La lettre juridique n°380 du 28 janvier 2010

La lettre juridique - Édition n°380

Éditorial

Matronyme et castration patronymique

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


Non au deux noms ! Il souffle comme un vent de révolte sur la question du nom de famille, à lire la dernière jurisprudence tant administrative que judiciaire.

"Familles je vous hais ! Foyers clos, portes refermées, possessions jalouses du bonheur" écrivait Gide dans Les Nourritures terrestres. Et, comme le bonheur du couple, comme chacun le sait ou feint de ne pas le savoir, c'est l'enfant, on comprend, dès lors, combien patronyme rime si bien avec patrimoine.

Pèle mêle : le Conseil d'Etat retoque, le 4 décembre 2009, la circulaire prévoyant l'usage du double tiret dans le cadre de l'attribution des noms du père et de la mère à l'enfant né après 2005, ce double tiret n'existant pas dans la langue française et la création d'un signe distinctif nouveau relavant de la compétence législative. Ordonnance de Villers-Cotterêts (1539) et rédaction des actes civils et administratifs en français obligent ! Et la Cour de cassation n'est pas en reste, puisqu'elle accorde, le 4 décembre 2009 toujours, la possibilité à une jeune fille de prendre le nom de sa mère plutôt que de conserver le nom de son père condamné pour sévices à son encontre, mais refuse à une mère de modifier le nom paternel de son enfant en y adjoignant le sien, dans un arrêt rendu le 6 janvier 2010 ; l'enfant étant né avant l'application de la réforme issue des lois du 4 mars 2002 et 18 juin 2003, s'entend.

L'onomastique est décidément une science bien compliquée ! Surtout si vous ajoutez l'évolution juridique et sociale en prime. La loi du 6 fructidor de l'an II avait beau consacrer, certes la tenue de registres d'état civil, mais surtout l'immuabilité du nom de famille, l'article 1er disposant qu'aucun citoyen ne pourra porter de nom ni de prénom autre que ceux exprimés dans son acte de naissance, les exceptions ont fait légion à commencer par la loi du 11 germinal de l'an XI et la possibilité d'obtenir un changement de nom pour toute personne qui en aurait quelque raison ; régime abrogé par la loi du 8 janvier 1993 et mais remplacé par les articles 61 à 61-4 du Code civil qui traduisent cette possibilité administrative de changer de prénom ou de nom, pour peu qu'il justifie d'un intérêt légitime.

Les raisons invoquées ? Traditionnellement, on cite la francisation du nom, le relèvement des français mort au combat, le risque d'extinction du nom porté par un ascendant ou un collatéral, la consécration d'un nom d'usage dont la possession est établie et de bonne foi, la résurrection d'un nom familial prestigieux, voire l'enterrement d'un nom entaché d'infamie... Mais, le combat qui se livre, aujourd'hui, autour de la question du nom de l'enfant n'est pas de ces ressorts-ci ; il est de celui de l'empreinte sociale maternelle à travers les âges.

C'est bien parce que l'égalité des sexes commandait l'égalité "nymique" que la loi de 2002 offrit la possibilité aux deux parents d'accoler leurs deux noms pour n'en former qu'un à l'enfant né après 2005. L'ennui avec les lois, c'est que manifestement, elle ne sont pas toutes rétroactives -on avait fini par le croire au vu des dispositions législatives actuelles de plus en plus correctrices- ; et celle-ci instituait de facto deux régimes, avant et après 2005 ; la Cour de cassation n'opérant pas de rétroactivité in mitius en matière d'état civil -sauf à ce que l'on démontre que l'adjonction du nom de la mère soit si favorable à l'enfant né, peut-être !-.

Ah ! Il est bien loin le temps où l'on n'avait pas nom de famille ; entendons-nous bien, où l'on accolait à un prénom le lieu de naissance, le lieu d'habitation, le métier ou un signe physique distinctif... Autant de noms de substitution qui feront la richesse et la variété des patronymes français en 1539, puis, bien plus tard, avec l'instauration du livret de famille, en 1875. Mais, reconnaissons qu'à cette époque obscure (avant l'imprimerie et en plein illettrisme), hormis son titre nobiliaire, on n'avait que peu d'intérêt à se réclamer, dans le marbre, ubi et orbi, "fils de" : l'usage d'un nom et son emploi auprès de tous suffisaient.

C'est que la Liberté et son cortège de "droits à" et "droits de" ont fait fleurons ! En 1993, la loi abandonne le calendrier comme étalon mètre des prénoms de nos chères têtes blondes (une survivance de la loi du 11 germinal de l'an XI) pour la liberté de choisir le prénom de son enfant -avec les dérives auxquelles on pouvait s'attendre et le jugement sacramental d'un officier d'état civil décidant, si oui ou non, le prénom choisi porterait préjudice à l'enfant-. La liberté de choisir un prénom et la possibilité d'en changer pour raison légitime : pourquoi pas une déclinaison sur le nom ?

Parce que le nom, c'est l'identité sociale de l'individu. D'un nom, on offre à l'enfant une présomption -réfragable- de paternité, un lien affectif familial, une histoire, un positionnement social : les tenants d'une identité psychologique nécessaires à l'épanouissement de l'enfant. Interrogez un enfant de 3 ans : la première chose qu'il sait de source sûre, hormis son lien affectif avec ses parents, c'est son nom.

Et, Paul-Frédéric Girard -n'y voyez pas, pour moi-même, d'usurpation patronymique- de nous enseigner, dans son célèbre manuel de droit romain, datant de 1929, la tria nomina, dont les caractéristiques pourraient bien trouver échos à l'heure de la "matronymisation" progressive des noms de famille. Jugez plutôt que nos chers romains du Ier siècle usaient d'un praenomen qui permettait à l'enfant d'honorer un ancêtre ; d'un nomen qui identifiait l'individu comme appartenant à une gentilice, un clan ; et d'un cognomen, une sorte de surnom qui au fil des années permettait -et c'est là l'intérêt de l'incursion du droit romain au XXIème siècle- d'identifier une branche de la gentilice. Et, si à cette identification de la branche de la gens de l'enfant correspondait le nom maternel ? Ce cognomen, qui n'est qu'un nom d'usage, n'en est pas pour autant dévalorisé face au nomen ! J'en veux pour preuve : Cicéron est le cognomen de Marcus Tullius ! César, celui de Caius Julius ! Et Auguste, celui de Caius Octavius ! D'où il en ressort que l'on n'est jamais aussi bien identifié que par sa mère... quel que soit l'état civil de l'enfant.

"En donnant le nom à un enfant, il faut penser à la femme qui aura un jour à le prononcer" écrivit Jules Barbey d'Aurevilly dans... ses Diaboliques.

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Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] Le premier tour des élections professionnelles consacré dans sa double fonction électorale et syndicale

Réf. : Cass. soc., 13 janvier 2010, n° 09-60.203, Syndicat CFDT santé services sociaux 69 c/ Société Biomnis, FS-P+B+R (N° Lexbase : A3135EQ8)

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N9747BMX

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010


On saura gré à la Chambre sociale de la Cour de cassation d'avoir sans délai pris la mesure de l'importance de la loi du 20 août 2008 (1) et d'avoir accéléré le traitement des pourvois dirigés contre les premiers jugements rendus depuis et ce afin d'apporter le plus rapidement possible les éclaircissements pratiques qui s'imposaient. Profitant d'une affaire mettant en cause deux irrégularités connues des processus électoraux, la Haute juridiction, en forme d'obiter dictum, nous livre par anticipation sa doctrine concernant la sanction des irrégularités affectant les "nouvelles" élections professionnelles organisées sur le fondement de la loi du 20 août 2008 (II), soulignant ainsi la dualité fonctionnelle des élections professionnelles, désormais moyen de désignation des institutions représentatives du personnel et de légitimation des syndicats et de leurs représentants dans l'entreprise (I).

Résumé

A moins qu'elles soient directement contraires aux principes généraux du droit électoral, les irrégularités commises dans l'organisation et le déroulement du scrutin ne peuvent constituer une cause d'annulation que si elles ont exercé une influence sur le résultat des élections ou, depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, si, s'agissant du premier tour, elles ont été déterminantes de la qualité représentative des organisations syndicales dans l'entreprise ou du droit pour un candidat d'être désigné délégué syndical.

Constituent des irrégularités directement contraires aux principes généraux du droit électoral et affectant le déroulement du scrutin, de sorte qu'il n'avait pas à s'interroger plus avant sur leur incidence sur le résultat des votes, le retrait du nom d'un candidat, présenté par erreur par un syndicat de la liste de ses candidats aux élections de délégués du personnel dans le collège non cadre, postérieurement au début des opérations de votes par correspondance, alors qu'il n'a eu aucun élu, ainsi que l'absence de désignation d'un président dans l'un des bureaux de vote.

I - La dualité fonctionnelle des élections professionnelles après la loi du 20 août 2008

  • Objet de la réforme de la démocratie sociale

La réforme de la démocratie sociale intervenue par la loi du 20 août 2008 a considérablement bouleversé les principes qui régissent la représentation des salariés dans et hors l'entreprise (2). Pour s'en tenir à cette dernière, la loi a profondément réformé les règles de la représentativité syndicale en abandonnant la présomption de représentativité issue de la loi "Auroux" du 28 octobre 1982 et en imposant la preuve de sept critères cumulatifs et limitatifs, dont l'un fait directement référence à l'audience (de 10 %) du syndicat lors du premier tour des dernières élections professionnelles intervenues dans l'entreprise (3).

L'introduction par la loi d'une exigence électorale chiffrée a transformé la fonction même des élections professionnelles, qui se voient désormais reconnaître un double rôle, le premier, classique, de mode de mise en place des institutions représentatives du personnel (délégués du personnel et comité d'entreprise ou d'établissement), le second, moderne, de mesure de l'audience électorale dans (4) et hors l'entreprise (5).

Les règles techniques du droit électoral ont été modifiées à la marge pour tenir compte de la réforme et, notamment, de la volonté de permettre à de nouveaux syndicats "émergents" de participer au processus électoral dès le premier tour, ce qui leur permettra désormais d'obtenir, eux-aussi, une mesure d'audience, et de prétendre remplir l'exigence de 10 % des suffrages exprimés sans laquelle ils ne pourront être reconnus représentatifs dans l'entreprise ou l'établissement.

  • Impact sur le droit électoral professionnel

Les élections ayant changé de fonction, il était prévisible que le droit électoral allait évoluer, au-delà même des dispositions législatives nouvelles, dans la mesure où les juges mobilisent également, en droit du travail comme dans d'autres contentieux électoraux d'ailleurs, les "principes du droit électoral" destinés à garantir la sincérité du scrutin, mais aussi sa publicité, et qui sont issus du Code électoral.

La Cour de cassation a ainsi pu se fonder sur ses exigences pour conduire les juges du contentieux électoral à s'"assurer [de] l'identité des électeurs, ainsi que la sincérité et le secret du vote électronique, comme la publicité du scrutin" (6), à empêcher un même salarié d'être candidat, pour la même élection, sur deux listes différentes car "nul ne peut être candidat sur plus d'une liste" (7), et à affirmer que, "sauf circonstance exceptionnelle justifiant le vote par correspondance, le scrutin doit se dérouler dans des conditions identiques pour l'ensemble du corps électoral et sans interruption, à la date fixée pour les élections, entre l'heure d'ouverture et l'heure de clôture du scrutin" (8).

Les irrégularités relevées dans le processus électoral, lorsqu'elles ne sont pas expressément sanctionnées par la loi, peuvent conduire le juge à annuler les élections dès lors qu'elles ont eu une incidence sur les résultats électoraux. Ont ainsi été jugés comme ayant une incidence sur le scrutin "l'absence de président désigné dans les bureaux de vote [...] en raison de l'importance de ses attributions [qui] compromet dans son ensemble la loyauté du scrutin" (9), le fait que le protocole préélectoral "limite aux seules parties signataires de cet accord le droit d'assister aux élections et le droit de porter des observations sur le procès-verbal des élections" (10), le fait de ne pas permettre aux électeurs d'avoir accès librement au lieu du dépouillement (11) ou, encore, l'ouverture des urnes avant l'heure fixée pour la clôture du scrutin et la réception d'un vote sans dépôt dans l'urne (12).

En revanche, les incidents que le juge du contentieux électoral considère comme non déterminants ne permettront pas d'obtenir l'invalidation du scrutin (13), comme le défaut d'annexion des bulletins blancs ou nuls au procès-verbal des opérations de vote (14), la présence d'un représentant syndical extérieur à l'entreprise dont le comportement et les propos tenus, tenant pour l'essentiel en des conseils aux membres du bureau de vote et aux votants sur la manière de procéder, n'étaient pas constitutifs d'une irrégularité du scrutin (15) ou, encore, l'intervention d'un tiers, chargé d'opérations purement matérielles qui n'avait affecté ni la sincérité ni la loyauté des élections (16).

II - L'adaptation de la Cour de cassation au contexte nouveau issu de la loi du 20 août 2008

  • Intérêt de la décision

Cet arrêt en date du 13 janvier 2010 montre à la fois l'impact de la loi du 20 août 2010 sur le contenu du droit électoral, qui s'adapte pour répondre au nouveau rôle joué par les élections professionnelles, et livre une nouvelle illustration d'incident qui, affectant le déroulement du scrutin, doit conduire à son annulation sans qu'il soit nécessaire de prouver qu'il en a faussé le résultat.

L'arrêt se singularise, en premier lieu, par le caractère inédit de l'attendu de principe, aux termes duquel, "à moins qu'elles soient directement contraires aux principes généraux du droit électoral, les irrégularités commises dans l'organisation et le déroulement du scrutin ne peuvent constituer une cause d'annulation que si elles ont exercé une influence sur le résultat des élections ou depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 si, s'agissant du premier tour, elles ont été déterminantes de la qualité représentative des organisations syndicales dans l'entreprise, ou du droit pour un candidat d'être désigné délégué syndical".

Selon la Chambre sociale de la Cour de cassation, "les irrégularités commises dans l'organisation et le déroulement du scrutin ne peuvent constituer une cause d'annulation" que dans deux cas de figure, soit lorsqu'elles sont contraires aux dispositions du Code du travail ou aux principes généraux du droit électoral (17), auquel cas la nullité doit être prononcée sans égard à leur incidence réelle sur le résultat du scrutin, soit il ne s'agit que de "simples" "irrégularités commises dans l'organisation et le déroulement du scrutin", qui "ne peuvent constituer une cause d'annulation que si elles ont exercé une influence sur le résultat des élections" (18).

Il faudra ajouter au second cas de figure, dans le prolongement de la réforme intervenue le 20 août 2008, l'hypothèse où, "s'agissant du premier tour, elles ont été déterminantes de la qualité représentative des organisations syndicales dans l'entreprise, ou du droit pour un candidat d'être désigné délégué syndical".

  • Une formule à approuver

La solution retenue et ainsi formulée mérite pleinement approbation, car elle exprime la nouvelle fonction "syndicale" du premier tour des élections professionnelles, qui servent à mesurer l'audience des syndicats et des candidats pour déterminer la représentativité du syndicat et la légitimité du candidat. La formule suggérée invite donc le juge à observer la variation du résultat imputable à l'irrégularité, non constitutive d'une violation des principes généraux du droit électoral, même s'il sera parfois délicat de l'observer lorsqu'elle tiendra à des facteurs étrangers aux bulletins de vote. Mais on peut penser que, dans ces hypothèses litigieuses, l'élection sera annulée lorsque l'un des syndicats, ou l'un des candidats, sera proche des 10 %, et pourrait bien soit avoir indument profité de l'irrégularité, soit, au contraire, lorsqu'il risquera d'en avoir subi les conséquences.

  • Mise en oeuvre de la nouvelle formule

Reste à examiner comment la Cour de cassation a fait application de ces nouvelles consignes aux faits de l'espèce.

Dans cette affaire, les élections professionnelles avaient eu lieu le 13 mars 2009 et relevaient donc de plein droit des dispositions de la loi du 20 août 2008. Le 9 mars, la CFTC avait retiré la candidature d'une salariée cadre dans le collège non cadre aux élections des délégués du personnel titulaires alors que les opérations de vote par correspondance étaient engagées. Critiquant diverses irrégularités dans le déroulement du scrutin et, notamment, les conditions de présidence des quatre bureaux de vote pour l'élection des délégués du personnel et des membres du comité d'établissement, titulaires et suppléants, ainsi que les conditions de dépouillement des résultats, le syndicat CFDT santé sociaux du Rhône avait saisi le tribunal d'une demande en annulation de ces scrutins.

Cette demande avait été rejetée. Selon le tribunal d'instance, en effet, ni le retrait du nom d'un candidat, présenté par erreur par le syndicat CFTC, de la liste de ses candidats aux élections de délégués du personnel dans le collège non cadre, postérieurement au début des opérations de votes par correspondance, alors qu'il n'a eu aucun élu, ni l'absence de désignation d'un président dans l'un des bureaux de vote n'affectent la validité du scrutin dès lors que la preuve n'est pas rapportée que ces irrégularités ont exercé une influence sur le résultat des élections.

Ce jugement est cassé, de surcroit sans renvoi, la Cour de cassation relevant "que les irrégularités constatées étaient directement contraires aux principes généraux du droit électoral et affectaient le déroulement du scrutin, de sorte qu'il n'avait pas à s'interroger plus avant".

Pour reprendre la classification opérée par la Cour, ces incidents relevaient de la première catégorie, celle qui donne lieu à annulation dès lors qu'elles sont directement contraires aux principes généraux du droit électoral, et non de la seconde qui doivent avoir exercée une influence prouvée sur le résultat du scrutin.

Ce faisant, la Haute juridiction confirme les termes d'une précédente décision, par laquelle elle avait jugé que l'absence de désignation d'un président dans l'un des bureaux de vote devait entraîner l'annulation du scrutin "en raison de l'importance de ses attributions [qui] compromet dans son ensemble la loyauté du scrutin" (19).

La Cour considère également que le retrait du nom d'un candidat, présenté par erreur par le syndicat CFTC, de la liste de ses candidats aux élections de délégués du personnel dans le collège non cadre, postérieurement au début des opérations de votes par correspondance, constitue une irrégularité devant entraînant la nullité du scrutin, en ce qu'il contrarie un principe général du droit électoral, et ce sans qu'il soit nécessaire de prouver que ce retrait a pu influencer le résultat.

  • Une solution indiscutable

La solution est incontestable. L'article R. 100 du Code électoral (N° Lexbase : L3724HT4), qui constitue la source des principes généraux qui s'appliquent aux élections professionnelles, dispose, en effet, que "les candidatures ne peuvent être retirées que jusqu'à la date limite fixée pour le dépôt des candidatures". Le retrait tardif constitue alors une contravention à ce principe général qui justifie pleinement l'annulation de l'élection.


(1) Loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail (N° Lexbase : L7392IAZ). Voir notre numéro spécial, Lexbase Hebdo n° 317 du 11 septembre 2008 - édition sociale.
(2) V. notre numéro spécial, Lexbase Hebdo n° 317, préc..
(3) Rappelons que ce volet de la loi s'applique aux entreprises dont des les élections professionnelles ont été organisées sur le fondement de la loi nouvelle, la date déterminante étant celle de l'invitation à négocier le protocole préélectoral, qui doit être postérieur à l'entrée en vigueur de la loi nouvelle. Les dispositions modifiant les conditions de validité des accords et conventions d'entreprises (minorité de 30 %) sont, en revanche, applicables dans les entreprises depuis le 1er janvier 2009.
(4) Il s'agit ici d'établir la représentativité syndicale, la légitimité des délégués syndicaux et la validité des accords collectifs.
(5) Rappelons que la mesure de l'audience des syndicats dans les branches et au niveau national et interprofessionnel s'appuie sur les résultats électoraux dans les entreprises.
(6) Cass. soc., 8 décembre 2004, n° 03-60.509, M. Pascal Perrier c/ Banque Neuflize Schlumberger Mallet Demachy (NSMD), F-P+B (N° Lexbase : A3757DEU) ; Cass. soc., 26 avril 2006, n° 05-60.298, Syndicat Unsa Accenture c/ Société Accenture, F-D (N° Lexbase : A3799DPE).
(7) Cass. civ. 2, 28 mai 2003, n° 03-60.032, Préfet du Haut-Rhin c/ M. Khier Gharzouli, F-P+B (N° Lexbase : A6894CKK).
(8) Cass. soc., 23 mai 2000, n° 98-60.526, Syndicat CFDT-Métaux du pays d'Aix c/ Société Eurocopter Entreprises de Marignane et autres, inédit (N° Lexbase : A1668CZS).
(9) Cass. soc., 13 février 2008, n° 07-60.097, Société Sopafom, F-P+B (N° Lexbase : A9338D4M).
(10) Cass. soc., 20 avril 2005, n° 04-60.250, Syndicat CFE-CGC c/ UTICFDT, F-D (N° Lexbase : A9766DH8).
(11) Cass. soc., 18 décembre 2000, n° 00-60.033, Caisse autonome de retraite et de prévoyance des infirmiers, masseurs kinésithérapeutes, pédicures-podologues, orthophonistes et orthoptistes, (CARPIMKO) c/ Union des professions de santé libérales et autres (N° Lexbase : A8648AYX).
(12) Cass. soc., 5 juillet 2000, n° 99-60.345, M. Jean-Pierre Evraere c/ M. Manuel Rocamora, inédit (N° Lexbase : A0829CNZ).
(13) Cass. soc., 9 juillet 2008, n° 07-60.404, Union locale CGT de la Seyne-sur-Mer et Ouest Var, F-D (N° Lexbase : A6432D94).
(14) Cass. civ. 1, 19 juin 2008, n° 07-12.671, M. Alain Roth, F-D (N° Lexbase : A2187D9U).
(15) Cass. soc., 12 juin 2002, n° 01-60.668, Société La Rectification industrielle c/ M. Serge Thermeau, F-D (N° Lexbase : A8853AYK).
(16) Cass. soc., 6 juin 2002, n° 00-60.488, Mme Michèle Lucchini, épouse Jourdan c/ Crédit commercial de France (CCF), FS-P (N° Lexbase : A9243AXM).
(17) Cass. soc., 20 octobre 1999, n° 98-60.405, Syndicat libre unité action (SLUA) c/ Société Le Nickel, société anonyme et autres, inédit (N° Lexbase : A7938CXB) ; Cass. soc., 25 septembre 2001, n° 00-60.162, Mme Chantal Chevallier (N° Lexbase : A1079AWU).
(18) En ce sens, Cass. soc., 10 mars 1983, n° 82-60.352, Dame Blanc c/ Entreprises Guichard-Perrachon et Compagnie, publié (N° Lexbase : A8929CGS) ; Cass. soc., 13 mars 1985, n° 84-60.608, Société Efi c/ Union des syndicats chrétiens d'employés techniciens (N° Lexbase : A3286AAX).
(19) Cass. soc., 13 février 2008, n° 07-60.097, préc..


