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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
Le 27 Mars 2014
Par un arrêt rendu 25 juin 2009, la première chambre civile de la Cour de cassation concluait en ces termes : "les juges du fond ne peuvent exiger une preuve scientifique certaine de l'imputabilité d'une affectation à un produit de santé quand le rôle causal peut résulter de simples présomptions, pourvu qu'elles soient graves, précises et concordantes". Autrement dit, les juges du fond ne peuvent pas se contenter de considérations dogmatiques pour rejeter les prétentions du demandeur et doivent, au contraire, déterminer si un faisceau de présomptions graves, précises et concordantes existe et permettrait d'établir l'imputabilité du dommage au produit injecté, ainsi que la défectuosité intrinsèque de celui-ci.
Et, pour la première fois, s'agissant de l'imputabilité de la sclérose en plaque à la vaccination anti-hépatite B, la même formation concluait, le 9 juillet 2009, dans un arrêt sur lequel revient, cette semaine, Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de notre encyclopédie de Droit médical, que, "si les études scientifiques versées aux débats [...] n'ont pas permis de mettre en évidence une augmentation statistiquement significative du risque relatif de sclérose en plaque ou de démyélinisation après vaccination contre l'hépatite B, elles n'excluent pas, pour autant, un lien possible entre cette vaccination et la survenance d'une démyélinisation de type sclérose en plaque ; [...] ayant, ensuite, relevé que les premières manifestations de la sclérose en plaque avaient eu lieu moins de deux mois après la dernière injection du produit ; que ni Mme X ni aucun membre de sa famille n'avaient souffert d'antécédents neurologiques, et que dès lors aucune autre cause ne pouvait expliquer cette maladie, dont le lien avec la vaccination relevait de l'évidence selon le médecin traitant de Mme X, la cour d'appel, qui a souverainement estimé que ces faits constituaient des présomptions graves, précises et concordantes, a pu en déduire un lien causal entre la vaccination de Mme X, et le préjudice subi par elle". Ce faisant, la Haute juridiction prenait, ainsi, l'exact contre-pied d'un arrêt de la cour d'appel de Paris rendu le 19 juin 2009.
Ainsi, par ces deux arrêts fruits de la réflexion des juges de cassation, est consacrée la médecine empirique et, plus particulièrement, la logique inductive, face à la science déductive aristotélicienne. CQFD !
Tout d'abord, à proprement parler, il n'existe pas de "sciences exactes", à l'exception des mathématiques pures et de la physique théorique. Thom et Vuillemin démontreront, ainsi, que l'on ne peut pas vérifier la vérité absolue d'un modèle scientifique ; cette vérité dépendant du fait que l'on trouve, ou non, a posteriori, un résultat incompatible avec le modèle proposé. Autrement dit, pour probable que soit un modèle, on ne pourra jamais être certain qu'il soit effectivement et absolument le bon. Et, les juges de la cassation de rappeler qu'il est chimérique d'exiger une preuve scientifique certaine de l'imputabilité d'une affectation à un produit de santé !
Ensuite, si l'empirisme fait de l'expérience sensible l'origine de toute connaissance, c'est à sa branche inductive que les juges suprêmes font appel afin de déterminer la réalité d'une défectuosité d'un produit de santé. Suivant les traces d'Hume et de Mill, la Cour de cassation accepte la généralisation vers une loi naturelle, à partir des données particulières de l'expérience, faisant de la probabilité le facteur clé du lien de causalité en la matière. Or, en matière juridique, la probabilité relève de présomptions graves, précises et concordantes permettant de retenir l'existence même de ce lien.
Enfin, enfonçant le clou, les juges de la Cour de cassation rejettent le principe déductif d'Aristote, en écartant, clairement, l'argument d'autorité scientifique selon lequel, aucune étude fondée sur l'habitude, c'est-à-dire la répétition de l'expérience, ne permettant d'établir, ou simplement, de dégager un lien de causalité universel, le vaccin en cause ne peut être considéré comme défectueux. Il ne suffit pas de partir d'une hypothèse théorique vérifiée par une expérience (l'absence de pathologie liée à l'inoculation du vaccin), pour en déduire une loi universelle, et plus singulièrement, en l'espèce, l'absence d'un lien de causalité universel.
"Nous estimons posséder la science d'une chose d'une manière absolue, quand nous croyons que nous connaissons la cause par laquelle la chose est, que nous savons que cette cause est celle de la chose, et qu'en outre il n'est pas possible que la chose soit autre qu'elle n'est" écrivait Aristote. Or, pour les juges suprêmes, cette assertion ne permet pas d'écarter tout lien de causalité. Un malade peut partir de l'expérience selon laquelle, peu de temps après l'inoculation du vaccin la pathologie est apparue, d'une part, et selon laquelle il n'y aurait aucune raison autre que la défectuosité du vaccin, d'autre part, pour démontrer la probabilité d'un lien de causalité entre la pathologie et l'inoculation du vaccin. En effet, c'est de la probabilité/présomption que naît le principe scientifique et non l'inverse. A lire Bacon, c'est l'expérience qui enrichit le savoir et non l'inverse ; si bien que le principe d'incertitude scientifique ne peut pas, non plus, exclure d'office la réalité scientifique issue de l'expérience et, plus particulièrement, celles présagées par des présomptions graves, précises et concordantes.
Toute la question est, donc, de déterminer si le lien de causalité repose sur l'habitude du phénomène, en dehors de toute loi universelle et nécessaire. L'associationnisme, cher à Hume, faisant le reste... Il est bien évident que, n'en déplaise à Bernard et à Popper, il est hors de question de dégager, en matière de pathologie médicale, des hypothèses qu'il conviendrait de vérifier.
Ainsi, par cette décision du 9 juillet 2009, les magistrats acceptent, enfin, que la logique inductive supplante l'état des connaissances de la science, à l'image de la théorie de la gravitation universelle de Newton, fruit de l'empirisme, toujours utilisée dans les cas les plus communs, alors que l'on sait, depuis Einstein et la théorie de la relativité, qu'elle n'est pas absolue, c'est-à-dire qu'elle n'est pas certaine en toutes circonstances.
Mais, gardons nous de présenter les magistrats comme des adeptes du scepticisme terreau de l'empirisme médical. Dans la construction de la jurisprudence française, le raisonnement expérimental s'allie parfaitement avec le rationnel des principes généraux. L'un se nourrit de l'autre et réciproquement. Et, chacun sait que "l'état des connaissances médicales" demeure, pour une large partie, la clé de voûte de la responsabilité médicale. Où l'autorité des Anciens n'est pas totalement écartée de la réflexion judiciaire...
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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Droit médical"
Le 24 Octobre 2023
Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose, cette semaine, de retrouver la première partie du panorama de responsabilité civile médicale de Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV et Directeur scientifique de l’Ouvrage "Droit médical", consacrée à l'actualité d'avril à juillet 2009. Sera traitée, dans ce premier volet, la question de la responsabilité des producteurs de médicaments. En effet, par un arrêt rendu le 9 juillet 2009, la Haute juridiction admet pour la première fois l'existence d'un lien de causalité entre une injection d'un vaccin anti-hépatite B et l'apparition d'une sclérose en plaque. Cette décision est sans conteste une première victoire historique pour les victimes.
Cass. civ. 1, 9 juillet 2009, n° 08-11.073, Société Sanofi Pasteur MSD, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7250EID)
Aux termes de l'article 1386-4 du Code civil (N° Lexbase : L1497AB3), un produit est défectueux lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre. Dans l'appréciation de cette exigence, il doit être tenu compte, notamment, de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu, et du moment de sa mise en circulation.
La cour d'appel a constaté que le dictionnaire médical Vidal, comme la notice actuelle de présentation du vaccin, fait figurer au nombre des effets secondaires indésirables possibles du produit la poussée de sclérose en plaque, quand la notice de présentation du produit litigieux ne contenait pas cette information. Elle en a exactement déduit que le vaccin présentait le caractère d'un produit défectueux au sens de ce texte.
Ayant relevé, d'abord, que si les études scientifiques versées aux débats par la société Sanofi Pasteur MSD n'ont pas permis de mettre en évidence une augmentation statistiquement significative du risque relatif de sclérose en plaque ou de démyélinisation après vaccination contre l'hépatite B, elles n'excluent pas, pour autant, un lien possible entre cette vaccination et la survenance d'une démyélinisation de type sclérose en plaque. Ayant, ensuite, relevé que les premières manifestations de la sclérose en plaque avaient eu lieu moins de deux mois après la dernière injection du produit, que ni Mme X ni aucun membre de sa famille n'avaient souffert d'antécédents neurologiques, et que dès lors aucune autre cause ne pouvait expliquer cette maladie, dont le lien avec la vaccination relevait de l'évidence selon le médecin traitant de Mme X, la cour d'appel, qui a souverainement estimé que ces faits constituaient des présomptions graves, précises et concordantes, a pu en déduire un lien causal entre la vaccination de Mme X, et le préjudice subi par elle.
Un arrêt historique. Pour la première fois dans l'histoire de la responsabilité médicale, la première chambre civile de la Cour de cassation condamne un laboratoire, fabricant d'un vaccin anti-hépatite B, à indemniser les dommages consécutifs à une poussée de sclérose en plaque apparue chez un patient deux mois seulement après l'administration du vaccin.
La solution constitue une première que salueront tous ceux qui militaient, dès 2003, pour une évolution en ce sens de la jurisprudence (1), et conclut une évolution jurisprudentielle engagée après la série d'arrêts rendus par cette même juridiction le 22 mai 2008 (2).
La Haute juridiction y avait, en effet, admis que la preuve de l'imputabilité de la sclérose en plaque au vaccin anti-hépatite B et le caractère défectueux de ce vaccin, au regard des critères posés par la Directive du 25 juillet 1985 (N° Lexbase : L9620AUT) et l'article 1386-4 du Code civil, puisse être rapportée à l'aide de présomptions dès lors que celles-ci sont suffisamment graves, précises et concordantes.
S'agissant du caractère défectueux des produits, et singulièrement des vaccins anti-hépatite B, la Haute juridiction avait, toutefois, refusé de déduire celui-ci du seul fait que le fabricant ne pouvait établir avec une absolue certitude son innocuité (3).
Ces arrêts rendus en 2008 constituaient un très net progrès par rapport à la solution adoptée en 2003 car la Haute juridiction avait pu donner le sentiment, à l'époque, qu'elle rejetait par principe la possibilité d'établir la preuve d'un lien de cause à effet entre les affectations constatées et la vaccination anti-hépatite B (4), même si cet assouplissement ne nous semblait pas réellement menacer les fabricants compte tenu de l'état des connaissances scientifiques sur l'étiologie des maladies, telle la sclérose en plaque ; même en admettant la preuve par présomption, il semblait, en effet, difficile de rattacher certaines affectations à la vaccination anti-hépatite B, en l'absence de preuves, mêmes partielles, permettant d'expliquer scientifiquement l'étiologie de ces affectations et presque impossible, pour les mêmes raisons, de prouver le défaut du produit. C'est, d'ailleurs, ce que semblait démontrer un premier arrêt rendu le 22 janvier 2009 par la première chambre civile de la Cour de cassation (5).
