majoritaire d'une SARL, auquel est assimilé l'associé unique gérant une EURL. La Cour de cassation avait en effet jugé que "le gérant majoritaire d'une SARL, qui agit au nom de la société et non en son nom personnel, n'exerce pas une activité professionnelle indépendante au sens de l'article L. 631-2 du Code de commerce, d'où il se déduit qu'il ne peut être mis en redressement judiciaire" (2).
Le professionnel, associé d'une société civile professionnelle ou d'une société d'exercice libéral ou encore le gérant majoritaire d'une SARL, relève obligatoirement du régime social des travailleurs indépendants tant pour l'assurance-maladie et maternité que pour l'assurance vieillesse et est redevable, à ce titre, directement et personnellement des cotisations sociales auprès de l'URSSAF et des organismes de retraite. Cependant, cela n'a pas pour effet de lui donner la qualité de "professionnel indépendant". Ainsi, s'il est un "travailleur indépendant" au regard de la législation de la Sécurité sociale, il n'est cependant pas pour autant un "professionnel indépendant", au regard du droit des entreprises en difficulté. Ainsi que le relève la doctrine, ces notions, voisines sur le plan du vocabulaire, ne doivent en aucun cas être confondues (3).
Par principe, une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire ne peut donc pas être ouverte à l'encontre de l'associé d'une société civile professionnelle ou d'une société d'exercice libéral, seule la société pouvant faire l'objet d'une telle procédure. Ce principe étant posé, la Chambre commerciale y apporte un tempérament.
II - Tempérament. Lorsque, avant d'exercer son activité dans le cadre d'une société, le professionnel a exercé son activité à titre libéral et a donc été un professionnel indépendant au sens des articles L. 620-2, L. 631-2 et L. 640-2 du Code de commerce, une procédure collective peut être ouverte après cette cessation d'activité lorsque tout ou partie du passif provient de l'activité professionnelle antérieure. Ce tempérament s'imposait au regard de la lettre de l'article L. 631-3, alinéa 1er, du Code de commerce (N° Lexbase : L3317ICT), pour le redressement judiciaire, et son pendant en liquidation judiciaire, l'article L. 640-3, alinéa 1er (N° Lexbase : L3396ICR). Une personne physique retirée des affaires peut en effet bénéficier de la procédure collective, dès lors que tout ou partie de son passif provient de son ancienne activité professionnelle. Le fait que l'intéressé exerce ensuite une activité au sein d'une société ne peut conduire à tenir en échec la règle ci-dessus décrite.
Ce tempérament est en outre heureux. Il autorise qu'une dette, qui ne peut pas être traitée dans le cadre d'une procédure collective ouverte à l'encontre de la personne morale -dès lors que cette dette lui est extérieure-, puisse l'être dans le cadre de la procédure ouverte à l'encontre de l'ancien professionnel libéral qui exerçait à titre personnel.
Les dettes professionnelles de cotisations sociales, qui naissent alors que le professionnel exerce en qualité d'associé de société et non plus à titre individuel, ne peuvent autoriser l'ouverture d'une procédure collective au bénéfice de l'associé. Ne relevant pas du droit des entreprises en difficulté, l'intéressé pourra bénéficier du surendettement des particuliers (4). Toutefois, en application de l'article L. 330-1 du Code de la consommation (N° Lexbase : L2360IBZ), cette dette professionnelle ne pourra être prise en compte pour la caractérisation de sa situation de surendettement. En revanche, si le surendettement est caractérisé à partir de dettes non professionnelles, la dette professionnelle pourra être traitée dans le cadre de la procédure de surendettement ouverte.
Si une procédure collective peut être ouverte après la cessation d'activité à titre individuel lorsque tout ou partie du passif provient de l'activité professionnelle antérieure, la Chambre commerciale rappelle cependant que devront être respectées certaines modalités procédurales.
III - Modalités procédurales. Il convient de distinguer selon que l'ouverture de la procédure collective est sollicitée par le professionnel concerné ou par l'un de ses créanciers.
La personne physique qui a exercé son activité à titre individuel, avant de devenir associé d'une société, peut, si tout ou partie de son passif provient de l'activité professionnelle antérieure, solliciter l'ouverture d'une procédure collective. Cette possibilité doit être reconnue alors même que l'activité à titre individuel a cessé avant l'entrée en vigueur de la loi de sauvegarde des entreprises (5). Il importe peu également que plus d'un an se soit écoulé depuis la date de cessation de l'activité à titre individuel, dès lors que tout ou partie du passif provient de cette activité professionnelle (6).
En revanche, si la demande d'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire émane d'un créancier, elle devra être présentée dans le délai d'un an à compter de la fin de l'activité à titre individuel (C. com., art. L. 631-5, al 2 N° Lexbase : L3429ICY). Ainsi, dans l'hypothèse qui nous intéresse, le créancier devra assigner l'ancien professionnel libéral dans le délai d'un an à compter de l'immatriculation de la société dans laquelle il exerce désormais son activité professionnelle. A défaut, sa demande sera irrecevable, comme le souligne la Chambre commerciale dans les trois arrêts rapportés.
Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences à l'Université du Sud-Toulon-Var, Directrice du Master 2 Droit de la banque et de la société financière de la Faculté de droit de Toulon
Sous l'empire de la loi du 13 juillet 1967 (loi n° 67-563, sur le règlement judiciaire, la liquidation des biens, la faillite personnelle et les banqueroutes N° Lexbase : L7803GT8), un texte spécial réglementait déjà la poursuite du bail des locaux d'exploitation. A l'époque, il n'existait pas de texte général édictant un régime de continuation des contrats en cours. La loi du 25 janvier 1985 (loi n° 85-98, relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises N° Lexbase : L4126BMR), tout en continuant à prévoir un régime particulier pour le bail des locaux d'exploitation lorsque le locataire est sous procédure collective, a posé un régime de droit commun de continuation des contrats en cours. A l'époque déjà, la question s'était posée de savoir si le régime spécial était complètement autonome ou s'il fallait le coordonner avec le régime de droit commun. Il s'agissait, pour le régime général, de l'article 37 de loi du 25 janvier 1985 (devenu C. com., art. L. 621-28 N° Lexbase : L6880AIN) et, pour le régime spécial des baux d'exploitation, de l'article 38 de la même loi (devenu C. com., art. L. 621-29 N° Lexbase : L6881AIP). L'une des difficultés avait été de savoir si les règles relatives à l'option sur la continuation du contrat, posées en droit commun, avaient ou non vocation à s'appliquer au bail des locaux professionnels. La Cour de cassation, de manière très tardive, puisqu'il a fallu attendre l'année 2006, y avait répondu par l'affirmative. Elle a ainsi décidé que, à défaut de réponse dans le mois, le contrat de bail des locaux professionnels, conformément au droit commun, est résilié de plein droit (7).
La loi de sauvegarde des entreprises, dans sa rédaction d'origine, modifie très sensiblement la rédaction ancienne de la disposition spécifique à la continuation des baux des locaux professionnels, mais reste, étonnamment, muette sur la coordination des règles de droit commun de la continuation des contrats en cours avec les règles spécifiques applicables aux baux des locaux professionnels.
Le projet de loi de sauvegarde des entreprises entendait écarter les règles du droit commun de la continuation des contrats en cours. Les travaux parlementaires de la loi de sauvegarde des entreprises sont particulièrement confus, une chose étant affirmée, mais aussi son contraire. Ainsi peut-on lire que le nouveau texte "clarifie l'articulation du régime spécifique de résiliation à la demande du bailleur, avec celui de la poursuite des contrats prévu par l'article L. 622-11 [qui deviendra l'article L. 622-13 N° Lexbase : L3872HBZ], en permettant que la résiliation ou la poursuite du bail rentre également dans le droit d'option de l'administrateur exercé à son initiative -et non uniquement à la suite d'une mise en demeure- parallèlement aux facultés de résiliation judiciaire ou de plein droit ouvertes au bailleur lui-même. En revanche, l'article L. 622-11 demeure applicable pour ce qui concerne les conditions de la poursuite du contrat" (8). Il semble ainsi qu'il faille articuler les deux dispositions. Au Sénat, c'est l'affirmation contraire qui prévaut. Il est dit que "l'article L. 622-12 [qui deviendra l'article L. 622-14 N° Lexbase : L3873HB3] préciserait le caractère dérogatoire des dispositions relatives au contrat de bail en cours par rapport au dispositif de droit commun [...]" (9).