Décision

Cass. soc., 13 janvier 2010, n° 09-60.203, Syndicat CFDT santé services sociaux 69 c/ Société Biomnis, FS-P+B+R (N° Lexbase : A3135EQ8)

Cassation sans renvoi TI Lyon, contentieux des élections professionnelles, 29 avril 2009

Textes visés : C. trav., art. L. 2122-1 (N° Lexbase : L3823IB9), L. 2143-3 (N° Lexbase : L3719IBD), L. 2314-24 (N° Lexbase : L3759IBT) et L. 2314-5 (N° Lexbase : L2587H9P) et les principes généraux du droit électoral

Mots clef : élections professionnelles ; irrégularités ; sanctions

Lien base : (N° Lexbase : E1686ETM)

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Concurrence

[Questions à...] Publication des nouvelles Lignes Directrices en matière de contrôle des concentrations - Questions à Emmanuelle van den Broucke, Associée du cabinet Salans

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par Anne Lebescond, Journaliste juridique

Le 07 Octobre 2010

Animée par un souci de transparence et de clarification de son analyse et de ses méthodes, l'Autorité de la concurrence a publié sur son site, le 16 décembre 2009, les nouvelles Lignes Directrices en matière de contrôle des concentrations, qui remplacent celles édictées par la DGCCRF en 2004 et modifiées en 2007. Elaboré à la suite de la concertation publique qui s'est déroulée entre le 8 juillet et le 24 septembre 2009, ce "guide pédagogique" à destination des entreprises guidera l'examen par l'Autorité des opérations de concentration notifiées à compter du 1er janvier 2010. Les entreprises se réfèreront à ce mode d'emploi, qui synthétise à la fois la procédure applicable, les méthodes utilisées pour procéder à l'analyse concurrentielle des opérations et les types de décisions susceptibles d'être prises à l'issue de la procédure. L'article 23 du règlement intérieur de l'Autorité de la concurrence a été modifié corrélativement par décision du 17 décembre 2009 (1). Désormais, "les dossiers de concentration sont traités suivant les modalités procédurales précisées dans les Lignes Directrices de l'Autorité de la concurrence du 16 décembre 2009 relatives au contrôle des opérations de concentration".

Pour faire la lumière sur ce guide (qui compte pas moins de 165 pages), Lexbase Hebdo - édition privée générale a rencontré Maître Emmanuelle van den Broucke, Associée du cabinet Salans. Celle-ci a pris part à la concertation qui s'est tenue cet été, en tant que membre de l'Association des avocats pratiquant le droit de la concurrence (APDC), à l'origine de nombreuses suggestions relayées par l'Autorité de la concurrence.

Lexbase : La loi de modernisation de l'économie ("LME") (2) a transféré la compétence du contrôle des concentrations à l'Autorité de la concurrence. A qui cette prérogative était-elle antérieurement dévolue ? Selon vous, s'agit-il d'un progrès ?

Emmanuelle van den Broucke : L'Autorité de la concurrence, instituée par la "LME" et existant officiellement depuis le 2 mars 2009, s'est vue confier le contrôle des opérations de concentration, prérogative antérieurement dévolue au ministre de l'Economie et des Finances avec compétence consultative du Conseil de la concurrence.

Ce transfert de compétence a pour objet de rendre la procédure de contrôle des concentrations plus efficace. Auparavant, la compétence pouvait être partagée entre le ministre de l'Economie (la DGCCRF) et le Conseil de la concurrence de la manière suivante :
- l'opération était notifiée au ministre de l'Economie qui pouvait approuver l'opération avec ou sans condition, à l'issue d'une phase de cinq semaines (phase 1) ;
- le cas échéant, en cas de doute sérieux d'atteinte à la concurrence, le ministre pouvait décider d'ouvrir une phase d'examen approfondi de l'opération, alors, confiée au Conseil de la concurrence, qui émettait un avis ne liant pas le ministre (phase 2) ;
- enfin, le dossier revenait au ministre qui prenait sa décision finale (phase 3).

Dans les cas d'opérations complexes demandant un examen approfondi, les parties à une opération voyaient leur dossier traité par des interlocuteurs différents, avec la perte de temps et d'efficacité liée au transfert du dossier entre autorités. Les économistes du Conseil de la concurrence ne pouvaient, par exemple, commencer leurs études que lorsque le dossier leur était parvenu.
Aujourd'hui, hormis un pouvoir résiduel d'intervention du ministre de l'Economie dans des cas qui devraient être très limités, le contrôle des opérations de concentration n'est plus étatique et il appartient à l'Autorité de la concurrence, autorité administrative indépendante encore renforcée dans ses pouvoirs.

Elle pourra décider d'autoriser l'opération de fusion notifiée :
- soit, au terme d'une analyse concurrentielle rapide, dont le délai est, en principe, de 25 jours ouvrés à compter de la date de réception de la notification complète, sauf cas de prolongation possibles (phase 1) ;
- soit, au terme d'un examen plus approfondi si nécessaire, dans les cas où subsiste un doute sérieux d'atteinte à la concurrence, pour lequel il est prévu un délai de 65 jours ouvrés, sauf cas de prolongation possibles (phase 2).

Bénéficier d'un interlocuteur unique devrait permettre, outre la simplicité et la cohérence, de gagner du temps, toujours très précieux, lorsqu'il s'agit de rapprochements entre entreprises. Si l'Autorité de la concurrence est seule en charge d'examiner si une opération de concentration porte atteinte au droit de la concurrence, le ministre de l'Economie, en tant que garant de l'intérêt général, dispose, toutefois, d'un pouvoir exceptionnel d'évocation, qui lui permet de passer outre la décision de l'autorité, pour des considérations d'intérêt général autres que la concurrence (développement industriel, compétitivité des entreprises en cause au regard de la concurrence internationale, maintien de l'emploi, etc.). Le ministre dispose de 25 jours ouvrés à compter de la décision prise par l'Autorité au terme d'un examen approfondi (phase 2), pour se pencher sur une opération de concentration considérée comme stratégique.
Le ministre peut, également, demander, si l'Autorité de la concurrence a autorisé une opération en fin de phase 1, que cette opération fasse l'objet d'un examen approfondi dans un délai de 5 jours ouvrés à compter de l'autorisation de l'opération, mais l'Autorité de la concurrence a le pouvoir discrétionnaire de refuser cette demande, comme l'ont précisé les Lignes Directrices.

Lexbase : La "LME" a apporté d'autres modifications au régime du contrôle des concentrations, explicitées dans les Lignes Directrices récemment publiées. Quelles sont-elles ?

Emmanuelle van den Broucke : Les Lignes Directrices de l'Autorité de la concurrence donnent, effectivement, quelques éclaircissements sur les autres modifications apportées en 2008 par la "LME" au contrôle français des concentrations. C'est le cas, notamment, pour l'abaissement des seuils de notification des opérations dans le secteur du commerce de détail et dans les départements et collectivités d'outre-mer.

Plus précisément, dans le secteur du commerce de détail, la "LME" a abaissé les seuils pour permettre à l'Autorité de la concurrence de contrôler des rapprochements de magasins qui n'étaient auparavant pas dans les seuils, mais qui pouvaient, néanmoins, conférer une part de marché importante au niveau local (C. com., art. L. 430-2, II N° Lexbase : L2052ICY). Désormais, les concentrations intervenant entre des entreprises exerçant une activité de commerce de détail doivent être notifiées à l'Autorité de la concurrence, lorsque :
- "les entreprises concernées par cette concentration [acquéreur(s) et cible] réalisent ensemble sur le plan mondial un chiffre d'affaires supérieur à 75 millions d'euros" ;
- "et deux au moins de ces entreprises réalisent, dans au moins un des départements ou collectivités territoriales concernés, un chiffre d'affaires supérieur à 15 millions d'euros" (au lieu de 50 précédemment).
Les Lignes Directrices donnent, ainsi, des précisions utiles sur ce qu'on entend par commerce de détail (magasin qui réalise plus de la moitié de son chiffre d'affaires pour des ventes de marchandises à des particuliers) et sur ce qui doit être comptabilisé ou non dans le calcul de ces nouveaux seuils (par exemple, les ventes sur internet sont exclues).

Quant aux DOM-COM (C. com., art. L. 430-2, III), dorénavant, lorsqu'au moins l'une des parties à la concentration exerce tout ou partie de son activité dans un ou plusieurs DOM ou collectivités d'outre-mer, l'opération doit être notifiée à l'Autorité si :
- le chiffre d'affaires total mondial hors taxe de l'ensemble des entreprises ou groupe de personnes physiques ou morales parties à la concentration est supérieur à 75 millions d'euros ;
- le chiffre d'affaires total hors taxe réalisé individuellement dans au moins un DOM ou dans l'une des collectivités d'outre-mer par deux au moins des entreprises ou groupes de personnes physiques ou morales concernés est supérieur à 15 millions d'euros ;
- et si l'opération n'est pas de dimension communautaire.

Les Lignes Directrices précisent que le seuil des 15 millions d'euros à réaliser dans les DOM-COM doit être atteint dans un même département ou une même collectivité. En revanche, elles omettent de préciser, même si cela semble l'hypothèse la plus probable, que les deux entreprises doivent atteindre ce seuil de 15 millions d'euros dans le même DOM ou COM. Les Lignes Directrices apportent, également, quelques nouveautés qui vont au delà des modifications apportées par la "LME". Elles donnent, ainsi, la liste des cas dans lesquels les entreprises peuvent déposer un dossier de notification simplifié, lorsque l'opération n'est pas susceptible de poser des difficultés de concurrence. Elles introduisent, également, la possibilité d'obtenir une lettre de confort sur des opérations pour lesquelles les entreprises veulent obtenir confirmation qu'elles ne sont pas contrôlables (avec la réserve que, si les questions de contrôlabilité sont complexes, l'Autorité de la concurrence demandera quand même de déposer un dossier de notification).

Autre nouveauté : les Lignes Directrices abordent, en outre, la question des restrictions accessoires. Ce sont les restrictions de concurrence contenues dans les accords entre les parties à une opération (clause de non-concurrence, accords d'approvisionnement, accords de licence), qui seront couvertes par l'autorisation de l'opération si elles sont strictement et objectivement nécessaires à la réalisation de l'opération. Si elles ne sont pas strictement nécessaires à l'opération, elles doivent être analysées attentivement pour déterminer si elles ne constituent pas des pratiques anticoncurrentielles répréhensibles. L'Autorité de la concurrence choisit d'analyser ces restrictions accessoires à la lumière de la communication de la Commission européenne sur le sujet des restrictions accessoires, publiée le 5 mars 2005. Elle précise que l'Autorité de la concurrence pourra s'auto-saisir au titre des pratiques anticoncurrentielles des restrictions qui excèderaient ce qui serait nécessaire à l'opération. Les entreprises devront, donc, avoir une attention toute particulière sur l'examen des restrictions de concurrence contenues dans leurs accords.

Il faut signaler, enfin, la place importante accordée par ces nouvelles Lignes Directrices à l'analyse économique : non seulement les raisonnements économiques sous-jacents à l'appréciation des concentrations y sont largement développés, mais les Lignes Directrices consacrent, désormais, une annexe aux méthodes à suivre pour préparer et présenter des études économiques à l'appui des notifications, ceci, en vue afin de faciliter le dialogue entre l'Autorité et les entreprises à ce sujet.

Lexbase : Selon vous l'objectif de transparence et de clarification est-il atteint ? Les suggestions formulées dans le cadre de la concertation ont-elles été prises en compte ? Reste-t-il des points obscurs ?

Emmanuelle van den Broucke : Les Lignes Directrices publiées en décembre 2009 apportent des clarifications aux modifications de la "LME" qui étaient nécessaires et attendues. L'Autorité a fait un gros effort pour publier rapidement des Lignes Directrices enrichies, certes, des modifications de la "LME", mais aussi de la pratique récente intégrant, de la sorte, des éléments nouveaux réclamés par les praticiens. Pour avoir participé à la concertation, l'été dernier, je dois reconnaître que nombre des propositions formulées dans ce cadre (présentation de dossiers simplifiés, computation des délais en jours ouvrés, restrictions accessoires, clarification des règles applicables aux fonds d'investissement, etc.) ont été relayées par l'autorité administrative.

D'autres suggestions n'ont, néanmoins, pas été retenues, laissant subsister une part d'ombre. Tel est le cas, par exemple, d'un délai maximal dans lequel l'Autorité délivre un accusé de complétude du dossier. C'est seulement lorsque l'entreprise sait officiellement que son dossier est complet, qu'elle peut savoir que les délais de procédure ont commencé à courir à partir du dépôt du dossier. L'une des premières questions que posent les entreprises qui doivent soumettre leur opération à l'approbation des autorités de la concurrence est, en effet, de savoir quand elles auront le feu vert, afin de pouvoir organiser le closing de l'opération. L'Autorité a souhaité garder les mains libres sur ce point, ce qui nuit à la prévisibilité du contrôle pour les entreprises. Le meilleur conseil que l'on peut, alors, donner est de préparer un dossier le plus complet possible ou, en cas de doute, de pré-notifier l'opération, pour éviter les surprises et s'assurer que le délai commencera à courir au jour du dépôt.

J'ajouterais, également, que, même si ces Lignes Directrices sont, notamment, à destination des entreprises, il faut bien reconnaître que, sur bien des points, elles demeurent encore très techniques et nécessitent le "décodage" de praticiens.

L'Autorité de la concurrence a, néanmoins, indiqué que ces Lignes Directrices évolueront en fonction de sa pratique, elle-même, inspirée, souvent, du dialogue avec les entreprises. Il ne s'agit, donc, pas d'un exercice figé et il appartient aux entreprises de demander des explications sur des points encore obscurs ou qui ne sont pas traités par les Lignes Directrices qui sont, par définition, trop générales pour couvrir toutes les situations particulières.


(1) Décision du 17 décembre 2009 portant modification du règlement intérieur de l'Autorité de la concurrence (N° Lexbase : L4309IGP).
(2) Loi n° 2008-776 du 4 août 2008, de modernisation de l'économie (N° Lexbase : L7358IAR).

newsid:379782

Avocats

[Questions à...] De l'intérêt pour l'avocat de recourir aux services d'une agence de recherches privées - Questions à Dominique Jacquemond, Directeur du développement du groupe Arca Conseil

Lecture: 5 min

N9781BM9

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par Anne Lebescond, Journaliste juridique

Le 16 Octobre 2017

L'information est au coeur de l'exercice de la profession d'avocat, que l'activité de ce professionnel s'oriente sur le judiciaire ou sur le conseil. Elle constitue la "matière première" de ses travaux et sera déterminante de la qualité du service rendu au client. Un avocat efficace est, avant tout, un avocat bien informé. Pour autant, le métier de l'avocat est de défendre les intérêts de son client, pas nécessairement, de recueillir et traiter de l'information ; quoi qu'une distinction s'impose entre l'information juridique (maîtrise des textes législatifs et réglementaires, connaissance de la jurisprudence, etc.), qui fait partie intégrante de ses attributions, et l'information "factuelle" (information économique et financière, constitution de preuves, etc.), pour lesquels il ne dispose, ni du temps, ni des moyens nécessaires.

Il s'agit, donc, indéniablement de deux activités différentes, bien que complémentaires. Dans cette optique, le recours par un avocat soucieux d'optimiser ses prestations à une agence de recherches privées est opportun. En particulier, lorsqu'il s'agit du monde des affaires. Mais, bien que les avantages de cette démarche soient évidents, les avocats n'ont pas tous développé ce réflexe. Souvent, parce qu'ils manquent (précisément) d'informations sur la profession de "détectives privés", parfois ternie par des agissements en dehors du cadre légal. Il suffirait pourtant de trier les interlocuteurs pour retirer tous les bénéfices d'une collaboration entre ces deux professions complémentaires.

Lexbase Hebdo - édition professions s'est proposée de le faire pour vous. Nous avons rencontré Monsieur Dominique Jacquemond, Directeur du développement du groupe Arca Conseil, pour une présentation détaillée de cette activité et de sa réglementation.

Lexbase : Pouvez-vous nous présenter la société Arca Conseil ?

Dominique Jacquemond : La société Arca Conseil existe depuis près de vingt ans. Elle appartient à un groupe constitué de cinq sociétés toutes dédiées à la recherche d'informations, comptant plus de quatre-vingt collaborateurs et dont le chiffre d'affaires (CA) avoisine les 8 millions d'euros. A elle seule, la société Arca Conseil emploie une quarantaine de personnes et représente près de la moitié du CA du groupe.

Notre coeur de métier a été celui de l'investigation financière et patrimoniale sur l'individu. Nos prestations d'enquêtes (qui recoupent la recherche d'actifs saisissables, l'analyse et l'évaluation patrimoniales, l'enquête de solvabilité, les recherches des biens et des personnes, l'enquête de réputation, etc.) sont destinées à une clientèle essentiellement constituée d'établissements bancaires et financiers, et de professions juridiques.

Puis, nous nous sommes progressivement orientés sur d'autres segments du marché au point de couvrir, aujourd'hui, l'ensemble des métiers de la recherche d'informations.

Nous avons très vite étendu notre champ d'intervention à l'investigation commerciale et financière sur les entreprises (analyse des risques financiers, assistance dans la négociation, aide à la détection de fraudes, etc.). Nous avons, ainsi, développé une expertise spécifique en matière "d'intelligence économique".

Nous réalisons, également, des enquêtes et des recherches d'informations pointues et ciblées, des enquêtes orientées "preuves", pour assister nos clients (entreprises et dirigeants) dans la prise de décisions stratégiques : concurrence déloyale et environnements hostiles, détournement d'actifs, problématiques d'espionnage industriel, relations commerciales, ressources humaines, etc..

Toutes ces recherches sont réalisées tant en France qu'à l'international. Nos compétences transfrontalières sont des atouts indéniables, notamment, dans le cadre des "obligations anti-blanchiment" à la charge des professionnels, et des Directives de "BALE 2" (1).

Nous sommes, aujourd'hui, un des leaders européens sur notre marché, qui compte peu d'acteurs structurés et organisés.

Nos enquêteurs sont tous des professionnels chevronnés, dotés des bons réflexes, ayant au moins dix ans d'expérience dans la profession et issus du monde économique, financier, juridique, et des affaires.

Notre délai moyen de traitement d'une mission est d'une vingtaine de jours au plus (sauf intervention à l'échelle internationale ou forte complexité du dossier). Nous débutons systématiquement nos dossiers par une analyse préalable qui fait l'objet d'un devis argumenté, précisant, également, le délai.

Lexbase : Quels bénéfices l'avocat peut-il espérer retirer, lorsqu'il fait appel à votre société ?

Dominique Jacquemond : Notre activité est complémentaire de celle des avocats, sur bien des aspects.

L'avocat intervient pour son client dans deux cas de figure : en situation de crise (dans le cadre de la reconnaissance et de l'indemnisation d'un préjudice) ou dans le cadre du développement de son client, soucieux d'acquérir des parts de marché.

Les seules informations comptables (les plus facilement disponibles) sont loin d'être suffisantes ainsi que les recherches initiées par les huissiers dont ce n'est pas l activité.

C'est la raison pour laquelle la collecte, le recoupement et l'analyse d'informations sont primordiaux, tant pour négocier en position favorable que pour recouvrer une créance.

Concernant nos interventions en matière "d'intelligence économique", l'avocat est indéniablement le confident des chefs d'entreprises. Il les guide dans leurs décisions stratégiques. En ce qui nous concerne, nous apportons un éclairage indispensable à une prise de décision immédiatement opérationnelle.

Dans le cadre d'un contentieux, nos travaux ont valeur de témoignage et prennent la forme d'attestations. Par ailleurs, il arrive très souvent que l'avocat dispose d'un titre pour recouvrer une créance, mais ne puisse pas l'exécuter, faute de pouvoir, par exemple, "mettre la main sur le débiteur". Nous leur permettons d'identifier ce dernier, de le localiser, et de cerner tous ses actifs saisissables en France ou à l'international.

Lexbase : L'exercice de l'activité d'investigation est-elle encadrée par la loi ?

Dominique Jacquemond : L'article 102 de la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003, pour la sécurité intérieure (N° Lexbase : L9731A9B), insère un titre II Des activités des agences de recherches privées, à la loi n° 83-629 du 12 juillet 1983, qui réglemente les activités des agents privés de recherche (N° Lexbase : L2919AIX). Ce faisant, elle fixe, pour la première fois, une réglementation de la profession.

L'article 20 de la loi du 12 juillet 1983 soumet au dispositif légal les "personnes, qui recueillent, même sans faire état de leur qualité ni révéler l'objet de leur mission, des informations ou renseignements destinés à des tiers, en vue de la défense de leurs intérêts". Celles-ci doivent, notamment, être inscrites sur la liste départementale des agents privés de recherche et répondre à un certain nombre de conditions (d'honorabilité, de moralité, de probité, de non condamnation, etc.) pour obtenir l'agrément du préfet du département ou, à Paris, du préfet de police. Cet agrément peut, en outre, être suspendu ou retiré, dès lors qu'une ou plusieurs conditions ne seraient plus remplies.