L'apport des arrêts rendus le 22 mai 2008 semblait, ainsi, tout d'abord, méthodologique, la Haute juridiction sanctionnant toute approche dogmatique de la question pour rejeter les prétentions des victimes (6) ; c'est, d'ailleurs, ce qu'avait confirmé un arrêt rendu par cette même juridiction le 25 juin dernier (7), la Cour de cassation ayant censuré des juges du fond qui exigeaient une certitude scientifique pour admettre l'imputabilité du dommage à la vaccination, ou à l'injection d'un produit (8).
La défectuosité des vaccins anti-hépatite B. Nous l'avions signalé lors de l'adoption des arrêts du 28 mai 2008, la possibilité de recourir à des présomptions nous semblait prometteuse pour établir l'imputabilité, mais moins pour ce qui concerne la défectuosité du vaccin, ne serait-ce que parce que la Haute juridiction avait refusé de déduire le défaut du produit du seul fait que le fabricant ne prouvait pas avec certitude son innocuité (9).
C'est d'ailleurs ce qu'illustrait dernièrement un arrêt rendu par la cour d'appel de Paris, en date du 19 juin 2009, et dans la même configuration factuelle que dans l'arrêt rendu le 9 juillet 2009, où les magistrats parisiens avaient considéré qu'en l'absence de preuves scientifiques établissant un lien entre les vaccins et la sclérose en plaque, aucun risque avéré n'existait, ce qui exonérait le fabricant de toute responsabilité s'il ne signale pas ces risques (10).
La nouvelle orientation prise par la première chambre civile de la Cour de cassation dans l'arrêt en date du 9 juillet 2009. Dans l'affaire qui a donné lieu à l'arrêt rendu le 9 juillet 2009, la cour d'appel de Lyon avait donné raison aux victimes en se fondant sur un faisceau d'indices permettant de présumer que la poussée de sclérose en plaque pouvait avoir été causée par l'injection du vaccin anti-hépatite B (11) : les magistrats lyonnais avaient, en effet, relevé que la victime "ne souffrait pas d'antécédents neurologiques", "que la même expertise n'a pas révélé de cas de scléroses en plaque dans la famille de" la victime, "qu'il n'est pas soutenu que la survenance de cette sclérose en plaque, dont l'étiologie n'est pas à ce jour connue, soit imputable, en l'espèce, à une cause autre que celle dont fait état" la victime, "que le médecin qui suit [la victime] relève un lien évident entre la vaccination et la maladie de cette dernière, et, surtout, la circonstance, très particulière, que les premières manifestations de la sclérose en plaque ont eu lieu moins de deux mois après la dernière injection du produit", l'ensemble de ces indices constituant "des présomptions graves, précises et concordantes établissant, par application de l'article 1353 du Code civil (N° Lexbase : L1017ABB), que, en l'espèce, la sclérose en plaque décelée sur la personne" de la victime est imputable à la vaccination de cette dernière.
Pour la Cour de cassation, l'ensemble de ces éléments est suffisant pour présumer l'imputabilité de la sclérose en plaque à la vaccination, ce qui constitue une première très intéressante car elle ouvre la voie à d'autres décisions rendues en même sens par d'autres juridictions du fond (12).
Le fondement incertain de l'arrêt rendu dans cette affaire par la cour d'appel de Lyon. Dans cette affaire, la cour d'appel de Lyon, qui avait condamné le laboratoire, n'avait pas précisé si elle considérait le vaccin comme étant intrinsèquement défectueux, en raison d'un défaut de sa substance, ou extrinsèquement en raison d'une insuffisance dans les informations communiquées au patient au travers, notamment de la notice d'information.
Les magistrats lyonnais s'étaient, en effet, contentés de relever que "si les études scientifiques qui ont été versées aux débats par la SNC Sanofi Pasteur MSD n'ont pas permis de mettre en évidence une augmentation statistiquement significative du risque relatif de SEP ou de démyélinisation après vaccination contre l'hépatite B, elles n'excluent pas pour autant, ponctuellement, un lien possible entre cette vaccination et la survenance d'une démyélinisation de type sclérose en plaque" ; "que la campagne de vaccination contre l'hépatite B en milieu scolaire a été suspendue, que le directeur général de la santé a décidé d'indemniser plusieurs personnes sur le fondement de l'article L. 3111-4 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L1860IEM) pour dommages causés par une vaccination obligatoire pour des affections démyélinisantes secondaires à une vaccination contre l'hépatite B, et que la sécurité sociale a reconnu la nature d'accident du travail à l'apparition de cette maladie consécutive à la vaccination anti-hépatite B obligatoire dans certaines professions" ; "que, plus encore, figure sur le Vidal de 2003 et, actuellement, sur la notice du vaccin, parmi les effets secondaires indésirables possibles du produit, la poussée de sclérose en plaque" et "que cet ensemble de faits cumulés démontre que le vaccin concerné n'offrait pas la sécurité à laquelle pouvait légitimement s'attendre" la victime.
Les interrogations suscitées par l'arrêt. Le pourvoi contre cet arrêt est donc rejeté, la Haute juridiction considérant "qu'aux termes de l'article 1386-4 du Code civil, un produit est défectueux lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre ; que, dans l'appréciation de cette exigence, il doit être tenu compte, notamment, de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu, et du moment de sa mise en circulation ; que la cour d'appel a constaté que le dictionnaire médical Vidal, comme la notice actuelle de présentation du vaccin, fait figurer au nombre des effets secondaires indésirables possibles du produit la poussée de sclérose en plaque, quand la notice de présentation du produit litigieux ne contenait pas cette information", et "qu'elle en a exactement déduit que le vaccin présentait le caractère d'un produit défectueux au sens de ce texte". Si l'arrêt rendu par la cour d'appel de Lyon semblait retenir la défectuosité intrinsèque du vaccin, la Cour de cassation rejette le pourvoi car, au moment des faits, "la notice de présentation du produit litigieux ne contenait pas cette information", ce qui suggère que serait en cause un défaut d'information.
Si telle devait être la signification de cette décision, alors seules les victimes vaccinées à l'époque où la notice ne mentionnait pas ces risques devraient être indemnisées, alors que toutes celles qui l'ont été après la révision de la notice ne le seraient pas, ou en tout cas pas nécessairement, car dans cette hypothèse il faudrait établir la défectuosité intrinsèque du vaccin. Or, et comme cela a été à de nombreuses reprises jugé, il ne semble pas possible de remettre en cause la non-défectuosité du vaccin, en l'état actuel des connaissances scientifiques, tant qu'une inversion du bilan coût/avantages de cette vaccination n'aura pas été constatée (13).
Critique d'une portée restreinte de l'arrêt. Selon toute vraisemblance, c'est la lecture minimaliste de la décision qui doit prévaloir, la condamnation du laboratoire étant justifiée par l'absence de toute mention sur la notice du risque de sclérose en plaque à l'époque des faits.
Notre crainte est, aujourd'hui, clairement que la jurisprudence s'en tienne là et n'indemnise que les victimes vaccinées avant la révision de la notice (14), ce qui n'est guère satisfaisant ; il semble, en effet, très artificiel de considérer que les patients vaccinés après la révision de la notice avaient accepté la vaccination en pleine connaissance de cause, tout en considérant que ce risque n'est qu'hypothétique.
Proposition d'évolution n° 1. Face à cette situation, une première solution consiste à poursuivre dans la voie ouverte du défaut d'information.
Dans la mesure où il semble désormais acquis que l'imputabilité de la sclérose en plaque à la vaccination est admise lorsqu'un certain nombre d'indices est réuni, alors il est possible de considérer également que la notice d'information, bien qu'elle présente désormais les risques de manière générale, n'informe pas précisément les patients dans la mesure où les fabricants de vaccins ne sont pas capables de dire aujourd'hui quels patients en particuliers seraient particulièrement exposés, et pour quelles raisons. En d'autres termes, l'existence d'une présomption d'imputabilité de la sclérose en plaque à la vaccination obligerait les fabricants à informer les patients de manière plus précise sur l'étiologie de ces affections démyélinisantes, à défaut de quoi ils seraient condamnés. Ce serait donc en raison d'une information insuffisante que ces fabricants seraient condamnés, tant que les facteurs d'exposition individuels ne sont pas mieux connus scientifiquement. Ainsi, les fabricants devraient rapporter la preuve qu'ils ont identifié les facteurs de déclenchements de ces affections, et qu'ils ont informé les patients pour que ceux qui présentent ces facteurs puissent se déterminer en pleine connaissance de cause, dans le cadre d'un bilan coût/avantages non pas collectif, mais individuel. Or, en l'état actuel des connaissances scientifiques, ces preuves négatives n'existent pas. Il appartiendrait alors aux laboratoires concernés de financer massivement la recherche pour s'exonérer de leur responsabilité... La solution est séduisante, mais n'est-ce pas d'abord à l'Etat d'assumer cette responsabilité ?
Proposition d'évolution n° 2. Une seconde solution, plus radicale, consisterait à admettre que les vaccins sont intrinsèquement défectueux, en dépit d'une absence d'inversion statistique du bilan coût/avantage. Pour y parvenir, il faudrait alors considérer que l'existence d'un faible taux de réactions gravissimes n'est pas tolérable et rend le produit défectueux, en dehors de toute référence à l'information des patients. Mais dans ce cas, ne porterait-on pas atteinte à la définition même du défaut qui semble induire une appréciation abstraite dans le cadre d'un bilan global coût/avantages ?
Proposition de réforme. Comme nous l'avons indiqué à plusieurs reprises, la question de la prise en charge des patients ne se pose véritablement qu'antérieurement au 5 septembre 2001, date d'entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002 (loi n° 2002-303, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé N° Lexbase : L1457AXA) et du dispositif d'indemnisation au titre de la solidarité. On sait, en effet, que la victime qui ne parvient pas à obtenir réparation auprès du producteur doit être, si elle atteint le seuil de gravité exigé par l'article L. 1142-1 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L1910IEH) et précisé par l'article D. 1142-1 du même code (N° Lexbase : L4457DKB), indemnisée par l'ONIAM (15). Dans cette hypothèse, la seule difficulté consiste à admettre l'imputabilité de l'affectation constatée à l'acte de prévention que constitue la vaccination, ce qui semble désormais acquis dans les conditions reconnues comme pertinentes par la première chambre civile de la Cour de cassation.
Seules demeureront donc sans indemnisation les victimes vaccinées avant le 5 septembre 2001 et ne relevant ni du régime d'indemnisation des vaccinations obligatoires, ni du régime d'indemnisation des victimes d'accidents du travail ou de maladies professionnelles.
Pour ces victimes là, il nous semble qu'une modification du Code de la santé publique devrait intervenir pour ouvrir droit à une indemnisation, au titre de la solidarité nationale, de manière à ce que toutes les victimes de ces terribles affections soient traitées de manière égale, quelles que soient la date de la vaccination et les circonstances de celle-ci.
