La lettre juridique n°374 du 3 décembre 2009

La lettre juridique - Édition n°374

Éditorial

Invocabilité directe des Directives : Madame Perreux au pays des merveilles

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N5819BMH

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


"Tout doit être transposé. Parce que, n'est-ce pas, l'art c'est avant tout la transposition" nous livre Marc Doré...

Le lecteur sait combien, depuis Lucrèce (De rerum natura) et Bettelheim (Psychanalyse des contes de fées), nous sommes féru de contes et légendes en tout genre -en fait, c'est surtout depuis la naissance de notre premier fils et qu'il nous est apparu bien curieux que la tradition des histoires merveilleuses puisse être tant nécessaire à l'équilibre et au développement de l'enfant-. Alors, qu'il nous soit permis, à l'approche de la Sainte Lucie, d'éclairer, pour ne pas dire de transposer, la solution retentissante dégagée par le Conseil d'Etat, dans un arrêt rendu le 30 octobre 2009, par laquelle tout justiciable peut se prévaloir, à l'appui d'un recours dirigé contre un acte administratif, des dispositions d'une Directive dont le délai de transposition est expiré, à la lumière d'une histoire enfantine américaine de Charles Lutwidge Dodgson... Mais, si ! Vous connaissez : le Lewis Caroll d'Alice au pays des merveilles... Car, aussi paradoxal, absurde, et bizarre que cela puisse paraître, tous les acteurs de cette fable judiciaire se retrouvent, pèle-mêle... dans le terrier du Lapin blanc.

Le rôle d'Alice est, ici, tenu par une magistrate de renom qui s'ennuie auprès de ses consoeurs qui lisent des codes ennuyeux (sans images, ni dialogues), alors qu'elle rêve d'un poste de chargé de formation à l'Ecole nationale de la magistrature (ENM), pour apporter son grain de sel, ses idées nouvelles sur le métier ; mais le poste lui est refusé, du fait de son engagement syndical, nous livre-t-elle... Abasourdie par tant de discrimination, elle est tirée de son effarement quand elle voit passer un Lapin blanc aux yeux roses, vêtu d'une redingote, qui court en s'écriant : "Je suis en retard ! En retard ! En retard !"... Ce Lapin blanc n'est autre que notre article 10 de la Directive (CE) 2000/78 du Conseil du 27 novembre 2000, portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail, dont le délai de transposition a expiré le 2 décembre 2003, donc antérieurement à la date des décisions de refus attaquées, cette disposition n'ayant été transposée de manière générale que par l'article 4 de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations...

Suivant la voie de l'invocabilité directe d'une Directive non transposée dans les délais requis, notre magistrate-Alice, "curieuse, extravagamment curieuse" nous la décrit l'auteur, entre, alors, dans le terrier, et fait une chute interminable qui l'emmène dans un monde fantastique... D'aucuns diront absurde, où il convient, pour en sortir, de tout relativiser et de chercher la logique, le bon sens... le monde de la souveraineté juridique où de la loi, de la Constitution, du Traité, du Règlement et de la Directive, on ne sait plus, très bien, quelle doit être notre "Reine de coeur"...

Alors, on sait qu'Alice, notre magistrate, trouve un petit flacon, sur une table dans une pièce souterraine, avec l'indication "bois-moi". Elle suit les arcanes de la procédure (administrative), elle s'exécute et... rétrécit à la vue de l'immense défi qui l'attends : l'arrêt "Cohn-Bendit", cadeau de Noël de la Haute juridiction administrative à la veille des premières élections européennes. Elle mange, ensuite, un gâteau qui se trouve sous la table, dans une boîte sur laquelle est écrit : "mange-moi". Elle s'attend à grandir, mais rien ne se passe. L'arrêt du 22 décembre 1978 est implacable : les Directives ne sauraient être invoquées par les ressortissants des Etats de l'Union à l'appui d'un recours dirigé contre un acte administratif individuel.

La magistrate se met à pleurer et se retrouve, alors... dans l'une de ses larmes. Elle y rencontre un Canard, un Dodo, un Lori et un Aiglon... et l'on sait combien ce quatuor symbolise, pour l'auteur, le pouvoir politique (anglais pour Lewis).

Alors, il est question d'une course à la Comitarde ! Il s'agit, pour les non-initiés, d'être le plus rapide à prendre position pour gagner... ici, un dé à coudre ! Ce sont, d'abord, les arrêts "Van Gend en Loos", en 1963, et "Costa c/ Enel", en 1965, de la Cour de justice européenne, qui affirment que les normes européennes créent "un ordre juridique souverain" s'imposant sur "un texte interne quel qu'il soit". Mais, le Conseil d'Etat ne l'entendit pas de cette oreille et claironna sa jurisprudence "Cohn-Bendit" sur la non invocabilité, déjà présentée ! Puis, le Conseil constitutionnel s'en mêle, lui-même, et s'il réaffirme la primauté de la Constitution dans sa décision "Sarran", il en place, désormais, l'essentiel "sous le chapeau de l'article 88-1" qui dispose que "La République participe aux Communautés européennes et à l'Union européenne, constituées d'Etats qui ont choisi librement, en vertu des traités qui les ont instituées, d'exercer en commun certaines de leurs compétences". Par là même, seuls les articles 1er (sur la République est laïque) et 3 (sur le corps électoral) ne sont pas inféodés à la Norme européenne.

S'en suit une longue histoire sans fin, racontée par une Souris, pour engourdir notre héroïne : en l'espèce, si certains éléments peuvent faire présumer l'existence d'une discrimination, il ressort des pièces du dossier et, notamment, des éléments de comparaison produits en défense par le Garde des Sceaux, que la décision de nommer une autre personne plutôt que la requérante au poste de chargé de formation à l'ENM repose sur des motifs tenant aux capacités, aptitudes et mérites respectifs des candidates. La préférence accordée à la candidature de la personne finalement retenue procédait, en effet, d'une analyse comparée des évaluations professionnelles des deux magistrates, et était, également, en correspondance avec les critères fixés préalablement dans la description du poste publiée par l'école, tenant au fonctionnement et aux caractéristiques de l'équipe pédagogique, ainsi qu'aux capacités linguistiques requises par ses missions internationales.

La requête d'Alice est donc finalement rejetée. Elle se retrouve seule... Le Lapin blanc revient, l'interpelle et l'appelle "Marianne" -France revoilà ton sacerdoce !- : et notre héroïne magistrate qui demeure convaincu qu'il est temps que les choses bougent, que l'invocabilité directe des Directives européennes ce n'est pas l'abandon de la souveraineté législative, c'est la consécration de la souveraineté européenne, de la souveraineté concertée ; et ce, même si le taux de transposition français avoisine fièrement, désormais, les 98,9 %. Quelle valeur juridique, quelle opposabilité pour les points en pourcentage restant ?

Notre effrontée magistrate rencontre, alors, sur son chemin, par chance, un Ver à soie fumant le narguilé sur un champignon. Le rapporteur public Mattias Guyomar, dans ses fantasmagoriques conclusions, proposent, rien de moins, que d'abandonner la jurisprudence "Cohn-Bendit" sur l'absence d'effet direct d'une Directive communautaire lorsqu'elle est invoquée contre une décision individuelle. Abandonner ? Oui, parce que malgré quelques tempéraments, au cours de la décennie précédente, le Conseil d'Etat avait, encore en 2005 (arrêt "Syndicat d'agglomération nouvelle ouest Provence"), réaffirmé son attachement à sa jurisprudence traditionnelle. Et, les frères Tweedeldee et Tweedeldum de se contredire sans arrêt...

Alice, de concert avec le Ver à soie, récite, alors, un poème où il est question de vieillesse, du temps qui passe, et finalement de modernité... Le Ver s'efface, notre magistrate intrépide mange deux bouts de champignon, espérant retrouver sa taille normale : mais avec le premier, son corps disparaît et sa tête est à terre ; avec le second, son cou s'allonge terriblement et sa tête se retrouve au dessus des arbres. Quelle est la juste taille, le juste tempérament ?

Passons le Pigeon, la Duchesse Natricia et le Chat du Cheshire, Alice s'avance, à pas certain, vers la maison du Lièvre de Mars. Et, là, la magistrate s'assied pour boire une tasse de thé en compagnie du Chapelier du Conseil d'Etat, du Lièvre de la CJCE et du Loir de la CEDH. Les explications contradictoires s'enchaînent : pour le Chapelier, 75 % de notre législation provient des Directives européennes, alors un peu de patience ! Toute invocabilité viendra à point nommé ; il est, certes, possible d'invoquer par la voie de l'exception la contrariété à une Directive suffisamment précise de dispositions de droit interne qui servent de fondement à l'acte individuel, y compris si l'incompatibilité résulte d'une loi ne comportant par la disposition exigée par la Directive (arrêt "Cabinet Revert et Badelon") et même si s'interpose un "règle nationale applicable", c'est-à-dire la jurisprudence administrative (arrêt "Tête"). Mais, Le Lièvre de Mars et le Loir -citant le Professeur Paul Cassia -, rappellent que la possibilité pour les Directives d'avoir un effet direct a, déjà, été reconnue non seulement par la Cour européenne des droits de l'Homme (arrêt "Bosphorus"), mais également par le Conseil constitutionnel, qui a considéré que certaines Directives pouvaient comporter des "dispositions inconditionnelles et précises" (décision n° 2004-496 sur la loi pour la confiance dans l'économie numérique). La jurisprudence "Cohn-Bendit" apparaît, dès lors, incompatible avec les exigences de la jurisprudence de la Cour de justice sur "l'effet utile" des Directives (arrêt "Van Duyn").

Au Pays des merveilles, le temps est déréglé, au point qu'il n'y en a pas assez, comme pour le Lapin blanc toujours pressé, ou, au point que l'on soit condamné à vivre éternellement à l'heure du thé, comme pour le Chapelier.

Notre héroïque magistrate s'enfuit, mange, à nouveau, un champignon, rétrécit et finit par atterrir dans un grand jardin lumineux. Elle y rencontre, souveraineté suprême, la Reine de coeur qui veut... lui couper la tête.

Exit l'histoire de la Tortue "Fantaisie", du quadrille des homards, notre héroïne, qui a, à nouveau, grandi, renverse le banc des jurés et clame bien fort devant le tribunal que la transposition en droit interne des Directives communautaires "est une obligation résultant du Traité instituant la Communauté européenne" et "revêt, en outre, en vertu de l'article 88-1 de la Constitution, le caractère d'une obligation constitutionnelle". "Tout justiciable peut se prévaloir, à l'appui d'un recours dirigé contre un acte administratif non réglementaire, des dispositions précises et inconditionnelles d'une directive, lorsque l'Etat n'a pas pris, dans les délais impartis par celle-ci, les mesures de transposition nécessaires".

Les cartes (toutes de la même couleur, celle du coeur) sont jetées et Alice se réveille couchée sur un talus... avec toute sa tête, mais toujours en compagnie de ses consoeurs...

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[Jurisprudence] L'extinction d'un gage garantissant partiellement une dette : considérations autour de l'arrêt de l'Assemblée plénière du 6 novembre 2009

Réf. : Ass. plén., 6 novembre 2009, n° 08-17.095, Société NACC c/ Société GAN assurances IARD, P+B+R+I (N° Lexbase : A8064EMM)

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par Alexandre Bordenave, Avocat au Barreau des Hauts-de-Seine, chargé d'enseignement à l'ENS Cachan

Le 07 Octobre 2010

Ponctuellement, le prisme juridique invite à reconsidérer certains adages populaires. A l'appui de notre proposition, un arrêt de la formation la plus solennelle de la Cour de cassation en date du 6 novembre 2009 dont la moralité très "fontenoise" (1) pourrait être : "en fait de sûretés réelles, qui paie ses dettes enrichit nécessairement son garant".
L'affaire qui nous mobilise comprend plusieurs bandes (2) : un établissement de crédit consent à l'une de ses clientes une autorisation de découvert plafonnée (la précision est d'extrême importance) (ci-après le découvert autorisé). Sont affectés en garantie de cette dette divers biens mobiliers, confiés aux fins de vente publique à un commissaire-priseur. Justement, l'avance est remboursable en cas de vente publique des biens gagés. L'adjudication a lieu et le commissaire-priseur verse à cette dernière le produit de la vente. Une difficulté survient : le montant de la vente ne suffit pas à éteindre complètement la créance de l'établissement de crédit ; or, deux consoles remises en gage ont été restituées à la débitrice, faute d'avoir trouvées preneur. Reprochant au commissaire-priseur cette restitution, le cessionnaire de la créance de découvert autorisé (3) l'assigne pour manquement à ses obligations professionnelles en paiement des sommes restant dues.
Devant la cour d'appel, le créancier n'obtient pas gain de cause : les juges réformateurs retiennent que, ayant satisfait à ses obligations en remettant à l'établissement prêteur le produit de la vente des biens gagés, le commissaire-priseur pouvait restituer les consoles invendues. Le fait est que la partie restée impayée de la créance correspondait à un dépassement du découvert autorisé accepté par la banque (le dépassement) : rien ne permettant de penser que l'assiette du gage était extensible au dépassement, le commissaire-priseur ne pouvait être tenu de conserver des biens pour le compte du créancier dès lors que la dette garantie était éteinte.
Le 25 mai 2005, la première chambre civile retient une position contraire (4) : se fondant sur l'article 2082 du Code civil (N° Lexbase : L2320ABK), alors applicable, dont l'alinéa 1er dispose que "le débiteur ne peut, à moins que le détenteur du gage n'en abuse, [en] réclamer la restitution [de la chose gagée] qu'après avoir entièrement payé, tant en principal qu'intérêts et frais, la dette pour sûreté de laquelle le gage a été donné" (5), elle décide que la dette garantie n'était pas éteinte dès lors que le compte de la cliente de la banque était resté débiteur après versement du produit de la vente. Or, "[ce] versement s'imputant d'abord [...] sur la portion non garantie de la dette née de l'autorisation de découvert", la dette principale ne se trouvait pas éteinte. Il est des contentieux au long cours ; celui-ci en est ! Car la cour d'appel de renvoi (6) ne se plie pas aux vues de la Cour de cassation : un nouveau pourvoi est formé par le créancier et l'Assemblée plénière se trouve alors devoir rejuger notre affaire. Que lui faut-il trancher ? Simplement le point de savoir s'il demeurait une dette garantie.

A cette question, elle répond par la négative, en estimant que "lorsqu'un gage garantit partiellement une dette, le versement résultant de sa réalisation s'impute sur le montant pour lequel la sûreté a été consentie". La solution est nette et largement fondée par le bon sens juridique : au point que l'on puisse être étonné qu'elle ait mis tant de temps à venir au jour !

Nous nous proposons d'étudier cette décision simple à l'autorité difficilement contestable, et frappée de la tétralogie "P+B+R+I", comment elle se fonde sur l'assiette du gage (I) et en quoi c'est une solution à "panthéoniser" (7) (II).

I - Une solution simple, tirée de l'objet de la sûreté

En jugeant, en l'espèce, que les paiements réalisés par le commissaire-priseur à hauteur de la vente de la quasi-intégralité des biens affectés en garantie ont éteint la dette garantie, la Cour de cassation forge son opinion sur une analyse des relations contractuelles de la débitrice avec la banque (A) afin d'en tirer des conséquences eu égard aux obligations garanties (B).

A - L'analyse des dettes en présence

Dans l'espèce qui nous retient à l'occasion de ces quelques lignes, la débitrice principale avait obtenu de sa banque le découvert autorisé, qui doit vraisemblablement être rangé dans la catégorie des ouvertures de crédit de l'article L. 311-9 du Code de la consommation (N° Lexbase : L9650G8W). Ce découvert était plafonné. Toutefois, le contrat de prêt stipulait une faculté pour l'emprunteur de solliciter à titre exceptionnel un déplafonnement du découvert autorisé : c'est ce qu'accepta le prêteur en octroyant le dépassement. Au jour où les sommes résultant de la vente publique des biens gagés furent transmises à l'établissement de crédit, existait donc une créance de restitution portant sur les sommes résultant tant du découvert autorisé que du dépassement.

Nés d'un seul et même contrat, le découvert autorisé et le dépassement pourraient être analysés comme une seule et même dette qui présenterait seulement la caractéristique d'être née en deux temps. De manière plus convaincante, on pourrait également avancer que le dépassement est un accessoire du découvert autorisé (8). Toutefois, à bien y réfléchir, découvert autorisé et dépassement semblent bel et bien constituer deux dettes séparées : certes, elles partagent une matrice (le contrat de prêt, qui joue alors le rôle de convention-cadre), mais, dans notre esprit, elles présentent des qualités à ce point divergentes qu'elles ne peuvent raisonnablement se confondre au point de n'être qu'une dette unique. Une lecture différente se serait imposée si la dette de la débitrice avait été constituée des sommes dues à la banque au titre de plusieurs tirages successifs au titre du seul découvert autorisé.

Pourtant, dans son attendu principal, l'Assemblée plénière se réfère à une dette partiellement garantie et non pas à une pluralité de dettes, dont l'une seulement serait garantie. De sa part, ce n'était peut-être pas la façon la plus simple pour présenter le point de départ du raisonnement permettant de dégager une réponse satisfaisante à apporter au second pourvoi dont la Cour de cassation était saisie dans ce contentieux ; toutefois, à l'aune des conclusions qu'elle en tire, il n'est pas exclu qu'elle ait voulu ainsi rafraîchir des positions prises précédemment. Nous y reviendrons.

B - La détermination des obligations garanties

Ceci exposé, notre sentiment est que le droit commun des sûretés réelles est la source de lumière adéquate pour éclairer notre route vers les ressorts profonds de la décision. A cet égard, il faut se remémorer que, à défaut d'être placées sous l'égide d'un pseudo numerus clausus (9), les sûretés réelles demeurent largement sujettes aux deux règles d'ordre cardinal que sont le principe de l'accessoire (10) et le principe de spécialité (ou au moins ce qu'il en reste) (11).

Nous pensons trouver notre salut dans les méandres de ce second principe : une sûreté réelle (tel le gage constitué en l'espèce) étant affectée à la seule garantie des obligations déterminées dans l'acte de sûreté, elle n'a pas vocation à s'étendre de plein droit à une autre dette.

Or, comme cela a été souligné plus avant, la seule obligation garantie ici était le découvert autorisé : sans qu'il en soit explicitement exclu, le dépassement n'entrait pas dans l'assiette du gage (12). Considérer que découvert autorisé et dépassement n'étaient que les deux faces d'une seule et même dette, ce qui est manifestement le cas pour l'Assemblée plénière, ne change pas grand-chose à l'affaire : les obligations garanties par le gage peuvent être limitées à une portion d'une dette, comme un cautionnement peut être plafonné. En l'espèce, on peut donc tout aussi bien admettre que la dette globale de la cliente envers sa banque n'était que partiellement garantie par le gage, à hauteur du seul découvert autorisé.

En conséquence, une fois les produits de la vente des biens gagés affectés au paiement du découvert autorisé, seule fraction de la dette de la cliente qui était garantie (ou seule dette garantie, c'est selon...), rien ne pouvait véritablement justifier un devoir par le commissaire-priseur de conserver les deux consoles invendues au profit de la banque. Et voilà que le principe de l'accessoire fait son entrée triomphale ! Le "résidu de gage" portant sur les biens restés sans acquéreur se trouvait éteint du simple fait de l'extinction (même partielle) du rapport d'obligation principal, délivrant le commissaire-priseur de ses obligations : accessorium sequitur...

Ainsi présenté et analysé, l'arrêt du 6 novembre 2009 convainc comme un authentique rasoir d'Occam : il tranche net un débat de longue date (pour les parties), avec beaucoup de pureté puisqu'apparemment fondé sur des principes simples, peu débattus. Néanmoins, par prudence, reste à s'assurer que cette belle lame ne dissimule pas quelque poison à la mode bulgare. Bien au contraire ! Elle est vertueuse.

II - Une solution simple, pétrie de vertus

La position dégagée par l'Assemblée plénière est appréciable pour deux raisons : elle est favorable au débiteur, avec force d'arguments (A) et elle est imprégnée d'une solide cohérence avec le droit des sûretés (B).

A - La faveur donnée avec raison au débiteur

Un esprit audacieux pourrait opposer un argument d'ordre économique au raisonnement tenu précédemment : en matière de sûretés réelles, compte tenu de ce que les qualités de constituant et de débiteur sont souvent réunies sur un seul et même chef -le débiteur-, quelle différence y a-t-il à ce que la dette garantie soit payée à partir des sommes résultant de la réalisation de la sûreté plutôt qu'à partir du "gage général" (qui, pour le créancier gagiste englobe matériellement les biens gagés) (13) ? Economiquement, peu de choses : on a une même dette, un même créancier et un même payeur. Ainsi, dans notre espèce, où la cliente de l'établissement prêteur était à la fois débitrice et constituante du gage, on pourrait vouloir contester la seule imputation sur le découvert autorisé.

Ce discours ne résiste pas au filtre de la rigueur juridique : dès lors que le créancier gagiste use de sa "cause légitime de préférence", il importe peu que le paiement provienne du patrimoine du débiteur/constituant, comme cela aurait été le cas dans le scénario de paiement réputé normal. La préférence offerte par le gage ne doit, évidemment, profiter qu'à la seule obligation garantie (ici, le découvert autorisé).

Ce qu'oublierait également ce discours cursif, c'est que le constituant d'un gage est parfois une caution réelle, dont le régime doit être aussi proche que possible de celui applicable au débiteur mettant en place une sûreté réelle "pour lui-même" (14) :
- dans pareil scénario, la considération économique évoquée précédemment s'effondre puisqu'émerge au grand jour la différence qu'il y a à se faire payer sur le bien gagé plutôt que sur le patrimoine du débiteur ;
- la sûreté constituée par un tiers étant susceptible de générer des coûts pour le débiteur, il est rationnel d'éteindre d'abord la dette la plus onéreuse.

Clairement, c'est donc côté débiteur que l'Assemblée plénière semble placer sa mansuétude. Ce faisant, la solution est aussi favorable au constituant (nonobstant le fait qu'il soit en plus débiteur ou non) puisqu'en faisant disparaître plus rapidement la sûreté, elle lui permet de ne pas inutilement immobiliser un actif.

B - La contribution à la cohérence du droit des sûretés

Certains de nos lecteurs réguliers savent peut-être l'attachement que nous avons pour l'aphorisme qui tient lieu de titre à une pièce d'Oscar Wilde : l'importance d'être constant. Beaucoup de constance anime l'arrêt du 6 novembre 2009, il n'étonnera donc guère que nous l'appréciions.

D'abord, c'est vrai en ce qu'il paraît renouveler habilement des décisions rendues précédemment au sujet du cautionnement. Le système mis en place en cette dernière matière par la Cour de cassation peut être résumé comme suit :
- si un cautionnement ne porte que sur une partie d'une dette garantie, alors le paiement partiel fait par le débiteur principal s'impute sur la portion de la dette non cautionnée (15) ;
- tandis qu'en présence de plusieurs dettes distinctes dont certaines seulement font l'objet d'un cautionnement, les paiements s'imputent d'abord sur la dette garantie (16).

Ce sont des vues que l'on explique avec aisance : parce que le cautionnement est une sûreté pour le créancier, mieux vaut le laisser survivre le plus longtemps possible aux paiements faits par le débiteur principal. Et, dans le même temps, comme la dette cautionnée est généralement plus onéreuse que la dette chirographaire (17), s'il y a pluralité de dettes, il est préférable d'éteindre d'abord la plus coûteuse.