Parallèlement, les dirigeants et les collaborateurs des agences doivent, préalablement à prise de leurs fonctions, faire l'objet d'une déclaration auprès du préfet et répondre à des conditions similaires ou équivalentes à celles exposées ci-dessus. La loi du 18 mars 2003 leur a, en outre, imposé une qualification ou une aptitude professionnelle.

Le contrôle du respect de la législation est confié aux préfets, à la Commission nationale de déontologie de la sécurité, aux commissaires de police et aux officiers de la gendarmerie nationale.

Lexbase : La loi pose, donc, un certain nombre de garanties minimales. En proposez -vous d'autres ?

Dominique Jacquemond : Outre ces agréments préfectoraux, imposés aux agences et agents privés de recherches, nous respectons scrupuleusement toutes les obligations en matière de collecte de données personnelles.

Nous disposons d'un correspondant "Informatique & Liberté, Métier" dans le cadre de nos relations avec la CNIL. Nous ne conservons aucune donnée personnelle au delà des délais fixés par la loi.

Nous avons, en outre, naturellement, souscrit une assurance de responsabilité civile professionnelle spécifique aux professionnels de l'investigation financière.

Enfin, nous disposons d'une Chartre déontologique interne signée par chaque enquêteur nominativement.

Bref, nous plaçons le respect de la loi et de la déontologie ainsi que la confidentialité au centre de nos actions quotidiennes d'enquêtes et de recherche.


(1) Directive 2006/48 du 14 juin 2006, concernant l'accès à l'activité des établissements de crédit et son exercice (refonte) (N° Lexbase : L1385HKI) et Directive 2006/49 du 14 juin 2006, sur l'adéquation des fonds propres des entreprises d'investissement et des établissements de crédit (refonte) (N° Lexbase : L1386HKK).

Arca Conseil
12, rue Saint-Fiacre - 75002 Paris
Tél. : 01 40 26 92 48
dominique.jacquemond@arca.fr

newsid:379781

Internet

[Manifestations à venir] e-Liberté/e-Sécurité

Lecture: 1 min

N9861BM8

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Le 07 Octobre 2010

Techniques biométriques, réseaux sociaux... Autant de technologies qui favorisent la collecte et l'exploitation de nos données personnelles. Autant de risques de vols d'identité ou d'images. Comment les maîtriser, se garantir, concilier vie privée et liberté d'expression, instituer un droit personnel à l'oubli ? Afin de répondre à ces questions, l'Institut Présaje et le Barreau de Paris vous convient, le jeudi 11 février 2010, de 18h00 à 20h00, pour débattre à l'auditorium de la Maison des avocats sur le thème suivant : "e-Liberté/e-Sécurité".
  • Intervenants

M. Jean Castelain, Bâtonnier de l'Ordre des avocats de Paris
M. Guillaume Desgens-Pasanau, auteur de l'ouvrage L'identité à l'ère numérique (1)
M. Eric Freyssinet, auteur de l'ouvrage L'identité à l'ère numérique
M. Emmanuel Binoche, premier vice-président au tribunal de grande instance de Paris
Maître Christiane Feral-Schuhl, avocat au barreau de Paris, spécialiste en droit des technologies de l'information
M. Jean-Luc Girot, directeur du consulting, Keyrus
M. Hervé Schauer, expert de renommée internationale en sécurité des systèmes d'information
M. Michel Rouger, président de l'Institut Présaje
M. Jean-Marie Cotteret, professeur émérite de l'Université Paris-Sorbonne

  • Date

Jeudi 11 février 2010
18h00 - 20h00

  • Lieu

Auditorium de la Maison des avocats
2/4 rue de Harlay
75001 Paris

  • Renseignements

Présaje (01 46 51 12 21 www.presaje.com)

- par mail : m.rougerperrier@presaje.com,
- par courrier : 30 rue Claude Lorrain 75016 Paris
- ou par fax : 01 47 64 00 20

Colloque validé au titre de la formation continue obligatoire des avocats.


(1) Collection Présaje, Dalloz éd..

newsid:379861

[Jurisprudence] A propos de l'efficacité du cautionnement d'un prêt immobilier doublé d'une promesse hypothécaire

Réf. : Cass. civ. 1, 19 novembre 2009, n° 08-19.173, Chambre de commerce et d'industrie de Sète, Frontignan et Mèze, FS-P+B+I (N° Lexbase : A7488ENN)

Lecture: 13 min

N9850BMR

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par Alexandre Bordenave, Avocat au Barreau des Hauts-de-Seine, chargé d'enseignement à l'ENS Cachan

Le 07 Octobre 2010

Publié chaque année sous le patronage de la Banque mondiale, le rapport Doing Business s'emploie à mesurer l'efficacité de la "réglementation des affaires" (1) et entend démontrer l'existence d'une corrélation entre les qualités d'un système juridique donné et la performance économique de la juridiction où ce système s'applique. Parmi les critères contribuant à l'évaluation du sous-indice "Obtenir des prêts", calculé par ce rapport, l'efficacité des sûretés tient une bonne place : des prêteurs correctement protégés par le droit des sûretés sont enclins à distribuer plus de crédits. En réformant son droit des sûretés (2), la France entendait (au moins à demi-mot) relever ce défi (3). Avec son arrêt du 19 novembre 2009, la première chambre civile de la Cour de cassation apporte indirectement sa pierre à l'édifice. Les faits à l'origine de cette décision peuvent être ramenés à une cinématique plutôt simple. En 1988, deux sociétés co-emprunteuses au titre d'un prêt immobilier avaient fourni à leurs prêteurs à titre de sûreté, d'une part, le cautionnement de la Chambre de commerce et d'industrie locale et, d'autre part, une promesse d'hypothèque et de nantissement. En 1993, à la suite de divers manquements contractuels, l'un des prêteurs prononça la déchéance du terme du prêt et agit contre la caution. Cette dernière argua alors du fait qu'en ne rendant pas effectives les promesses de sûretés réelles dont il était le bénéficiaire, le créancier avait manqué à son obligation de loyauté envers elle. Aussi, devait-elle être libérée de toute obligation envers le créancier sur le fondement de l'article 2037 du Code civil (N° Lexbase : L2282AB7 ; C. civ., 2314, nouv. N° Lexbase : L1373HIP) .

Fondamentalement, trancher la question de savoir si les promesses de sûretés entrent dans le champ de l'article 2314 du Code civil revient à se prononcer sur l'efficacité du cautionnement au soutien duquel elles viennent : les inclure, c'est lui sceller un sort funeste ; les exclure, c'est préserver l'intérêt qu'il peut présenter pour le créancier.

C'est fort heureusement, à notre sens, que la Cour de cassation ne se rangea pas à la position défendue devant elle et décida, au contraire, que "si le créancier, bénéficiaire d'une sûreté provisoire, qui, dans le même temps, se garantit par un cautionnement, s'oblige envers la caution à rendre cette sûreté définitive, tel n'est pas le cas du créancier bénéficiaire d'une promesse d'hypothèque ou de nantissement, dès lors que la constitution de la sûreté est au seul pouvoir du promettant" (5).

En préservant un minimum d'efficacité au cautionnement renforcé par une promesse de sûreté (I), la Cour régulatrice fait preuve d'autant de bon sens juridique que de pragmatisme économique : le refinancement des portefeuilles de prêts immobiliers français, passablement ébranlé par la crise économique, devrait en profiter (ou, en tous cas, ne pas en souffrir) (II).

I - Une efficacité préservée

En refusant de voir dans la non-concrétisation d'une promesse de sûreté réelle une cause d'extinction du cautionnement (A), c'est bien l'efficacité d'un schéma de garantie assez largement répandu en France (nous y reviendrons) qu'assure la Cour de cassation. Ce faisant, elle ne ferme pas pour autant la porte à une action en responsabilité de la caution contre le créancier négligeant les intérêts de cette dernière (B).

A - La non-extinction du cautionnement en l'absence de concrétisation d'une promesse de sûreté réelle

Aux raisons qui font que l'obligation de la caution "s'éteint par les mêmes causes que les autres obligations" (6), s'ajoute une circonstance particulière (7) : celle que l'on résume par la périphrase "perte du bénéfice de cession d'actions ou de subrogation". Dans l'espèce étudiée ici, la caution entendait obtenir l'application de ce mécanisme prévu alors à l'article 2037 du Code civil (8). En droit positif, c'est désormais l'objet de l'article 2314 du Code civil qui dispose -et répute non-écrite toute clause contraire- que "la caution est déchargée, lorsque la subrogation aux droits, hypothèques et privilèges du créancier, ne peut plus, par le fait de ce créancier, s'opérer en faveur de la caution" (9).

Le plus souvent, on retient que ce motif de déchargement de la caution ne joue que si sont réunies deux conditions, dont aucune n'était vérifiée dans les faits de l'arrêt du 19 novembre 2009.

D'abord, le préjudice que la caution estime subir doit consister en la perte d'un droit préférentiel (voire exclusif) et certain.
S'agissant du cas qui nous occupe, ce qu'a perdu la caution c'est le bénéfice d'une hypothèque et d'un nantissement potentiels pour raison de ce que le créancier n'avait pas obtenu que les promesses dont il était bénéficiaire soient suivies d'effet. Or, la jurisprudence a établi, en des termes plutôt clairs, qu'une promesse d'hypothèque n'est pas un droit préférentiel (10) et qu'une promesse de nantissement ne permet pas à la caution d'invoquer l'article 2314 du Code civil (11). Sur ce fondement, il est des plus douteux qu'un quelconque droit certain ait été anéanti à la défaveur de la caution. L'arrêt commenté le met bien en exergue : la promesse de sûreté n'a rien d'une sûreté provisoire. Par conséquent, la caution, en l'espèce, ne pouvait légitimement prétendre avoir subi un préjudice du simple fait que les promesses de sûretés étaient demeurées lettres mortes.

Ensuite, le créancier doit être à l'origine exclusive de ladite perte.
En admettant (ce qui, encore une fois, ne nous semble pas être le cas) qu'une promesse de sûreté pourrait constituer un droit préférentiel, pour que l'ancien article 2037 du Code civil s'applique dans notre affaire, encore aurait-il fallu que le créancier soit à l'origine de la prétendue perte de cette prérogative.
Lorsqu'est consentie une sûreté provisoire (12) ou une sûreté légale (13), qu'il suffit d'inscrire pour qu'elle devienne efficace, la négligence du créancier qui omettrait de procéder à ladite inscription est clairement une faute sanctionnée par le jeu de l'actuel article 2314 du Code civil (14) : d'ailleurs, l'attendu principal le rappelle expressément (15). L'opinion des juges de cassation est qu'il en va différemment en matière de promesse de sûreté, les magistrats relevant en ce cas "que la constitution de la sûreté est au seul pouvoir du promettant". Si l'on admet qu'en matière de promesse de sûreté le promettant est incontournable lorsqu'il s'agit de rendre la sûreté effective, alors oui : il est sévère de faire peser sur les épaules du seul créancier, même professionnel du crédit, la charge d'obtenir in fine des sûretés. Mais, est-ce vraiment le cas ? Cela ne souffre d'aucun débat en matière d'hypothèque où l'acte authentique, incontournable, requiert que le promettant/futur constituant se présente devant le notaire (16). Pour ce qui est d'une promesse ayant pour objet une sûreté dépourvue de presque tout formalisme, un nantissement de créance, par exemple on peut se montrer plus circonspect : ne pourrait-on pas considérer que si elle détaille suffisamment la sûreté promise, la promesse de sûreté vaut sûreté et qu'il suffit alors au créancier de lever l'option ? En pratique, cette situation est assez peu susceptible de se présenter, mais elle laisse à penser que la "consensualisation" du droit des sûretés pourrait conduire à légèrement tempérer la position de la Cour de cassation pour l'avenir. La réforme de 2006 pourrait ainsi conduire à légèrement nuancer les conclusions de l'arrêt du 19 novembre 2009.

B - L'action en responsabilité comme alternative

Pour autant, la Cour de cassation ne laisse pas complètement dépourvue la caution faisant face à la demande en paiement d'un créancier bénéficiant de promesses de sûretés réelles non réalisées. En pareille situation, il existe au moins une alternative pour la caution. A titre liminaire, nous sommes d'avis qu'il convient d'écarter l'idée selon laquelle, en exerçant son recours subrogatoire (17), la caution pourrait lever l'option attachée à la promesse de sûreté accordée par le débiteur, lui-même, au créancier (ce qui était, en l'espèce, le cas) dans l'hypothèse où cette promesse demeurerait exerçable : l'admettre serait antithétique avec le refus opposé à la caution de se prévaloir de l'article 2314 du Code civil, tel que nous l'avons exposé plus avant.

Pour la caution, la voie du salut réside sans doute dans l'action en responsabilité à l'occasion de laquelle il lui est loisible de plaider, à titre reconventionnel (ou par voie d'exception), devant le juge qu'en ne s'efforçant pas d'obtenir du promettant qu'une sûreté soit constituée en application de la promesse, le créancier a commis envers elle une faute source de préjudice. Reste alors à déterminer si une responsabilité de la sorte est de nature contractuelle ou délictuelle. Tout en ayant bien à l'esprit le caractère unilatéral attribué unanimement au cautionnement (18), nous pencherions volontiers pour la thèse de la responsabilité contractuelle : dès lors que la Cour de cassation oblige le créancier titulaire d'une faculté à l'exercer conformément aux intérêts de la caution, témoignage de l'exigence de bonne foi contractuelle imposée au créancier, cela fait sens (19). En tout état de cause, c'est bel et bien la responsabilité contractuelle du créancier qui pourrait être engagée si était stipulée entre ce dernier et la caution une clause de porte-fort (20) prévoyant que le créancier s'engage envers la caution à obtenir que le promettant constitue effectivement la sûreté qu'il a promise. Néanmoins, il est raisonnable de penser qu'une telle clause, si elle est de nature à garantir le succès de l'action en responsabilité de la caution, n'est acceptée que très limitativement par les créanciers.

Il n'en reste pas moins que voir dans les circonstances dont il est ici question un cas d'ouverture de la responsabilité du créancier affaiblit quelque peu le bien-fondé de la solution arrêtée par la Cour de cassation le 19 novembre 2009 : au fond, n'y a t-il pas une incohérence à refuser à la caution le bénéfice de l'article 2314 en matière de promesses de sûretés tout en considérant que la responsabilité du créancier pourrait être engagée en pareil cas ? Déjà, les esprits les plus affutés ont perçu ce biais d'analyse (21) ; sur la question, raison ne leur est pas donnée par la Cour de cassation... pas encore.

Juger que le cautionnement donné à un créancier bénéficiaire d'une promesse de sûreté ne s'éteint pas si le créancier n'obtient pas la réalisation des promesses revient à assurer un minimum d'efficacité à ce schéma de garantie. Globalement, force est de reconnaître que la solution prête difficilement le flanc à la critique, et ce en dépit de ce qu'elle s'avère très favorable aux prêteurs de deniers dont elle protège grandement les intérêts. Les établissements de crédit devraient y trouver leur compte, tout particulièrement à l'occasion de leurs opérations de refinancement.

II - Une efficacité au service du refinancement

Ainsi que l'a relevé récemment un rapport du Sénat (22), une part importante (estimée à 47 % en 2006) des prêts immobiliers accordés en France est garantie non par une hypothèque mais par une caution, souvent doublée d'une promesse hypothécaire. On l'explique généralement par une marge plus importante pour les établissements de crédit sur les prêts cautionnés, liée au fait que les sociétés de caution font souvent partie du groupe de la banque prêteuse et à l'absence de fuites vers les professionnels de l'hypothèque que sont les notaires et les conservateurs des hypothèques. De fait, le besoin de refinancement des établissements de crédit français en matière immobilière concerne assez largement des crédits présentant des caractéristiques proches de ceux du prêt conclu dans notre espèce. En confirmant l'efficacité juridique schéma de garantie associant caution et promesse d'hypothèque, l'arrêt du 19 novembre 2009 contribue à ne pas tendre un peu plus les conditions de refinancement des prêts immobiliers octroyés par les banques françaises (A) et augure un minimum d'avenir heureux aux futures obligations à l'habitat (B).

A - Le statu quo des conditions de refinancement

La jurisprudence nouvelle de la Cour de cassation est rassurante pour les établissements de crédit : les prêts immobiliers cautionnés et assortis d'une promesse de sûreté ne sont pas menacés d'être relégués au rang de créances chirographaires ! C'est un réel soulagement que l'on peut relativiser en gardant à l'esprit que souvent la caution d'un prêt immobilier octroyé par un établissement de crédit donné est fournie par une société financière du groupe dudit établissement.

Toutefois, l'arrêt de novembre 2009 peut être considéré sous un angle légèrement différent. Chacun le sait désormais : les établissements de crédit recourent à diverses techniques de refinancement, dont le principe consiste à mobiliser leurs portefeuilles de prêts immobiliers ; c'est le cas de la titrisation, par exemple. Ce faisant, ils dépendent notoirement de la notation financière attribuée par les agences de notation (23) aux titres financiers refinançant lesdits portefeuilles : schématiquement, le coût de refinancement est une fonction décroissante de la notation desdits titres. Quant à cette dernière, elle est fortement corrélée à la qualité du portefeuille sous-jacent ; parmi les critères permettant d'apprécier cette qualité, l'on trouve généralement le fait que les prêts refinancés sont garantis par des sûretés efficaces.

Dès lors, on perçoit bien l'un des enjeux d'importance de la décision rendue par la Cour de cassation : frapper de caducité les cautionnements sécurisant les prêts immobiliers octroyés par les établissements de crédit français du seul fait que les promesses hypothécaires dont bénéficient lesdits établissements n'ont pas été transsubstantiées en hypothèque aurait eu pour effet quasi-mécanique d'entraîner la révision à la baisse des notations financières accordées à bon nombre de programmes de refinancement de créances de prêts immobiliers. Le marché du refinancement des prêts immobiliers, plongé dans une atonie persistance, n'en avait nul besoin. Aussi, louons le bel effort -conscient ou inconscient, peu importe- de réalisme financier de la Cour de cassation.

B - La voie ouverte aux futures obligations à l'habitat

Non content d'avoir assuré la sécurité juridique des garanties attachées aux prêts immobiliers français, l'arrêt du 19 novembre 2009 est sans nul doute annonciateur de la belle réussite à venir des obligations à l'habitat.

Un court historique s'impose ici. Outre la titrisation stricto sensu (24), les marchés immobiliers ont appris à organiser leur refinancement via l'émission d'obligations sécurisées par des portefeuilles de créances immobilières : les Pfandbriefe allemandes en sont l'exemple le plus célèbre (25). Les obligations foncières, créées par la loi du 25 juin 1999, sur l'épargne et la sécurité financière (loi n° 99-532 N° Lexbase : L2208DYG), sont la "version française" de ces titres. Ne pouvant être émises que par une société de crédit foncier (qui est une société financière spécialisée), ces obligations procurent à leurs porteurs le bénéfice d'un super-privilège exorbitant du droit commun (26). En revanche -et compte tenu du privilège que nous venons de décrire, c'est logique-, elles ne peuvent refinancer que des actifs de grande qualité se conformant à des critères longuement et précisément décrits par les dispositions du Code monétaire et financier (27). Or, il se trouve que les prêts simplement garantis par un cautionnement doublé d'une promesse hypothécaire -tel celui dont il était question dans l'arrêt de novembre 2009- se voient réserver un sort mitigé :
- ils ne sont éligibles au refinancement par une société de crédit foncier que si la caution les concernant est une caution solidaire donnée par une établissement de crédit ou une entreprise d'assurance dont les capitaux propres s'élèvent au moins à douze millions d'euros et n'entrant pas dans le périmètre de consolidation dont relève la société de crédit foncier ;
- leur refinancement par une société de crédit foncier n'est possible que dans la limite du montant du capital restant dû ou de 60 % de la valeur du bien financé (C. mon. fin., art. R. 515-2 N° Lexbase : L9631DYD) ;
- et, surtout, le montant total des prêts cautionnés figurant à l'actif d'une société de crédit foncier ne peut excéder 35 % de ce montant (C. mon. fin., art. R. 515-6 N° Lexbase : L9635DYI).

Sans y voir une réécriture de la métaphore du chameau et du chas, concédons qu'il est plutôt malaisé de refinancer des prêts immobiliers cautionnés par une société de crédit foncier. Afin de palier cette difficulté, est apparue en France (sur un modèle anglo-saxon) une alternative pratique aux obligations foncières : les structured covered bonds. Il s'agit d'obligations émises par un établissement de crédit ad hoc -le plus souvent constitué par la société mère ou l'organe central (29) d'un groupe bancaire donné- afin de fournir des liquidités sous la forme de prêt à des établissements de crédit de son groupe contre la remise en sûreté, sous le régime des articles L. 211-38 (N° Lexbase : L2468IE7) et suivants du Code monétaire et financier, de créances de prêts immobiliers. Au final, ces titres financiers reproduisent bien le mécanisme des obligations sécurisées : ils contribuent au refinancement de prêts immobiliers et fournissent à leur porteur une sûreté de haut rang puisque constituée en tirant parti des vertus issues de la transposition française de la Directive dite "Collateral" (30). Abstraits de la rigidité des dispositions relatives à la composition de l'actif des sociétés de crédit foncier (31), les montages de structured covered bonds, purement contractuels, représentent probablement en France, à l'heure actuelle, le meilleur mode de refinancement des prêts immobiliers cautionnés. La preuve en est que la majorité des grands groupes bancaires français s'est dotée de cet instrument souple de refinancement.