Le texte a été modifié à chaque étape, devant l'Assemblée nationale, au Sénat et finalement par la commission mixte paritaire, sans que, à l'occasion du vote du texte, soit clairement affichée l'intention du législateur.
Une seule chose était : un sérieux doute existait sur l'application cumulative ou alternative des deux corps de règles (10). La question essentielle était ici de déterminer la portée d'une absence de réponse à une mise en demeure sur la continuation du contrat adressée par le bailleur à l'organe compétent.
Il a été soutenu que le droit commun de la continuation des contrats en cours s'applique, sauf dispositions contraires contenues à l'article L. 622-14 du Code de commerce, pour la question de la poursuite du contrat et des conditions de celles-ci (11). Ainsi, les règles relatives à l'option sur la continuation des contrats en cours demeuraient-elles applicables (12), et cela même en liquidation judiciaire (13), ce qui aurait pour effet d'entraîner la résiliation du bail à défaut de réponse dans le mois de la mise en demeure.
L'opinion contraire a aussi été exprimée, les règles relatives à l'option étant alors écartées (14).
Nous avions estimé (15) qu'un argument convaincant avait été présenté au soutien de cette opinion (16). Il résultait de l'article L. 622-14, 1°, du Code de commerce, lorsque la résiliation est à l'initiative de l'administrateur -la solution est la même pour le débiteur ou le liquidateur-. Selon ce texte, lorsque l'administrateur décide de ne pas continuer le bail, il doit demander la résiliation de celui-ci. Ainsi, le simple silence gardé à la suite d'une mise en demeure d'avoir à opter sur la continuation du contrat est insuffisant. L'administrateur judiciaire doit manifester une décision, puisqu'il doit demander la résiliation. Il apparaissait ainsi que les conditions de la résiliation du bail des locaux professionnels étaient dérogatoires au droit commun de la continuation des contrats en cours.
Une juridiction du fond avait statué en ce sens, pour refuser de faire produire effet à l'absence de réponse à la mise en demeure adressée à l'organe compétent (17).
Quatre ans après l'entrée en vigueur du texte, la Cour de cassation vient enfin (à l'échelle du temps, certains diront seulement 4 ans), de faire disparaître le doute.
En l'espèce, un bailleur d'immeuble d'exploitation met en demeure, le 20 décembre 2006, un administrateur judiciaire d'avoir à opter sur la continuation du bail. Ce dernier ne répond à la mise en demeure que le 8 février 2007, pour indiquer qu'il entend poursuivre le bail. Considérant que le délai du mois pour opter sur la continuation du contrat était expiré, le bailleur entend récupérer les locaux et demande en justice le constat de la résiliation de plein droit intervenue. Les juges du fond -et spécialement la cour d'appel de Paris (CA Paris, 14ème ch., sect. B, 24 octobre 2008, n° 08/06619, Société des centres d'Oc et d'Oil - SNC SCOO c/ SARL Bella N° Lexbase : A1135EBN)-, vont faire droit à la demande. Le mandataire judiciaire et l'administrateur vont alors se pourvoir en cassation, en plaidant l'autonomie des deux corps de règles, celui relatif à la continuation des contrats en cours en droit commun (C. com., art. L. 622-13) et celui relatif à la résiliation du bail des locaux professionnels (C. com., art. L. 622-14).
La Cour de cassation, par un arrêt dont l'importance n'échappera à personne, et en conséquence décoré le plus généreusement possible, à savoir P+B, (c'est-à-dire appelé à la publication au Bulletin des arrêts de la Cour de cassation), R (c'est-à-dire appelé à être mentionné au rapport annuel de la Cour de cassation) et I (diffusé sur le site internet de la Cour de cassation), va leur donner gain de cause.
Elle énonce, à la manière d'un arrêt de principe, au visa des articles L. 622-13, L. 622-14 et L. 631-14 (N° Lexbase : L4025HBP) du Code de commerce, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 18 décembre 2008 (ordonnance n° 2008-1345, portant réforme du droit des entreprises en difficulté N° Lexbase : L2777ICT), que "en cas de redressement judiciaire du locataire, l'envoi par le bailleur à l'administrateur judiciaire d'une mise en demeure de prendre parti sur la poursuite du bail est sans effet et le bail n'est pas de plein droit résilié par l'absence de réponse à cette mise en demeure".
La solution est évidemment applicable en sauvegarde, puisque les articles L. 622-13 et L. 622-14, textes de la sauvegarde, sont rendus applicables en redressement judiciaire par l'article L. 631-14. Elle est tout aussi applicable en liquidation judiciaire, puisque la formulation des articles L. 641-11-1 et L. 642-12 est identique à celles des articles L. 622-13 et L. 622-14.
La construction de l'arrêt est intéressante. Pour asseoir sa position, la Cour de cassation censure la cour d'appel, en considérant que cette dernière a violé par fausse application l'article L. 622-13 et par refus d'application l'article L. 622-14.
L'alinéa 1er de l'article L. 622-13 du Code de commerce, dans la rédaction que lui donnait la loi de sauvegarde des entreprises, disposait que "l'administrateur a seul la faculté d'exiger l'exécution des contrats en cours en fournissant la prestation promise au cocontractant du débiteur. Le contrat est résilié de plein droit après une mise en demeure adressée à l'administrateur restée plus d'un mois sans réponse. Avant l'expiration de ce délai, le juge-commissaire peut impartir à l'administrateur un délai plus court ou lui accorder une prolongation, qui ne peut excéder deux mois, pour prendre parti". En décidant qu'il y a une fausse application de l'article L. 622-13, la Cour de cassation pose clairement en règle que l'option sur la continuation du contrat ne peut résulter du jeu d'une option faisant suite à une mise en demeure d'avoir à prendre parti sur le sort du contrat et, par voie de conséquence, que le silence gardé plus d'un mois sur la mise en demeure n'entraîne pas résiliation du bail des locaux professionnels.
Il y a également, nous dit la Cour de cassation, refus d'application de l'article L. 622-14. Sous l'empire de la loi de sauvegarde des entreprises, dans sa rédaction d'origine, ce texte énonce que "la résiliation du bail des immeubles donnés à bail au débiteur et affectés à l'activité de l'entreprise est constatée ou prononcée :
1° Lorsque l'administrateur décide de ne pas continuer le bail et demande la résiliation de celui-ci. Dans ce cas, la résiliation prend effet au jour de cette demande ;
2° Lorsque le bailleur demande la résiliation ou fait constater la résiliation du bail pour défaut de paiement des loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement d'ouverture, le bailleur ne pouvant agir qu'au terme d'un délai de trois mois à compter dudit jugement.
Si le paiement des sommes dues intervient avant l'expiration de ce délai, il n'y a pas lieu à résiliation.
Nonobstant toute clause contraire, le défaut d'exploitation pendant la période d'observation dans un ou plusieurs immeubles loués par l'entreprise n'entraîne pas résiliation du bail".
Ce texte a donc pour objet de régir la question de la résiliation du bail, en nous disant quand et pourquoi le bail est résilié en période d'observation. Les causes de résiliation apparaissent exclusives, puisque la Cour de cassation refuse, notamment, de faire produire effet à une résiliation pour défaut de réponse à une mise en demeure.
Ainsi, les modalités de la résiliation du bail ne résultent-elles que du seul jeu de l'article L. 622-14, non de celles de l'article L. 622-13.
La solution apportée par la Cour de cassation l'est sous l'empire de la loi de sauvegarde des entreprises non réformée. Elle a donc vocation à régir les procédures collectives ouvertes entre le 1er janvier 2006 et le 14 février 2009. A compter du 15 février 2009, il faut en effet appliquer la loi de sauvegarde des entreprises, dans la rédaction que lui donne l'ordonnance du 18 décembre 2008. Celle-ci poursuivait notamment comme ambition d'améliorer les textes de la loi du 26 juillet 2005. Ce travail a été incontestablement accompli dans la matière qui nous intéresse ici.
En effet, l'article L. 622-14, alinéa 1er, du code indique que la résiliation du bail des immeubles donnés à bail au débiteur et affectés à l'activité de l'entreprise intervient "sans préjudice de l'application du I et du II de l'article L. 622-13 du code". Il faut donc comprendre que le droit commun de la continuation des contrats en cours n'est pas complètement inapplicable au bail des locaux professionnels par ce visa des I et du II de l'article L. 622-13 du code. A contrario, les III à VI de l'article L. 622-13 du Code de commerce sont écartés en matière de bail des locaux professionnels.