Une modification en ce sens de la loi permettrait également de soulager la pression qui pèse aujourd'hui sur le régime d'indemnisation des produits défectueux et d'avoir recours de manière assez artificielle à l'obligation d'information des producteurs.
(1) Cass. civ. 1, 23 septembre 2003, n° 01-13.063, Société Laboratoire Glaxo-Smithkline c/ Mme X, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A5811C94), nos obs., Resp. civ. et assur., 2003, chron. 28 ; D., 2004, jurispr. p. 898, note Y.-M. Sérinet et R. Mislawski ; JCP éd. G, 2003, II, 10179, note coll. ; RLDC, 2004, p. 11, chron. S. Hocquet-Berg ; RTDCiv., 2004, obs. P. Jourdain.
(2) Cass. civ. 1, 22 mai 2008, 6 arrêts, n° 05-20.317 (N° Lexbase : A7001D8S), n° 06-14.952 (N° Lexbase : A7009D84), n° 06-10.967, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7005D8X), n° 05-10.593 (N° Lexbase : A6996D8M), n° 06-18.848 (N° Lexbase : A7014D8B) et n° 07-17.200, F-D (N° Lexbase : A7136D8S) et nos osb., Produits de santé : imputabilité de poussées de scléroses en plaques à des vaccins anti hépatite B et absence de preuve du caractère défectueux d'un médicament anti goutte, Lexbase Hebdo n° 311 du 3 juillet 2008 - édition privée générale (N° Lexbase : N4910BGX) ; lire, notamment, J. Peigné, Lien de causalité entre la sclérose en plaques et le vaccin contre l'hépatite B, RDSS, 2008, p. 578 ; L. Grynbaum, Vaccins contre l'hépatite B et produits défectueux : les présomptions constituent un mode de preuve du lien de causalité et du défaut, JCP éd. G, 2008, II, 10131 ; P. Jourdain, Lien de causalité entre la vaccination contre l'hépatite B et la sclérose en plaques : la Cour de cassation assouplit sa jurisprudence, RTDCiv., 2008, p. 492.
(3) Cass. civ. 1, 22 mai 2008, n° 06-18.848, préc..
(4) Cass. civ. 1, 23 septembre 2003, préc. et obs. préc..
(5) Cass. civ. 1, 22 janvier 2009, n° 07-16.449, Mme Fabienne Lavoisier, épouse Wiart, FS-P+B (N° Lexbase : A6369ECU), et nos obs. in Panorama de responsabilité civile médicale (décembre 2008 à mars 2009) (seconde partie), Lexbase Hebdo n° 346 du 16 avril 2009 - édition privée générale (N° Lexbase : N0185BK3).
(6) Dans le même sens, Cass. civ. 1, 22 mai 2008, n° 05-20.317, M. Patrick Beaulaton, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7001D8S) : "qu'en se déterminant ainsi, en référence à une approche probabiliste déduite exclusivement de l'absence de lien scientifique et statistique entre vaccination et développement de la maladie, sans rechercher si les éléments de preuve qui lui étaient soumis constituaient, ou non, des présomptions graves, précises et concordantes du caractère défectueux du vaccin litigieux, comme du lien de causalité entre un éventuel défaut et le dommage subi par M. B., la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision" ; Cass. civ. 1, 22 mai 2008, n° 06-10.967, M. Abdelkrim Gacem, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7005D8X).
(7) Cass. civ. 1, 25 juin 2009, n° 08-12.781, M. Jean-Philippe Guihaumé, FS-P+B (N° Lexbase : A4173EIE).
(8) Dans l'arrêt en date du 25 juin 2009 (préc.), il s'agissait d'un jeune garçon qui avait reçu la troisième dose de Stallergènes MRV et qui avait présenté, le même jour, une affection neurologique caractérisée par des convulsions et une épilepsie sévère évoluant vers une dégradation intellectuelle qui s'est poursuivie jusqu'en 2001, pour se stabiliser.
(9) Cf. nos obs. préc..
(10) CA Paris, pôle 2, 2ème ch., 19 juin 2009, RG n° 97/13906, Mademoiselle Frédérique G. c/ SNC Sanofi Pasteur MSD (N° Lexbase : A5486EIZ).
(11) CA Lyon, 22 novembre 2007, RG n° 06/02450.
(12) Sur la preuve de l'imputabilité par présomptions, notre étude Les présomptions d'imputabilité dans le droit de la responsabilité civile, Mélanges en l'honneur de Philippe Le Tourneau, Dalloz, 2008, p. 885.
(13) En ce sens, nos obs. sous Cass. civ. 1, 22 mai 2008, préc., et CA Paris, 19 juin 2009, préc..
(14) Sans compter les victimes indemnisées au titre du régime d'indemnisation des accidents du travail ou des vaccinations obligatoires, mais dont nous avons déjà démontré que l'indemnisation n'impliquait pas que soit démontrée la défectuosité du vaccin (notre chron., préc.).
(15) En ce sens l'article L. 1142-1, II, du Code de la santé publique (N° Lexbase : L1910IEH) qui dispose clairement que l'Office indemnise "lorsque la responsabilité d'un producteur n'est pas engagée".
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Réf. : Loi n° 2009-594 du 27 mai 2009, pour le développement économique de l'outre-mer (N° Lexbase : L2921IEW)
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par Valérie Le Quintrec, Avocat à la cour, Cabinet Bancel Zuin Lefort - Paris
Le 07 Octobre 2010
La mise en place de zones franches d'activités (ci-après "ZFA") situées en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique et à la Réunion, est très certainement l'une des mesures phare de la LODEOM permettant à des entreprises de bénéficier d'une série d'avantages fiscaux en matière d'impôt sur les bénéfices, de taxe professionnelle et de taxe foncière sur les propriétés bâties.
Les avantages fiscaux concernant les impôts et taxes susvisés octroyés aux entreprises dont l'exploitation est située dans ces ZFA présentent des points communs exposés ci-après (1.1.) et des particularités propres à chaque impôt ou taxe concerné, étant précisé que ne seront envisagées que les exonérations spécifiques en matière d'impôt sur les bénéfices et en matière de taxe professionnelle (1.2.).
1.1. Exonérations en matière d'impôt sur les bénéfices, de taxe professionnelle et de taxe foncière sur les propriétés bâties : points communs
Les exonérations fiscales concernant l'impôt sur les bénéfices, la taxe professionnelle et la taxe foncière sur les propriétés bâties et octroyées aux entreprises dont l'exploitation est située en ZFA sont partielles et plafonnées.
Par ailleurs, la durée de validité de ces exonérations est limitée à dix ans.
Enfin, pour être éligibles, les entreprises doivent aussi répondre à certains critères de taille : employer moins de deux cent cinquante salariés et réaliser moins de 50 millions d'euros de chiffre d'affaires.
Les secteurs éligibles seront les mêmes que ceux de la défiscalisation tels qu'ils sont définis dans l'article 199 undecies B du CGI (N° Lexbase : L3052IER) auxquels il est ajouté le secteur des services aux entreprises rendus dans le domaine de la gestion : comptabilité, conseil, ingénierie et études techniques.
1.2. Les avantages fiscaux en matière d'Impôt sur les bénéfices
L'article 4 de la LODEOM crée, au bénéfice des entreprises, un dispositif d'exonération d'impôt sur les sociétés ou d'impôt sur le revenu (BIC), codifié à un nouvel article 44 quaterdecies du CGI (N° Lexbase : L2961IEE).
L'exonération prend la forme d'un abattement de 50 % du montant du bénéfice imposable au titre des exercices ouverts du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2014, respectivement porté à 40 %, 35 % et 30 % pour les exercices ouverts en 2015, 2016 et 2017. L'abattement est majoré et porté à 80 % pour les entreprises bénéficiant du taux majoré, à savoir celles situées dans les secteurs d'activités prioritaires (tels que le tourisme, l'environnement, l'agro-nutrition, les énergies renouvelables...) ou situées dans une zone géographique spécifique (telle qu'en Guyane, à Marie-Galante, à la Désirade, aux Saintes, dans certaines communes de la réunion...) pour les exercices ouverts entre le 1er janvier 2008 et le 31 décembre 2014 et respectivement à 70 %, 60 % et 50 % pour les exercices ouverts en 2015, 2016 et 2017.
Le plafond d'abattement est fixé à 150 000 euros par an et par exploitation. Pour les secteurs, activités ou territoires définis comme prioritaires, le plafond est porté à 300 000 euros.
Néanmoins, en contrepartie de l'aide, il est demandé à l'entreprise de consacrer une partie de l'avantage fiscal à des dépenses de formation professionnelle.
Enfin, on notera que ce dispositif est cumulable avec d'autres dispositifs fiscaux, notamment avec l'abattement d'un tiers prévu à l'article 217 bis du CGI (N° Lexbase : L4010HL4).
En revanche, les entreprises qui remplissent à la fois les conditions pour bénéficier de l'abattement prévu par le présent texte et celles exigées pour un autre régime d'exonération zoné (exemples : régime d'exonération en faveur des entreprises nouvelles, des entreprises implantées en zone franche urbaine) ne peuvent appliquer simultanément les deux dispositifs. Elles doivent donc opter de manière irrévocable pour l'un ou l'autre de ces régimes.
Dans ce cas, et si l'entreprise souhaite bénéficier du régime d'exonération de l'article 44 quaterdecies du CGI, elle dispose d'un délai de six mois, à compter de la publication de la loi (soit jusqu'au 28 novembre 2009) ou de son début d'activité, pour opter pour le régime des zones franches d'activité. A noter que cette option est définitive.
1.3. Les avantages fiscaux en matière de taxe professionnelle
Dans le cadre des zones franches d'activités, il est prévu un abattement sur les bases de taxe professionnelle, institué à l'article 1466 F du CGI (N° Lexbase : L2969IEP).
Les DOM sont soumis aux mêmes règles de taxe professionnelle qu'en métropole. Ainsi, la base imposable à ladite taxe est formée par la valeur locative des immobilisations corporelles (sauf exceptions) que sont :
- les immobilisations corporelles passibles de la taxe foncière sur les propriétés bâties, y compris celles bénéficiant d'une exemption temporaire ou permanente de ces taxes ;
- les immobilisations corporelles non soumises à la taxe foncière sur les propriétés bâties, soient les équipements et les biens mobiliers.
Tous les redevables de la taxe professionnelle (c'est-à-dire toute personne physique ou morale exerçant une activité professionnelle non salariée) bénéficient, depuis 1987, d'un abattement forfaitaire permanent de 16 % sur les bases nettes professionnelles.
Le I de l'article 5 de la LODEOM a mis en place un abattement temporaire dégressif sur la base d'imposition à la taxe professionnelle supplémentaire à l'abattement général de 16 % susvisé applicable aux bases de taxe professionnelle des établissements existant au 1er janvier 2009 en Guadeloupe, en Martinique et à la Réunion ou des établissements faisant l'objet d'une création ou d'une extension à compter du 1er janvier 2009 dans ces mêmes départements.
L'abattement sera supprimé dès 2019.
