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N4536BMX
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
Le 27 Mars 2014
Ce n'est qu'en 1983, que l'Organisation mondiale de la santé a enlevé de la classification des maladies mentales... l'homosexualité. Alors, rien d'étonnant que, un quart de siècle plus tard, le débat fasse, encore, rage au sujet de l'adoption monoparentale, à l'occasion d'un jugement rendu par le tribunal administratif de Besançon, le 10 novembre dernier, ayant ordonné au président du Conseil général du Jura d'agréer une femme vivant en couple avec une autre femme en vue de l'adoption d'un enfant.
Pour mémoire, cette affaire, qui a défrayé la chronique, avait fait l'objet d'un arrêt de la Cour européenne des droits de l'Homme du 22 janvier 2008, condamnant avec une extrême sévérité la France, en affirmant que les autorités internes avaient, pour rejeter la demande d'agrément en vue d'adopter présentée par la requérante, opéré une distinction dictée par des considérations tenant à son orientation sexuelle, distinction intolérable selon les termes de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme. Et de préciser que, dès lors que la loi française permet l'adoption par une personne célibataire, l'accès à l'adoption ne peut être limité en raison de l'orientation sexuelle du demandeur. C'est donc sur la base de cet arrêt et d'une décision de la Halde présumant l'existence d'une discrimination fondée sur l'orientation sexuelle, que le tribunal a rejeté, comme inopérants, les motifs invoqués par le président du Conseil général du Jura pour refuser l'agrément requis.
Il n'est point besoin de souligner combien cette décision aura, à nouveau, soulevé les coeurs, malheureusement plus en vertu des consciences individuelles des ténors de l'échiquier politique, que pour les tenants juridiques que cette décision singulière met en relief.
Nous disons "décision singulière", parce que le tribunal qui, au demeurant, ne reconnaît pas expressément un droit à l'adoption homoparentale, s'applique, essentiellement, à réfuter, rapports sociaux et psychologiques à l'appui, les arguments selon lesquels l'enfant susceptible d'être adopté ne bénéficierait pas d'un foyer d'accueil stable et équilibré. C'est donc bien l'adéquation entre le foyer proposé par l'adoptante et les conditions légales d'agrément à l'adoption qui est caractérisée par le tribunal, au-delà de toute controverse sur son orientation sexuelle. D'aucuns minimaliseront cette décision en précisant, finalement, que le tribunal reconnaît l'adoption monoparentale, sans que ne soit pris en compte l'orientation sexuelle de l'adoptant considéré, en l'espèce, comme une célibataire. "Le jugement rendu n'est pas une reconnaissance du droit à l'adoption pour les couples homosexuels, mais le simple rappel qu'en droit français, un célibataire peut obtenir un agrément en vue de l'adoption", a souligné Michèle Tabarot, présidente du Conseil supérieur de l'adoption et députée UMP des Alpes-Maritimes. "Dans l'affaire en question, il n'y aura qu'une mère adoptive et sa compagne restera un tiers vis-à-vis de l'enfant", a-t-elle, à juste titre, insisté.
Ceci étant dit, il n'aura échappé à personne qu'aussi bien les moyens invoqués que les rapports sociaux et psychologiques font clairement état de la vie de couple homosexuel de l'adoptante. Et, une fois n'est pas coutume, sans doute par honnêteté de conscience, dans une affaire de cette importance, impliquant la construction psychologique d'un enfant, mais aussi par exemplarité, l'adoptante n'avait pas caché sa vie de couple et, ce faisant, son orientation sexuelle. C'est pourquoi le tribunal ne pouvait décemment pas passer sous silence cet état de fait et a explicitement statué sur la stabilité et l'équilibre social et psychologique d'un enfant accueilli par une femme, juridiquement célibataire, vivant en couple depuis 25 ans avec une autre femme. L'apport majeur de cette décision est bien là, mais il est factuel : elle reconnaît publiquement et juridiquement qu'un homosexuel peut offrir la stabilité et l'équilibre nécessaire à l'épanouissement d'un enfant, aux mêmes conditions qu'un hétérosexuel.
Alors, une première interrogation juridique surgit d'ici, de là : c'est celle de l'abus de droit. Force est de constater que, si un couple homosexuel ne peut pas adopter d'enfant, non pas parce qu'il est homosexuel, contrairement à ce que l'on entend à tort, mais parce qu'il n'est tout simplement pas un couple au yeux de la loi, aux termes de l'article 346 du Code civil, un seul des partenaires homosexuels peut parfaitement adopter un enfant qui vivra de facto avec le conjoint de celui-ci. D'aucuns parlent d'hypocrisie, de détournement de la loi et souhaitent même revenir sur l'adoption par les célibataires issue de la loi n° 66-500 du 11 juillet 1966... C'est oublier que l'abus de droit permet de sanctionner tout usage d'un droit qui dépasse les bornes de l'usage raisonnable de ce droit. Traditionnellement, abuse de son droit toute personne qui, entre plusieurs manières d'exercer son droit qui lui procurent le même bénéfice, choisit l'usage le plus dommageable pour les tiers. Le problème, c'est que, pour un couple non marié, quelle que soit son orientation sexuelle, il n'y a toujours aucun moyen légal d'adopter en commun ; par conséquent, il n'y a pas d'abus de droit, parce qu'il n'y a pas de droit à l'adoption commune... et au surplus, reste à prouver que l'adoption par un célibataire hétérosexuel ou homosexuel est intrinsèquement dommageable pour l'enfant. Ecartons, là, donc, l'abus-intention-de-nuire. Pour ce qui est de l'abus social, c'est-à-dire l'acte de détourner un droit vers une fin illégitime, contraire à l'objectif poursuivi par ce droit, la question est doublement épineuse. D'une part, il conviendrait de statuer sur le caractère illégitime, et non plus légal, de l'adoption d'un enfant par un célibataire... Et s'ouvre, alors, un nouveau procès de Valladolid, où il serait question de savoir si les célibataires, et plus singulièrement les homosexuels -puisqu'il est à noter qu'étrangement le prétendu abus de droit exercé par les célibataires hétérosexuels ne provoque pas la même ire- ont l'âme suffisamment "pure" -entendons, pour d'aucuns, exempte du seul désir consumériste- pour adopter un enfant... D'autre part, au-delà de considérations métaphysiques sur la légitimité du désir profond d'avoir un enfant que l'on soit hétérosexuel ou homosexuel, il n'aura échappé à personne que la Cour de cassation, comme le Conseil d'Etat, s'orientent, à travers leur jurisprudence la plus récente, de plus en plus vers un contrôle de l'esprit de la loi ; à savoir si, au-delà du respect de la lettre de la loi, un justiciable n'enfreint pas les motifs généraux ayant procédé à l'adoption de la loi. Et, dans ce cadre une Cour régulatrice ne pourrait que se plier devant un simple fait : l'esprit de la loi relative à l'adoption est parfaitement muet sur l'existence ou le sort du conjoint de l'adoptant, et encore plus silencieuse sur l'orientation sexuelle de l'adoptant... et pour cause, un tel motif serait contraire aux droits fondamentaux internationaux.
Et puis, à lire Voltaire, "quand on ne voyage qu'en passant, on prend les abus pour les lois du pays". Alors certains argueront que la loi n'a pas vocation à officialiser une pratique ; c'est oublier qu'elle le fait depuis tout temps -par les lois de validation par exemple- et, plus singulièrement, depuis la loi introduisant le Pacs, lorsqu'il s'agit d'offrir un statut légal aux couples maritaux et, plus particulièrement, homosexuels. Aussi, la seconde interrogation a, plus volontiers, trait à la nécessité d'une réforme de la loi sur l'adoption. Car, au-delà de la décision du tribunal de Besançon, c'est la question fondamentale du statut du conjoint de l'adoptant qui doit être prioritairement posée ; qu'il s'agisse d'un couple homosexuel ou hétérosexuel, marital ou pacsé. Si la loi de 1966 prévoyait l'adoption par un célibataire pour répondre, selon la mythologie parlementaire, au cas d'une tante qui souhaitait adopter ces cinq neveux et nièces à la suite du décès de leurs parents, quid du déséquilibre de l'enfant à la suite du décès de l'adoptant... enfant qui aura été élevé également par le conjoint de l'adoptant, conjoint qui n'aura aucun droit issu de l'amour, de l'investissement et tout simplement de l'intérêt qu'il porte au développement de l'enfant ?
"Telle est la nature des choses que l'abus est très souvent préférable à la correction, ou, du moins, que le bien qui est établi est toujours préférable au mieux qui ne l'est pas" écrivit La Bruyère. Exception faite, qu'il y va, au bas mot, de l'intérêt d'un enfant qui, aux termes de l'article 24 de la Convention européenne, a droit à la protection et aux soins nécessaires à son bien-être. Et, cette protection doit aussi être d'ordre juridique, pour ne pas dire légal, et non sujette au no man's land.
Dans les pays européens, l'essentiel de la législation sur l'adoption est hérité du droit romain et a été intégré au droit canonique par le pape Nicolas Ier au IXème siècle... Est-ce à dire qu'au XXIème siècle laïc, la messe est définitivement dite ? On se souviendra d'un temps où un imperator romain, dont la bisexualité était légendaire, à lire aussi bien Catulle que Cicéron, avait adopté son neveu à qui il avait légué la majeure partie de ses biens : le premier s'appelait Caius Julius César, le second, Octave, premier des Césars, sous le nom d'Auguste. On ne sait décidément plus à quelle "Rome" se vouer...
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Réf. : CE 8° et 3° s-s-r., 25 septembre 2009, n° 307368, Commune de Val-d'Isère (N° Lexbase : A3335EL4)
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N4512BM3
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par Laurence Vapaille, Maitre de conférences à l'Université d'Evry Val d'Essonne
Le 07 Octobre 2010
Il résulte des articles 1402 et 1404 (N° Lexbase : L9961HLI) du CGI que, lorsqu'une cotisation foncière a été établie au nom d'une autre personne que le redevable légal, le dégrèvement ne peut être prononcé qu'après que les propriétaires intéressés ont fait procéder à une mutation cadastrale à la suite de la publication de l'acte au fichier immobilier ou de la décision judiciaire constatant la modification de la situation juridique de l'immeuble (en ce sens : CE, 19 novembre 2008, n° 285472, Société d'Exploitation du Musée de l'Automobile N° Lexbase : A3121EB9 ; sur les conditions auxquelles sont subordonnées l'imposition du nouveau propriétaire : CE, 13 juillet 2006, n° 272459, Plancke N° Lexbase : A6496DQN). En l'espèce, la question était de savoir comment appliquer les articles 1402 et 1404 du CGI en l'absence de transfert de propriété. En effet, il n'y a pas eu de changement de propriétaire, les immeubles, bases de l'imposition à la TFPB, sont restés la propriété de la commune de Val-d'Isère ; le contrat de concession n'a pas pour effet de modifier la propriété des biens donnés en concession.
Par cet arrêt, venant confirmer la décision des juges d'appel, il est jugé que la procédure de transfert de la cotisation de taxe foncière au redevable légal n'est pas limitée au cas où la mutation cadastrale a été effectuée à la suite d'une mutation de propriété. En l'espèce, il s'agit de la rectification d'une erreur concernant le propriétaire des biens en cause qui est corrigée à la suite d'une réclamation préalable du contribuable imposé à tort. Cette décision vient confirmer l'obligation faite au juge, après avoir prononcé la décharge de l'imposition d'une personne assujettie à tort à la TFPB, de désigner la personne qui en est le contribuable légal. Sous l'empire de la procédure antérieure au 1er août 1994, il existait un lien entre le dégrèvement de la cotisation établie à tort et la connaissance par l'administration du nouveau contribuable afin de garantir le paiement de la cotisation due à raison du bien. La modification de la procédure de mutation de cote n'a pas eu pour effet de modifier l'obligation faite au juge de désigner le redevable en application du principe du caractère réel des impositions foncières qui implique qu'aucune propriété ne doit demeurer non taxée (CE, 24 mars 1999, n° 170982, Vilain N° Lexbase : A4722AX8 ; CE, 8 mars 2006, n° 267295, Société Compagnie foncière de l'Etoile N° Lexbase : A4863DNG).
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Réf. : Cass. soc., 4 novembre 2009, n° 09-60.039, Fédération générale des travailleurs de l'agriculture, de l'alimentation, des tabacs et des activités annexes Force ouvrière (FGTA FO) c/ M. Tarrek Houdrouge, FS-P+B (N° Lexbase : A8195EMH)
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N4594BM4
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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV
Le 07 Octobre 2010
Résumé
L'article L. 2142-1-1 du Code du travail n'interdit pas au syndicat de désigner comme représentant de la section syndicale un salarié le représentant au comité d'entreprise et dont le mandat a pris fin par suite de la perte de représentativité de son organisation. |
I - Le mandat de représentant de la section syndicale
La validité de la désignation d'un salarié en qualité de représentant de la section syndicale est subordonnée à différentes conditions tenant, d'une part, à l'auteur de la désignation et, d'autre part, à la personne du salarié investi du mandat.
Tout d'abord, et ainsi que l'affirme expressément l'article L. 2142-1-1, alinéa 1er, du Code du travail, seul un syndicat qui n'est pas représentatif dans l'entreprise ou l'établissement est en droit d'y désigner un représentant de la section syndicale. C'est, au demeurant, ce qu'a d'ores et déjà rappelé la Cour de cassation à des juges du fond qui, de façon bien curieuse au regard de la clarté du texte, avaient soumis la désignation à l'exigence de représentativité (1).
Cela étant, la désignation de ce représentant n'est pas ouverte à tout syndicat légalement constitué. En effet, par application du texte précité, le syndicat mandant doit avoir constitué une section syndicale, "conformément à l'article L. 2142-1 du Code du travail (N° Lexbase : L3761IBW)". Si cette constitution peut être concomitante à la désignation du représentant de la section (2), elle est réservée, outre aux syndicats représentatifs dans l'entreprise ou l'établissement (3), à ceux qui sont affiliés à une organisation syndicale représentative au niveau national et interprofessionnel, ainsi qu'aux organisations syndicales bénéficiant d'une "quasi-représentativité" (4).
Enfin, la désignation d'un représentant de la section syndicale n'est ouverte que dans les entreprises et établissements occupant au moins cinquante salariés (C. trav., art. L. 2142-1-1, al. 1er). Toutefois, dans les entreprises qui n'atteignent pas ce seuil, et à l'instar de ce que prévoit la loi pour les délégués syndicaux, les syndicats non représentatifs peuvent désigner un délégué du personnel comme représentant de la section syndicale (C. trav., art. L. 2142-1-4 N° Lexbase : L3806IBL) (5).
Pour ce qui est des conditions tenant à la personne du salarié désigné, l'article L. 2142-1-2 du Code du travail (N° Lexbase : L3767IB7) renvoie aux articles L. 2143-1 (N° Lexbase : L2177H9I) et L. 2143-2 (N° Lexbase : L2179H9L), relatifs aux conditions de la désignation du délégué syndical. Le salarié doit donc avoir 18 ans révolus, travailler dans l'entreprise depuis un an au moins (six mois pour les salariés temporaires dans les entreprises de travail temporaire et quatre mois en cas de création d'entreprise ou d'ouverture d'établissement) et n'avoir fait l'objet d'aucune interdiction, déchéance ou incapacité relative à ses droits civiques.
Alors que la durée du mandat d'un délégué syndical peut être à durée indéterminée, celle d'un représentant de la section syndicale est nécessairement affectée d'un terme en application de la loi.
En effet, et ainsi que le rappelle la Cour de cassation dans l'arrêt rapporté, le mandat du représentant de la section syndicale prend fin à l'issue des premières élections professionnelles suivant sa désignation dès lors que le syndicat qui l'a désigné n'est pas reconnu représentatif dans l'entreprise. Le salarié qui perd ainsi son mandat de représentant syndical ne peut pas être désigné à nouveau comme représentant de la section syndicale au titre d'une section jusqu'au six mois précédant la date des élections professionnelles suivantes dans l'entreprise (C. trav., art. L. 2142-1-1, al. 3).
Bien que le texte ne le dise pas expressément, il est certain que le mandat du représentant de la section syndicale prend également fin si le syndicat qui l'a désigné atteint la barre fatidique des 10 % de suffrages exprimés lors des élections professionnelles. Accédant, de ce fait, à la représentativité, il n'est plus en mesure de désigner un tel représentant, par application de l'article L. 2142-1-1, alinéa 1er, ce qui entraîne, à notre sens, la caducité du mandat.
Pour en revenir à la première hypothèse de cessation des fonctions de représentant syndical, la portée du dernier alinéa de l'article L. 2142-1-1 ne prête pas véritablement à discussions. On peut, dès lors, s'étonner de l'effet que lui avaient fait produire les juges du fond dans l'affaire ayant conduit à l'arrêt rapporté.
II - La possibilité de désigner un ancien représentant du personnel en qualité de représentant de la section syndicale
En l'espèce, lors du premier tour des élections professionnelles qui s'était déroulé le 29 octobre 2008 au sein de la société Nestlé Waters marketing, la Fédération générale des travailleurs de l'agriculture, de l'alimentation, des tabacs et des activités annexes Force ouvrière (FGTA FO) n'avait pas présenté de candidat. Par lettre du 5 novembre 2008, cette organisation syndicale avait procédé à la désignation de M. H. en qualité de représentant de la section syndicale.
Pour annuler cette désignation, le tribunal avait retenu que M. H. ayant été désigné le 14 mars 2007 par la FGTA FO en qualité de représentant syndical au comité d'entreprise, son mandat avait cessé avec la perte de la représentativité du syndicat lors des élections du 29 octobre 2008, de sorte que, par application de l'article L. 2142-1-1 du Code du travail, il ne pouvait plus être désigné représentant de la section syndicale avant les six mois précédant les prochaines élections.
Cette décision est censurée par la Cour de cassation au visa de l'article L. 2142-1-1 du Code du travail. Après avoir rappelé la teneur des alinéas 1 et 3 de ce texte, la Chambre sociale affirme qu'"en statuant ainsi, alors que l'article L. 2142-1-1 du Code du travail n'interdit pas au syndicat de désigner comme représentant de la section syndicale un salarié le représentant au sein du comité d'entreprise et dont le mandat a pris fin par suite de la perte de représentativité de son organisation, le tribunal a violé le texte susvisé".
Ainsi qu'il a été dit précédemment, seul un syndicat qui n'est pas représentatif peut désigner un représentant de la section syndicale. Ce droit est donc ouvert aux syndicats qui n'ont jamais été représentatifs dans l'entreprise ou l'établissement, mais, également, à ceux qui viendraient à perdre leur représentativité, que ce soit en raison de leurs mauvais résultats ou, comme en l'espèce, parce qu'ils n'ont pas été en mesure de présenter des candidats aux élections.
Un syndicat ainsi confronté à la perte de sa représentativité peut désigner n'importe quel salarié de l'entreprise ou de l'établissement en qualité de représentant de la section syndicale. Par voie de conséquence, et c'est l'apport premier de l'arrêt sous examen, il n'y a pas lieu de tenir compte du fait que le salarié désigné était antérieurement titulaire d'un autre mandat ayant pris fin en raison de la perte de représentativité de son organisation. Sans doute la loi fait-elle interdiction a un salarié antérieurement investi d'un mandat de représentant du personnel de prétendre aux fonctions de représentant de la section syndicale. Mais, il s'agit uniquement du salarié qui, avant les élections, était représentant de la section syndicale. Faute pour son organisation d'atteindre le seuil de 10 % des suffrages exprimés, son mandat devient caduc et il n'est plus en droit d'être à nouveau désigné comme représentant syndical au titre d'une section, si ce n'est dans les six mois qui précèdent les élections suivantes.
La perte du mandat de représentant de la section syndicale et l'interdiction de postuler immédiatement après à un nouveau mandat de ce type, serait-il, d'ailleurs, donner par une autre organisation syndicale (6), vient, au fond, sanctionner le salarié dont l'action en tant que représentant de la section syndicale a été impuissante à assurer le succès de son organisation aux élections. Cela étant, rien n'interdit à l'organisation qui a perdu sa représentativité ou qui ne l'a pas acquise de désigner un autre salarié en cette qualité.
Il convient, pour finir, de s'attacher à un autre enseignement de la solution. Ainsi que le relève la Cour de cassation, le mandat de représentant syndical au sein du comité d'entreprise avait pris fin par suite de la perte de représentativité de son organisation. Il faut donc comprendre que la validité d'un tel mandat est subordonnée à la représentativité du syndicat mandant. Pourtant, dans un arrêt rendu le 8 juillet 2009, la Cour de cassation a elle-même affirmé que "les nouvelles dispositions de l'article L. 2324-2 du Code du travail (N° Lexbase : L3724IBK), applicables à compter du 22 août 2008, donnent le droit à chaque organisation syndicale ayant des élus, sans autre condition, de désigner un représentant syndical au comité d'entreprise ou d'établissement" (7).
Si la validité de la désignation d'un représentant syndical au comité d'entreprise n'est pas subordonnée à d'autres conditions que celle d'avoir des élus à ce même comité, il n'y a pas lieu d'exiger du syndicat auteur de la désignation qu'il soit représentatif. Mais cela signifie alors que la perte de la représentativité ne met pas un terme au mandat, seule l'absence d'élus à ce même comité y conduisant. Or, c'est précisément ce qu'affirme, certes indirectement, la Cour de cassation dans l'arrêt rapporté. Sauf à considérer que la Chambre sociale entendrait modifier une jurisprudence qu'elle a arrêté il y a moins de quatre mois, il convient de chercher ailleurs la possibilité de concilier ces deux arrêts.