Cela signifie que le mécanisme de l'option sur la continuation du contrat, qui résulte du jeu d'une mise en demeure, est sans application en matière de baux professionnels, puisqu'il figure au III de l'article L. 622-13. Ainsi, si l'administrateur judiciaire ou le débiteur, en l'absence d'administrateur judiciaire, ne répond pas à une mise en demeure sur la continuation du contrat, cela ne pourra valoir résiliation du contrat (18). La Cour de cassation n'a donc, au final, qu'anticipé sur la solution de l'ordonnance du 18 décembre 2008, lorsque, sous l'empire du texte dans sa rédaction d'origine, elle a posé cette même règle. L'effet d'aubaine pour le bailleur, qui existait sous l'empire de la loi du 25 janvier 1985, et qui lui permettait parfois de profiter d'une négligence d'un débiteur, en l'absence d'administrateur, pour se débarrasser d'un locataire devenu indésirable est ainsi exclu. L'importance du bail pour le sauvetage de l'entreprise justifie incontestablement la solution (19). De même, le défaut de paiement à bonne date des loyers ne vaudra pas résiliation de plein droit, puisqu'une règle particulière de résiliation pour défaut de paiement des loyers ou charges correspondant à une occupation postérieure est posée par l'article L. 622-14.
C'est l'administrateur judiciaire qui décide du sort du contrat de bail, ainsi que l'énonce l'article L. 622-14-II, 1°, du code, qui prévoit que la résiliation du bail intervient au jour où le bailleur est informé de "la décision de l'administrateur de ne pas continuer le bail". La solution résultant de la loi de sauvegarde, prévoyant la possibilité d'une option spontanée de non-continuation du bail, est ainsi conservée. Le bailleur n'aura, en conséquence, pas à saisir le juge-commissaire pour faire prononcer la résiliation, puisqu'elle interviendra de plein droit, du seul fait de l'initiative de l'administrateur de mettre fin au bail.
L'article L. 627-2 du Code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi de sauvegarde des entreprises, disposait que "le débiteur exerce, après avis conforme du mandataire judiciaire, la faculté ouverte à l'administrateur de poursuivre des contrats en cours en application de l'article L. 622-13". Ce texte gardait le silence sur la possibilité pour le débiteur d'exercer la faculté ouverte à l'administrateur de poursuivre le bail des locaux professionnels, en application de l'article L. 622-14 du Code de commerce.
Cet oubli est réparé par le nouvel article L. 627-2 du Code de commerce (N° Lexbase : L3403ICZ), issu de l'ordonnance de réforme (ord. n° 2008-1345, art. 73). Le débiteur pourra donc décider de continuer le bail des locaux professionnels, en l'absence d'administrateur.
Dernière précision, qui est loin d'être anodine : la loi de sauvegarde des entreprises a posé explicitement que le régime de continuation du bail des locaux professionnels est limité au seul cas où le débiteur est le locataire du local concerné par le contrat de bail. Il a été dit qu'"il n'apparaît pas justifié de permettre au débiteur qui serait lui-même bailleur d'un local de profiter de ce dispositif dérogatoire au droit commun" (20). Ainsi, la lettre du texte de l'article L. 622-14, alinéa 1er, texte de la procédure de sauvegarde, rendu applicable en redressement judiciaire par l'article L. 631-14, I, rejoint-elle, désormais, la logique du dispositif. Même si la lettre de l'article L. 641-12, alinéa 1er (N° Lexbase : L3377IC3), n'est pas aussi explicite, la solution n'est pas différente en liquidation judiciaire, ce texte indiquant que "la liquidation judiciaire n'entraîne pas de plein droit la résiliation du bail es immeubles affectés à l'activité de l'entreprise". Il ne peut s'agir que de l'activité de l'entreprise débitrice. L'ordonnance du 18 décembre 2008 ne modifie pas la solution, puisque l'article L. 622-14, alinéa 1er, du Code de commerce dispose que "sans préjudice de l'application du I et du II de l'article L. 622-13, la résiliation du bail des immeubles donnés à bail au débiteur et affectés à l'activité de l'entreprise intervient dans les conditions suivantes". Il faut en déduire que le droit spécial de la résiliation du bail des locaux professionnels est sans application (21), lorsque la procédure collective atteint le bailleur, non le preneur à bail. En revanche, il n'y a pas lieu, à notre sens, d'écarter le droit commun de la continuation des contrats en cours, en présence d'une procédure collective atteignant le bailleur des locaux professionnels (22).
Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du CERDP (ex Crajefe) et Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises
(1) J.-P. Legros, Procédures collectives ou procédure de surendettement des associés, Dr. Sociétés, 2008/5, p. 1 ; A. Cérati-Gauthier, Application de la loi de sauvegarde des entreprises aux professions libérales, JCP éd. E, 2008, 2436.
(2) Cass. com., 12 novembre 2008, n° 07-16.998, Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) de La Savoie, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2091EB3), Bull. civ. IV, n° 191, JCP éd. E, 2009, 1023, concl. R. Bonhomme, Gaz. proc. coll., 2009/1, p. 26, n° 2, note Ch. Lebel, Act. proc. coll., 2008/20, n° 310, note C. Régnaut-Moutier, Dr. sociétés, janvier 2009, p. 31, n° 15, note J.-P. Legros, Dr. Patrimoine, septembre 2009, n° 184, p. 106, note M.-H. Monsérié-Bon, Defrénois, 2009, art. 38973, p. 1397, n° 3, note D. Gibirila, Bull. Joly, mars 2009, § 57, p. 279, note P.-M. Le Corre ; Cass. com., 12 novembre 2008, n° 07-15.648, Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) de la Gironde, FS-D (N° Lexbase : A2300EBS), Act. proc. coll., 2008/20, n° 310, note C. Régnaut-Moutier, Dr. sociétés, janvier 2009, p. 31, n° 15, note J.-P. Legros.
(3) P.-M. Le Corre, Le gérant majoritaire du SARL à l'aune de la notion de professionnel indépendant du droit des entreprises en difficulté, Bull. Joly, mars 2009, § 57, p. 279, P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collective, Dalloz action, 2010/2011, n° 211.51.
(4) Cass. civ. 2, 21 janvier 2010, n° 08-19.984, Mme Isabelle Montagna, F-P+B ([LXB=A4641EQX ]) ; Act. proc. coll., 2010/4, n° 54.
(5) Cass. avis, 17 septembre 2007, n° 0070010P (N° Lexbase : A5670DYN), Bull. avis, n° 4 ; D., 2007, AJ 2475, note A. Lienhard ; Gaz. proc. coll., 2007/4, p. 31, n° 4, note Ch. Lebel ; Act. proc. coll., 2007/19, note A. Jacquemont ; JCP éd. E, 2008, chron. 1207, n° 3, p. 29, obs. Ph. Pétel ; RJ com., 2008, p. 234, note J.-P. Sortais ; Rev. proc. coll., 2008/3, p. 38, n° 112, note B. Saintourens ; P.-M. Le Corre, in La chronique mensuelle de Pierre-Michel Le Corre, Lexbase Hebdo n° 274 du 26 septembre 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N5057BCB).
(6) Cass. avis, 17 septembre 2007, préc. et réf. préc..
(7) Cass. com., 16 mai 2006, n° 04-18.578, M. Jean-Jacques Deslorieux, pris en sa qualité de représentant des créanciers et liquidateur de la liquidation judiciaire de M. Gilbert Jouan c/ Société civile immobilière (SCI) Halles et Studios, F-D (N° Lexbase : A6751DPQ), Gaz. proc. coll., 2006/3, p. 22, obs. M.-P. Dumont, Rev. proc. coll., 2006/3, p. 266, n° 3, obs. Ph. Roussel Galle ; CA Dijon, ch. civ., sect. B, 29 juin 2004, n° 04/00219, Rev. proc. coll. 2005/1, p. 40, n° 1, obs. Ph. Roussel Galle ; CA Versailles, 12ème ch., 2ème sect., 13 octobre 2005, RG n° 04/03629.
(8) Rapport de Xavier de Roux, n° 2095, p. 216.
(9) Rapport de Jean-Jacques Hyest, n° 335, p. 198.