On notera, à toutes fins utiles, que les établissements concernés sont, en définitive, les mêmes que ceux bénéficiant des avantages fiscaux susvisés en matière d'impôt sur les bénéfices (CGI, art. 44 quaterdecies).
Le taux de l'abattement applicable sur les bases susvisées avant application générale de l'abattement de 16 % est fixé à :
- 80 % pour chacune des années 2009 à 2015 ;
- 70 % pour l'année 2016 ;
- 65 % pour l'année 2017 ;
- 60 % pour l'année 2018.
Cet abattement est néanmoins plafonné à 150 000 euros par année d'imposition. Cet abattement est majoré pour les établissements situés en Guyane, aux Saintes, à Marie-Galante, à la Désirade, dans certaines communes de la Réunion, dans certaines communes de Guadeloupe et de Martinique strictement définies. On notera que ce taux est de 100 % pour chacune des années 2009 à 2015, de 90 % pour l'année 2016, de 80 % pour l'année 2017 et de 70 % pour l'année 2018 (1).
L'abattement prévu par les nouvelles dispositions de l'article 1466 F du CGI peut, cependant, être refusé sur délibération de la collectivité locale compétente, ce qui signifie que les collectivités locales n'ont que le pouvoir d'accepter, ou non, l'application de cet abattement sans pouvoir moduler son taux.
L'acceptation de cet abattement par les collectivités locales domiennes va générer indubitablement des pertes de recettes de taxe professionnelle. Sur ce point, les mesures de compensation de ces pertes fiscales restent à être déterminées de façon précise.
Enfin, la LODEOM règle le cas d'application simultanée de plusieurs dispositifs d'exonération de taxe professionnelle concurrents.
C'est ainsi qu'il est prévu que, lorsqu'un établissement est éligible à la fois à un dispositif d'exonération de taxe professionnelle préexistant (zone franche urbaine, zone urbaine sensible...), et au nouveau dispositif des ZFA, il doit choisir le régime d'exonération auquel il souhaite être soumis, ces différents régimes d'exonération n'étant pas cumulables. L'option pour l'abattement est irrévocable et vaut pour l'ensemble des collectivités locales.
A toutes fins utiles, on notera que l'application des aménagements apportés à la taxe professionnelle par la LODEOM reste néanmoins incertaine, étant précisé que la suppression de la taxe professionnelle pourrait avoir lieu dès 2010 d'après les dernières annonces gouvernementales.
2. Les investissements outre-mer des particuliers et des entreprises : les grandes nouveautés fiscales
2.1. Les investissements outre-mer des particuliers
Afin de favoriser l'accession populaire à la propriété et de réorienter l'effort de production vers les logements sociaux en rendant la défiscalisation de ces investissements plus attractives, la LODEOM a modifié l'article 199 undecies A (N° Lexbase : L3055IEU) réformant ainsi le dispositif de défiscalisation du logement et a institué un nouvel article 199 undecies C (N° Lexbase : L3057IEX) avec la mise en place d'un dispositif de défiscalisation pour le logement social.
La défiscalisation relative au secteur libre en ce qui concerne l'acquisition ou la construction de la résidence principale de l'investisseur (hors investissement dans le secteur locatif) reste en vigueur avec, toutefois, quelques conditions qui visent à mieux cibler les ménages bénéficiaires.
La réduction d'impôt sur le revenu dont le taux de la réduction varie en fonction de l'investissement est donc toujours d'actualité (CGI, art. 199 undecies A). Néanmoins, la disposition est limitée aux primo accédants à la propriété ainsi qu'aux contribuables déjà propriétaires d'une résidence principale frappée d'insalubrité, la base éligible étant limitée en surface.
Il est à noter que cette mesure n'est pas cumulable avec le bénéfice de la défiscalisation des intérêts d'emprunt prévue dans la loi n° 2007-1223 du 21 août 2007 en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat (TEPA) (N° Lexbase : L2417HY8).
Par ailleurs, la défiscalisation en faveur des acquisitions ou constructions de logements destinés à la location dans le secteur libre et le secteur intermédiaire est supprimée de façon progressive. Ainsi, la réduction d'impôt octroyée aux investisseurs qui donnent en location les logements susvisés est supprimée pour les investissements engagés dans le secteur libre après le 31 décembre 2011 et après le 31 décembre 2012 dans le secteur intermédiaire.
Ces dispositions sont applicables dès la promulgation de la loi, soit le 27 mai 2009.
Pour dynamiser les constructions de logements sociaux, la loi crée un dispositif de défiscalisation du logement social et intermédiaire recourant au mécanisme de défiscalisation des investissements productifs visé à l'article 199 undecies B du CGI (N° Lexbase : L3052IER). Cette nouveauté fiscale est codifiée à l'article 199 undecies C nouveau du CGI.
Peuvent, ainsi, bénéficier de la nouvelle réduction d'impôt les personnes physiques fiscalement domiciliées en France (CGI, art 4 B N° Lexbase : L1010HLY) qui achètent ou font construire de façon directe ou indirecte des logements neufs situés en outre-mer (DOM et collectivités d'outre-mer) destinés à la location ou à une opération d'accession sociale à la propriété. Bénéficient, également, de cette réduction d'impôt les contribuables susvisés qui achètent des logements achevés depuis plus de vingt ans faisant l'objet de travaux de réhabilitation (définis par décret) permettant aux logements d'acquérir des performances techniques voisines de celles des logements neufs. On attend sur ce point les précisions de l'administration sur la notion de performance technique.
Ces logements doivent être donnés en location nue à :
- un organisme d'habitations à loyer modéré ou ;
- une société d'économie mixte exerçant une activité immobilière outre-mer ou ;
- un organisme concourant aux objectifs de la politique d'aide au logement.
Ces organismes bénéficiaires doivent sous-louer de façon nue ou en meublé ces logements à des personnes physiques à titre d'habitation principale.
Ces plafonds de loyers seront fixés par décret afin de prendre en compte les ressources des locataires, le lieu de situation géographique de l'immeuble concerné et du nombre d'occupants du logement.
Le taux de l'avantage fiscal octroyé à l'investisseur initial est de 50 % du prix de revient de la construction minoré des taxes et commissions versées, ainsi que des subventions publiques, dans la limite d'un plafond de 2 194 euros par m² de surface habitable.
A noter qu'à l'instar des schémas locatifs externalisés visés à l'article 199 undecies B du CGI, il est prévu une rétrocession de l'avantage fiscal. Ainsi, la réduction d'impôt est rétrocédée à hauteur de 65 % à l'organisme de gestion des logements, sous la forme d'une diminution de loyers.
Pour les programmes immobiliers excédant deux millions d'euros, un agrément ministériel préalable est exigé dans les conditions prévues à l'article 217 undecies du CGI (N° Lexbase : L3049IEN).
On notera, par ailleurs, que l'investisseur bénéficie de la réduction d'impôt l'année de l'achèvement du logement ou de son acquisition, si elle est postérieure ou de l'année de la souscription des parts en cas d'investissement par l'intermédiaire d'une structure fiscalement transparente.
Cette réduction d'impôt est à prendre en considération, dans un premier temps, pour le calcul du plafonnement visé à l'article 199 undecies D du CGI (N° Lexbase : L3047IEL), puis, dans un second temps, pour le calcul du plafonnement global de certains avantages fiscaux visé à l'article 200 0-A du CGI (N° Lexbase : L3031IEY).
Enfin, il est important de souligner que l'avantage fiscal visé à l'article 199 undecies C du CGI est exclusif du dispositif "Girardin" visé à l'article 199 undecies A du même code pour la période pour laquelle ce dispositif reste applicable.
2.2. Les investissements outre-mer des entreprises : la révision des schémas locatifs externalisés dans les secteurs productifs et immobiliers
Selon l'article 199 undecies B du CGI, une personne physique ou une société fiscalement semi-transparente (c'est-à-dire non soumise à l'impôt sur les sociétés - CGI, art. 8 N° Lexbase : L2311IB9) qui réalise un investissement industriel exploité dans un département d'outre-mer bénéficie d'une réduction d'impôt au titre de l'impôt sur le revenu, dès lors que l'investissement est utilisé par une entreprise exerçant son activité dans un secteur éligible (secteur du transport, secteur de l'agriculture...).
Lorsqu'il s'agit d'une société soumise à l'impôt sur les sociétés qui réalise l'investissement industriel outre-mer, alors cette dernière peut déduire de son résultat les investissements directs (productifs et immobiliers) qu'elle effectue outre-mer ainsi que les souscriptions au capital de certaines sociétés.
Dans ces schémas, l'entreprise ou la société de personnes doit, en principe, être propriétaire du bien, objet de l'investissement et l'exploiter dans le cadre d'une activité éligible.
Néanmoins, dans le cadre des schémas locatifs externalisés, l'investisseur peut bénéficier, sous conditions des avantages fiscaux susvisés, alors même qu'il n'exploite pas personnellement le bien (hypothèse où une société transparente dont le véritable investisseur est un associé personne physique acquiert le bien et le donne en location simple à l'exploitant local pendant au moins cinq ans dans les départements ou collectivités d'outre-mer).
A toutes fins utiles, il convient de préciser que, dans le régime existant, seuls certains secteurs d'activités sont expressément exclus du bénéfice de l'aide fiscale susvisée. Il s'agit de la recherche et du développement ainsi que de la location sans opérateurs (à l'exception de la location de véhicules automobiles et de navires de plaisance) et de la réparation automobile.
Les principales nouveautés sont les suivantes :
- la LODEOM inclut, désormais, dans les secteurs éligibles aux avantages fiscaux susvisés celui de la recherche-développement. L'éligibilité de ce secteur, encore très peu présent dans les départements d'outre-mer, doit contribuer à créer ou développer des industries innovantes à forte valeur ajoutée, et donner un avantage comparatif aux départements d'outre-mer dans leur environnement régional. Un tel développement constituera une partie de la réponse à leur manque de compétitivité.
- par ailleurs, la LODEOM redéfinit le champ d'application de la défiscalisation pour les activités de location. Désormais, seule la location de véhicules de tourisme pour une durée n'excédant pas deux mois est ouverte à la défiscalisation, la location de véhicules utilitaires ou à usage mixte étant donc, désormais, hors champ d'application des avantages fiscaux octroyés énoncés ci-dessus.
- en outre, la LODEOM donne une définition plus précise de la base éligible pour le calcul des avantages fiscaux.
Alors que le texte antérieur n'intégrait dans la base éligible que le montant "hors taxes" des investissements productifs diminué cependant des subventions publiques, aucune précision n'était donnée quant à l'éligibilité ou non de certaines dépenses annexes, notamment, les commissions versées aux intermédiaires.
Désormais, il est clairement prévu que les frais annexes afférents à l'opération (tels que les frais de montage des dossiers perçus par les cabinets de défiscalisation) sont exclus de la base de l'avantage fiscal octroyé. En revanche, les frais de transport, d'installation et de mise en service amortissables sont compris dans la base éligible.