Toutefois, si l'on reprend l'attendu principal de novembre 2009, force est de constater que, pour ce qui est du gage, l'Assemblée plénière adopte une position différente : face à une seule même dette partiellement garantie, elle efface prioritairement la portion sécurisée. Pour des raisons décrites plus haut, notre sentiment est qu'il en serait de même avec une pluralité de dettes dont l'une seule serait garantie : aussi, serait-on tenter de considérer que l'arrêt propose une unicité de solutions pour les sûretés réelles quand le droit des sûretés personnelles est animé par un régime dual (car, à ce jour, il est incertain qu'il faille jeter aux orties les arrêts rendus sur ce terrain). Cela peut rester cohérent avec la solution valant pour le cautionnement : même si ce n'est pas systématiquement le cas (loin s'en défaut ; nous l'avons rappelé), le constituant étant fréquemment le débiteur, il est de bon ton de vouloir le décharger le plus souvent et le plus vite possible. Le gage apporte de la qualité au créancier, quand le cautionnement joue sur la quantité : cela devrait justifier une différence, en toute cohérence, de traitement.

Ensuite, relevons que l'arrêt emporte une forme de cohérence prospective au sein du droit des sûretés réelles conventionnelles (18). En effet, en dépit de l'emploi du terme "gage" dans l'attendu principal -impliquant une approche plutôt restrictive-, sa solution devrait raisonnablement pouvoir être généralisée aux sûretés conventionnelles que sont les "nouveaux" gage et nantissement, issus de l'ordonnance du 23 mars 2006 (19), ainsi qu'aux sûretés réelles immobilières (bien que l'hypothèque soit indiscutablement moins "spéciale" depuis l'émergence de sa version rechargeable (20)).

Enfin, c'est presque ostensiblement qu'émerge la contribution cohérente de l'arrêt étudié au mouvement de contractualisation du droit des sûretés, flux qui a apporté à notre droit la reconnaissance du pacte de commissoire (21) ou les exotiques garanties financières susceptibles d'être réalisées au seul gré des stipulations contractuelles nonobstant les procédures du livre VI du Code de commerce (22). L'arrêt de l'Assemblée plénière est une éminente manifestation du fait que le droit des sûretés renforce sa vocation conventionnelle : les rédacteurs d'actes sont incités à prendre en main leur plume la plus large, mais aussi la plus précise, afin d'assurer que les obligations garanties soient les plus étendues possibles sans pour autant tomber dans les travers que constituent l'absence de spécialité de la sûreté réelle et d'un objet suffisamment déterminé ou déterminable (au nom de l'article 1129 du Code civil N° Lexbase : L1229AB7). Les juges condamnent, mais ils n'entravent pas la liberté contractuelle : ce qui doit conduire à modérer notre conclusion selon laquelle l'arrêt est défavorable au créancier. Qu'il soit prudent, voilà tout.

La solution dégagée le 6 novembre 2009 par l'Assemblée plénière induit une forme de subordination entre la dette garantie par un gage et la dette chirographaire, pour peu que les deux dettes soient distinctes tout en concernant les mêmes parties. Figure imposée de la finance structurée (23), la subordination est bien connue du droit français qui lui consacre plusieurs textes (24) ; les parties s'en sont saisies de longue date sans que la jurisprudence ou la doctrine n'organisent de chasse aux sorcières aux dépens de cette technique (25) que l'on analyse généralement comme une remise de dette sous condition suspensive de l'absence de paiement de la dette d'un autre créancier de son débiteur. A notre sens, dans le contexte étudié et en matière de gage, le discours sur la subordination, même s'il est séduisant et intéressant, est quelque peu surabondant ; c'est certainement différent depour le cautionnement, comme l'illustrent les arrêts précités. Ajoutons que l'arrêt de 2005 qui y recourrait, au moins tacitement, est aujourd'hui démenti... Certainement, l'idée n'était donc pas la meilleure ! Il n'en demeure pas moins qu'il reste une subordination de fait que la volonté des parties devrait pouvoir défaire ou réaménager. Encore plus que notre assertion introductive -qui demeure valable puisque la dette garantie s'amortit prioritairement, faisant par là le bonheur du constituant de la sûreté-, c'est bel et bien la morale du jour : "à l'oeuvre, on connaît l'artisan" (26), il y a le rédacteur d'acte faisant la gloire à sa sûreté et les autres !


(1) Néologisme que nous nous autorisons pour décrire le style de Jean de La Fontaine (en singeant au passage le gentilé de Fontaine-lès-Dijon, petite ville de Côte d'Or... berceau de Saint Bernard de Clairvaux : mais, c'est une autre histoire !).
(2) Le regretté Cozian aurait écrit "plusieurs plumes", cf. la préface du précis co-signé avec les Professeurs Viandier et Deboissy.
(3) Une société spécialisée dans le recouvrement de créances contentieuses, sans nul doute autorisée au titre du décret n° 96-1112 du 18 décembre 1996, portant réglementation de l'activité des personnes procédant au recouvrement amiable des créances pour le compte d'autrui (N° Lexbase : L5127ARC).
(4) Cass. civ. 1, 25 mai 2005, n° 03-17.022, Société NACC c/ M. Jacques Tajan, F-D (N° Lexbase : A4180DIN), et le commentaire qu'en fait le Ph. Delebecque dans la chronique signée avec le Professeur Ph. Simler, JCP éd. G, 2005, I, 185, n° 16.
(5) Depuis l'ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006, relative aux sûretés (N° Lexbase : L8127HHH), l'essence de l'article 2082 est reprise à l'article 2239 (N° Lexbase : L7224IAS) : "Le constituant ne peut exiger la radiation de l'inscription ou la restitution du bien gagé qu'après avoir entièrement payé la dette garantie en principal, intérêts et frais".
(6) CA Paris, 1ère ch., sect. A., 13 mai 2008.
(7) C'est dans l'air...
(8) Sur la notion d'accessoire d'une créance, voir M. Cabrillac, Les accessoires de la créance, Etudes Weill, 1983, Dalloz-Litec, p. 107.
(9) Cf., par ex., J. Mestre, E. Putman et M. Billiau, Traité de droit civil - Droit commun des sûretés réelles, sous la direction de J. Ghestin, LGDJ, 1996, p. 233, n° 238.
(10) Si l'on s'en tient aux éléments de définition de toute sûreté qu'énonce le Professeur Crocq, dans sa thèse (P. Crocq, Propriété et garantie, LGDJ, coll. Bibliothèque de droit privé, t. 248, 1995, n° 282, p. 234).
(11) Cf. P. Crocq, Le principe de spécialité des sûretés réelles : chronique d'un déclin annoncé, Droit et patrimoine, 2001, n° 92, p. 58.
(12) Sauf à forcer le contrat, ce que le juge judiciaire refuse en se cantonnant à interpréter : Cass. civ., 6 mars 1876, Canal de Craponne.
(13) Celui de l'article 2285 (N° Lexbase : L1113HI3 ; C. civ., 2093 N° Lexbase : L2332ABY) à l'époque des faits aboutissant à l'arrêt).
(14) Cf. Cass. mixte, 2 décembre 2005, n° 03-18.210, Mme Yvette Pasquier, épouse Boudaud c/ BNP Paribas, P (N° Lexbase : A9389DLC). La prose ne manque pas sur cette décision ; on peut s'arrêter à Ph. Simler, JCP éd. G, 2005, II, 10183.
(15) Cass. com., 28 janvier 1997, n° 95-18.692, M. Clermont et autre c/ URSSAF du Puy-de-Dôme et autre (N° Lexbase : A1978ACA), Bull. civ. IV, n° 306.
(16) Cass. civ. 1, 29 octobre 1963, n° 62-10.287, Villette c/ Epoux Férandelle (N° Lexbase : A2758AUP), Bull. civ. I, n° 462.
(17) Parce que le recours à une caution, souvent professionnelle, génère des frais pour le débiteur.
(18) De notre point de vue, l'enjeu n'est pas tellement de savoir si les privilèges ou sûretés judiciaires sont soumises au même sort : c'est une police de la volonté des contractants qu'organise l'Assemblée plénière.
(19) Au rang desquels, une nouvelle fois, le gage de l'espèce ne s'inscrivait pas car constitué en 1994.
(20) A laquelle le professeur Grimaldi a consacré quelques pages d'une grande richesse : M. Grimaldi, L'hypothèque rechargeable et le prêt viager hypothécaire, D., 2006, 1295, n° 4.
(21) C. civ., art. 2348 (N° Lexbase : L1175HID).
(22) C. mon. fin., art. L. 211-40 (N° Lexbase : L5499ICN).
(23) Cf. Z. Sekfali, Droit des financements structurés, Revue Banque Edition, 2004, p. 145 et s..
(24)Ainsi, le régime des prêts et titres participatifs (C. mon. fin., art. L. 313-15 N° Lexbase : L7979HB7 et C. com., art. L. 228-36, al. 4 N° Lexbase : L6211AIU) ou des titres subordonnés (C. com., art. L. 228-97 N° Lexbase : L8340GQX).
(24) A cet égard, voir la thèse d'un autre juriste regretté : Vasseur, Le principe d'égalité entre les créanciers chirographaires dans la faillite, 1949, Rousseau, p. 122, n° 78 et s..
(25) Morale de la fable de Jean de la Fontaine Les Frelons et les mouches à miel.

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Sociétés

[Jurisprudence] La donation portant seulement sur des droits sociaux ne s'étend pas au solde créditeur du compte courant du donateur

Réf. : Cass. civ. 3, 18 novembre 2009, n° 08-18.740, Mme Anahide Altiparmakian, épouse Pétrejean, FS-P+B (N° Lexbase : A7472EN3)

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N5803BMU

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par Vincent Téchené, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo édition privée générale

Le 07 Octobre 2010

Véritable outil au service de la gestion d'une entreprise, les apports en compte courant d'associés remportent un franc succès en raison de leur grande souplesse d'utilisation et des nombreux avantages qu'ils présentent. Ainsi, face à des besoins momentanés de trésorerie, excédant les ressources en capitaux permanents, les associés peuvent consentir des "prêts" à la société, qui aura alors la possibilité de déduire les intérêts versés aux associés de ses bénéfices imposables. Au-delà, cet "apport" provisoire de fonds à la société pourra même lui permettre d'accroître sa capacité d'endettement puisque, dans certaines circonstances, les banques vont considérer les apports en comptes courants d'associés comme des quasi-fonds propres soit, notamment, qu'ils contiennent une convention de blocage (1), soit qu'une cession d'antériorité de créances (2) est prévue.
Si les apports en comptes courants peuvent, parfois, apparaître comme un substitut à un capital insuffisant, ils ne sauraient, pour autant, être assimilés à des apports de capital et connaissent, de la sorte, un régime distinct de celui des apports en société. C'est ce que vient de rappeler la troisième chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 18 novembre 2009, dans lequel elle énonce, au visa de l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC), que la donation-partage qui ne porte que sur les droits d'associés eux-mêmes, sans autre précision, ne peut pas s'étendre, en l'absence de clause particulière au solde créditeur du compte courant du donateur. En l'espèce, l'associée d'une société civile immobilière a consenti à ses deux enfants une donation-partage portant, entre autres, sur les parts de ladite SCI, dont 25 ont été attribuées à son fils et 5 à sa fille. Par la suite, la donatrice est décédée et son fils a renoncé à sa succession. Soutenant qu'en sa qualité de seule héritière, elle était titulaire de la créance en compte courant de sa mère, la fille a assigné son frère et la SCI pour faire figurer la somme correspondante au solde créditeur du compte courant dans l'actif successoral et obtenir la rectification des écritures comptables de la société. La cour d'appel d'Aix-en-Provence a rejeté sa demande, relevant que l'expert-comptable de la société avait procédé dans les écritures au solde du compte courant et l'avait ventilé de la manière suivante : 171 272,76 euros pour le fils et 42 818,19 euros pour la fille sur les bases de la "donation", savoir 20 parts/5 parts. Par conséquent, au décès de la donatrice, son compte courant était égal à zéro, de sorte que son actif successoral ne pouvait comporter la somme litigieuse, déjà distribuée, et rien ne permettait de dire que la donatrice avait contesté de son vivant les modalités du transfert de son compte courant aux nouveaux associés.

C'est donc un arrêt de censure que nous livre la Cour régulatrice : "en statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que la donation-partage ne portant que sur les droits d'associés eux-mêmes, sans autre précision, ne pouvait s'étendre en l'absence de clause particulière au solde créditeur de son compte courant, la cour d'appel, qui n'a pas constaté le consentement de [la donataire] à la cession de sa créance en compte courant, a violé [l'article 1134 du Code civil]".

Les comptes courants d'associés sont traditionnellement définis par la jurisprudence comme une avance consentie par l'associé à la société, en sus de son apport et qui confère, dès lors, à l'associé la qualité de créancier social, qualité qui s'ajoute finalement à celle d'associé, mais qui doit s'en distinguer (3). Ainsi, a-t-il été jugé que les avances en compte courant, effectuées lors de la constitution d'une société, ne peuvent être qualifiées d'appels de fonds nécessaires à I'exécution de contrats de vente conclus ou à I'achèvement de programmes en cours de réalisation dont le montant devrait être pris en compte pour déterminer les droits sociaux des associés (4). Encore et s'agissant d'une SCI, comme dans l'espèce ayant donné lieu à l'arrêt du 28 novembre 2009, la Cour de cassation a retenu que la somme inscrite dans les comptes en tant que dette à court terme, sous le titre compte courant d'associé, ne constitue pas un apport complémentaire impliquant une augmentation de capital et la création de parts nouvelles au profit de l'associé, mais s'analyse en une avance faite par l'associé à la société, conférant à celui-ci la qualité de créancier social (5).

De cette qualité de créancier social, qui vient donc s'adjoindre à celle d'associé, découlent des conséquences importantes. Tout d'abord, les comptes courants d'associés constituent des dettes de la société qui en doit le remboursement, étant précisé qu'ils ont pour caractéristique essentielle -la solution est acquise et nous ne reviendrons pas dessus-, en l'absence de convention particulière ou statutaire, d'être remboursables à tout moment (6), la société ne pouvant y opposer ses difficultés financières (7), de telle sorte que l'"associé-prêteur" peut demander le remboursement de son compte courant dans le cadre des opérations de liquidation de la société (8).

Autre conséquence importante, l'apporteur de fonds en compte courant d'associés, dès lors qu'il revêt la qualité de créancier, va se retrouver soumis au droit des entreprises en difficultés : il doit, conformément à l'article L. 622-24 du Code de commerce (N° Lexbase : L3455ICX), déclarer sa créance (9), encore, le remboursement pouvant être demandé à tout moment, il ne tombe pas, par principe, sous le coup des nullités de la période suspecte de l'article L. 632-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L3497ICI) (10). Toutefois, le remboursement pendant la période suspecte de la créance de compte courant stipulé à vue pourra être attaqué sur le fondement de l'article L. 632-2 du Code de commerce (N° Lexbase : L3422ICQ) sur la nullité des paiements pour dettes échues, si ceux qui ont traité avec le débiteur ont eu connaissance de la cessation des paiements, étant précisé que la qualité d'associé ne suffit pas, par elle-même, à démontrer qu'il dispose de tous les éléments d'appréciation de la situation réelle de la société (11), mais qu'il a pu être jugé, au contraire, qu'en sa qualité de dirigeant, le gérant qui connaissait nécessairement les difficultés de la société, et en a profité pour solder son compte courant au détriment des autres associés doit être condamné au remboursement au profit de la procédure collective (12).

Au-delà du seul remboursement du solde du compte courant d'associé, le fait que s'instaure une relation créancier/débiteur, qui s'ajoute en quelque sorte à la relation initiale associé/société, se traduit aussi dans le cadre de la cession de ses droits par l'"associé-prêteur". Ainsi, fort logiquement d'ailleurs, la cession qui porte sur les droits d'associé eux-mêmes ne s'étend pas, sauf clause contraire, aux droits que le cédant pourrait également avoir dans la société à un autre titre, et ne s'étend donc pas au solde créditeur du compte courant du cédant dans la société (13). A ce niveau, il convient alors de remarquer le parallélisme des termes employés par la Haute juridiction pour la transmission à titre onéreux et pour la transmission à titre gratuit des parts d'un associé apporteur en compte courant. Ainsi, en énonçant, dans son arrêt du 18 novembre 2009, que la donation-partage qui ne porte que sur les droits d'associés eux-mêmes, sans autre précision, ne peut pas s'étendre, en l'absence de clause particulière, au solde créditeur du compte courant du donataire, les juges du quai de l'Horloge appliquent pour la première fois à notre connaissance -la question ne leur aurait jamais été soumise-, et en toute logique, à la donation, la solution retenue de longue date pour la vente de titres.

Il en ressort que le remboursement du solde créditeur d'un compte courant consenti concomitamment à une cession de droits sociaux est une cession de créance échappant au droit de cession de parts dès lors qu'il n'est pas incorporé au capital et qu'il n'y ouvre aucun droit (14). Les formalités de la cession de droits sociaux sont donc sans effet et il convient, au contraire, d'appliquer les dispositions de l'article 1690 du Code civil (N° Lexbase : L1800ABB) : la cession d'un compte courant d'associé est opposable à la société par sa signification par huissier, ou acceptation par la société dans un acte authentique. De même et conformément à l'article 1693 du Code civil (N° Lexbase : L1803ABE), celui qui cède une créance doit en garantir l'existence au temps du transport ; à ce titre, il appartient aux associés d'une SARL qui ont cédé la totalité de leurs parts sociales et leurs comptes courants d'apporter la preuve de la cession de ces comptes (15).

Tel que le précise l'arrêt du 18 novembre 2009, reprenant donc à son compte les solutions dégagées en matière de cession à titre onéreux, si la transmission des droits sociaux n'opère pas, en principe, transmission du solde créditeur du compte courant d'associés, les parties à l'acte, vendeur/acheteur ou donateur/donataire, peuvent en convenir différemment. Encore, faut-il que la clause prévoyant le transfert du compte courant soit rigoureusement précise. Ainsi, il a été jugé que la clause de l'acte de cession prévoyant que l'acquéreur est "subrogé dans les droits et actions résultant de la possession des parts cédées" n'emporte pas transfert du compte courant à l'acquéreur à défaut de mention expresse relative à ce compte (16). Ce principe est également repris par la troisième chambre civile dans l'arrêt du 18 novembre 2009 puisqu'elle réserve la possibilité de prévoir une clause particulière stipulant que la donation des parts sociales s'étend au solde du compte courant. C'est aussi le sens de l'article 1134 du Code civil, texte au visa duquel l'arrêt de la cour d'appel est, en l'espèce, censuré. La volonté du donateur de transférer la propriété de sa créance ne saurait résulter de son comportement, encore moins de sa passivité face à l'écriture comptable portée par l'expert comptable, et, en l'absence d'acte manifestant sa volonté de façon claire et non équivoque, sa créance à l'égard de la société restait sa propriété : elle n'est donc transmise à ses enfants que par l'effet de sa dévolution successorale et obéit aux règles légales et/ou, le cas échéant, conventionnelles en présence d'un testament mais ne sont en aucun cas régies par les dispositions de la donation-partage qui ne commandent, ici, que la transmission des parts sociales. En nous livrant cette solution inédite, la Cour de cassation confirme et étend aux transmissions à titre gratuit, dans leur ensemble, la jurisprudence dégagée s'agissant des transmissions à titre onéreux. En effet, ce qui vaut ici pour la donation-partage s'appliquera de la même manière en cas de legs, de telle sorte que le legs portant sur des droits sociaux ne saurait s'étendre au solde créditeur du compte courant du légataire.


(1) Clause, comme son nom l'indique, par laquelle les associés s'obligent, vis-à-vis de la société, à rendre ces sommes indisponibles pendant plusieurs années.
(2) Dispositif par lequel le titulaire d'un compte courant s'engage à n'exiger le remboursement des sommes qu'il a déposées, qu'une fois tous les autres créanciers désintéressés.
(3) CA Paris, 3ème ch., sect. A, 2 juin 1992, n° 90-018449, Madame Maria Emilia Marques née Perodriguez c/ Société Marques Pressing (N° Lexbase : A9707A7N).
(4) CA Paris, 3ème ch., sect. B, 15 avril 2005, n° 04/13385, M. Angelo Covello c/ Maître Christophe Ancel (N° Lexbase : A0237DIM).
(5) Cass. civ. 3, 3 février 1999, n° 97-10.399, Société Mazel Tov c/ Mme Carrasset-Marillier, ès qualités de mandataire-liquidateur, publié (N° Lexbase : A8096AGX).
(6) Par ex., Cass. com., 24 juin 1997, n° 95-20.056, Société Gamm c/ M. Gambet (N° Lexbase : A4500AGR) ; Cass. civ. 3, 3 février 1999, n° 97-10.399, préc..
(7) CA Paris, 3ème ch., sect. A, 12 novembre 1991, n° 90/006539, Société Acanthe SARL c/ Mademoiselle Simone Kerviel (N° Lexbase : A9476A74).
(8) Cass. com., 5 mars 1991, n° 89-21.381, SARL ''La Tour'' et autre c/ Buisson (N° Lexbase : A2088AGG).
(9) Cf. CA Versailles, 13ème ch., 3 novembre 1994, n° 8069/93, Consorts Droit c/ Société Groupement 5 (N° Lexbase : A9520A7Q).
(10) Cf. CA Paris, 3ème ch., sect. C, 17 septembre 1999, n° 1998/03177, Maître Brigitte Penet-Weiller c/ Monsieur Grodwolh Luc (N° Lexbase : A9380A7K).
(11) CA Paris, 3ème ch., sect. C, 17 septembre 1999, n° 1998/03177, préc..
(12) Cass. civ. 1, 6 novembre 1990, n° 89-14.988, Lemaire c/ Soinne et autres (N° Lexbase : A2050AGZ).
(13) Cass. com., 7 janvier 1997, n° 94-21.876, Société Le Lion d'or, société à responsabilité limitée c/ M. Fathy Mechri (N° Lexbase : A2685AGK) ; Cass. com., 4 mars 1997, n° 95-11.155, M. Slim Tabbane c/ M. Boulbaba Ketari et autres (N° Lexbase : A2736AGG).
(14) Cass. com., 22 mars 1988, n° 86-15.264, Directeur général des Impôts c/ Société UAP-VIE (N° Lexbase : A7720AA8).
(15) Cass. com., 29 mars 1994, n° 91-21.441, M. Zuliani et autres c/ M. Barsotti et autre (N° Lexbase : A6615ABM).
(16) Cass. com., 30 novembre 2004, n° 01-12.063, Société Les Constructeurs professionnels associés (COPRA) c/ Société Cavo Di l'Acqua, F-D (N° Lexbase : A3410DEZ).