Sensibilisé à la question par les milieux professionnels, le Gouvernement s'est récemment saisi de la question : ainsi, le projet de loi de régulation bancaire et financière déposé à l'Assemblée nationale par le Premier ministre le 16 décembre 2009 (32) se propose-t-il d'introduire à côté des obligations foncières les obligations à l'habitat (33). Les obligations à l'habitat -qui ne pourront être émises que par des émetteurs d'un genre nouveau : les sociétés de financement de l'habitat- devraient pouvoir être adossées à une variété d'actifs plus grande et dans des conditions moins strictes que celle prévalant en matière d'obligations foncières : en particulier les prêts cautionnés. Cela ne trompe pas : il s'agit de donner leurs lettres de noblesse (et un nom moins barbare !) aux structured covered bonds. Si la Cour de cassation avait ruiné une partie substantielle de l'efficacité du cautionnement d'un prêt immobilier pour lequel le prêteur dispose également d'une promesse hypothécaire, on peut raisonnablement penser que la "production" de tels prêts se serait, peu à peu, tarie au profit des prêts garantis purement et simplement par une hypothèque (ou toute sûreté équivalente), ce qui aurait laissé poindre en perspective un avenir mitigé pour les obligations à l'habitat (34). Au contraire, en ne condamnant pas de facto un funeste sort à la pratique française du prêt immobilier cautionné assorti d'une promesse hypothécaire, c'est bien le lit des futures obligations à l'habitat que fait l'arrêt du 19 novembre 2009.

Au final, il faut saluer et approuver la solution dégagée par la Cour de cassation, équilibrée et cohérente avec la jurisprudence existante. Rendue à propos d'une promesse de sûreté réelle, elle devrait pouvoir être généralisée à d'autres droits préférentiels potentiels, comme une promesse de caution par exemple. Au-delà, ce qui nous frappe, c'est l'actualité de cette solution qui ne concoure pas à une nouvelle dérive systémique et s'inscrit déjà dans la perspective de ce qui sera, à n'en pas douter, l'une des grandes lois de l'année 2010 : arrêt très prospectif que celui du 19 novembre 2009. Arrêt très sage également : plutôt maudire les prêts immobiliers cautionnés et assortis d'une promesse de sûreté, comme le fit, du haut de son bûcher, Jacques de Molay à l'adresse de Philippe le Bel que de statuer en sens contraire (35). Les juges de cassation ont été bien inspirés de s'en garder.


(1) Pour reprendre l'expression consacrée par le site publiant le rapport.
(2) Réforme que l'on doit à l'ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006, relative aux sûretés (N° Lexbase : L8127HHH).
(3) A cet égard, voir les orientations données à la réforme dans le rapport du groupe de travail relatif à la réforme du droit des sûretés (dit "rapport Grimaldi"), p. 2 et 3.
(4) La réforme des sûretés que l'on doit à l'ordonnance n° 2006-346 (précitée) ayant conduit à une renumérotation (à droit presque constant) des articles concernant le cautionnement.
(5) Pour les besoins de ce commentaire, nous laissons volontairement à l'écart la question de la responsabilité du notaire rédacteur d'acte. L'arrêt du 19 novembre 2009, même s'il consacre quelques développements à la question (cf., sur ce point, les obs. de D. Bakouche, Le contrôle de l'exécution de l'obligation du notaire d'assurer l'utilité et l'efficacité des actes unis par un lien de dépendance, Lexbase Hebdo n° 13 du 7 janvier 2010 - édition profession N° Lexbase : N7188BM8) n'apporte finalement sur ce terrain guère plus que celui en date du 28 mai 2009 (Cass. civ. 1, 28 mai 2009, n° 07-14.075, F-P+B N° Lexbase : A3756EHL, Revue de droit bancaire et financier, novembre 2009, commentaire n° 195, par D. Legeais et, également, les obs. de D. Bakouche in La Chronique de responsabilité civile de David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI) - Juillet 2009, Lexbase Hebdo n° 360 du 23 juillet 2009 - édition privée générale N° Lexbase : N1149BL7).
(6) C. civ., art. 2311 (N° Lexbase : L1210HIN).
(7) Plus généralement, s'agissant des causes d'extinction du cautionnement, n'hésitons jamais à nous replonger dans l'excellente prose du Professeur Mouly : Les causes d'extinction du cautionnement, Bibliothèque de droit de l'entreprise, 1980.
(8) Avec une rédaction inchangée.
(9) Mécanisme dont la doctrine a déjà eu l'occasion de souligner combien il était malaisé de lui dégager un fondement clair : cf. D. Houtcieff, Contribution à une théorie du bénéfice de subrogation de la caution, RTDCiv., 2006, p. 191 et s..
(10) Cass. civ. 1, 6 novembre 2001, n° 99-10.280, Mme Joseline Cormillot c/ Société BRED banque populaire, F-D (N° Lexbase : A0609AXT). En tous cas, ce n'est pas un droit préférentiel au jour où la caution s'engage.
(11) Cass. com., 5 février 2008, n° 07-10.480, Mme Thérèse Nero, veuve Georges, F-D (N° Lexbase : A7316D4Q).
(12) Telle une inscription provisoire de nantissement de fonds de commerce : Cass. mixte, 17 novembre 2006, n° 04-19.123, M. André Arribet c/ Société Comptoir bigourdan de l'électronique (N° Lexbase : A3516DSZ), P. Crocq, RTDCiv, 2007, 157.
(13) Cass. civ. 1, 3 avril 2007, n° 06-12.531, Caisse régionale de crédit agricole mutuel (CRCAM) Nord de France, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A8313DUG) ; Ph. Delebecque et Ph. Simler, JCP éd. G, I, 158.
(14) En dépit d'une divergence à l'origine de laquelle se trouve la Chambre commerciale : Cass. com., 19 décembre 2006, n° 04-19.643, Société Banque populaire du Midi, F-P+B (N° Lexbase : A0827DTS), D., 2007, p. 369, obs. V. Avena-Robardet. Une partie de la doctrine conteste également cette obligation supplémentaire à la charge du créancier : D. Houtcieff, Le créancier titulaire d'une faculté s'oblige à l'exercer conformément aux intérêts de la caution, JCP, éd. E, 2006, 2775.
(15) La Cour écrit : "Le créancier, bénéficiaire d'une sûreté provisoire, qui, dans le même temps, se garantit par un cautionnement, s'oblige envers la caution à rendre cette sûreté définitive".
(16) Comme l'exige l'article 2416 du Code civil (N° Lexbase : L1322HIS).
(17) Celui de l'article 2316 du Code civil (N° Lexbase : L1140HI3).
(18) Ainsi que le rappelle, entre autres, Ph. Delebecque et, Ph. Simler, Droit civil : Les sûretés, La publicité foncière, Dalloz, 5ème éd., 2009, n° 260, p. 234.
(19) Cf. D. Houtcieff, idem. Voir aussi sur ce point : L. Aynes, P. Crocq, Les Sûretés - La publicité foncière, Defrénois, 2009, 4ème éd., n° 296, p. 132.
(20) C. civ., art. 1120 (N° Lexbase : L1208ABD).
(21) Ph. Simler, Cautionnement, Garanties autonomes, Garanties indemnitaires, Litec, 4ème éd., 2008, n° 827.
(22) Accès des ménages au crédit, Rapport d'information n° 261 de M. Joël Bourdin, fait au nom de la délégation du Sénat pour la planification, 2006.
(23) Dont s'est récemment saisi le droit communautaire : Règlement (CE) n° 1060/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 sur les agences de notation de crédit (N° Lexbase : L9149IEL), à propos duquel cf. les obs. d'E. Mazzei, Des réponses apportées à la crise par le droit financier : le cas des agences de notation, Lexbase Hebdo n° 377 du 7 janvier 2010 - édition privée générale (N° Lexbase : N9384BMI).
(24) Commercial Mortgage Backed Securitisation (CMBS) ou Residential Mortgage Backed Securitisation (RMBS) en matière immobilière.
(25) Leur naissance remonte au XIXème siècle. Depuis lors, leur attractivité de ne s'est jamais démentie : les Pfandbriefe constituent aujourd'hui le premier marché obligataire européen.
(26) Ainsi, l'article L. 515-21 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L3619HZ3) précise que : "Nonobstant l'ouverture éventuelle de toute procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaires à l'encontre du cédant postérieurement à la cession, la cession prend effet entre les parties et devient opposable aux tiers à la date apposée sur le bordereau lors de sa remise, quelle que soit la date de naissance, d'échéance ou d'exigibilité des créances, sans qu'il soit besoin d'autre formalité, et ce quelle que soit la loi applicable aux créances et la loi du pays de résidence des débiteurs".
(27) Aux articles L. 515-14 (N° Lexbase : L3612HZS) à L. 515-17 du Code monétaire et financier. Il est possible de rassembler ces actifs en trois grandes catégories génériques : les prêts immobiliers garantis, les expositions sur personnes publiques et les créances assimilées à l'une de ces catégories.
(28) Par combinaison des articles L. 515-14 et R. 515-6 (N° Lexbase : L5053HZ8) du Code monétaire et financier
(29) Pour les groupes bancaires qui en sont dotés, du fait de la loi, tel le Crédit agricole (C. mon. fin., art. L. 515-20 N° Lexbase : L6343DIR et s.) ou le Crédit mutuel (C. mon. fin., art. L. 515-5 N° Lexbase : L9634DYH et s.).
(30) Directive 2002/47/CE du 16 juin 2002, sur les contrats de garantie financière (N° Lexbase : L4787A43), transposée en France par l'ordonnance n° 2005-171 du 24 février 2005, simplifiant les procédures de constitution et de réalisation des contrats de garantie financière (N° Lexbase : L0259G84).
(31) Ce qui ne fait fondamentalement pas des structured covered bonds des titres plus risqués que les obligations foncières : de nombreuses précautions sont prises à ce sujet (comme, entre autre, la présence d'un contrôleur de l'actif de l'émetteur qui reproduit peu ou prou le contrôle spécifique prévu à l'article L. 515-30 N° Lexbase : L6337DIK pour les sociétés de crédit foncier).
(32) Projet de loi de régulation bancaire et financière.
(33) Articles 19 et suivants du projet de loi.
(34) Sans compter que, comme nous l'avons mis en évidence plus haut, si ces obligations n'avaient été vouées qu'à refinancer des prêts inefficacement garantis, elles n'auraient probablement que modérément attiré l'appétit des investisseurs.
(35) A tout le moins, c'est ce que lui fait dire Druon dans Le Roi de fer (Les Rois Maudits, tome 1) : Jacques de Molay fut le dernier maître de l'Ordre du Temple. Condamné au bûcher en 1314 par Philippe le Bel, l'histoire veut qu'il ait profité de ses derniers instants pour lancer au Roi de France (notamment) : "Maudits ! Maudits ! Vous serez tous maudits jusqu'à la treizième génération de votre race !". Quatorze ans plus tard, en 1328, la dynastie capétienne s'éteignit... et treize générations après Philippe le Bel, Louis XVI fut guillotiné.

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Procédure civile

[Textes] La nouvelle procédure d'appel : du procès au robot

Réf. : Décret n° 2009-1524 du 9 décembre 2009, relatif à la procédure d'appel avec représentation obligatoire en matière civile (N° Lexbase : L0292IGW)

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N9766BMN

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par Christian Boyer, avoué près la cour d'appel de Toulouse

Le 07 Octobre 2010

Le décret n° 2009-1524 du 9 décembre 2009 ravageant la procédure d'appel au 1er janvier 2011 engage un changement de paradigme processuel. Les avoués à la cour paraissent légitimement plus concernés par l'évolution du projet de loi visant leur suppression. Certains commentateurs se voient déjà en "interlocuteur local compétent identifié" (cf. Ph. Leconte in www.eurojuris.fr). D'autres parlent de "Détroit Magendie" (cf. J.-P. Jougla, Cours CRFPA Montpellier), supposant ainsi qu'un Haut magistrat ait une si piètre idée de sa fonction qu'il puisse la réduire à une arborescence de délais informatiques. On peut aussi considérer la glose d'auteurs fantasmant par avance la disparition des avoués en les remplaçant déjà par "l'avocat" (cf., Dalloz 2009, p. 2918). Ce qui est avéré c'est que ce décret modifie totalement et uniquement la procédure d'appel, en affirmant ainsi la spécificité du deuxième degré de juridiction. Complexifier, impliquera un renchérissement du coût et une raréfaction des recours. Dans quel équilibre ? L'expérience le révèlera. Néanmoins, si l'on doit examiner attentivement les moyens mis en oeuvre pour cette procédure "robotisée" (I), il est tout aussi important de tenter de déterminer quels nécessaires contrepouvoirs (II) les parties et les magistrats pourront essayer de mettre en oeuvre. I - La procédure "robotisée"

Ignorant le fait qu'en plus de quinze ans et malgré la volonté de 445 avoués le Gouvernement n'est parvenu qu'à une communication électronique partielle dans sept ou huit cours d'appel, ce décret fait le pari de la procédure dématérialisée pour tous, soit 50 000 avocats, pour les déclarations d'appel et les constitutions à compter du 1er janvier 2011, pour les autres actes au plus tard le 1er janvier 2013 (article 15 du décret). Ceci implique une automatisation de la procédure avec des délais (A) et des sanctions (B).

A - Les délais à surveiller par chaque partie

Du jour de l'appel, l'appelant dispose de trois mois pour conclure (C. pr. civ., art. 908 N° Lexbase : L0390IGK) au lieu de quatre mois accordés par l'actuel article 915 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0966H4K), qui donnait toute satisfaction.

L'appelant devra surveiller l'avis qui lui sera délivré par le greffier d'avoir à signifier la déclaration d'appel. Il disposera pour ce faire d'un mois du jour de l'avis.

Au cas de défaillance persistante de l'intimé (C. pr. civ., art. 902 N° Lexbase : L0422IGQ), l'appelant devra à nouveau l'assigner (C. pr. civ., art. 911 N° Lexbase : L0377IG3) dans le mois de l'expiration du délai de trois mois, ce qui pourra ralentir la procédure.

L'appelant pourra aussi, comme l'intimé, surveiller les délais imposés à ce dernier pour vérifier que les sanctions prévues sont prononcées de façon ponctuelle.

Quant à l'intimé, il surveillera comme à l'habitude le délai de quinzaine du jour de l'assignation (C. pr. civ., art. 902). Il veillera ensuite à respecter le délai de deux mois (C. pr. civ., art. 909 N° Lexbase : L0416IGI) pour conclure, du jour de la notification des conclusions de l'appelant. Il est vraisemblable que ce délai s'ajoutera au premier délai de quinzaine, ce qui allongera le cours de la procédure.

Les intimés sur appel incident ou provoqué bénéficient d'un délai de deux mois (C. pr. civ., art. 910 N° Lexbase : L0412IGD) pour conclure en réponse. On remarque qu'il peut ici s'agir de l'appelant principal lui-même. Ce délai lui est imposé dans le cadre d'un appel incident, mais il peut avoir à répondre à des moyens et pièces de l'intimé alors même qu'il n'y a pas d'appel incident de ce dernier. Dans ce cas, ce sera un délai de mise en état banal et sans sanction qui lui serait accordé.

Comment expliquer une rigidité et une sévérité accrues vis à vis de l'appelant en cas de conclusions contenant appel indicent ?

L'intervenant forcé aura lui aussi un délai particulier de trois mois (C. pr. civ., art. 910, al. 2) pour conclure dès qu'il recevra assignation. Là aussi, ce délai s'ajoutera probablement au délai de quinzaine de toute assignation, ce qui pourra ralentir l'évacuation de certaines procédures, notamment dans le cas d'assignation en intervention de mandataire judiciaire en cours de procédure d'appel.

Les délais d'éloignement sont spécifiquement maintenus (C. pr. civ., art. 911-2 N° Lexbase : L0420IGN).

Enfin, le conseiller de la mise en état (CME) doit examiner le dossier dans les quinze jours de l'expiration de chacun des délais.

Qu'il soit rassuré, ce délai n'est pas prévu à peine de sanction.

B - Les sanctions draconiennes

Partant du principe incontournable que les procédures sont trop longues et que ces lenteurs sont produites par l'avocat et l'avoué, ce décret prévoit une panoplie de sanctions. Pas moins de dix en vingt-trois articles.

Le juge ne pourra ni en user ni en abuser puisqu'elles sont pour l'essentiel "automatiques", d'office.

- Nullité :

  • de la déclaration d'appel qui ne respecte pas les formes (C. pr. civ., art. 901 N° Lexbase : L0365IGM),
  • de l'acte d'assignation de l'intimé sous la même condition (la question se pose en effet).

- Caducité :

  • de l'appel si l'appelant tarde à assigner l'intimé défaillant (C. pr. civ., art. 902, al. 3),
  • de la déclaration d'appel, on appréciera la nuance dans de prometteurs contentieux à venir, si l'appelant tarde à conclure (C. pr. civ., art. 908) au greffe, ou à notifier ses conclusions aux intimés (C. pr. civ., art. 911).

- Irrecevabilité relevée d'office :

  • des conclusions de l'intimé, avec ou sans appel incident, notifiées hors délais (C. pr. civ., art. 909),
  • des conclusions tardives en réponse à un appel incident ou provoqué ou de l'intervenant forcé (C. pr. civ., art. 910),
  • des actes non remis par voie électronique (C. pr. civ., art. 930-1 N° Lexbase : L0362IGI),
  • des demandes nouvelles en cause d'appel (C. pr. civ., art. 564 N° Lexbase : L0394IGP) alors que les parties pouvaient d'accord entre elles dans un souci d'efficacité renoncer à ce moyen d'irrecevabilité.

Le professionnel rompu aux "routines" de l'appel qu'est l'avoué est déjà inquiet d'un alourdissement des formalités qui n'a ni sens, ni but.

Quelle est la cour d'appel qui, à ce jour, connaît les difficultés pour fixer des affaires à bref délai ?

La multiplication des délais et des sanctions, rigidifiée dans une communication électronique dont personne à ce jour n'a une idée précise, va générer des contre-pouvoirs procéduraux, ouverts en germe par le décret, que seuls des spécialistes avisés et au contact des magistrats ayant le sens des réalité et le souci de la justice pourront mettre en oeuvre.

II - Les nécessaires contre pouvoirs

Les acteurs du procès d'appel seront toujours les parties et les magistrats assistés nécessairement des greffiers.

A - Les parties actrices de l'instance

La présentation, ci-dessus, pourrait laisser penser qu'il n'y a aucune possibilité d'un vrai débat. D'autres exigences pèsent sur les parties :

  • la suppression du dernier alinéa de l'article 132 (N° Lexbase : L0429IGY) imposera une nouvelle communication intégrale du dossier en cause d'appel. Ici, vive la communication électronique !
  • adresser les pièces à la cour -par voie électronique ?- 15 jours avant l'audience (C. pr. civ., art. 912 N° Lexbase : L0383IGB in fine) ;
  • rédiger un dispositif dans leurs conclusions (C. pr. civ., art. 954 N° Lexbase : L0386IGE) récapitulant les prétentions. Négligeant l'échec des conclusions récapitulatives, on voudrait ainsi permettre au magistrat en un coup d'oeil de connaître les demandes. C'est oublier la richesse rédactionnelle que permet la langue française et que les professionnels n'hésiteront pas à utiliser pour éviter le piège tendu par ce texte ;
  • obligation pour l'appelant confronté à la défaillance des intimés de dénoncer la déclaration d'appel puis les conclusions, ce qui renchérit inutilement les frais de procédure.

La demande d'aide juridictionnelle qui retarde le point de départ des délais essentiels (des articles 908, 909 et 910 du Code de procédure civile, et de l'article 38-1 du décret du 19 décembre 1991 N° Lexbase : L0627ATE) sera certainement utilisée de façon massive pour créer des conditions d'un débat équilibré et pour éviter ou retarder le paiement de la taxe parafiscale en cours de création.

Le déféré des ordonnances du conseiller de la mise en état est élargi notamment au cas de caducité.

Quels seront les cas et conditions de succès de ces recours ? Les débats seront riches, innovants et ne sont encadrés dans aucun délai, sauf celui original de quinzaine de la requête aux fins de déféré (C. pr. civ., art. 916, al. 2 N° Lexbase : L0410IGB).

Les appelants vont probablement réinventer des conclusions d'appel modélisées, rappelant les actes d'appel motivés de l'"ancien temps". Bien d'autres "parades" seront à créer et inventer dans la pratique pour préserver le fondement même du procès que ce décret souhaite manifestement mettre à mal au nom d'un productivisme judiciaire que l'on espérait désuet.

B - Le magistrat suroccupé

Le magistrat de la cour, en lisant ce texte, peut penser qu'il aura la "vie belle". Tout est automatique, le dossier devant lui parvenir très (trop ?) vite et en meilleur état à l'audience de plaidoirie (ou ce qu'il en reste...).

En lisant plus attentivement, il s'aperçoit qu'il devra examiner le dossier dans les quinze jours des échéances procédurales (C. pr. civ., art. 912), fixer une date d'audience en urgence, prononcer des ordonnances de caducité d'office, des irrecevabilités d'office, pourra abréger chaque délai en fonction des "nécessités".

En outre, si de nouveaux échanges de pièces et conclusions sont nécessaires, il établit un calendrier (C. pr. civ., art. 912, al. 2) ce qui permet d'espérer dans ce cas le maintien d'une mise en état intelligente et à visage humain.

La clôture partielle, créée en 2005, qui peut aussi avoir une efficacité certaine, est constatée par ordonnance motivée sans recours, sauf demande devant ce même magistrat (C. pr. civ., art. 913). La contradiction paraît évidente.

On voit, ça et là, poindre à nouveau la suspicion contre l'auxiliaire de justice. C'est sa carence et non celle du justiciable qui est présumée. De peur que le mandataire ne cache cette dernière à son mandant le greffe adressera directement l'ordonnance de clôture à la partie, sans qu'il soit précisé si la même diligence sera accomplie au cas de rétractation de la clôture.