Ainsi que l'ont pertinemment relevé certains auteurs (8), une certaine incohérence affecte les textes relatifs à la désignation d'un représentant syndical au comité d'entreprise depuis l'adoption de la loi du 20 août 2008 (9). En effet, si l'article L. 2324-2 n'exige plus d'un syndicat qu'il soit représentatif pour pouvoir désigner un représentant au comité d'entreprise, c'est "sous réserve des dispositions applicables dans les entreprises de moins de trois cents salariés, prévus à l'article L. 2143-22 (N° Lexbase : L2216H9X)". Il résulte de ce texte que, dans ces entreprises, "le délégué syndical est, de droit, représentant syndical au comité d'entreprise". Là se situe l'incohérence, puisque un délégué syndical étant nécessairement désigné par un syndicat représentatif, seule une organisation bénéficiant de la représentativité serait en mesure de désigner un représentant syndical au comité d'entreprise dans les entreprises occupant moins de trois cents salariés. Dans les entreprises ayant franchi ce seuil, le droit de désigner un représentant syndical au comité d'entreprise est plus largement ouvert puisqu'il "suffit" que le syndicat ait des élus au comité.
Au regard de ce qui vient d'être dit, il convient donc de conclure que, dans l'affaire ayant conduit à l'arrêt rapporté, on était en présence d'une entreprise de moins de trois cents salariés. On s'étonne, néanmoins, qu'il ne soit nulle part fait mention du fait que le salarié était à la fois délégué syndical et représentant syndical au comité d'entreprise. Bien plus, la lecture du moyen annexé au pourvoi indique que le salarié n'était investi que "du seul mandat, distinct, de représentant syndical au comité d'entreprise".
A dire vrai, compte tenu du caractère pour le moins succinct de l'arrêt sur ce point, il convient de ne pas se perdre en conjectures. Pour autant, on aimerait, dans un avenir proche, avoir la certitude qu'un mandat de représentant syndical au comité d'entreprise est ou n'est pas subordonné à la représentativité de l'organisation mandante.
Décision
Cass. soc., 4 novembre 2009, n° 09-60.039, Fédération générale des travailleurs de l'agriculture, de l'alimentation, des tabacs et des activités annexes Force ouvrière (FGTA FO) c/ M. Tarrek Houdrouge, FS-P+B (N° Lexbase : A8195EMH) Cassation de TI Vanves, contentieux des élections professionnelles, 3 février 2009 Texte visé : C. trav., art. 2142-1-1 (N° Lexbase : L3765IB3) Mots-clefs : représentant de la section syndicale ; condition de la désignation ; salarié antérieurement investi d'un autre mandat Lien base : (N° Lexbase : E1826ETS) |
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Réf. : TA Besançon, 10 novembre 2009, n° 0900299, Mme B. (N° Lexbase : A9120EMQ)
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par Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux
Le 07 Octobre 2010
Appréciation du président du conseil général. L'article R. 225-4 du Code de l'action sociale et des familles (N° Lexbase : L2993HPK) impose au président du conseil général compétent pour délivrer l'agrément nécessaire à l'adoption d'un enfant (C. act. soc. fam., art. L. 225-17 N° Lexbase : L8978G9E), de "s'assurer que les conditions d'accueil offertes par le demandeur sur le plan familial, éducatif, psychologique correspondent aux besoins et à l'intérêt de l'enfant adopté". Le texte préconise, pour atteindre cet objectif, le recours à une évaluation psychologique et sociale. Le président du conseil général du Jura avait fondé son refus d'agrément sur ces évaluations qui, selon lui, faisaient apparaître une différence notable entre la requérante et sa compagne quant au projet d'adoption. Des divergences apparaissaient entre les deux femmes à propos de l'âge de l'enfant susceptible d'être adopté et sur la place que chacune d'entre elles était susceptible d'occuper par rapport à lui. Il relève, ainsi, que la position de la compagne de la requérante "reste ambiguë" et qu'elle "montre peu d'engagement affectif vis-à-vis de cet enfant et occupe un rôle de tiers dans cette relation mère-enfant".
Motif exclusif de discrimination fondée sur l'orientation sexuelle. L'argument du défaut d'investissement de la compagne de la requérante reprend celui déjà mis en avant précédemment et qui avait permis au Conseil d'Etat de considérer que le refus n'était pas discriminatoire car fondé sur une appréciation concrète de l'intérêt de l'enfant (2). Même la Cour européenne des droits de l'Homme avait reconnu que cet argument était étranger à toute considération sur l'orientation sexuelle de l'intéressée en considérant qu'il était tout à fait légitime et conforme à l'intérêt supérieur de l'enfant, que les autorités françaises prennent en compte l'attitude d'une personne qui, de fait, va participer à d'accueil de l'enfant adopté (3). Elle avait, cependant considéré, au prix d'un raisonnement critiquable, que l'autre motif sur laquelle avait été fondé le refus d'agrément, à savoir le défaut de référent masculin dans l'entourage de la requérante, était, en réalité, lié à l'orientation sexuelle de la candidate à l'adoption et que le caractère discriminatoire de ce dernier motif contaminait l'ensemble de la décision.
En abandonnant le motif fondé sur l'absence de référant masculin, qualifié de discriminatoire -ce dont on pourrait d'ailleurs discuter- par la Cour européenne des droits de l'Homme, le président du conseil général du Jura s'était donc conformé à la décision de la juridiction européenne et se pensait sans doute à l'abri d'une annulation de sa décision par le tribunal administratif.
Observations de la Halde. Pourtant, la Halde, dans des observations du 5 octobre 2009 (4) avait considéré que "certes la décision litigieuse ne fait pas directement référence à l'orientation sexuelle. Il n'en demeure pas moins que la teneur des arguments avancés par le président du conseil général, pour fonder sa nouvelle décision de refus en 2009, laisse présumer l'existence d'une discrimination que les justifications du mis en cause, recueillies dans le cadre de l'instruction, n'ont pas suffi à renverser, que le détournement de pouvoir est établi, que la décision du conseil général du Jura a été prise en violation des articles 8 et 14 de la CEDH". La Halde se fonde sur l'examen des pratiques des services sociaux qui, selon elle, "se rallient le plus souvent à la perception psychologique classique suivant laquelle les bonnes conditions d'accueil impliquent l'existence d'un couple parental composé d'un homme et d'une femme" et sur l'analyse du contentieux en matière de refus d'agrément qui montre que "l'implication d'une compagne ou d'un compagnon hétérosexuel est étudiée au cas par cas, et assez souplement, par le juge qui est conduit à se demander si le ou la candidate à l'adoption est susceptible de proposer une image de référent paternel ou maternelle à l'enfant accueilli" et que, au contraire, "l'homosexualité du candidat célibataire implique pour le juge la carence, de fait, de référent de l'autre sexe et justifie les refus d'agrément, l'argument de l'absence d'implication étant alors avancé". Plus précisément, la Halde fait état de décisions du conseil général du Jura accordant l'agrément à une personne hétérosexuelle dans laquelle il se montre beaucoup moins exigeant quant à l'implication du concubin dans le projet d'adoption.
La Halde reconnaît, elle-même, que "l'argument du manque d'implication n'est pas directement révélateur, à lui seul, de la prise en compte de l'orientation sexuelle de la réclamante", mais elle considère que "son examen ne saurait cependant être réalisé isolément, sans appréciation globale des autres motifs qui ont servi à fonder la décision du conseil général". Elle relève le fait que la requérante et sa compagne ont été interrogées sur les difficultés que l'enfant pourrait rencontrer "en lien avec leur couple".
Renversement de la charge de la preuve. On peut se demander si l'analyse de la Halde ne pêche pas quelque peu par excès et si le contexte dans lequel la décision a été rendue ne se voit pas conférer une place trop importante dans son jugement. D'ailleurs la Halde affirme qu'il "est difficile de ne pas rapprocher la prise en compte de telles considérations, propres à l'orientation sexuelle de Mme B., de celles qui avaient fondé la décision du même conseil général en 1998. Les termes mêmes du compte-rendu de la commission de 1998 montrent que les considérations liées à l'orientation sexuelle de la réclamante étaient, en réalité, prépondérantes et ce, alors même que la décision finale du président du conseil général ne comportait aucune mention liée à l'orientation sexuelle".
Le raisonnement consistant à considérer qu'il existe une présomption de l'existence d'une discrimination fondée sur l'orientation sexuelle qui devrait être renversée n'est pas exempt de tout reproche en ce qu'il aboutit à faire peser sur l'auteur de la décision la preuve quasi impossible que cette dernière n'a pas été prise en considération de l'homosexualité du requérant. Surtout, cette présomption repose sur le postulat que les personnes impliquées dans la réalisation des évaluations ont un a priori négatif quant à la capacité d'un candidat à l'adoption vivant en couple avec une personne de même sexe, ce qui provoque un certain malaise.
Certes, le raisonnement de la Halde s'inspire sans aucun doute de l'article 4 de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations (N° Lexbase : L8986H39), selon lequel "toute personne qui s'estime victime d'une discrimination directe ou indirecte présente devant la juridiction compétente les faits qui permettent d'en présumer l'existence. Au vu de ces éléments, il appartient à la partie défenderesse de prouver que la mesure en cause est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination". Il n'en reste pas moins que dans l'affaire considérée les éléments objectifs et concrets permettant de présumer l'existence d'une discrimination étaient manifestement insuffisants, sauf à considérer, par principe, que tout refus d'agrément opposé à un candidat à l'adoption homosexuel est, en réalité, fondé sur son orientation sexuelle. Un tel raisonnement serait sans aucun doute peu conforme à l'intérêt des enfants dont il faut rappeler qu'il doit prédominer.
Prise en compte de l'identité de sexe du couple destiné à accueillir l'enfant. Même si on pouvait nourrir quelques doutes quant à l'impartialité du président du conseil général lorsqu'il a eu à connaître de la deuxième demande d'agrément, on ne peut, de manière générale, condamner le fait que les autorités compétentes se préoccupent de la manière dont la candidate à l'adoption entend gérer les difficultés que l'enfant pourrait connaître du fait de son homosexualité et de sa vie avec deux femmes, difficultés qui ne sauraient être niées. Il convient, certes, de se garder de tout jugement a priori, mais il paraît conforme à l'intérêt de l'enfant de s'assurer que la candidate à l'adoption est consciente de la situation particulière que celui-ci est appelé à vivre. Il paraît en tout état de cause excessif de déduire d'une interrogation de la commission d'agrément sur ce sujet, que le refus d'agrément est fondé sur l'orientation sexuelle de la candidate à l'adoption.
On comprend donc que le tribunal administratif de Besançon ait refusé de suivre la requérante qui prétendait que la motivation réelle du président du conseil général tenait à son orientation sexuelle. Aucun élément précis ne permettait, en effet, de conclure en ce sens, et le soupçon qui pesait sur la commission d'agrément du département et le président du conseil général ne pouvait être en lui-même suffisant.
Impartialité. Le tribunal aurait certes pu retenir l'argument de la requête selon lequel la commission d'agrément était composée de plusieurs fonctionnaires dont la présidente, qui avaient déjà eu à connaître du dossier en 1998 et que, partant, elle n'était plus impartiale. Le juge administratif ne répond pas à cet argument, ce que l'on peut regretter. Toutefois s'il avait admis le défaut d'impartialité de la commission d'agrément, il n'aurait vraisemblablement pas renvoyé la décision à une autre commission et aurait repris l'ensemble des éléments du dossier pour substituer son appréciation à celle du président du conseil général. Le tribunal parvient en réalité au même résultat sans porter de jugement a priori sur l'évaluation opérée par le président du conseil général, qu'il s'agisse de ses motivations profondes ou du processus lui ayant permis de prendre sa décision. Il procède en effet directement à une nouvelle appréciation de la situation de la candidate à l'adoption.
II - Le recours à une nouvelle appréciation des faits
Nouvelle lecture des évaluations. Le tribunal administratif, opérant un contrôle complet et détaillé, reprend les évaluations à partir desquelles le président du conseil général a fondé son refus de délivrer un agrément pour adopter à Mme B. et en fait une lecture tout à fait différente. Alors que le président du conseil général du Jura avait considéré qu'il existait un décalage entre cette dernière et sa compagne "concernant leur positionnement respectif vis-à-vis de l'enfant à adopter", le tribunal administratif note qu'au vu des rapports, "l'engagement de la compagne de Mme B. paraît réel et les fonctions du couple suffisamment définies", et que "si l'assistance sociale relève effectivement que Mme R. se positionne en tiers dans la relation mère-enfant elle n'en tire pour autant aucune conclusion négative".
Conclusions opposées. Le moins que l'on puisse dire est que les appréciations portées sur les mêmes rapports sont différentes ! De là à déduire que chacun des lecteurs a retenu les seuls éléments qui allaient dans le sens de la décision qu'il souhaitait prendre, le premier pour justifier un refus d'agrément qu'il considérait justifié pour des raisons non avouables, le second pour justifier une acceptation de l'agrément pour mettre fin à une affaire embarrassante, il n'y a qu'un pas... On peut à tout le moins considérer qu'une telle divergence d'appréciations sème le doute sur leur objectivité respective. On peut se demander dans quelle mesure le poids de la condamnation de la France par la Cour européenne a pesé sur la décision du tribunal administratif de Besançon. Sans doute l'a-t-elle au moins incité à reprendre l'ensemble des éléments du dossier, ce dont il faut se féliciter. Mais on se demande alors pourquoi une telle démarche intervient dans cette affaire aussi tardivement (5). Il est vrai que les évaluations à partir desquelles a été rendue la décision du tribunal de Besançon ne sont pas celles ayant fondé la première demande d'agrément qui a abouti à la condamnation européenne. Heureusement, le président du conseil général a annoncé qu'il entendait se soumettre -enfin- à la décision du tribunal.
(1) CEDH, 22 janvier 2008, req. n° 43546/02, E. B. c/ France (N° Lexbase : A8864D3P) et lire nos obs., Adoption par une personne célibataire homosexuelle : la sévérité de la Cour européenne des droits de l'Homme à l'égard de la France, Lexbase Hebdo n° 291 - édition privée générale (N° Lexbase : N0427BEK).
(2) CE 1° et 2° s-s-r., 5 juin 2002, n° 230533, Mlle B. (N° Lexbase : A8690AYI), AJDA, 2002, p. 615, concl. P. Frombert ; D fam., 2003, comm. n° 19, obs. P. Murat.
(3) Arrêt CEDH, préc..
(4) Délibération n° 2009-350.
(5) En réalité le tribunal administratif de Besançon avait déjà annulé le premier refus d'agrément du président du conseil général en 2000... et cette décision avait été infirmée par la cour administrative d'appel (CAA Nancy, 21 décembre 2000, n° 00NC00375 N° Lexbase : A9656BKT) !
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par Anne Lebescond, Journaliste juridique
Le 07 Octobre 2010
Le juge a, tout d'abord, rappelé que la BCR et la Fédération de Russie sont des personnes juridiques distinctes dont les patrimoines respectifs ne se confondent pas. Il a, ensuite, déclaré infructueuse et nulle la saisie attribution effectuée sur les avoirs financiers détenus par la BCR, sur le fondement de l'article L. 153-1, alinéa 1er, du Code monétaire et financier. Le créancier a fait appel de cette décision, mais n'a pas plus obtenu gain de cause. La solution rendue par la cour d'appel de Paris confirme en tous points la décision attaquée.
Les enjeux sont de taille, autant du point de vue de l'espèce -compte tenu de l'identité des parties et des montants en cause-, que de façon plus générale : les avoirs détenus par les banques centrales étrangères sur la Place financière de Paris représentent des sommes souvent vertigineuses. En consacrant le principe d'insaisissabilité des biens des banques centrales étrangères, le juge renforce la compétitivité de la place financière française, vis à vis de Dublin, par exemple. Lexbase Hebdo - édition privée générale a rencontré Pascale Poupelin, Partner, Catherine Joffroy Counsel et Richard Marty, Maître de conférences des Universités et Of Counsel du cabinet Salans, conseil de la BCR dans le cadre de l'instance, pour faire la lumière sur les aspects juridiques de cette affaire.
Lexbase : Quels étaient les arguments développés par l'appelant au soutien de sa contestation de la qualité à agir de la BCR ?
Pascale Poupelin, Catherine Joffroy et Richard Marty : Devant le juge de l'exécution, l'appelant avançait, tout d'abord, que la BCR détenait des fonds pour le compte de la Fédération de Russie de sorte que la propriété des fonds saisis reviendrait à cet Etat. Dès lors, les fonds saisis sur un compte ouvert au nom de la BCR étaient, selon lui, légitiment appréhendés pour appartenir à son débiteur, la Fédération de Russie. Le raisonnement n'a pas été suivi par les premiers juges, ni par la cour d'appel, qui ont réaffirmé, d'une part, la distinction des personnalités juridiques de l'Etat et de la BCR et l'absence de confusion de leurs patrimoines, et, d'autre part, la propriété des fonds saisis par la BCR, dès lors qu'ils étaient placés sur un compte ouvert à son nom. Ainsi, un créancier ne peut pas se payer sur les avoirs financiers d'une banque centrale étrangère. Admettre le contraire reviendrait à laisser les banques centrales étrangères à la merci de tous les créanciers des Etats dont elles relèvent.
En appel, la société Noga s'est surtout concentrée sur la qualité à agir de la BCR. Si elle admettait que l'Etat et la BCR étaient bien des personnes distinctes, la solution devait, néanmoins, lui être favorable. La société invoquait, en effet, l'impossibilité pour le tiers saisi, qualité qu'elle prêtait unilatéralement à la BCR, de contester la saisie-attribution, seul le débiteur saisi, en principe, ayant la qualité et l'intérêt à le faire. Le tiers saisi a, quant à lui, un devoir de réponse à l'égard du créancier muni du titre requis. Si la BCR était distincte de la Fédération de Russie et, alors, n'était pas le débiteur saisi, elle aurait été le tiers saisi auquel fait référence le droit des voies d'exécution, de sorte qu'elle n'avait pas qualité à agir.
Le juge a également rejeté cet argumentaire : la BCR est un tiers, première victime de la saisie, et non pas le tiers saisi qui, en l'espèce, était la Banque française. Le droit français consacre, en effet, le principe de la titularité du compte bancaire, sauf preuve contraire. Or, la BCR n'est pas une émanation de la Fédération de Russie et le compte sur lequel figuraient les sommes saisies était ouvert à son nom dans les livres de la Banque française. La BCR n'est donc, ni le débiteur (qui est la Fédération de Russie), ni le tiers saisi (qualité prêtée à la Banque française), mais bien un tiers à proprement parler, dont les fonds ont été saisis. La BCR avait, donc, qualité et intérêt à agir, afin de protéger son patrimoine, comme le lui reconnaît le droit positif.
Par ailleurs, Noga a invoqué la renonciation de la Fédération de Russie à son immunité d'exécution étatique. A l'instar des juges de premières instances, la cour d'appel de Paris a rejeté cet argument, car le régime de l'article L. 153-1 du Code monétaire et financier consacre, à la fois, une insaisissabilité des biens des banques centrales étrangères et une immunité qui leur est propre, distincte de celle des Etats.
La renonciation par la Fédération de Russie à son immunité d'exécution étatique a donc été jugée comme indifférente à la solution du litige.
Lexbase : Pourquoi la Banque n'est-elle pas intervenue volontairement à l'instance ?
Pascale Poupelin, Catherine Joffroy et Richard Marty : Les banques françaises au sein desquelles les avoirs de la BCR ont été saisis se sont légitimement posées la question d'intervenir aux instances, mais elles ont finalement pris le parti de ne pas le faire. Cette décision nous semble justifiée. Tout d'abord, elles risquaient de voir niée leur qualité à agir, puisqu'elles étaient (discutablement) considérées comme des tiers saisis. Ceux-ci ne peuvent pas, en principe, comme nous l'avons vu, contester la saisie.
La position des banques françaises était d'autant plus inconfortable, qu'elles se trouvaient partagées entre leur responsabilité vis-à-vis de la BCR et leur devoir de réponse dans le cadre de la procédure de saisie-attribution.
La situation se compliquait encore par le fait que les termes de l'article L. 153-1 du Code monétaire et financier récemment introduit n'avaient, jusqu'alors, jamais été interprétés. Or, ces dispositions sont très larges, leur but étant de poser le cadre général d'un dispositif juridique d'insaisissabilité des biens des banques centrales étrangères pour renforcer la compétitivité de la place financière de Paris. Il n'était, par conséquent, pas évident d'anticiper la position du juge.
Enfin, on peut imaginer qu'en cas d'échec judiciaire, les banques françaises qui n'avaient aucune obligation d'intervenir à l'instance, auraient été placées dans une situation très délicate, tant pour leur image, qu'eu égard aux risques de retrait des fonds détenus par les banques centrales étrangères sur la place financière française.
Lexbase : Sur quels fondements la cour d'appel a-t-elle confirmé la nullité de la saisie-attribution ?
Pascale Poupelin, Catherine Joffroy et Richard Marty : Le juge de l'exécution et la cour d'appel de Paris ont fait une application stricte des dispositions du premier alinéa de l'article L. 153-1 du Code monétaire et financier, aux termes duquel "ne peuvent être saisis les biens de toute nature, notamment les avoirs de réserves de change, que les banques centrales ou les autorités monétaires étrangères détiennent ou gèrent pour leur compte ou celui de l'Etat ou des Etats étrangers dont elles relèvent". Le texte déclare insaisissables les biens détenus par les banques centrales, leur appartenance étant indifférente. Ainsi, qu'ils soient, en réalité, la propriété de la banque centrale ou celle de l'Etat, les fonds détenus par une banque centrale ne peuvent pas être saisis. La théorie du mandataire/dépositaire des fonds de la BCR pour le compte de l'Etat dont elle relève avancée par l'appelant devient, ici, totalement inopérante.