(10) V., spécialement, B. Saintourens, Le régime du bail commercial après la réforme des procédures collectives, Loyers et copr., 2005/10, n° 11, p. 7, sp. p. 8 ; J. Monéger, Le bail de l'entreprise est-il encore un contrat comme les autres, Loyers et copr., septembre 2005, p. 3 ; adde, S. Becqué-Ickowicz, De l'entreprise au cours de la période d'observation, LPA, numéro spécial, 8 février 2006, n° 28, p. 39 et s., sp. p. 50.
(11) Rappr. Ph. Roussel Galle, Réforme du droit des entreprises en difficulté - De la théorie à la pratique, Litec, 2ème éd., 2007, n° 452 ; B. Saintourens, ibid. ; J.-Cl. Com., M.-P. Dumont-Lefrand, fasc. 2152, Procédure de sauvegarde, éd. 2006, n° 64 ; F. Pérochon et R. Bonhomme, Entreprises en difficulté - Instruments de crédit et de paiement, Lgdj, 7ème éd., 2006, n° 280 ; D. Vidal, Droit de l'entreprise en difficulté, "Manuels", Gualino Editeur, 3ème éd., 2010, n° 392.
(12) CA Paris, 14ème ch., sect. B, 14 décembre 2007, n° 07/10181, SARL Tilsit Editions et autres c/ SA Ajoric (N° Lexbase : A6837D3M) ; v. aussi, solution implicite, CA Orléans, ch. éco. et fin., 28 juin 2007, n° 07/942, RJDA, 2007/11, p. 1109, n° 1130 ; adde, en ce sens aussi, F. Pérochon et R. Bonhomme, op. cit., n° 418 ; A. Lienhard, Sauvegarde des entreprises en difficulté : Le nouveau droit des procédures collectives, Delmas, 2ème éd., n° 938 ; F. Kendérian, Le sort du bail commercial dans les procédures collectives, Litec, 2ème éd., 2008, n° 62.
(13) Ph. Froehlich et M. Sénéchal, La liquidation judiciaire, in La réforme des procédures collectives in La réforme des procédures collectives - La loi de sauvegarde article par article, dir. F.-X. Lucas et H. Lécuyer, LGDJ, 2006, p. 309.
(14) F. Auque, La résiliation du bail commercial en cas de procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire du preneur, RJ com., 2006, p. 478 et s., sp. p. 482 et 483 ; Le nouveau droit de l'entreprise en difficulté : le cas particulier du bailleur, Rev. proc. coll., 2006/4, p. 341 et s., sp. p. 342 ; A. Jacquemont, 5ème éd., n° 338 ; S. Becqué-Ickowicz, De l'entreprise au cours de la période d'observation, in La réforme des procédures collectives - La loi de sauvegarde article par article, dir. F.-X. Lucas et H. Lécuyer, LGDJ, 2006, p. 119. D'abord plus hésitant, J. Monéger, Le bail de l'entreprise est-il encore un contrat comme les autres ?, Loyers et copr., septembre 2005, p. 3. Puis plus affirmatif, J. Monéger, obs. JCP éd. E, 2007, 1523, p. 27, no 44 ; J.-Cl. Com, I. Perruchot, fasc. 2226, Organes - Administrateur judiciaire - statut, éd. 2006, n° 82.
(15) P.-M. Le Corre, Droit et pratique de la procédure collective, préc., n° 433.21.
(16) P. Le Cannu, Droit commercial, Entreprises en difficulté, refonte de l'ouvrage de M. Jeantin, 7ème éd., Précis, Dalloz, 2006, n° 730.
(17) T. com. Roubaix-Tourcoing, ord. juge-commissaire, 22 décembre 2006, JCP éd. E, 2007, 1523, p. 27, n° 46, obs. approb. J. Monéger.
(18) J. Vallansan, P. Cagnoli, L. Fin-Langer L. et C. Régnaut-Moutier, Difficultés des entreprises - Commentaire article par article du livre VI du Code de commerce, Litec, 5ème éd., 2009, p. 104.
(19) Ph. Roussel Galle, Les nouveaux régimes des contrats en cours et du bail, Rev. proc. coll., 2009/1, 7, p. 55 et s., sp. p. 62, n° 30.
(20) Rapp. J.-J. Hyest, préc., n° 335, p. 199.
(21) F. Kendérian, Le sort du bail commercial dans les procédures collectives, Litec, 2ème éd., 2008, n° 195.
(22) V. aussi, en ce sens, Vallansan et alii, 5ème éd., p. 103 ; F. Auque, Le nouveau droit de l'entreprise en difficulté : le cas particulier du bailleur, Rev. proc. coll., 2006/4, p. 341 et s., sp. p. 343 ; P. Le Cannu, La poursuite de l'activité, Dr. patr., décembre 2009, n° 187, p. 68 et s., sp. p. 70 ; P.-M. Le Corre, préc., n° 433.11.
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par Anne-Laure Blouet Patin, Directrice de la rédaction
Le 07 Octobre 2010
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Ainsi, on l'aura compris, internet et les nouvelles technologies obligent l'avocat d'aujourd'hui à modifier sa façon de penser, de gérer et de solutionner ses dossiers.
Les moyens de lutte
Pour Myriam Quéméner, Avocat général à la cour d'appel de Versailles et Christian Aghroum, Commissaire divisionnaire, Chef de l'Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l'information et de la communication - OCLTIC, la loi du 9 mars 2004 (loi n° 2004-204, portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité N° Lexbase : L7102GT9) a été une opportunité que le législateur n'a pas su saisir. Hormis les dispositions relatives au mandat d'arrêt européen, la cybercriminalité n'est pas intégrée dans le Code pénal. Depuis 2000, on constate néanmoins une prise de conscience progressive, certaines dispositions législatives et règlementaires tentant de remédier à cette carence (loi n° 2001-1062 du 15 novembre 2001, relative à la sécurité quotidienne N° Lexbase : L7960AUD ; loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006, relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers N° Lexbase : L4643HG3). Mais le constat d'une insuffisance des moyens existants face à la rapidité des évolutions technologiques et numériques est vite apparu. En effet, on se retrouve devant une utilisation croissante des réseaux numériques par les délinquants agissant notamment en bande organisée et à des fins terroristes, et les enjeux sont importants : sécurité, protection et respect des libertés individuelles, nécessaire proportionnalité des mesures d'investigation attentatoires aux libertés et mesures ordonnées sous le contrôle d'un magistrat.
Il est également nécessaire d'adapter le mode de perquisition. La loi n° 2004-575 du 21 juin 2004, pour la confiance dans l'économie numérique (N° Lexbase : L2600DZC) a précisé les modalités de la saisie de support informatique : placement sous main de justice soit du support physique des données, soit d'une copie réalisée en présence des personnes qui assistent à la perquisition. A cet égard, l'article 57-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L4455DG4) autorise les officiers de police judiciaire (OPJ) à accéder, au cours d'une perquisition effectuée dans les conditions prévues par le Code de procédure pénale, par un système informatique implanté sur les lieux où se déroule la perquisition à des données intéressant l'enquête en cours et stockées dans ledit système ou dans un autre système informatique, dès lors que ces données sont accessibles à partir du système initial ou disponibles pour le système initial. Les données ainsi recueillies peuvent être copiées sur tout support. C'est ce qu'il convient de qualifier de "saisie informatique" qui n'est pas incompatible avec la saisie physique classique des supports de stockage informatiques réalisée sur le lieu même de la perquisition.
Les perquisitions de systèmes informatiques connaissent cependant les mêmes limites matérielles et géographiques que les perquisitions opérées dans le monde physique. Ainsi, une perquisition ne peut s'effectuer que pour collecter des éléments de preuve de l'infraction dont le juge a été saisi. Cet obstacle a une portée relativement minime en la matière dans la mesure où la volatilité des éléments de preuve amenuise les chances de flagrant délit. La seule limite légale au droit de perquisitionner est celle de l'accès à des données stockées dans un système informatique situé en dehors du territoire national.