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Droit public - Bulletin d'actualités n° 1

[Textes] Bulletin de droit public - Cabinet HDLM-Avocats : le référé contractuel

Lecture: 14 min

N5874BMI

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Le 07 Octobre 2010

Tous les deux mois, le Cabinet HDLM-Avocats, en partenariat avec les éditions juridiques Lexbase, sélectionne l'essentiel de l'actualité relative au droit public. Le premier numéro de ce nouveau bulletin d'actualités est placé sous le signe du référé contractuel. L'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009, relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique (N° Lexbase : L1548IE3), suivie du décret n° 2009-1456 du 27 novembre 2009 (N° Lexbase : L9773IEP) la complétant, ayant pour objet de transposer la Directive, dite "Recours", 2007/66/CE du 11 décembre 2007 (N° Lexbase : L7337H37), modifiant les Directives 89/665/CEE (N° Lexbase : L9939AUN) et 92/13/CEE (N° Lexbase : L7561AUL) du Conseil en ce qui concerne l'amélioration de l'efficacité des procédures de recours en matière de passation des marchés publics, a apporté des modifications au référé précontractuel prévu à l'article L. 551-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L1591IEN) et a instauré un nouveau référé, le référé contractuel, régi par les nouveaux articles L. 551-13 (N° Lexbase : L1581IEB) et suivants du même code. C'est ce dernier recours qui est ici étudié sous l'angle essentiellement des marchés publics : il permet de contester la régularité de la procédure de passation, notamment, d'un marché public ou d'une délégation de service public après la conclusion du contrat et ce, par la voie du référé. L'ordonnance a, également, prévu un chapitre sur les recours applicables aux contrats de droit privé relevant de la commande publique, qui ne sera pas étudié ici (articles 11, 2 et 5 de l'ordonnance : "contrats de droit privé ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation"). Pour ces contrats, tant le recours en référé précontractuel qu'en référé contractuel est porté devant le juge judiciaire. En synthèse, il s'agit des contrats de droit privé conclus par les pouvoirs adjudicateurs et les entités adjudicatrices soumis à l'ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 modifiée relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au Code des marchés publics (N° Lexbase : L8429G8P), comme le sont par exemple les contrats des sociétés anonymes d'HLM ou des groupements d'intérêt public.

Les dispositions de l'ordonnance et du décret sont applicables aux contrats pour lesquels une consultation est engagée à partir du 1er décembre 2009 (article 25 de l'ordonnance et article 33 du décret).

1 - Les contrats concernés

Aux termes de l'article L. 551-13 du Code de justice administrative, ci-après CJA, les contrats pouvant faire l'objet d'un référé contractuel sont ceux mentionnés aux articles L. 551-1 et L. 551-5 (N° Lexbase : L1572IEX) du CJA, c'est-à-dire, passés par les pouvoirs adjudicateurs ou les entités adjudicatrices et concernent, notamment : les marchés publics, les délégations de service public, les concessions de travaux, les concessions de services au sens du droit communautaire, les concessions d'aménagement, et les contrats de partenariat.

2 - Le moment de la saisine (CJA, art. L. 551-13), le délai et la clôture d'instruction (CJA, art. R. 551-9 et R. 522-8)

2.1 - L'ordonnance ne prévoit pas de délais d'introduction du recours puisque le texte précise seulement que le juge "peut être saisi, une fois conclu" le contrat.

En revanche, le décret du 27 novembre 2009 introduit dans le Code de justice administrative un article R. 551-7 qui fixe :

- d'une part, un délai maximum de 31 jours "suivant la publication d'un avis d'attribution du contrat ou, pour les marchés fondés sur un accord-cadre ou un système d'acquisition dynamique, suivant la notification de la conclusion du contrat" ;
- d'autre part, un délai maximum de 6 mois et 1 jour "à compter [...] de la conclusion du contrat" en l'absence de la publication d'un tel avis ou de cette notification.

Cette nouvelle disposition est conforme à la Directive qui prévoit les mêmes délais (article 2 septies de la Directive).

2.2 - Aux termes de l'article R. 551-9 du CJA, issu du décret du 27 novembre 2009, le juge "statue dans un délai d'un mois".

Comme pour celui applicable au référé précontractuel, le dépassement du délai n'est pas sanctionné.

2.3 - Ce n'est que dans l'hypothèse où le juge envisage le prononcé de mesures d'office -la suspension de l'exécution du contrat, sa nullité, sa résiliation, la réduction de sa durée- ou d'infliger une pénalité financière (CJA, art. L. 551-17 à L. 551-20) que le nouvel article R. 551-8 du CJA -issu du décret n° 2009-1456 du 27 novembre 2009- prévoit l'application de l'article R. 522-8 du CJA (N° Lexbase : L2535AQX), préexistant, selon lequel "l'instruction est close à l'issue de l'audience, à moins que le juge des référés ne décide de différer la clôture de l'instruction à une date postérieure dont il avise les parties par tous moyens" et ce, dès lors que ces mesures doivent faire l'objet d'une information préalable des parties, lesquelles doivent pouvoir présenter leurs observations (CJA, art. L. 551-21 N° Lexbase : L1582IEC).

Pour les autres cas, la clôture devrait intervenir en application des articles R. 613-1 (N° Lexbase : L2295ICY) et R. 613-2 (N° Lexbase : L3133ALM) du CJA, le juge du référé contrat n'étant pas en effet le "juge des référés statuant en urgence" au sens du code (Livre V, Titre II), pour lequel l'article R. 522-8 s'applique.

Toutefois, même si le texte nouveau ne prévoit l'application de l'article R. 522- 8 que par exception pour les mesures prononcées d'office, l'on peut considérer que cet article risque fort d'être étendu pour les autres cas de façon prétorienne par le juge, comme cela s'est produit en matière de référé précontractuel.

3 - Qualité et intérêt pour agir

3.1 - Le principe : l'ouverture du recours

Les personnes habilitées à agir sont les mêmes qu'en référé précontractuel : celles qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d'être lésées par des manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence ainsi que le représentant de l'Etat pour les contrats passés par une collectivité territoriale ou un établissement public local.

3.2 - Les exceptions : la fermeture et la limitation du recours

Deux cas de fermeture du recours ont été institués.

3.2.1 - Cas n° 1 : le principe du non cumul des recours

Aux termes de l'article L. 551-14 du CJA, alinéa 2 (N° Lexbase : L1603IE4), le recours n'est pas ouvert au demandeur ayant fait usage du référé précontractuel (prévu à l'article L. 551-1 N° Lexbase : L1591IENou à l'article L. 551-5 N° Lexbase : L1572IEX) dès lors que le pouvoir adjudicateur ou l'entité adjudicatrice a respecté la suspension de la signature du contrat prévue à l'article L. 551-4 (N° Lexbase : L1601IEZ) ou à l'article L. 551-9 (N° Lexbase : L1566IEQ), c'est-à-dire celle qui intervient automatiquement dorénavant à compter de la saisine du juge et jusqu'à la notification de la décision juridictionnelle -ce qui n'était pas le cas jusqu'alors, le juge devait prononcer la suspension par voie d'ordonnance pour une durée maximum de surcroît de 20 jours- et s'est conformée à la décision juridictionnelle rendue sur ce recours.

3.2.2 - Cas n° 2 : les limites apportées au recours

Aux termes de l'article L. 551-15 du CJA (N° Lexbase : L1560IEI), le recours ne peut être exercé :

- d'une part, à l'égard des contrats dont la passation n'est pas soumise à une obligation de publicité préalable lorsque le pouvoir adjudicateur ou l'entité adjudicatrice a, avant la conclusion du contrat, rendu publique son intention de le conclure et observé un délai de onze jours après cette publication,
- d'autre part, à l'égard des contrats soumis cette fois à publicité préalable mais auxquels ne s'applique pas l'obligation de communiquer la décision d'attribution aux candidats non retenus lorsque le pouvoir adjudicateur ou l'entité adjudicatrice a accompli la même formalité.

La même exclusion s'applique aux contrats fondés sur un accord-cadre ou un système d'acquisition dynamique lorsque le pouvoir adjudicateur ou l'entité adjudicatrice a envoyé cette fois aux titulaires la décision d'attribution du contrat et observé un délai de seize jours entre cet envoi et la conclusion du contrat, délai réduit à onze jours si la décision a été communiquée à tous les titulaires par voie électronique.

En d'autres termes, le recours ne peut être exercé :

- pour les marchés non soumis à une obligation préalable de publicité, c'est-à-dire pour les marchés négociés de l'article 35-II du Code des marchés publics (N° Lexbase : L3262ICS sans publicité ni mise en concurrence préalables) ou les marchés inférieurs au seuil de 20 000 euros (C. marchés publ., art. 28, alinéa 5 N° Lexbase : L3183ICU), lorsque celui qui a intérêt à conclure le contrat a été en mesure d'intenter un référé précontractuel -il est ici un requérant potentiel- grâce à l'action de l'administration qui a rendu possible l'exercice de cette voie de droit en publiant un avis "d'intention de conclure" le marché, qui n'est ni l'avis d'attribution classique du marché, ni celui requis par la jurisprudence pour le recours au fond dit "Tropic" (CE, Ass., 16 juillet 2007, n° 291545, Société Tropic Travaux Signalisation Guadeloupe N° Lexbase : A4715DXW). Précisons ici que l'article 4 du décret n° 2009-1456 du 27 novembre 2009, insérant un article 40-1 au Code des marchés publics, dispose que cette "intention [du pouvoir adjudicateur] de conclure un marché ou un accord-cadre dispensé d'obligations de publicité" se matérialise par la publication d'un avis au JOUE -et non au BOAMP- conforme au modèle fixé par le Règlement (CE) n° 1564/2005 (N° Lexbase : L0273HET). Il en est de même pour l'entité adjudicatrice (article 11 du décret et C. marchés publ., art. 151-1). Dans l'hypothèse susvisée, dès lors que celui qui a intérêt à conclure le contrat, c'est-à-dire le simple candidat potentiel qui par définition, pour ce type de marchés, n'a pu avoir connaissance de la procédure de passation, mais également le candidat spontané qui en aurait eu connaissance et qui aurait fait acte de candidature, a été à même d'intenter un référé précontractuel dans le délai de onze jours à compter de l'information de l'intention de conclure, il ne peut agir en référé contractuel ;

- pour les marchés soumis à publicité mais pour lesquels il n'y a pas d'obligation d'informer de la décision d'attribution, lorsque l'administration informe justement les candidats de cette décision et du rejet de leur offre (pour les MAPA, C. marchés publ., art. 28 N° Lexbase : L3183ICU). S'agissant du support de cette information, le nouvel article 40-1 du Code des marchés publics susvisé s'applique également.

En définitive : dès lors qu'il y a information de l'intention de conclure, seul le référé précontractuel est permis ; dans le cas contraire, le référé précontractuel ainsi que le référé contractuel sont rendus possibles.

4 - Les demandes

4.1 - A l'exception des demandes reconventionnelles en dommages et intérêts fondées exclusivement sur la demande initiale, aucune demande tendant à l'octroi de dommages et intérêts ne peut être présentée à l'occasion de ce recours (CJA, art. L. 551-16)

La seule demande de dommages et intérêts est celle du défendeur à l'action, le pouvoir adjudicateur ou l'entité adjudicatrice, en raison du préjudice que lui causerait le recours, notamment si les moyens invoqués sont grossièrement infondés, ce qui peut représenter une arme dissuasive pour le requérant.

La question de la conformité de cette disposition à la Directive se pose puisque l'article 2 c de cette dernière pose le principe selon lequel "les Etats membres veillent à ce que les mesures prises aux fins des recours visés à l'article 1er [i.e : recours efficaces aussi rapides que possibles] prévoient les pouvoirs permettant [...] d'accorder des dommages et intérêts aux personnes lésées par une violation".

4.2 - En revanche, le requérant peut demander la suspension de l'exécution du contrat, sa nullité, sa résiliation, la réduction de sa durée, le prononcé de pénalités financières, mesures que le juge peut d'ailleurs prononcer d'office (v. infra).

5 - Les pouvoirs du juge

5.1 - L'étendue des pouvoirs

5.1.1 - La suspension de l'exécution du contrat

Aux termes de l'article L. 551-17 du CJA, le juge peut suspendre l'exécution du contrat pour la durée de l'instance (logiquement pour "empêcher qu'il soit encore porté atteinte aux intérêts concernés" au sens de l'article 2.1-a de la Directive), sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de cette mesure pourraient l'emporter sur ses avantages (conformément à l'article 2.5 de la Directive).

Sur ce point, le Rapport remis au Président de la République relatif à l'ordonnance étudiée précise que "le juge peut prononcer la suspension [...] dans l'attente de sa décision au fond" (NOR : ECEM0906651P, JO, 8 mai 2009).

5.1.2 - La nullité du contrat

5.1.2.1 - Un premier principe : une nullité de droit (CJA, art. L. 551-18, al. 1 et 2) sous réserve de son exception (CJA, art. L. 551-19)

Plus sévère que la Directive quant à la solution à apporter pour rendre sans effet un contrat dans les cas de violation les plus graves qui prévoit soit la nullité rétroactive, soit la résiliation pour l'avenir : "les conséquences de l'absence d'effets d'un marché devraient être déterminées par le droit national. Le droit national pourrait donc par exemple prévoir l'annulation rétroactive de toutes les obligations contractuelles (ex tunc) ou, inversement, limiter la portée de l'annulation aux obligations qui devraient encore être exécutées (ex nunc)" (v. paragraphe 23 de l'exposé des motifs), le droit national a opté à l'article L. 551-18 du CJA pour le prononcé de la nullité du contrat, lorsqu'aucune des mesures de publicité requises pour sa passation n'a été prise, ou lorsqu'a été omise une publication au Journal officiel de l'Union européenne dans le cas où une telle publication est prescrite.

La même annulation est prononcée lorsqu'ont été méconnues les modalités de remise en concurrence prévues pour la passation des contrats fondés sur un accord-cadre ou un système d'acquisition dynamique.

Sur ce point, remarquons que l'article 16 de l'ordonnance, qui concerne le même cas mais pour les recours applicables aux contrats de droit privé relevant de la commande publique, semble plus impératif : il ne dispose plus, dans cette hypothèse, que "le juge prononce la nullité du contrat" mais qu'"est nul tout contrat [...]".

5.1.2.2 - Un second principe : une nullité restrictivement entendue (CJA, art. L. 551-18, al. 3) sous réserve également de son exception (CJA, art. L. 551-19)

Le juge prononce également la nullité du contrat, cette fois de manière restrictive, lorsque celui-ci a été signé avant l'expiration du délai exigé après l'envoi de la décision d'attribution aux opérateurs économiques ayant présenté une candidature ou une offre (clause du stand still) ou pendant la suspension prévue à l'article L. 551-4 du CJA susvisé (et, à l'identique à l'article L. 551-9) dès lors que les deux conditions suivantes et cumulatives sont réunies :

- la méconnaissance de ces obligations a privé le demandeur de son droit d'exercer un recours en référé précontractuel ;
- les obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles sa passation est soumise ont été méconnues d'une manière affectant les chances de l'auteur du recours d'obtenir le contrat.

Observations : remarquons que la clause de stand still imposée par la Directive, c'est-à-dire, le délai minimal exigé pendant lequel le contrat ne peut être signé à compter de la date d'envoi -par voie électronique ou par télécopieur- de la décision d'attribution aux candidats est de 11 jours (10 jours calendaires à compter du lendemain du jour de l'envoi de la décision -délai franc ou dies a quem-), ou de 16 jours (15 jours + 1) pour les autres moyens de communication.

Ce délai a été transposé, par l'ordonnance, pour les contrats de partenariat (article 22 de l'ordonnance) ; pour les marchés dont la passation n'est pas soumise à une obligation de publicité préalable ou, y étant soumis, mais sans obligation de communiquer la décision d'attribution aux candidats non retenus, par l'article 1er de l'ordonnance (instituant l'article L. 551-15 CJA - v. infra § 3.2.2) mais avec le seul délai de 11 jours ; pour les marchés publics aux procédures de passation formalisées, par l'article 7 du décret n° 2009-1456 du 27 novembre 2009, venant modifier le délai de 10 jours visé à l'article 80-I-1° dudit code alors en vigueur en l'augmentant de 16 jours et en prévoyant sa diminution à 11 jours en cas de transmission électronique, sauf les exceptions limitativement énumérées au 2° (nouveau) du même article.

5.1.3 - Les exceptions à la nullité du contrat

5.1.3.1. -Les exceptions communes aux deux principes : pour raison impérieuse d'intérêt général (CJA, art. L. 551-19)

Si le prononcé de la nullité du contrat se heurte à une raison impérieuse d'intérêt général, le juge peut choisir de ne sanctionner le manquement que par la résiliation du contrat, par la réduction de sa durée, par une pénalité financière imposée au pouvoir adjudicateur ou à l'entité adjudicatrice.

Le texte précise que la raison impérieuse d'intérêt général "ne peut être constituée par la prise en compte d'un intérêt économique que si la nullité du contrat entraîne des conséquences disproportionnées et que l'intérêt économique atteint n'est pas directement lié au contrat, ou si le contrat porte sur une délégation de service public".

Cet intérêt économique peut être notamment constitué par la continuité du service public (qui est de surcroît un principe à valeur constitutionnelle - Décision n° 79-105 DC du 25 juillet 1979, Droit de grève à la radio et à la télévision N° Lexbase : A7991ACX, Rec. p. 33).

Toutefois, l'intérêt économique n'est pas constitué dès lors que le contrat est une délégation de service public.

5.1.3.2. -Les exceptions en cas de non respect du délai dit "stand still" ou de la suspension obligatoire en cas de saisine du juge du référé précontractuel (CJA, art. L. 551-20)

Dans le cas où le contrat a été signé avant l'expiration du délai exigé après l'envoi de la décision d'attribution aux opérateurs économiques ayant présenté une candidature ou une offre ou pendant la suspension prévue à l'article L. 551-4 ou à l'article L. 551-9 et dès lors que les deux conditions susvisées permettant le prononcé obligatoire de la nullité (CJA, art. L. 551-18, al. 3) ne sont pas réunies et, sauf exception pour raison impérieuse d'intérêt général : la nullité n'est plus obligatoire puisque le juge peut seulement la prononcer, soit résilier le contrat, soit en réduire sa durée, soit imposer une pénalité financière.

5.1.3.3. - Observations

Sauf évolution jurisprudentielle, le référé contrat semble donc être aujourd'hui la seule voie de droit ouverte en cas de non respect du délai de stand still (CJA, art. L. 551-18, al. 3 et L. 551-20).

En effet, il convient de rappeler d'une part, qu'en référé précontractuel, la seule existence matérielle de la signature intervenue avant la saisine contentieuse empêche le juge de statuer puisqu'il n'est pas juge de sa validité et ce, même dans les cas d'inexistence juridique de cette signature ou de son inexactitude matérielle (CE, 17 octobre 2007, n° 300419, Société Physical Networks Software N° Lexbase : A7970DYT).

D'autre part et pour le contentieux de fond, la méconnaissance du délai prévu à l'article 80-I du Code des marchés publics n'est pas susceptible d'entraîner l'annulation du marché dès lors que le vice n'a trait ni à l'objet même du marché, ni au choix du cocontractant mais aux modalités de publicité des décisions rejetant les offres des candidats (CE, 19 décembre 2007, n° 291487, Syndicat intercommunal d'alimentation en eau potable du Cofolentais, N° Lexbase : A1509D3B ; TA de Versailles, 12 février 2009, n° 0804414, Société Stem propreté).

Toutefois, si la signature intervient après la saisine du juge du référé précontractuel mais avant que celui-ci n'ai statué, en cas de recours au fond contre le contrat ("Tropic"), le juge du référé suspension qui peut être également saisi (CJA, art. L. 521-1 N° Lexbase : L3057ALS) pourra vraisemblablement continuer de suspendre le contrat jusqu'à ce qu'il soit statué sur la demande de plein contentieux, sous cette réserve que le différé de signature ne résultera plus à compter du 1er décembre 2009 d'une décision juridictionnelle du fait de son effet automatique dès la saisine du juge (CE, 6 mars 2009, n° 324064, Société Biomérieux, N° Lexbase : A5824ED3).

5.2 - Pouvoir de statuer "ultra petita" (CJA, art. L. 551-21 N° Lexbase : L1582IEC)

5.2.1 - Le juge peut prononcer d'office les différentes mesures susvisées (CJA, art. L. 551-17 à L. 551-20 : la suspension de l'exécution du contrat, sa nullité, sa résiliation, la réduction de sa durée, le prononcé de pénalités financières).

Dans ce cas, il doit alors en informer préalablement les parties et les inviter à présenter leurs observations dans des conditions fixées par voie réglementaire.

Le décret n° 2009-1456 du 27 novembre 2009 dispose ainsi dans un nouvel article R. 551-8 que le juge leur indique "le délai qui leur est donné pour présenter leurs observations ou, le cas échéant, la date de l'audience où elles pourront les produire", tout en étant rappelé que l'instruction sera alors close "à l'issue de l'audience, à moins que le juge des référés ne décide de différer la clôture de l'instruction à une date postérieure dont il avise les parties par tous moyens" en application de l'article R. 522-8 du CJA.

5.2.2 - S'agissant de la pénalité financière (CJA art. L. 551-22), son montant, versé au Trésor public, est plafonné à 20 % du montant hors taxes du contrat pour tenir compte du principe de proportionnalité (CE, 29 décembre 2008, n° 296930, OPHLM de Puteaux N° Lexbase : A9630EBB) et de l'objet dissuasif de cette sanction.

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Procédure administrative

[Jurisprudence] La reconnaissance de l'effet direct des Directives communautaires : enfin !

Réf. : CE Contentieux, 30 octobre 2009, n° 298348, Mme Perreux (N° Lexbase : A6040EMN)

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N5869BMC

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par François Brenet, Professeur de droit public à l'Université Paris VIII Vincennes Saint-Denis et Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition publique

Le 07 Octobre 2010

C'est à un "isolement", ni "splendide", ni "pathétique", mais, néanmoins, "préoccupant" que l'Assemblée du contentieux du Conseil d'Etat vient de mettre fin par son arrêt "Mme Perreux" lu le 30 octobre 2009, suivant, en cela, les conclusions de son Rapporteur public, M. Mattias Guyomar (1). Cet arrêt constitue, d'ores et déjà, l'une si ce n'est la plus grande décision de l'année 2009, car elle abandonne la célèbre jurisprudence "Ministre de l'Intérieur c/ M. D. Cohn-Bendit" (2), par laquelle le juge administratif avait refusé, en 1978, d'admettre l'invocabilité des Directives communautaires à l'encontre des actes administratifs individuels. Ce ne sont pas seulement trois décennies qui séparent ces deux arrêts du Conseil d'Etat mais, bien davantage, une véritable différence de conception des rapports entre le droit communautaire et le droit interne. Nous sommes, en effet, aujourd'hui bien loin de l'époque où, commentant l'arrêt précité du 22 décembre 1978, le Professeur Bernard Pacteau concluait son étude par l'affirmation selon laquelle "le système communautaire est décidément moins fort pratiquement que perfectionné juridiquement. Le colosse européen a encore des pieds d'argile" (3). Force est de constater que, si "le dialogue des juges" prôné par le Président Bruno Genevois dans ses conclusions sur l'arrêt "Cohn-Bendit" est une réalité incontestable qui produit des effets ô combien bénéfiques, il est tout aussi évident que les discussions entre le juge national et le juge communautaire conduisent, bien souvent, à un alignement du premier sur les positions du second. Le colosse aux pieds d'argile n'est donc plus nécessairement en 2009 celui que l'on croyait être en 1978, comme en témoignent le présent arrêt, mais aussi, avant lui, les arrêts "Nicolo" (4), "Société De Groot en Slot Allium B. V. et autre" (5), "Arcelor" (6), "Conseil National des Barreaux" (7), ou encore "Gestas" (8). L'on retrouve, à l'origine de cette importante décision, des faits qui rappellent étrangement un autre grand arrêt de la jurisprudence administrative, l'arrêt "Barel" (9). Mme X, magistrate occupant depuis 2002 les fonctions de juge d'application des peines au tribunal de grande instance de Bordeaux, s'était portée plusieurs fois candidate à un poste de chargé de formation à l'Ecole Nationale de la Magistrature (ENM) pour l'application des peines. Sa candidature ayant été rejetée à trois reprises, elle a saisi le Conseil d'Etat d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre l'arrêté du Garde des Sceaux du 29 août 2006, nommant Mme Y au poste convoité. Au soutien de son recours, Mme X a invoqué deux moyens, l'un tiré de l'erreur de droit commise par le Garde des Sceaux qui aurait écarté sa candidature en raison de son engagement syndical, et l'autre tiré de l'erreur manifeste d'appréciation entachant la nomination de Mme Y. Plus précisément, la requérante invoquait le bénéfice des règles relatives à la charge de la preuve fixées par l'article 10 de la Directive (CE) 2007/78 du Conseil du 27 novembre 2000, portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail (N° Lexbase : L3822AU4). Elle demandait au Conseil d'Etat d'appliquer à son profit la règle selon laquelle "les Etats membres prennent les mesures nécessaires, conformément à leur système judiciaire, afin que, dès lors qu'une personne s'estime lésée par le non-respect, à son égard, du principe de l'égalité de traitement et établit, devant une juridiction ou une autre instance compétente, des faits qui permettent de présumer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, il incombe à la partie défenderesse de prouver qu'il n'y a pas eu violation du principe de l'égalité de traitement". Cette Directive avait été transposée en droit français par l'article 4 de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations (N° Lexbase : L8986H39), mais de façon tardive, puisque la date limite de transposition avait été fixée au 2 décembre 2003. Pour le dire autrement, il était demandé au Conseil d'Etat de revenir sur sa jurisprudence "Cohn-Bendit", et d'admettre qu'un administré puisse invoquer devant lui la violation d'une Directive non transposée à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir formé contre un acte administratif individuel.