La société suisse avait tenté d'invoquer initialement l'exception posée par le second alinéa de l'article L. 153-1 du Code monétaire et financier : "par exception [...], le créancier muni d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut solliciter du juge de l'exécution l'autorisation de poursuivre l'exécution forcée [...] s'il établit que les biens détenus ou gérés pour son propre compte par la banque centrale ou l'autorité monétaire étrangère font partie d'un patrimoine qu'elle affecte à une activité principale relevant du droit privé". Ultérieurement et par une argumentation prêtant à confusion, l'appelant avançait que la BCR détenait en grande partie de l'argent provenant de fonds monétaires créés par le Gouvernement russe, affectés, notamment, au financement des régimes de retraites des fonctionnaires et à des prises de participations de la Fédération de Russie, en particulier dans des entreprises pétrolières. Ces derniers investissements étrangers, confiés à la BCR, relevaient, selon le créancier, du droit privé, en ce qu'ils avaient des fins spéculatives pour l'Etat.
Mais, si l'on s'en tient à la lettre du texte, des avoirs financiers peuvent faire l'objet d'une saisie attribution s'ils sont détenus ou gérés pour le propre compte de la banque centrale (et non celui de l'Etat) et s'ils sont affectés à une activité principale de droit privé. La première condition laisse supposer que les biens détenus ou gérés pour le compte de l'Etat sont tout le temps insaisissables, qu'ils soient affectés à des financements d'ordre privé ou public. Ainsi, si les fonds saisis sur les comptes français de la BCR sont destinés à financer des investissements étrangers pour le compte de la Fédération de Russie, l'exception ne devrait pas jouer, quand bien même la nature de l'activité financée par les fonds serait privée. Cela n'a, toutefois, pas été relevé par la cour.
Celle-ci, pour confirmer l'insaisissabilité des sommes détenues par la BCR (personne juridique autonome et indépendante) et déclarer nulle la saisie attribution, a observé que la société suisse ne rapportait pas la preuve de la confusion des personnalités juridiques de la Fédération de Russie et de la BCR et celle de leurs patrimoines. Les juges ont, en outre, noté que les sommes provenant du Fonds de Stabilisation faisaient partie du budget fédéral de l'Etat et étaient destinées à financer le déficit de celui-ci. Or, selon eux, financer ce déficit est une activité de droit public, non une activité de droit privé, seule exception prévue par le texte. Les fonds y affectés étaient, par conséquent, insaisissables.
Lexbase : Quelle est la portée de cette décision ? Cette affaire est-elle susceptible de connaître des suites ?
Pascale Poupelin, Catherine Joffroy et Richard Marty : L'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris est, en l'état des informations données par Noga, frappé d'un pourvoi en cassation. Il est clair que la Cour de cassation aura, ainsi, à trancher une question de droit de principe, aux conséquences économiques essentielles pour la place financière de Paris, compte tenu de l'objectif de sa compétitivité poursuivi par l'article L. 153-1 du Code monétaire et financier : selon la solution qu'elle viendra à retenir, les banques centrales étrangères risquent d'investir plus ou moins dans les banques françaises.
Par ailleurs, la cour d'appel de Versailles est saisie de la même affaire et doit rendre, en principe, son arrêt début janvier 2010. Elle conserve son entière liberté d'appréciation, d'autant qu'il se pose devant elle une nouvelle question tenant à l'intérêt pour agir de Noga.
La BCR a soutenu, en effet, que Noga aurait perdu sa qualité de créancier du fait de la cession par elle des créances nées des sentences arbitrales ici en cause, puis de cessions de créances successives ayant donné lieu à la révocation par le cessionnaire du mandat de recouvrement donné à la société suisse, comme de l'absence de tout droit de celle-ci à un solde résiduel quelconque sur les créances nées de ces sentences arbitrales, et ce par application des dispositions d'un concordat arrêté par le juge suisse saisi de l'ouverture de la procédure collective de la société de droit suisse Noga.
Les juges parisiens avaient, toutefois, rejeté cet argument, faute d'éléments probants suffisants. La cour d'appel de Versailles a, quant à elle, demandé à ce que lui soient communiqués tous les documents y afférents. Nous avons, dans ce cadre, produit des décisions récemment rendues par les juridictions new-yorkaises qui venaient de décider, pour les mêmes raisons, que la société suisse Noga n'avait plus intérêt à agir.
C'est donc une affaire de principe dont les épisodes judiciaires sont loin d'être clos.
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par Fany Lalanne, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition sociale
Le 07 Octobre 2010
Lexbase : Pouvez-vous nous rappeler quelles sont les mentions qui ne doivent plus figurer sur un CV anonyme ?
Eric Lemaire : Depuis le 26 janvier 2005, les champs suivants remplis par les candidats sont "anonymisés" : nom, prénom, coordonnées, date de naissance, nationalité, âge et sexe. Pour résumer, sont anonymisées toutes les informations qui pourraient être discriminantes ou donner lieu à une discrimination. A une petite chose près nous concernant, puisqu'on laisse apparaître le numéro du département, l'idée étant de répartir les CV en fonction de leur zone géographique.
Nous l'avons expérimenté pour toutes les candidatures à des postes de commerciaux, soit l'essentiel des postes à pourvoir dans notre société (environ 800 recrutements par an), adressées via internet. Cette "anonymisation" permet aux personnes en charge du recrutement de concentrer leur examen sur la formation et l'expérience professionnelle des candidats. Sur cette base exclusivement professionnelle, ils envoient automatiquement un mail aux candidats en répondant, soit que son profil ne correspond pas à nos recherches, soit l'invitant à prendre contact avec nous. En octobre dernier, nous avons décidé d'étendre la pratique du CV anonyme aux postes "administratifs".
Lexbase : Est-ce suffisant ? Prenons l'exemple d'un senior qui ne fait pas figurer ces mentions dans son CV, ses expériences professionnelles ne risquent-elles pas de le trahir ? Finalement, cet outil ne risque-t-il pas d'être pris à son propre piège ?
Eric Lemaire : C'est une question pertinente. Un senior peut effectivement trahir son âge par rapport à son expérience professionnelle. Il convient, cependant, de souligner le fait qu'un candidat n'est pas contraint de signifier toutes ses expériences sur son CV, il ne peut y faire figurer que les plus significatives au regard du poste sur lequel il postule. Je tiens, par ailleurs, à préciser qu'Axa France recrute également des seniors, par exemple, sur des métiers d'agents mandataires.
Lexbase : Vous utilisez depuis près de cinq ans ce dispositif pour recruter vos commerciaux et vos cadres administratifs, comment se passe, en pratique, le recrutement par CV anonyme ?
Eric Lemaire : Les CV anonymes sont des CV renseignés via le site internet, pour les autres CV (forum, cooptation), les candidats ont le choix de postuler de la façon qu'ils veulent, mais il est vrai que la part des CV internet devient ou sera amenée à devenir de plus en plus importante. Il y a un côté très "pratico-pratique". Le recruteur reçoit le CV, s'il l'intéresse, il décide alors de lever l'anonymat et un message de rendez-vous est envoyé, il n'a les informations qu'à ce moment. Si le CV a été refusé, l'anonymat n'est pas pour autant levé.
Lexbase : Quels sont les bénéfices d'un tel outil ?
Eric Lemaire : Nous expérimentons le CV anonyme depuis 2005, il a alors été mis en place pour les salariés commerciaux. Il fallait, en effet, un test significatif et les commerciaux constituent la plus grosse part des recrutements (20 % de nos salariés commerciaux ont été recrutés via le CV anonyme en 2008). Il a été généralisé en octobre dernier pour les autres postes.
Il faut savoir que c'est un outil simple d'utilisation pour nos recruteurs, qui permet d'aller directement à l'information, il constitue ainsi une facilité de lecture indéniable, le candidat intègre lui-même, via internet, les différents critères. C'est également une facilité de contact et puis une réactivité accrue. En résumé, on n'a pas, à ce stade, trouvé de contraintes majeures à l'utilisation d'un tel outil.
Par ailleurs, si, aujourd'hui, le comptage ethnique n'est pas autorisé par la loi, nous avons le sentiment que la mise en place du CV anonyme encourage les jeunes issus des minorités visibles à postuler par ce canal. Il y a, cependant, ici, un point important à souligner : la discrimination peut exister sous d'autres formes. Nous avons, par exemple, recruté une salariée (une femme avec deux enfants), via le CV anonyme, qui ne trouvait pas de travail dans le commercial du fait de sa situation familiale ; c'est aussi une forme de discrimination. La discrimination homme-femme peut exister, c'est pour cela qu'il faut mettre en oeuvre une politique globale pour lutter contre les discriminations, et pas seulement au niveau du recrutement.
Lexbase : Change-t-il réellement les choses ? Ne fait-il pas, finalement, que retarder la discrimination au moment de l'entretien d'embauche ?
Eric Lemaire : La question est récurrente de la part des détracteurs du CV anonyme et il n'existe pas de données permettant d'apprécier la "diversité" des personnes recrutées, la législation ne permettant pas d'identifier les critères ethniques, comme nous l'avons déjà souligné. Mais d'après une enquête anonyme menée en 2005 auprès d'un échantillon représentatif de 560 commerciaux de notre groupe, il apparaît que le CV anonyme a constitué un signal fort en direction des populations susceptibles d'être discriminées. En effet, nous avons estimé à 26 % la part des collaborateurs ayant une origine étrangère parmi les personnes recrutées après 2005, c'est-à-dire via le CV anonyme, contre 20 % pour les collaborateurs recrutés avant 2005 (hors CV anonyme donc). Par ailleurs, il faut souligner qu'au cours de cette enquête, 79 % des personnes qui connaissaient le CV anonyme ont estimé qu'il s'agissait d'une bonne initiative, et 64 % que cette initiative allait favoriser l'emploi des populations issues de la diversité. Nous sommes convaincus que le CV anonyme est un bon élément d'outil de lutte contre les discriminations.
En revanche, si l'on estime que cet outil est positif, il faut bien souligner qu'il ne saurait suffire à lui seul, il doit s'inscrire dans une politique plus globale de diversité et d'égalité professionnelle. Il faut bien insister sur ce point. Le CV anonyme ne saurait donc être une mesure isolée, il s'agit avant tout de diffuser un message clair sur l'égalité des chances et cette politique doit guider tous les aspects de la gestion des ressources humaines : le recrutement, via l'anonymisation des CV, mais, également, la formation, le management, la gestion des carrières ou, encore, la rémunération.
(1) Les Bouches-du-Rhône, le Bas-Rhin, la Loire-Atlantique, le Nord, le Rhône, la Seine-Saint-Denis et Paris.
(2) Loi n° 2006-396 du 31 mars 2006, pour l'égalité des chances (N° Lexbase : L9534HHL). Lire les obs. de S. Tournaux, Dispositions diverses : l'interdiction des enchères électroniques inversées sur le salaire - la mise en place du CV anonyme, Lexbase Hebdo n° 210 du 12 avril 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N6901AKS) : "mais cette mesure risque, surtout, de devenir un casse-tête pour les entreprises et autres cabinets de recrutement qui tâcheront de l'appliquer de bonne foi. Comment la mettre concrètement en pratique ? Faudra-t-il écarter les adresses électroniques, souvent construites autour du patronyme du candidat ? Le domicile fera-t-il partie des informations dont l'employeur ne devra pas tenir compte ? Beaucoup d'interrogations qui, nous l'espérons, trouveront certainement des réponses dans le décret d'application".
(3) Cet article ajoute un nouvel article L. 121-6-1 (N° Lexbase : L3151HIK), devenu L. 1221-7, (N° Lexbase : L0781H9S), au Code du travail.
(4) L'article L. 1221-6 du Code du travail prévoit que les informations demandées, sous quelque forme que ce soit, au candidat à un emploi ne peuvent avoir comme finalité que d'apprécier sa capacité à occuper l'emploi proposé ou ses aptitudes professionnelles. Ces informations doivent présenter un lien direct et nécessaire avec l'emploi proposé ou avec l'évaluation des aptitudes professionnelles. Le candidat est tenu de répondre de bonne foi à ces demandes d'informations.
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Réf. : Cass. crim., 29 septembre 2009, n° 09-81.159, Société Saunier-Duval, F-P+F (N° Lexbase : A2997EMX)
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par Romain Ollard, Maître de conférences, Université Montesquieu-Bordeaux IV
Le 07 Octobre 2010
Pour rejeter l'action civile de la société intervenant comme sponsor, cette juridiction s'attache, d'abord, à démontrer que l'objectif poursuivi par la société dans l'instance pénale était d'ordre purement économique : "le but de la société de sponsoring n'était pas de défendre les intérêts des spectateurs ni des coureurs cyclistes, qui auraient été lésés par l'usage de produits dopants par un sportif, mais bien de promouvoir, par la publicité donnée par les divers médias, sa marque auprès du public". Cette digression pourrait, de prime abord, surprendre dès lors qu'un préjudice commercial résultant de l'atteinte à l'image pourrait être jugé à la fois personnel et direct, conformément aux conditions de recevabilité de l'action civile. Un tel détour était cependant nécessaire au regard de la nature juridique de la société. C'est qu'en effet, la question de l'intérêt à agir se pose en des termes particuliers s'agissant des personnes morales (3). Certes, tout comme les personnes physiques, ces dernières peuvent se prévaloir devant les juridictions répressives d'un préjudice individuel, lorsqu'elles ont personnellement souffert d'une infraction. Mais, en outre, certaines personnes morales peuvent parfois agir pour défendre un intérêt collectif, à la condition que cet intérêt se distingue tant de l'intérêt individuel de ses membres que de l'intérêt général, dont le ministère public assume déjà la charge (4). Aussi, en mettant en exergue l'intérêt exclusivement commercial poursuivi par la société, la chambre de l'instruction entendait démontrer que la société cherchait à demander réparation, non point du préjudice collectif subi par la communauté du cyclisme, mais d'un préjudice individuel résultant des faits de dopage.
Or, de ce second point de vue, la chambre de l'instruction, suivie par la Cour de cassation, considère ensuite que les préjudices économiques invoqués par la société, résultant de l'atteinte à son image, n'ont pu qu'être indirectement causés par les faits de dopage.
Sans doute, en l'espèce, les juges répressifs ne contestent-ils pas le fait que la société de sponsoring puisse être considérée comme ayant effectivement subi un préjudice individuel. Il est, en effet, admis en droit civil qu'une personne morale puisse souffrir d'un préjudice économique résultant d'une atteinte à son image ou à sa réputation, une telle atteinte pouvant engendrer une diminution du chiffre d'affaires (5). Tout au plus serait-il possible de contester la certitude du dommage, dans la mesure où un tel préjudice est extrêmement délicat à évaluer (6), ce qui explique le fait que, dans ce type d'hypothèses, les juges civils aient recours, par préférence, au préjudice moral, pour lequel l'évaluation ne souffrira guère de contestation (7).
Les juges répressifs ont simplement entendu dénier à la société de sponsoring la qualité de "victime pénale" (8), décidant ainsi de la renvoyer devant son juge naturel, le juge civil. Droit exceptionnel, l'action civile n'est, en effet, recevable devant les juridictions répressives qu'autant que la partie qui l'exerce a personnellement souffert d'un dommage directement causé par l'infraction.
Si la doctrine reste divisée quant à la signification exacte de cette double exigence de préjudice direct et personnel, les auteurs s'accordent, en revanche, à considérer que l'exercice de l'action civile doit être réservé à ceux qui ont personnellement subi l'atteinte à l'intérêt protégé par l'infraction pénale. En d'autres termes, pour que l'action civile soit jugée recevable, la personne qui l'exerce doit être celle qui a subi en sa personne le résultat pénal de l'infraction considérée (9). C'est précisément à cette réalité que la Cour de cassation fait référence lorsqu'elle évoque le caractère "direct" du préjudice. Le préjudice direct serait ainsi l'image réduite, au plan processuel, du résultat pénal de l'infraction, au plan substantiel. Dès lors, en décidant que "ne peut être qu'indirect pour une société intervenant comme sponsor d'une équipe cycliste, le préjudice résultant de l'atteinte que porterait à son image de marque la commission imputée à un coureur de cette équipe d'infractions liées à la pratique du dopage", la Chambre criminelle estime que la société n'a pas subi en sa personne le résultat pénal de l'infraction de dopage. Et, effectivement, il est incontestable que ce délit n'a pas vocation à protéger les intérêts pécuniaires du sponsor, de sorte que, à défaut d'adéquation entre le résultat du délit et le préjudice allégué par la société, l'action civile ne pouvait qu'être jugée irrecevable.
Si cette décision paraît donc juridiquement fondée, elle permet aussi de mettre en lumière toute la difficulté qu'il peut y avoir à cerner les concepts de dommage personnel et direct. Certes, d'un point de vue théorique, l'analyse de ces dommages comme l'image réduite au plan processuel du résultat pénal de l'infraction est claire. De deux choses l'une : ou bien, le préjudice invoqué correspond adéquatement à l'intérêt protégé par l'infraction, auquel cas l'action civile du demandeur sera jugée recevable ; ou bien, en cas de distorsion entre l'intérêt pénalement protégé et le préjudice allégué, il ne restera plus à la victime que la possibilité de porter sa demande de réparation devant le juge civil. Toutefois, l'application concrète de ces préceptes demeure extrêmement aléatoire dans la mesure où elle est entièrement dépendante de la détermination préalable du résultat pénal de l'infraction considérée, dont on sait qu'il constitue l'une des notions les plus incertaines de la théorie de l'infraction pénale (10). Sans doute est-il des hypothèses où la détermination de l'intérêt pénalement protégé est évidente. Ainsi, peut assurément être considéré comme la "victime pénale" d'un vol, celui qui allègue d'un préjudice consistant en une privation de la possession d'une chose lui appartenant, dès lors qu'il est certain que c'est précisément ce résultat que le législateur a voulu éviter en incriminant le vol (11). En revanche, sitôt qu'un doute existe, au plan substantiel, sur la nature de l'intérêt protégé par un texte d'incrimination, cette incertitude rejaillit mécaniquement, au plan processuel, sur la caractérisation des dommages personnels et directs. La présente affaire constitue, à cet égard, une illustration particulièrement significative de ces difficultés. Dès lors qu'il est, en effet, extrêmement difficile de déterminer l'intérêt protégé par l'infraction de dopage -la santé publique, la santé des sportifs, la moralité du sport ?-, ces doutes se reportent logiquement, comme par effet réflexe, sur la détermination des personnes admises à exercer l'action civile.
Ces difficultés pourraient expliquer non seulement l'absence de définition abstraite des dommages direct et personnel en jurisprudence mais encore la casuistique jurisprudentielle qui défie tout essai de systématisation en la matière, un même type de dommage pouvant être considéré comme direct ou indirect au gré des espèces. Il semblerait même parfois possible de se demander si la recevabilité de l'action civile ne tend pas à devenir une question de pure politique juridique, bien plus qu'une question de technique juridique. C'est qu'en effet, les juridictions répressives sont prises dans un dilemme entre la volonté d'ouvrir largement la voie de l'action civile afin que les infractions pénales puissent être effectivement dénoncées et poursuivies, d'une part, et la volonté de limiter l'accès au prétoire pénal, d'autre part.
Ainsi à certains égard, les juridictions répressives s'attachent-elles à élargir le cercle des personnes admises à exercer l'action civile, ainsi qu'en témoigne, par exemple, le recul contemporain de la catégorie des infractions d'intérêt général, pour lesquelles toute constitution de partie civile est exclue dès lors que ces infractions sont édictées dans l'intérêt exclusif de l'ordre public (12). Mais à d'autres égards, la jurisprudence s'emploie, au contraire, à fermer l'accès au prétoire pénal, comme le montre la question de la recevabilité de l'action civile dans le cadre de l'abus de biens sociaux. Alors que classiquement, les juridictions répressives admettaient la constitution de partie civile des associés pour la réparation de leurs préjudices individuels propres, la Chambre criminelle de la Cour de cassation est revenue sur cette solution, par deux arrêts du 13 décembre 2000, en jugeant que la dépréciation des titres sociaux, consécutive à un abus de biens sociaux, était un dommage subi par la société elle-même, et non un dommage propre à chaque associé. Désormais, seule la société est donc considérée comme une victime directe de l'infraction. Sans doute la Cour de cassation fonde-t-elle juridiquement sa solution sur l'article 2 du Code de procédure pénale. Mais, des raisons plus profondes expliquent en réalité ce revirement. La qualification d'abus de biens sociaux était, en effet, parfois détournée de son but, le délit étant utilisé comme un moyen de pression exercé par les associés, qui utilisaient la menace de la voie pénale pour remettre en cause les décisions des dirigeants (14). Aussi, en limitant la possibilité pour les victimes d'agir devant le juge pénal, la jurisprudence aurait en réalité voulu condamner cette dérive, l'abus de biens sociaux ne devant pas conduire, par une remise en cause systématique des actes de gestion des dirigeants, à une paralysie de l'entreprise. La question de la recevabilité de l'action civile serait-elle ainsi devenue une pure question de politique juridique ?
(1) Ph. Conte, P. Maistre du Chambon, Procédure pénale, Armand Colin, 4ème éd., 2004, n° 193.
(2) Ce qui, juridiquement, correspond à l'infraction d'utilisation de substances vénéneuses (C. santé publ., art. L. 5432-1 N° Lexbase : L0481IBG et s.).
(3) G. Stéfani, G. Levasseur, B. Bouloc, Procédure pénale, Dalloz, 21ème éd., 2008, n° 243 et s..