Concernant les interceptions de communications, elles sont applicables à internet et se définissent comme une technique consistant à interposer, au moyen d'une dérivation sur la ligne d'un abonné, un procédé magnétique d'enregistrement et de conversation. L'article 100 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L4316AZU) autorise, ainsi, le juge d'instruction à procéder à des interceptions de correspondances émises par voie de télécommunication lorsque les nécessités de l'information l'exigent en matière criminelle et en matière correctionnelle si la peine encourue est égale ou supérieure à deux ans d'emprisonnement. Par ailleurs, l'article 706-95 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L5776DYL), modifié par la loi du 9 mars 2004, prévoit que les interceptions peuvent être autorisées par le juge des libertés et de la détention sur requête du procureur de la République pour les infractions énoncées à l'article 706-73 de ce code (N° Lexbase : L8494IB9), lorsque l'enquête l'exige. Elles sont effectuées sous le contrôle du juge des libertés et de la détention pour une période de quinze jours renouvelable une fois dans les mêmes conditions de forme et de durée.
En matière de réquisitions informatiques, les articles 60-1 (N° Lexbase : L3499IGP) et 77-1-1 (N° Lexbase : L3463IGD) du Code de procédure pénale prévoient l'utilisation de réquisitions informatiques au cours de l'enquête de flagrance, de l'enquête préliminaire ou de l'instruction. L'article 60-2 (N° Lexbase : L2442IE8) dispose que, sur demande de l'OPJ, qui peut intervenir par voie télématique ou informatique, les organismes publics ou les personnes morales de droit privé mettent à sa disposition les informations utiles à la manifestation de la vérité, à l'exception de celles protégées par un secret prévu par la loi, contenues dans le ou les systèmes informatiques ou traitements de données nominatives qu'ils administrent. L'OPJ peut, sur réquisition du procureur de la République, préalablement autorisé par ordonnance du juge des libertés et de la détention, requérir des opérateurs de télécommunications toutes mesures propres à assurer la préservation, pour une durée ne pouvant excéder un an, du contenu des informations consultées par les personnes utilisatrices des services fournis par les opérateurs.
Enfin, en matière de conservation des données, le législateur a souhaité remédier aux difficultés soulevées par l'anonymat qui constitue l'un des principaux obstacles à l'enquête pénale. Ainsi, la loi ("LCEN") impose-t-elle aux fournisseurs d'accès à internet une obligation de conservation de ces données, moyens d'obtenir les éléments de preuve nécessaires pour les besoins de la recherche, de la constatation et de la poursuite des infractions pénales.
L'article L. 34-1 du Code des postes et des communications électroniques (N° Lexbase : L3526IEC), tout en posant un principe d'effacement des données dès la fin de la communication qui les a engendrées, définit les modalités de conservation de certaines d'entre elles "pour les besoins de la recherche, de la constatation et de la poursuite des infractions pénales ou d'un manquement à l'obligation définie à l'article L. 336-3 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L8870IEA), et dans le seul but de permettre, en tant que de besoin, la mise à disposition de l'autorité judiciaire".
Les opérateurs de communications électroniques sont tenus de conserver les données relatives au trafic pendant une durée d'un an. Or, ici, face à la problématique qui s'est fait jour, à savoir la durée qui varie d'un Etat à un autre, un réseau a été constitué, le G8H24, regroupant les pays signataires de la Convention de Budapest sur la cybercriminalité (N° Lexbase : L4858A8G), et permettant avec un échange de police à police, la conservation des données le temps que l'enquête le nécessite.
Les intervenants relèvent également un nouveau problème, le cloud computing. Ce nouveau concept consiste en la dématérialisation de l'informatique. Les entreprises ne sont plus propriétaires de leurs serveurs informatiques mais peuvent ainsi accéder de manière évolutive à de nombreux services en ligne sans avoir à gérer l'infrastructure sous-jacente, souvent complexe. Les applications et les données ne se trouvent plus sur l'ordinateur local, mais dans un ensemble virtuel composé d'un certain nombre de serveurs distants interconnectés au moyen d'une bande passante. Or, le problème fondamental reste la sécurisation de l'accès à l'application entre le client et le serveur distant : en effet, les postes informatiques composant le réseau seront tous connectés à internet (directement ou non) et ainsi exposés à des risques potentiels d'attaque.
L'avenir
Le projet de loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, adopté en première lecture par l'Assemblée nationale le 16 février 2010 va apporter quelques améliorations au moins sur deux points.
D'abord, le projet envisage la création d'un délit d'utilisation frauduleuse de l'identité ou de données à caractère personnel de tiers sur un réseau de communications électroniques. Serait ainsi créé un nouvel article 222-16-1 au Code pénal qui réprimerait l'utilisation malveillante, dans le cadre des communications électroniques, de l'identité d'autrui ou de toute autre donnée personnelle, en vue de troubler sa tranquillité ou de porter atteinte à son honneur ou à sa considération. La peine encourue par les auteurs de ce nouveau délit serait d'un an d'emprisonnement et 15 000 euros d'amende.
L'idée est de combler un vide juridique en permettant de répondre à des actes malveillants qui ne peuvent aujourd'hui tomber sous le coup d'aucune qualification pénale, ne constituant ni une diffamation, ni un détournement de la correspondance d'autrui. Seront concernés par la nouvelle incrimination, notamment, toute personne qui affilierait un tiers à un parti politique ou une association en utilisant frauduleusement son adresse électronique ou tout mari en instance de divorce qui utiliserait l'adresse électronique de sa femme pour adresser un faux courriel à l'employeur de celle-ci dans le but de lui nuire... Dans un arrêt du 20 janvier 2009, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a certes jugé que le fait d'utiliser l'adresse électronique d'un tiers, lorsqu'il s'en est suivi un risque de poursuites pénales pour cette personne, est constitutif du délit d'usurpation d'identité prévu à l'article 434-23 du Code pénal (N° Lexbase : L1757AMZ) (Cass. crim., 20 janvier 2009, n° 08-83.255 N° Lexbase : A7580ETW). Il apparaît cependant que, dans d'autres affaires, la qualification d'usurpation d'identité n'ait pu être constituée, dès lors que l'usurpation n'a eu aucune conséquence juridique ou économique pour la victime, ce qui justifie qu'un nouvel article du Code pénal incrimine spécifiquement l'usurpation d'identité sur Internet.
Ainsi, à la différence de l'article 434-23 du Code pénal, qui punit l'usurpation d'identité qui accompagne la commission d'une infraction, le nouvel article vise à punir, de peines d'ailleurs moins lourdes, le simple fait de se faire passer pour autrui, de manière réitérée et dans le but soit de troubler sa tranquillité ou celle d'une tierce personne (envoi répété par un individu A de courriels censés être envoyés par un individu B dans le but de troubler la tranquillité d'individus C et D qui reçoivent ces courriels), soit de porter atteinte à son honneur ou sa considération.
Seconde innovation majeure, le texte permettrait la possibilité de recourir à la captation à distance de données informatiques dans les affaires de criminalité organisée. Cette captation de données informatiques permettra aux enquêteurs, dans les conditions et selon les formes prévues par de nouvelles dispositions du Code de procédure pénale, d'accéder aux données informatiques des personnes visées par une enquête en matière de criminalité organisée, telles que ces données s'affichent au même moment pour l'utilisateur sur son écran ou telles qu'il les introduit dans l'ordinateur, par l'intermédiaire notamment d'un clavier ou d'une souris. Elle aura pour effet de mettre l'enquêteur dans la situation de quelqu'un qui observerait derrière lui l'utilisateur d'un ordinateur. Elle permettra ainsi, grâce à la lecture de l'écran, de savoir avec qui un suspect est en contact par l'intermédiaire d'internet ou, grâce à un logiciel de reconnaissance de frappe, de lire à distance un message destiné à être envoyé crypté et auquel il serait impossible ou très complexe d'accéder au moyen d'une interception puis de décrypter.
En revanche, la captation de données informatiques ne permettra pas d'accéder à distance à l'ensemble des messages ou des documents qui pourraient être inscrits dans la mémoire de l'ordinateur ou de son disque dur.
Actuellement, sont disponibles en vente libre dans le commerce à la fois des solutions matérielles et des solutions logicielles susceptibles de permettre la captation de données informatiques, telle qu'elle est envisagée par le projet de loi. Les solutions matérielles sont de deux types : il peut s'agir soit d'un dispositif s'intercalant entre le clavier et le boîtier d'un ordinateur de bureau, soit d'une carte d'extension pour ordinateur portable servant à détourner les signaux électriques provenant du clavier. Le premier dispositif est presque impossible à employer car il est aisément détectable, même s'il est introduit à l'intérieur même du clavier. En revanche, le second dispositif est très discret, mais requiert qu'un port d'extension soit libre sur la machine, ce qui est de moins en moins le cas. Dans la plupart des cas, c'est donc un dispositif logiciel qui sera privilégié.