En revanche, rien n'est prévu dans les cas où il n'y a pas de magistrat de la mise en état (affaires urgentes par nature). L'article 914 nouveau et les autres pouvoirs seront confiés au Président de chambre ? A la cour en formation collégiale ?

On voit ici que la logique administrative et gestionnaire n'a pu supprimer le procès. Le citoyen pourra légitimement s'en réjouir.

Il est permis de se demander pourquoi le pouvoir exécutif semble transformer les cours d'appel en laboratoire d'essai d'une justice robotisée ?

Le procès était, selon Motulsky, "la chose des parties". Ce n'était pour certains pas satisfaisant.

Il devint "la chose du juge". C'était insuffisant.

Par ce décret, deviendrait-il le jouet de l'exécutif ?

Gageons qu'il restera toujours des avoués, même réincarnés en avocats spécifiquement équipés, formés et motivés auprès de magistrats conservant le sens premier de leur mission, au contact de greffiers eux aussi dévoués à l'oeuvre de justice.

Trop encadrer les formes du procès nuit au fond du débat. Est-ce acceptable et sain en démocratie ?


Annexe 1 : pour un schéma récapitulatif, voir

Annexe 2 : Les principaux délais

Appelant 3 mois pour conclure
Conclusion + Appel incident de l'intimé 2 mois pour répondre
Non-constitution Assigner dans le mois du dépôt des conclusions
Ou, avis du greffe Dénoncer la DA dans le mois
Intimé 2 mois à compter du jour des conclusions de l'appelant
Appel incident ou provoqué 2 mois pour répondre
Intervenant forcé 3 mois à compter de l'assignation pour conclure
Copie des pièces déposées 15 jours avant l'audience (pas de sanction)

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Contrats administratifs

[Jurisprudence] Chronique de droit interne des contrats publics - Janvier 2010

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N9786BME

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par François Brenet, Professeur de droit public à l'Université Paris VIII Vincennes Saint-Denis

Le 21 Octobre 2011

Lexbase Hebdo - édition publique vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualités de droit interne des contrats publics, rédigée par François Brenet, Professeur de droit public à l'Université Paris VIII Vincennes Saint-Denis et Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition publique. Trois arrêts importants du Conseil d'Etat sont ici mis en évidence. Le premier (6 novembre 2009) se situe au carrefour du droit des marchés publics et du droit financier. Le juge administratif a, en effet, rappelé l'existence du principe de l'exclusivité du comptable public en matière de recouvrement des recettes publiques (et de paiement des dépenses publiques). Il a aussi précisé les contours de la notion même de recettes publiques, en écartant cette qualification au sujet de recettes publicitaires perçues dans le cadre d'un marché public. Le deuxième arrêt (13 janvier 2010) se rapporte à la, désormais, célèbre affaire de l'attribution du contrat d'occupation du Stade Jean-Bouin à Paris. La solution rendue par le Conseil d'Etat contient quelques pistes relatives à la qualification dudit contrat, mais ne clôt pas définitivement le litige puisque la cour administrative d'appel reste saisie du fond de l'affaire. Enfin, l'arrêt "Commune de Béziers", rendu le 28 décembre 2009 par l'assemblée du contentieux du Conseil d'Etat, témoigne de la transformation profonde et continuelle du contentieux des contrats administratifs dans la lignée des jurisprudences et textes intervenus ces dernières années.
  • Réaffirmation de l'exclusivité du comptable public en matière de recouvrement de recettes publiques et précisions relatives à la notion de recettes publiques (CE Sect., 6 novembre 2009, n° 297877, Société Prest'action N° Lexbase : A7949EMD, publié aux Tables du recueil Lebon)

La section du contentieux du Conseil d'Etat a apporté, dans l'arrêt "Société Prest'action", rendu conformément aux conclusions du Rapporteur public M. Nicolas Boulouis, deux précisions d'importance, l'une relative à la compétence du comptable public en matière de recouvrement des recettes publiques, et l'autre concernant le contenu même de la notion de recettes publiques. Etait en cause, en l'espèce, un marché public par lequel la société Prest'action s'était engagée envers la ville de Rouen à commercialiser des encarts publicitaires dans certaines publications d'information municipale. Plus précisément, elle devait rechercher des annonceurs puis leur facturer les espaces publicitaires avant de reverser une partie des recettes générées par cette activité à la commune. Le problème est venu de ce que la société Prest'action avait vu les choses en grand en s'engageant, la première année, à verser une somme forfaitaire relativement importante et totalement déconnectée du nombre d'encarts publicitaires vendus. Et c'est pour faire face au paiement seulement partiel de cette somme plancher que la commune a, alors, émis un titre de recettes correspondant au reliquat restant à payer son cocontractant. La société a, alors, saisi le tribunal administratif de Rouen d'un recours visant à l'annulation du titre de recettes et à l'octroi d'une indemnisation. Ce recours fut rejeté devant le juge administratif de première instance (1), puis devant le juge d'appel (2). Saisi en cassation, le Conseil d'Etat a alors cassé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Douai pour erreur de droit, sans pour autant donner raison sur le fond à la société Prest'action.

Le premier apport de l'arrêt du 6 novembre 2009 réside dans la réaffirmation de la compétence exclusive du comptable public pour procéder au recouvrement des recettes publiques (ainsi qu'au paiement des dépenses publiques). Cette solution ne fait que reprendre "un principe général des finances publiques" dégagé par la section des finances du Conseil d'Etat dans un avis du 13 février 2007 (3) à partir de divers textes concordants (4). Ce principe d'exclusivité est d'autant plus fort qu'il est complété par un principe d'indisponibilité de cette compétence. Interdiction est faite, en effet, aux personnes publiques, de confier par contrat l'exercice de cette compétence de recouvrement à une autre personne que le comptable public. En dehors des cas limitativement énumérés par les textes (5), seule une disposition législative peut faire obstacle à cette interdiction (6). En réaffirmant l'importance du principe d'exclusivité du comptable public, le Conseil d'Etat se refuse donc à voir dans les nombreuses et diverses conventions conclues par les personnes publiques des mandats constituant un titre légal habilitant leurs cocontractants à percevoir des recettes publiques. Il accroît, par la même occasion, les risques de mise en oeuvre de procédure de gestion de fait.

L'arrêt "Société Prest'action" tempère, néanmoins, ce risque en retenant, dans un second temps, une définition étroite de la notion de recette publique. L'exclusivité du comptable public ne vaut, en effet, que pour autant que les sommes à recouvrer sont qualifiables de recettes publiques. Se posait, en l'espèce, la question de savoir si les recettes publicitaires répondaient, ou non, à cette qualification. Le Conseil d'Etat tranche dans le sens de la négative au motif que les sommes recouvrées par la société n'étaient pas des sommes dues par les annonceurs en contrepartie de biens ou services fournis par la commune, mais des recettes commerciales résultant de l'activité de prospection de cette société. Selon les propres termes du Rapporteur public, le marché public à l'origine du litige n'avait pas pour objet de faire exécuter une recette préexistante au contrat, auquel cas celle-ci aurait dû être qualifiée de recette publique, mais de faire naître une recette par l'action du cocontractant (une solution identique doit, sans doute, prévaloir en matière de contrats de mobilier urbain). Le paradoxe de cette affaire réside, au final, dans la circonstance que la réaffirmation du principe de l'exclusivité du comptable public pour procéder au recouvrement des recettes publiques aurait normalement dû conduire au constat de la nullité du contrat. Tel n'est, cependant, pas le cas car les recettes au coeur du marché public litigieux ne constituaient pas des recettes publiques, et n'étaient donc pas concernées par ledit principe.

  • La qualification juridique du contrat d'occupation du Stade municipal Jean Bouin (CE 3° et 8° s-s-r., 13 janvier 2010, n° 329576, Association Paris Jean Bouin - Ville de Paris N° Lexbase : A2655EQE)

L'arrêt rendu par le Conseil d'Etat le 13 janvier 2010 constitue un nouvel épisode, et non l'épilogue, du feuilleton opposant la ville de Paris et l'association Paris Jean Bouin à la société Paris Tennis au sujet de l'occupation du Stade municipal Jean Bouin.

Par deux délibérations des 5 et 6 juin 2004, le Conseil de Paris a habilité son maire, M. Bertrand Delanoë, à signer avec l'association Paris Jean Bouin une convention autorisant cette dernière à occuper, pour une durée de vingt ans, les dépendances du domaine public constituées du site du Stade Jean Bouin et du site des terrains de tennis. Cette convention a été conclue le 11 août 2004, et ce n'est que le 29 octobre 2004 que le maire de Paris a informé la société Paris Tennis que sa candidature pour l'attribution de cette convention n'avait plus lieu d'être. Saisi par la société évincée, le tribunal administratif de Paris a annulé, par un jugement du 31 mars 2009 (7), la décision de signature du 11 août 2004, ainsi que la décision de rejet de sa candidature du 29 octobre 2004. Les juges parisiens ont estimé que la convention litigieuse n'était pas une simple convention d'occupation domaniale dont la passation pouvait intervenir sans avoir à respecter une procédure formalisée, mais une délégation de service public dont la conclusion ne pouvait intervenir que dans le respect de la procédure de publicité requise par l'article L. 1411-1 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L0551IGI).

Saisie par les signataires du contrat, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté la demande de sursis à exécution formée par l'association Paris Jean Bouin contre le jugement de première instance (8). L'article R. 811-15 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3292ALI) permettait, en effet, au juge d'appel de prononcer en urgence, et à titre provisoire, le sursis à exécution du jugement du tribunal administratif de Paris. Cependant, celui-ci a considéré que les conditions de son prononcé n'étaient pas réunies, dès lors que les moyens invoqués par l'association requérante ne paraissaient pas, en l'état de l'instruction, sérieux et de nature à justifier l'annulation du jugement attaqué.

Saisi, à son tour, de l'affaire en qualité de juge de cassation, le Conseil d'Etat avait à se prononcer sur la rectitude juridique de l'arrêt rendu en appel. Il l'a fait dans un contexte tout à fait particulier. En effet, la justice pénale avait été saisie par la société Paris Tennis à la fin de l'année 2007 d'une plainte contre X avec constitution de partie civile pour favoritisme et prise illégale d'intérêts. En novembre 2009, les juges chargés de l'affaire avait alors convoqué le maire de Paris, M. Bertrand Delanoë (lequel avait déjà été auditionné comme témoin pendant l'été), le président de l'association Paris Jean Bouin, M. Jacques Lelièvre, ainsi que le dirigeant du groupe Lagardère, M. Arnaud Lagardère. La convocation de ce dernier s'expliquait par le fait que le groupe Lagardère avait, dès 2004, conclu un partenariat avec l'association précitée et obtenu d'elle, en 2005, une sous-concession permettant l'utilisation de terrains de tennis et un emplacement pour un centre d'expertise technique. Entre temps, le maire de Paris, sans doute soucieux d'apaiser la situation, avait annoncé son intention de reprendre la gestion du stade Jean Bouin en régie municipale à compter du 20 janvier 2010. Ces auditions furent, néanmoins, reportées dans l'attente de l'intervention imminente de l'arrêt du Conseil d'Etat, report qui se comprend aisément, car la suite pénale de l'affaire est largement dépendante de la question de la qualification juridique du contrat d'occupation du Stade Jean Bouin.

Or, à cette question, le Conseil d'Etat n'apporte pas, parce qu'il ne le pouvait précisément pas, de réponse définitive. Les juges du Palais-Royal ont annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel au motif que celle-ci a commis une erreur de droit dès lors que l'ensemble des éléments relevés par elle n'était pas de nature à caractériser la dévolution de la gestion d'une mission de service public. Le moyen tiré de ce que le contrat litigieux ne pouvait être qualifié de délégation de service public est donc jugé, en l'état de l'instruction, comme sérieux, et comme justifiant le sursis à exécution du jugement du tribunal administratif sur le fondement de l'article R. 811-15 du Code de justice administrative. Pour autant, le litige n'est pas définitivement clos. La cour administrative d'appel de Paris reste saisie du fond du litige, c'est-à-dire de l'appel dont l'ont saisi la ville de Paris et l'association Jean Bouin. C'est donc à elle qu'il appartiendra de dire si la convention litigieuse doit être qualifiée de simple convention d'occupation du domaine public ou de délégation de service public.

En annulant l'arrêt par lequel la cour avait refusé de suspendre le jugement du juge de première instance, le Conseil d'Etat a peut-être convaincu la ville de Paris et son cocontractant qu'ils étaient dans leur bon droit. Précisons que le Rapporteur public, M. Laurent Olléon, a considéré que la cour avait commis une "grossière erreur de droit" en oubliant de vérifier que la convention litigieuse répondait bien au second critère de la délégation de service public, c'est-à-dire au critère de la rémunération substantiellement assurée par les résultats de l'exploitation du service public (le premier étant, comme chacun sait, celui de la présence d'une service public effectivement délégué). Il reste que la convention litigieuse n'est pas sauvée pour autant. D'abord parce que les juges d'appel ne sont pas tenus de suivre l'argumentation développée par le Rapporteur public devant le Conseil d'Etat, et que c'est à eux qu'il appartiendra d'analyser son économie pour déterminer si elle pouvait être conclue de gré à gré (contrat simple d'occupation du domaine public), ou dans le seul respect des dispositions de l'article L. 1411-1 du Code général des collectivités territoriales (délégation de service public).

Ensuite, parce que la présente affaire pose une question souvent ignorée dans le débat relatif à la qualification juridique spéciale des contrats administratifs. En effet, la qualification de simple convention d'occupation du domaine public dispense les personnes publiques de l'obligation d'organiser une procédure de mise en concurrence, mais elle ne les soustrait jamais du respect du droit de la concurrence tel qu'il résulte de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, relative à la liberté des prix et de la concurrence (N° Lexbase : L8307AGR) (9). Or, l'attribution de la convention d'occupation du stade Jean Bouin peut être saisie à un double titre en droit de la concurrence, soit par le biais du comportement de l'association, qui peut se trouver, du fait de cette attribution, en situation de méconnaissance du droit de la concurrence, soit par le biais du contrat administratif lui-même, lorsqu'il révèle le comportement anti-concurrentiel de la personne publique. Le feuilleton de cette affaire est donc loin d'être clos. Il pourrait même connaître un volet supplémentaire, puisque l'association Paris Jean Bouin a annoncé son intention de contester la résiliation anticipée par la ville de Paris de la convention litigieuse.

  • Abandon de la jurisprudence "Préfet de la Côte-d'Or" et précisions relatives à l'office au juge du contrat (CE Ass., 28 décembre 2009, n° 304802, Commune de Béziers N° Lexbase : A0493EQC)

Dans la présente affaire, les communes de Béziers et de Villeneuve-les-Béziers ont mené une opération d'extension d'une zone industrielle intégralement située sur le territoire de la seconde. Afin de compenser la perte des recettes fiscales entraînée par la relocalisation d'un certain nombre d'entreprises, les deux communes ont conclu, en 1986, une convention aux termes de laquelle la commune de Villeneuve-lès-Béziers devait verser à la commune de Béziers une fraction des sommes perçues par elle au titre de la taxe professionnelle. Dix ans plus tard, le maire de Villeneuve-les-Béziers a informé son homologue de son intention de résilier ladite convention à compter du 1er septembre 1996. Le tribunal administratif de Montpellier a, ensuite, rejeté, par un jugement du 25 mars 2005, la demande de la commune de Béziers tendant à ce que la commune de Villeneuve-lès-Béziers soit condamnée à lui verser une indemnité de près de 600 000 euros au titre des sommes non versées depuis la résiliation de la convention, ainsi qu'une somme de plus de 45 000 euros au titre des dommages et intérêts. Le jugement a été annulé par la cour administrative d'appel de Marseille (10), au motif que la convention devait être déclarée nulle. La cour a donc rejeté la demande de la commune de Béziers. Saisi en tant que juge de cassation, le Conseil d'Etat a rendu un arrêt dont l'importance se mesure à un triple point de vue.

Le premier apport de l'arrêt réside dans la détermination de l'étendue des pouvoirs du juge du contrat. Sur ce point, il ne fait guère de doute que le Conseil d'Etat cherche à préserver l'unité du recours de plein contentieux contractuel en ne différenciant pas les pouvoirs du juge selon qu'il est activé par l'une des parties, ou par un concurrent évincé, comme cela peut être le cas en vertu de la jurisprudence "Tropic Travaux signalisation services" (11). Le juge du contrat peut, en effet, décider de la poursuite de l'exécution du contrat, éventuellement sous réserve de mesures de régularisation prises par la personne publique ou convenues entre les parties. Il peut encore résilier le contrat, le cas échéant avec un effet différé, à condition, toutefois, que cette mesure ne porte pas une atteinte excessive à l'intérêt général. Il peut enfin annuler le contrat, sous réserve, là encore, que l'annulation ne porte pas une atteinte excessive à l'intérêt général.

Cette précision est remarquable car l'on sait que, selon une solution classique (12), le juge de plein contentieux n'annule pas le contrat, mais en déclare seulement la nullité. Qualifiée "d'introuvable" par la doctrine (13), la différence concrète entre déclaration de nullité du contrat et annulation de ce dernier perd, ainsi, toute raison d'être. Encore faut-il ajouter que la Haute assemblée a pris soin de préciser, en l'espèce, que l'annulation ne pouvait être prononcée qu'en raison d'une irrégularité tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d'une particulière gravité relatif, notamment, aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement.

Le deuxième apport de l'arrêt "Commune de Béziers" réside dans la consécration du principe de loyauté contractuelle. Déjà évoqué par certains juges du fond (14), ce principe permet, dans une certaine mesure, de renforcer l'effet obligatoire du contrat administratif, puisqu'il impose au juge de plein contentieux de faire application du contrat en cas de litige entre ses signataires. Ce n'est que dans l'hypothèse évoquée ci-dessus (irrégularité tenant au caractère illicite du contenu du contrat, ou à un vice d'une particulière gravité relatif aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement), que le juge de plein contentieux sera tenu d'écarter le contrat et de régler le litige sur le terrain quasi-contractuel.

Le troisième apport de l'arrêt "Commune de Béziers" réside dans l'abandon de la jurisprudence "Préfet de la Côte-d'Or". Selon un avis du Conseil d'Etat du 10 juin 1996 (15), l'absence de transmission de la délibération autorisant le maire à signer un contrat avant la date à laquelle le maire procède à sa conclusion entraînait l'illégalité dudit contrat ou, s'agissant d'un contrat privé, de la décision de signer le contrat. Plus encore, les contrats ainsi conclus, ainsi que les décisions de les signer, ne pouvaient faire l'objet d'une régularisation ultérieure par la seule transmission au préfet de la délibération du conseil municipal. Souvent contestée par la doctrine (16), cette solution est ici partiellement remise en cause. Le Conseil d'Etat indique, en effet, que l'absence de transmission de la délibération autorisant l'exécutif local à signer le contrat avant la signature de celui-ci constitue un vice affectant les conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement. Mais il assouplit considérablement les conséquences de cette irrégularité en jugeant que celle-ci ne suffit pas, eu égard à l'exigence de loyauté des relations contractuelles, à justifier que le contrat soit mis à l'écart et le litige jugé sur le terrain extracontractuel. Cette solution est totalement justifiée car il aurait été profondément injuste de permettre à une partie contractante d'invoquer le défaut de transmission de la délibération locale avant la signature du contrat, parfois de nombreuses années après ladite signature (comme cela était le cas en l'espèce), dans le seul objectif de se libérer de ses obligations contractuelles.

François Brenet, Professeur de droit public à l'Université Paris VIII Vincennes Saint-Denis et Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition publique


(1) TA Rouen, 1er juillet 2004, n° 0101209, Sté Prest'action.
(2) CAA Douai, 1ère ch., 3 août 2006, n° 04DA00855 (N° Lexbase : A3297DRK).
(3) CE, Avis, Section des finances, 13 février 2007, n° 373788 (N° Lexbase : A6405EQB), EDCE, 2008, p. 228, BJCP, 2008, p. 296.
(4) Décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962, portant règlement général de la comptabilité publique, art. 11 (N° Lexbase : L3000AHL) ; CGCT, art. L. 2343-1 (N° Lexbase : L9066AAZ) et L. 3342-1 (N° Lexbase : L9433AAM).
(5) Décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 préc., art. 11 et 18.
(6) Voir l'exemple des contrats de partenariat, dont l'article 1er de l'ordonnance n° 2004-559 du 17 juin 2004 (N° Lexbase : L2584DZQ), tel que modifié par la loi n° 2008-735 du 28 juillet 2008 (N° Lexbase : L7307IAU), dispose que "le contrat de partenariat peut prévoir un mandat de la personne publique au cocontractant pour encaisser, au nom et pour le compte de la personne publique, le paiement par l'usager final de prestations revenant à cette dernière".
(7) TA Paris, 31 mars 2009, n° 0607283 (N° Lexbase : A4923EI8).
(8) CAA Paris, 4ème ch., 24 juin 2009, n° 09PA01921 (N° Lexbase : A2656EQG).
(9) Dont les dispositions sont aujourd'hui codifiées aux articles L. 410-1 (N° Lexbase : L6581AIL) et suivants du nouveau Code de commerce.
(10) CAA Marseille, 5ème ch., 12 février 2007, n° 05MA01384 (N° Lexbase : A6217DUS).
(11) CE Ass., 16 juillet 2007, n° 291545, Société Tropic Travaux Signalisation (N° Lexbase : A4715DXW), Rec. CE, p. 360, concl. D. Casas, AJDA, 2007, p. 1577, chron. F. Lénica et J. Boucher.
(12) CE, 28 décembre 1988, n° 71646, Etablissement public d'aménagement de la ville nouvelle de Saint-Quentin en Yvelines (N° Lexbase : A0460AQ4), LPA, 7 juillet 1989, p. 4, note F. Moderne.
(13) F. Melleray, Le crépuscule d'un paradoxe : vers la fin de l'autolimitation du juge du contrat ?, RDC, 2008, p. 620.
(14) CAA Paris, 4ème ch., 24 avril 2007, n° 05PA04993, Société Blue Lagoon Farms (N° Lexbase : A4154DWR).
(15) CE Sect., 10 juin 1996, n° 176873, Préfet de la Côte-d'Or (N° Lexbase : A0022API), Rec. CE, p. 196.
(16) E. Colson, Faut-il brûler l'avis Préfet de la Côte-d'Or ?, Contrats Marchés publics, 2004, chron. n° 3 ; du même auteur, Tropic travaux signalisation : une voie d'atténuation aux effets de l'avis Préfet de la Côte-d'Or ?, Contrats Marchés publics, 2008, chron. n° 11.