(4) Ph. Conte, P. Maistre du Chambon, op. cit., n° 211 ; G. Stéfani, G. Levasseur, B. Bouloc, op. cit., loc. cit..
(5) M.-L. Izorche, Les fondements de la sanction de la concurrence déloyale et du parasitisme, RTDCom., 1988, p. 17 ; Ph. Le Tourneau, De la spécificité du préjudice concurrentiel, RTDCom., 1998, p. 83.
(6) Il est, en effet, difficile d'évaluer les conséquences réelles de l'atteinte à la réputation d'une entreprise dès lors que la diminution du chiffre d'affaires peut avoir une pluralité de causes (Ph. Le Tourneau, op. cit., p. 90).
(7) Ph. Stoffel-Munck, Le préjudice des personnes morales, Mélanges Ph. Le Tourneau, Dalloz, 2008, p. 959 ; V. Wester-Ouisse, Le préjudice moral des personnes morales, JCP éd. G, 2003, I, 145.
(8) L'expression est celle de MM. S. Guinchard et J. Buisson, Procédure pénale, Litec, 4ème éd., 2008, n° 954 et s..
(9) V., notamment, Ph. Conte, P. Maistre du Chambon, op. cit., n° 198 ; S. Guinchard, J. Buisson, op. cit., n° 960.
(10) Ph. Conte, P. Maistre du Chambon, op. cit., n° 199.
(11) S. Guinchard, J. Buisson, op. cit., n° 960.
(12) Sur ce déclin contemporain de la catégorie des infractions d'intérêt général, v., notamment, S. Guinchard, Grandeur et décadence de la notion d'intérêt général : la nouvelle recevabilité des actions civiles en cas d'infractions à la législation économique, Mélanges Vincent, p. 137 ; J. Larguier, Action individuelle et intérêt général, Mélanges Hugueney, p. 87 ; J. Rubelin-Devichi, L'irrecevabilité de l'action civile et la notion d'intérêt général, JCP, 1965, I, 1922.
(13) Cass. crim., 13 décembre 2000, n° 99-80.387, Leonarduzzi Raynald et autre, publié (N° Lexbase : A3245AUQ), Bull crim., n° 373, DP, 2001, comm. 47, obs. J.-H. Robert. Cette solution a été confirmée par la suite : v., Cass. crim. 5 décembre 2001, n° 01-80.065, Delvert Jean (N° Lexbase : A0580AY7), Bull. Joly, 2002, n° 107, note H. le Nabasque.
(14) D. Rebut, Les sanctions pénales et la gestion des sociétés, RJ com. 2001, numéro spécial, La dépénalisation de la vie des affaires, p. 119, spéc. p. 129.
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par Anne Lebescond, Journaliste juridique
Le 07 Octobre 2010
La guerre serait-elle déclarée ? Rien n'est moins sûr. Sciences Po argue, notamment, d'être sur une niche. Ce serait oublier, aussi, que les projets sont différents, tout comme les méthodes d'enseignement. Pour le moins, la prestigieuse école de la rue Saint-Guillaume concurrence-t-elle directement les grandes universités de droit ? Une fois encore, la réponse n'est pas évidente. Certes, les profils seront différents. Pour autant, cela ne signifie pas nécessairement que les uns seront meilleurs que les autres ou plus indispensables. La diversité des formations est une richesse pour les employeurs. Pourquoi ne pourrait-elle pas l'être aussi pour les futurs professionnels ? Ne peut-on pas envisager que les profils se complètent, plutôt qu'ils ne s'opposent ?
Ce débat mis de côté, il n'en demeure pas moins que Sciences Po vient de parachever son dispositif de formation à certaines professions du droit, en instituant son Ecole de Droit. Christophe Jamin, à qui la direction de l'Ecole a été confiée, nous fait l'honneur de nous présenter l'offre pédagogique de l'institut en matière juridique et, en particulier, celle de l'Ecole de Droit, fondée sur quatre piliers : (i) elle s'adresse à des étudiants polyvalents issus de cursus variés et elle est (ii) adaptée au monde professionnel, (iii) centrée sur l'international et (iv) enrichie par la recherche.
Lexbase : Sciences Po proposait deux masters juridiques. Quels sont-ils ? Pourquoi les remanier en les intégrant au sein de l'Ecole de Droit ?
Christophe Jamin : L'Ecole de Droit s'inscrit dans l'architecture générale de la formation à Sciences Po. Les enseignements qui y sont dispensés sont échelonnés sur trois niveaux :
- le "collège universitaire" qui donne accès à un bachelor à l'issue de trois années d'études généralistes dont la troisième est nécessairement passée à l'étranger. Il faut, ici, préciser que l'enseignement du droit est très présent au sein de ce collège universitaire ; tous nos étudiants suivent des cours de droit au titre de leurs "humanités" ;
- les masters, qui permettent à nos étudiants de se spécialiser durant deux ans suivants l'obtention du bachelor (4) ; certains de ces masters sont, désormais, regroupés au sein d'écoles, ce qui sera le cas de l'Ecole de Droit qui aura vocation à réunir les actuels masters "Droit économique" et "Carrières juridiques et judiciaires" qui permettent l'accès à l'examen d'entrée aux écoles du barreau depuis 2007 (5) ;
- enfin, des programmes doctoraux en droit, économie, histoire, sciences politiques et sociologie. Nous avons, en particulier, tenu à développer un très ambitieux programme doctoral au sein de l'Ecole de Droit, car nous sommes tout à fait convaincus que la qualité de l'enseignement est intimement liée à la qualité de la recherche.
Lexbase : Quels enseignements sont dispensés dans le cadre de l'Ecole de Droit ? Quels profils ont les étudiants qui la rejoignent ?
Christophe Jamin : La formation dispensée au sein de l'Ecole de Droit s'étend idéalement sur trois années :
- la première année porte sur l'enseignement des fondamentaux du droit et du droit économique ;
- s'agissant des étudiants qui suivent la filière "Droit économique", la seconde année est plus orientée vers des spécialités - droit des marchés et de la régulation, contentieux économique et arbitrage, propriété intellectuelle, droit et globalisation, etc.. Pour leur part, les étudiants inscrits au sein de la spécialité "Carrières juridiques et judiciaires" reçoivent des enseignements plus classiques qui les destinent majoritairement à préparer le concours de la magistrature ;
- entre la première et la seconde année, nos étudiants ont l'opportunité de suivre deux stages de longue durée, d'abord au sein d'un cabinet d'avocats, ensuite au sein d'une entreprise ou d'un organisme de régulation de l'économie ; nous pensons, en effet, que l'expérience pratique est absolument fondamentale pour l'apprentissage du droit, dès l'instant qu'elle s'inscrit pleinement dans un projet pédagogique précis. C'est, d'ailleurs, la raison pour laquelle nos maîtres de stage seront pleinement nos partenaires pédagogiques.
La spécificité de notre enseignement tient au fait que nous favorisons la transversalité, la pluridisciplinarité, la mise en contexte permanente du droit, et aussi l'interactivité, car nous fonctionnons essentiellement par petits groupes. Ce qui signifie que nous avons rompu avec la distinction entre cours magistraux et conférences de méthode. Nous mettons enfin l'accent sur l'international. Plusieurs universitaires étrangers assurent régulièrement un enseignement au sein de l'Ecole de Droit. Ces enseignements sont, d'ailleurs, dispensés, lorsque la matière s'y prête, en anglais, ce qui correspond à peu près à 30 % de nos enseignements. L'Ecole de Droit permet, en outre, à nos étudiants de suivre un semestre d'enseignement au sein de nos universités partenaires que sont plus spécialement Columbia, McGill et Sao Paulo, afin qu'ils puissent s'acclimater à une autre façon de percevoir et d'enseigner le droit, ce qui leur sera très profitable pour leur exercice professionnel.
Quant aux élèves qui rejoignent l'Ecole de Droit, ils sont issus principalement du Collège universitaire de Sciences Po (environ 80 % de la promotion de cette année), mais ils peuvent aussi avoir suivi une autre formation de l'enseignement supérieur en trois ou quatre ans (écoles de commerce, écoles d'ingénieur, facultés de lettres, ENS, etc.). Sciences Po a, en effet, toujours misé sur la diversité des profils et nous y tenons plus spécialement au sein de l'Ecole de Droit.
Lexbase : Les facultés de droit ont-elles raison de craindre la concurrence de l'Ecole de Droit de Sciences Po ? En quoi diffèrent l'offre pédagogique de votre Ecole et celle proposée par les universités ?
Christophe Jamin : Comme l'a souligné Richard Descoings, Sciences Po se situe sur des niches plus restreintes et s'adresse à un nombre limité d'étudiants. Plus généralement, nos projets d'enseignement ne sont pas les mêmes et a fortiori nos approches, nos outils et nos méthodes pédagogiques diffèrent.
Comme je vous l'ai dit, nous mettons l'accent sur une méthode interactive, sur la place de l'international (essentiel en particulier pour ceux qui rejoindront les services juridiques de grandes entreprises) et sur la nécessité d'apprendre au plus tôt à nos étudiants à résoudre des problèmes concrets qui font appel à de nombreuses branches du droit. Je m'explique : dans la vie professionnelle, aucun juriste ne traite d'un problème qui ne touche qu'aux procédures collectives ou au droit des sûretés, qui relève du seul droit privé ou du seul droit public ; les questions sont toujours multiples et complexes ; il est, donc, important de privilégier le plus tôt possible l'étude du droit portant sur certains objets (par exemple, le financement de l'entreprise), plutôt que sur les seules branches du droit enseignées séparément, et cela pour qu'il n'y ait pas un trop grand décalage entre l'enseignement du droit tel qu'il est reçu chez nous et ce que les étudiants affronteront très vite une fois entrés dans la vie professionnelle. Ce qui fait que nous choisissons de les plonger au plus tôt dans le "grand bain", même s'ils se sentent perdus au début. Cependant, l'expérience montre qu'ils deviennent très rapidement très agiles et très créatifs.
Mais, il y a peut-être plus que cela. Sciences Po veut être une grande université consacrée aux sciences sociales. A mon sens, le droit n'est pas une discipline autonome des sciences sociales.
Or, il me semble que les facultés de droit, dont je suis issu et dont j'ai étudié très attentivement les évolutions tout au long du 20ème siècle, ont principalement envisagé le droit comme indépendant des sciences sociales, dont elles se bornent à faire des sciences annexes, ce qui est une manière de les rejeter à l'extérieur même du droit. Leur enseignement y est finalement resté marginal, les facultés s'étant surtout concentrées, voire repliées, sur la technicité des matières purement juridiques, ce que les anglo-américains appellent la "black letter law". C'est la raison pour laquelle, par exemple, l'analyse économique du droit est si mal perçue chez nous, alors qu'elle peut apporter beaucoup à la réflexion et à la formation des juristes. D'ailleurs, de nombreux avocats appartenant à des cabinets internationaux sont très demandeurs de ce genre de formation, peut-être sous l'influence de leurs homologues américains.
Cela reflète en définitive deux conceptions différentes de la manière de former des juristes, ce qui renvoie à deux manières de concevoir le droit. Mais, fort heureusement, chacun est libre de ses convictions, du moins je l'espère... La diversité est favorable aux étudiants et à leurs employeurs, mais aussi à la qualité de la recherche juridique. Comme le président Louis Vogel l'a reconnu, c'est aussi cette diversité qui permet de dynamiser les formations universitaires dans leur ensemble. Ce dont je me réjouis très vivement.
(1) Cf. L'Ecole de Droit de Sciences Po ouvre ses portes, communiqué de presse du 30 septembre 2009.
(2) La commission était composée de Sabino Cassese, juge à la Cour constitutionnelle italienne, Jean-François Guillemin, secrétaire général du groupe Bouygues, Paul -Albert Iweins, avocat, ancien bâtonnier de Paris et ancien président du CNB, Peter Herbel, directeur juridique du groupe Total, Guy Horsmans, doyen honoraire de la Faculté de droit de Louvain-la-Neuve et avocat, Jean-Pierre Jouyet, président de l'AMF, Katja Langenbucher, professeur à l'Université de Francfort, Mitchel Lasser, professeur à l'université de Cornell, Paul Lignières, avocat associé Linklaters, Jean-François Prat, avocat associé Bredin Prat, Bernard Stirn, président de la section du contentieux du Conseil d'Etat, Frédéric Thiriez, avocat au Conseil d'Etat et la Cour de cassation Lyon-Caen Fabiani & Thiriez, Yves Wehrli, avocat associé, managing partner Clifford Chance, et Mika Yokoyama, professeur à l'Université de Kyoto.
(3) Cf. le billet publié sur le blog de Louis Vogel, Que faut-il penser de l'Ecole de droit de Sciences Po ?
(4) Les différents masters proposés par Sciences Po sont les masters Affaires européennes, Affaires internationales, Affaires publiques, Carrières judiciaires et juridiques, Corporate and public management (en partenariat avec HEC), Economics and public policy, Droit économique, Finance et stratégie, Gestion des ressources humaines, Management de la culture et des médias, Marketing et études, Stratégies territoriales et urbaines, Urbanisme, l'Ecole de la Communication, l'Ecole de Journalisme et, enfin, l'Ecole de Droit.
(5) Les étudiants des masters "Carrières juridiques et judiciaires" et "Droit économique" sont autorisés à se présenter directement au CRFPA par l'arrêté du 21 mars 2007, modifiant l'arrêté du 25 novembre 1998, fixant la liste des titres ou diplômes reconnus comme équivalents à la maîtrise en droit (N° Lexbase : L9357HU4). Le taux de réussite des élèves issus de Sciences Po aux concours de l'ENM et du CRFPA est très élevé : pour l'année 2009, 100 % des élèves inscrits à l'ENM et au CRFPA ont été admissibles (les résultats d'admission n'étant pas encore connus). Actuellement, un élève de l'ENM sur six est issu de Sciences Po.
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Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 31 juillet 2009, n° 296835, Ministre du Budget, des Comptes publics et de la Fonction publique c/ SARL Deluxe Global Media Services France ([LXB=A124EKE])
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par Laurence Vapaille, Maitre de conférences à l'Université d'Evry Val d'Essonne
Le 07 Octobre 2010
La SARL Deluxe Global Media Services France a créé, en 1995, un établissement à Albi. Elle a demandé à être exonérée, pour cet établissement, des parts communales et départementales de la taxe professionnelle pour l'année 2000. Elle fonde cette demande d'exonération à la fois sur l'article 1465 du CGI et sur les délibérations du conseil municipal d'Albi en date du 30 juillet 1963 et du conseil général du Tarn en date du 28 septembre 1964.
La cour administrative d'appel de Bordeaux a déchargé la société du paiement des parts communales et départementales de la taxe professionnelle pour l'année 2000 (CAA Bordeaux, 4ème ch., 12 juillet 2006, n° 04BX01182 N° Lexbase : A0160DRD). L'administration s'est pourvue en cassation contre cette décision. Selon les juges d'appel, les délibérations prises en 1963 et 1964 prévoyaient une exonération totale d'une durée effective de cinq ans. A l'époque, aucune disposition n'interdisait de reporter l'application du régime d'imposition de droit commun au-delà du 1er janvier de la cinquième année suivant celle au cours de laquelle l'établissement avait été créé. Par ailleurs, en 1995, en vertu du principe de l'annualité de la taxe professionnelle énoncé à l'article 1478 (N° Lexbase : L0247HM4) et de l'article 1465 du CGI applicable à cette époque, les collectivités pouvaient exonérer les entreprises durant les cinq années suivant celle de leur création, soit 1995 -année de création de l'établissement- ainsi que les années 1996 à 2000. Cependant, on pouvait s'interroger sur la légalité de délibérations prises sous l'empire d'une législation concernant la patente, notamment à savoir si ces délibérations n'étaient pas devenues illégales au regard des textes applicables en 1995, date de création de l'établissement. Pour la cour administrative d'appel, aucune des dispositions applicables à la patente n'interdisaient le report du régime d'imposition de droit commun au-delà du 1er janvier de la quatrième année suivant celle de la création de l'établissement. Ainsi, elle en déduisait que ces délibérations permettaient une exonération de cinq années telle qu'énoncée par les dispositions de l'article 1465 du CGI applicable en 1995.
La Haute juridiction n'a pas reçu l'argumentation des juges d'appel. Elle rappelle la rédaction de l'article 1465 du CGI (N° Lexbase : L0126HMM) issue de la loi du 10 janvier 1980 (loi n° 80-10 N° Lexbase : L8271IE3) aux termes de laquelle la période d'exonération était limitée à quatre ans suivant l'année de création de l'établissement. Dès lors, les délibérations autorisant une exonération sur une durée de cinq années étaient devenues illégales. La nouvelle rédaction par la loi de finances rectificative pour 1990 (CGI, art. 1465, version du 30 décembre 1990 N° Lexbase : L0130HMR) a autorisé une durée d'exonération de cinq années. Cependant, cette nouvelle rédaction n'a pas d'effet rétroactif et elle ne peut venir valider une durée d'exonération décidée par les collectivités devenues illégales sur le fondement de la loi de 1980. Si les collectivités locales souhaitent faire bénéficier les entreprises d'une exonération de cinq années, telle qu'elle est prévue par la loi de finances rectificative pour 1990, elles doivent prendre une nouvelle délibération en ce sens.
Cette décision ne déroge pas à la position du Conseil d'Etat sur la question de savoir à quelle date doit être appréciée la légalité des délibérations par lesquelles les collectivités territoriales décident d'exonérer de taxe professionnelle certaines entreprises. En l'espèce, on peut rapprocher cette décision de deux récentes décisions du Haut conseil (CE 9° et 10° s-s-r., 20 octobre 2004, n° 254833, SA Les Tanneries du Puy N° Lexbase : A6289DDB et CE 9° et 10° s-s-r., 4 août 2006, n° 271069, Société Positronic Industrie N° Lexbase : A7955DPQ). Dans ces deux affaires, ainsi que l'espèce en cause, le Conseil d'Etat a jugé que les dispositions de l'article 36-I de la loi de finances rectificative pour 1990 étaient dépourvues de caractère interprétatif. Dès lors elles ne pouvaient donner une base légale à des délibérations antérieures des collectivités territoriales qui avait pu prévoir une exonération de cinq années alors qu'elles étaient prises sous l'empire d'une législation qui fixait la limite à quatre années. Cette analyse est aussi partagée par l'administration dans une instruction en date du 24 septembre 1991 (paragraphes 17 et 18).
L'arrêt analysé apporte, à notre connaissance, un élément nouveau. Les précédentes affaires relatives à cette question ne portaient que sur des délibérations prises sous l'empire de la rédaction de l'article 1465 du CGI issu de la loi du 10 janvier 1980. En l'occurrence cela impliquait que ces délibérations décidant d'une exonération d'une durée de cinq années étaient illégales, ou à tout le moins imprécises (en ce sens : CE 9° et 10° s-s-r., 20 octobre 2004, n° 254833, SA Les Tanneries du Puy, précité). Dans la décision analysée, si au moment où les délibérations étaient prises, rien n'interdisait que cette exonération fut de cinq années, elles devenaient illégales par application de la loi du 10 janvier 1980, même si après par la modification de la loi de finances rectificative pour 1990, elles ne contrevenaient pas à cette dernière. Ainsi peu importe que ces délibérations litigieuses soient illégales dès leur adoption (en ce sens CE 9° et 10° s-s-r., 20 octobre 2004, n° 254833, SA Les Tanneries du Puy, précité et CE 9° et 10° s-s-r., 4 août 2006, n° 271069, Société Positronic Industrie, précité) ou qu'elles ne le soient devenues par l'effet de la loi du 10 janvier 1980.
On peut noter que l'article 87 de la loi de finances rectificative pour 2006 (loi n° 2006-1771 [LXB=L92770HTI]) a modifié sensiblement les modalités d'application des exonérations temporaires de taxe professionnelle sur délibérations des collectivités territoriales. Il a été procédé à un aménagement du régime d'exonération des articles 1465 et 1465 B (N° Lexbase : L4772ICQ) du CGI, en restreignant le champ des opérations éligibles et en l'adaptant au droit communautaire.
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Réf. : CE 2° et 7° s-s-r., 7 octobre 2009, n° 309499, Société d'équipement de Tahiti et des îles (N° Lexbase : A8618ELR)
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par Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Metz
Le 07 Octobre 2010
En statuant ainsi, la cour a commis une erreur de droit selon le Conseil d'Etat. Ce dernier énonçant que, certes, une redevance pour service rendu, pour être légalement établie, doit essentiellement trouver une contrepartie directe dans la prestation fournie par le service ou, le cas échéant, l'utilisation d'un ouvrage public, et doit, par conséquent, correspondre à la valeur de la prestation ou du service. Mais, si l'objet du paiement que l'administration peut réclamer à ce titre est, en principe, de couvrir les charges de service public, il n'en résulte pas nécessairement que le montant de la redevance ne puisse excéder le coût de la prestation fournie. Le respect de la règle d'équivalence entre le tarif d'une redevance et la valeur de la prestation ou du service peut donc être assuré, non seulement en retenant le prix de revient de ce dernier, mais, également, en fonction des caractéristiques du service, en tenant compte de la valeur économique de la prestation pour son bénéficiaire. La position du Conseil d'Etat est révélatrice du développement de la référence à l'économie de marché et du recours à l'analyse économique qui l'accompagne. Ce développement conduit, en l'espèce, à substituer à la notion strictement comptable de couverture des charges une notion plus marchande d'équivalence entre le tarif de la redevance et la valeur économique de la prestation, confirmant, ainsi, le développement de l'approche économique de la notion de rémunération pour service rendu (I). L'arrêt d'espèce confirme, néanmoins, la persistance de difficultés liées au recours de l'analyse économique dans le calcul des redevances et la persistance conséquente de l'approche plus traditionnelle de la notion de rémunération pour service rendu (II).