Le Conseil d'Etat y a fait droit, en jugeant que "la transposition en droit interne des Directives communautaires, qui est une obligation résultant du Traité instituant la Communauté européenne, revêt, en outre, en vertu de l'article 88-1 de la Constitution (N° Lexbase : L1350A9U), le caractère d'une obligation constitutionnelle". Par conséquent, "il appartient au juge national, juge de droit commun de l'application du droit communautaire, de garantir l'effectivité des droits que toute personne tient de cette obligation à l'égard des autorités publiques ; que tout justiciable peut, en conséquence, demander l'annulation des dispositions réglementaires qui seraient contraires aux objectifs définis par les Directives et, pour contester une décision administrative, faire valoir, par voie d'action ou par voie d'exception, qu'après l'expiration des délais impartis, les autorités nationales ne peuvent ni laisser subsister des dispositions réglementaires, ni continuer de faire application des règles, écrites ou non écrites, de droit national qui ne seraient pas compatibles avec les objectifs définis par les Directives ; qu'en outre, tout justiciable peut se prévaloir, à l'appui d'un recours dirigé contre un acte administratif non réglementaire, des dispositions précises et inconditionnelles d'une Directive, lorsque l'Etat n'a pas pris, dans les délais impartis par celle-ci, les mesures de transposition nécessaires".

Appliquant ce raisonnement au cas d'espèce, le juge administratif a considéré que la Directive ne pouvait pas être directement invoquée au motif qu'elle ne comportait pas de disposition inconditionnelle. Le texte communautaire réservait, en effet, la possibilité de ne pas aménager la charge de la preuve en matière de discrimination lorsque le juge disposait de tels pouvoirs, ce qui était précisément le cas du juge administratif. Malgré cela, le Conseil d'Etat a défini, de manière autonome, un dispositif adapté de charge de la preuve ayant vocation à s'appliquer dans des situations couvertes par la loi du 27 mai 2008 précitée, loi qui n'était pas applicable ratione temporis au présent litige. Selon ce dispositif prétorien, le requérant s'estimant lésé par une mesure discriminatoire doit soumettre au juge administratif des éléments de fait susceptibles de faire présumer une atteinte au principe de non-discrimination. En retour, il incombe à l'administration de produire tous les éléments de fait permettant d'établir que la décision attaquée repose sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. C'est, alors, au vu de cet échange contradictoire, qui pourra être complété par toute mesure d'instruction utile, que le juge administratif se prononcera.

L'arrêt "Mme Perreux" est donc un grand arrêt à un double titre. Parce qu'il consacre, tout d'abord, un régime autonome de la charge de la preuve devant le juge administratif et parce qu'il admet, ensuite, la possibilité, pour un requérant, d'invoquer la méconnaissance d'une Directive communautaire non transposée à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre un acte administratif individuel. Ce dernier point, sur lequel nous concentrerons nos développements, peut être analysé autour de l'idée que l'abandon de la jurisprudence "Cohn-Bendit" était attendu (I). Il n'en demeure pas moins que sa portée doit être appréciée à sa juste mesure, car la reconnaissance de l'effet direct des Directives communautaires est conditionnée au respect de strictes exigences (II).

I - L'abandon attendu de la jurisprudence "Cohn-Bendit"

Le revirement opéré par l'arrêt "Mme Perreux" était assurément attendu. Cela tient au fait que, si l'opposition entre la jurisprudence "Cohn-Bendit" et la jurisprudence communautaire était initialement forte et sonnait comme une "révolte contentieuse" (10), celle-ci s'est progressivement réduite à tel point que l'on a pu affirmer, au sein même du Conseil d'Etat, que la jurisprudence "Cohn-Bendit" n'était, dans le dernier état du droit, qu'une "pétition de principe" (11).

A - L'opposition initiale des jurisprudences nationale et communautaire

Les Directives communautaires n'ont pas d'équivalent en droit interne. Elles sont définies par l'article 189 du Traité de Rome comme liant "tout Etat membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens". Elles se différencient des Règlements qui ont une "portée générale", et sont "obligatoires dans tous leurs éléments et sont directement applicables dans tout Etat membre". La notion de Directive communautaire, que le Traité de Lisbonne conforte, est perçue comme un instrument "d'harmonisation des règlementations nationales dans les secteurs de compétence encadrées ou coordonnées" (12). Elle nécessite une mesure nationale de transposition et ne devrait donc pas revêtir, en principe, un effet direct. Ce n'est pas le parti qu'a retenu la Cour de justice des Communautés européennes. S'écartant de la lettre de l'article 189 précité, le juge communautaire n'a, en effet, pas hésité à reconnaître, dans certaines circonstances, l'effet direct des Directives communautaires (13). En vérité, cette solution s'imposait au regard de la multiplication d'actes communautaires qui n'avaient de Directives que le nom, et qui constituaient matériellement d'authentiques Règlements. C'est, en effet, au regard de "la nature, l'économie et les termes" (14) de la disposition d'une Directive que la Cour de justice se donne le droit d'en reconnaître l'effet direct.

A cette solution qui était dictée par la situation, certaines Directives étant rédigées comme des Règlements, et justifiée par le souci d'assurer la pleine efficacité du droit communautaire, le Conseil d'Etat a opposé une réponse différente et, à vrai dire, radicalement opposée. Dans son arrêt "Cohn-Bendit", le juge administratif a, en effet, considéré que les autorités nationales restaient "seules compétentes pour décider de la forme à donner à l'exécution des Directives et pour fixer elles-mêmes, sous le contrôle des juridictions nationales, les moyens propres à leur faire produire effet en droit interne", avant d'en déduire que "que quelles que soient, d'ailleurs, les précisions qu'elles contiennent à l'attention des Etats membres, les Directives ne sauraient être invoquées par les ressortissants de ces Etats à l'appui d'un recours dirigé contre un acte administratif individuel". Sa volonté de continuer à distinguer clairement les Directives des Règlements était d'autant plus nette que par un arrêt du même jour, le Conseil d'Etat n'avait pas hésité à faire application d'un Règlement "qui, en vertu de l'article 189 du Traité instituant la Communauté économie européenne, s'intègre, dès sa publication, dans le droit interne des Etats membres" (15).

Malgré cette volonté affichée de rupture avec la jurisprudence communautaire, l'arrêt "Cohn-Bendit" s'était attaché à reconnaître un effet indirect aux Directives communautaires. Si les requérants ne peuvent assurément pas se prévaloir d'une Directive à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre un acte administratif individuel, ils peuvent, néanmoins, se prévaloir de ladite Directive pour neutraliser la règle nationale la méconnaissant. Comme le note la doctrine, le Conseil d'Etat a admis l'invocabilité d'exclusion de la Directive communautaire à défaut de vouloir consacrer son invocabilité de substitution (16). Concrètement, cela signifiait, dans l'affaire "Cohn-Bendit", que le requérant aurait dû contester les mesures réglementaires prises par le Gouvernement français pour l'application de la Directive au lieu de contester directement la mesure individuelle. Au total, "les Directives ont donc bien, selon l'arrêt du Conseil d'Etat, un effet juridique, mais indirect, médiatisé, à travers les mesures d'application" (17).

B - Le rapprochement progressif des jurisprudences nationale et communautaire

Les années qui ont suivi l'arrêt "Cohn-Bendit" furent celles d'un lent rapprochement entre les positions nationale et communautaire, rapprochement dont l'arrêt "Mme Perreux" constitue l'aboutissement.

Le Conseil d'Etat a, en effet, utilisé diverses techniques pour donner plein effet aux Directives communautaires. Il s'est efforcé d'interpréter le droit national dans un sens permettant de le rendre compatible avec le droit communautaire, de même qu'il n'a pas hésité, comme il l'avait indiqué dès 1978 dans l'arrêt "Cohn-Bendit", à écarter l'application des mesures réglementaires de transposition contraires aux objectifs des Directives (18), et à déclarer les actes individuels pris sur leur fondement comme étant alors dépourvus de base légale (19). Plus fondamentalement, le juge administratif a admis l'invocabilité des Directives contre toutes les mesures réglementaires entrant dans leur champ d'application, et non pas seulement contre celles assurant leur transposition (20). Une obligation d'abroger les règlements illégaux ab initio, ou devenus illégaux à la suite d'un changement dans les circonstances de droit et de fait, a ensuite été consacrée, et spécialement précisée, en cas de contrariété avec une Directive communautaire. L'arrêt "Compagnie Alitalia" du 3 février 1989 (21), a, en effet, précisé que, si les autorités nationales restaient seules compétentes pour "décider de la forme à donner à l'exécution de ces Directives et pour fixer elles-mêmes, sous le contrôle des juridictions nationales, les moyens propres à leur faire produire leurs effets en droit interne, ces autorités ne peuvent légalement, après l'expiration des délais impartis, ni laisser subsister des dispositions réglementaires qui ne seraient plus compatibles avec les objectifs définis par les Directives dont s'agit, ni édicter des dispositions réglementaires qui seraient contraires à ces objectifs". Dans le même sens, la jurisprudence administrative a posé l'obligation pour le pouvoir réglementaire de s'abstenir de pendre les mesures d'application d'une loi contraires aux objectifs d'une Directive (22). Poursuivant la logique de reconnaissance progressive de la justiciabilité des directives, le juge administratif a, ensuite, admis que la violation d'une Directive par une loi pouvait être invoquée à l'occasion de recours dirigés contre des actes individuels (23). A vrai dire, l'étape la plus décisive avait sans doute été franchie en 1996 avec l'arrêt "SA Cabinet Revert et Badelon" (24). En l'espèce, le juge administratif avait écarté des dispositions du Code général des impôts, au motif qu'elles n'exonéraient pas de TVA toutes les opérations effectuées par les courtiers d'assurance, et cela en contradiction avec les termes d'une Directive de 1977. Comme le notent les auteurs des Grands arrêts de la jurisprudence administrative (25), "l'incompatibilité de la loi peut même résulter de ce qu'elle ne comporte pas la disposition exigée par la Directive communautaire". C'est, pour reprendre les termes de Mattias Guyomar, "une incompatibilité en creux" qui est, ainsi, sanctionnée, et celle-ci peut provenir du silence de la loi, comme cela était le cas dans l'affaire "SA Cabinet Revert et Badelon", mais aussi d'une règle jurisprudentielle comme l'a montré par la suite l'arrêt "Tête" (26).

Au regard de ce rapide panorama, il ne faisait guère de doute que la jurisprudence administrative était, pour une très large part, conforme à la jurisprudence communautaire. La seule pierre d'achoppement résidait, semble-t-il, dans le refus persistant d'admettre l'évidence, à savoir l'invocabilité directe des Directives à l'encontre des actes administratifs individuels. Mais sur ce sujet, il faut noter que la jurisprudence communautaire avait, elle aussi, fait un pas en direction de la position française en interprétant plus strictement que par le passé les conditions dans lesquelles elle admettait l'effet direct des Directives. Pour le dire clairement, elle a durci les règles posées dans son arrêt "Van Duyn". Sans entrer dans le détail, l'on peut dire que la Cour de justice a posé deux conditions cumulatives à l'invocabilité de substitution des Directives communautaires. Elle a exigé qu'il y ait une défaillance de l'Etat, c'est-à-dire que la Directive soit inexécutée, et que celle-ci ait un contenu inconditionnel et suffisamment précis. L'effet direct de la Directive n'étant ni plus ni moins qu'une sanction dans l'esprit du juge communautaire. C'est parce qu'un Etat membre n'a pas rempli toutes ses obligations qu'un particulier peut alors se retrouver en droit de lui opposer directement les termes d'une Directive. C'est cette logique de sanction que le Conseil d'Etat transpose dans l'arrêt "Perreux", en ne procédant qu'à une reconnaissance conditionnée de l'effet direct des Directives communautaires.

II - La reconnaissance conditionnée de l'effet direct des Directives communautaires

Comme le note le communiqué de presse du Conseil d'Etat relatif à l'arrêt "Mme Perreux", ce n'est pas une reconnaissance générale de l'effet direct des Directives communautaires qui est opérée (27). Cette reconnaissance est, en effet, liée au respect de certaines conditions (A), dont il faut préciser la signification (B).

A - Les conditions de l'effet direct

Les conditions posées par le Conseil d'Etat sont l'exacte réplique de celles dégagées par la Cour de justice. Ces conditions cumulatives sont au nombre de deux.

Une Directive ne peut être invoquée directement à l'appui d'un recours en annulation dirigé contre un acte administratif individuel que si son contenu est inconditionnel et suffisamment précis. Il s'agit ici de ne réserver l'effet direct qu'aux seules hypothèses dans lesquelles la Directive se suffit à elle-même pour déclencher des droits et des obligations clairement identifiables qui peuvent entrer automatiquement dans le chef des particuliers. L'on veut dire que l'effet direct n'est pas possible et n'a, d'ailleurs, aucun sens lorsque la Directive pose des règles dont le juge national n'est pas en mesure de déterminer la substance précise. L'exemple de l'arrêt "Francovich" (28), cité par M. Denys Simon dans son ouvrage Le système juridique communautaire est, à cet égard, particulièrement caractéristique : "le choix laissé aux Etats membres quant à la désignation du débiteur de l'obligation d'assurer le paiement des salaires dus en cas d'insolvabilité de l'employeur ne permet pas au juge d'appliquer la Directive en l'absence de transposition, dans la mesure où il lui est impossible, à moins de faire oeuvre de législateur, de désigner le débiteur de l'obligation de paiement" (29). De toute évidence, il n'appartient pas au juge de se substituer aux autorités nationales pour déterminer les mesures de nature à assurer la transposition d'une Directive communautaire. En revanche, si la Directive est suffisamment précise et inconditionnelle, il lui revient logiquement d'en assurer la pleine application. Encore faut-il pour cela qu'une seconde condition soit réalisée.

Cette seconde condition tient à la défaillance de l'Etat. L'arrêt "Mme Perreux" indique, en effet, qu'un justiciable ne peut se prévaloir "à l'appui d'un recours dirigé contre un acte administratif non réglementaire, des dispositions précises et inconditionnelles d'une Directive" que "lorsque l'Etat n'a pas pris, dans les délais impartis par celle-ci, les mesures de transposition nécessaires". Clairement, l'effet direct d'une Directive ne peut être admis qu'à l'issue du délai de transposition et en cas de faute de l'Etat membre. Ce n'est que dans l'hypothèse où il n'aura pas respecté l'obligation qui était la sienne de transposer la Directive dans le délai imparti que l'effet direct pourra lui être opposé.

B - La signification des conditions de l'effet direct des Directives communautaires

Pour MM. Y. Galmot et J.-C. Bonichot (30) (cités par M M. Guyomar dans ses conclusions), "ces deux conditions d'inconditionnalité et de précision peuvent être distinguées bien qu'elles procèdent, en fin de compte, de la même idée : une Directive ne peut être substituée au droit national que dans la mesure où aucun doute ne subsiste sur le contenu des règles devant résulter de l'opération de législation à deux étages que constitue le mécanisme du 3ème alinéa de l'article 189. En effet, c'est seulement dans ce cas que l'on peut opposer à l'Etat une obligation précise qu'il n'a pas respectée". Que ces deux conditions puissent être distinguées ne fait, en effet, aucun doute, de même qu'il est tout aussi certain qu'elles participent de la même logique.

S'agissant des éléments de différenciation des deux conditions, l'on peut dire que la première est de nature technique, et que la seconde est de nature plus politique. En liant l'effet direct des Directives communautaires à leur caractère précis et inconditionnel, le Conseil d'Etat (qui ne fait ici que transposer la jurisprudence communautaire) considère simplement, et justement, qu'il ne lui revient d'appliquer directement une Directive communautaire que dans l'hypothèse où celle-ci est en état d'être appliquée ! En liant l'effet direct des Directives communautaires à l'absence de mesure de transposition dans le délai imparti, le juge administratif agit comme censeur de l'Etat défaillant. Il lui signifie, très clairement, que le requérant est en droit d'attendre l'application de la Directive, et qu'il peut donc en invoquer le non-respect devant lui. De ce point de vue, cette condition ne fait que reproduire l'esprit du principe d'estoppel, c'est-à-dire d'une sorte de principe de bonne foi appliqué au cas des Directives.

En vérité, la distinction entre les deux conditions n'est que minime car elles finissent par se rejoindre autour de l'idée que le juge administratif est juge de droit commun en matière d'application du droit communautaire, et qu'il lui revient, à ce titre, de traiter de la question de la justiciabilité des Directives, non seulement "en termes de distribution des pouvoirs, mais aussi d'allocations des droits" (M. Guyomar). A ce titre, il revient au juge national de donner plein effet aux Directives communautaires non transposées dans les délais, dès lors qu'elles sont suffisamment précises et inconditionnelles, parce qu'elles attribuent des droits aux administrés. C'est d'ailleurs cette dimension protectrice des droits des particuliers qui explique que le Conseil d'Etat ait décidé d'admettre (enfin) l'invocabilité de substitution des Directives. En effet, si l'invocabilité d'exclusion permettait, dans de nombreuses hypothèses, de parvenir à un résultat satisfaisant (précisément dans le contentieux de l'excès de pouvoir où le juge n'a pas d'autre alternative que d'annuler, ou non, l'acte individuel pris sur le fondement d'un acte réglementaire contraire ou conforme à une Directive communautaire), il était des hypothèses particulières dans lesquelles le requérant était, dans une certaine mesure, victime de l'autolimitation du Conseil d'Etat. Tel était le cas dans le cadre du contentieux de pleine juridiction puisque le juge administratif était, en quelque sorte, bloqué par la jurisprudence "Cohn-Bendit". En effet, il ne pouvait pas régler complètement le litige et satisfaire pleinement les attentes du requérant en réformant, par exemple, la décision litigieuse dans un sens conforme aux dispositions de la Directive.

Au total, l'arrêt "Mme Perreux" ne peut susciter que l'approbation parce qu'il s'inscrit dans une logique de meilleur respect du droit communautaire et de meilleure protection des droits des justiciables. Il est, cependant, certain que ces points de satisfaction ne doivent pas faire oublier que le revirement opéré le 30 octobre 2009 intervient tout de même près de 31 ans après l'arrêt "Cohn-Bendit"...


(1) Que nous remercions pour leur aimable communication.
(2) CE Contentieux, n° 11604, 22 décembre 1978, Ministre de l'intérieur c/ Sieur Cohn-Bendit (N° Lexbase : A4001AIZ), Rec. 524, D., 1979, p. 155, concl. B. Genevois et note B. Pacteau ; GAJA, n° 89, p. 616 (et toutes les références bibliographiques).
(3) B. Pacteau, note précitée, D., 1979, p. 165.
(4) CE Contentieux, 20 octobre 1989, n° 108243, Nicolo (N° Lexbase : A1712AQH), Rec. CE, p. 190, concl. P. Frydman (et toutes les références bibliographiques).
(5) CE Contentieux, 11 décembre 2006, n° 234560, Société De Groot en Slot Allium B. V. (N° Lexbase : A8835DSZ), Rec. CE, p.512.
(6) CE Contentieux, 8 février 2007, n° 287110, Société Arcelor Atlantique et Lorraine et autres (N° Lexbase : A2029DUP), Rec. CE, p. 55, concl. M. Guyomar, GAJA, n° 116, p. 892 (et toutes les références bibliographiques).
(7) CE Contentieux, 10 avril 2008, n° 296845, Conseil National des Barreaux (N° Lexbase : A8060D7N), Rec. CE, p. 129, concl. M. Guyomar.
(8) CE 4° et 5° s-s-r., 18 juin 2008, n° 295831, Gestas (N° Lexbase : A2358D99), Rec. CE, p. 230.
(9) CE Contentieux, 28 mai 1954, n° 28238, Barel (N° Lexbase : A9107B8S).
(10) B. Pacteau, note précitée.
(11) Cf. F. Raynaud et P. Fombeur, chronique, AJDA, 1998, p. 553.
(12) M. Guyomar, conclusions précitées, p. 20.
(13) CJCE, 17 décembre 1970, aff. C-33/70, Société SACE c/ Ministère des Finances de la République italienne (N° Lexbase : A6656AU3), et, surtout, CJCE, 4 décembre 1974, aff. C-41/74, Van Duyn c/ Home Office (N° Lexbase : A6964AUH), CJCE, 26 février 1975, aff. C-67/74, Bonsignore (N° Lexbase : A6980AU3), CJCE, 28 octobre 1975, aff. C-36/75, Ruttili.
(14) CJCE, 4 décembre 1974, Van Duyn c/ Home Office, précité.
(15) CE Contentieux, 22 décembre 1978, n° 01165, Syndicat viticole des Hautes-Graves de Bordeaux (N° Lexbase : A2994AIQ), Rec. CE, p. 286, RTDE, 1979, p. 717, concl. B. Genevois, D., 1979, p. 125, note P. Delvolvé.
(16) Formule que l'on emprunte au Rapporteur public, M. Mattias Guyomar, qui citait dans ses conclusions MM. Y. Galmot et J.-C. Bonichot, La CJCE et la transposition des Directives en droit nationa, RFDA, 1988, p. 1.
(17) M. Long, P. Weil, G. Braibant, P. Delvolvé, B. Genevois, Les grands arrêts de la jurisprudence administrative, Dalloz, 17ème édition, 2009, p. 622.
(18) Par exemple, et sans prétention à l'exhaustivité : CE, 28 septembre 1984, n° 28467, Confédération nationale des sociétés de protection des animaux de France et des pays d'expression française (N° Lexbase : A6632AL9), Rec. CE, p. 512, AJDA, 1984, p. 695, concl. P-A. Jeanneney, AJDA, 1985, p. 83, chron. S. Hubac et J.-E. Schoettl.
(19) Par exemple : CE, 8 juillet 1991, n° 95461, Palazzi (N° Lexbase : A0009ARR), Rec. CE, p. 276.
(20) CE, 7 décembre 1984, n° 41971, Fédération française des sociétés de protection de la nature (N° Lexbase : A3572ALU), Rec. CE, p. 410.
(21) CE Contentieux, 3 février 1989, n° 74052, Compagnie Alitalia (N° Lexbase : A0651AQ8), Rec. CE, p. 44, AJDA, 1989, p. 387, note Fouquet, RFDA, 1989, p. 391, concl. N. Chahid-Nourai, notes O. Beaud et L. Dubouis, GAJA, n° 92, p. 646.
(22) CE, 24 février 1999, n° 195354, Association de patients de la médecine d'orientation anthroposophique et autres (N° Lexbase : A3956AXS), Rec. CE, p. 29.
(23) CE, 3 décembre 1999, n° 199622, Association ornithologique et mammalogique de Saône et Loire et Association France nature environnement (N° Lexbase : A2608B7Q), Rec. CE, p. 379, concl. F. Lamy, GAJA, n° 105, p. 770.
(24) CE, A, 30 octobre 1996, n° 045126, SA Cabinet Revert et Badelon (N° Lexbase : A1022APK), Rec. CE, p. 397, AJDA 1996, p. 1044, chron. D. Chauvaux et T.-X. Girardot, RFDA, 1997, p. 1056, concl. G. Goulard.
(25) Précité, p. 625.
(26) CE Contentieux, 6 février 1998, n° 138777, M. Tête (N° Lexbase : A6251ASC), Rec. CE, p. 30, concl. H. Savoie, CJEG 1998, p. 283, concl. H. Savoie et note P. Subra de Bieusses, JCP éd. A, 1998, II, 1223, note P. Cassia. Voir également : CE Contentieux, 20 mai 1998, n° 188239, Communauté de commune du Piémont de Barr (N° Lexbase : A7764ASD), Rec. CE, p. 201, concl. H. Savoie, AJDA, 1998, p. 553, chron. F. Raynaud et P. Fombeur, précitée.
(27) Ce communiqué de presse indique que "le Conseil d'Etat reconnaît, lorsque certaines conditions sont remplies, l'effet direct des Directives communautaires".
(27) CJCE, 19 novembre 1991, aff. C-6/90, Francovich et Bonifaci (N° Lexbase : A5783AYT), Rec. CJCE, I-5357.
(28) D. Simon, Le système juridique communautaire, PUF, 3ème édition, 2001, n° 348, p. 446.
(29) Y. Galmot et J.-C. Bonichot, La CJCE et la transposition des Directives en droit national, RFDA, 1988, p. 1.