La captation des données pourra présenter un grand intérêt dans des affaires particulièrement graves ou complexes, notamment en matière de terrorisme. Elle permettra de démanteler plus rapidement des groupes criminels, en offrant aux enquêteurs la possibilité d'accéder à des informations dont ils ne pouvaient pas disposer jusqu'ici. En effet, aujourd'hui, les malfaiteurs ou les terroristes utilisent de plus en plus fréquemment des périphériques (clés USB ou CD-ROM) pour ne pas laisser d'informations dans l'ordinateur, rendant leurs données inaccessibles par le biais d'une perquisition. En outre, la pratique policière montre que, le plus souvent, les malfaiteurs professionnels et les terroristes utilisent aujourd'hui ces supports physiques à partir d'ordinateurs mis à leur disposition dans les cybercafés et autres lieux publics ou privés pour rédiger ou consulter des documents qui sont ensuite cryptés et ne sont pas transmis par un réseau de communication, ce qui empêche leur interception lors de leur envoi.
(1) Christiane Féral-Schuhl, Avocat au Barreau de Paris Présidente de l'ADIJ, Philippe Sarda, membre de l'Association des avocats pénalistes - ADAP, Myriam Quémener, Avocat général à la cour d'appel de Versailles, auteure du livre "Cybercriminalité", Christian Aghroum, Commissaire divisionnaire, Chef de l'Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l'information et de la communication - OCLTIC, François Wallon, expert en informatique agréé par la Cour de cassation, coresponsable de l'atelier ADIJ "Cyberdélinquance", Vincent Nioré, Membre du Conseil de l'ordre, Secrétaire de la Commission pénale de l'ordre et Yvon Martinet, Avocat au Barreau de Paris.
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Réf. : CE 3° et- 8° s-s-r., 22 janvier 2010, n° 311339 (N° Lexbase : A4547EQH)
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par Guy Quillévéré, Rapporteur public près le tribunal administratif de Nantes
Le 07 Octobre 2010
L'arrêt du Conseil d'Etat du 22 janvier 2010 précise le régime d'imposition de la moins-value réalisée lors de la cession de titres qui ont fait l'objet d'une opération de recapitalisation. Le Conseil d'Etat met en oeuvre, dans le cadre d'une opération de réduction suivie d'une augmentation de capital, le même raisonnement que celui retenu par lui dans l'arrêt "SA financière Fauvernier" (CE 9° et 10° s-s-r., 26 mars 2008, n° 301413 N° Lexbase : A5967D77), en présence d'une chronologie inverse des opérations d'augmentation et de réduction du capital, inscrivant ainsi l'arrêt rapporté dans le prolongement de la décision "SA Rexel" (CE 9° et 10° s-s-r., 16 mars 2001, n° 199580 N° Lexbase : A1571ATD).
I - Le traitement fiscal de la plus ou de la moins value de cession de la participation lors d'une opération de recapitalisation
La seule conséquence patrimoniale du "coup d'accordéon" est un renchérissement du coût d'acquisition de la participation, le prix de revient total de cette dernière est, alors, indifférent à l'ordre des opérations de recapitalisation.
A - Les règles de la méthode ou l'apport de la jurisprudence "SA financière Fauvernier"
Le Conseil d'Etat, par son arrêt du 22 janvier 2010 vient compléter la construction jurisprudentielle en diptyque du traitement fiscal des plus ou moins-values constatées lors d'une opération de recapitalisation ayant pour but d'apurer la situation financière d'une société, effectuée par le biais d'un "coup d'accordéon". Une première moitié du tableau avait, déjà, été tracée sous l'arrêt du 26 mars 2008 "SA financière Fauvernier" : la Haute juridiction avait, alors, jugé que, lorsque le capital d'une filiale est augmenté puis réduit du même montant par imputation des pertes, il convient de prendre en compte les coûts supportés lors des différentes souscriptions de titres acquis puis cédés, alors même que le taux de participation dans le capital de la société n'a pas varié. Le "coup d'accordéon" a, en conséquence, pour effet l'entrée d'un nouvel élément de l'actif. La Haute juridiction précisait, alors, qu'à concurrence de la fraction correspondant au rapport entre les parts souscrites depuis moins de deux ans et le total des parts souscrites, la moins-value relevait du court terme.
Toutefois, le "coup d'accordéon", qui consiste à réaliser concomitamment une réduction et une augmentation de capital afin d'éponger les pertes dans une perspective d'ouverture du capital à un nouveau partenaire, soulève, en ce qui concerne l'application du régime fiscal des plus et des moins-values, une délicate question de traitement de ces dernières selon que la décision de la filiale est de réduire son capital ou de procéder, comme cela était le cas dans l'arrêt du Conseil d'Etat du 26 mars 2008, en premier lieu à une augmentation du capital, puis à une réduction. Quand une cession porte sur des titres de nature identique, mais acquis à des dates différentes, la règle applicable est celui du premier entré, premier sorti.
La chronologie des opérations menace de conduire à des traitements fiscaux des plus et moins-values différents : les articles 39 duodecies (N° Lexbase : L5513IC8) à 39 quindecies du CGI imposent, en effet, un traitement différent aux plus et moins-values de cession de titres de participations, selon qu'elles sont considérées comme étant à court terme ou à long terme, c'est-à-dire selon que les titres sont détenus depuis plus ou moins de deux ans. Alors même qu'une opération de recapitalisation consiste à réduire puis augmenter un capital du même montant par suppression de titres puis émission de nouveaux titres, il ne va pas nécessairement de soi que les titres que l'on supprime soient les mêmes que ceux que l'on apporte.
B - Lors d'une annulation du capital suivie d'une augmentation du même montant, la proportion de plus-value à court et à long terme est déterminée en tenant compte des premiers titres acquis
Lorsque des titres de participation sont annulés après avoir été émis (augmentation puis réduction de capital), la question se pose de savoir si les titres que l'on annule sont les mêmes que ceux que l'on vient d'émettre ou si l'on doit, en application des dispositions de l'article 39 duodecies du CGI (règle du premier entré premier sorti), considérer que les titres annulés sont ceux correspondant à l'acquisition initiale. Exclure l'une ou l'autre de ces deux alternatives n'est guère satisfaisante et une articulation de ces deux voies est plus satisfaisant et c'est ce qui a été proposé par la cour administrative d'appel de Lyon (CAA Lyon, 2ème ch., 14 décembre 2006, n° 02LY01663 N° Lexbase : A1288DTU) confirmé en cassation par le Conseil d'Etat.
Cependant, la transposition de la solution retenue par le Conseil d'Etat sous l'arrêt "SA financière Fauvernier", conduisant à une ventilation proportionnelle de la plus et moins-value entre long et court terme en fonction du nombre de titres nouvellement émis par rapport au total des titres émis par la société, à une opération de recapitalisation débutant par une annulation du capital de la société et se prolongeant par l'émission de nouveaux titres, n'allait pas de soi. C'est qu'une opération de réduction du capital suivie d'une émission de titres nouveaux n'emporte pas les mêmes conséquences quant à la constitution du portefeuille titres que ceux que l'on peut effectuer en présence d'une augmentation de capital suivie d'une réduction. Il est tentant de considérer qu'en cas de cession postérieure à l'émission de nouveaux titres, seuls ceux-ci sont cédés à l'exception des premiers titres nécessairement supprimés par la réduction du capital conduite avant augmentation. La plus ou moins-value constatée ne pourrait alors être que de court terme.
Le traitement fiscal similaire des plus et moins-values lors d'une opération de recapitalisation consistant en une augmentation suivie d'une réduction et d'une réduction suivie d'une augmentation, retenu sous l'arrêt du 22 janvier 2010, outre qu'il séduit par la symétrie qu'il instaure, prend racine dans le traitement comptable de telles opérations : le droit fiscal n'édicte pas de règles autonomes lorsqu'il peut emprunter les matériaux nécessaires à la résolution des problèmes qu'il rencontre auprès de droits voisins ; ce constat se vérifie ici. Le lien direct et indissoluble entre les titres anciens et les titres nouveaux est tiré du droit comptable lequel préconise en cas d'annulation des titres anciens et émission concomitante de titres nouveaux de ne pas sortir du bilan les titres anciens, au motif d'un lien substantiel entre les titres nouveaux et les titres annulés.