I - La confirmation du développement de l'approche économique de la notion de rémunération pour service rendu
Les redevances peuvent être classées en deux grandes catégories : celles relatives à l'occupation du domaine et celles pour service rendu mais, dans les deux cas, il ne paraissait pas envisageable de faire de cet instrument financier un outil de rendement financier (6), la notion traditionnelle reposant, avant tout, sur une finalité comptable (A). Ce n'est que dernièrement que la finalité marchande semble, comme le témoigne l'arrêt d'espèce, l'emporter sur cette finalité comptable (B).
A - Une notion traditionnelle à finalité comptable
La rémunération de service rendu a toujours été entendue traditionnellement, en droit public, comme la recette d'une personne publique permettant "de couvrir les charges d'un service public déterminé, ou les frais d'établissement ou d'entretien d'un ouvrage public qui trouvent leur contrepartie directe dans des prestations fournies par le service, ou dans l'utilisation de l'ouvrage" (7). Les redevances pour service rendu ont donc, a priori, pour seul objectif la couverture des charges générées par la fourniture du service et supportées par le gestionnaire du service, sans perspective de bénéfice. C'est sur cette conception de la redevance que s'appuie, en l'espèce, la société défenderesse.
La jurisprudence ultérieure a eu, de cette règle d'équivalence, une lecture assez stricte, la lisant comme une équivalence entre le montant de la redevance et le coût de service. En l'absence de service rendu, l'administration ne peut légalement instituer une taxe destinée à couvrir les frais exposés (8). Un prélèvement institué pour l'entretien d'un bien est illégal s'il n'est pas la contrepartie directe d'un service rendu aux redevables, et s'il ne repose sur aucun fondement législatif ou réglementaire (9). Le montant de la redevance doit, également, être proportionné aux dépenses exposées par l'administration pour rendre ce service (10), justifiant que des redevances qui ne soient pas établies en considération du coût des services rendus soient déclarées illégales (11). Il faut aussi rappeler que la CJCE pose le principe que "la charge pécuniaire imposée aux opérateurs économiques doit être économiquement justifiée, en ce sens qu'il doit exister un lien direct entre son montant et le coût réel de l'opération qu'elle vise à financer [...]" (12). De manière générale, le juge se montre rigoureux pour admettre l'intégration de coûts dans le calcul du montant de la redevance. Les dépenses exposées par l'Etat dans le cadre de ses missions de surveillance et de sécurité d'usagers de parcelles du domaine public ne peuvent, ainsi, entrer dans le calcul d'une redevance pour service rendu (13).
L'exercice d'un contrôle limité à l'erreur manifeste a pu permettre au juge d'atténuer quelque peu la rigueur de la règle, le juge vérifiant seulement qu'il n'y ait pas de disproportion manifeste entre le montant de la taxe et les prestations fournies par l'administration (14), mais il n'en demeurait pas moins que la règle posée par la jurisprudence était celle dite du "plafonnement", le montant des redevances ne pouvant excéder le coût du service rendu. Principe d'autant plus rigoureux qu'il ne s'appliquait qu'aux redevances pour service rendu. S'agissant des redevances pour occupation du domaine public, la jurisprudence a admis très tôt qu'elles puissent tenir compte de l'usage fait de la dépendance occupée (15). Les textes applicables au domaine de l'Etat ont, d'ailleurs, repris cette jurisprudence en la systématisant. L'article L. 2125-3 du Code général de la propriété des personnes publiques dispose, ainsi, que les redevances d'occupation du domaine public "tiennent compte des avantages de toutes natures procurés au titulaire de l'occupation du domaine public".
B - Une notion contemporaine à finalité marchande
Longtemps figée dans une approche trop stricte, la jurisprudence a doucement commencé à évoluer, aussi bien du côté du Conseil d'Etat que du Conseil constitutionnel. Ainsi, le Conseil constitutionnel a pu reconnaître que la "prise en compte, dans la détermination du montant des redevances, de la rémunération des capitaux investis, ainsi que des dépenses, y compris futures, liées à la construction d'infrastructures ou d'installations nouvelles avant leur mise en service, ne retire pas à ses contributions leur caractère de redevances pour service rendu" (16). Le Conseil constitutionnel considérant, de même, que ne leur retire pas ce caractère, "la fixation de tarifs différents applicables pour un même service rendu aux usagers d'un service ou d'un ouvrage public, lorsqu'il existe entre ces usagers, eu égard à la nature du service ou de l'ouvrage, des différences de situations objectives justifiant une modulation, ou lorsque cette modulation est commandée par une considération d'intérêt général en rapport avec les conditions d'exploitation du service ou de l'ouvrage" (17).
Le Conseil d'Etat a, lui aussi, commencé à assouplir sa position même si c'était avant tout de façon implicite dans certaines problématiques récentes issues des nouvelles technologies, où les critères dégagés par la jurisprudence sont apparus particulièrement réducteurs. Ainsi, la redevance constituant la contrepartie de la communication de données publiques élaborées par l'INSEE à des tiers pouvait intégrer l'intérêt provenant, pour les bénéficiaires, de ces données. En d'autres termes, le calcul de la redevance pouvait légalement inclure, compte tenu de la nature du produit vendu par l'INSEE, des droits relevant de la propriété intellectuelle. Il y avait là admission implicite que la rémunération de droits de propriété intellectuelle puisse porter la redevance à un niveau excédant le seul coût du service rendu, en tenant compte de l'utilité du service pour le bénéficiaire (18).
Le Conseil d'Etat a, ensuite, explicitement consacré cette solution à propos des redevances demandées par un établissement hospitalier à des praticiens disposant d'une consultation privée dans l'hôpital en admettant, dans les circonstances de l'espèce, que la redevance soit fixée en pourcentage des honoraires, quand bien même cela excèderait le seul coût de la prestation fournie à ces praticiens (mise à disposition des installations techniques et des locaux, dépenses de personnel). Le juge administratif posant le principe que la redevance doit correspondre "à la valeur de la prestation ou du service", et que le respect de la règle d'équivalence entre le tarif de la redevance et la valeur du service peut être assurée "non seulement en retenant le prix de revient de ce dernier, mais aussi, en fonction des caractéristiques du service, en tenant compte de la valeur économique de la prestation pour son bénéficiaire" (19). Une nouvelle "équation financière" du montant de la redevance est, ainsi, fixée. L'administration peut légalement retenir, non seulement le prix de revient du service, mais, également, tenir compte de la valeur économique de la prestation, du point de vue de son bénéficiaire. En cela, la décision d'espèce, en retenant que les redevances pour service rendu pouvaient être fixées en pourcentage du chiffre d'affaires réalisé auprès des compagnies aériennes, s'inscrit clairement dans cette nouvelle évolution jurisprudentielle. Le juge faisant même une application rétroactive de la nouvelle jurisprudence, celle-ci n'étant pas jugé contraire au droit de toute personne à un procès équitable de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR), dans la mesure où cette application ne comporte pas de réserves relatives à son application dans le temps.
II - La confirmation de la persistance de l'approche traditionnelle de la notion de rémunération pour service rendu
Il convient, dans une certaine mesure, de relativiser la portée de la nouvelle approche économique de la notion de redevance. La politique tarifaire des entreprises aéroportuaires est protégée par des mécanismes juridiques qui maintiennent un système de régulation d'inspiration plutôt dirigiste, ce dont témoigne l'arrêt d'espèce. D'une part, la prise en compte de la valeur économique globale du service rendu n'est pas une obligation (A). D'autre part, les possibilités de modulation tarifaire sont strictement encadrées par le principe d'égalité (B).
A - La prise en compte de la valeur économique globale du service rendu n'est pas une obligation
La nouvelle approche développée par le Conseil d'Etat n'a pas pour objet de substituer de manière générale une tarification en fonction de la valeur économique du service retirée par l'usager à une tarification par les coûts. Une telle tarification n'a, d'abord, de sens que si l'usager retire effectivement un avantage économique du service, ce qui n'est évidemment pas toujours le cas. Il demeure, ensuite, loisible à l'autorité de tarification de prendre en compte cette valeur économique, ou de se limiter à couvrir les coûts exposés. La prise en considération de la valeur économique globale du service rendu pour son bénéficiaire ne constitue pas une obligation systématique. Il se peut que des textes, pour des raisons d'intérêt général, décident que les redevances soient uniquement orientées vers les coûts. S'agissant des redevances aéroportuaires, objet de la décision commentée, le Code de l'aviation civile s'inscrit dans cette conception, puisqu'il pose en principe que "le produit global des redevances ne peut excéder le coût des services rendus sur l'aéroport" (C. aviation civ., art. L. 224-2 N° Lexbase : L9061G84). Dans le même sens, la nouvelle Directive (CE) 2009/12 du 11 mars 2009, sur les redevances aéroportuaires (N° Lexbase : L0115IDM) (20), prévoit que la redevance aéroportuaire est un prélèvement "conçu et appliqué dans le but spécifique de recouvrer les coûts de la fourniture d'installations et de service à l'aviation civile" (21). Une fois transposée (22), la nouvelle législation promouvra, à ce sujet, un meilleur dialogue entre les compagnies aériennes et les aéroports. Elle garantira la transparence, la non-discrimination, et une consultation appropriée entre les transporteurs aériens et les aéroports sous l'égide d'un régulateur indépendant dans chaque Etat membre.
Mais, même lorsque la détermination de la redevance se fait uniquement à partir des coûts, les éléments de calcul résultent d'une analyse micro-économique de plus en plus poussée, en références aux mécanismes de l'économie de marché. La rationalisation économique de la tarification publique entraîne, ainsi, des conséquences sur le processus de décision des gestionnaires d'infrastructures publiques. Que les textes aient retenu la notion de valeur globale de la prestation ou celle de coût, l'approche économique n'exclut pas une différenciation de la redevance. En d'autres termes, il est possible de fixer des redevances de niveaux différents sur la base d'une analyse économique du prix du service rendu, sans pour autant tomber sous le coup d'une discrimination. Une modulation des tarifs est autorisée par l'article R. 224-2-1° du Code de l'aviation civile (N° Lexbase : L9709ICL) (23), tout comme dans l'article 10 de la Directive du 11 mars 2009 (24). Pour autant, il appartiendra, dorénavant, aux gestionnaires publics de fonder leurs décisions tarifaires sur des éléments pertinents et objectifs, et d'être en capacité d'en rapporter la preuve à tout moment, ce qui implique certainement un changement de culture de la part des autorités compétentes.
B - Des possibilités de modulation tarifaire strictement encadrées par le principe d'égalité
La possibilité ouverte de différenciation dans le montant des redevances demeure strictement encadrée. La décision commentée prend, en effet, soin de rappeler que le tarif doit être établi selon des critères objectifs et rationnels, dans le respect du principe d'égalité entre les usagers du service public et des règles de concurrence. L'assouplissement de la règle traditionnelle du plafonnement par les coûts ne saurait, évidemment, permettre de s'affranchir de ces contraintes.
Sauf application d'une loi, la fixation de tarifs différents applicables pour un même service rendu aux usagers d'un service ou d'un ouvrage public ne peut être légalement prévue que s'il existe entre ces usagers des différences de situation appréciables (25). Des différences étant, également, permises entre usagers si un motif d'intérêt général en rapport avec les conditions d'exploitation du service ou de l'ouvrage requiert l'édiction de cette mesure (26). Pour autant, les écarts entre les usagers doivent, dans tous les cas, demeurer limités à la prise en compte des objectifs d'intérêt général pour rester conformes au principe d'égalité. L'article L. 224-2 du Code de l'aviation civile autorise la mise en place d'adaptations "limitées" pour servir les objectifs qu'il énumère (meilleure utilisation des infrastructures, action pour la création de lignes nouvelles ou en considération de l'aménagement du territoire,...). Les différentes possibilités sont, ainsi, sous surveillance, le législateur craignant justement de voir introduire des différenciations discriminatoires susceptibles d'encourir la censure (27). Les requérants invoquaient, en l'espèce, le principe d'égalité entre les usagers du service public dans la mesure où les taux de redevance redevables à la SEDIL, la société gestionnaire de l'aéroport, étaient d'un montant différent selon qu'ils s'appliquaient aux prestations servies par elle à la compagnie Air France, ou aux autres compagnies aériennes. Le moyen a été jugé inopérant par le Conseil d'Etat, les différents taux résultant du contrat passé entre la société de restauration et la société concessionnaire, et n'étant donc pas directement opposables aux compagnies aériennes.
Il y a là, pour autant, un argument qui va devoir être pris en compte par les autorités gestionnaires dans la fixation du montant des redevances pour service rendu, notamment quant les taux sont directement opposables aux compagnies aériennes. Au-delà du droit national, la norme de référence devant rapidement devenir l'article 3 de la Directive du 11 mars 2009 précitée, dispose que les autorités doivent veiller à ce que "les redevances aéroportuaires n'entraînent pas de discrimination entre les usagers d'aéroport, conformément au droit communautaire". Toutefois, cela n'empêche pas "la modulation des redevances aéroportuaires pour des motifs d'intérêt public et d'intérêt général, y compris d'ordre environnemental". En outre, "les critères utilisés pour une telle modulation doivent être pertinents, objectifs et transparents".
(1) Loi n° 2005-357 du 20 avril 2005, relative aux aéroports (N° Lexbase : L2538G8I), JO, 21 avril 2005, p. 6969.
(2) J.-F. Brisson, L'incidence de la loi du 20 avril 2005 sur le régime des infrastructures aéroportuaires, AJDA, 2005, p. 1837.
(3) Cf., par ex., CAA Versailles, 2ème ch., 12 juin 2008, n° 06VE02675, France Télécom (N° Lexbase : A3259D9L).
(4) Les données relatives aux redevances étaient les suivantes : "Air France : 5 % du chiffre d'affaires mensuel ; Autres compagnies : 7 % du chiffre d'affaires mensuel". Une note précisant qu'à "compter du 1er octobre 2000, et chaque 1er janvier par la suite, les redevances commerciales ci-dessous seront augmentées de 0,25 %, et ce jusqu'à atteindre respectivement les taux de 7 % et 9 %. Ainsi en 2000, ces redevances seront respectivement de 5,25 % et de 7,25 %".
(5) CAA Paris, 3ème ch., 28 mai 2007, n° 05PA03555, Société hôtelière et de restauration touristique contre Société d'équipement de Tahiti et des îles (N° Lexbase : A1720DXY).
(6) Elles sont inscrites, par exemple, en tant que telles sous la forme de recettes non fiscales à la section du fonctionnement du budget d'une collectivité territoriale.
(7) CE, 21 novembre 1958, Syndicat national des transporteurs aériens, Rec. CE, p. 572, AJDA, 1958, II, p. 471, note R. Drago, D, 1979, jurisp., p. 475, concl. J. Chardeau, note Totabas.
(8) CE sect., 10 février 1995, n° 148035, Chambre syndicale du transport aérien (N° Lexbase : A2684ANQ).
(9) CE 3° et 8° s-s-r., 27 juillet 2005, n° 268715, Société La foncière du Golf (N° Lexbase : A1375DK7), Rec. CE, Tables, p. 872.
(10) CE 1° et 2° s-s-r., 10 avril 2002, n° 227746, Groupement d'information et de soutien des immigrés (N° Lexbase : A5751AYN), Rec. CE, Tables, p. 714.
(11) CE 8° et 3° s-s-r., 19 mars 2001, n° 211243 et n° 211248, Société Air Liberté et autres (N° Lexbase : A1586ATW), Rec. CE, Tables, p. 250 ; CE 3° et 8° s-s-r., 25 juin 2003, n° 240898, Mme Martinet (N° Lexbase : A2045C9M), Rec. CE, Tables, p. 772.
(12) CJCE, 27 février 2003, aff. C-389/00, Commission européenne c/ République fédérale d'Allemagne (N° Lexbase : A3333A7L), Rec. CJCE, I, p. 2001, point 40.
(13) CE, Ass., 30 octobre 1996, n° 136071 et n° 142688, Mme Wajs et Monnier (N° Lexbase : A1096APB), Rec. CE, p. 387.
(14) Cf., par ex., CE, 17 novembre 1978, n° 262, Société "Etablissements Geismann Frères" (N° Lexbase : A3166AI4), Rec. CE, p. 447.
(15) CE, 12 décembre 1923, Sieurs Peysson, Mollaret et Bory, Rec. CE, p. 826.
(16) C. const., décision n° 2005-513 DC, 14 avril 2005, Loi relative aux aéroports (N° Lexbase : A9488DHU), Rec. CC, p. 67, JO, 21 avril 2005, p. 6974, considérant n° 15.
(17) Ibid., considérant n° 16.
(18) CE Ass., 10 juillet 1996, n° 168702, Société Direct Mail Promotion (N° Lexbase : A0511APM), Rec. CE, p. 277, RFDA, 1997, p. 115, concl. M. Denis-Linton, AJDA, 1997, p. 189, note H. Maisl.
(19) CE Ass., 16 juillet 2007, n° 293229, Syndicat national de défense de l'exercice libéral de la médecine à l'hôpital (N° Lexbase : A4716DXX), RFDA, 2007, p. 1269, concl. C. Devys, DA, 2007, comm. n° 128, note M. Basex et S. Blazy, JCP éd. G, 2007, II, n° 10163, note A. Chaminade, AJDA, 2007, p. 1807, chron. J. Boucher et B. Bourgeois-Machureau.
(20) Directive (CE) 2009/12 du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2009, sur les redevances aéroportuaires (N° Lexbase : L0115IDM), JOUE, n° L. 70 du 14 mars 2009, p. 11-16. La Directive prévoit un cadre juridique clair pour la fixation des redevances aéroportuaires et correspond aux pratiques commerciales actuelles.
(21) Point n° 9 en introduction de la Directive, et tel que défini par le Conseil de l'Organisation de l'aviation civile en 2004 dans son rapport sur Les politiques relatives aux redevances aéroportuaires (Commande n° 9082, 2004, 7ème édition).
(22) La présente Directive entre en vigueur le 15 mars 2009. Elle est transposée en droit interne par les Etats membres au plus tard le 15 mars 2011.
(23) L'article dispose que "[...] sur un même aérodrome, le tarif applicable à une même catégorie de passagers est identique pour toutes les aérogares. Toutefois, pour les aérogares mises en service après le 1er août 2005, des tarifs différenciés pourront être fixés en fonction des coûts d'investissement et d'exploitation afférents à ces aérogares et de la qualité de service [...] ".
(24) Selon l'article 10 de la Directive, "le niveau des redevances aéroportuaires peut être différencié en fonction de la qualité et du champ de ces services et de leurs coûts ou de toute autre justification objective et transparente. Sans préjudice de l'article 3, les entités gestionnaires d'aéroports restent libres de fixer de telles redevances aéroportuaires différenciées".
(25) CE, 13 octobre 1999, n° 193195, Compagnie nationale Air France (N° Lexbase : A4061AXP), Rec. CE, p. 303.
(26) Ibid.
(27) Cf. article R. 224-2 précité du Code de l'aviation civile, qui explicite l'encadrement des mesures.
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Réf. : CE 1° et 6° s-s-r., 27 mai 2009, n° 310493, M. Hontang (N° Lexbase : A3389EHY)
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par Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Metz
Le 07 Octobre 2010
A la suite de l'enquête de police, M. H. est mis en examen. Le juge d'instruction du tribunal de grande instance de Strasbourg ordonne son renvoi devant le tribunal correctionnel qui le condamne par un jugement en date du 12 mai 2006. L'arrêt de la cour d'appel de Colmar en date du 22 février 2007 est cassé par une décision de la Cour de cassation du 28 novembre 2007. L'affaire est renvoyée devant la cour d'appel de Paris qui, par un arrêt en date du 5 novembre 2008, déclare M. H. coupable des chefs de vol et d'escroquerie et le condamne à une peine de 18 mois d'emprisonnement avec sursis assortie de l'interdiction d'exercer une fonction publique pendant 5 ans.
Parallèlement à la procédure pénale, une action disciplinaire est engagée. Par décision du 17 janvier 2005, M. H. fait l'objet d'une interdiction temporaire d'exercice de ses fonctions. Une enquête de l'inspection générale des services judiciaires est diligentée sur le comportement professionnel de l'intéressé. Saisi pour avis, le Conseil supérieur de la magistrature, dans sa formation disciplinaire des magistrats du parquet, recommande la sanction de la révocation sans suspension des droits à pension. Par décision du 6 septembre 2007, le Garde des Sceaux, ministre de la Justice, prononce la sanction à l'encontre de M. H.. Puis, par une décision en date du 7 septembre 2007, le Président de la République le radie des cadres de la magistrature.
Les deux décisions se fondent sur deux séries de griefs. Après avoir constaté la commission des faits de vol et d'escroquerie, la décision relève que "ces comportements, qui constituent des manquements graves à l'honneur et aux exigences d'intégrité, de dignité et de probité, ont atteint le crédit et l'image de l'institution judiciaire française et ont compromis sa représentation dans un cadre européen". La seconde série de griefs est tirée des conclusions de l'enquête de l'inspection générale de laquelle il ressort que M. H. a fait preuve de nombreuses insuffisances professionnelles s'étant traduites par l'accumulation d'un retard considérable dans le traitement des affaires lui incombant, y compris dans des affaires graves. Sont ainsi relevés, lors de l'enquête, l'abstention de traitement de plaintes relatives à des officiers ministériels, l'absence de signalement de la disparition de sommes placées sous scellés dans le cadre d'une procédure pénale, plusieurs vols commis dans les locaux du parquet ou encore l'usage abusif de véhicules de service et de téléphone portable. Pour le Garde des Sceaux, "les comportements constatés dans l'exercice de ses fonctions caractérisent de la part de M. H. un manque de rigueur et de sens des responsabilités et contreviennent au devoir de loyauté imposé par son statut de magistrat du parquet" et "constituent des manquements aux devoirs de son état".