- la LODEOM prévoit également que, dans le cadre de schémas locatifs externalisés, lorsque la durée normale d'utilisation du bien est égale ou supérieure à sept ans, l'exploitant doit prendre l'engagement de conserver le bien pendant une durée maximale de sept et de l'affecter à son activité (étant précisé que la durée de conservation par le propriétaire reste fixée à cinq ans).
En cas de non-respect par le locataire de son obligation de conserver le bien à compter de la cinquième année et ce, jusqu'au terme de son engagement, ce dernier se verra désormais appliquer une amende égale à un pourcentage de rétrocession variant en fonction du montant auquel l'engagement cesse d'être respecté.
- par ailleurs, la naissance de l'avantage fiscal en cas de construction d'immeuble (entreprise soumise à l'impôt sur le revenu ou à l'impôt sur les sociétés) a été modifiée.
En effet, en cas de recours à la défiscalisation à travers des parts de sociétés civiles de placement immobilier, l'avantage fiscal naît au moment de la souscription, alors qu'il ne peut être utilisé qu'au moment de l'achèvement des travaux pour toutes autres constructions immobilières.
Afin d'unifier le régime, il a été décidé que le fait générateur de l'avantage fiscal serait l'achèvement des fondations dans tous les cas.
- enfin, la LODEOM a étendu les obligations déclaratives des investisseurs à l'ensemble des personnes qui réalisent des investissements éligibles à la défiscalisation et pas seulement aux personnes qui réalisent des investissements en vue de les donner en location (CGI, art. 242 sexies N° Lexbase : L2986IEC).
3. La légalisation de la TVA NPR
Le dispositif de la TVA non perçue récupérable (ci-après "TVA NPR"), de création purement doctrinale (2), est un dispositif très spécifique qui permet aux assujettis situés en Guadeloupe, en Martinique ou à la Réunion (3) qui importent des matières premières et produits strictement définis ou qui achètent ou livrent à soi-même des produits de fabrication locale de récupérer la TVA d'amont qui ne leur a pas été facturée ou qu'ils n'ont pas acquittée eu égard à l'exonération de TVA des importations (ou exportations) (4).
La mise en place de ce système permet, notamment, aux importateurs et exportateurs domiens de compenser le coût du transport occasionné par l'éloignement insulaire.
Néanmoins et jusqu'alors, aucun texte de loi ne prévoyait expressément un tel dispositif de récupération de la TVA non facturée.
Cette contestation n'a désormais plus de raison d'être puisque l'article 30 de la loi pour le développement économique de l'outre-mer vient de légaliser et d'aménager le dispositif de la TVA NPR en créant un article 295 A dans le CGI (N° Lexbase : L3018IEI).
Outre la codification de ce régime, l'autre principale nouveauté concernant ladite taxe a trait au fait que seules les livraisons ou importations en Guadeloupe, en Martinique ou à la Réunion de biens neufs d'investissements exonérés en application de l'article 295-I-5° a) à c) (N° Lexbase : L3021IEM) pourront bénéficier de ce dispositif.
En conséquence, sont exclus les biens qui ne sont pas des immobilisations, à savoir notamment les stocks, et les biens d'investissement d'occasion.
Ces derniers biens seront néanmoins toujours acquis en exonération de TVA mais n'ouvriront plus droit à déduction d'une TVA fictive.
Enfin, la LODEOM est venue préciser que l'importateur ou le destinataire de la livraison doit remplir cumulativement les trois conditions ci-dessous pour prétendre pouvoir bénéficier du dispositif de la TVA NPR :
i) être un assujetti à la TVA ;
ii) disposer d'un établissement stable dans l'un des DOM concernés qui est considéré, selon la doctrine administrative, comme "tout centre d'activité où l'assujetti effectue de manière régulière des opérations imposables" (D. adm. 3 A-2141 n° 3) ;
iii) y réaliser des activités ouvrant droit à déduction en application de l'article 271 du CGI (N° Lexbase : L3203HZN) ou y réaliser certaines activités exonérées telles que, par exemple, les ventes en l'état de biens importés exonérés.
Or, à la lecture du nouvel article 295 A, plusieurs interrogations apparaissent dans le cadre de schémas de portage fiscaux prévus par le législateur et codifiés sous les articles 199 undecies B et 217 undecies du CGI.
En effet, dans ce type de schémas, il est constitué une société (SNC, société en participation, SA, SAS...) qui regroupe des investisseurs fiscaux (assujettis à l'IR ou à l'IS) et qui réalise des investissements qu'elle donne en location sur une période de cinq ans minimum à une entreprise située par hypothèse dans un département d'outre-mer (Guadeloupe, Martinique et Réunion).
La société regroupant les investisseurs se contente de donner en location puisque, par disposition expresse législative, aucune prestation accessoire ne doit être remplie par la dite SNC. Les investissements sont soit importés (de métropole, d'Europe ou de tout autre endroit au monde), soit acquis sur place. Le fournisseur de la SNC est, soit directement le locataire (qui achète très peu de temps avant l'investissement pour le revendre immédiatement à la SNC), soit directement le fournisseur du locataire. Bien entendu, la location de cet investissement par la société regroupant les investisseurs est assujettie à TVA conformément aux dispositions de droit commun.
Néanmoins, l'obligation qu'a désormais le destinataire de l'investissement neuf de "disposer en ces départements d'un établissement stable et d'y réaliser une activité ouvrant à déduction en application de l'article 271" est sujette à débats. A ce titre, il convient de rappeler qu'il résulte de la jurisprudence, tant de la CJCE que du Conseil d'Etat, que la notion d'établissement stable est caractérisée par un degré suffisant de pertinence d'une structure apte, du point de vue de l'équipement humain et technique, à rendre possible de manière autonome l'activité réalisée.
Or, les SNC (ou SEP, ou SA ou SAS) sont, de la volonté du législateur, limitées à une simple activité de location "nue" sans autres prestations de services. Elles ne disposent pas de personnel, et leur activité se limite volontairement à la simple location de l'investissement. Par ailleurs, ces SNC peuvent avoir leur siège social soit en métropole, soit dans un DOM, sans nécessairement déclarer une succursale dans le DOM où est situé l'investissement.
Une lecture trop stricte des nouvelles dispositions aboutirait, donc, à la conclusion que la SNC ne pourrait bénéficier du mécanisme dit de la TVA NPR, ce qui, en pareille hypothèse, aurait pour effet de diminuer le montant de la "subvention" correspondant à la TVA NPR.
Dans ce contexte, il semble que, d'une part, la notion d'établissement stable visée à l'article 295 A-1 du CGI ne doit pas être interprétée strictement et que, d'autre part, il suffit que la SNC dispose de son siège social dans l'un des trois départements susvisés pour bénéficier du mécanisme de la TVA NPR.
Il conviendra toutefois d'attendre les commentaires de l'administration fiscale sur ce point.
(1) On notera, toutefois, une exception à l'application de cet abattement. En effet, ce dernier ne s'applique pas aux bases d'imposition afférentes aux biens mobiliers transférés par une entreprise à partir d'un établissement qui, au titre d'une ou plusieurs des cinq années précédent le transfert, a déjà bénéficié d'une exonération de taxe professionnelle (zones urbaines sensibles, zones franches urbaines, bassins d'emploi à redynamiser...) ou du versement de la prime d'aménagement du territoire. L'objectif de ce dispositif est évidemment d'éviter qu'un bien d'équipement, qui aurait bénéficié, dans un premier établissement, d'une aide fiscale importante, puisse après son transfert dans un nouvel établissement, bénéficier à nouveau, au titre du dispositif des ZFA, d'avantages fiscaux.
(2) C'est l'administration elle-même qui, par une décision ministérielle du 2 novembre 1953, a créé ce régime ad hoc. Celui-ci a été consolidé par l'instruction fiscale du 30 juin 1954 puis par l'instruction n°3 G 242 de juillet 1998, et validé par la commission européenne au titre de l'article 88 TCE relatif aux aides d'Etat, et récemment reconduit par la commission pour la période 2007-2013 par la décision C(2007) 5115 du 23 octobre 2007.
(3) La Guyane n'est délibérément pas visée étant précisé qu'il n'y a pas de TVA dans ce département français.
(4) Au sens de la législation douanière européenne, les DOM susvisés sont considérés comme des pays tiers à l'Union en matière de TVA et les biens qui y sont acheminés comme des exportations.
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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
Le 07 Octobre 2010
Résumé
La seule différence de catégorie professionnelle ne saurait, en elle-même, justifier, pour l'attribution d'un avantage, une différence de traitement entre les salariés placés dans une situation identique au regard dudit avantage, cette différence devant reposer sur des raisons objectives dont le juge doit contrôler concrètement la réalité et la pertinence. N'est pas justifiée, par des raisons objectives et pertinentes, l'attribution, par un accord collectif, de jours supplémentaires de congés réservés aux cadres destinés à tenir compte de leurs contraintes, notamment, l'importance des responsabilités qui leur sont confiées. |
Commentaire
I - Qualité de cadre et justification d'une différence de traitement
La reconnaissance, en 2008, d'un principe d'égalité de traitement a permis à la Chambre sociale de la Cour de cassation d'étendre le champ d'application du principe "à travail égal, salaire égal" à des hypothèses où ne sont en cause ni le salaire, ni, plus largement, la rémunération des salariés de l'entreprise (1) ; cette extension a permis à la Haute juridiction de faire application du principe d'égalité professionnelle dans l'hypothèse de retenues pour fait de grève (2), mais, également, de l'attribution de la médaille du travail ou du bénéfice d'un régime de retraite prévu par accord d'établissement (3).
La Cour de cassation a refusé, depuis l'arrêt "Bensoussan", de se satisfaire de l'appartenance à la catégorie professionnelle des cadres pour justifier des atteintes au principe "à travail égal, salaire égal", dans une affaire mettant en cause le bénéfice de tickets-restaurant et excluant par principe les cadres (4). Selon une formule désormais de style et reprise, d'ailleurs, dans d'autres arrêts inédits également en date du 1er juillet 2009, "une différence de statut juridique entre des salariés effectuant un travail de même valeur au service du même employeur ne suffit pas, à elle seule, à caractériser une différence de situation au regard de l'égalité de traitement en matière de rémunération" (5).
Contours du principe d'égalité de traitement
Le principe d'égalité de traitement constitue un principe à mi-chemin entre le principe de non-discrimination et le principe "à travail égal, salaire égal". Ce principe impose, ainsi, à l'employeur de traiter d'une manière identique les salariés de son entreprise qui se trouvent dans une même situation. Face à des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une différence de traitement entre salariés placés dans une même situation, l'employeur devra donc soit contester l'identité des situations, soit l'admettre, mais justifier de la différence de traitement par une juste raison tenant, par exemple, à la volonté de rétablir l'égalité de fait entre salariés.
C'est cette orientation générale que confirme ce nouvel arrêt en date du 1er juillet 2009.
Dans cette affaire, un salarié avait été engagé, le 1er décembre 1991, en qualité de démarcheur livreur par la société DHL. Estimant être moins bien rémunéré que d'autres salariés de l'entreprise, il avait saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes et, notamment, du bénéfice d'indemnités compensatrices de droit à congés payés dans la mesure où les cadres de l'entreprise, avec lesquels il se comparait, se voyaient conventionnellement reconnaître cinq jours annuels supplémentaires.