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Licenciement

[Jurisprudence] Le juge des référés ne peut imposer le licenciement d'un salarié

Réf. : Cass. soc., 18 novembre 2009, n° 08 19.419, Société MBP marketing and business product c/ Société Armor, FS-P+B (N° Lexbase : A7499EN3)

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010

Le juge des référés est souvent saisi dans le cadre de conflits professionnels. Le Code de procédure civile et le Code du travail tracent le cadre de son intervention et le juge des référés se voit rappeler régulièrement qu'il doit demeurer le juge de l'urgence et du provisoire (I), ce qui lui interdit logiquement d'ordonner le licenciement d'un salarié, même embauché en violation d'une clause de confidentialité, comme l'indique un arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 18 novembre 2009 (II).
Résumé

Pas plus que le juge du principal, le juge des référés n'a le pouvoir, à la demande d'un tiers, d'ordonner la résiliation d'un contrat de travail ou de prendre une mesure entraînant la rupture de celui-ci.

I - Rappel des pouvoirs limités accordés au juge des référés

  • Cadre général

Les pouvoirs du juge des référés sont définis, d'une manière générale, par les articles 808 et suivants du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0695H4I), pour ce qui concerne les pouvoirs du président du tribunal de grande instance, et R. 1455-5 et suivants du Code du travail (N° Lexbase : L0822IAP), pour ce qui concerne le conseil de prud'hommes.

  • L'interdiction de trancher au principal

L'article 484 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6598H7I) précise que "l'ordonnance de référé est une décision provisoire rendue à la demande d'une partie, l'autre présente ou appelée, dans les cas où la loi confère à un juge, qui n'est pas saisi du principal, le pouvoir d'ordonner immédiatement les mesures nécessaires". Ce texte trace donc l'une des limites au pouvoir du juge des référés, qui n'a pas à trancher au principal, mais, simplement, si l'on peut dire, d'ordonner des mesures nécessaires et provisoires rendues en urgence soit par la nécessité de prévenir un dommage imminent, soit de faire cesser un trouble manifestement illicite.

C'est donc parce qu'il n'est pas juge du principal que le juge des référés ne peut trancher la question de fond de la détermination de la convention collective applicable dans l'entreprise (1), ni interpréter une clause de non-concurrence (2), ni condamner définitivement une partie au paiement de dommages et intérêts (3), ni statuer sur l'imputabilité de la rupture du contrat de travail (4). Les pouvoirs attribués au juge des référés ne comportent pas non plus celui de condamner un salarié gréviste à exécuter son travail même pendant la durée d'un service minimum (5).

  • Illustration des mesures ordonnées

En tant que juge de l'urgence et du provisoire, le juge des référés peut valablement accorder à l'une des parties une provision ou ordonner la réintégration d'un salarié dont le licenciement est manifestement illicite, sans préjudice de la décision à intervenir au principal sur la nullité du licenciement. Il peut également ordonner la remise d'une lettre de licenciement, ainsi que de l'ensemble des documents de fin de contrat (6).

  • Articulation des compétences avec le juge du principal

D'une manière générale, et lorsqu'est en cause le sort d'un acte juridique, la frontière entre les pouvoirs du juge du principal et celle du juge des référés est, désormais, relativement bien définie : au juge du principal le soin de statuer sur la validité de l'acte, au juge des référés le soin de prendre les mesures conservatoires qui s'imposent, notamment en paralysant les effets de l'acte manifestement illicite, soit en ordonnant la poursuite de l'exécution du contrat de travail, lorsque l'acte litigieux est un licenciement, soit en constatant l'inopposabilité de la clause de non-concurrence lorsque celle-ci est dépourvue de contrepartie financière (7), sans jamais pouvoir en prononcer, bien entendu, la nullité (8).

II - Les limites imposées au juge en cas de violation d'une clause de non-concurrence ou de confidentialité

  • Hypothèse de la violation de la clause de non-concurrence

S'agissant de la violation de la clause de non-concurrence, il a été admis que le juge des référés pouvait enjoindre, le cas échéant sous astreinte, à une entreprise concurrente, de faire cesser la situation de concurrence illicite réalisée en violation d'une clause valable, mais que le juge ne pouvait aller jusqu'à enjoindre à une entreprise concurrente de licencier le salarié en cause (9).

  • Confirmation, en l'espèce, s'agissant d'une clause de confidentialité

Deux sociétés avaient conclu un engagement de confidentialité, aux termes duquel les parties s'engageaient à se fournir mutuellement des informations à caractère économique et commercial et à ne pas recruter l'un des salariés de l'autre partenaire avec lequel elle aurait été en contact dans le cadre des échanges d'information et ce, pendant deux ans à compter de la cessation du contrat, une liste étant annexée au contrat et mentionnant les salariés concernés, au nombre desquels figurait le directeur commercial de l'une d'entre-elle. Ce directeur commercial fut licencié et réengagé par l'autre société en qualité de directeur du développement. Estimant que cette société avait violé l'accord de confidentialité et commis des actes de concurrence déloyale, son cocontractant, ancien employeur du salarié en cause, avait saisi la juridiction commerciale pour qu'elle soit condamnée à mettre un terme à toute collaboration avec le salarié.

La cour d'appel de Rennes avait fait droit à cette demande et ordonné en référé qu'il soit mis un terme au contrat de travail, dans la mesure où le recrutement du salarié était intervenu en violation de l'accord de confidentialité et constituait, par conséquent, un trouble manifestement illicite.

Cet arrêt est cassé, la Cour de cassation indiquant que, "pas plus que le juge du principal, le juge des référés n'a pas le pouvoir, à la demande d'un tiers, d'ordonner la résiliation d'un contrat de travail, ni de prendre une mesure entraînant la rupture de celui-ci", avant de prononcer l'annulation sans renvoi de l'ordonnance.

  • Confirmation de la solution et enrichissement de son fondement

La formule confirme les termes d'une précédente décision demeurée inédite (10) et s'inscrit dans la droite ligne de la jurisprudence dégagée depuis 2003 en la matière (11).

La Cour de cassation ajoute, toutefois, une justification supplémentaire par voie d'obiter dictum. Jusqu'à présent, en effet, l'interdiction de prononcer une injonction de licencier était justifiée par l'analyse des pouvoirs du juge des référés, qui ne peut prononcer que des mesures provisoires, ce qui exclut le licenciement d'un salarié qui présente un caractère irrévocable.

Cette fois-ci, la Cour précise que le juge du principal ne dispose pas non plus de ce pouvoir, ce qui exclut, a fortiori, que le juge des référés puisse en disposer. L'affirmation est totalement inédite, même si elle relève d'une forme d'évidence dans la mesure où, comme le rappelle la Cour, la demande émane d'un tiers au contrat qui ne dispose, par hypothèse, d'aucun droit sur celui-ci et qui ne peut donc pas demander au juge de se mêler de ce qui ne le regarde pas.


(1) CA Versailles, 5ème ch., sect. B, 24 février 2000, n° 99/23612, Stefani c/ SARL Terminus (N° Lexbase : A3225A49), RJS, 6/00, n° 690.
(2) CA Bordeaux, ch. soc., sect. B, 13 juin 2001, n° 01/00710, Mena c/ SA Conseils patrimoine immobilier (N° Lexbase : A3624A4Y) (clause prévoyant la rémunération d'un salarié engagé en qualité de négociateur immobilier).
(3) Cass. soc., 5 mars 2003, 2 arrêts, n° 02-40.778, n° 02-40.778, Société Manufacture française des pneumatiques Michelin c/ M. Alain Raynaud, F-D (N° Lexbase : A3790A7I) et n° 02-40.779, Société Manufacture française des pneumatiques Michelin c/ M. Yves Douard, F-D (N° Lexbase : A3791A7K). Il peut, en revanche, la condamner à payer une provision.
(4) Le juge des référés n'a pas le pouvoir de se prononcer sur l'imputabilité de la rupture d'un contrat de travail. Cass. soc., 11 mai 2005, n° 03-45.228, Association sportive Montpellier Paillade Basket, prise en la personne de son liquidateur amiable, Michèle Tisseyre, liquidateur c/ M. Erwan Bouvier, F-P+B (N° Lexbase : A2360DIA) ; Cass. soc., 25 octobre 2007, n° 06-43.590, Société Stem propreté, F-D (N° Lexbase : A8593DYW).
(5) Cass. soc., 26 novembre 2003, n° 01-10.847, Mme Nadia Soubiran c/ Clinique Ambroise Paré, F-D (N° Lexbase : A3081DAD).
(6) Cass. soc., 28 janvier 2003, n° 01-44.667, Mme Françoise Vaysse, veuve Sandin c/ M. Robert Louis Marie, F-D (N° Lexbase : A8230A4L).
(7) Cass. soc., 25 mai 2005, n° 04-45.794, Société Piejac-Maingret c/ M. Christophe Vessière, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A3957DIE) et lire nos obs., Le juge des référés peut constater l'inopposabilité d'une clause de non-concurrence dépourvue de contrepartie financière, Lexbase Hebdo n° 170 du 2 juin 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N4885AIR).
(8) CA Agen, ch. soc., 3 avril 2001, n° 00/01059, SA Anconetti Star c/ Milinkovitch (N° Lexbase : A3553A4D).
(9) Cass. soc., 13 mai 2003, n° 01-17.452, Société à responsabilité limitée Vialatte Pneus c/ Société en nom collectif (SNC) Euromaster France, FS-P+B (N° Lexbase : A0207B7S) et nos obs., L'interdiction faite au juge des référés d'ordonner la résiliation du contrat de travail d'un ancien salarié violant sa clause de non-concurrence, Lexbase Hebdo n° 72 du 22 mai 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N7459AAI) : "le juge des référés n'a pas le pouvoir d'ordonner la résiliation du contrat de travail d'un salarié". Solution confirmée ultérieurement, Cass. soc., 15 mai 2007, n° 06-43.110, Mme Maria-Paz Baduel, FS-D (N° Lexbase : A2667DWP) : "le juge des référés n'a pas le pouvoir d'ordonner la résiliation d'un contrat de travail, ni de prendre une mesure entraînant la rupture de celui-ci". Déjà, s'agissant de la question voisine de la résiliation du contrat d'apprentissage : Cass. soc., 28 juin 1989, n° 86-43.642, Lemargue c/ Belot, inédit (N° Lexbase : A1905AB8) : "le juge des référés n'a pas le pouvoir de prononcer la résiliation du contrat d'apprentissage".
(10) Cass. soc., 15 mai 2007, n° 06-43.110, préc..
(11) Cass. soc., 13 mai 2003, n° 01-17.452, préc..


Décision

Cass. soc., 18 novembre 2009, n° 08 19.419, Société MBP marketing and business product c/ Société Armor, FS P+B (N° Lexbase : A7499EN3)

Cassation partielle sans renvoi CA Rennes, 2ème ch. com., 1er juillet 2008

Textes visés : C. trav., art. L. 1231-1 (N° Lexbase : L8654IAR) ; C. pr. civ., art. 873 (N° Lexbase : L0850H4A)

Mots clef : juge du principal ; juge des référés ; pouvoirs ; limite ; injonction de licencier

Lien base : (N° Lexbase : E3875ETP)

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Avocats

[Jurisprudence] L'influence du droit du travail sur la rupture du contrat d'avocat collaborateur

Réf. : CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 29 septembre 2009, n° 08/11698 (N° Lexbase : A0547EM9)

Lecture: 7 min

N4739BMH

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par Sébastien Tournaux, Maître de conférences à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

Le 18 Février 2012


Il y a quelques mois à peine, un retentissant arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation requalifiait un contrat de collaboration en contrat de travail en raison du nombre dérisoire de dossiers propres traités par le collaborateur (1). Cette décision démontrait, à qui n'en était pas encore persuadé, la proximité indubitable qui persiste entre collaboration et salariat dans la profession d'avocat. Le juge judiciaire ne semble pas avoir l'intention d'inverser sa tendance au rapprochement des deux statuts, ce que démontre un arrêt de la cour d'appel de Paris rendu le 29 septembre 2009. En effet, par cet arrêt, les juges d'appel se prononcent sur une prise d'acte de la rupture d'un contrat de collaboration (I), technique, jusque là, strictement réservée à la rupture du contrat de travail et dont l'usage illustre à nouveau l'exiguïté de la distinction entre collaboration et salariat (II).

Résumé

La collaboratrice qui a pris acte de la rupture du contrat de collaboration, ne démontre pas que l'associé ait fait preuve de manière constante et permanente d'un tempérament furieux ou violent rendant insupportable la poursuite du travail. Dans ces conditions, la rupture du contrat lui est imputable si bien qu'elle ne peut obtenir indemnisation de la rupture ni de l'inexécution du délai de prévenance.

Commentaire

I. La prise d'acte de la rupture, mode de résiliation du contrat de collaboration

  • Distinction entre collaboration et salariat

L'article 7 de la loi du 31 décembre 1971 dispose que la profession d'avocat peut être exercée soit "à titre individuel, [...] soit en qualité de salarié ou de collaborateur libéral d'un avocat, ou d'une association ou société d'avocats" (2). Cette dualité entre collaboration libérale et salariat est née d'une volonté de compromis lors de l'intégration des conseils juridiques dans la profession d'avocat. Si l'avocat salarié bénéficie d'un statut clairement déterminé par la soumission de sa relation au droit du travail, tel n'est pas le cas de l'avocat collaborateur.

En effet, malgré l'existence légale du statut de collaborateur libéral, le régime juridique du contrat de collaboration n'a été que très parcellairement encadré par les pouvoirs publics. Seuls les articles 129 à 135 d'un décret du 27 novembre 1991 imposent quelques règles relatives aux clauses obligatoires ou interdites dans les contrats de collaboration (3). L'article 129 du texte dispose surtout que "les conditions de la collaboration sont convenues par les parties dans le cadre qui est déterminé par le règlement intérieur du barreau en ce qui concerne notamment la durée de la collaboration, les périodes d'activité ou de congé, les modalités de la rétrocession d'honoraires et celles dans lesquelles l'avocat collaborateur peut satisfaire à sa clientèle personnelle ainsi que les modalités de la cessation de la collaboration".

  • Le statut embryonnaire de la collaboration

Le Règlement intérieur national de la profession d'avocat (RIN) (N° Lexbase : L4063IP8), qui constitue le socle de la déontologie commune des avocats, est sensiblement plus loquace (4). En effet, le premier paragraphe de l'article 14-4 du Règlement est intégralement consacré au régime de la rupture du contrat de collaboration.

Ce texte prévoit, notamment, que chaque partie peut mettre fin au contrat de collaboration en avisant son cocontractant au moins trois mois à l'avance, délai porté à cinq mois au-delà de cinq années de collaboration. Ces délais n'ont, cependant, pas à être observés en cas de manquement grave flagrant aux règles professionnelles (5). Enfin, le texte prévoit des règles de protection de la collaboratrice enceinte ou qui vient d'accoucher et dont le contrat ne peut être rompu qu'en cas de manquement grave aux règles professionnelles non lié à l'état de grossesse (6).

Malgré tout, ce texte reste silencieux sur l'hypothèse qui faisait l'objet de l'espèce commentée, celle de la prise d'acte de la rupture du contrat de collaboration par l'une des parties.

  • L'espèce : prise d'acte de la rupture du contrat de collaboration

En l'espèce, une avocate collaboratrice avait été engagée par contrat de collaboration à durée indéterminée. A la suite d'un comportement de l'associé qu'elle jugeait agressif et violent, la collaboratrice avait été placée en arrêt maladie, emportant à cette occasion l'ensemble des effets personnels qu'elle avait amenés au cabinet. Dans les semaines qui suivirent, l'associé lui adressa une lettre recommandée par laquelle il rompit le contrat de collaboration, avant de se rétracter quelques jours plus tard. Malgré cette rétractation, la collaboratrice ne reprit pas le travail à l'issue de son arrêt maladie et saisit le Bâtonnier afin que ce dernier arbitre le litige.

La sentence arbitrale jugea que la rupture était imputable à l'associé et que, faute de motifs suffisants de rupture, celui-ci devait indemniser la collaboratrice du fait de la rupture ainsi qu'en raison du non-respect du délai de prévenance prévu au contrat.

La cour d'appel de Paris, par un arrêt du 29 septembre 2009, infirme la sentence arbitrale. Pour ce faire, les juges d'appel estiment que la collaboratrice n'avait nullement l'intention de reprendre le travail à l'issue du congé maladie, ce qui se déduisait du fait qu'elle ait repris tous ses effets et qu'elle n'ait pas répondu au courrier de l'associé rétractant sa rupture. Si la cour juge, donc, que la rupture avait été prononcée à l'initiative de la collaboratrice, elle estime également que la résiliation lui était imputable. En effet, les juges estiment que la preuve n'était pas rapportée d'un comportement rendant proprement insupportable la poursuite du travail avec l'associé, si bien que les demandes tenant à l'indemnisation du préjudice subi du fait de la rupture et du non-respect du préavis étaient infondées.

En recherchant l'initiative et l'imputabilité de la rupture, la cour d'appel de Paris fait application, de manière à peine voilée, de règles que connaissent bien les spécialistes de droit du travail, celles de la prise d'acte de la rupture du contrat de travail. Quelle appréciation porter sur ce raisonnement ?

II. L'influence du droit du travail sur la rupture du contrat de collaboration

  • Prise d'acte de la rupture du contrat de collaboration : une technique innovante

Il convient de remarquer que ce n'est pas tout à fait la première fois qu'une juridiction judiciaire est saisie d'une prise d'acte de la rupture d'un contrat de collaboration. Pourtant, l'unique décision rendue jusqu'ici par la Cour de cassation à ce sujet n'apportait que de faibles enseignements (7). La décision de la cour d'appel de Paris est donc d'une importance remarquable en ce qu'elle constitue la première pierre de la construction d'une prise d'acte de la rupture du contrat de collaboration.

A l'analyse de l'arrêt de la cour d'appel de Paris, on est frappé par la réflexion et l'argumentation opérées sur des questions relatives à la distinction entre initiative et imputabilité de la rupture. En effet, le droit commun des contrats, auquel reste principalement soumis le contrat de collaboration, ignore totalement cette distinction. La rupture du contrat ne peut, sauf clause résolutoire, intervenir de manière unilatérale que par l'intervention du juge par application de l'article 1184 du Code civil (N° Lexbase : L1286ABA).

Si certains contrats très particuliers, tels que le contrat de mandat d'intérêt commun, permettent à une partie de rompre unilatéralement le contrat en cas de faute grave du cocontractant, ces situations n'impliquent jamais la recherche de l'imputabilité de la rupture (8). Dans tous les cas, la rupture reste imputable à celui qui prend l'initiative de rompre le contrat, la rupture pouvant ou non être justifiée en fonction de l'existence ou de l'absence de faute grave.

  • La prise d'acte de la rupture : une technique tirée du droit du travail

En réalité, la distinction entre initiative et imputabilité de la rupture est tout à fait spécifique au droit du travail. La distinction a été systématisée par la Chambre sociale de la Cour de cassation à travers la technique de la prise d'acte de la rupture du contrat de travail. Depuis 2003, la Cour de cassation a arrêté le régime juridique d'une telle prise d'acte (9). Elle estime que, dans ce cas, "lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets, soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d'une démission".

C'est à peu de chose près à ce raisonnement qu'a procédé la cour d'appel dans l'espèce commentée. Après avoir démontré que la collaboratrice avait pris l'initiative de la rupture, elle a cherché à savoir si cette rupture était imputable à l'associé. A défaut d'une telle imputabilité, elle fait produire à la rupture les effets d'une rupture à l'initiative de la collaboratrice. La cour va, d'ailleurs, plus loin encore que la jurisprudence de la Chambre sociale en la matière, puisqu'elle déboute l'associé de sa demande en paiement d'une indemnité pour non-respect du délai de prévenance. Or, on se souviendra qu'en cas de prise d'acte de la rupture injustifiée de son contrat de travail par le salarié, la Chambre sociale permet à l'employeur d'obtenir l'indemnisation pour l'inexécution du préavis (10).

  • La prise d'acte de la rupture : symptôme de l'inadaptation de la distinction entre collaboration et salariat

Cette décision démontre, à nouveau, la proximité conceptuelle entre avocat salarié et avocat collaborateur (11). Après les retentissants arrêts ayant permis la requalification d'un contrat de collaboration en contrat de travail (12), c'est désormais l'application de règles tout à fait spécifiques au contrat de travail qui illustrent cette tendance.

Cet arrêt permet, également, de mettre en exergue la nécessité de l'élaboration d'un statut de l'avocat collaborateur réclamée ici ou là (13). Le compromis de 1990 maintenant la dualité de statut semble se fissurer de toutes parts, si bien qu'un choix tranché se révèle de plus en plus indispensable.

Faut-il choisir un salariat généralisé des collaborateurs, comme cela existe en Espagne ? Faut-il, au contraire, faire disparaître la catégorie d'avocats salariés et construire un véritable statut de l'avocat collaborateur ? C'est sur les réponses à ces questions que les têtes pensantes des barreaux de France devraient au plus vite se pencher. Car s'ils ne le font pas, c'est le juge judiciaire qui choisira la voie qui lui paraîtra la plus praticable. Et, le chemin qui semble avoir été emprunté depuis quelques mois est bien celui du modèle salarial.