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Impôts locaux

[Chronique] Lois de finances pour 2010 et rectificative pour 2009 : le remplacement de la taxe professionnelle par la contribution économique territoriale

Réf. : Lois de finances pour 2010 (loi n° 2009-1673 N° Lexbase : L1816IGD) et de finances rectificative pour 2009 (loi n° 2009-1674 N° Lexbase : L1817IGE)

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N9744BMT

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par Laurence Vapaille, Maître de conférences à l'Université d'Evry-Val-d'Essonne

Le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose, chaque semaine, pendant un mois, une chronique thématique consacrée aux dispositions phares des lois de finances pour 2010 (loi n° 2009-1673) et de finances rectificative pour 2009 (loi n° 2009-1674), adoptées par le Parlement et validées par le Conseil constitutionnel à l'exception notamment de la taxe carbone. Cette semaine, Laurence Vapaille, Maître de conférences à l'Université d'Evry-Val-d'Essonne, se penche sur le remplacement de la taxe professionnelle par la contribution économique territoriale.
La taxe professionnelle a été l'une des impositions les plus réformées (1) mais aussi l'une des plus critiquées. Son assiette reposait à la fois sur la masse salariale et les immobilisations. La part relative à la masse salariale a été supprimée en 2003, il lui était reproché son effet négatif sur l'emploi. S'agissant de la base fondée sur les équipements et biens mobiliers, elle était considérée comme un frein à l'investissement. Plus généralement la taxe professionnelle était analysée comme pénalisante pour l'activité économique de par "des effets désincitatifs sur l'investissement, l'emploi et l'attractivité du territoire" (2).

Dans le contexte actuel de crise économique, le Président de la République a, en février 2009, annoncé la suppression de cette imposition. Il s'agit d'une réforme de première importance non seulement pour les entreprises, mais aussi pour les collectivités territoriales. Les objectifs sont, à la fois, d'encourager l'investissement et que les collectivités territoriales puissent conserver une assiette locale.

Cependant cette suppression, entrée en vigueur au 1er janvier 2010, ne pouvait être réalisée sans contrepartie. A partir de cette même date la taxe professionnelle (TP) est remplacée par la contribution économique territoriale (CET) qui se décompose en deux taxes. D'une part, la cotisation foncière des entreprises (CFE) (I) et, d'autre part, la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) (II) qui vient remplacer la cotisation minimale de la TP basée sur la valeur ajoutée.

I - La cotisation foncière des entreprises (CFE)

Cette imposition est l'un des deux éléments composant la CET venue remplacer la TP, elle reprend un grand nombre des règles applicables à l'imposition supprimée.

A - Champ d'application

Selon la nouvelle rédaction de l'article 1447 CGI modifié (N° Lexbase : L2920IGA), la CFE "est due chaque année par les personnes physiques ou morales ou par les sociétés non dotées de la personnalité morale qui exercent à titre habituel une activité professionnelle non salariée". Il a été, ainsi, été procédé à un élargissement du nombre des personnes pouvant être assujetties à cette imposition. Il s'agit des sociétés non dotées de la personnalité morale ainsi qu'à certaines conditions des activités de location de locaux professionnels nus. De même en matière d'exonérations -permanentes et temporaires- la plupart des dispositifs a été reconduite.

1 - Les sociétés non dotées de la personnalité morale

Dans l'hypothèse où une entité non dotée de la personnalité morale exerce une activité imposable, la personne morale dont émane cette entité ou les membres de cette entité exerçant l'activité sont imposables à la CFE. Il ne s'agit pas d'une mesure nouvelle car ces contribuables relevaient déjà du champ d'application de la TP, cependant, par cette modification de l'article 1447 du CGI, le législateur a décidé de l'inscrire dans la loi.

2 - Les activités de location de locaux professionnels nus

Aux termes du nouvel alinéa 2 de l'article 1447-I, les activités de location ou de sous-location d'immeubles nus sont imposables car réputées être exercées à titre professionnel. Sous l'empire de la TP, ces activités n'étaient pas imposables car ayant un caractère civil. Cependant, cet élargissement du champ d'application au regard du régime antérieur applicable à la TP est limité. En effet, selon le nouvel article 1447-I, alinéa 2, si cette activité génère des recettes brutes d'un montant inférieur à 100 000 euros, elle n'est pas imposable au titre de la CFE. Cette limite de 100 000 euros est définie par application de l'article 29 CGI (N° Lexbase : L1068HL7) relatif aux revenus fonciers.

3 - Les exonérations

Les exonérations permanentes, de plein droit ou facultatives, s'appliquant à la TP ont été reprises dans les dispositions régissant la CFE. Les modifications ne transforment pas les exonérations permanentes qui étaient valables pour la TP. On peut, néanmoins, noter certains changements :

- l'article 1449 modifié (N° Lexbase : L2972IG8) qui inclut les activités des grands ports maritimes, catégorie récemment créée ;

- la modification de l'article 1452 (N° Lexbase : L3020IGX) autorise les artisans à bénéficier de l'exonération dans l'hypothèse où ils sont aidés par un partenaire avec lequel ils sont liés par un PACS ; antérieurement seule la femme travaillant avec son époux était mentionnée ;

- Les 1° et 2° de l'article 1457 (N° Lexbase : L2768IGM) ont été supprimés, il s'agissait des personnes vendant en ambulance dans les rues, les lieux de passage, des fleurs, de l'amadou, des balais, ainsi que des chiffonniers au crochet et les rémouleurs ;

- les sociétés coopératives de messageries de presse sont exonérées (CGI, art. 1458 modifié N° Lexbase : L3174IGN) ;

- la création d'une exonération permanente pour certains personnels de santé au titre des recettes perçues en tant que membres du corps de réserve sanitaire (titre III, livre 1er, troisième partie Code de la santé publique) par l'article 1460-9° CGI nouveau (N° Lexbase : L2803IGW).

Pour les exonérations permanentes facultatives, la principale modification est relative au régime applicable aux établissements de spectacles cinématographiques. Les 3° et 4° de l'article 1464 A (N° Lexbase : L2705IGB) ont été refondus par application de l'article 50 de la loi de finances rectificative du 30 décembre 2009.

Comme pour les exonérations permanentes, la plupart des exonérations temporaires applicables à la TP le sont aussi dans le cadre de la CFE. Cependant, certaines modifications sont intervenues :

- les articles 1464 E (N° Lexbase : L0120HME), 1464 F (N° Lexbase : L0121HMG) et 1464 J (N° Lexbase : L1086IEX) ont été supprimés, ces mesures concernaient les installations de désulfuration, les installations de stockage de gaz liquéfié et les outillages de manutention portuaire ;

- il a été ajouté un alinéa à l'article 1464 K (N° Lexbase : L2886IGY) afin que l'exonération accordée aux auto-entrepreneurs (CGI, art. 150-0 A N° Lexbase : L2293IGZ) ne le soit pas abusivement. L'exploitant, son conjoint ou son partenaire, ses descendants et ascendants ne doivent pas avoir exercé, au cours des trois années qui précèdent la création, une activité similaire à celle nouvellement créée ;

- la plupart des exonérations temporaires accordées aux entreprises situées dans certaines zones en matières de TP ont été reconduites pour la CFE. Ont été supprimées les exonérations pour les zones franches urbaines de première et deuxième générations (CGI, art. 1466 A, I quater et I quinquies N° Lexbase : L3156IGY), la zone franche de Corse (CGI, art. 1466 B N° Lexbase : L5624H98) et les zones de redynamisation urbaine (CGI, art. 1466, I ter, N° Lexbase : L2936IGT). Cependant, les entreprises qui bénéficiaient de cette exonération au 31 décembre 2009 continueront à en bénéficier pour la durée d'exonération restant à courir.

B - Assiette

Aux termes de l'article 1467 modifié (N° Lexbase : L3016IGS), la base imposable de la CFE est constituée de "la valeur locatives des biens passibles de la taxe foncière situés en France, à l'exclusion des biens exonérés de taxe foncière sur les propriétés bâties en vertu des 11° et 12° de l'article 1382, dont le redevable a disposé pour les besoins de son activité professionnelle pendant la période de référence [...]". Au final, pour la très grande majorité des contribuables, la CFE aura la même assiette que celle de la TFPB (CGI, art. 1380 N° Lexbase : L9812HLY et suivants).

Dans le cadre de la base imposable de la CFE, la valeur locative des biens passibles de la TFPB est calculée par application des règles relatives à cette taxe. Cependant, afin de ne pas pénaliser le secteur industriel, il a été a instituée une réduction de la valeur locative des établissements industriels (CGI, art. 1499 N° Lexbase : L0268HMU). La valeur locative des immobilisations industrielles est évaluée selon la méthode comptable et bénéficie d'une minoration de 30 %.

La plupart des règles applicables dans le cadre de la TP l'est aussi pour la CFE. La période de référence est, ainsi, déterminée selon les mêmes règles que celles qui valaient pour la TP (CGI, art. 1467 A N° Lexbase : L3055IGA). Cependant, il faut noter que le législateur a remis en cause la jurisprudence du Conseil d'Etat qui avait exclu les transmissions universelles de patrimoine visées à l'article 1844-5 du Code civil (N° Lexbase : L2025ABM) du champ d'application de l'article 1518 B du CGI (N° Lexbase : L2932IGP) (CE 9° et 10° s-s-r., 13 décembre 2006, n° 275239, SNC Rocamat Pierre naturelle N° Lexbase : A8853DSP). Depuis le 1er janvier 2010, les règles relatives à la valeur locative minimale à la suite d'opérations d'apports, scissions, fusions, cessions d'établissements sont aussi applicables aux transmissions universelles de patrimoine.

La réduction de 16 % de la base d'imposition pour la taxe professionnelle prévue à l'article 1472 A bis du CGI (N° Lexbase : L0220HM4) a été supprimée. Aux termes de l'article 1518 A, alinéa 1er, du CGI (N° Lexbase : L2987IGQ), les usines nucléaires bénéficiaient d'un abattement d'un tiers de leurs valeurs locatives qui a été supprimé.

C - Les modalités de paiement

Les modalités de recouvrement applicables à la TP ont été maintenues pour la CFE. Néanmoins, eu égard à la modification prévisible des montants à payer, il a été prévu des dispositions transitoires (loi de finances n° 2009-1673 du 30 décembre 2009, art. 2, 5-2). Suivant ces dispositions le montant de l'acompte dû au titre de la CFE pour 2010 est égal à 10 % de la cotisation de TP mise en recouvrement l'année précédente. Mais, si le redevable estime que le montant de la cotisation pour la CFE pour 2010 est inférieure à 20 % de la cotisation de TP mise en recouvrement en 2009 ; il peut réduire sous sa responsabilité le montant de son acompte en remettant au comptable du trésor, 15 jours avant la date d'exigibilité de l'acompte, une déclaration indiquant le montant de CFE qu'il estime dû au titre de l'année 2010.

D - L'instauration d'un seuil minimale de CFE

Depuis le 1er janvier 2010, tous les redevables au titre de la CFE sont soumis à une cotisation minimale établie au lieu de leur principale établissement (CGI, art. 1647 D, I N° Lexbase : L2720IGT). Cette cotisation est comprise entre 200 et 2 000 euros et est fixée par le conseil municipal. Dans l'hypothèse où il n'y a pas eu de délibération, le montant de la base minimum est égal au montant de la base minimum de la TP qui était applicable en 2009 par application de l'article 1647 D du CGI en vigueur au 31 décembre 2009 (N° Lexbase : L4173ICK).

II - La cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE)

Cette cotisation est la deuxième composante de la CET. Elle est le résultat de la transformation de la cotisation minimale de taxe professionnelle. Si la CFE reconduit certaines dispositions déjà applicables sous l'empire de la TP. En revanche, pour la CVAE la réforme a été plus importante, car il a fallu définir le chiffre d'affaires et la valeur ajoutée.

A - Champ d'application

1 - Les contribuables

Les entreprises soumises à la CVAE sont celles qui exercent une activité assujettie à la CFE dont le chiffre d'affaires est supérieur à 152 000 euros (CGI, art. 1586 ter, I N° Lexbase : L3159IG4). Sont exonérées de CVAE les entreprises qui sont, également, exonérées de la CFE au titre de leur activité ou qui bénéficient d'une exonération permanente ou temporaire de CFE. Il existe des exceptions à cet alignement de la CVAE sur la CFE, notamment les personnes louant leur habitation personnelle en tant que gîte rural, les personnes louant en meublé des locaux faisant partie de leur habitation principale et autres loueurs en meublé de leur habitation personnelle (CGI, art. 1586 ter, II N° Lexbase : L3159IG4 faisant référence à l'article 1459, 3° N° Lexbase : L3080IG8).

2 - Détermination du seuil d'imposition à la CVAE

Pour la détermination de la limite d'imposition de 152 000 euros, est considéré le chiffre d'affaires, selon le droit commun applicable à la plupart des entreprises ; ce chiffre d'affaires comprend :

- les ventes de produits fabriqués, prestations de services et marchandises ;

- les redevances pour concessions, brevets, licences, marques, logiciels, droits et valeurs similaires ;

- les plus-values de cession d'éléments d'immobilisations corporelles et incorporelles qui se rapportent à l'activité normale et courante ;

- les refacturations de frais inscrites au compte de transfert de charges (CGI, art. 1586 sexies, I, N° Lexbase : L3003IGC).

Pour les titulaires de revenus qui relèvent de la catégorie des revenus fonciers, ce sont les recettes brutes telles que définies par l'article 29 CGI qui sont prises en compte.

Enfin pour les personnes percevant des BNC, dans le cadre d'une comptabilité de caisse, le chiffre d'affaires est égal au montant hors taxes des recettes ou honoraires encaissés en leur nom, diminué des rétrocessions ainsi que les gains divers, par exemple les recettes relatives à des opérations commerciales accessoires (CGI, art. 1586 sexies, I N° Lexbase : L3003IGC).

Pour les entreprises financières (établissements de crédit, entreprises de gestion d'instruments financiers, les sociétés de financement d'immobilisations corporelles - CGI, art. 1586 sexies, III, IV et V) et les entreprises relevant du secteur des assurances (CGI, art. 1586 sexies, VI), les règles de détermination du chiffre d'affaires sont différentes.

3 - La période de référence

La CVAE est déterminée en fonction du chiffre d'affaires réalisé et la valeur ajoutée produite sur une période de référence (CGI, art. 1586 quinquies N° Lexbase : L3182IGX). La CVAE prend en compte le chiffre d'affaires et la valeur ajoutée au cours de l'année au titre de laquelle l'imposition est établie ou, si l'exercice ne coïncide pas avec l'année civile, au cours du dernier exercice de 12 mois clos au cours de cette même année (CGI, art. 1586 quinquies, 1). En cas de création d'entreprise, la période prise en compte est celle entre la date de création et le 31 décembre de l'année d'imposition (CGI, art. 1586 quinquies, 3). Si aucun exercice n'est clos au titre de l'année pour laquelle l'imposition est établie, la période retenue pour la CVAE correspond à la période entre le premier jour suivant la période retenue pour le calcul de la CVAE de l'année précédente et le 31 décembre de l'année d'imposition (CGI, art. 1586 quinquies, 3). Enfin, si plusieurs exercices sont clos au cours d'une même période d'imposition, la CVAE est calculée sur le chiffre d'affaires et la valeur ajoutée tenus pour tous les exercices clos quelle que soit leur durée (CGI, art. 1586 quinquies, 4).

B - La valeur ajoutée

Outre le chiffre d'affaires, pour déterminer la CVAE, il faut retenir la valeur ajoutée produite mais sans tenir compte de la valeur ajoutée afférente aux activités exonérées de CFE et de CVAE aux termes de l'article 1586 nonies CGI (N° Lexbase : L2916IG4). La valeur ajoutée est égale à la différence entre le chiffre d'affaires majoré de certains produits et les achats de biens et les charges déductibles (CGI, art. 1586 sexies). Comme en matière de détermination du seuil, toutes les entreprises ne sont pas soumises aux mêmes dispositions, ne seront examinées que les règles générales et non les règles particulières applicables aux entreprises financières et entreprises du secteur de l'assurance. Dans la catégorie étudiée, il faut distinguer les redevables soumis à la catégorie des BIC et imposable à l'IR ou à l'IS, les redevables imposables dans la catégorie des BNC et, enfin, les personnes imposables dans la catégorie des RF.

1 - Les contribuables soumis à l'IR ( BIC) ou à l'IS

Dans un premier temps, il faudra ajouter au chiffre d'affaires :

- "les autres produits de gestion courante à l'exception, d'une part, de ceux pris en compte dans le chiffre d'affaires et, d'autre part, des quotes-parts de résultat sur opérations faites en commun" (CGI, art. 1586 sexies, I, 4, a, al. 1) ;

- "de la production immobilisé, à hauteur des seules charges qui ont concouru à sa formation et qui figurent parmi les charges déductibles de la valeur ajoutée ; il n'est pas tenu compte de la production immobilisée, hors part des coproducteurs, afférente à des oeuvres audiovisuelles ou cinématographiques inscrites à l'actif du bilan d'une entreprise de production audiovisuelle ou cinématographique, ou d'une entreprise de distribution de cinématographique pour le montant correspondant au versement du minimum garanti au profit d'un producteur, à condition que ces oeuvres soient susceptibles de bénéficier de l'amortissement fiscal pratiqué sur une durée de douze mois" (CGI, art. 1586 sexies, I, 4, a, al. 2). La solution particulière relative aux entreprises de production audiovisuelle et cinématographique est la validation par le législateur de la solution retenue par l'administration fiscale (instruction du 21 octobre 2005, BOI 6 E-11-05 N° Lexbase : X4032ADP). Il s'agit d'une disposition dérogatoire justifiée par la durée de vie très courte des films ;

- "des subventions d'exploitation et des abandons de créance à caractère financier à la hauteur du montant déductible des résultats imposables à l'impôt sur le revenu ou à l'impôt sur les sociétés de l'entreprise qui les consent" (CGI, art. 1586 sexies, I, 4, a, al. 3). Cette mesure a été prise dans un souci d'assurer la neutralité des opérations en cause ;

- "de la variation positive des stocks" (CGI, art. 1586 sexies, I, 4, a, al. 4). Dans l'article 1647 B sexies du CGI (N° Lexbase : L2884IGW), il était aussi fait mention des stocks, et de la différence entre ceux de fin d'année et ceux de début d'année (CGI, art. 1647 B sexies, II, 2, al. 3 et 4). Il faut noter ici que c'est la variation qui est prise en compte et non plus le montant ;

- "des transferts de charges déductibles de la valeur ajoutée autre que ceux pris en compte dans le chiffre d'affaires" (CGI, art. 1586 sexies, I, 4, a, al. 5).

Dans un second temps, il faudra soustraire de ce chiffre d'affaires majoré les éléments suivants :

- "les achats stockés de matières premières et autres approvisionnements, les achats d'études et prestations de services, les achats de matériel, équipements et travaux, les achats non stockés de matières et fournitures, les achats de marchandises et les frais accessoires d'achat, diminués des rabais, remises et ristournes obtenus sur achats" (CGI, art. 1586 sexies, I, 4, b, al. 1 et 2) ;

- "la variation négative des stocks" (CGI, art. 1586 sexies, I, 4, b, al. 3). Il s'agit de la mesure symétrique de la prise en compte de la variation positive des stocks ;

- "les services extérieurs diminués des rabais, remises et ristournes obtenus, à l'exception des loyers ou redevances afférents aux biens corporels pris en location ou en sous-location pour une durée de plus de six mois ou en crédit-bail ainsi que les redevances afférentes à ces biens lorsqu'elles résultent d'une convention de location-gérance ; toutefois, lorsque les biens pris en location par le redevable sont donnés en sous-location pour une durée de plus de six mois, les loyers sont retenus à concurrence du produit de cette sous-location" (CGI, art. 1586 sexies, I, 4, b, al. 4). L'exclusion de la déduction des loyers ou redevances pour une location de plus de six mois était déjà présente à l'article 1647 B sexies, II, 2, al. 4 du CGI. S'agissant des conventions de location dites en cascade, elles étaient prévues par l'administration fiscale (instruction du 30 décembre 1999, BOI 6 E-1-00 N° Lexbase : X6131AAC). La loi a validé cette position de l'administration, mais n'a pas repris la condition selon laquelle les déductions des loyers n'étaient possibles que si le locataire final était redevable de la TP ;

- les taxes sur le chiffres d'affaires et assimilées, les contributions indirectes, la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (CGI, art. 1586 sexies, I, 4, b, al. 5). Cette disposition vient confirmer la position du Conseil d'Etat qui valait pour le calcul du plafonnement de la cotisation de TP (CE 9° et 10° s-s-r., 7 juillet 2004, n° 250761, Société d'exploitation de la vallée des Belleville N° Lexbase : A1354DDI) et infirmer la position de la doctrine administrative qui était plus restrictive sur ce point ;

- "les autres charges de gestion courante, autres que les quotes-parts de résultat sur opérations faites en commun" (CGI, art. 1586 sexies, I, 4, b, al. 6). Cette disposition est le pendant de celle inscrite au 1er alinéa de l'article 1586 sexies, I, 4, a, CGI.