La solution du 22 janvier 2010 était, déjà, esquissée en filigrane par celle de l'arrêt du Conseil d'Etat du 17 octobre 2008 (CE 3° et 8° s-s-r., 17 octobre 2008, n° 293467 N° Lexbase : A7907EA4) s'inspirant, alors, de l'approche comptable et qui avait conduit le Conseil d'Etat à juger qu'une société ne peut pas comptabiliser une moins-value à court terme à raison de la réduction à zéro du capital de sa filiale, dès lors que cette réduction n'a été décidée que sous condition suspensive de la réalisation d'une augmentation de capital pour laquelle les actionnaires en place bénéficiaient de droits préférentiels de souscription.
La censure l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris apparaît, ainsi, comme le terme d'une évolution largement initiée par la jurisprudence antérieure.
II - L'ordre des opérations de recapitalisation est sans incidence sur la détermination du prix de revient total de la participation
L'annulation des titres n'étant pas regardée comme une perte définitive, le supplément du coût d'acquisition des titres qui résulte de la souscription à l'augmentation de capital doit être réparti proportionnellement entre les titres acquis à l'origine et ceux issus de l'augmentation de capital.
A - La solution retenue met en oeuvre les règles définies par l'arrêt "SA Rexel" du 16 mars 2001
Lorsqu'en novembre 1992, la société P., société mère de la société italienne T., cède sa participation, le Conseil d'Etat juge qu'elle ne peut être regardée comme ne cédant que les titres qu'elle a initialement acquis alors qu'elle a, dans l'intervalle, souscrit de nouveaux titres émis en contrepartie d'apports en numéraire. Le coût d'acquisition des participations s'entend en conséquence de la "valeur d'origine" qui est celle pour laquelle les titres ont été acquis initialement et sont inscrits au bilan, alourdi du prix de souscription des nouveaux titres émis consécutivement aux réductions de capital. La détermination du prix de revient de l'opération transpose, alors, le raisonnement retenu sous l'arrêt "SA financière Fauvernier" et applique les règles dégagées sous l'arrêt "SA Rexel".
Cette approche neutralise la chronologie des opérations des opérations de restructuration Le Conseil d'Etat privilégie une approche économique de l'opération de recapitalisation et juge que la cession des titres qui a fait l'objet de l'opération de recapitalisation doit être regardée comme portant à la fois sur des titres initialement détenus et des titres acquis lors de l'augmentation de capital.
B - La ventilation de la moins-value doit se faire en fonction des montants versés lorsque le prix unitaire des titres varie entre la souscription initiale et l'augmentation de capital
Une fois la nature de la moins-value réalisée lors de la cession des titres ayant fait l'objet de l'opération de recapitalisation précisée, il reste à établir l'incidence de l'opération sur le calcul de la durée de détention des titres puis à ventiler la plus ou la moins-value de cession entre court et long terme. Sous l'arrêt "SA financière Fauvernier", le Conseil d'Etat avait mis en oeuvre une règle simple de ventilation de la plus ou moins-value de long et de court terme : la ventilation doit être proportionnelle au nombre de titres acquis par la société mère à l'origine puis par souscription. Plus exactement, il avait été retenu un prorata : "à proportion des rapports existant entre les parts acquises lors de chaque souscription et le total des titres détenus à l'issue de l'augmentation de capital".
Cette règle simple de répartition (prorata au nombre de titres) convenait parfaitement à une opération de recapitalisation dans laquelle le prix unitaire de l'action était le même lors de la souscription initiale et lors de l'augmentation de capital. Sous l'arrêt du 22 janvier 2010, le Conseil d'Etat retient le même principe de ventilation, mais se trouve, cette fois, en présence d'un prix unitaire de l'action qui varie ; il adapte, en conséquence, la règle du prorata : ce qui importe ce n'est pas le nombre de titres, mais le montant des versements opérés à chaque coup d'accordéon. Le prorata n'est, cette fois, pas appliqué à un nombre de titres, mais déterminé en fonction des apports versés. L'application de cette variante de la règle du prorata retenue sous l'arrêt "SA financière Fauvernier", est motivée par la logique économique du "coup d'accordéon", qui supplante l'approche strictement économique.
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Réf. : Cass. soc., 3 mars 2010, n° 09-60.283, Syndicat des transports et des activités aéroportuaires sur les aéroports parisiens-Staap Unsa, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6615ESS)
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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV
Le 07 Octobre 2010
Résumé En application de la Convention n° 87 de l'OIT, l'acquisition de la personnalité juridique par les syndicats ne peut pas être subordonnée à des conditions de nature à mettre en cause l'exercice de leur liberté d'élaborer leurs statuts, d'élire leurs représentants, de formuler leur programme d'action et de s'affilier à des fédérations ou confédérations. Il en résulte que l'exercice de ces libertés par un syndicat ne peut pas entraîner la perte de sa personnalité juridique. |
I - Ancienneté du syndicat et modification des statuts
Si l'ancienneté des syndicats a toujours figuré parmi les critères d'appréciation de leur représentativité, elle a pris une importance nouvelle avec la loi du 20 août 2008. Désormais, pour pouvoir être représentatif, tout syndicat doit avoir une ancienneté minimale de deux ans dans le champ d'application professionnel et géographique couvrant le niveau de négociation. Cette ancienneté s'apprécie à compter de la date de dépôt légal des statuts (C. trav., art. L. 2121-1, 4° N° Lexbase : L3727IBN) (2).
Nécessaire pour accéder à la représentativité, cette ancienneté minimale l'est également pour l'exercice des prérogatives que la loi a ouvert aux syndicats qui, sans être représentatifs, présentent certaines garanties minimales de légitimité. Ainsi, les articles L. 2314-3 (N° Lexbase : L3825IBB) et L. 2324-4 (N° Lexbase : L3771IBB) du Code du travail permettent aux syndicats qui satisfont aux critères de respect des valeurs républicaines et d'indépendance, légalement constituées depuis au moins deux ans (3) et dont le champ professionnel et géographique couvre l'entreprise ou l'établissement concerné de participer à la négociation du protocole d'accord préélectoral et de présenter des listes de candidats au premier tour des élections professionnelles dans l'entreprise.
Dans l'affaire ayant conduit à l'arrêt commenté, un syndicat non représentatif avait entendu, sur le fondement des textes précités, déposer une liste de candidats en vue des élections des membres du comité d'établissement et des délégués du personnel. Les juges du fond ont, toutefois, considéré que ce syndicat ne pouvait exercer une telle prérogative. Pour ce faire, les magistrats ont pris en compte certains changements profonds ayant affecté le syndicat.
En l'espèce, lors de son assemblée générale du 7 mai 2009, le Syndicat du transport et des activités d'assistance sur les aéroports parisiens (Staaap), jusqu'alors affilié à la CFTC, avait décidé de modifier ses statuts, déposés depuis le 11 mai 2001, notamment en abandonnant la référence à la doctrine chrétienne et en se désaffiliant de la CFTC au profit de l'Unsa. Le 14 mai 2009, ce syndicat avait, ainsi qu'il a été vu précédemment, déposé une liste de candidats aux élections professionnelles dans un établissement.
Pour dire que le Staaap Unsa n'avait pas l'ancienneté requise par la loi pour participer à ces élections professionnelles et annuler en conséquence le dépôt de sa liste de candidats, le tribunal avait retenu que ce syndicat s'abstenait d'établir que la composition de son bureau et la liste de ses adhérents seraient les mêmes qu'avant. Selon les juges du fond, le changement radical d'orientation d'un syndicat se réclamant des valeurs chrétiennes en un syndicat laïque s'obligeant à prendre en compte les orientations de l'Unsa et de la Fédération autonome des transports Unsa pour la cohérence du mouvement constitue une modification substantielle ayant entraîné la création d'un nouveau syndicat, légalement constitué depuis le 18 mai 2009, soit moins de deux ans avant le dépôt de sa liste de candidats aux élections du 23 juin 2009.
Cette solution n'a pas convaincu la Cour de cassation, qui censure la décision au visa des articles L. 2314-3 et L. 2324-4 du Code du travail et la Convention n° 87 de l'OIT relative à la liberté syndicale et à la protection du droit syndical, ratifiée par la France. La Chambre sociale considère, en substance, que les modifications apportées aux statuts ne peuvent entraîner la perte de sa personnalité juridique.