La cour d'appel l'avait débouté de sa demande, aux motifs qu'aucune disposition légale ou conventionnelle n'interdit aux partenaires sociaux de prévoir un nombre de jours de congés différent selon les catégories professionnelles et que les contraintes spécifiques aux cadres, notamment, l'importance des responsabilités qui leur sont confiées, justifient une différence de traitement.
Cet argument n'a pas convaincu la Chambre sociale de la Cour de cassation pour qui "la seule différence de catégorie professionnelle ne saurait, en elle même, justifier, pour l'attribution d'un avantage, une différence de traitement entre les salariés placés dans une situation identique au regard dudit avantage".
La solution n'est pas surprenante. Non seulement elle confirme les termes de l'arrêt "Bensoussan" rendu en 2008, mais, de surcroît, elle s'inscrit dans la droite ligne de la jurisprudence constante depuis 2007, qui impose aux juges du fond et aux employeurs de fournir des éléments de justification concrets et de ne pas se contenter d'explications "passe-partout".
Reste à déterminer comment il serait possible de justifier que des cadres puissent bénéficier d'avantages particuliers.
II - Réalité du travail des cadres et justification des différences de traitement
La méthode de justification des différences de traitement est, désormais, bien rodée. La bonne justification dépend de deux éléments, l'un tenant à la nature de l'avantage en cause, l'autre à la situation des salariés dont on compare le traitement. L'argumentation de l'employeur fera donc mouche lorsqu'elle fera appel à des justifications professionnelles pertinentes, compte tenu de la fonction particulière de l'avantage en cause.
Appliquée aux faits de l'espèce, la solution admise par la cour d'appel pouvait sembler satisfaisante. Celle-ci avait, en effet, considéré que l'octroi de cinq jours de congés payés annuels supplémentaires se justifiait par le fait que les cadres de l'entreprise étaient soumis à des "contraintes spécifiques" tenant "notamment à l'importance des responsabilités qui leur sont confiées". Bref, les cadres avaient besoin de plus de temps pour décompresser, compte tenu de la nature particulière de leurs tâches. En visant, certes implicitement, la charge nerveuse particulière liée au statut et aux fonctions d'encadrement, la cour d'appel s'inscrivait dans la voie tracée par l'article L. 3221-4 du Code du travail (N° Lexbase : L0803H9M) en matière d'égalité de rémunération entre femmes et hommes.
L'argument n'a pourtant pas convaincu la Haute juridiction, qui censure l'arrêt pour manque de base légale, c'est-à-dire en raison du caractère insuffisant de sa motivation. La lecture de l'arrêt ne nous sera d'aucun véritable secours, puisque la Chambre sociale de la Cour de cassation se contente de justifier la cassation par le fait que la cour d'appel n'avait pas recherché "si l'octroi de l'avantage accordé aux cadres était justifié par des raisons objectives et pertinentes".
De cette décision deux interprétations peuvent être proposées.
La cassation pourrait, tout d'abord, se justifier au regard d'une motivation réellement insuffisante de l'arrêt d'appel et de l'absence de tout élément sérieux dans le dossier permettant de s'assurer réellement que les cadres de l'entreprise étaient véritablement soumis à des conditions de travail telles qu'ils avaient effectivement besoin de plus de vacances que les autres. La cour d'appel se serait, alors, contentée d'affirmer sans véritablement le démontrer et sans faire d'effort particulier de motivation. Dans ces conditions, l'argument ne serait pas en soi déclaré non pertinent, mais ce serait cet arrêt là rendu par ces juges du fond là qui serait trop lapidaire.
Une seconde explication pourrait être proposée et qui tiendrait au caractère intrinsèquement non pertinent de l'argument tiré des contraintes liées aux fonctions d'encadrement. Dans cette perspective, la Haute juridiction aurait voulu signifier que les congés payés annuels ne sont pas fait (que) pour se reposer des fatigues liés à l'activité professionnelle, mais qu'ils constituent, avant tout, l'occasion d'un partage équitable des temps de vie et le moyen de trouver l'occasion de son épanouissement personnel ; dans ces conditions, l'appartenance à la catégorie des cadres ne serait pas pertinente, car tous les salariés ont très certainement une égale vocation à s'épanouir en dehors de leur travail.
Le caractère lapidaire de la cassation ne permet malheureusement pas de choisir l'une ou l'autre des explications, même s'il est assez vraisemblable que l'arrêt est très certainement cassé en raison d'une motivation insuffisante et non en raison d'une erreur dans l'appréciation de la justification qui aurait plutôt conduit à une cassation pour violation de la loi.
Il n'en demeure pas moins que ce contrôle disciplinaire extrêmement étroit mené par la Haute juridiction sur les juges du fond prolonge des procédures déjà longues et incite finalement les justiciables à tenter leur chance, puisque les règles du jeu ne sont pas définies avec suffisamment de lisibilité.
Nous continuons à militer pour une réduction du contrôle judiciaire sur la justification des différences de traitement lorsque celles-ci résultent d'un accord collectif. Dans cette hypothèse, en effet, non seulement les conditions de validité des accords, singulièrement après la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail (N° Lexbase : L7392IAZ), donnent des garanties de légitimité et de qualité des textes signés, mais les textes conclus constituent souvent un équilibre global ; s'agissant singulièrement de la question des congés payés, ne pourrait-on pas considérer qu'ils viennent compenser la soumission des cadres en forfait en jours à une durée du travail extrêmement longue, puisqu'ils peuvent légalement travailler 78 heures par semaine (6). Certes, ces cadres doivent bénéficier d'un nombre de jours annuels de travail qui tient compte de ces contraintes et l'attribution de jours de congés payés supplémentaires ne semble pas nécessairement le meilleur moyen de leur accorder cette forme de compensation. Mais, après tout, si un accord qualifié se dégage entre partenaires sociaux, pourquoi le juge devrait-il pouvoir le défaire d'un simple trait de plume ?
Lorsqu'est en cause l'application d'un accord collectif, le contrôle de la pertinence des justifications des différences de traitement introduites, et la possibilité de neutraliser telle ou telle condition d'attribution, devrait donc être réservés à la seule hypothèse d'une erreur manifeste d'appréciation des raisons qui justifient une différence de traitement, et que le juge devrait n'exercer qu'un contrôle minimum, pour reprendre une analyse chère au droit administratif (7).
(1) Application au bénéfice des tickets-restaurants : Cass. soc., 20 février 2008, n° 05-45.601, Société Alain Bensoussan, FP-P+B (N° Lexbase : A0480D7W) et nos obs., Chaud et froid sur la protection du principe "à travail égal, salaire égal", Lexbase Hebdo n° 295 du 6 mars 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N3474BEE).
(2) Principe affirmé pour la première fois par Cass. soc., 10 juin 2008, n° 06-46.000, Société Air France c/ Syndicat UGICT CGT Air France, FS-P+B+R (N° Lexbase : A0540D9U) et nos obs., Le principe d'égalité de traitement, nouveau principe fondamental du droit du travail, Lexbase Hebdo n° 311 du 3 juillet 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N4879BGS). Sur ces retenues, lire nos obs., Grève et retenues sur primes : nouvelles précisions, Lexbase Hebdo n° 358 du 9 juillet 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N9888BKG ; Cass. soc., 23 juin 2009, n° 07-42.677, FS-P+B N° Lexbase : A4116EIB).
(3) Cass. soc., 27 mai 2009, n° 08-41.391, Société Evonik Rexim, F-D (N° Lexbase : A3968EHG) et nos obs., Egalité de traitement entre salariés : la difficile justification par l'appartenance à des établissements distincts, Lexbase Hebdo n° 354 du 10 juin 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N6427BKA).
(4) Cass. soc., 20 février 2008, n° 05-45.601, préc..
(5) Cass. soc., 1er juillet 2009, 2 arrêts, n° 07-44.316, Société Nestlé France, F-D (N° Lexbase : A5743EIK) et n° 07-44.333, Société Nestlé France, F-D (N° Lexbase : A5744EIL).
(6) C. trav., art. L. 3121-48 (N° Lexbase : L3955IB4).
(7) Sur ce contrôle, J. Rivéro et J. Waline, Droit administratif, Précis Dalloz, 19ème éd., 2002, n° 265-1.
Décision
Cass. soc., 1er juillet 2009, n° 07 42.675, M. Stéphane Pain c/ Société DHL express, FS P+B (N° Lexbase : A5734EI9) Cassation partielle CA Paris, 18ème ch., sect. D, 28 mars 2007, n° 06/11596, M. Stéphane Pain c/ SAS DHL Express (N° Lexbase : A0658DYZ) Règle visée : le principe d'égalité de traitement Mots clef : dérogations ; justification ; cadre Lien base : |
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Réf. : Circ. DSS/DGT n° 2009/145 du 29 mai 2009, relative à la mise en oeuvre du mécanisme de conditionnalité des allègements de cotisations sociales (N° Lexbase : L3615IEM)
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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Droit de la Sécurité sociale"
Le 07 Octobre 2010
La circulaire ministérielle n° 2009/145 du 29 mai 2009 commente ce dispositif, qui sera applicable, pour la première fois, aux entreprises qui n'auront pas respecté, au cours de l'année 2009, leur obligation annuelle de négocier sur les salaires à régulariser, sur le tableau récapitulatif, des cotisations 2009 à fournir le 31 janvier 2010 au plus tard.
I - Obligation de négocier
Le législateur s'est manifestement inspiré des travaux du Conseil d'orientation de l'emploi, qui avait relevé, dès 2006 (3), que, pour se prémunir du risque de trappes à bas salaires, il faudrait réserver les nouveaux allègements aux entreprises et aux branches ayant fait preuve d'un dialogue social dynamique, notamment, en matière de rémunérations : bref, de conditionner les nouveaux allègements à l'ouverture d'une négociation sur les salaires tant au niveau des branches que des entreprises. Le Conseil d'orientation pour l'emploi avait, enfin, évoqué la possibilité de conditionner les futurs allègements à l'existence de minima conventionnels au moins égaux au Smic.
A - Domaine de la négociation
La circulaire ministérielle n° 2009/145 rappelle que seules sont concernées par l'obligation de négocier les entreprises soumises à l'obligation annuelle de négocier sur les salaires, autrement dit celles de 50 salariés et plus disposant d'une section syndicale et celles de moins de 50 salariés dans lesquelles un syndicat représentatif a désigné un délégué du personnel comme délégué syndical. Le bénéfice total des allégements est conditionné au respect, par l'employeur, de son obligation d'engager, chaque année, une négociation annuelle obligatoire portant sur les salaires effectifs. La circulaire apporte des précisions sur cette condition.
B - Allégements et exonérations concernés
Il s'agit des allégements généraux de cotisations, dits "allégement Fillon" (CSS, art. L. 241-13 N° Lexbase : L0921IC4) (4), ainsi que des exonérations ciblées géographiquement pouvant remplacer ces allégements dans certaines zones. La circulaire ministérielle n° 2009/145 reprend la liste figurant dans le texte de loi et l'actualise.