- "les abandons de créances à caractère financier, à la hauteur du montant déductible des résultats imposables à l'impôt sur le revenu ou à l'impôt sur les sociétés" (CGI, art. 1586 sexies, I, 4, b, al. 7). C'est une disposition symétrique à celle selon laquelle les abandons de créances à caractère financier sont déductibles de la valeur ajoutée à hauteur du montant déductible du résultat imposable (CGI, art. 1586 sexies, I, 4, a, al. 3).

- "les dotations aux amortissements pour dépréciation afférente aux biens corporels donnés en location ou sous-location pour une durée de plus de six mois, donnés en crédit-bail ou faisant l'objet d'un contrat de location-gérance, en proportion de la seule période de location, de sous-location, de crédit-bail ou de location-gérance ; ces dispositions ne s'appliquent pas en cas de contrats de sous-location de plus de six mois lorsque le dernier sous-locataire n'est pas assujetti à la cotisation foncière des entreprises" (CGI, art. 1586 sexies, I, 4, b, al. 8). Il s'agit du pendant de la prohibition faite au locataire de déduire les loyers et redevances de crédit-bail, le loueur peut déduire les amortissements pour les biens concernés. Dans cette hypothèse, et contrairement à la mesure symétrique valable pour les produits, le dernier locataire doit être imposable à la CFE ;

- "les moins-values de cession d'éléments d'immobilisations corporelles et incorporelles, lorsqu'elles se rapportent à une activité normale et courante" (CGI, art. 1586 sexies, I, 4, b, al. 9).

2 - Les contribuables soumis à la catégorie des BNC - comptabilité de caisse

La valeur ajoutée est égale à la différence entre le chiffre d'affaires (cf. II, A, 2) et les dépenses de même nature que les charges admises en déduction de la valeur ajoutée sauf la TVA déductible ou décaissée (CGI, art. 1586, sexies, I, 5).

3 - Les contribuables soumis à la catégorie des RF

La valeur ajoutée est constituée par le chiffre d'affaires (cf. II, A, 2) diminué des charges de propriété énumérées à l'article 31 du CGI (N° Lexbase : L3907IAX) (CGI, art. 1586, sexies, I, 6). Cependant certains éléments de cette liste de l'article 31 du CGI sont exclus de cette déduction. Il s'agit, d'une part, des impositions autres que celles incombant normalement à l'occupant perçues, à raison desdites propriétés, au profit des collectivités territoriales (CGI, art. 31, I, 1, c). D'autre part, sont aussi exclus les intérêts des dettes contractées pour la conservation, l'acquisition, la construction, la réparation ou l'amélioration des propriétés (CGI, art. 31, I, 1, d).

C - Le calcul de la CVAE

Aux termes du nouvel article 1586 ter, II du CGI, le montant dû au titre de la CVAE est calculé en appliquant à la valeur ajoutée le taux unique de 1,5 %.

Les entreprises dont le chiffre d'affaires est inférieur à 50 millions euros bénéficient d'un dégrèvement de CVAE. Ce dégrèvement est égal à la différence entre, d'une part, le montant de la CVAE et, d'autre part, une fraction de la valeur ajoutée à laquelle est appliqué un taux progressif selon les formules suivantes.

- si le chiffre d'affaires est inférieur à 500 000 d'euros, le taux progressif est nul, par conséquent le dégrèvement est total, ces entreprises ne paiement pas de CVAE (CGI, art. 1586 quater, I, a N° Lexbase : L2980IGH).

- si le chiffre d'affaires est compris entre 500 000 et 3 000 000 d'euros le dégrèvement est calculé ainsi : 0,5 % x (montant du chiffre d'affaires - 500 000) / 2 500 000 (CGI, art. 1586 quater, I, b).

- si le chiffre d'affaires est compris entre 3 000 000 et 10 000 000 d'euros, le dégrèvement est calculé ainsi : 0,5 % + 0,9 % x (montant du chiffre d'affaires - 3 000 000) / 7 000 000 (CGI, art. 1586 quater, I, c).

- si le chiffre d'affaires est compris entre 10 000 000 et 40 000 000 d'euros, le dégrèvement est calculé ainsi : 1,4 % + 0,1 % x (montant du chiffre d'affaires - 10 000 000) / 40 000 000 (CGI, art. 1586 quater, I, d).

- pour les entreprises dont le chiffre d'affaires est supérieur à 50 000 000 d'euros, le taux est de 1,5 % sans aucune possibilité de dégrèvement (CGI, art. 1586 quater, I, e).

Ce dégrèvement est accordé sur demande effectuée au moment de la liquidation définitive de la cotisation (CGI, art. 1586 quater, I).

Pour les entreprises dont le chiffre d'affaires est inférieur à 2 millions d'euros, le montant du dégrèvement est majoré de 1 000 euros (CGI, art. 1586 quater, II).

Il existe aussi une cotisation minimale pour les entreprises dont le chiffre d'affaires est supérieur à 500 000 euros est de 250 euros (CGI, art. 1586 septies).

Enfin, le législateur a mis en place une disposition spécifique dans les hypothèses d'opérations d'apport, de cession d'activité ou de scission d'entreprise (CGI, art. 1586 quater, III). Dans le cas de ces opérations, le chiffre d'affaires à retenir pour le calcul du dégrèvement est la somme des chiffres d'affaires des entreprises parties à l'opération lorsque l'entité à laquelle l'activité est transmise est détenue, directement ou indirectement, à plus de 50 % par l'entreprise cédante, apporteuse ou scindée ou par une entreprise qui détient cette dernière ou une de ses filiales, et ce dans les mêmes proportions, tant que les conditions suivantes sont simultanément remplies :

- la somme des cotisations dues minorées des dégrèvements par l'entreprise cédante, apporteuse ou scindée est inférieure d'au moins 10 % aux impositions au titre de la CVAE, minorées des dégrèvements, qui auraient été dues par ces mêmes redevables en l'absence de réalisation de l'opération ;

- l'activité continue d'être exercée par ces derniers ou par une ou plusieurs de leurs filiales ;

- les entreprises en cause ont des activités similaires ou complémentaires (CGI, art. 1586 quater, III). Cette disposition met en oeuvre un mécanisme en vue d'éviter des abus en matière de CVAE, notamment les opérations qui permettraient d'en limiter le montant dû.

Cette disposition s'applique aux opérations réalisées à compter du 22 octobre 2009. Mais elle ne peut plus s'appliquer à compter de la huitième année suivant les opérations en cause (CGI, art. 1586 quater, III).

D - Modalités de recouvrement

Selon l'article 1586 ter, II, 3 du CGI, la CVAE est recouvrée et contrôlée selon les mêmes procédures et sous les mêmes sanctions, garanties, sûretés et privilèges que la TVA. Il en est de même pour les règles applicables aux réclamations présentées au titre de cette nouvelle imposition.

A partir d'un chiffre d'affaires de 500 000 euros, les entreprises doivent faire leur déclaration de CVAE par voie électronique (CGI, art. 1649 quater B quater N° Lexbase : L2740IGL). L'ensemble des entreprises est soumis à l'obligation de télé-règlement (CGI, art. 1681 septies, 3 N° Lexbase : L2781IG4).

Il existe un régime d'acomptes qui s'applique aux entreprises dont le montant de CVAE dû au titre de l'année précédente est supérieur à 3 000 euros (CGI, art. 1679 septies N° Lexbase : L3079IG7). Les acomptes à verser sont au nombre de deux : le premier au 15 juin d'un montant égal à 50 % de la CVAE dû l'année précédente et le second selon les mêmes modalités au 15 septembre.

Si l'exercice de l'entreprise correspond à l'année civile, le montant retenu pour le calcul des acomptes est celui de l'année précédente. Cependant, lorsque l'exercice ne coïncide pas avec l'année civile, les acomptes peuvent être fondés sur des montants différents.

La déclaration de CVAE doit être déposée au plus tard le deuxième jour ouvré suivant le 1er mai. Comme pour la TVA, il s'agit d'un impôt liquidé par les redevables eux-mêmes, donc la déclaration doit être accompagnée du versement du solde.


(1) M. Hayat, Taxe professionnelle. Naissance et transformations d'un impôt à travers 25 ans de réforme, Economica, 2003.
(2) O. Fouquet, Les perspectives de réforme de la taxe professionnelle, DF, 2004, n° 37, p. 1253.

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Sécurité sociale

[Jurisprudence] De quelques précisions et rappels sur le régime des AT-MP à partir de cinq arrêts de décembre 2009

Réf. : Cass. civ. 2, 10 décembre 2009, 3 arrêts, FS-P+B, n° 08-18.316 (N° Lexbase : A4405EPT), n° 08-20.593 (N° Lexbase : A4474EPE) et n° 08-21.094 (N° Lexbase : A4483EPQ) ; Cass. civ. 2, 17 décembre 2009, FS-P+B, n° 08-20.915 (N° Lexbase : A0826EQN) et n° 08-20.690 (N° Lexbase : A0821EQH)

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par Marion Del Sol, Professeur à l'Université de Bretagne Occidentale (IODE UMR CNRS 6262-Université de Rennes I)

Le 07 Octobre 2010

Trois arrêts rendus en décembre 2009 par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation constituent une occasion de revenir sur quelques aspects essentiels de la procédure de reconnaissance du caractère professionnel d'une maladie ou d'un accident et de mettre en perspective les solutions retenues avec les nouvelles dispositions applicables depuis le 1er janvier 2010 (I et II). Deux autres décisions des 10 et 17 décembre apportent d'intéressantes précisions sur certaines conséquences de la reconnaissance d'une faute inexcusable, spécialement dans le cadre du recours au travail temporaire (III). I - Point de départ du délai d'instruction

La question du point de départ du délai d'instruction accordé à la Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) pour décider du caractère professionnel d'un accident ou d'une maladie est essentielle. En effet, une reconnaissance implicite du caractère professionnel peut intervenir si la CPAM ne s'est pas prononcée dans les trois mois (maladie) ou les trente jours (accident) qui suivent ce point de départ (CSS, art. R. 441-10 N° Lexbase : L6185IES). L'enjeu est de taille pour la victime ou ses ayants droit et justifie la réforme intervenue tout récemment par le décret du 29 juillet 2009 (1), dont l'entrée en vigueur s'est produite au 1er janvier 2010.

Un arrêt du 10 décembre 2009, rendu sous l'empire des règles antérieures, nous donne l'opportunité de revenir sur les dispositions anciennes dans l'hypothèse d'un envoi tardif du certificat médical (Cass. civ. 2, 10 décembre 2009, n° 08-18.316, FS-P+B N° Lexbase : A4405EPT). Au cas d'espèce, en novembre 2004, la veuve d'un salarié avait adressé à la CPAM une déclaration de maladie professionnelle, son conjoint ayant été exposé au risque d'inhalation de poussières d'amiante de 1960 à 1984. Mais, le 7 avril 2005, la caisse lui a notifié un refus de prise en charge au motif que la déclaration n'était accompagnée ni d'un certificat médical de constatation de la maladie, ni d'un certificat de décès établissant une relation de cause à effet. La requérante entendait, quant à elle, faire reconnaître qu'une décision implicite pouvait être opposée à l'organisme de Sécurité sociale, plus de trois mois s'étant écoulés entre l'envoi de la déclaration de maladie professionnelle et la "réaction" de la CPAM. Il est à noter que la veuve avait fait une nouvelle demande de prise en charge en produisant, cette fois-ci, un certificat médical daté du 5 avril 2005, demande expressément rejetée le 16 juin 2005.

La Cour de cassation ne fait pas droit au pourvoi formé par la veuve, considérant que le délai de trois mois n'avait pas commencé à courir au jour de la déclaration de maladie professionnelle dans la mesure où la requérante n'avait pas transmis à cette date de certificat médical (2). C'est seulement à partir de l'envoi de ce dernier -c'est-à-dire au 5 avril 2005- que le délai d'instruction avait commencé à courir. La solution peut sembler surprenante car l'article R. 441-10, dans sa version applicable au cas d'espèce, faisait partir le délai d'instruction du jour où la CPAM avait eu connaissance de la déclaration de maladie professionnelle. Mais les juges suprêmes justifient leur décision sur le fondement de l'article L. 461-5 (N° Lexbase : L1345HBG), dont les dispositions ne concernent que les maladies professionnelles, à l'exclusion des accidents du travail. Or, ce texte précise que deux exemplaires du certificat médical doivent compléter la déclaration de maladie professionnelle. Ce faisant, la deuxième chambre civile adopte une solution en tous points alignée sur les nouvelles dispositions de l'article R. 441-10, telles qu'issues du décret de juillet 2009 ; en effet, le point du départ du délai d'instruction -et donc de reconnaissance implicite- est désormais explicitement fixé au jour où la caisse a reçu la déclaration de maladie professionnelle et le certificat médical.... ce qui doit mettre fin aux décisions "préventives" de refus de prise en charge de la part des CPAM sur la seule base de la déclaration.

II - Contours et modalités de l'obligation d'information à la charge de la CPAM

Le contentieux en inopposabilité n'a cessé de défrayer la chronique ces dernières années. En effet, les décisions de prise en charge au titre des AT-MP sont parfois jugées inopposables aux employeurs des salariés victimes de risques professionnels au motif du défaut de contradictoire de la procédure de reconnaissance ; en d'autres termes, dans ces hypothèses, il est reproché aux caisses de ne pas avoir pas satisfait à leur obligation d'information à l'égard d'une des parties intéressées, la décision de la CPAM étant susceptible de faire grief à l'employeur de la victime (3). Par deux arrêts des 10 et 17 décembre 2009, la Cour de cassation précise, d'une part, les éléments susceptibles de faire grief et, d'autre part, les modalités de communication à l'employeur de certaines informations d'ordre médical.

  • Précisions sur les éléments susceptibles de faire grief (Cass. civ. 2, 17 décembre 2009, n° 08-20.915, FS-P+B N° Lexbase : A0826EQN)

A l'occasion d'une procédure de reconnaissance d'une maladie professionnelle liée à l'amiante, un employeur entendait obtenir l'inopposabilité de la décision de prise en charge au motif qu'il n'avait pu disposer d'informations médicales suffisantes et que lui avait été refusée une demande d'expertise sollicitée aux fins de recueillir lesdites informations. Il entendait ainsi faire jouer à son profit la jurisprudence en vertu de laquelle la CPAM doit informer l'employeur des éléments susceptibles de lui faire grief et de la possibilité de consulter le dossier visé à l'article R. 441-13 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L7291ADE), jurisprudence désormais "transposée" dans l'article R. 441-14 (N° Lexbase : L6170IEA) (4).

Au cas d'espèce, l'employeur reprochait à la CPAM de ne pas lui avoir communiqué des éléments du diagnostic médical (examen tomodensitométrique (5) et avis d'un médecin spécialiste sollicité par le service médical de la CPAM (6)). En effet, il s'estimait insuffisamment informé par le dossier dont il avait reçu une copie, l'avis du médecin-conseil étant non motivé et les clichés tomodensitométriques non joints (simple compte rendu de cet examen particulier). C'est la raison pour laquelle il sollicitait une mesure d'expertise afin de pouvoir discuter effectivement des conditions de la prise en charge. Or, la Cour de cassation rejette le pourvoi de l'employeur confirmant ainsi que la cour d'appel avait jugé à bon droit que la CPAM avait respecté ses obligations d'information et que, par conséquent, la décision de prise en charge lui était opposable. La solution est dans la suite logique d'un arrêt de 2008, ayant jugé, dans une hypothèse similaire, que "la teneur de l'examen tomodensitométrique mentionné au tableau n° 30 B des maladies professionnelles, qui constitue un élément du diagnostic, n'a pas à figurer dans les pièces du dossier constitué par les services administratifs de la caisse en application de l'article R. 441-13" (7).

Les juges de la deuxième chambre civile semblent considérer que permettre la consultation des éléments du dossier suffit pour la CPAM à remplir son obligation d'information, ce qui sous-entend que l'on y trouve tous les éléments susceptibles de faire grief à l'employeur. La solution ne manque pas de surprendre et traduit une conception a minima du principe du contradictoire. Pour la Cour, peu importe que l'avis du médecin-conseil ne soit pas motivé et que les examens médicaux particuliers auxquels le salarié devait être réglementairement soumis ne figurent pas au dossier alors même que leurs résultats permettent de diagnostiquer la maladie dont la prise en charge est sollicitée. Or, si, en application de l'article R. 441-13, le dossier mis à disposition de l'employeur contient les certificats médicaux (8), cela ne suffit pas, dans toutes les hypothèses, à permettre une connaissance effective des éléments d'ordre médical sur la base desquels la décision de prise en charge est adoptée. A notre sens, sur le fondement réglementaire de l'article R. 441-14, la Cour de cassation devrait adopter une conception moins manichéenne de la notion "d'éléments susceptibles de faire grief" et admettre ainsi que les pièces figurant au dossier ne sont pas toujours suffisantes en elles-mêmes à fournir à l'employeur des éléments de débat contradictoire.

  • Précisions sur les modalités de communication d'éléments d'ordre médical (Cass. civ. 2, 10 décembre 2009, n° 08-20.593, FS-P+B N° Lexbase : A4474EPE)

Lorsque fait défaut l'une des conditions mentionnées dans un tableau de maladies professionnelles, la reconnaissance de l'origine professionnelle suppose d'établir que la pathologie du salarié est directement causée par son travail habituel (CSS, art. L. 461-1, al. 3 N° Lexbase : L5309ADY). La CPAM ne peut, cependant, se prononcer dans cette hypothèse qu'après avis du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) (9), dont la saisine est accompagnée d'un dossier constitué par la caisse en application de l'article D. 461-29 (N° Lexbase : L9592ADM).

Parmi les pièces de ce dossier, doivent figurer l'avis motivé du médecin du travail (10), ainsi que le rapport établi par les services du contrôle médical de la CPAM. Ces éléments étant d'ordre médical, la réglementation en organise la communication dans des conditions particulières afin de préserver le secret médical. Elle prévoit, à cet effet, qu'ils ne sont communicables à la victime, ses ayants droit et son employeur que par l'intermédiaire d'un praticien désigné pour l'occasion par la victime ou, à défaut, par ses ayants droit (CSS, art. D. 461-29, al. 4) (11) ; en revanche, si ces documents ont abouti à des conclusions administratives, celles-ci sont communicables de plein droit (CSS, art. art. D. 461-29, al. 5). C'est la mise en oeuvre de ces modalités de communication qui était en cause dans l'arrêt ci-dessus référencé, l'employeur souhaitant obtenir l'inopposabilité de la décision de reconnaissance sur la base du non-respect des dispositions des alinéas 4 et 5 de l'article D. 461-29.

L'arrêt rendu par la Cour de cassation apporte deux précisions. D'une part, il permet d'affirmer que les conclusions administratives fondées sur l'avis du médecin du travail et le rapport du médecin-conseil ne présentent pas un caractère obligatoire dans le cadre de cette procédure de reconnaissance (12). Il s'en déduit que l'employeur ne peut valablement reprocher à la CPAM leur absence dans le dossier mis à sa disposition lorsque ces conclusions n'ont pas été établies. D'autre part, la décision de la deuxième chambre civile précise que, lorsque l'employeur demande communication des pièces médicales, c'est à la CPAM -et non à l'employeur lui-même- "d'effectuer les démarches nécessaires en vue de la désignation d'un praticien par la victime ou ses ayants droit" ; autrement dit, à la caisse de solliciter la victime en ce sens lorsque l'employeur a requis la communication du rapport du médecin-conseil sous peine de voir sa décision de prise en charge déclarée inopposable à l'entreprise dans laquelle travaillait le salarié. La solution est logique à un double point de vue : juridiquement, dans la mesure où c'est sur la CPAM que pèse l'obligation d'information des parties intéressées à sa décision (13) ; et pratiquement, puisque cette modalité de communication évite une mise en relation directe de l'employeur avec le salarié victime et d'éventuelles réactions dilatoires.

III - De quelques conséquences importantes de la faute inexcusable

Lorsqu'une faute inexcusable est à l'origine de l'accident du travail survenu au salarié, une réparation complémentaire peut être demandée par la victime (ou ses ayants droit) selon les modalités prévues aux articles L. 452-2 (N° Lexbase : L5301ADP) et L. 452-3 (N° Lexbase : L5302ADQ) du Code de la Sécurité sociale (14), ce droit à réparation pouvant être "réactivé" en cas d'aggravation de l'état de la victime, comme l'a jugé tout récemment la Cour de cassation. Mais la faute inexcusable peut également emporter des conséquences sur l'imputation du coût de l'accident lorsque la victime est un travailleur temporaire, comme vient le rappeler un arrêt du 17 décembre 2009.

  • Réparation du préjudice consécutif à l'aggravation de l'état de la victime (Cass. civ. 2, 10 décembre 2009, n° 08-21.094, FS-P+B N° Lexbase : A4483EPQ)

Victime d'une maladie professionnelle liée à l'inhalation de poussières d'amiante, un salarié avait obtenu une indemnisation complémentaire à raison de la faute inexcusable de son employeur. Il décède des suites de cette pathologie. Ses ayants droit (sa veuve et ses trois enfants) forment alors une demande au titre de l'action successorale tendant à obtenir réparation des préjudices subis du vivant de la victime consécutivement à l'aggravation de son état de santé ayant entraîné son décès. Cette demande n'est pas accueillie par les juges du fond (15), qui considèrent que l'indemnisation accordée avant le décès présentait un caractère définitif rendant irrecevable l'action successorale tendant aux mêmes fins que l'instance initiale.