II - Modification des statuts et perte de la personnalité juridique
Ainsi que l'affirme la Cour de cassation dans un motif de principe, selon la Convention précitée, "l'acquisition de la personnalité juridique par les syndicats ne peut être subordonnée à des conditions de nature à mettre en cause l'exercice de leur liberté d'élaborer leurs statuts, d'élire leurs représentants, de formuler leur programme d'action et de s'affilier à des fédérations ou confédérations. [...] Il en résulte que l'exercice de ces libertés par un syndicat ne peut pas entraîner la perte de sa personnalité juridique".
Par conséquent, "en statuant comme il l'a fait, alors qu'il résulte de ces constatations que le Staaap Unsa avait fait usage de sa liberté d'élaborer ses statuts, d'élire ses représentants et de s'affilier à une confédération, le tribunal, devant lequel il n'était pas contesté que ce syndicat avait toujours pour objet l'étude et la défense des droits ainsi que des intérêts matériels et moraux, tant collectifs qu'individuels de ses membres, a violé les textes susvisés".
Si la solution à laquelle parvient la Cour de cassation nous paraît devoir être pleinement approuvée, on peut s'interroger sur sa justification. La Chambre sociale a fait le choix de fonder celle-ci sur la Convention n° 87 de l'OIT. Selon l'article 3, § 1, de ce texte, "les organisations de travailleurs et d'employeurs ont le droit d'élaborer leurs statuts et règlements administratifs, d'élire librement leurs représentants, d'organiser leur gestion et leur activité, et de formuler leur programme d'action" (4). Cette même Convention stipule, en son article 5, que "les organisations de travailleurs et d'employeurs ont le droit de constituer des fédérations et des confédérations ainsi que celui de s'y affilier [...]". Enfin, en application de l'article 7, "l'acquisition de la personnalité juridique par les organisations de travailleurs et d'employeurs, leurs fédérations et confédérations, ne peut être subordonnée à des conditions de nature à mettre en cause l'application des dispositions des articles 2, 3 et 4 ci-dessus".
La Cour de cassation fait une interprétation extensive des textes précités. Tout d'abord, l'article 7 de la Convention n° 87 vise l'acquisition de la personnalité juridique et non sa perte. Ensuite, ce dernier texte ne renvoie pas à la liberté des syndicats de s'affilier à des fédérations ou confédérations. Il nous semble, en d'autres termes, difficile d'inférer des articles précités que la liberté pour les syndicats d'élaborer leurs statuts, d'élire leurs représentants, de formuler un programme d'action et de s'affilier à des fédérations ou confédérations n'a pas pour effet d'entraîner la perte de leur personnalité juridique. Tout au plus pourrait-on considérer que la liberté syndicale garantie par la Convention en cause interdit aux pouvoirs publics de faire de l'exercice des libertés précitées une cause de perte de la personnalité juridique. Mais, en l'espèce, il n'était question que des conséquences à tirer d'une manifestation de volonté privée.
Pour les juges du fond, les changements profonds ayant affecté le Staaap et, notamment, son changement d'affiliation, avaient entraîné la création d'un nouveau syndicat. On s'accordera avec la Cour de cassation pour considérer qu'une telle assertion est extrêmement discutable. Ainsi que nous l'avons vu, la loi exige que le syndicat soit "légalement" constitué depuis au moins deux ans. Or, on peut considérer que cette condition de légalité renvoie principalement à l'exigence de dépôt des statuts à la mairie de la localité où le syndicat est établi (C. trav., art. L. 2131-3 N° Lexbase : L2112H94 et R. 2131-1 N° Lexbase : L0712IAM), dont on s'accorde à dire qu'elle marque l'acquisition de la personnalité juridique du syndicat. Il faut, à cet égard, rappeler qu'en application de l'article L. 2121-1, 4°, l'ancienneté du syndicat s'apprécie à compter de la date de dépôt légal des statuts.
Une fois cette formalité respectée, les statuts du syndicat ne sont pas figés et ils peuvent à l'évidence faire l'objet de modifications. Si tout changement des statuts doit faire l'objet d'un dépôt, il ne saurait à lui seul entraîner la création d'un nouveau syndicat, quelle que soit l'importance de la modification apportée. Il ne s'agit là ni plus ni moins que d'une modification contractuelle. Or, il est pour le moins difficile d'avancer qu'une telle modification entraîne la conclusion d'un nouveau contrat.
En outre, admettre la création d'un nouveau syndicat exigerait de s'interroger sur ce qu'est devenu l'"ancien". Dans la mesure où il n'existerait plus, c'est donc qu'il aurait disparu. Mais, cette disparition ne pourrait être à notre sens être le fait que d'une dissolution. Or, faute de manifestation de volonté en ce sens des membres du syndicat, on ne peut qu'en conclure que le syndicat initial n'a pas disparu et continue de fonctionner (5).
En résumé, c'est le respect de la volonté des parties au pacte fondateur du syndicat qui commande de ne pas inférer d'une simple modification des statuts, serait-elle "substantielle", la création d'un nouveau syndicat. En outre, et d'un point de vue formel, c'est le dépôt des statuts qui, d'un point de vue légal, constitue l'acte de naissance d'un syndicat, non point leur modification. Il reste, et c'est évidemment essentiel, que le syndicat doit toujours avoir, postérieurement aux modifications des statuts, pour objet l'étude et la défense des droits ainsi que des intérêts matériels et moraux, tant collectifs qu'individuels de ses membres.
(1) Loi n° 2008-789 (N° Lexbase : L7392IAZ). Voir nos deux numéros spéciaux, Lexbase Hebdo n° 317 du 11 septembre 2008 - édition sociale et n° 318 Lexbase Hebdo n° 318 du 18 septembre 2008 - édition sociale.
(2) Antérieurement à la réforme, le Code du travail se contentait de viser "l'expérience et l'ancienneté du syndicat", sans plus de précisions.
(3) On doit remarquer que ces textes, tout en visant une exigence minimale d'ancienneté de deux ans, ne reprennent pas exactement la même formule que l'article L. 2121-1.
(4) Le § 2 de cet article précise, quant à lui, que "les autorités publiques doivent s'abstenir de toute intervention de nature à limiter ce droit ou à en entraver l'exercice légal".
(5) Les statuts du syndicat auraient pu faire de l'affiliation à la CFTC une condition d'existence du syndicat. Dans une telle hypothèse, le changement d'affiliation décidée en assemblée générale aurait automatiquement entraîné la disparition du syndicat et, par voie de conséquence, la création d'une nouvelle organisation.
Décision Cass. soc., 3 mars 2010, n° 09-60.283, Syndicat des transports et des activités aéroportuaires sur les aéroports parisiens-Staap Unsa, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6615ESS) Cassation de TI Aulnay-sous-Bois, contentieux des élections professionnelles, 19 juin 2009 Textes applicables : C. trav., art. L. 2314-3 (N° Lexbase : L3825IBB) et L. 2324-4 (N° Lexbase : L3771IBB) ; Convention n° 87 de l'OIT relative à la liberté syndicale et à la protection du droit syndical Mots-clefs : syndicat ; personnalité juridique ; perte ; modification des statuts ; ancienneté du syndicat ; changement d'affiliation Lien base : (N° Lexbase : E1791ETI) |
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Le 07 Octobre 2010
Arnauld Bernard, Bâtonnier de l'Ordre des avocats du Barreau du Val-de-Marne
Véronique Berne-Grave, avocat au Barreau du Val-de-Marne, membre de la BIF Famille
Serge Hefez, psychanalyste, responsable de l'unité de thérapie familiale au service psychiatrie de l'enfant de l'Hôpital de la Pitié-Salpêtrière
- Modérateur
Elisabeth Moncany-Perves, ancien Bâtonnier de l'Ordre des avocats au Barreau de l'Essonne
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Jacqueline Lesbros, juge aux affaires familiales près le TGI de Créteil
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Dominique Attias, avocat au Barreau de Paris, membre du Conseil national des Barreaux
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- Intervenants
Christian Gérard, pédopsychiatre, membre titulaire de la Société psychanalytique de Paris
Julia Legrand, psychologue scolaire
Isabelle Jusot, conseiller principal d'éducation au Collège Galilée à Evry
Véronique Decatoire, pédiatre à la PMI de Drancy
Un représentant de l'association socio-éducative des Yvelines (AS.SO.ED.Y)
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Vendredi 9 avril 2010
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