Sont donc concernées les exonérations de cotisations applicables :
- aux allégements généraux de cotisations ("allégement Fillon") (5) ;
- à l'exonération de cotisations patronales de sécurité sociale (hors accidents du travail), totale au niveau du Smic, puis dégressive jusqu'à 1,5 Smic, pour la création d'emploi en zones de redynamisation urbaine (ZRU) ou de revitalisation rurale (ZRR) (CSS, art. L. 131-4-2 N° Lexbase : L0893IC3) (6) ;
- à l'exonération ouverte aux organismes d'intérêt général en ZRR (CSS, art. L. 131-4-3 N° Lexbase : L4716H9K) ;
- à l'exonération totale de cotisations patronales de sécurité sociale dans la limite de 1,4 Smic pour les salariés des entreprises et associations implantées dans les zones franches urbaines (ZFU) (loi n° 96-987 du 14 novembre 1996, relative à la mise en oeuvre du pacte de relance pour la ville N° Lexbase : L8850AGU) (7) ;
- à l'exonération ouverte aux associations implantées dans les ZRU ou ZFU ;
- à l'exonération prévue pour les bassins d'emploi à redynamiser (BER) (loi n° 2006-1771 du 30 décembre 2006, art. 130 N° Lexbase : L9270HTI) ;
- à l'exonération totale des cotisations patronales de sécurité sociale (hors accidents du travail) dans la limite de 1,3 Smic à 1,5 Smic, bénéficiant aux entreprises installées dans les départements d'outre-mer et à Saint-Pierre-et-Miquelon (CSS, art. L. 752-3-1 N° Lexbase : L4289ICT) (8) ;
- à l'exonération ouverte aux zones de restructuration de la défense (ZRD) (loi n° 2008-1443 du 30 décembre 2008, de finances rectificative pour 2008, art. 34 N° Lexbase : L3784IC7).
Il faut relever que le champ d'application du nouveau mécanisme de contrepartie institué par la loi n° 2008-1258 est limité à certaines aides à l'emploi, excluant, ainsi, l'exonération des heures supplémentaires introduite par la loi "Tepa" (CSS, art. L. 241-18 N° Lexbase : L9288HZZ) ; les exonérations de charges sociales dans les Dom-Tom ; le mécanisme d'aides à l'emploi propre à la Corse ; les services à la personne ; ainsi que certaines secteurs d'activité particuliers (l'hôtellerie, restauration...).
II - Régime de la négociation
L'obligation de négocier en matière salariale existe déjà au niveau de la branche (C. trav., art. L. 2241-1 N° Lexbase : L2346H9R) et au niveau de l'entreprise (C. trav., art. L. 2242-1 N° Lexbase : L2369H9M et art. L. 2242-8, 1° N° Lexbase : L0908ICM). En 2006, selon l'enquête annuelle "Activité et conditions d'emploi de la main-d'oeuvre" (ACEMO), réalisée par la DARES, seules 77 % des entreprises d'au moins dix salariés dotées d'au moins un délégué syndical avaient ouvert une négociation, quel qu'en fût le thème. La loi n° 2008-1258, instituant un nouveau mécanisme de contrepartie, ne s'intéresse donc qu'au 23 % des entreprises résiduelles. Par ailleurs, l'obligation de négocier annuellement sur les salaires est imparfaitement respectée par les entreprises : en 2006, 23 % des entreprises concernées par cette obligation n'ont engagé aucune négociation. Ce taux est de 35 % pour les entreprises comptant entre dix et quarante-neuf salariés, puis décroît avec la taille de l'entreprise : il n'est plus que de 18 % dans les entreprises de 50 à 159 salariés et de 8,4 % dans les entreprises de plus de 200 salariés (9).
A - Termes et conditions de la négociation
L'obligation d'engager la négociation s'apprécie au niveau de l'entreprise. Une entreprise composée de plusieurs établissements peut mener la négociation soit au niveau de l'entreprise (tous les établissements étant alors couverts), soit au niveau de chaque établissement. En revanche, la négociation au niveau d'un groupe n'exonère pas chaque société le composant de leur obligation en matière de négociation.
La circulaire n° 2009/145 indique que l'année civile n'est pas la référence de cette périodicité, chaque entreprise disposant de son propre calendrier annuel de négociation.
Le législateur a précisé que l'obligation de négocier doit être remplie dans les conditions prévues aux articles L. 2242-1 à L. 2242-4 du Code du travail, expression d'un certain formalisme (10). La référence à l'ensemble de ces procédures prévues par le Code du travail présente une certaine utilité, car tout élément de preuve quant à la tenue de la négociation pourra être recherché en l'absence d'accord ou de procès-verbal de désaccord. Afin de justifier du respect de son obligation, l'entreprise devra produire, à l'occasion d'un éventuel contrôle de l'Urssaf, soit la copie de l'accord salarial conclu, soit le procès-verbal de désaccord.
L'obligation de négocier n'est assortie d'aucune obligation de conclure un accord. Il suffit donc que la négociation ait été engagée. La circulaire DSS/5B/DGT/2009/145 insiste toutefois sur le fait que l'employeur est astreint à une obligation de loyauté. En cas d'échec des négociations, un procès-verbal de désaccord doit être déposé. Ce document doit attester de l'"engagement sérieux et loyal" des négociations par l'employeur. Cela implique, notamment, qu'un calendrier de réunions ait été fixé et que les organisations syndicales aient été convoquées à la négociation.
L'entreprise doit être en mesure de justifier de l'engagement des négociations. Pas de difficultés particulières sur ce point : l'employeur doit produire soit la copie de l'accord salarial conclu, soit le procès-verbal de désaccord. Au besoin, les Urssaf s'adresseront aux directions départementales du travail compétentes.
Selon la circulaire n° 2009/145, les entreprises de travail temporaire ne seront pas sanctionnées dans le cas où des salariés effectueraient une mission d'intérim dans une entreprise utilisatrice n'ayant pas satisfait à ses obligations en matière de négociation.
B - Sanctions progressives
Les articles L. 2243-1 (N° Lexbase : L2402H9T) et L. 2243-2 (N° Lexbase : L2404H9W) du Code du travail prévoient, certes, que le fait de se soustraire aux obligations relatives à la convocation des parties à la négociation annuelle et à l'obligation périodique de négocier, aussi bien qu'aux obligations relatives au contenu de cette négociation annuelle obligatoire, est puni d'un emprisonnement d'un an et d'une amende de 3 750 euros. Mais, ces sanctions semblent à la fois disproportionnées et inadaptées, ce qui explique qu'elles ne soient, en pratique, pas appliquées et se révèlent, ainsi, totalement inefficaces, d'autant qu'elles ne sont pas immédiates et qu'elles passent par des procédures coûteuses. Or, si une proportion significative des entreprises concernées ne respecte pas cette obligation, les sanctions de ce comportement que prévoit aujourd'hui le Code du travail se révèlent inopérantes parce que disproportionnées : la "conditionnalité" apparaît donc comme une piste a priori plus prometteuse (11). La contrepartie mise en place par la loi n° 2008-1258 du 3 décembre 2008 (art. 26) a pour finalité de combler les lacunes du droit positif "sanctionnateur" à défaut d'être efficace, opérationnel ou incitatif.
La loi n° 2008-1258 a prévu que, lorsqu'un employeur n'a pas rempli, au cours d'une année civile, l'obligation annuelle d'ouvrir une négociation sur les salaires, le montant de certaines exonérations de cotisations sociales patronales dont il bénéficie est diminué de 10 % au titre des rémunérations versées cette même année. Il est diminué de 100 % lorsque l'employeur ne remplit pas cette obligation pour la troisième année consécutive (loi n° 2008-1258, art. 26, dispositif résultant d'un amendement adopté par l'Assemblée nationale en première lecture) (12). Le taux de 10 % se situe, certes, en retrait des taux qui avaient été soumis en décembre 2008 au Conseil d'orientation pour l'emploi par le Gouvernement (50 % la première année, puis 100 % la deuxième année). Il équivaut, en revanche, à la proposition formulée par le Conseil d'orientation pour l'emploi dans son avis (préc.), à la différence que cette dernière s'inscrivait dans un cadre où la "conditionnalité" était appréciée en termes de conclusion d'un accord, et non de simple ouverture d'une négociation. Selon les travaux parlementaires (13), ce taux de 10 % est suffisant, au moins dans un premier temps, car un taux supérieur se révèlerait trop sévère, notamment, pour les entreprises qui accomplissent des efforts dans d'autres domaines (en particulier celui de la formation professionnelle). En revanche, l'Assemblée nationale avait estimé qu'au bout de deux ans, l'effet dissuasif du mécanisme doit être fortement accru et propose donc que les exonérations soient purement et simplement supprimées à compter de la troisième année consécutive de non-respect de cette obligation.
En cas de non-respect de l'engagement de négociation annuelle obligatoire sur les salaires au cours d'une année civile, le montant des allégements et exonérations au titre des salaires versés cette même année est réduit de 10 %. La circulaire n° 2009/145 précise que l'entreprise devra spontanément régulariser sa situation au titre de l'année civile au cours de laquelle il n'a pas engagé la négociation annuelle obligatoire, en opérant une diminution de 10 % sur le tableau récapitulatif des cotisations exigibles au 31 janvier de l'année suivante, sans application de majoration de retard. La loi étant applicable depuis le 1er janvier 2009, l'entreprise qui n'aura pas respecté en 2009 l'obligation de négociation annuelle devra opérer une diminution de 10 % sur le tableau récapitulatif des cotisations de 2009 exigibles en janvier 2010.
Si l'entreprise ne respecte pas son obligation de négociation pendant trois années consécutives (par exemple en 2009, 2010, 2011), elle sera totalement privée du bénéfice des allégements et exonérations au titre des rémunérations versées au cours de la troisième année (dans l'exemple, 2011). Dans ce cas, elle devra calculer les cotisations dues au titre de l'ensemble de cette troisième année sans tenir compte desdits allégements et cotisations.
(1) Lire les obs. de G. Auzero, Les principales mesures de la loi en faveur des revenus du travail, Lexbase Hebdo n° 331 du 17 décembre 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N0494BI7).
(2) S. Dassault, Avis Sénat n° 48 (2008-2009), 22 octobre 2008 ; I. Debré, Rapport Sénat n° 43 (2008-2009), 22 octobre 2008 ; C. Willmann, Les contreparties aux exonérations de charges sociales : deux lois pour rien ?, Dr. soc., 2009, p. 168.
(3) Conseil d'orientation pour l'emploi, Rapport 2006, 8 février 2006.
(4) Cet allégement est dégressif : son taux est maximum au niveau du Smic et il s'annule pour un salaire égal à 1,6 Smic. Il représente 26 points de cotisations sociales patronales au niveau du Smic dans les entreprises de vingt salariés et plus, et 28,1 points de cotisations dans les entreprises de moins de vingt salariés.