M. H., dans l'arrêt d'espèce, demande l'annulation des deux décisions précitées fondant son recours essentiellement sur la méconnaissance des garanties de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (CESDH) (notamment, à travers le principe d'impartialité N° Lexbase : L7558AIR) et sur le caractère disproportionné de la sanction qui lui a été infligée. Pour le Conseil d'Etat, dès lors que le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) n'a aucun pouvoir de décision et se borne à émettre un avis, celui-ci n'a pas le caractère d'une sanction et le moyen tiré de ce qu'il aurait été rendu en méconnaissance des stipulations de l'article 6 § 1 de la CESDH ne peut être utilement invoqué. Toutefois, le moyen est opérant au titre du principe d'impartialité tel qu'il est défini en droit interne. Si le CSM était présidé par le procureur général près la Cour de cassation, la seule circonstance que son avis ait été rendu alors qu'était pendant devant la Cour de cassation, le pourvoi de ce magistrat contre l'arrêt de la cour d'appel rendu dans le cadre de la procédure pénale ayant trait aux mêmes faits que ceux pour lesquels l'intéressé était poursuivi disciplinairement n'est pas, par elle-même, de nature à établir que le CSM aurait statué en méconnaissance du principe d'impartialité. Enfin, le Conseil d'Etat rappelle qu'un magistrat se doit de respecter ses obligations professionnelles, mais aussi de s'abstenir de comportements qui, incompatibles avec l'exercice de ses fonctions, peuvent jeter sur elles le discrédit. En ce sens et eu égard à la gravité des faits avérés, le Garde des Sceaux n'a pas, en lui infligeant la révocation sans suspension des droits à pension, prononcé à son encontre une sanction disproportionnée.
En droit, le contrôle de légalité du Conseil d'Etat permet de combler l'absence dans le statut de la magistrature de voies de recours contre les sanctions disciplinaires mais dans les faits, ce dont témoigne l'arrêt d'espèce, la prudence du Conseil d'Etat domine la jurisprudence relative au contrôle des actes intéressant la carrière des magistrats. Comme peut le noter David Dokhan, "le juge administratif est moins le censeur des sanctions disciplinaires proposées ou prononcées par le Conseil supérieur de la magistrature qu'un gardien des règles déontologiques intervenant en dernier ressort et garantissant en toute fin de contentieux disciplinaire que la sanction était légalement justifiée sur le fond et légalement prononcée dans la forme" (5). La décision d'espèce confirme, en ce sens, la prudence traditionnelle du juge administratif dans l'exercice de son contrôle et ce rôle de gardien et non de censeur de la sanction disciplinaire infligée au magistrat (I). Néanmoins, la décision s'inscrit dans un changement de perspective au niveau du contrôle opéré sur la gravité de la sanction, le juge passant de l'exercice d'un contrôle restreint à l'exercice d'un contrôle normal témoignant ainsi d'une dynamique de contrôle croissant du juge administratif en la matière (II).
I - Une décision qui confirme la prudence traditionnelle du juge administratif et son rôle de gardien et non de censeur des règles déontologiques des magistrats
Le juge administratif, par tradition dans ce type de contentieux, ne s'érige pas en censeur des règles déontologiques des magistrats mais en tant que gardien de ces mêmes règles déontologiques, il rappelle, néanmoins, le respect de certaines règles fondamentales comme l'indépendance entre les procédures disciplinaires et pénales (A) et l'impossibilité pour les magistrats de s'affranchir du respect de ces règles déontologiques (B).
A - Le rappel de l'indépendance entre les procédures disciplinaires et pénales
Tous les auteurs qui se sont essayés à définir le droit disciplinaire ont été amenés à établir une comparaison avec le droit pénal. Les similitudes sont, en effet, inévitables à partir du moment où les deux régimes constituent des manifestations du droit de punir et ont pour but identique de protéger le corps par la réprobation, l'intimidation et la prévention. Mais, si l'ensemble de la doctrine a souligné cette analogie, il a aussi pu être relevé qu'il existait de profondes différences entre les deux sortes de répression : différence de domaine d'application et absence conséquente d'identité des sujets subissant les deux formes de répression, différence de justiciables (6), absence d'identité des fautes et des sanctions (7) ou encore absence d'une identification totale entre les procédures (8). En ce sens, un certain nombre de points ont, déjà, été tranchés s'agissant des relations entre le pénal et le disciplinaire. En vertu de l'autonomie de la répression disciplinaire par rapport à la répression pénale, l'autorité administrative peut agir sans attendre l'issue du procès pénal (9). L'autorité disciplinaire ne peut, sans méconnaître sa compétence, subordonner sa décision à l'intervention d'une décision définitive du juge pénal (10). En dehors de l'établissement des faits, les appréciations faites par l'autorité judiciaire ne s'imposent pas à l'Administration (11). Par exemple, une mesure de réhabilitation ne fait pas obstacle à ce que les faits qui ont servi de base à une condamnation de la juridiction répressive, passée en force de chose jugée au pénal, puissent fonder des sanctions disciplinaires (12).
De manière générale, la procédure disciplinaire est indépendante de la procédure pénale ce que confirme encore une fois l'arrêt d'espèce en jugeant qu'il n'y a pas méconnaissance du principe d'impartialité. Le requérant invoquait sa violation au motif que la formation disciplinaire compétente était présidée par le procureur général près de la Cour de cassation alors qu'était pendant devant la Cour de cassation son pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Colmar rendu dans le cadre de la procédure pénale engagée à raison des mêmes faits. C'est le défaut d'impartialité individuelle objective du procureur général qui est en cause. Trois conditions doivent être cumulativement remplies pour qu'il y ait défaut d'impartialité : les fonctions simultanément exercées doivent l'avoir été à propos de la même affaire ; l'exercice de la première fonction doit avoir révélé l'existence d'un parti pris sur l'issue de cette affaire ; enfin, la part prise par l'intéressé, dans l'exercice de sa première fonction, doit légitimement laisser à penser qu'il a personnellement pris position sur l'affaire.
Conformément aux conclusions du commissaire du Gouvernement Mattias Guyomar (13) sous l'arrêt d'espèce, le Conseil d'Etat a, notamment, jugé que la première de ces conditions (fonctions exercées à propos de la même affaire) n'était pas remplie : les fonctions exercées par le procureur général ne l'ayant, en tout état de cause, pas été à propos de la même affaire. Pour qu'il y ait "même affaire", deux conditions doivent être remplies : il faut, d'une part, que les faits soient identiques (14) et, d'autre part, que les questions examinées à partir de ces faits soient du même ordre. Par conséquent, il faut que l'angle soit identique, qu'il y ait une "coïncidence des questions" (15). La circonstance qu'une même personne ait eu à connaître des mêmes faits ne suffit donc pas. En l'espèce, même si le procureur général s'est penché à deux reprises sur les mêmes faits, il n'a pas eu à connaître deux fois de la même affaire. Ce n'est pas, en effet, la même question que de décider si un comportement est fautif et mérite d'être sanctionné disciplinairement et s'il constitue une infraction pénale même si, aujourd'hui, les transformations majeures du droit disciplinaire font en sorte d'atténuer les différences avec le droit pénal et font surtout ressortir finalement le caractère répressif commun. La procédure disciplinaire reste indépendante de la procédure pénale. Par suite, y compris dans l'hypothèse où c'est à raison des mêmes faits que sont engagées parallèlement les deux procédures, l'autorité investie du pouvoir disciplinaire ne méconnaît pas le principe de la présomption d'innocence en prononçant une sanction sans attendre que les juridictions répressives aient définitivement statué.
B - Le rappel des obligations déontologiques incombant aux magistrats
Il n'y a pas de définition légale de la faute disciplinaire. Il y a quelques textes qui érigent en infraction disciplinaire tel ou tel comportement (16), mais la loi ne saurait définir les termes, par exemple, de "devoirs de son état", "d'honneur", de "délicatesse" ou de "dignité" et il convient de se reporter à la jurisprudence des autorités disciplinaires (17) et à celle des juridictions statuant sur le recours. En l'espèce, pour les magistrats, c'est le Conseil d'Etat qui a contribué à l'élaboration d'un véritable Code de déontologie de la magistrature judiciaire. L'"honneur" et le manque envers les "devoirs de son état" sont, comme en l'espèce, souvent associés entre eux voire à d'autres notions statutaires tant dans les décisions du Conseil supérieur de la magistrature que dans celles du Conseil d'Etat (18). Le 21 février 1968, le Conseil d'Etat a reconnu la légalité de la sanction prononçant la révocation de M. A. (19), procureur de la République, qui était motivée par "le comportement du requérant dans sa vie privée, comportement témoignant d'une absence totale de dignité incompatible avec la qualité de magistrat". Cette jurisprudence est pleinement partagée par le Conseil supérieur de la magistrature. S'il admet que "les manifestations de la vie privée d'un juge ne relèvent pas, par elles-mêmes, de l'action disciplinaire" (20), le Conseil supérieur de la magistrature considère, néanmoins, que le respect de la vie privée trouve sa limite lorsque les griefs formulés "même s'ils ne concernent pas certains aspects de la vie privée du magistrat, n'en ont pas moins un retentissement extérieur et portent atteinte à l'image de celui qui est appelé à juger autrui et, par voie de conséquence, à l'institution elle-même, et lorsque l'auteur ne peut ainsi apparaître, dans son métier de juge et d'arbitre, avec le crédit et la confiance qui doivent lui être accordées" (21). C'est en ce sens qu'à juger le CSM, en l'espèce, en relevant que : "ces comportements, qui constituent des manquements graves à l'honneur et aux exigences d'intégrité, de dignité et de probité, ont atteint le crédit et l'image de l'institution judiciaire française et ont compromis sa représentation dans un cadre européen".
Il reste difficile d'établir la part respective de chacune des notions concernées. Le juge administratif se contente, d'ailleurs, souvent de constater que les agissements en cause constituaient un manquement à l'honneur de la profession de magistrat et ne pouvaient en conséquence bénéficier de l'amnistie. S'il est difficile de dégager un critère précis en la matière et s'il faut relever l'empirisme de la jurisprudence, les insuffisances professionnelles sont, depuis quelques temps plus souvent retenues pour qualifier des manquements professionnels qui jadis recevaient des dénominations différentes (absentéisme, carences, négligences...). Cette évolution accompagne, en réalité, des exigences nouvelles envers une justice qui doit être rendue dans des délais raisonnables de manière équitable et impartiale. Elle est aussi le fruit de l'élévation du niveau d'exigence des justiciables au sujet des devoirs professionnels des magistrats. Il apparaît, ainsi, au fil du temps, que l'exigence d'un niveau d'activité professionnelle suffisant devient plus forte et le seuil au-delà duquel l'insuffisance professionnelle n'est plus tolérée s'abaisse en conséquence (22).
Pour autant, si la décision d'espèce ne témoigne pas à proprement parler de cette extension de la notion d'insuffisance professionnelle vu le nombre et la gravité des faits incriminés et avérés, le Conseil d'Etat veille à ce que cette extension ne soit pas abusive en délimitant rigoureusement les différentes responsabilités. Il agit, de la sorte, dans un souci de protection accrue des magistrats. L'élargissement de la notion d'insuffisance professionnelle auquel mène les évolutions et la jurisprudence ainsi décrite devra toutefois conduire à apprécier finement la part prise par l'insuffisance professionnelle du magistrat en cause dans le dysfonctionnement constaté par rapport au rôle qu'ont pu éventuellement jouer d'autres causes, tels des moyens insuffisants ou une mauvaise organisation du service dont les magistrats n'ont pas la charge. C'est ce que rappelle avec force le Conseil d'Etat dans un arrêt "Stilinovic" en date du 20 juin 2003 (23). Le Conseil d'Etat annulant la sanction disciplinaire de mise à la retraite d'office prise à l'encontre de l'ancien substitut du procureur de la République d'Auxerre, D. S. pour son rôle présumé dans l'enlisement de l'enquête sur les disparues de l'Yonne. En annonçant à l'avance qu'il prononcera la sanction disciplinaire recommandée par le CSM, le Garde des Sceaux, ministre de la Justice, renonce à son pouvoir d'appréciation et commet ainsi une erreur de droit. La sanction de mise à la retraite d'office est, aussi, entachée d'erreur manifeste d'appréciation. Les agissements de M. S. apparaissant beaucoup moins critiquables au Conseil d'Etat que ce qu'affirmait dans son avis le Conseil supérieur de la magistrature. Le mode de transmission du procès verbal par M. S. n'étant pas fautif en soi contrairement à ce qui a pu être établi dans l'avis du CSM qui lui reprochait en substance à M. S. d'avoir agi avec légèreté.
C'est avec prudence, en définitive, qu'agit le Conseil d'Etat dans son contrôle des sanctions disciplinaires prises à l'encontre des magistrats mais, si cette prudence se veut traditionnelle, cela n'empêche pas le Conseil d'Etat de développer, dans certains cas, plus en avant son contrôle. C'est ce qu'il fait dans la décision d'espèce quant au contrôle de la gravité de la sanction prise par l'autorité disciplinaire.
II - Une décision qui s'inscrit, néanmoins, dans une dynamique de contrôle croissant du juge administratif
Si le juge administratif opère un contrôle de qualification juridique sur l'existence d'une faute de nature à justifier une sanction, il opère un contrôle de l'erreur manifeste d'appréciation dans le choix de celle-ci. L'exercice de ce contrôle restreint est ainsi traditionnel dans la jurisprudence administrative (A), mais à la suite d'une dynamique de contrôle croissant, le Conseil d'Etat, en l'espèce, développe son contrôle et se livre, pour la première fois à l'exercice d'un contrôle normal sur le choix de la sanction infligée à un magistrat du parquet (B).
A - L'exercice traditionnel d'un contrôle restreint de la gravité de la sanction
Le Conseil d'Etat s'est, toujours, reconnu compétent pour connaître des requêtes formées contre des sanctions disciplinaires visant des membres du parquet, mais uniquement dans des cas où les poursuites étaient exercées pour des motifs étrangers au comportement du magistrat dans l'accomplissement de ses fonctions ou quand les décisions déférées au Conseil d'Etat étaient contestées dans leur régularité procédurale ou formelle ou dans leur bien fondé par rapport à des faits étrangers à l'exercice des fonctions. Dans les cas où les poursuites ou les décisions étaient fondées sur des motifs tirés du comportement professionnel du magistrat, le Conseil d'Etat refusait d'exercer son contrôle (24) pour ne pas entrer dans l'appréciation du fonctionnement du service judiciaire et ne pas aller au-delà des limites normales de la compétence administrative (25). Mais, le Conseil d'Etat ne pouvait durablement tenir cette position dans l'intérêt même des magistrats sanctionnés et se résolut, finalement, à exercer pleinement sa fonction juridictionnelle, quitte à connaître de faits en rapport avec l'exécution du service judiciaire (26), la solution valant tant pour les magistrats du parquet que pour les magistrats du siège.
Si le Conseil d'Etat exerce, aujourd'hui, pleinement sa compétence juridictionnelle, il n'effectue qu'un contrôle restreint sur l'étendue de la sanction mais on peut alors qualifier ce contrôle de contrôle restreint "complet", puisque si le juge de l'excès de pouvoir a longtemps refusé d'apprécier la gravité de la sanction disciplinaire, il accepte, aujourd'hui, de contrôler, sur le terrain de l'erreur manifeste d'appréciation, l'adéquation d'une sanction à la faute imputée à un agent public (27). Et, cette jurisprudence est applicable aux sanctions prononcées contre des magistrats (28). Le Conseil d'Etat a, par la suite, appliqué une jurisprudence constante dans la censure du choix de la sanction (29) mais il faut rappeler que, par la voie de l'erreur manifeste d'appréciation, le juge contrôle l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire de l'administration et ne le sanctionne que dans la mesure où il a été utilisé de façon sinon arbitraire, du moins inadaptée. Il ne s'agit pas pour le juge de substituer son appréciation à celle de l'administration, et de supprimer ainsi l'existence de ce pouvoir discrétionnaire. Il s'agit simplement d'assurer un contrôle minimum du bien fondé de cette décision. Si ce n'est plus l'existence des faits qui est en cause mais leur adaptation à la décision ou leur correspondance aux motifs de droit, ce n'est pas l'exacte adaptation ou correspondance qui déclenche la censure juridictionnelle mais la disproportion entre la situation de fait et les justifications de la décision.
Si le Conseil d'Etat s'est toujours tenu traditionnellement au contrôle restreint de l'erreur manifeste d'appréciation dans le choix de la sanction, sa jurisprudence a quelque peu évolué différemment selon qu'était en litige une sanction infligée à un agent public ou une sanction professionnelle. Le contrôle du dispositif d'une sanction disciplinaire infligée à un fonctionnaire se limite toujours à celui de la disproportion manifeste (30). En revanche, le juge pour excès de pouvoir exerce un contrôle normal sur la sanction infligée à un professionnel, en vérifiant qu'elle n'est pas disproportionnée à la gravité des faits reprochés à ce dernier.
Il a, notamment, été jugé de la sorte à propos de la commission nationale des experts en automobile qui avait infligé à un expert la sanction de la radiation. Pour le juge, la commission, qui disposait d'un éventail de sanctions de nature et de portée différentes, notamment la suspension, a, en faisant le choix de la plus lourde, celle de la radiation, privé ainsi pour une durée indéterminée l'intéressé des revenus qu'il tire de l'exercice de sa profession et prononcé à l'encontre de ce dernier une sanction disproportionnée (31).
B - Le choix nouveau d'un contrôle normal de la gravité de la sanction
Depuis quelques années, un contexte général plaide pour un développement du contrôle restreint voire pour le respect de la proportionnalité de la sanction à la faute si on suit notamment l'évolution des contrôles opérés en matière, notamment, de sanctions prononcées par les autorités administratives indépendantes (32) ou en matière d'arrêtés d'interdiction du territoire (33). C'est également particulièrement marquant dans les contentieux où le juge administratif intervient en dehors des zones de prédilection classiques, en l'occurrence à l'égard de professionnels relevant, avant tout, de la sphère privée, dans d'autres contentieux disciplinaires. Cette influence du juge s'est d'abord manifestée dans le domaine des relations de travail où il a pris un rôle certain dans la définition même de la discipline au sein de l'entreprise par le contrôle, notamment, à travers la décision de l'inspecteur du travail, de la validité des clauses de règlements intérieurs des entreprises privées (34). L'influence du juge administratif se manifeste également dans des corps privés non professionnels dans lesquels, il est devenu, par l'extension de son contrôle, le juge prépondérant. On peut citer, à titre d'exemple, celui des fédérations sportives. Le juge administratif a été amené à étendre son contrôle sur les décisions disciplinaires prises par les instances sportives à l'encontre non d'un sportif professionnel, mais d'un dirigeant bénévole ou des sanctions prises par des organismes distincts statutairement de la fédération (35).
Il faut rajouter à ce contexte général qu'aujourd'hui, les litiges relatifs aux sanctions infligées à un agent public rentrent clairement dans le champ de l'article 6 § 1 CESDH (N° Lexbase : L4971AG9) (36). Or, au regard des exigences de cet article, l'effectivité de l'intervention du juge ne peut être assurée que par l'existence d'un contrôle de pleine juridiction ou, dans le cadre du recours pour excès de pouvoir, par l'existence d'un entier contrôle sur le pouvoir de sanction ce qui comprend l'appréciation des éléments de fait y compris en ce qui concerne l'adéquation entre la faute et la sanction. Pour constituer une garantie suffisante au regard des exigences conventionnelles, le recours pour excès de pouvoir doit conduire à exercer un entier contrôle de proportionnalité de la sanction (37).
C'est en ce sens que cette nouvelle circonstance de droit amène à l'abandon de la jurisprudence "Thouzard" précitée et le passage à un contrôle normal sur la sanction infligée à un magistrat judiciaire. A noter néanmoins que pour le commissaire du gouvernement Mattias Guyomar, il n'y a pas que les motifs qui condamnent la jurisprudence "Thouzard" qui doivent être pris en compte, il faut aussi tenir compte de la situation spécifique des magistrats. Le respect du principe d'indépendance des magistrats appelle, en effet, en matière disciplinaire, un contrôle approfondi, c'est "la nécessaire conciliation entre le principe d'indépendance et l'exercice de la répression disciplinaire qui appelle la garantie appropriée que constitue le passage, dans le contentieux de l'excès de pouvoir, à un entier contrôle de la qualification juridique des faits non seulement sur le principe mais aussi sur le choix de la sanction" (38). Les magistrats du siège et les magistrats du parquet ne sont pas placés dans la même situation mais en vertu du principe d'unicité de l'autorité judiciaire, ils doivent pouvoir bénéficier des mêmes garanties. En l'espèce et dans le cadre de son nouveau contrôle normal, le Conseil d'Etat a écarté le moyen eu égard à la gravité des faits commis, et qui sont avérés, tant au regard de la déontologie professionnelle que du bon fonctionnement du service public de la justice. Le Garde des Sceaux n'ayant pas commis d'erreur d'appréciation en infligeant au requérant la sanction de révocation sans suspension des droits à pension et n'ayant pas prononcé à son encontre "une sanction disproportionnée".