(1) Cass. civ. 1, 14 mai 2009, n° 08-12.966, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A9766EGS) et les obs. de G. Auzero, Requalification d'un contrat de collaboration libérale en contrat de travail : l'importance de la clientèle personnelle, Lexbase Hebdo n° 353 du 4 juin 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N6304BKP) ; JCP éd. G, 2009, n° 25, 6, note C. Puigelier.
(2) Loi n° 71-1130, du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques (N° Lexbase : L6343AGZ). Cette loi a été modifiée, d'abord, par la loi n° 90-1258, du 31 décembre 1990, relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé et aux sociétés de participations financières de professions libérales (N° Lexbase : L3046AIN) et, ensuite, par la loi n° 2005-882, du 2 août 2005, en faveur des petites et moyennes entreprises (N° Lexbase : L7582HEK).
(3) Décret n° 91-1197, du 27 novembre 1991, organisant la profession d'avocat (N° Lexbase : L8168AID).
(4) La dernière version du RIN a été adoptée le 16 mai 2009. Ses dispositions sont reprises à l'identique par le règlement intérieur du barreau de Paris.
(5) La charge de la preuve du manquement grave repose sur les épaules de la partie qui s'en prévaut. V. Cass. civ. 1, 21 février 1995, n° 93-10.190, inédit au bulletin, rejet (N° Lexbase : A9829CXC).
(6) Pour une application de cette règle, v. Cass. soc., 20 juin 2007, n° 05-44.077, F-D (N° Lexbase : A8689DWQ).
(7) Cass. soc., 11 décembre 2002, n° 00-13.045, F-ND (N° Lexbase : A3952A47). Si cette affaire concernait bien une prise d'acte de la rupture du contrat de collaboration, elle n'apportait que de faibles enseignements puisque la Cour de cassation avait écarté le moyen pour des raisons procédurales.
(8) Sur cette question, v. J. Ghestin, Le mandat d'intérêt commun, in Les activités et les biens de l'entreprise. Mélanges offerts à J. Derrupé, Litec, 1991, pp. 105 et s..
(9) Cass. soc., 25 juin 2003, n° 01-42.679, FP+P+B+R+I (N° Lexbase : A8977C8Y), Bull. civ. V, n° 209, p. 213 et les obs. de Ch. Radé, "Autolicenciement" : enfin le retour à la raison !, Lexbase Hebdo n° 101 du 1er janvier 2004 - édition sociale ([LXB=N9951AA]) ; Dr. soc., 2003, p. 814, avis. P. Lyon-Caen et p. 817, chron. G. Couturier et J.-E. Ray ; Dr. soc., 2004, p. 90, chron. J. Mouly ; JCP éd. G, 2003, II, 10138, note E. Mazuyer ; RJS, 2003, p. 647, chron. J.-Y. Frouin.
(10) Cass. soc., 4 février 2009, n° 07-44.142, F-D (N° Lexbase : A9589EC7).
(11) V. R. Martin, Avocats. Modes d'exercice de la profession, J.-Cl. Civ. Annexes, Fasc. 25, 2006, spéc. § 6.
(12) Cass. mixte, 12 février 1999, n° 96-17.468, (N° Lexbase : A4601AY3) ; Dr. soc., 1999, p. 404, obs. Ch. Radé. V., surtout, Cass. civ. 1, 14 mai 2009, n° 08-12.966, préc.
(13) J. Barthélémy, C. Idrac, J.-L. Magnier, V. Vieille, Réflexions et propositions à propos d'un statut de l'avocat collaborateur, JCP éd. G, 2008, 182.

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Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Jurisprudence] TVA : notion d'"opération accessoire immobilière" pour le calcul du prorata de déduction

Réf. : CJCE, 29 octobre 2009, aff. C-174/08, NCC Construction Danmark A/S c/ Skatteministeriet (N° Lexbase : A5607EMM)

Lecture: 3 min

N4745BMP

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par Thierry Lambert, Professeur à l'Université Paul Cézanne Aix-Marseille III

Le 07 Octobre 2010

Que sont des activités accessoires immobilières ? Voilà la question à laquelle a eu à répondre la Cour de justice des Communautés européennes, dans un arrêt en date 29 octobre 2009. Une entreprise danoise ayant une activité dans le secteur du bâtiment, en qualité de maître d'oeuvre, réalise des travaux de construction, incluant des activités d'ingénierie, de planification, de conseil et de main-d'oeuvre, dans le secteur du génie civil, pour le compte de tiers comme pour le sien. La loi danoise relative à la TVA exonérant de cette taxe la vente d'immeubles réalisés pour le compte de l'entreprise, pour le calcul du prorata de déduction, l'entreprise n'avait pas retenu le chiffre d'affaires résultant de la vente des immeubles construits pour son propre compte. La société a considéré que cette activité de vente immobilière devait être qualifiée d'"opération accessoire immobilière". L'administration danoise contestait cette interprétation considérant que la TVA ayant grevé en amont ses frais communs n'était déductible que partiellement. La vente de biens immobiliers qu'elle a construits pour son propre compte ne constitue pas l'activité principale de la société, mais une activité dérivée de son activité de personne assujettie à la TVA en matière de construction. La loi danoise relative à la TVA exonérant de la TVA la vente d'immeubles réalisés pour le propre compte de la société, celle-ci était tenue en qualité d'assujettie mixte de calculer un prorata pour déterminer le montant sur lequel portait le droit à déduction de la TVA auquel elle pouvait prétendre sur les frais généraux communs aux deux activités.

La 6ème Directive-TVA (art.19 § 2 N° Lexbase : L9279AU9) précise que pour le calcul du prorata de déduction, dans l'hypothèse de biens et services utilisés à la fois pour des activités taxées et des activités exonérées, il est fait abstraction du montant du chiffre d'affaires afférent aux opérations accessoires immobilières.

Dans l'arrêt "Régie dauphinoise", la Cour de justice s'était bornée à écarter la qualification d'opérations accessoires car n'était pas respecté le critère qualitatif tiré de l'absence de lien direct, permanent et nécessaire avec l'activité taxable (CJCE, 11 juillet 1996, aff. C-306/94, Régie dauphinoise - Cabinet A. Forest SARL c/ Ministre du Budget N° Lexbase : A7255AH8, RJF, 1996, 8-9, comm. 1112). Puis dans l'arrêt "EDM", la Cour retient l'existence d'un critère quantitatif concernant la notion d'opération financière accessoire, refusant de considérer le montant du chiffre d'affaires afférent aux opérations financières comme un critère déterminant, mais acceptant l'idée que ce montant puisse être un indice du caractère non accessoire des opérations financières. Cet élément est secondaire par rapport à l'appréciation des opérations financières impliquant une utilisation plus ou moins limitée de biens ou services grevés de TVA (CJCE, 29 avril 2004, aff. C-77/01, Empresa de Desenvolvimento Mineir o SGPS SA (EDM), anciennement Empresa de Desenvolvimento Mineiro SA (EDM) c/ FazendaPública N° Lexbase : A9953DBA, RJF, 2004, 7, comm. 827).

En l'espèce, la Cour de justice des Communautés européennes rappelle, à titre liminaire, que pour déterminer la portée d'une disposition du droit communautaire il y a lieu de tenir compte à la fois de ses termes, de son contexte et de ses finalités. L'analyse finaliste prévaut. La Cour observe que "l'article 19, paragraphe 2, de la sixième directive ne comporte aucun renvoi exprès au droit des Etats membres pour déterminer son sens et sa portée, et que ses termes ne permettent pas, par eux-mêmes, de considérer, avec certitude, qu'il vise une activité telle que celle en cause au principal". Elle en tire une conséquence : "il importe, dans ces conditions, de prendre en compte le contexte et les finalités de cette disposition".

Au sens des dispositions précitées la Cour a jugé que la vente par une entreprise de construction d'immeubles réalisés pour son propre compte ne saurait être qualifiée d'opération accessoire immobilière au motif que cette activité constitue le prolongement direct, permanent et nécessaire de son activité taxable.

Par conséquent, il n'y a pas lieu d'apprécier concrètement dans quelle mesure cette activité de vente, pris isolément, implique une utilisation de biens et services pour lesquels la TVA est due. En outre, le principe de neutralité fiscale ne saurait s'opposer à ce qu'une entreprise de construction qui acquitte la TVA sur les prestations de service, qu'elle effectue pour son propre compte, ne puisse pas déduire intégralement la TVA afférente aux frais généraux engendrés par la réalisation de ces prestations, dès lors que le chiffre d'affaires résultant de la vente de constructions réalisées en est exonéré.

newsid:374745

Assurances

[Chronique] Chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences - Novembre 2009

Lecture: 12 min

N5817BME

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Le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, en collaboration avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences à la Faculté de droit de Nantes, tous deux membres de l'IRDP (Institut de recherche en droit privé). Au sommaire de cette chronique, on retiendra, en matière de contrats d'assurance vie un arrêt du 6 octobre 2009, rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation, qui revient sur la nature juridique de certaines assurances vie et l'obligation ou non au paiement des primes. A l'honneur, également, un arrêt du 4 novembre 2009, aux termes duquel la troisième chambre civile de la Cour de cassation énonce que, lorsqu'il gère ses actifs immobiliers, l'assureur est un vendeur averti.
  • Nature juridique de certaines assurances vie et obligation ou non au paiement des primes (Cass. com., 6 octobre 2009, n° 07-15.325, Association pour le soutien du théâtre privé (ASTP), FS-P+B N° Lexbase : A8687ELC)

La multiplication de formes nouvelles de contrats d'assurance vie et leur proximité -du moins apparente- avec des formules plus anciennes, rend leur analyse juridique parfois délicate. Déjà en octobre, les hésitations quant à la qualification de certaines conventions -ressemblant à d'autres accords de volonté ne relevant pas du droit privé-, constituaient, déjà, le coeur du problème de droit soulevé par un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation en date du 22 octobre 2009. Celui-ci a fait l'objet d'un commentaire (1). Toutefois, c'est encore un autre aspect de ce type de difficultés qu'illustre cet arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation, rendu le 6 octobre 2009.

Une société a obtenu deux prêts : l'un d'une association, l'ASTP, l'autre d'un pool bancaire, l'UFCA. En garantie de ces derniers, l'entreprise a souscrit, auprès de l'UAP aux droits de laquelle se trouve AXA France vie, un premier contrat d'assurance en cas de décès/invalidité de son chef d'entreprise, au bénéfice donc des deux préteurs de deniers. Elle a également contracté une assurance complémentaire en cas de décès de ce même chef d'entreprise au profit de la seule association. Or, fin 1997, cette entreprise est placée en redressement judiciaire. Quelques semaines après, fin janvier 1998, le plan de cession de la société, qui avait été élaboré par l'administrateur judiciaire, est validé par le juge.

L'UAP, considérant être créancière de la prime d'assurance relative au premier contrat, due en tout début de l'année 1998 et qui n'avait pas été réglée, a informé tant l'entreprise que les bénéficiaires des contrats d'assurance vie de cette absence d'exécution de son obligation par la société sous administration judiciaire. Peu de temps après, coïncidence, le dirigeant de l'entreprise décède. La société AXA France vie règle le capital correspondant au contrat d'assurance vie complémentaire ; mais elle refuse de payer celui du premier contrat en prétendant qu'il avait été résilié en raison de l'absence de versement de la prime. Les aspects procéduraux sont à la fois classiques et un peu tortueux ; pour simplifier, exposons que l'association ASTP a assigné l'assureur, lequel a agi, à titre reconventionnel, en remboursement du capital déjà versé au titre de la garantie complémentaire.

Passons vite aussi sur la demande relative à l'article L. 113-6 du Code des assurances (N° Lexbase : L7572HB3), jugée inopérante par la Cour de cassation. N'insistons pas trop, non plus, sur le fait qu'en cas de nomination d'un administrateur judiciaire, même chargé de l'exécution du plan de cession, l'assureur n'est pas tenu de lui adresser la lettre de mise en demeure pour non paiement de la prime d'assurance. En revanche, un point doit être rappelé, à l'instar de ce que souligne la Cour de cassation elle-même : le principe en matière d'assurance vie est celui de l'absence de caractère obligatoire au paiement des primes. L'article L. 132-20 du Code des assurances (N° Lexbase : L0149AAR) précise bien, en effet, que l'assureur n'a pas d'action pour exiger le paiement des primes dans les assurances vie.

S'avère avant tout instructive la contradiction que la Cour de cassation apporte à l'argument développé par la cour d'appel de Paris, dans un arrêt du 16 mars 2006, selon lequel le versement des capitaux d'assurance vie supposait le décès du dirigeant de la société (CA Paris, 15ème ch., sect. B, 16 mars 2006, n° 05/07700 N° Lexbase : A9008D3Z). Pour être plus explicite, précisons que cette dernière considérait que deux conditions devaient être réunies : le décès du dirigeant, personne physique, ainsi, en quelque sorte, que le maintien en fonctions de ce chef d'entreprise à la tête de l'entreprise. La Cour de cassation n'en demande pas autant et se contente d'une seule exigence, qui seule figure dans le contrat d'assurance : le décès de l'individu, assuré.

L'analyse de la décision de cette dernière appelle une approbation sans réserve car elle témoigne de l'absence de confusion entre deux types de contrats qu'il est, en effet, indispensable de distinguer : le contrat d'assurance décès et le contrat d'assurance dit "homme-clef". Que l'on ne se méprenne pas : il ne s'agit pas de prétendre que le premier s'applique aux seules personnes physiques, tandis que le second ne concernerait que les chefs d'entreprise ou dirigeants. Néanmoins, cette seconde hypothèse se rencontre davantage dans un cas que dans l'autre. Soyons plus circonspect encore. Dans les contrats d'assurance décès, seul l'individu, pris en tant que personne physique, est au coeur du contrat ; peu importe la fonction qu'il exerce, sa profession et, de manière plus générale encore, les raisons de la souscription du contrat d'assurance en cas de décès.

En revanche, dans les contrats d'assurance "homme-clef " une place peut être faite à d'autres considérations. Il est ainsi possible de prévoir qu'outre le décès de l'assuré, celui-ci devra avoir tant d'années d'ancienneté dans l'entreprise, qu'il sera surtout tenu d'être -au moment de la survenance effective de l'événement envisagé au contrat : le décès-, toujours cet homme indispensable au bon fonctionnement de la société qu'il était au moment de la conclusion du contrat. Des exigences peuvent avoir été énoncées, lors de la formation du contrat d'assurance vie, pour que l'avantage prévu ne soit pas octroyé alors que les circonstances ont évolué ou que certains aspects essentiels ont disparu : présence encore effective de l'assuré dans l'entreprise au moment de la survenance du décès, ancienneté minimale de celui-ci ou encore maintien de cet "homme-clef" au poste de haute responsabilité qui était le sien. En outre, ces conditions d'octroi du capital ou de la rente -ou d'autres encore- peuvent être cumulées.

Or, tel n'était visiblement pas le cas en l'espèce. Les contrats souscrits l'avaient été en garantie de prêts effectués par le dirigeant d'une entreprise pour le bon fonctionnement de celle-ci et surtout le désintéressement de créanciers de cette entité. C'est en tant que représentant de la société que les contrats avaient été conclu, et non en considération de sa personne particulière. Par conséquent, même si le chef d'entreprise n'était plus dirigeant de celle-ci, cette dernière existait encore. La preuve en est qu'elle avait fait l'objet d'une cession ; elle n'avait pas disparu. Par ailleurs, c'est bien en ce sens que les créanciers avaient entendu obtenir des garanties d'assurance lorsqu'ils avaient accepté de prêter leurs deniers, non pas tant à son dirigeant du moment qu'au représentant, quel qu'il soit, de l'entité morale qui, elle, perdurait au-delà de sa personne.

Pour autant, il convient de reconnaître que la conception de la cour d'appel de Paris n'était pas dénuée de bon sens. Il n'est pas illogique d'exiger qu'une garantie soit versée à celui qui dispose encore du titre qui était le sien lors de la conclusion du contrat, en vertu d'une sorte de parallélisme des formes. Cela dit, encore convenait-il d'avoir élaboré un contrat d'assurance vie qui ait été tout à fait explicite et sans ambiguïté sur ce point ; tel n'était pas la présente situation. De surcroît, adopter l'analyse de la cour d'appel de Paris aurait été pernicieux. Outre qu'elle ne correspondait pas à la demande auprès de l'assureur, tant des préteurs que de la société, elle aurait créé un précédent jurisprudentiel fâcheux. Car, il est indubitable qu'elle aurait modifié, de manière profonde et grave, les nouvelles pratiques des créanciers qui, à défaut des sûretés anciennes ou traditionnelles ne leur donnant plus satisfaction, ont, depuis des années, trouvé dans le droit des assurances vie une telle sécurité transactionnelle. C'est une part énorme de la vie des affaires qui en aurait été bouleversée.

Un tel changement aurait encore porté atteinte à cette sécurité juridique qui est tant reprochée aux tribunaux qui, à l'inverse du législateur, ne statuent pas pour un futur, pouvant être reporté à une date ultérieure suffisamment lointaine pour permettre aux acteurs économiques de prendre leurs dispositions, de mettre en conformité leurs contrats et de s'adapter de façon relativement progressive. Bref, la solution est sage.

Il demeure que détecter la nature exacte du contrat d'assurance n'est pas toujours si aisé, surtout pour qui n'a pas une habitude régulière de cette diversité de contrats néanmoins fort ressemblants. L'habillage ne suffit pas toujours à faire le contrat d'assurance vie.

Véronique Nicolas, Professeur agrégé, Faculté de droit de l'Université de Nantes, Directrice du master II "Responsabilité civile et assurances", vice-doyen, Membre de l'IRDP

  • Gestion par l'assureur de ses actifs immobiliers : l'assureur vendeur averti (Cass. civ. 3, 4 novembre 2009, n° 08-15.804, FS-D N° Lexbase : A8096EMS)

L'article L. 322-2-2 du Code des assurances (N° Lexbase : L6253DIG) consacre la règle de spécialité des sociétés d'assurance en énonçant que : "Les opérations autres que celles qui sont mentionnées aux articles L. 310-1 (N° Lexbase : L0312AAS) et L. 310-1-1 (N° Lexbase : L7028IAK) du présent code et à l'article L. 341-1 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L7395G9R) ne peuvent être effectuées par les entreprises mentionnées aux articles L. 310-1 et L. 310-1-1 du présent code que si elles demeurent d'importance limitée par rapport à l'ensemble des activités de l'entreprise. Un décret en Conseil d'Etat fixe les modalités d'application du présent article".

Il convient de préciser qu'aucun décret n'est paru pour fixer ces "modalités" et qu'aucun texte ne définit cette notion "d'importance limitée".

L'article R. 322-2 du Code des assurances (N° Lexbase : L7784IBW) précise, de son côté, que "les entreprises soumises au contrôle de l'Etat par l'article L. 310-1 ne peuvent avoir d'autre objet que celui de pratiquer les opérations mentionnées à l'article R. 321-1 (N° Lexbase : L7836IBT), ainsi que celles qui en découlent directement, à l'exclusion de toute autre activité commerciale. Elles peuvent faire souscrire des contrats d'assurance pour le compte d'autres entreprises agréées avec lesquelles elles ont conclu un accord à cet effet".

Notre droit des assurances est ainsi articulé autour d'un principe de spécialité de l'objet social des sociétés d'assurance et d'une exception, sous forme de tolérance d'activités accessoires.

Derrière l'énoncé de la règle, se profile une réelle difficulté, liée à la délimitation des frontières de l'activité d'une société d'assurances.

La règle de spécialité se comprend aisément, car permettre à une société d'assurances d'exercer des activités commerciales d'une autre nature pourrait compromettre sa solvabilité, donc l'intérêt de ses assurés. L'interdiction de principe souffre quelques exceptions, malaisées à cerner dans la mesure où il faut définir et délimiter le concept d'activité "connexe", "annexe", "accessoire" ou "afférente à" l'activité d'assurance, concept flou par nature.

Parmi ces activités, il convient de s'interroger sur la possibilité pour un assureur d'exercer une activité de gestion immobilière.

Sans doute faut-il ici distinguer selon que l'assureur gère son parc immobilier d'une façon raisonnable ou se livre à de multiples opérations spéculatives, de nature à tomber sous le coup de la sanction se livrer à une véritable activité commerciale dans une importance qui excède la limite tolérée par l'article L. 332-2-2 du Code des assurances.

Nous avions signalé un arrêt (Cass. civ. 3, 25 avril 2007, n° 06-13.290, publié N° Lexbase : A0318DWP, AJDI, 01/2008, p. 27, cf. nos obs.) ayant eu à connaître d'une espèce où une société d'assurances ayant vendu plusieurs appartements fut assignée sur le fondement de la garantie des vices cachés. Le débat portait sur l'éventualité de reconnaître la qualité de vendeur professionnel de l'assureur cédant des éléments composant son parc immobilier, qualité qui, chacun le sait, invalide la clause exonératoire de garantie en réputant de façon irréfragable le vendeur de mauvaise foi.

L'arrêt soulevait donc la question de savoir si l'assureur peut exercer, à titre d'activité professionnelle connexe, une activité de vente de (ses) immeubles. D'emblée, le simple énoncé de la question laisse deviner le sens de la réponse. Céder ses immeubles est assurément tout différent de se livrer à une activité d'intermédiation pour des biens d'autrui !

L'arrêt n'a pas abordé le problème sous cet angle, et, demeurant sur le droit de la vente, a dénié à l'assureur agissant dans un tel contexte la qualité de vendeur professionnel, aux motifs que "si une société d'assurance, tenue de constituer une réserve pour garantir ses engagements était amenée à effectuer des opérations sur le marché de l'immobilier et si [l'assureur] disposait d'un patrimoine immobilier justifiant l'existence d'un service immobilier, ces éléments ne suffisaient pas à lui donner la qualité de professionnel de la vente immobilière".

Le rejet de cette qualité de vendeur professionnel de l'assureur l'a été au prix d'une analyse in concreto donnant à penser, si l'on s'autorise une lecture a contrario (ce qui est toujours périlleux !), que d'autres éléments plus probants permettraient d'établir cette qualité...

L'arrêt rendu par la troisième chambre civile le 4 novembre 2009 vient apporter une contribution, à nouveau indirecte, à cette problématique.

En l'espèce, un assureur a vendu divers locaux dont 4 637 m² garantis à usage de bureaux ; à la revente de l'immeuble, l'acquéreur constatera un défaut de contenance en 1998 et assigne l'assureur-vendeur, afin d'obtenir réparation du préjudice résultant de l'inexactitude des mentions portées à l'acte de vente, l'administration ayant indiqué que la superficie pour laquelle la redevance pour création de locaux à usage de bureaux avait été originellement acquittée n'était que de 3 086,52 m², ce qui conduit à un "déficit de commercialité" de 1 551 m².

La Cour de cassation approuve la condamnation de l'assureur à garantir son acquéreur de la diminution de valeur vénale des locaux en raison du "défaut de commercialité".

De son côté, l'assureur a appelé en garantie l'agent immobilier et le notaire ayant instrumenté, leur reprochant un défaut de mise en garde et un manquement à l'obligation de conseil.

C'est ici que l'arrêt prend un tour intéressant.

En effet, nul n'a besoin qu'on lui rappelle le développement des obligations de mise en garde et de conseil (cf., en dernier lieu, D. Bakouche, L'obligation du notaire d'informer les parties et d'assurer l'utilité et efficacité des actes auxquels il prête à son concours, Lexbase Hebdo n° 9 du 26 novembre 2009 - édition professions N° Lexbase : N4671BMX, commentaire de Cass. civ. 3, 23 septembre 2009, n° 07-20.965, FS-P+B N° Lexbase : A3375ELL ; et CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 15 septembre 2009, n° 08/05245 N° Lexbase : A3863ELN ; adde Cass. com., 17 novembre 2009, n° 08-70.197, FS-P+B N° Lexbase : A1713EP7), pour les banquiers, assureurs, notaires, avocats, agents immobiliers...

Et chacun sait que la qualité de cocontractant averti ou non averti s'est imposée en tant que critère.

L'assureur avait ici cherché à tirer parti de ce courant jurisprudentiel sévère à l'égard des débiteurs de ce type d'obligation.