Au visa de l'article L. 452-3 du Code de la Sécurité sociale, la deuxième chambre civile casse l'arrêt d'appel et formule un attendu de principe exempt de toute ambiguïté : "la victime d'un dommage imputable à la faute inexcusable de son employeur ou ses ayants droit en cas de décès sont recevables à exercer une nouvelle action en réparation du préjudice résultant de l'aggravation de l'état de la victime, dès lors qu'il n'a pas déjà été statué sur la réparation de ce préjudice complémentaire qui n'était pas inclus dans la demande initiale". Autrement dit, le droit à réparation complémentaire n'est pas épuisé du seul fait qu'une décision définitive fixant cette réparation est intervenue. L'aggravation de l'état de santé de la victime postérieurement à la décision de justice permet de "réactiver" ce droit, cette aggravation devant être considérée comme un préjudice complémentaire non inclus dans le périmètre de la demande initiale. A l'instar du décès ultérieur de la victime qui permet une demande complémentaire en réparation de la part des ayants droit (15), les préjudices subis entre le moment où l'état de santé s'est dégradé et le décès ouvrent également et logiquement droit -en tant que nouveaux préjudices- à une demande complémentaire dont l'exercice peut être le fait de la victime de son vivant ou de ses ayants droit en cas de décès.

  • Modalités d'imputation du coût de l'accident du travail survenu à un salarié intérimaire consécutivement à une faute inexcusable de l'entreprise utilisatrice (Cass. civ. 2, 17 décembre 2009, n° 08-20.690, FS-P+B N° Lexbase : A0821EQH)

Les cotisations dues au titre des AT-MP sont à la charge exclusive des employeurs. En conséquence, c'est l'entreprise de travail temporaire, ès qualité d'employeur de l'intérimaire, qui supporte le coût financier des risques professionnels auxquels ce salarié a été confronté à l'occasion d'une de ses missions dans une entreprise utilisatrice. Mais, afin de tenir compte des risques particuliers encourus par les salariés mis à la disposition d'utilisateurs par les entreprises de travail temporaire, l'article L. 241-5-1 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L4937AD9) prévoit que le coût de tels risques est mis pour partie à la charge de l'utilisateur. Ne sont concernées que les hypothèses où l'accident ou la maladie entraîne une incapacité permanente de travail à un taux supérieur ou égal à 10 % ou a fortiori le décès. Il sera imputé au compte de l'utilisateur un tiers des capitaux représentatifs des rentes et des capitaux correspondant aux accidents ou maladies mortels (CSS, art. R. 242-6-1 N° Lexbase : L6094HD3) (17).

En cas de faute inexcusable, c'est en principe l'entreprise de travail temporaire qui assume la charge financière des indemnisations complémentaires versées par la CPAM au salarié et de la cotisation supplémentaire. Le Code de la Sécurité sociale précise, en effet, que l'employeur demeure tenu des obligations découlant de l'existence d'une faute inexcusable, le chef de l'entreprise utilisatrice devant être simplement regardé comme substitué dans la direction (18). Malgré ce principe, la charge définitive de la réparation complémentaire n'est pas systématiquement supportée par l'entreprise d'intérim. En effet, la faute inexcusable peut être imputable à l'entreprise utilisatrice et permet au juge de procéder "à une répartition différente, en fonction des données de l'espèce" (CSS, art. L. 241-5-1 N° Lexbase : L4937AD9) à l'occasion d'une action en remboursement. Telle était l'hypothèse soumise à la Cour de cassation dans une affaire où il avait été jugé que l'accident survenu à l'intérimaire était entièrement imputable à la faute inexcusable de l'entreprise utilisatrice.

L'enjeu du contentieux portait ici sur les modalités d'imputation de la charge financière résultant de la faute inexcusable. Il s'agissait de déterminer non pas la clé de répartition, mais l'assiette sur laquelle l'appliquer. Deux thèses étaient en présence aux conséquences notablement différentes : celle de l'entreprise de travail temporaire -à laquelle aucun manquement ne pouvait être reproché- consistait à faire supporter à l'entreprise utilisatrice l'intégralité du coût de l'accident en ajoutant au capital représentatif de la rente les indemnisations complémentaires obtenues par le salarié ; l'autre argumentation préférait quant à elle se "retrancher" derrière les termes de l'article R. 242-6-1, qui fixe les règles générales d'imputation au compte de l'entreprise utilisatrice et ne vise que les capitaux représentatifs de rentes et ceux correspondant aux accidents mortels. C'est à cette seconde thèse que la Cour de cassation fait place : "le coût de l'accident du travail intégralement mis à la charge de l'entreprise utilisatrice devait s'entendre, en vertu de l'article R. 242-6-1 du Code de la Sécurité sociale, du seul capital représentatif de la rente accident du travail". La solution est sans équivoque. Pour autant, elle n'emporte absolument pas la conviction. D'un point de vue juridique, elle peut être critiquée, car l'article R. 242-6-1 est un texte d'ordre général dont la rédaction ne vise manifestement que l'imputation de la cotisation accident du travail (19). En termes d'équité, mais aussi d'efficacité, la solution est encore bien davantage contestable puisque, in fine, l'entreprise utilisatrice ne supportera qu'une partie seulement des conséquences financières d'un accident dû exclusivement à sa faute inexcusable. C'est très injuste pour l'entreprise de travail temporaire et peu incitatif en matière de prévention pour les utilisateurs de main d'oeuvre intérimaire alors même que celle-ci est particulièrement exposée aux risques professionnels.


(1) Décret n° 2009-938 du 29 juillet 2009, relatif à la procédure d'instruction des déclarations d'accidents du travail et maladies professionnelles (N° Lexbase : L5899IE9) et nos obs., La réforme de la procédure d'instruction des déclarations AT-MP, Lexbase Hebdo n° 364 du 24 juillet 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N9352BLX).
(2) En revanche, elle considère que le refus de prise en charge intervenu consécutivement à la seconde demande avait bien été notifié moins de trois mois après l'envoi du certificat médical, ce qui empêchait le jeu de la reconnaissance implicite.
(3) Voir notamment Cass. civ. 2, 16 octobre 2008, n° 07-18.493, Caisse primaire d'assurance maladie du Lot-et-Garonne, F-P+B (N° Lexbase : A8100EAA) et lire les obs. de Ch. Willmann, L'obligation d'information des assurés sociaux : combler les lacunes de la loi du 21 août 2003, Lexbase Hebdo n° 324 du 30 octobre 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N4929BHZ).
(4) Par l'effet du décret du 29 juillet 2009, étant précisé que la nouvelle version de l'article R. 441-14 (N° Lexbase : L6170IEA) exige que cette information soit réalisée au moins dix jours francs avant que la CPAM prenne sa décision.
(5) Examen particulier qui est exigé pour les procédures de reconnaissance des maladies professionnelles du tableau 30 B (maladies liées à l'amiante).
(6) Possibilité ouverte au médecin-conseil par l'article D. 461-8 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L9571ADT).
(7) Cass. civ. 2, 17 janvier 2008, n° 07-13.356, Société Eternit, FS-P+B (N° Lexbase : A7803D3E).
(8) Le dossier doit également contenir la déclaration d'accident et l'attestation de salaire, les constats faits par la caisse primaire, les informations parvenues à la caisse de chacune des parties, les éléments communiqués par la caisse régionale et, éventuellement, le rapport de l'expert technique.
(9) CSS, art. L. 461-1, al. 5 (N° Lexbase : L5309ADY).
(10) Avis portant, notamment, sur la maladie et la réalité de l'exposition de celle-ci à un risque professionnel présent dans l'entreprise où la victime a été employée.
(11) Le praticien désigné prend connaissance du contenu de ces documents et ne peut en faire état, avec l'accord de la victime ou, à défaut, de ses ayants droit, que dans le respect des règles de déontologie.
(12) Solution logique au regard de la formulation de l'alinéa 5 de l'article D. 461-29 qui évoque "les conclusions administratives auxquelles ces documents ont pu aboutir" et non les conclusions auxquelles ces documents doivent aboutir.
(13) Obligation au demeurant renforcée par le décret du 29 juillet 2009 (v. CSS, art. R. 441-14).
(14) Majoration de la rente et réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales, des préjudices esthétiques et d'agrément, ainsi que du préjudice résultant de la perte ou de la diminution des possibilités de promotion professionnelle.
(15) En revanche, il a été fait droit à la demande tendant à voir fixer au maximum la majoration de la rente servie à la veuve du salarié et à fixer le montant du préjudice personnel respectif des quatre ayants droit.
(16) Demande à laquelle la cour d'appel avait fait droit au cas d'espèce. V. note précédente.
(17) Il a toutefois été jugé qu'une répartition autre pouvait être sollicitée. V. Cass. civ. 2, 21 décembre 2006, n° 05-15.544, Société Manpower France, FS-P+B (N° Lexbase : A0928DTK).
(18) CSS, art. L. 412-6 (N° Lexbase : L5218ADM).
(19) Ainsi, après avoir précisé l'assiette de l'imputation, le texte dispose que celle-ci se fait à hauteur d'un tiers "pour déterminer le taux de cotisation accidents du travail et maladies professionnelles".

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Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] La liberté syndicale dans tous ses états !

Réf. : Cass. soc., 13 janvier 2010, n° 08-19.917, Syndicat Spasaf CFDT, FS-P+B+R (N° Lexbase : A2985EQM)

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010



Reconnue et garantie, pour ce qui est du droit interne, par l'alinéa 6 du préambule de la Constitution de 1946 (N° Lexbase : L6821BH4), la liberté syndicale trouve un large champ d'application dans l'entreprise, sans pour autant être sans limites. Un important arrêt, rendu le 13 janvier 2010 par la Cour de cassation, qui aura les honneurs de son rapport annuel, en porte témoignage. La Chambre sociale vient y apprécier, à l'aune de la liberté précitée, le déplacement du local syndical par l'employeur et, conséquence de cet acte, les restrictions apportées au libre déplacement des délégués syndicaux et des salariés.



Résumé

Porte atteinte à la liberté syndicale, l'employeur qui déplace d'office, sans autorisation judiciaire préalable, le local syndical malgré l'opposition d'une organisation syndicale.

Le fait que les déplacements des délégués syndicaux ou des salariés pour aller de leur lieu de travail au local syndical, ou en revenir, les obligent à passer sous un portique de sécurité, à présenter un badge et éventuellement à subir une fouille, sans que l'employeur allègue que l'implantation du local syndical dans la zone de travail était impossible, caractérise une atteinte à l'activité syndicale.

I - Le déplacement du local syndical

  • Le droit à un local syndical

Affirmée et garantie par l'alinéa 6 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 dans les termes suivants, "tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l'action syndicale et adhérer au syndicat de son choix", la liberté syndicale est déclinée par plusieurs dispositions du Code du travail. Il faut, notamment, citer à cet égard l'article L. 2141-4 (N° Lexbase : L2149H9H), qui dispose, en deux alinéas, que "l'exercice du droit syndical est reconnu dans toutes les entreprises dans le respect des droits et libertés garantis par la Constitution de la République, en particulier de la liberté individuelle de travail" et que "les syndicats professionnels peuvent s'organiser librement dans toutes les entreprises conformément aux dispositions du présent titre".

On comprend que cette liberté d'organisation n'est pas totale et qu'elle est, au contraire, encadrée par la loi. Il en va, notamment, ainsi du droit à un local syndical. Dans les entreprises ou établissements où sont occupés plus de deux cents salariés, l'employeur est tenu de mettre à la disposition des sections syndicales un local commun convenant à l'exercice de la mission de leurs délégués. Lorsque l'entreprise ou l'établissement compte mille salariés et plus, un local convenable, aménagé et doté du matériel nécessaire à son fonctionnement doit être attribué à chaque section syndicale (C. trav., art. L. 2142-8 N° Lexbase : L3775IBG). Il convient, enfin, de noter que, en application de l'article L. 2142-9 (N° Lexbase : L2172H9C), "les modalités d'aménagement et d'utilisation par les sections syndicales des locaux mis à leur disposition sont fixées par accord avec l'employeur".

Ce sont là les seules dispositions légales relatives au local syndical. Le législateur n'a donc nullement envisagé la question du déplacement du local syndical, qui était au coeur de l'affaire ayant conduit à l'arrêt sous examen.

  • L'affaire

En l'espèce, les syndicats d'une société disposaient de locaux dans le bâtiment d'exploitation de l'entreprise, dont l'accès était soumis à des mesures de contrôle en raison de son emplacement dans une zone aéroportuaire sécurisée. En 2005, la société a décidé de transférer ces locaux dans un bâtiment situé sur le parking de l'établissement, en zone d'accès libre en venant de l'extérieur. Plusieurs syndicats ont alors refusé ce déménagement en alléguant que les contrôles auxquels devaient se soumettre les salariés désirant se rendre depuis leur lieu de travail au local syndical ou en revenir portaient atteinte au libre exercice du droit syndical et à la liberté de circulation des délégués syndicaux. L'employeur, qui n'y avait pas été autorisé par une décision de justice, a néanmoins procédé à ce déménagement.

Ce "passage en force" a été jugé, en référé, constitutif d'un trouble manifestement illicite. Les syndicats ont, ensuite, saisi, au principal, le tribunal de grande instance pour obtenir leur réintégration dans les anciens locaux après leur remise en état et pour demander la condamnation de l'employeur au paiement de dommages-intérêts.

Pour débouter les syndicats de leurs demandes, l'arrêt retient que l'employeur peut déterminer librement l'emplacement des locaux syndicaux. Par suite, si les syndicats refusent le transfert de leurs locaux d'un emplacement à un autre, aucun texte ne soumet celui-ci à un accord préalable et exiger une autorisation judiciaire sur un fondement purement prétorien est en contradiction absolue avec le pouvoir ainsi reconnue à l'employeur de déterminer librement l'emplacement des locaux syndicaux.

  • La solution

Cette décision est censurée par la Cour de cassation au visa de l'alinéa 6 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et de l'article L. 2141-4 du Code du travail. Après avoir affirmé que "porte atteinte à la liberté syndicale, l'employeur qui déplace d'office, sans autorisation judiciaire préalable, le local syndical malgré l'opposition d'une organisation syndicale", la Chambre sociale décide qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé les textes précités.

Cette solution peut être rapprochée de celle dégagée par un arrêt rendu le 26 septembre 2007 par la Cour de cassation, dans la même affaire, consécutivement à l'action en référé des syndicats (1). Toutefois, dans cette décision, la Chambre sociale ne s'était pas prononcée directement sur la question du déplacement du local syndical, mais sur le déplacement des salariés (v. infra, seconde partie).

L'intérêt premier de l'arrêt présentement commenté réside donc dans la position de principe adoptée par la Cour de cassation relativement au déplacement du local syndical. La solution retenue peut être ainsi résumée : dès lors qu'un syndicat s'oppose au déplacement du local syndical, l'employeur ne peut le décider d'office et doit obtenir une autorisation judiciaire préalable. De cela, il résulte que le déplacement des locaux syndicaux ne peut se faire sans le consentement, serait-il tacite, des syndicats. Cette solution, qui nous paraît devoir être approuvée, découle de la liberté syndicale et, plus particulièrement, de la règle édictée par l'article L. 2141-4, alinéa 2, du Code du travail précédemment évoqué, qui en constitue une déclinaison. Les juges du fond en avaient fait, en l'espèce, une bien curieuse application, puisqu'ils avaient fondé leur décision sur la liberté de l'employeur de déterminer l'emplacement des locaux. Or, si ce texte vise bien une liberté, c'est celle pour les syndicats de s'organiser dans l'entreprise. On ne saurait, certes, en déduire que les syndicats choisissent librement l'emplacement des locaux syndicaux dans l'entreprise. Il est, en revanche, certain qu'ils ont à cet égard leur mot à dire. A défaut d'accord, on ne peut faire autrement que de s'en remettre au juge pour décider si oui ou non il y a lieu de déplacer les locaux syndicaux.

Dans la mesure où est ici en cause la liberté syndicale, le juge aura, à notre sens, pour se prononcer, à mettre en oeuvre les prescriptions de l'article L. 1121-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0670H9P), dont on sait qu'elles protègent les droits des personnes, les libertés individuelles, mais aussi les libertés collectives. En réalité, il nous semble que le juge aura à arbitrer entre une liberté collective et un droit tout aussi fondamental : le droit de propriété de l'employeur. Cela conduit à relever que si l'article L. 1121-1 protège au premier chef les droits et libertés des salariés, dont on doit souligner qu'ils ne sont nullement visés par ce texte, on peut penser qu'il peut être sollicité par l'employeur lorsque ses droits et libertés sont menacés. Rien, et en tous cas pas la lettre du texte précité, ne l'interdit. Il faut, en outre, rappeler que, pour être reconnu dans toutes les entreprises, l'exercice du droit syndical doit respecter les droits et libertés garantis par la Constitution de la République (C. trav., art. L. 2141-4, al. 1er).

II - Les déplacements des délégués syndicaux et des salariés

  • Problématique

Le fait de déplacer le local syndical va, à l'évidence, avoir une répercussion sur le déplacement des délégués syndicaux et, plus largement, des salariés souhaitant y accéder. Pour être liés, ces déplacements doivent cependant être distingués, en ce qu'ils renvoient à des problématiques différentes. Cette distinction peut être déduite de l'arrêt rapporté, dans lequel la Cour de cassation prend soin d'apporter une réponse différente à ces deux problèmes, même si cela procède d'abord de la structure des différents pourvois.

Rappelons qu'en l'espèce, les syndicats s'étaient opposés au déménagement des locaux syndicaux en alléguant qu'il portait atteinte à la liberté de circulation des délégués syndicaux. Pour débouter les syndicats, les juges d'appel avaient retenu qu'il leur appartenait de vérifier si le nouveau local syndical présentait des avantages équivalents aux anciens et permettait le libre exercice du droit syndical. Or, tel était le cas, puisque, désormais, tous les salariés pouvaient avoir accès directement et librement au local situé sur le parking de l'établissement même en dehors des heures de travail, ce qui n'était pas le cas auparavant. En outre, les mesures de contrôle pour entrer et sortir du bâtiment de production ne concernaient désormais que les salariés désireux de se rendre au local syndical pendant la pause, et non plus comme avant tout le personnel.

La décision est à nouveau censurée par la Cour de cassation, au visa de l'alinéa 6 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, ensemble les articles L. 2141-4 et L. 2143-20 (N° Lexbase : L2212H9S) du Code du travail.

  • La solution

Pour la Chambre sociale, la cour d'appel a violé ces textes. Ainsi qu'elle le relève à l'appui de sa décision, "il résultait de ses constatations que les déplacements des délégués syndicaux ou des salariés pour aller de leur lieu de travail au local syndical, ou en revenir, les obligeaient à passer sous un portique de sécurité, à présenter un badge et éventuellement à subir une fouille, sans que l'employeur allègue que l'implantation du local syndical dans la zone de travail était impossible". Pour la Cour de cassation, tout cela caractérisait une atteinte à l'activité syndicale.

Cette solution, qui rejoint celle qui avait été retenue par la Chambre sociale dans l'arrêt précité du 26 septembre 2007, doit là encore être approuvée. En application de l'article L. 2143-20 du Code du travail, les délégués syndicaux peuvent circuler "librement" dans l'entreprise. Cette liberté de circulation présente concrètement une importance considérable dans la mesure où elle permet aux délégués syndicaux d'exercer leur mission. Quel pourrait être, en effet, le rôle d'un délégué syndical qui serait "rivé" à son poste de travail ?

Une telle liberté de déplacement n'est pas expressément reconnue au salarié, ce qui est, somme toute, heureux et normal. Cela étant, la liberté syndicale exige que les salariés puissent librement accéder au local syndical, que ce soit en leur qualité d'adhérent au groupement syndical, de sympathisant ou, plus simplement, en tant que membre de la collectivité du personnel dont les intérêts sont défendus par les délégués syndicaux.

L'employeur ne saurait apporter des restrictions aux déplacements des délégués syndicaux ou des salariés ou, à tout le moins, des restrictions qui ne seraient pas "justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché" (C. trav., art. L. 1121-1). Ces restrictions existaient bien en l'espèce. Elles se matérialisaient par le passage sous un portique de sécurité, la présentation d'un badge et, éventuellement, une fouille. De telles mesures de sécurité, par ailleurs justifiées, étaient à n'en point douter susceptibles de décourager les délégués syndicaux et autres salariés de se rendre au local syndical. Mais il y a sans doute plus grave : elles étaient de nature à permettre à l'employeur de contrôler l'activité des délégués syndicaux et, surtout, d'identifier les salariés se rendant au local.

Il importe, néanmoins, de relever que de tels desseins ne pouvaient être en l'occurrence prêtés à l'employeur puisque ces restrictions découlaient du déplacement du local syndical. Il importe de revenir sur cet élément, puisque, si l'on comprend bien le motif de principe de la Cour de cassation, ces restrictions auraient pu être admises si l'employeur avait démontré qu'il lui était impossible d'implanter le local dans la zone de travail. Il convient à cet égard de se montrer prudent. Ce n'est pas parce que l'employeur aurait établi cette impossibilité, que les restrictions précitées auraient été justifiées ou, plus exactement, proportionnées.


(1) Cass. soc., 26 septembre 2007, n° 06-13.810, Syndicat CFDT Servair 1, FS-P+B (N° Lexbase : A5806DYP), JCP éd. S, 2008, 1069, note B. Gauriau. Lire aussi, S. Tournaux, L'employeur peut-il contraindre les sections syndicales à changer de locaux, Lexbase Hebdo n° 276 du 11 octobre 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N6163BCA).

Décision

Cass. soc., 13 janvier 2010, n° 08-19.917, Syndicat Spasaf CFDT, FS-P+B+R (N° Lexbase : A2985EQM)

Cassation de CA Paris, 1ère ch., sect. A, 9 septembre 2008

Textes visés : Constitution du 27 octobre 1946, alinéa 6 du préambule ; C. trav., art. L. 2141-4 (N° Lexbase : L2149H9H) et L. 2143-20 (N° Lexbase : L2212H9S)

Mots-clefs : liberté syndicale, local syndical, déplacement par l'employeur, libre circulation des délégués syndicaux et des salariés, restrictions

Lien base : (N° Lexbase : E1844ETH)

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