A noter, en propos conclusifs, que le juge administratif a réaffirmé, après la décision d'espèce "H.", son contrôle restreint en matière de répression disciplinaire dans la fonction publique dans sa décision en date du 27 juillet 2009, "Ministre de l'Education nationale contre Fabienne B." (39) montrant ainsi que la spécificité de la situation des magistrats avait été clairement prise en compte dans le choix du contrôle normal dans l'arrêt "H.". S'il adopte un contrôle normal sur la sanction infligée à un magistrat judiciaire, il n'a pas souhaité modifier l'étendue de son contrôle s'agissant de la discipline dans la fonction publique. Les conclusions couplaient le passage au contrôle normal et la prise en compte de l'ensemble du comportement de l'agent fautif dans l'appréciation du caractère adapté de la sanction infligée. Le Conseil d'Etat a adopté la deuxième branche de cette proposition tout en se limitant au contrôle de l'erreur manifeste d'appréciation.
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Le 07 Octobre 2010
I - Média
A - Edition
Afin de ne pas grever le budget de films à petit budget, la pratique a développé la technique de la mise en participation de la rémunération des techniciens et des artistes interprètes. Ces derniers sont ainsi associés aux risques du film et ne sont pas payés tant que le seuil de recettes, d'entrées ou de ventes convenu n'est pas atteint. Le versement du salaire, lié au succès du film, est donc aléatoire. La Chambre sociale de la Cour de cassation, le 16 septembre 2009, a invalidé la clause de mise en participation des salaires des artistes-interprètes liés à leur employeur par un contrat de travail. Au visa de l'article L. 1221-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0767H9B), elle a considéré que lorsqu'un artiste-interprète est lié par un contrat de travail, il ne peut renoncer au paiement de son salaire, qui constitue la contrepartie nécessaire de la relation de travail (Cass. soc., 16 septembre 2009, n° 08-41.191, F-P+B N° Lexbase : A1112ELR).
Un protocole d'accord a de nouveau été conclu pour l'année 2009 entre les titulaires de droits d'auteur, le ministère de l'Education, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche et la Conférence des présidents d'universités, concernant des livres, de la musique imprimée, des publications périodiques et des oeuvres des arts visuels. Ce type de protocole a vu le jour en 2006, lors de l'adoption de la loi "DADVSI" (loi n° 2006-961 du 1er août 2006, relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information N° Lexbase : L4403HKB) pour tenir compte de l'exception au droit d'exploitation des auteurs, spécifique à l'enseignement et à la recherche (dite "exception pédagogique").
Le 24 septembre 2009, la Cour de cassation a confirmé la position de la cour d'appel de Paris ayant condamné France 2 sur le fondement de la responsabilité délictuelle. La chaîne avait suspendu, puis arrêté la production du documentaire "Les Frégates de la République". Les juges du fond avaient considéré qu'en suspendant la production sans justification, puis en l'arrêtant définitivement, France 2 avait rendu la recherche de toute solution alternative impossible. En outre, "il résulte des constatations souveraines de la cour que les sociétés France télévision et France 2 ne se prévalaient pas d'un allongement des délais, accepté par elles, mais, sans en apporter la preuve, d'un dépassement budgétaire entraîné par l'allongement de ceux accordés". Les juges ont donc alloué à l'auteur des dommages et intérêts au titre de son préjudice professionnel et financier. Cependant, la Cour a refusé d'en octroyer sur le fondement de l'atteinte à l'exercice du droit moral, dans la mesure où le préjudice professionnel n'était pas démontré (Cass. civ. 1, 24 septembre 2009, n° 07-17.107, FS-P+B N° Lexbase : A3371ELG).
Le 8 octobre 2009, la Cour de cassation a censuré l'arrêt de la cour d'appel de Versailles rejetant la demande de la famille "de Kersaint" fondée sur l'utilisation de son patronyme. En l'espèce, ce nom avait été utilisé dans le roman et la série télévisée "Dolmen" pour désigner une famille avide de pouvoir et caricaturale. La cour d'appel avait considéré que "le nom patronymique d'une famille donne à ses membres le droit de s'opposer à l'utilisation faite par un tiers à des fins commerciales ou dans des oeuvres de fiction, pourvu toutefois que le demandeur justifie d'une confusion possible à laquelle il a intérêt à mettre fin" mais qu'aucune méprise n'était possible en l'espèce. Ce raisonnement a été cassé : si les juges d'appel ont établi l'absence d'un risque de confusion entre le demandeur ou ses proches et les personnages de l'oeuvre de fiction, "la cour d'appel, qui a relevé que la protection en était demandée, qu'il n'est porté que par une seule famille, bretonne et notoirement connue, qu'il a été illustré par des ancêtres célèbres et même donné à des vaisseaux de guerre, l'objectif des auteurs, constaté par ailleurs, ayant été de camper de manière caricaturale une famille aristocratique bretonne, n'a pas donné de base légale à sa décision" (Cass. civ. 1, 8 octobre 2009, n° 08-10.045, F-P+B N° Lexbase : A8695ELM).
B - Audiovisuel
Le 16 octobre 2009, la Commission européenne a lancé une consultation publique des professionnels de l'audiovisuel européen concernant "les meilleurs moyens de saisir les opportunités et de relever les défis de la 'révolution numérique' dans l'industrie cinématographique de l'UE". En effet, si le cinéma numérique à l'avantage de rendre la distribution des films moins coûteuse et plus souple, permettant ainsi à un plus grand nombre de films européens de circuler, le passage au numérique est toutefois un investissement très important. Or, un tiers des cinémas européens ne peut se le permettre. Afin de ne pas fermer ces cinémas, des nouveaux modèles économiques et des régimes d'aide publique viables doivent être mis en oeuvre. Les professionnels du secteur disposent ainsi de deux mois pour s'exprimer sur ce sujet. A l'issue de la consultation, la Commission exposera sa politique en matière de cinéma numérique dans une communication prévue pour le début de l'année prochaine.
Une association prise à parti lors d'un journal télévision avait réclamé à la chaîne concernée de pouvoir exercer son droit de réponse en insérant un texte. Face au refus de celle-ci, l'association forma une demande en insertion forcée auprès des juges du fond. Cette demande fut rejetée au motif que la réponse ne répondait pas à l'ensemble des imputations et qu'elle n'était donc pas en "étroite corrélation avec l'information diffusée". Par un arrêt datant du 8 octobre 2009, la première chambre civile de la Cour de cassation casse la décision des juges du fond au visa de l'article 6 de la loi du 29 juillet 1982 (N° Lexbase : L0991IEG), relatif aux conditions du droit de réponse en matière de communication audiovisuelle, qui "n'exige pas une réplique à l'ensemble des imputations" (Cass. civ. 1, 8 octobre 2009, n° 08-15.134, FS-P+B N° Lexbase : A8730ELW).
C - Presse
Par un arrêt datant du 8 octobre 2009, la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) a, de nouveau, condamné la France pour violation de l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L4743AQQ), relatif à la liberté d'expression. Un directeur de la publication et un journaliste avaient été condamnés le 5 août 2004 par la cour d'appel de Dijon sur renvoi pour diffamation publique envers un particulier. Ils avaient publié un article qui rendait compte des conclusions de deux rapports évoquant le rôle joué par un député dans la gestion d'un établissement bancaire. La CEDH a considéré que l'article avait un but d'information générale et visait l'élu en tant qu'homme politique et non uniquement en tant que particulier, et que les rédacteurs de l'article litigieux avaient agi de bonne foi, sur des informations concordantes. En conséquence, elle a condamné la France à rembourser au directeur de publication et au journaliste le montant des condamnations prononcé par la juridiction française, soit 21 000 euros (CEDH, 8 octobre 2009, Req. 12662/06, Brunet-Lecomte et Tanant c/ France N° Lexbase : A8263ELM).
Par deux arrêts datant du 24 septembre 2009, la première chambre civile de la Cour de cassation assouplit les conditions de validité de l'assignation sur le fondement de l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881 (N° Lexbase : L7589AIW), dite loi sur la presse, devant les juridictions civiles. Dans la première affaire, la Cour affirme que l'absence de mention de la sanction pénale dans l'assignation, mention exigée par l'article 53, alinéa 1er, de la loi sur la presse, n'en affecte pas la validité. Elle semble, ainsi, revenir sur son ancienne jurisprudence qui exigeait, à peine de nullité de l'assignation, la présence de cette mention. La seconde affaire portait sur l'élection du domicile. L'article 53, alinéa 2, de la loi sur la presse exige que le plaignant élise domicile dans la ville où siège la juridiction saisie. L'indication du nom de l'avocat du demandeur dans une instance civile où la représentation est obligatoire, emporte par application de l'article 751 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L3031ADM), élection de domicile au cabinet de l'avocat. La Cour de cassation considère que, du fait de la multipostulation des avocats de Paris, Créteil, Nanterre et Bobigny, la mention de la constitution d'un avocat inscrit au barreau de Paris vaut élection de domicile dans le ressort du tribunal de grande instance de Nanterre (Cass. civ. 1, 24 septembre 2009, 2 arrêts, n° 08-17.315, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A3176EL9 et n° 08-12.381, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A3174EL7).
II - Propriété intellectuelle
A - Marques/Brevets/Logiciels
Un commerçant italien vendait un saucisson sous le nom "Salame tipo Felino" (Salami de type Felino). Il est assigné en justice pour avoir induit en erreur les consommateurs car une demande d'enregistrement de cette dénomination, au titre d'appellation d'origine protégée (AOP) ou d'indication géographique protégée (IGP), avait été rejetée au niveau national et que la transmission à la Commission européenne était bloquée. La Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) est saisie à titre préjudiciel de deux questions à ce sujet. L'appellation visée par la demande d'enregistrement doit-elle être considérée comme générique au moins pendant la période durant laquelle les effets dudit rejet ou du blocage sont pendants ? L'appellation d'une denrée alimentaire évoquant un lieu, non enregistrée en tant qu'AOP ou IGP, peut-elle être licitement utilisée dans le marché européen par les producteurs qui en font usage de bonne foi et qui le commercialise de façon constante longtemps avant l'entrée en vigueur du Règlement n° 2081/92 du 14 juillet 1992 (devenu règlement n° 510/2006 N° Lexbase : L9902HH9) puis après ladite entrée en vigueur ? Concernant la première question, la CJCE affirme que le caractère générique d'une appellation au sens du Règlement communautaire "ne peut être présumé tant que la Commission n'a pas statué sur la demande d'enregistrement de l'appellation, le cas échéant, en la rejetant au motif spécifique que ladite appellation est devenue générique". Sur la seconde question, la Cour reconnaît que l'appellation d'une denrée alimentaire contenant des références géographiques non enregistrées comme AOP ou IGP est licitement utilisée à condition que l'étiquetage du produit n'induise pas en erreur le consommateur moyen, normalement informé, et raisonnablement attentif et éclairé. Pour apprécier si tel est le cas la Cour précise que les juridictions nationales peuvent tenir compte de la durée de l'utilisation de la dénomination. L'éventuelle bonne foi du fabricant ou du détaillant est un élément indifférent (CJCE, 10 septembre 2009, aff. C-446/07, Alberto Severi, agissant en son nom propre, ainsi qu'en qualité de représentant légal de Cavazzuti e figli SpA, devenue Grandi Salumifici Italiani SpA c/ Regione Emilia-Romagna N° Lexbase : A8900EKT).
La brasserie tchèque Budvar exporte vers l'Autriche une bière dénommée "Budweiser Budvar" à une société autrichienne, qui elle-même commercialise en Autriche une bière américaine sous le nom "American Bud". L'Autriche et la République tchécoslovaque ont conclu en 1976 une convention bilatérale relative à la protection des indications de provenance et des appellations d'origine. Les dénominations "Bud", "Budejovické pivo", "Budejovické pivo Budvar" et "Budejovické Budvar" faisaient parties des appellations protégées en vertu de la convention bilatérale et de l'accord sur application de la convention datant de 1979. Saisie à titre préjudiciel, la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) avait jugé, le 18 novembre 2003, que l'article 28 du Traité CE et le Règlement n° 2081/92 du 14 juillet 1992 ne s'opposaient pas "à l'application d'une disposition d'un traité bilatéral conclu entre un Etat membre et un pays tiers, qui confère à une indication de provenance géographique simple et indirecte de ce pays tiers une protection dans l'Etat membre importateur qui est indépendante de tout risque de tromperie et qui permet d'empêcher l'importation d'une marchandise légalement commercialisée dans un autre Etat membre" (CJCE, 18 novembre 2003, aff. C-216/01, Budìjov ický Budvar, národní podnik c/ Rudolf Ammersin GmbH N° Lexbase : A1836DAA).
Dans ce même arrêt, la Cour concluait à la possibilité pour une juridiction d'un Etat membre d'appliquer les dispositions de traités bilatéraux, conclus entre cet Etat et un pays tiers, comportant la protection d'une dénomination de ce pays tiers, même si ces dispositions se révélaient contraires aux règles du Traité CE, au motif qu'il s'agissait d'une obligation résultant de conventions conclues antérieurement à la date d'adhésion à l'Union européenne de l'Etat membre concerné. La République tchèque a adhéré à l'Union européenne le 1er mai 2004 et les dénominations "Budejovické pivo", "Ceskobudejovické pivo" et "Budejovický me tanský var" ont été enregistrées au niveau communautaire en tant qu'indications géographiques protégées, mais pas la dénomination "Bud". La CJCE a été saisie de nouvelles questions préjudicielles sur la portée du précédent arrêt du 18 novembre 2003. Au vu de cette situation, s'est posée la question de savoir si le régime communautaire de protection des appellations d'origine et des indications géographiques, aujourd'hui défini par le Règlement n° 510/2006, présente un caractère exhaustif ou si, au contraire, il laisse survivre une protection prévue par un droit national ou un traité bilatéral tel que celui conclu en l'espèce entre l'Autriche et la République tchèque. La Grande chambre de la CJCE affirme qu'en l'absence d'enregistrement d'une appellation d'origine ou d'une indication géographique au niveau communautaire, le régime de protection prévu nationalement ou internationalement ne peut survivre. En l'espèce, la protection prévue pour la dénomination "Bud" dans ladite convention bilatérale ne produira plus effet en Autriche, cette dénomination n'ayant pas été enregistrée au plan communautaire (CJCE, 8 septembre 2009, aff. C-478/07, Budejovický Budvar, národní podnik c/ Rudolf Ammersin GmbH N° Lexbase : A8239EKD).
Le Tribunal de première instance des Communautés européennes (TPICE), dans son jugement du 30 septembre 2009, a dû se prononcer sur la validité d'un point d'exclamation pour désigner des produits de consommation courante. Le Tribunal a rappelé qu'"un signe qui remplit d'autres fonctions que celle d'une marque au sens classique n'est distinctif [...] que s'il peut être perçu d'emblée comme une indication de l'origine commerciale des produits ou des services visés afin de permettre au public pertinent de distinguer sans confusion possible les produits ou les services du titulaire de la marque de ceux qui ont une autre provenance commerciale". Or en l'espèce, le consommateur, y compris celui ayant un degré d'attention plus élevé, ne sera pas en mesure de conclure à l'origine des produits désignés en se fondant sur un simple point d'exclamation qui sera plutôt perçu comme un simple éloge ou une accroche. En outre, sur l'acquisition du caractère distinctif de la marque, les juges ont considéré qu'"un caractère distinctif peut résulter aussi bien de l'usage, en tant que partie d'une marque enregistrée, d'un élément de celle-ci que de l'usage d'une marque distincte en combinaison avec une marque enregistrée" à condition que les intéressés perçoivent effectivement le produit ou service désigné par la seule marque dont l'enregistrement est demandé, comme provenant d'une entreprise déterminée. La requérante n'apportant pas les preuves nécessaires excepté pour l'Allemagne, le Tribunal a rejeté son recours (TPICE, 30 septembre 2009, aff. T-75/08, JOOP! GmbH c/ Office de l'harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI) N° Lexbase : A4717ELB).
Le cessionnaire d'un brevet européen qui n'avait pas procédé à l'inscription de la cession au registre européen, avait intenté une action en contrefaçon de son brevet. La cour d'appel de Bordeaux, le 26 mai 2008, a déclaré recevable l'action en contrefaçon au motif que l'inscription au registre national des brevets (RNB) était suffisante pour rendre la cession opposable au tiers. La Chambre commerciale de la Cour de cassation, le 15 septembre 2009, a confirmé l'arrêt d'appel (Cass. com., 15 septembre 2009, n° 08-18.523, F-P+B N° Lexbase : A1043EL9).
La Cour de cassation, le 30 juin 2009, a mis fin à une affaire judiciaire vieille de six ans. Une entreprise faisait fabriquer des bijoux fantaisie en Chine et, pour les vendre, arguait de leur forte similitude avec des modèles de marques de luxe. En outre, cette société mettait en exergue des tableaux de concordance des bijoux, comparant les modèles des grands joailliers et les siens. Les juges du fond d'abord, la Cour de cassation ensuite, ont jugé la société coupable de contrefaçon en reconnaissant dans cette affaire l'existence d'un risque de confusion. En l'espèce, la condamnation à payer 1,4 million d'euros pour contrefaçon de bijoux de luxe a été confirmée par la Cour de cassation. Pour la partie condamnée, il est question de faire porter l'affaire devant la Cour européenne : selon elle, la contrefaçon est écartée car aucun risque de confusion ne peut être caractérisé dans l'esprit de sa clientèle (Cass. crim., 30 juin 2009, n° 08-85.222 N° Lexbase : A5772EKY).
SFR avait déposé en 2001 la marque "Texto" et porté plainte contre la société One Texto pour contrefaçon. Le jugement de première instance du 29 janvier 2008 avait déjà considéré qu'au moment des poursuites engagées, "Texto" était connu en tant que mot définissant un message envoyé par téléphone, et non en tant que marque (TGI Paris, 29 janvier 2008, n° 06/10489 N° Lexbase : A6559D4P et lire N° Lexbase : N0629BEZ). La cour d'appel de Paris a confirmé, le 23 septembre 2009, la nullité de la marque "texto" pour défaut de distinctivité (CA Paris, Pôle 5, 1ère ch., 23 septembre 2009, n° 08/02816, SFR c/ SARL One Texto N° Lexbase : A3650ELR).
Le 14 octobre 2009, la cour d'appel de Paris a aggravé la condamnation du site de paris sportifs en ligne Unibet. En première instance, Unibet avait été condamné à verser 500 000 euros de dommages-intérêts à la Fédération française de tennis (FFT) pour "atteinte au monopole d'exploitation" et "parasitisme". En appel, les juges ont non seulement augmenté le montant des dommages et intérêts à 1,2 million d'euros mais ont, en outre, reconnu la contrefaçon de marque, qui n'avait pas été reconnue en première instance. Si pour Unibet, il n'y avait pas contrefaçon car elle utilisait la marque Roland Garros comme référence nécessaire en application de l'article L. 716-13 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L1854H33), les juges ont retenu que "Roland Garros" était désigné "dans la vie des affaires, à titre de marque dans la fonction d'invidualisation des produits et services" (CA Paris, Pôle 5, 1ère ch., 14 octobre 2009, n° 08/19179, Société Unibet International Ltd c/ Fédération française de tennis (FFT) N° Lexbase : A2342EMP).
Pendants deux ans, plusieurs personnes vendaient régulièrement des logiciels Microsoft, qu'elles avaient acquis licitement, sur le site de vente aux enchères Ebay. En l'absence d'accord de l'entreprise Microsoft, le tribunal de grande instance de Paris a considéré, le 25 juin 2009, que ces personnes effectuaient des actes de contrefaçon par diffusion ou représentation d'oeuvre ainsi que du travail dissimulé. Les prévenus ont été condamnés à payer une amende de 5 000 à 10 000 euros ainsi que des dommages-intérêts s'élevant de 5 000 à 75 000 euros suivant le nombre de logiciels cédés (TGI de Paris, 31ème ch., 25 juin 2009, Benjamin L. et autres c/ Microsoft Corporation, inédit).
Une quinzaine de sociétés françaises, constatant que plusieurs de leurs marques dont certaines notoires étaient reproduites sans autorisation de manière quasi-identique par des tiers dans environ 130 noms de domaine en ".fr", ont assigné en justice l'office d'enregistrement des noms en ".fr", et le bureau auprès duquel ces noms de domaine avaient été réservés. Le tribunal de grande instance de Paris, le 26 août 2009, a jugé tout d'abord que le bureau d'enregistrement n'a pas fait un usage injustifié de marque de grande renommée au sens de l'article L. 713-5 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L2200ICH), le bureau ne faisant pas un "emploi" de la marque au sens de la disposition précitée. Le tribunal a considéré, ensuite, que le bureau d'enregistrement n'est pas tenu d'une obligation de résultat s'agissant des recherches d'antériorités, lesquelles devraient être recherchées, tous droits et tous pays confondus. Néanmoins, en application de l'article R. 20-44-45 du Code des postes et des communications électroniques (N° Lexbase : L6493HWE), le tribunal estime que lorsque le bureau d'enregistrement se voit notifier par le titulaire de droit l'existence d'un nom de domaine géré par la société d'enregistrement et qui porte atteinte à un droit de propriété intellectuelle, la société d'enregistrement et le bureau d'enregistrement sont tenus à une obligation de résultat. En l'espèce les sociétés demanderesses n'ayant pas notifié les noms de domaine litigieux, la responsabilité de la société d'enregistrement et de l'office n'a pas été retenue (TGI Paris, 3ème ch., 3ème sect., 26 août 2009, n° 08/17160, Société 3 Suisses International SA c/ Société EuroDNS SA N° Lexbase : A7658EKT).