La Cour de cassation rejette son moyen, au motif que l'agent immobilier et le notaire "n'étaient pas investis d'une mission spécifique de recherche de la superficie des locaux à usage de bureaux", de sorte que la cour d'appel "a pu, par ces seuls motifs, en déduire que la responsabilité des notaires et de l'agent immobilier n'était pas engagée".

On a vu décision plus sévère. La décision est motivée par l'objet de la mission du notaire certificateur, qui considère qu'il n'a pas à vérifier les déclarations faites par l'assureur vendeur.

En cela, cet arrêt rejoint un précédent (Cass. civ. 1, 28 juin 2007, n° 06-11.076, FS-P+B N° Lexbase : A9418DWQ), ayant jugé que "la cour d'appel a pu en déduire que, sans manquer à son devoir de conseil, [le notaire] n'avait pas à se substituer aux banques dans la recherche de solvabilité des acquéreurs et des risques de ces opérations spéculatives".

Aussi, bien que cet arrêt du 4 novembre 2009 ne l'énonce pas expressément, il nous semble conduire, implicitement, à considérer l'assureur comme un vendeur averti.

Dans ce contexte, conjugué à l'arrêt précité du 25 avril 2007, la décision rapportée autorise cette formule : si l'assureur n'est peut-être pas un "vendeur professionnel", il semble bien être un vendeur averti... de la sévérité de la jurisprudence à son égard et de la nécessité, pour lui, de bien stipuler, lorsqu'il recourt à tout professionnel du droit !

Sébastien Beaugendre, Maître de conférences à la Faculté de droit, Membre de l'Institut de Recherche en Droit privé (IRDP)


(1) V. Nicolas, Les caractéristiques essentielles d'un contrat d'assurance vie, à propos de Cass. civ. 2, 22 octobre 2009, n° 08-20.801, Société Axa france vie N° Lexbase : A2727EMX, in Chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences - Novembre 2009, Lexbase Hebdo n° 370 du 5 novembre 2009 - édition privée générale (N° Lexbase : N3554BML).

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Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Les méthodes de gestion d'un supérieur hiérarchique peuvent caractériser un harcèlement moral ! La Cour de cassation à l'aune du harcèlement "managérial"...

Réf. : Cass. soc., 10 novembre 2009, n° 07-45.321, Association Salon Vacances Loisirs, FS-P+B (N° Lexbase : A1629ENN)

Lecture: 7 min

N5838BM8

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par Fany Lalanne, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010

La Cour de cassation peut être surprenante ! Pourtant, en matière de harcèlement moral, beaucoup semble avoir été dit. Depuis sa consécration législative en 2002 (1), les juges n'ont de cesse de délimiter les contours sibyllins d'une notion à la définition tout aussi délicate. En à peine plus d'un an, contre toute attente, plus d'une centaine d'arrêts ont encore été rendus. Le paradoxe est sans doute là, tout a été dit mais tout semble pourtant encore à construire. L'on en tiendra pour responsable la jeunesse du dispositif. Point de revirement jurisprudentiel spectaculaire et "médiatico-socio-politique" ici, mais plutôt une sorte de mode d'emploi précisé à vocation des juges du fond. L'on se souviendra, ainsi, des six arrêts du 24 septembre 2008, par lesquels la Cour de cassation reprenait avec force le contrôle de l'identification du harcèlement (2). Plus récemment, la Cour régulatrice retenait qu'il n'entre pas dans les pouvoirs du juge d'ordonner la modification ou la rupture du contrat de travail du salarié auquel sont imputés des agissements de harcèlement moral à la demande d'autres salariés, tiers à ce contrat (3). Et, alors que le droit relatif au harcèlement moral semble en pleine expansion, tout du moins en pleine construction, voilà que les juges du fond pointent du doigt une nouvelle forme de harcèlement qui, si elle n'est pas étrangère au harcèlement moral, doit cependant s'en distinguer... le harcèlement professionnel, stratégique ou encore "managérial", nous ne discuterons pas de la terminologie dans ces colonnes -temps de crise oblige-. Un arrêt rendu par la Cour de cassation le 10 novembre dernier est, à cet égard, des plus éloquents et apporte une première pierre, semble-t-il, à un édifice dont les fondations sont à peine posées, véritable colosse aux pieds d'argile...

Elle juge ainsi, par cet arrêt, que caractérisent un harcèlement moral les méthodes de gestion consistant, pour un supérieur hiérarchique, à soumettre ses subordonnés à une pression continuelle, des reproches incessants, des ordres et contre ordres dans l'intention de diviser l'équipe, se traduisant pour le salarié par sa mise à l'écart, un mépris affiché à son égard, une absence de dialogue caractérisée par une communication par l'intermédiaire d'un tableau, ayant entraîné un état dépressif, quand bien même l'employeur aurait pu prendre des dispositions en vue de le faire cesser. En d'autres termes, elle reconnaît explicitement, pour la première fois à notre connaissance, qu'un mode de management s'appliquant à l'ensemble des salariés ou une partie d'entre eux, peut-être constitutif de harcèlement et, à ce titre, engager la responsabilité de l'employeur, avec, d'ores et déjà, une difficulté naissante à laquelle la Cour de cassation risque de se trouver fréquemment confrontée, celui de la distinction entre harcèlement et dérive "managériale".


Résumé

Peuvent caractériser un harcèlement moral les méthodes de gestion mises en oeuvre par un supérieur hiérarchique dès lors qu'elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d'entraîner une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

  • La notion de harcèlement "managérial"

Si le harcèlement moral est défini à l'article L. 1152-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0724H9P), qui ne souffre d'aucune équivocité lorsqu'il retient qu'aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral, qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, il doit cependant être distingué du harcèlement "managérial", qui découlerait de la mise en place d'une politique de gestion intentionnelle touchant l'ensemble des salariés, ou un groupe de salariés, et non seulement l'un d'entre eux. Deux éléments caractériseraient ainsi cette "nouvelle" forme de harcèlement : son caractère "managérial" et hiérarchique, puisque découlant d'une méthode de gestion particulière des salariés, et son caractère collectif, s'affranchissant en cela d'un harcèlement moral et individuel (4).

Précisons, ici, que la notion de harcèlement ne suppose pas de condition d'intentionnalité. Il suffit que les agissements incriminés aient pour effet une détérioration des conditions de travail. C'est ce qu'affirme la Cour de cassation dans un arrêt du 10 novembre 2009, en reconnaissant que "le harcèlement moral est constitué, indépendamment de l'intention de son auteur, dès lors que sont caractérisés des agissements répétés ayant pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d'altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel" (5), consacrant ainsi la solution retenue auparavant par plusieurs arrêts inédits rendus tout au long de cette année (6).

La question du harcèlement "managérial" n'est pas, en elle-même, inédite. Les juges du fond y ont déjà apporté certains éclaircissements. Ainsi, dans un arrêt du 4 juin dernier (7), ils rappelaient que le harcèlement ne doit pas être confondu avec le pouvoir de direction de l'employeur. Arguant, des articles L. 1152-1 (N° Lexbase : L0724H9P) et L. 1154-1 (N° Lexbase : L0747H9K) du Code du travail, ils précisaient ainsi que le harcèlement ne saurait se confondre ni avec les critiques justifiées induites par le comportement professionnel du salarié, ni avec les contraintes imposées par les impératifs de gestion qu'il est susceptible de mal ressentir, ni, encore, avec des difficultés relationnelles avec des collègues de travail ou sa hiérarchie. Et de poursuivre qu'il nécessite, en outre, pour être constitué, la démonstration de faits objectifs. Il convient donc, pour les juges du fond, d'examiner les différentes manifestations des comportements dénoncés par la salariée, constitutifs d'un harcèlement (8). Ainsi, selon les juges, le fait qu'il ait été demandé à l'appelante d'accomplir des tâches ponctuelles et urgentes pendant 48 heures sur les dossiers de sa binôme partie en vacances ne participe pas à des manoeuvres de harcèlement, le pouvoir de direction de l'employeur l'autorisant à déterminer le travail prioritaire à accomplir par ses salariés sans avoir à respecter le délai de prévenance qu'elle évoque.

C'est précisément là que risque de se trouver l'écueil du harcèlement "managérial" : le pouvoir de direction de l'employeur et la distinction entre harcèlement et dérive "managériale". D'ailleurs, ce n'est pas la première fois que les juges avaient à connaître de ce genre de difficultés. Dans un arrêt du 10 janvier 2008 (9), ils relevaient déjà que la mise en place de plannings établis par la responsable du magasin, la modification des heures de pause déjeuner, la suppression des pauses café dans le magasin en dehors des pauses déjeuner, l'interdiction de s'asseoir pendant une conversation téléphonique devant la clientèle, le fait de déballer des colis en réserve, l'obligation de travailler la porte ouverte ou la fixation d'objectifs plus élevés, sont autant de décisions qui relèvent du pouvoir de direction et de gestion de l'employeur, qui pouvaient avoir pour objectif légitime d'améliorer le rendement et la qualité du service dans ce magasin. A contrario, les propos et actions du salarié dans la gestion de son équipe dépassant les limites de ceux usuellement utilisés et admis dans le cadre de la motivation des commerciaux peuvent justifier son licenciement (10). On le voit bien ici, la difficulté, pour les juges, va être de mettre en balance les méthodes de gestion utilisées et contestées et le pouvoir de direction de l'employeur. D'ailleurs, c'est précisément à la suite des divergences des décisions de cour d'appel sur le harcèlement "managérial" que la Cour de cassation s'est appropriée le contrôle de l'identification du harcèlement. En effet, si des méthodes de gestion "coercitives" peuvent parfois caractériser un harcèlement, la Cour régulatrice entend bien les contrôler afin que toutes les situations de management n'emportent pas cette qualification (11). La difficulté étant, il faut le souligner, que ce type de harcèlement va résulter le plus souvent d'un faisceau de causes pouvant être tant professionnelles que personnelles, faisant appel au ressenti de chacun, d'où l'importance d'un contrôle de la qualification par la Haute juridiction dans un souci d'uniformisation.

  • En l'espèce

Dans cette affaire, à la suite de deux arrêts de travail consécutifs à l'arrivée d'un nouveau directeur dans son établissement, un salarié avait été déclaré "inapte médicalement et définitivement à tous postes", le médecin du travail ayant ajouté sans ironie aucune qu'il "serait apte à un poste sans contact avec son directeur actuel". Contestant le prononcé de la nullité du licenciement et sa condamnation au paiement de dommages-intérêts par un arrêt de la cour d'appel de Grenoble du 8 octobre 2007, l'employeur affirmait qu'une méthode de gestion du personnel conduisant à donner des directives à un subordonné par l'intermédiaire de tableaux ou à communiquer des ordres directement à un exécutant ne caractérisait pas un harcèlement moral, et qu'ayant pris des dispositions en vue de prévenir les actes de harcèlement dénoncés, il ne pouvait se voir imputer les conséquences du licenciement.

  • La solution retenue

Le pourvoi est rejeté par la Haute juridiction. A la question de savoir si des méthodes de gestion du personnel peuvent constituer un harcèlement, la Chambre sociale répond ici par l'affirmative. Ainsi, les méthodes de gestion mises en oeuvre par un supérieur hiérarchique peuvent caractériser un harcèlement moral dès lors qu'elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d'entraîner une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

On retrouve ici les deux critères caractéristiques -et désormais très classiques- du harcèlement moral : la répétition des agissements incriminés et leur répercussion sur la santé du salarié. Deux constantes donc, qui découlent de la définition même du harcèlement moral telle que proposée par le Code du travail. Point d'ingénierie particulière de la Cour régulatrice ici. En l'espèce, le directeur de l'établissement soumettait les salariés à une pression continuelle, des reproches incessants, des ordres et contre ordres dans l'intention de diviser, ce qui se traduisait par la mise à l'écart du salarié, un mépris affiché à son égard, une absence de dialogue caractérisée par une communication par l'intermédiaire d'un tableau, et l'avait plongé dans un état très dépressif. Ces agissements répétés portaient atteinte aux droits et à la dignité du salarié et altéraient sa santé, ce qui caractérise un harcèlement moral, quand bien même l'employeur aurait pu prendre des dispositions en vue de le faire cesser.

Que faut-il donc retenir de cette décision ? Une chose essentielle, à nos yeux inédite. Les méthodes de gestion de l'employeur en cause étaient ici dénoncées par toute une équipe. Pour autant, la Cour de cassation a retenu que ces méthodes caractérisaient un harcèlement moral, dans la mesure où elles se manifestaient "pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d'entraîner une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel" (12).

Par cet arrêt, la Cour de cassation semble se diriger donc très nettement vers la reconnaissance d'un harcèlement professionnel (13), c'est-à-dire un harcèlement "managérial et collectif, plutôt que moral et individuel" avec en toile de fond une remise en cause des méthodes de gestion et d'organisation du travail et, plus généralement -notion très à la mode en ces temps de crise- des conditions de travail. Pour autant, elle ne le dénonce pas explicitement et semble même s'évertuer à caractériser une situation de harcèlement moral, au sens de l'article L. 1152-1 du Code du travail, allant jusqu'à reprendre en partie sa définition quasi textuellement. Volonté délibérée ou timidité face à un sujet explosif, gageons que la multiplication des affaires à venir la conduise progressivement à opérer une telle distinction. A l'instar du harcèlement moral, le harcèlement professionnel ou "managérial" risque donc d'avoir de beaux jours devant lui... avec un risque... celui d'avoir ouvert la boîte de Pandore !


(1) Loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002, de modernisation sociale (N° Lexbase : L1304AW9).
(2) Cass. soc., 24 septembre 2008, 6 arrêts, n° 06-46.517 (N° Lexbase : A4541EAG), n° 06-45.747 (N° Lexbase : A4540EAE), n° 06-45.579 (N° Lexbase : A4539EAD), n° 06-43.504 (N° Lexbase : A4538EAC), n° 06-46.179 (N° Lexbase : A4854EAZ) et n° 06-43.529 (N° Lexbase : A4841EAK) et les obs. de Ch. Radé, Principe "à travail égal, salaire égal", égalité de traitement, non-discrimination et harcèlement : la Cour de cassation reprend la main, Lexbase Hebdo n° 321 du 8 octobre 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N3848BHY).
(3) Cass. soc., 1er juillet 2009, n° 07-44.482, Mme Marie-Jeanne Tréboscen, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5748EIQ) et les obs. de S. Tournaux,, Lexbase Hebdo n° 359 du 15 juillet 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N0000BLL).
(4) Lire S. Foulon, Avec la crise, revoilà le harcèlement, LS, novembre 2009, p. 30 sq..
(5) Cass. soc., 10 novembre 2009, n° 08-41.497, Mme Emilienne Moret, FS-P+B+R (N° Lexbase : A7558ENA). Christophe Radé commentera cet arrêt dans les colonnes de Lexbase Hebdo - édition sociale n° 375, à venir.
(6) Par exemple, Cass. soc., 5 mai 2009, n° 07-45.397, M. Rémy Frère, F-D (N° Lexbase : A7517EGI).
(7) CA Paris, pôle 6, ch. 11, 4 juin 2009, n° 07/05933, Mme Pascale Vancaneghem c/ Udaf (N° Lexbase : A1317EIM).
(8) En ce sens, notamment, Cass. soc., 23 novembre 2005, n° 04-46.152, Mme Jeanne Foata c/ Société Polyclinique Santa Maria, F-P (N° Lexbase : A7593DLS).
(9) CA Rennes, 8ème ch., 10 janvier 2008, n° 07/01152, SARL Coton c/ Madame Estelle Lefloch e.a. (N° Lexbase : A3779D74).
(10) CA Paris, 21ème ch., sect. C, 14 octobre 2008, n° 06/12401, SA Neubauer (N° Lexbase : A8747EA9).
(11) Cass. soc., 24 novembre 2009, n° 08-42.956, M. Ljupco Kostadinovski, F-D (N° Lexbase : A1678EPT).
(12) Nous soulignons.
(13) Lire S. Foulon, Avec la crise, revoilà le harcèlement, préc., p. 30 sq..


Décision

Cass. soc., 10 novembre 2009, n° 07-45.321, Association Salon Vacances Loisirs, FS-P+B N° Lexbase : A1629ENN)

CA Grenoble, ch. soc., 8 octobre 2007

Mots-clés : harcèlement ; méthode de gestion ; organisation du travail

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Avocats/Institutions représentatives

[Questions à...] Elections des membres du conseil de l'Ordre de la cour d'appel de Paris - Questions au candidat Jean-Louis Magnier, avocat associé et co-gérant du cabinet Salans & Associés, responsable du département social

Lecture: 4 min

N5854BMR

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par Anne Lebescond, Journaliste juridique

Le 07 Octobre 2010

Les 8 et 9 décembre prochains auront lieu les élections ordinales des avocats à la cour d'appel de Paris, au cours desquelles le tandem Jean Castelain (Bâtonnier)/Jean-Yves Le Borgne (vice-Bâtonnier) devrait être confirmé (1) et le tiers du conseil de l'Ordre sera renouvelé (2) pour trois ans. Composé de 42 membres, ce sont 14 sièges qui sont à pourvoir au sein du conseil. Plus de quarante candidatures (3) ont été déposées, dont celle de Maître Jean-Louis Magnier, avocat associé et co-gérant du célèbre cabinet français à dimension internationale, Salans & Associés. En pleine campagne, celui-ci nous a fait l'honneur de nous recevoir pour nous exposer son parcours, ses motivations et ses convictions quant à l'exercice de la profession

Lexbase : Pourquoi souhaitez-vous devenir membre du conseil de l'Ordre ?

Jean-Louis Magnier : J'exerce la profession d'avocat-conseil depuis plus de trente-cinq ans, au sein de structures françaises à forte vocation internationale. Ma candidature aux fonctions de membre du conseil de l'Ordre s'inscrit dans la continuité de mon parcours, eu égard, tant à mon champ d'activité -le droit social-, qu'aux fonctions managériales que j'ai exercées dès le début des années quatre-vingt dix.

Ainsi, à l'issue de mes études (DES en droit des affaires Paris II Assas et Institut d'études politiques de Paris - Section Ecofi) en 1974, j'ai intégré le cabinet Archibald, au sein duquel, je me suis très rapidement spécialisé en droit social, matière alors émergente (4). Je me suis vite aperçu que cette discipline conduit toujours à l'homme et au collectif, quels que soient les intérêts dont on a la charge.

En 1985, j'ai rejoint, en qualité d'associé, le cabinet Salans & Associés. J'y ai créé et développé le département "droit du travail", que je dirige depuis, et qui compte, aujourd'hui, quatre associés et quatorze collaborateurs. J'ai, également, été nommé co-gérant de la SCP au début des années quatre-vingt-dix (fonction que j'exerce encore actuellement). J'ai, alors, contribué à la mise en place d'une véritable équipe en charge des fonctions de support (administratif, financier et marketing, notamment). J'ai, enfin, exercé pendant, plus de six ans un mandat au sein du conseil de surveillance global du cabinet.

Outre le développement en interne, je me suis consacré au développement international de Salans, d'abord, à Varsovie et à Moscou, à la suite de l'effondrement du "rideau de fer", puis en Europe centrale, en Europe de l'Est et en Asie.

Fort de ces diverses expériences, toutes en rapport avec les modes d'exercice professionnel, à la structuration et au développement d'un cabinet, je souhaite m'engager aujourd'hui pour mes confrères. Dans le cadre des réflexions actuelles sur la profession, je suis conscient de ce que les trois prochaines années seront cruciales, ce qui motive d'autant plus ma démarche.

Lexbase : Quels sont, selon vous, vos atouts dans le cadre de ces élections ?

Jean-Louis Magnier : Mon parcours m'a conduit à me rapprocher progressivement de l'Ordre. Encouragé par le Bâtonnier Charrière-Bournazel, j'ai contribué à certaines missions "de nature institutionnelle", dont la co-rédaction du dictionnaire permanent des honoraires de l'avocat, l'arbitrage dans les litiges en matière de fixation d'honoraires, la participation à des séminaires de formation permanente des avocats, en droit social, aux éditions 2008-2009 de Campus et la réflexion dans le cadre de groupes de travail dédiés aux problématiques de structures d'exercice.

Prétendre au mandat de membre du conseil de l'Ordre implique nécessairement, outre une certaine approche des problèmes rencontrés dans l'exercice de nos professions, un esprit de service, une aspiration au travail collectif et le respect de l'autre. Animé par ces valeurs, je me suis toujours efforcé de les appliquer dans l'exercice de mon métier, comme dans mes différentes fonctions managériales.

Enfin, les très nombreuses voix réunies autour de ma candidature en 2008 m'ont d'autant plus encouragé dans ma démarche et j'ai pu acquérir une connaissance plus approfondie de notre Barreau et des institutions. Je suis prêt, aujourd'hui, à prendre les responsabilités que l'on voudra bien me confier. A cet égard, c'est avec enthousiasme que j'accueille l'esprit de réforme de Jean Castelain et de Jean-Yves Le Borgne.

Lexbase : Comment se déroule votre campagne ?

Jean-Louis Magnier : Ma campagne m'enthousiasme beaucoup. Je suis sur le terrain, à la rencontre de mes confrères. Le barreau de Paris compte plus de 23 000 avocats inscrits, électeurs d'autant plus éclairés, compte tenu de leur profession. Je les rencontre au sein de leur cabinet et lors des nombreuses manifestations auxquelles je participe (colloques, petits-déjeuners, déjeuners, cérémonies, dîners, cocktails, etc.). Cela suppose un investissement considérable en temps ; il s'agit, en réalité, d'un travail quasiment à temps plein. Excellente préparation pour le conseil de l'Ordre !

Bien qu'il s'agisse d'une démarche individuelle, j'ai le bonheur d'être encouragé par les associés et les collaborateurs de mon cabinet, et, en particulier, ceux de mon équipe. Ils me soutiennent, tout d'abord, en amont, puisqu'ils s'investissement fortement dans ma campagne et se montrent très intéressés par celle-ci, mais aussi, en aval, le cas échéant, puisqu'ils s'organiseront en interne, pour me permettre d'exercer au mieux le mandat de membre du conseil de l'Ordre.

Lexbase : Quels sont vos sentiments sur les sujets abordés dans le rapport "Darrois" sur la réforme de profession, notamment, quant à l'interprofessionnalité ?

Jean-Louis Magnier : De façon générale, j'approuve une grande partie des propositions formulées dans le cadre du rapport "Darrois". Plus spécifiquement, je suis, bien entendu, favorable à l'interprofessionnalité, en ce qu'elle me paraît indispensable aujourd'hui, d'un point de vue concurrentiel notamment. Ainsi, la création de l'avocat en entreprise me semble une ouverture utile. Par mon intervention sur de nombreux dossiers internationaux, j'ai pu évaluer les nombreux avantages d'un tel statut, qui ne peut que valoriser nos fonctions. Il faut, néanmoins, s'assurer du respect des principes essentiels régissant la profession d'avocat, notamment, en termes de déontologie. Je suis, en revanche, beaucoup moins favorable à l'ouverture aux capitaux extérieurs. Il me semble qu'il faut préférer favoriser la mise en commun des différents moyens et assouplir nos structures (notamment, du point de vue juridique, fiscal et comptable) pour leur permettre de mieux se développer.

Lexbase : Quelle est la place des cabinets à vocation internationale au sein du conseil de l'Ordre du barreau de Paris ?

Jean-Louis Magnier : Si, jusqu'à récemment, la présence des cabinets d'affaires à vocation internationale était relativement faible au sein du conseil de l'Ordre, ces derniers ont pris conscience de l'importance des institutions et de la nécessité d'une représentation équilibrée dans celles-ci. Le conseil de l'Ordre doit être à l'image de la composition de la profession, d'autant que nous sommes tous confrontés, aujourd'hui, aux mêmes problématiques. Ainsi, se présentent aux élections ordinales quatre avocats issus de ce type de structure.


(1) Maître Bruno Toussaint s'est, en effet, présenté au bâtonnat contre le candidat officiel, Jean Castelain.
(2) Selon l'article 5 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat (N° Lexbase : L8168AID), "les membres du conseil de l'Ordre sont élus pour trois ans au scrutin secret uninominal majoritaire à deux tours [...] le conseil de l'Ordre est renouvelable par tiers chaque année".
(3) Sont candidats, par ordre d'ancienneté dans la profession, Patrick Michaud, Gérard Bigle, Pierre Lenoir, Christian Charrière-Bournazel, Paul-Albert Iweins, Jean-Louis Bessis, Jean-Patrick Delmotte, Jean-Louis Magnier, Elisabeth Cauly, Nadine Belzidsky, Pierre Servan-Schreiber, Hélène Akaoui-Carnec, Germain Latour, Pierre Brégou, Bernard Daratevelle, Antoine Diesbecq, Catherine Saint-Geniest, Catherine Vesselovsky, Elisabeth Oster, Basile Ader, Bernard Fau, Emmanuelle Hoffman-Attias, Xavier Chiloux, Pascale Beauthier-Seguineau, Nathalie Roret, Lionel Jung Allegret, Yves Pautte, Bruno Marguet, Emma Nataf Lapijower, Ismail Benaissi, Houria Si Ali, Abderrazak Boudjelti, Philibert Lepy, Saliha Herida, Anne Salzer, Gautier Gisserot, Michèle Brault, Rabah Hached, Edouard de Bruce, Najoua Bossard, Daniel Ravez, Paula Garboni, Fabien Ndoumou, Avi Bitton.
(4) La loi n° 73-4 du 2 janvier 1973, relative au Code du travail, et la loi n° 75-50 du 3 avril 1975, relative aux institutions de prévoyance sociale, venaient, en effet, d'être promulguées.

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Avocats/Institutions représentatives

[Evénement] Innover pour développer : congrès annuel de l'ACE des 5 et 6 novembre 2009 à Toulouse

Lecture: 5 min

N4746BMQ

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par Anne-Laure Blouet Patin, Directrice de la rédaction

Le 07 Octobre 2010

Placé sous le thème de l'innovation et du développement, le 17ème congrès de l'Association des avocats conseils d'entreprises (ACE) s'est tenu, pour la seconde fois et douze ans plus tard, à Toulouse les 5 et 6 novembre 2009, faisant ainsi la fierté du barreau et de son Bâtonnier, François Axisa. Ce dernier s'est d'ailleurs montré satisfait du thème choisi cette année par l'Association. Innover... L'innovation dans la profession d'avocats est vitale, puisqu'elle caractérise la capacité de ces derniers à s'adapter à leur environnement économique et sociale et ce, pour évoluer au plus près de leurs clients. Développer... est donc le corollaire logique de l'innovation et une absolue nécessité. Et, comme l'a souligné le Bâtonnier Axisa, "c'est bien l'avenir qui est au coeur du Congrès", rappelant qu'un tel thème ne pouvait qu'enthousiasmer un barreau de 1 200 avocats, quatrième barreau français, un barreau jeune, riche de compétences nombreuses et variées, et résolument tourné vers l'avenir. La jeunesse était représentée, lors du Congrès, par Clarisse Berrebi, présidente nationale de l'ACE-JA (jeunes avocats). Et c'est presque un cri d'alarme qui retentit à l'unisson chez les jeunes avocats. Leur formation est-elle encore adaptée aux modèles de la nouvelle économie ? Prenant exemple de la société Google, symbole de cette nouvelle économie, l'avocate du barreau de la Charente (anciens barreaux de Cognac et d'Angoulême) énonce que ce "géant" s'est construit autour de plusieurs affirmations fondatrices : la reprise du pouvoir par les consommateurs ; la création en temps réel de nouvelles communautés ; et la résurgence des masses de niches au détriment des marchés de masses. Ainsi, l'avocat de demain, pour rester en lice, doit s'adapter. Il doit être "un faciliateur, le pivot d'un environnement où l'information sera relayée de plus en plus vite. Celui par lequel la requête transitera, celui qui connectera, qui mettra en relation. [...] Un avocat dont les modes d'exercice seront plus surs, plus rapide, moins couteux en temps, en énergie, en euros pour nos clients". Le ton était donc donné : changer et innover pour mieux se développer... un enjeu de taille dont les premiers jalons ont déjà été posés. Ainsi que l'a souligné Thierry Wickers, Président du Conseil national des Barreaux, la profession n'aime pas le changement, refusant le plus souvent de modifier ou d'abandonner certains concepts fondamentaux ayant bien servi dans le passé. Et de citer Alexis de Tocqueville qui, dans La démocratie en Amérique, compare la situation du juriste français et du juriste anglo-saxon dont il annonce le succès : "l'esprit des légistes et leur penchant instinctif pour l'ordre, leur amour naturel des formes". Ainsi, pour le Président Wickers, tous ces éléments les rendent peu aptes au neuf. Or, force est de constater que le changement est bel et bien là. Citons, brièvement, quelques exemples concrets : la mise en place de la dématérialisation des dossiers judiciaire, via le RPVA ; la refonte de carte judiciaire ; ou encore la prolifération des rapports, "Attali", "Léger" ou "Darrois".

Pour être un acteur de ce changement et élargir la diversification des ses activités, la profession risque de rencontrer plusieurs écueils, rappelés par le Président Wickers : la profession d'avocat ne dispose pas du même accès privilégié aux marchés ressortant du monopole des experts-comptables et des notaires ; elle est confrontée à la concurrence de multiples professionnels (réglementés ou non) qui peuvent pratiquer le conseil et la rédaction d'actes à titre principal ou accessoire ; et, surtout, elle est encore très marqué par une culture judiciaire (dans l'opinion du public l'avocat est l'homme du procès). Et ce dernier constat a été, également, rappelé par Jean-Michel Darrois, auteur du rapport éponyme, qui souligne à quel point il est dommage que l'image de l'avocat ne soit, aujourd'hui, que celle de l'homme du procès, du contentieux ou encore signe d'un précontentieux.

Afin de lutter contre ces écueils, il faut changer et innover : innover en créant un acte d'avocat ; innover en faisant en sorte que l'avocat soit plus présent en tant que conseil et négociateur ; innover en démontrant qu'il n'est pas que plaideur ; innover en modifiant l'identité de la profession -formation initiale, gouvernance et exercice- ; innover en rappelant que l'avocat doit être celui "qui murmure aux oreilles de l'entreprise", pour citer les propos de Jean-Michel Darrois. Et, Pierre Lafont, président de l'ACE, l'a bien rappelé : l'ACE a justement "l'ambition de rassembler le barreau d'affaires". Pour ce faire, l'Association a pris parti, seule, pour une modification des structures d'exercices et pour la suppression de la soumission des dividendes à cotisations sociales ; en phase avec la profession, elle défend la création de l'acte d'avocat.

De nombreuses tables rondes ont donc été organisées par l'ACE en amont du Congrès et de l'ensemble de ces travaux ont pu être dégagées des idées force rappelées par le Bâtonnier Thierry Carrère, ancien Bâtonnier de Toulouse :

- former un juriste innovant,
- exercer la profession de façon innovante,
- et travailler en équipe pour mieux porter les projets.

Et de conclure par cette phrase d'Epictète, "je voudrais avoir la force de changer ce qui peut être changé, le courage de supporter ce qui ne peut être changé et l'intelligence pour distinguer les deux".

Ce 17ème Congrès était également l'occasion pour l'ACE d'adopter de nouvelles motions, dont voici les plus importantes.

Concernant l'acte d'avocat, l'ACE rappelle que la Commission "Darrois" a proposé que l'acte sous seing privé contresigné par un avocat ait une force probante renforcée. Une telle mesure serait de nature à réduire substantiellement le nombre de procès qui trouvent leur origine sur le défaut d'information des parties au contrat. En effet, le contreseing de l'avocat établit que chacune des parties est clairement informée sur les conséquences juridiques de l'acte. Ainsi, un tel acte n'a pas vocation à concurrencer l'acte authentique, puisque, d'une part, il ne sera obligatoire dans aucune circonstance et, d'autre part, il ne lui sera pas conféré la force exécutoire. L'acte contresigné par l'avocat permettra à l'avocat français d'exercer dans des conditions de concurrence normale avec les autres avocats européens, et particulièrement les avocats anglo-saxons.  Au final, l'ACE demande aux parlementaires le soutien de cette réforme contenue dans la proposition de loi d'Etienne Blanc, déposée sur le bureau de l'Assemblée nationale, le 21 juillet 2009 (pour aller plus loin lire, Le point sur l'acte contresigné par un avocat - questions à Maître Michel Bénichou, président de la Fédération des Barreaux d'Europe, Lexbase Hebdo n° 1 du 1er octobre 2009 - édition professions N° Lexbase : N9384BL7).

Concernant la modernisation de la structure d'exercice des cabinets d'avocats, l'ACE souhaiterait que la profession d'avocat puisse utiliser les sociétés de droit commun, civiles ou commerciales, tout en s'appuyant sur une corpus déontologique distinct. A cet égard, elle propose une modification des dispositions de l'article 7 de la loi du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L7649AHR). L'ACE, s'appuyant sur un récent arrêt de la Cour de cassation qui reconnaît à l'expert désigné en application de l'article 1843-4 du Code civil (N° Lexbase : L2018ABD) une complète liberté de choix des méthodes d'évaluation des droits sociaux (Cass. com., 5 mai 2009, n° 08-17.465, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A7605EGR), aimerait également que les accords statutaires de valorisation ou de non valorisation des droits sociaux soient respectés et tiennent lieu de loi à ceux qui les ont passés.

En matière fiscale, l'ACE demande l'abrogation de l'article 2 du décret n° 2009-874 du 16 juillet 2009 (N° Lexbase : L4874IEA) énumérant une série de seize situations de fait censées permettre aux professionnels de détecter une fraude fiscale dont est issu un blanchiment d'argent et de déposer auprès de TRACFIN ou du Bâtonnier une déclaration de soupçon.

Dans le domaine du droit des sociétés, est demandée la modification des seuils imposés par le décret du 25 février 2009 pour la nomination d'un commissaire aux comptes (décret n° 2009-234, portant diverses mesures destinées à simplifier le fonctionnement de certaines formes de société N° Lexbase : L9693ICY).

A propos de la prévention des difficultés, l'ACE demande au Conseil national des Barreaux d'engager une réflexion pour instituer un centre d'information de prévention et de détection des avocats en difficulté au niveau national.

Au niveau de la transmission d'entreprises, il est demandé que soit précisé dans l'article 787 B a, alinéa 2, du Code général des impôts (N° Lexbase : L3703IC7) que l'engagement post mortem puisse être, le cas échéant, souscrit du chef des héritiers légataires par une société interposée.

Enfin en matière internationale, l'ACE, par la voix de son président de section, Christian Connor, après avoir constaté l'insuffisance de coordination des opérateurs français devant les avancées de la common law au plan international, appelle l'Etat et les organisations professionnelles concernées à agir ensemble afin que la France puisse, à l'instar d'autres pays, valoriser les mérites du droit continental, notamment du droit français et de ses praticiens.

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Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Jurisprudence] TVA : cession à titre onéreux d'un portefeuille de contrats de réassurance vie à une personne établie dans un Etat tiers

Réf. : CJCE, 22 octobre 2009, aff. C-242/08, Swiss Re Germany Holding GmbH c/ Finanzamt München für Körperschaften (N° Lexbase : A2335EMG)

Lecture: 4 min

N4744BMN

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par Thierry Lambert, Professeur à l'Université Paul Cézanne Aix-Marseille III

Le 07 Octobre 2010

Une compagnie d'assurances allemande, exerçant des activités de réassurance vie, avait cédé à une compagnie d'assurances établie en Suisse un portefeuille comprenant 195 contrats d'assurance vie. Aux termes de la convention de cession, la compagnie concessionnaire était tenue d'obtenir l'accord des assurés pour devenir partie à ces contrats et reprendre l'ensemble des droits et obligations résultant de ceux-ci. Les contrats de réassurance vie cédés concernaient des entreprises établies dans des Etats membres autres que l'Allemagne ou dans des pays tiers. L'administration allemande avait adressé un avis d'imposition relatif au paiement d'une avance sur la TVA, considérant que la cession était soumise à la TVA en tant que livraison de bien. La société cédante contestait l'imposition en invoquant le bénéfice d'une exonération en tant que l'opération en cause constituait une prestation de services exonérée. En outre, une valeur négative avait été fixée pour 18 des 195 contrats, en conséquence le prix global d'acquisition de l'ensemble de ces contrats avait été réduit. La question posée était de savoir s'il fallait, ou non, assujettir à la TVA la cession d'un portefeuille de contrats de réassurance vie. La juridiction allemande a décidé de surseoir à statuer en renvoyant le litige devant la Cour de justice des Communautés européennes.

L'article 13 B de la 6ème Directive-TVA (N° Lexbase : L9279AU9) prévoit : "sans préjudice d'autres dispositions communautaires, les Etats membres exonèrent, dans les conditions qu'ils fixent en vue d'assurer l'application correcte et simple des exonérations [...] des opérations d'assurance et de réassurance, y compris les prestations de services afférentes à ces opérations effectuées par les courtiers et les intermédiaires d'assurance".

Au regard des dispositions communautaires (6ème Directive-TVA, art. 9 § 1 et 2), le lieu de prestation de services est, en principe, situé à l'endroit où le prestataire a établi le siège de son activité économique ou un établissement stable à partir duquel la prestation de services est rendue ou, à défaut d'un tel siège ou d'un tel établissement stable, au lieu de son domicile ou de sa résidence habituelle. Toutefois, en matière d'opérations bancaires, financières et d'assurance, y compris celles de réassurance à l'exception de la location de coffres-forts, le lieu de la prestation à retenir est l'endroit où le preneur a établi le siège de son activité économique ou un établissement stable pour lequel la prestation de services a été rendue ou, à défaut, le lieu de son domicile ou de sa résidence habituelle.

La notion d'opérations d'assurance et celle d'intermédiaire d'assurance ne sont définies ni par la 6ème Directive-TVA ni par la Directive 73/239/CE du 24 juillet 1973. La Cour de justice, après avoir relevé que les exonérations de l'article 13 de la 6ème Directive-TVA sont d'interprétation stricte (CJCE, 15 juin 1989, aff. C-348/87, Stichting Uitvoering Financiële Acties c/ Staatssecretaris van Financiën N° Lexbase : A7893AUU, RJF, 1989, 11, comm. 1300) estime que l'expression "opération d'assurance" est, en principe, suffisamment large pour inclure l'octroi d'une couverture d'assurance par un assujetti qui n'est pas lui-même assureur mais qui, dans le cadre d'une assurance collective procure à ses clients une telle couverture en utilisant les prestations d'un assureur qui se charge du risque assuré. La Cour de justice précise que les prestations de services sont des notions communautaires qui doivent être interprétées uniformément afin d'éviter les situations de double imposition ou de non imposition pouvant résulter d'interprétations divergentes. Il s'agit de notions autonomes.

Pour la Cour, l'article 33 de la 6ème Directive-TVA permet aux Etats de maintenir ou d'introduire une taxe sur les contrats d'assurance.

La Cour de justice rappelle, en l'espèce, la réglementation communautaire et, notamment, qu'est "considéré comme prestation de services toute opération qui ne constitue pas une livraison d'un bien [...]. Cette opération peut consister entre autres en une cession d'un bien incorporel représenté ou non par un titre".

Dans son arrêt rendu le 22 octobre 2009, la Cour affirme qu'une cession à titre onéreux, par une société établie dans un Etat membre à une compagnie d'assurances établie dans un Etat tiers, d'un portefeuille de contrats de réassurance vie, impliquant pour cette dernière, avec l'accord des assurés, l'ensemble des droits et obligations résultant de ces contrats ne constitue ni une opération d'assurance ou bancaire, ou une opération de réassurance exonérée, ni une opération de prise en charge exonérée d'un engagement ou une opération exonérée concernant des créances.

La Cour rappelle l'article 5, paragraphe 1, de la 6ème Directive-TVA : "est considéré comme une livraison d'un bien le transfert du pouvoir de disposer d'un bien corporel comme un propriétaire". Les biens corporels visés par cette disposition sont : le courant électrique, le gaz, la chaleur, le froid et les choses similaires. La Cour en déduit qu'il "suffit de constater que les contrats de réassurance vie ne peuvent être qualifiés de biens corporels au sens de cette disposition et que, par conséquent, une opération telle que celle en cause au principal, qui consiste à céder de tels contrats, ne peut être considérée comme une livraison de biens au sens de cette même disposition". Or, si l'on se réfère à l'article 6, paragraphe 1 de la 6ème Directive-TVA, toute opération qui ne constitue pas une livraison d'un bien au sens de l'article 5 précité est considérée comme une prestation de services.

Par conséquent, une cession à titre onéreux d'un portefeuille de contrats de réassurance vie constitue une prestation de services au sens de l'article 6 précité. En outre, la Cour soutient à bon droit qu'une cession d'un portefeuille de contrats de réassurance n'est pas, par sa nature, une opération bancaire.

A suivre la Cour de justice, est sans incidence le fait que ce soit le cédant qui paie en contrepartie la valeur négative pour la reprise de 18 de ces contrats.

Rappelons qu'en droit interne français les opérations d'assurance et de réassurance effectuées par des courtiers ou intermédiaires d'assurance sont exonérées de TVA, l'exonération s'étend aux prestations de services étroitement liées aux opérations d'assurance et de réassurance (CGI, art. 261 C N° Lexbase : L5553ICN). L'administration considère que l'exonération concerne uniquement les personnes autorisées par le droit français à exercer l'activité d'assureur ou d'intermédiaire d'assurances (DB 3 A -3181 du 20 octobre 1999). L'exonération s'applique aux courtages et autres prestations de services accomplies par les courtiers d'assurance et de réassurance dans le cadre de leur activité réglementée par les dispositions du Code des assurances.

newsid:374744

Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Jurisprudence] TVA : exonération des opérations d'intermédiaires en négociation de titres

Réf. : CAA Lyon, 5ème ch., 21 septembre 2009, n° 07LY01801, SARL Fidinvest (N° Lexbase : A1648EMY)

Lecture: 3 min

N4743BMM

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par Thierry Lambert, Professeur à l'Université Paul Cézanne Aix-Marseille III

Le 07 Octobre 2010

Une société avait servi d'intermédiaire dans la négociation des conditions de vente de titres de sociétés au profit d'un de ses clients et avait placé ces opérations de médiation sous le régime d'exonération de TVA. La société faisait valoir que son rôle a consisté à mettre en relation le cédant avec des sociétés dont elle a acquis des actions. Son rôle avait consisté à négocier les conditions de vente, à ce titre elle avait perçu une rémunération assise sur la valeur de la décote obtenue. Dans un arrêt rendu le 21 septembre 2009, la cour administrative d'appel de Lyon avait à préciser le champ d'application du dispositif d'exonération qui bénéficie aux intermédiaires se livrant à la négociation de titres pour leurs clients. A l'appui de sa requête, la société faisait valoir l'article 261 C du CGI (N° Lexbase : L5553ICN), lequel précise que sont exonérées de TVA les opérations bancaires et financières autres que celles de garde et de gestion portant sur les actions, les parts de sociétés ou d'association, les obligations et les autres titres, notamment les opérations de négociation qui incluent celles relatives à l'entremise. La notion de négociation a été précisée par le Conseil d'Etat et par la Cour de justice des communautés européennes.

En outre, il fonde sa demande en faisant référence à l'article 13 B de la 6ème Directive-TVA (N° Lexbase : L9279AU9) aux termes duquel les Etats membres exonèrent les opérations, y compris la négociation, mais à l'exception de la garde et de la gestion portant sur les actions, les parts de sociétés ou d'associations, les obligations et les autres titres.

Le Conseil d'Etat exclut seulement de l'exonération les actes de pure gestion effectués par les intermédiaires en opérations bancaires qui sont détachables des opérations de négociations et d'octrois de crédits (CE Contentieux, 11 décembre 1992, n° 119138, Société Chaumontaise d'assistance et de financement (SCAF) N° Lexbase : A8520ARY, RJF, 1993, 2, comm. 204). Par exemple, lorsqu'une société effectue pour le compte d'un fonds commun de placement diverses opérations spécifiques à la gestion de ce fonds, telles la valorisation des actifs et des parts, ou encore, l'inventaire du portefeuille et le contrôle des ratios, et qui sont indissociables, la rémunération qui s'y attache est exonérée de TVA sur le fondement de l'article 261-C du CGI (CE 8° et 3° s-s-r., 6 avril 2001, n° 224406, Ministre de L'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ Société Sogefonds N° Lexbase : A3636ATT, RJF, 2001, 7, comm. 500).

A suivre la Cour de justice, l'exonération vise une activité fournie par une personne qui n'occupe pas la place d'une partie au contrat et dont l'activité est différente des prestations contractuelles typiques, fournies par les parties à de tels contrats. Elle peut consister, entre autres, à indiquer à l'une des parties au contrat les occasions de conclure un tel contrat, à entrer en contact avec l'autre partie et à négocier au nom et pour le compte du client les détails de prestations réciproques (CJCE, 13 décembre 2001, aff. C-235/00, Commissioners of Customs & Excise c/ CSC Financial Services Ltd N° Lexbase : A7231DPI, RJF, 2002, 3, comm. 353). En conséquence, l'activité d'une personne qui consiste à démarcher des emprunteurs potentiels, à apprécier leur solvabilité, à préparer des dossiers de crédit pour les transmettre à des établissements bancaires s'analyse en une opération de crédit, dès lors qu'il y a bien mise en relation de l'organisme prêteur et de l'emprunteur. En outre, la Cour a une interprétation stricte de l'article 13 B-2 de la 6ème Directive-TVA concernant la notion de "prise en charge d'engagements", excluant notamment du champ d'application de cette disposition des engagements autres que financiers, tels que l'engagement de rénovation d'un bien immeuble (CJCE 19 avril 2007, aff. C-455/05, Velvet & Steel Immobilien und Handels GmbH c/ Finanzamt Hamburg-Eimsbüttel N° Lexbase : A9412DU7, RJF, 2007, 7, comm. 875).

La cour administrative d'appel de Paris a jugé que les opérations d'entremise portant sur des actions, des parts de sociétés ou d'associations, des obligations ou autres titres sont exonérées de TVA, à condition toutefois que l'activité du requérant soit aussi exonérée (CAA Paris, 2ème ch., 30 mars 2005, n° 01PA00769, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ M. Monnet N° Lexbase : A0996DIQ, RJF, 2005, 8-9, comm. 841). Les prestations des personnes qui se bornent à recueillir et à transmettre des dossiers de demande de crédit sont exonérées de TVA. Mais, la prestation d'un intermédiaire qui s'entremet dans la réalisation d'opérations de crédit bail, ou de location, avec option d'achat est soumise à la taxe (Rép. Min. n° 34229, JOAN, 22 avril 1996, p. 2201).

Pour la cour administrative d'appel de Lyon, dès lors que le contribuable produit une facture justifiant la prestation d'intermédiaire dans la négociation de titres, l'administration ne peut se borner à invoquer l'objet de conseil en gestion de patrimoine pour refuser l'exonération de TVA.

En conséquence, c'est à bon droit que la société contribuable a été déchargée des droits supplémentaires de TVA.

newsid:374743