Leaderpricemedia, une société spécialisée dans les produits de haute technologie, a ouvert un site internet reprenant son nom commercial Leaderpricemedia et un logo rouge et bleu en forme de rectangle. La société Leader Price l'a assignée devant le tribunal de grande instance de Paris pour atteintes aux marques verbales et semi figuratives Leader Price. Par un jugement du 6 octobre 2009, le tribunal a considéré que le nom de la boutique en ligne Leaderpricemedia, son logo et son nom de domaine pouvaient laisser croire qu'il s'agissait d'une émanation du distributeur Leader Price et lui a donc interdit de continuer son activité sous ce nom. En effet, le site utilisait les termes protégés par la marque Leader Price pour la même classe de produits. De plus, les termes Leader et Price ont été considérés comme dominants au sein du signe, et associés à un logo rouge et bleu, ce qui crée un réel risque de confusion pour le consommateur qui peut penser que Leaderpricemédia est une déclinaison commerciale de l'enseigne de hard discount (TGI de Paris, 3ème ch., 1ère sect., 6 octobre 2009).
B - Nouvelles technologies
Lors d'un discours prononcé le 10 septembre 2009 en clôture du séminaire "Numérique : investir aujourd'hui pour la croissance de demain", le Premier ministre, François Fillon, a rappelé les objectifs de l'Etat en matière d'économie numérique. Le premier de ces objectifs est que 100 % des Français puisse avoir accès à internet à haut débit fixe et mobile avant la fin du quinquennat du Président de la République. Le second objectif concerne le déploiement de la fibre optique. M. Fillon souhaite que "l'investissement public" soit "complémentaire de l'initiative privée" et que "la commission de réflexion sur les priorités stratégiques d'investissement et l'emprunt national, coprésidée par Alain Juppé et Michel Rocard regarde de très près les modalités de mobilisation des ressources de cet emprunt pour accélérer le déploiement du très haut débit sur notre territoire". A ce titre, la Caisse des dépôts et consignations est chargée de "mobiliser 750 millions d'euros de fonds propres pour accélérer le déploiement de la fibre optique dans les zones peu peuplées".
La Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi), nouvelle autorité administrative indépendante chargée de lutter contre le téléchargement illégal de contenus sur internet, sera "installée en novembre" et devrait être "opérationnelle début 2010", selon le ministère de la Culture et de la Communication. A la suite de la décision du Conseil constitutionnel du 10 juin 2009, les pouvoirs d'Hadopi ont été restreints (Cons. const., décision n° 2009-580 DC, Loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet N° Lexbase : A0503EIH et lire N° Lexbase : N6532BK7). L'autorité pourra seulement envoyer des courriers électroniques d'avertissement au titulaire se livrant au téléchargement illégal. Plusieurs textes sont quasiment prêts à être transmis à la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) et au Conseil d'Etat. Les membres de l'Hadopi devraient être désignés par décret prochainement et l'envoi des premiers courriers électroniques d'avertissement devrait débuter en janvier 2010.
Le directeur de publication de Zataz.com, spécialisé en sécurité informatique, a, à la suite de l'alerte d'un internaute, constaté la possibilité d'accéder à un espace en ligne d'une société, révélant des données personnelles et confidentielles détenues par la société FLP. Ces données étaient visibles par tout internaute pouvant se connecter à un serveur FTP. Après en avoir averti la société et une fois l'anomalie corrigée, le directeur, également journaliste, a mis en ligne un article révélant la faille du serveur FTP de la société. Celle-ci l'a assigné en référé, au civil pour obtenir la suppression de l'article, et au pénal pour diffamation. La cour d'appel de Paris a confirmé, le 9 septembre 2009, l'ordonnance de référé du tribunal de grande instance de Paris en considérant qu'un tel agissement constituait un trouble manifestement illicite "alors même que l'accès aux données n'est pas limité par un dispositif de protection ; qu'il suffit que le 'maître du système' ait manifesté l'intention d'en restreindre l'accès aux seules personnes autorisées". Le directeur ayant accédé à ces informations de manière illicite, les juges ont estimé que l'ordonnance a "à bon droit, ordonné leur destruction, seule mesure de remise en état de nature à faire cesser le trouble" et ont interdit de "procéder à la publication ou la diffusion de tous contenus s'y rapportant". Néanmoins, le tribunal correctionnel, devant lequel la société s'est désistée à l'audience, a prononcé la relaxe du chef de diffamation en raison de sa bonne foi (CA Paris, Pôle 1, 2ème ch., 9 septembre 2009, n° 09/02890, M. Damien B. c/ Société FLP France N° Lexbase : A0261ELA).
Par un arrêt datant du 30 septembre 2009, la cour d'appel de Paris a infirmé une ordonnance de référé du tribunal de commerce de Paris du 10 avril 2009 qui s'était jugé incompétent au motif que le constat d'huissier destiné à démontrer des actes de parasitisme en ligne avait été effectué en dehors de son ressort, à Nanterre. La cour rappelle qu'en vertu de l'article 46 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1210H4L), en matière délictuelle, le demandeur peut, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur, saisir la juridiction du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi. La cour d'appel considère que pour le réseau internet, "le fait dommageable se produit en tous lieux où lesdites informations ont été mises à la disposition des utilisateurs éventuels du site". Dès lors que la société qui soulève l'incompétence du juge n'a, à aucun moment, soutenu que le site n'était pas accessible à Paris, le juge parisien était territorialement compétent (CA Paris, Pôle 1, 2ème ch., 30 septembre 2009, n° 09/09773, SARL My Little Paris c/ SARL Violette N° Lexbase : A0454EMR).
Suite à l'assignation de l'association UFC Que Choisir, le tribunal de grande instance de Paris, dans un jugement du 15 septembre 2009, a relevé que plusieurs clauses des conditions générales de vente étaient abusives et illicites. Il a donc ordonné à la société Numéricable "d'adresser à l'ensemble de ses abonnés antérieurs au prononcé de la décision, sous le délai d'un mois à compter de la signification du jugement, copie du dispositif par courrier électronique, et ce sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard pendant trois mois". En outre, Numéricable a été condamnée à la publication d'extraits du jugement dans trois quotidiens nationaux ainsi que sur la page d'accueil du site de la société, également aux frais de celle-ci, pendant un mois à compter de la date de signification du jugement (TGI Paris, 4ème ch., 1ère sect., 15 septembre 2009, n° 07/12483, UFC - Que Choisir c/ NC Numéricable N° Lexbase : A9297ELW).
III - Télécommunication - Commerce
A - Télécommunication
Saisie pour avis par l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) sur son projet de dispositif visant à définir les modalités de mise en oeuvre de la mutualisation de la partie terminale des réseaux à très haut débit en fibre optique, l'Autorité de la concurrence a rendu un avis 09-A-47 le 22 septembre dernier. L'Autorité considère que "le déploiement de la fibre optique est une étape décisive pour la dynamique concurrentielle du marché des communications électroniques". L'essor de boucles locales indépendantes des infrastructures de l'opérateur historique garantit l'indépendance des acteurs, et est favorable aux consommateurs qui pourront "changer d'opérateur rapidement et sans interruption de service". A ce titre, l'Autorité de la concurrence émet un avis positif sur la mise en place d'une architecture multifibres proposée par l'ARCEP (avis n° 09-A-47 du 22 septembre 2009 N° Lexbase : X8108AEZ).
En 2003, Airbus s'était rapprochée de spécialistes de la téléphonie mobile afin qu'ils développent une architecture logicielle de téléphonie mobile dans ses avions. A cet effet, les spécialistes sollicités ont créé la société Icarelink. Des "Principes commerciaux clés" (Key Business Terms) ont été conclus entre Airbus et Icarelink dans lesquels une volonté commune et réciproque des parties d'établir un véritable partenariat économique ressortait. Ces principes contenaient également une clause d'exclusivité empêchant Icarelink d'entreprendre d'autres développements pendant quatre ans et donnait à Airbus le pouvoir de contrôler la taille de son partenaire et la gestion de son personnel. Après avoir procédé à un "appel d'offres" en 2005, Airbus a annoncé à Icarelink que son projet n'était pas retenu. La cour d'appel de Toulouse, le 16 septembre 2009, a confirmé le jugement du tribunal de commerce de Toulouse du 14 juin 2007 qui avait condamné Airbus à indemniser Icarelink pour avoir rompu de mauvaise foi, de manière brutale, abusive et injustifiée leurs relations contractuelles. La cour a cependant réduit le montant des dommages-intérêts à 1,36 millions au lieu des 2,15 millions d'euros en réformant le jugement sur les sommes à verser au titre de la non-réalisation de ses engagements contractuels (CA Toulouse, 2ème ch., sect. 1, 16 septembre 2009, n° 08/04848, SAS Airbus France c/ SAS Icarelink N° Lexbase : A3177ELA).
En exécution de commissions rogatoires, un opérateur de géolocalisation avait été requis de mettre en place un "suivi dynamique" de trois téléphones mobiles durant trois mois. La chambre de l'instruction a réduit de 40 % le montant des sommes demandées par l'opérateur en appliquant l'arrêté du 22 août 2006 concernant les remboursements dus aux opérateurs de communications électroniques. Dans un arrêt du 1er septembre 2009, la Chambre criminelle de la Cour de cassation rappelle qu'il "appartient au juge de déterminer la juste rémunération due à la partie prenante en l'absence de tarif fixant les frais de justice criminelle, correctionnelle et de police". Au visa des articles 800 (N° Lexbase : L0886HHB), R. 92, 9° (N° Lexbase : L1889H3D), R. 226 (N° Lexbase : L0828ACN) à R. 231 du Code de procédure pénale, la Cour précise que l'arrêté précité, pris pour l'application de l'article R. 213-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L2889HIT) et qui fixe le tarif des frais mentionnés à l'article R. 92, 23° dudit code, correspond à la fourniture des données conservées en application de l'article L. 34-1, II du Code des postes et des communications électroniques (N° Lexbase : L3526IEC) et n'est pas applicable "aux prestations requises et réalisées concernant la fourniture en temps réel de données de géolocalisation, la chambre de l'instruction n'a pas donné de base légale à sa décision". Elle casse ainsi l'arrêt de la chambre de l'instruction (Cass. crim., 1er septembre 2009, n° 09-80.084, Société Deveryware N° Lexbase : A1172ELY).
B - Commerce
Le site de e-commerce eBay a été condamné par le tribunal de grande instance de Paris, le 18 septembre 2009, pour contrefaçon. En effet, il lui est reproché d'avoir réservé sur des moteurs de recherche, sans autorisation, des mots-clés correspondant à plusieurs marques de parfums du groupe LVMH. Ces mots clefs renvoyaient à des sites de vente de ces produits. Toutefois, même si ces faits ont également été commis par les affiliés d'eBay, le tribunal a considéré que "quand bien même il est manifeste que ces dernières [eBay Inc. et eBay International AG] tirent un bénéfice économique des liens commerciaux ainsi générés, lesquels contribuent à assurer la promotion de leurs sites, un tel élément est à lui seul insuffisant à engager leur responsabilité dès lors qu'elles n'ont pas procédé elles-mêmes à la réservation des mots-clés litigieux et qu'elles n'en font pas personnellement usage". Les juges en concluent que "les sociétés eBay International AG et eBay Inc n'ont ni la maîtrise, ni n'exercent de contrôle a priori sur le choix des mots-clés par leurs affiliés" (TGI Paris, 3ème ch., 2ème sect., 18 septembre 2009, n° 07/00100, Société Parfums Christian Dior c/ Société eBay Inc N° Lexbase : A6597ELW).
IV - Informatique et libertés
Le 10 septembre 2009, la CNIL a adopté une nouvelle dispense de déclaration n° 14 à destination des employeurs pour les fichiers de salariés mis en place dans le cadre du "plan de continuité" (PCA) en cas d'épidémie grippale. Si les employeurs se conforment aux conditions posées par la CNIL, ils sont dispensés de déclaration auprès de la CNIL. A défaut, ils doivent effectuer une déclaration. Pour pouvoir bénéficier de la dispense, le traitement ne doit notamment pas être utilisé pour la gestion courante du personnel, contenir des données médicales sur les personnes atteintes de la grippe et ne doit pas être permanent (délibération CNIL n° 2009-476 du 10 septembre 2009, décidant la dispense de déclaration des traitements de données à caractère personnel mis en oeuvre dans le cadre de plans de continuité d'activité relatifs à une pandémie grippale N° Lexbase : X8114AEA).
Le 9 octobre 2009, le tribunal de grande instance de Paris a appliqué, dans deux affaires différentes, la nouvelle loi "Création et Internet" dite "Hadopi 1" (loi n° 2009-669 du 12 juin 2009, favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet N° Lexbase : L3432IET). En effet, outre les dispositions sur le téléchargement illégal qu'elle contient, cette loi a également modifié les dispositions légales portant sur la presse en ligne, en instituant une responsabilité "allégée" du directeur de la publication pour les messages publiés dans les espaces dédiés à la libre expression des internautes. Ainsi, le directeur de publication n'est pas responsable de ces messages tant qu'il n'est pas fait preuve qu'il en avait "effectivement connaissance" avant leur mise en ligne ou qu'il n'a pas "agi promptement pour [les] retirer" une fois informé. En l'espèce, le tribunal retient que cette disposition, d'une part a vocation à s'appliquer indistinctement à l'ensemble des services de communication au public par voie électronique et d'autre part, déroge nécessairement au régime juridique de responsabilité du directeur de la publication tel que défini par l'article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982. Ainsi, il n'y a plus de distinction selon que les espaces publics de contributions personnelles font ou non l'objet d'une modération a priori. En l'espèce, les juges ont écarté plusieurs messages mis en cause faute d'identification possible de l'adresse IP de l'expéditeur. En revanche, pour trois messages ayant entrainé une poursuite pour diffamation et injures, supprimés par le prévenu puis remis en ligne quelques semaines plus tard, le tribunal indique que le directeur de publication ne saurait nier en avoir eu préalablement et effectivement connaissance avant leur nouvelle mise en ligne. Il a donc été condamné à une amende de 1 000 euros et à verser 1 euro de dommages et intérêts à la plaignante (TGI de Paris, 17ème ch., 9 octobre 2009, deux jugements, inédits).
Par une ordonnance rendue le 12 octobre 2009, le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris a condamné l'auteur d'un site internet personnel à un euro symbolique de dommages et intérêts pour atteinte à la vie privée de Philippe de V., en révélant une prétendue liaison de celui-ci avec une de ses anciennes relations professionnelles. Le juge n'a pas suivi l'argumentation de la prétendue maitresse qui affirmait que le texte constituait un traitement de données à caractère personnel opéré sans son consentement. Le tribunal a considéré que "le principe constitutionnellement et conventionnellement garanti de la liberté d'expression interdit de retenir une atteinte distincte liée à une éventuelle violation des règles instituées par la loi du 6 janvier 1978(N° Lexbase : L8794AGS), laquelle n'est pas une des normes spécialement instituées pour limiter cette liberté dans le respect du second alinéa de l'article 10 de la CESDH (N° Lexbase : L4743AQQ)" (TGI de Paris, ord. réf., 12 octobre 2009, Mme X, Société L. & Com c/ Jean-Hervé C., inédit).
V - Santé
La société Beecham Group PLC est titulaire de la marque Deroxat, qui est utilisée par la société Glaxosmithkline pour désigner un médicament anti-dépresseur commercialisé en France. La société G Gam a obtenu une autorisation de mise sur le marché du Paroxetine G Gam 20mg et a fait paraitre dans des journaux destinés aux professionnels plusieurs annonces indiquant "la commercialisation prochaine de la Paroxetine G Gam (générique de Deroxat, paru au Journal officiel du 1er novembre 2002)". Les sociétés Beecham Group PLC et Glaxosmithkline ont assigné la société G Gam en contrefaçon de marque et en concurrence déloyale. La Cour de cassation, dans un arrêt du 26 mars 2008, cassait l'arrêt d'appel qui retenait le caractère contrefaisant de la communication publicitaire de la société G. Gam (Cass. com., 26 mars 2008, n° 06-18.366, FS-P+B N° Lexbase : A6021D77). Elle estimait "qu'en statuant ainsi, alors qu'en présentant la spécialité paroxétine G Gam comme le générique du Deroxat, la société G Gam informait le public que cette spécialité avait la même composition qualitative et quantitative en principe actif, la même forme pharmaceutique que la spécialité de référence, et que sa bioéquivalence avec cette spécialité était démontrée, ce dont il résulte qu'elle procédait à une comparaison de caractéristiques essentielles, pertinentes, vérifiables et représentatives de ces produits". La cour d'appel de Versailles sur renvoi, le 17 septembre 2009, a condamné la société G Gam pour contrefaçon. Elle considère que même si la communication publicitaire est une publicité comparative, la société ne peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 713-6 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L8992G9W) aux termes duquel l'usage de la marque d'autrui doit être nécessaire pour indiquer la destination du produit. En effet, le public de référence des journaux étant un public de professionnels de santé, la référence à la marque "Deroxat" n'était pas nécessaire car il existe "d'autres moyens d'identifier la destination du générique paroxetine G Gam" (CA Versailles, 17 septembre 2009, n° 08/06287, Société Sandoz c/ Société Laboratoire Glaxosmithkline et a.).
Patrick Boiron - patrick.boiron@dlapiper.com
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par Laurence Vapaille, Maitre de conférences à l'Université d'Evry Val d'Essonne
Le 07 Octobre 2010
L'affaire sur laquelle la cour administrative d'appel de Lyon a eu à se prononcer, dans un arrêt du 30 juillet 2009, est relative à l'application de ce principe combiné avec celui de l'annualité de la taxe professionnelle énoncé à l'article 1473 du CGI (N° Lexbase : L0224HMA). Les faits étaient les suivants : le redevable, a exercé une activité de médecin anesthésiste dans un établissement de Clermont-Ferrand jusqu'au 31 octobre 2003, date de fermeture de cet établissement. Entre la fermeture et le 31 décembre 2003, le redevable a effectué deux remplacements, l'un au mois de novembre à La Rochelle, l'autre du 1er au 14 décembre dans la clinique de la Plaine, sise à Clermont-Ferrand. A compter du 5 janvier 2004, dans le cadre d'un contrat d'association, il a exercé son activité dans cette même clinique.
Selon le demandeur, cette interruption de deux mois et quatre jours doit être analysée comme une cessation d'activité en 2003 suivie d'une création en 2004. Par application de l'article 1478-I CGI, n'exerçant pas une activité au 1er janvier 2004, et par application du principe de l'annualité, il n'était donc pas imposable à la taxe professionnelle pour cette année car il n'a commencé son activité qu'au 5 janvier 2004. Se fondant aussi sur l'article 1473 du CGI, il soutient que le lieu d'imposition ne pouvait être Clermont-Ferrand. Dans un jugement en date du 24 avril 2004 le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté les prétentions du contribuable.
La principale question posée par cette affaire est relative à la notion de transfert. Selon le contribuable, il ne s'agit pas d'un transfert mais d'une suppression d'activité suivie de la création d'un établissement. De jurisprudence constante (CE Contentieux, 30 mars 1990, n° 66283, Société "Net International", précité, et n° 50883, SA Plancon-Bariat, précité) reprise par la doctrine administrative (instruction du 8 juillet 1998, BOI 6 E-11-98 N° Lexbase : X2265ABI), le déplacement de l'établissement dans une même commune ne constitue pas un transfert d'activité au sens de l'article 1478-I du CGI. Il reste sans incidence sur les bases de la taxe professionnelle de l'établissement transféré et ne peut donner lieu à un dégrèvement pour cessation d'activité. A savoir dans l'affaire commentée si la cessation en 2003 et la reprise de l'activité en 2004 pouvaient être analysées comme un transfert d'activité -ou si comme selon le demandeur- il s'agissait d'une cessation suivie d'une création. Dans cette hypothèse et par application du principe d'annualité, n'ayant pas d'activité au 1er janvier 2004, le contribuable ne pouvait être assujetti à la taxe pour l'année 2004 ; alors que, dans le cas d'un transfert d'activité, le principe de l'annualité était sans conséquence.
La position du Conseil d'Etat est motivé par le fait que la taxe professionnelle est un impôt communal et qu'en conséquence "la capacité contributive liée à l'exercice d'une activité dans une commune n'est pas affectée par un simple transfert du lieu d'exercice de cette activité sur le territoire communal, d'où il suit qu'un tel transfert est par lui-même sans incidence tant sur le principe de l'imposition que sur la base taxable" (CE, 30 mars 1990, n° 50883, SA Plancon-Bariat, précité). La présente décision applique ce principe et précise que, même si l'interruption temporaire se situe sur deux exercices, elle n'aura pas pour conséquence de transformer le transfert en cessation suivie d'une création d'activité par effet du principe de l'annualité.
S'agissant de la question secondaire du lieu d'imposition, le deuxième alinéa de l'article 1473 du CGI énonce que "la taxe professionnelle due à raison des activités de remplacement exercées par le redevable visées au 2° de l'article 1467 (N° Lexbase : L1075IEK) est établie au lieu du principal établissement mentionné par els intéressés sur leur déclaration de résultats". Selon la réponse ministérielle "Liebgott" (QE n° 6073 de M. Liebgott Michel, JOANQ 4 novembre 2002, p. 3931, min. Bud., réponse publ. 20 janvier 2003, p. 384, 12ème législature N° Lexbase : L2868BBT), les médecins et infirmiers libéraux remplaçants sont imposés au lieu de leur domicile. Cependant, cette disposition n'a pas lieu à s'appliquer pour l'exercice 2004, puisqu'il ne s'agit pas d'un remplacement, l'activité imposable ayant été exercée dans le cadre d'un contrat d'association.
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