(5) Y. Bur, Vers une révision générale des exonérations de charges sociales, Rapport d'information Assemblée nationale n° 1001, juin 2008 ; Conseil d'orientation pour l'emploi, Rapport 2006, préc..
(6) Les entreprises qui embauchent dans ces zones, sans que cela ait pour effet de porter leur effectif au-delà de cinquante salariés, ont droit, pendant douze mois, à une exonération totale de cotisations (hors accidents du travail) sur les salaires compris entre 1 et 1,5 Smic et à une exonération dégressive sur les salaires jusqu'à 2,4 Smic.
(7) Cette exonération prend la forme d'une franchise de cotisations patronales (hors accidents du travail), de cotisations au fonds national d'aide au logement (Fnal) et du versement transport dans la limite de 1,4 Smic, sans plafond de rémunération. Elle peut concerner, au plus, cinquante emplois dans une même entreprise et s'applique à taux plein pendant cinq ans avant de s'éteindre de façon dégressive. Les conditions requises pour en bénéficier tiennent essentiellement au chiffre d'affaires de l'entreprise et au lieu de résidence des salariés.
La loi de finances 2009 (loi n° 2008-1425 du 27 décembre 2008, art. 190 N° Lexbase : L3783IC4) a réformé le régime des aides accordées aux entreprises implantées dans une ZFU. Depuis le 1er janvier 2009, le montant de l'exonération décroît de manière linéaire lorsque la rémunération horaire est supérieure au Smic majoré de 40 % et devient nul lorsque la rémunération horaire est égale à 2,4 fois le Smic du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2009, à 2,2 fois le Smic du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2010 et à 2 fois le Smic à partir du 1er janvier 2011. Enfin, la loi de finances pour 2009 prolonge la durée pendant laquelle les entreprises implantées dans l'une des ZFU (dite de troisième génération) peuvent demander le bénéfice d'exonérations de charges sociales. Initialement, la date du 1er janvier 2009 avait été retenue par le législateur. La loi de finances pour 2009 prolonge le bénéfice de la mesure jusqu'au 31 décembre 2011. Lire nos obs., De quelques réformes en droit social/protection sociale introduites par la loi de finances 2009, Lexbase Hebdo n° 332 du 7 janvier 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N2160BIT).
(8) Sous réserve de conditions tenant, notamment, à leurs effectifs, les entreprises qui y sont implantées bénéficient d'une exonération totale de cotisations patronales, sans plafond de rémunération, dans une limite comprise, selon leur secteur d'activité, entre 1,3 et 1,4 Smic.
(9) I. Debré, Rapport Sénat n° 43 (2008-2009), préc.. Parmi les motifs déclarés d'absence de négociation vient, en premier lieu, l'application directe d'une convention collective de branche (57,8 %), souvent invoquée par les petites et moyennes entreprises. Les grandes entreprises ont davantage tendance à invoquer l'application d'un accord d'entreprise toujours en vigueur (35,6 %).
(10) A défaut d'une initiative de l'employeur depuis plus de douze mois suivant la précédente négociation, celle-ci s'engage obligatoirement à la demande d'une organisation syndicale représentative. Dans les quinze jours qui suivent une telle demande, l'employeur convoque les parties à la négociation annuelle (C. trav., art. L. 2242-1 N° Lexbase : L2369H9M). Lors de la première réunion sont précisés le lieu et le calendrier des réunions et, surtout, les informations que l'employeur remettra aux délégués syndicaux et aux salariés composant la délégation sur les matières faisant l'objet de la négociation (C. trav., art. L. 2242-2 N° Lexbase : L2371H9P). Tant que la négociation est en cours, l'employeur ne peut, dans les matières traitées, arrêter de décisions unilatérales concernant la collectivité des salariés, sauf si l'urgence le justifie (C. trav., art. L. 2242-3 N° Lexbase : L2373H9R). Si, au terme de la négociation, aucun accord n'a été conclu, il est établi un procès-verbal de désaccord dans lequel sont consignées, les propositions respectives des parties et les mesures que l'employeur entend appliquer unilatéralement (C. trav., art. L. 2242-4 N° Lexbase : L2375H9T).
(11) G. Cherpion, Rapport Assemblée nationale n° 1107, 17 septembre 2008.
(12) En effet, si le non-respect de cette obligation pendant deux ans peut passer pour de la négligence, son non-respect trois années consécutives montre que l'entreprise a délibérément choisi de contrevenir à cette règle. Il importe, alors, que la sanction soit véritablement dissuasive.
(13) G. Cherpion, Rapport Assemblée nationale n° 1107, préc..
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Réf. : Cass. civ. 1, 8 juillet 2009, n° 08-20.153, M. X, FS-P+B+I (N° Lexbase : A7497EII)
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par Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux
Le 07 Octobre 2010
I - L'indifférence de la suppression de la fin de non recevoir tenant à l'accouchement sous X
L'impossibilité d'établir la filiation maternelle avant 2009. La cour d'appel de Paris avait fondé sa décision sur l'absence de lien de parenté entre les intervenants et l'enfant et sur l'impossibilité d'établir ce lien en raison de l'accouchement de la mère dans l'anonymat. Avant la loi du 16 janvier 2009 (2), en effet, l'accouchement sous X constituait une fin de non recevoir à l'établissement de la filiation maternelle dans les rares hypothèses dans lesquelles l'enfant parvenait à connaître l'identité de sa mère et ne bénéficiait pas d'une autre filiation, adoptive.
Possibilité d'établir la filiation maternelle après 2009. Il était assez logique que les demandeurs au pourvoi tente d'utiliser à leur profit la suppression -sans doute regrettable au demeurant- de cette fin de non-recevoir par le législateur à l'occasion de la ratification de l'ordonnance du 4 juillet 2005, portant réforme de la filiation. Ils affirmaient, non sans raison, que "le prononcé de l'adoption plénière faisant obstacle au droit [de l'enfant] de voir établir sa filiation maternelle, et, en conséquence, son lien de parenté avec ses grands-parents, est contraire à son intérêt, de sorte que la cour d'appel a violé l'article 353 du Code civil (N° Lexbase : L2869ABU)". Si l'argument ne manque pas de pertinence, il contient tout de même en germe le risque de bloquer des adoptions au motif que l'enfant pourrait se voir reconnu par sa mère. On sait, en effet, et la Cour européenne l'a elle-même affirmé dans l'arrêt "Kearns c/ France" (3), à propos de l'accouchement sous X, qu'il est de l'intérêt de l'enfant abandonné d'être intégré dans sa famille de substitution le plus tôt possible.
L'effacement de l'argument fondé sur l'accouchement sous X. La Cour de cassation approuve la décision de la cour d'appel tout en précisant que la modification, par la loi n° 2009-61 du 16 janvier 2009, de l'article 326 du Code civil n'est pas susceptible de modifier la situation qu'elle devait trancher. Elle affirme très nettement "qu'en l'absence de filiation établie entre leur fille et C., les époux X n'avaient pas qualité pour intervenir à l'instance en adoption". Comme Pierre Murat l'avait déjà constaté avec beaucoup de justesse dans son commentaire de l'arrêt de la cour d'appel de Paris, "l'argument essentiel avancé par la cour -à savoir l'accouchement anonyme- apparaît bien fragile ou à tout le moins secondaire" (4). La Cour de cassation détache la solution du contexte de l'accouchement sous X pour la fonder uniquement sur l'absence de filiation entre la mère et l'enfant qui en réalité, exclut tout lien entre l'enfant et ses grands-parents.
II - L'exclusion des grands-parents par l'absence d'établissement de la filiation
Les grands-parents exclus de l'établissement de la filiation de l'enfant. Si la filiation inscrit l'enfant dans une parenté plus large que celle qui l'unit à ses parents, cette parenté est totalement subordonnée à l'établissement de la filiation d'origine. Les liens d'un enfant avec ses grands-parents ne sont qu'une conséquence de l'existence d'une filiation entre l'enfant et son père ou sa mère et n'ont pas d'existence propre. Les droits reconnus aux grands-parents ne bénéficient qu'à ceux qui jouissent de ce statut par l'établissement de la filiation de l'enfant. Ce sont donc des parents de l'enfant dont dépend l'existence juridique de liens entre ce dernier et les grands-parents. Si, comme en l'espèce, le parent refuse d'établir la filiation de l'enfant à son égard, les grands-parents n'en sont pas et ne disposent d'aucune action pour passer outre cette décision de leur propre enfant. En dehors d'une reconnaissance volontaire du parent, en effet, l'établissement de la filiation est réservé à l'enfant et les grands-parents n'ont pas qualité pour agir. La seule action qui leur est ouverte est l'action en constatation de la possession d'état de l'article 330 (N° Lexbase : L5801ICT) qui est exclue dans l'hypothèse d'un accouchement anonyme de la mère. L'argument avancé par les requérants, sans doute inspiré de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme, selon lequel une possession d'état de "grands-parents" aurait pu exister si elle n'avait été rendue impossible par des circonstances exceptionnelles, était vain puisque seule une possession d'état de l'enfant à l'égard de sa mère aurait pu permettre l'établissement de la filiation.
Voie de recours. L'appel du jugement d'adoption étant réservé aux parties et aux personnes à qui la décision aura été notifiée, dont par hypothèse les grands-parents biologiques ne feront pas partie, il reste la voie de la tierce-opposition aux parents de la mère biologique, considérés comme tiers à la procédure. Toutefois, la voie est extrêmement étroite puisque le prononcé de l'adoption ne peut être contesté par le biais de la tierce-opposition que lorsque les adoptants se seraient rendus coupables d'une fraude ou d'un dol (5). Il a, ainsi, été jugé que le père biologique de l'enfant, dont la paternité n'est pas établie, qui n'est que tiers à la procédure doit se soumettre aux conditions de l'article 353-2 du Code civil (N° Lexbase : L2871ABX).
L'absence de lien juridique. La Cour de cassation considère que, privés par leur fille de la qualité de grands-parents, les demandeurs au pourvoi ne peuvent intervenir dans la procédure d'adoption de l'enfant. Ce n'est pas tant le lien suffisant entre l'intervention et les prétentions des parties exigé par l'article 325 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1992H4K) qui fait défaut, mais l'absence d'intérêt juridique des grands-parents pour agir dans le cadre de la filiation de l'enfant. La question de l'intervention d'un parent biologique pour empêcher l'adoption de son enfant fait cependant l'objet d'une analyse différente de la Convention européenne des droits de l'Homme. Celle-ci considère, en effet, que même en l'absence de lien juridique, la vie familiale qui existe ou qui aurait potentiellement pu exister entre le parent et son enfant, est atteinte de manière excessive lorsque le parent biologique ne peut intervenir dans la procédure d'adoption de son propre enfant (6). Même s'il n'est pas certain que la Cour de Strasbourg adopte la même solution pour les grands-parents, l'argument de l'absence de lien juridique avec l'enfant ne paraît pas totalement déterminant.
L'absence de droits des grands-parents sur la filiation de l'enfant. Moins que le défaut de lien de filiation entre l'enfant et sa mère, et donc l'absence de lien de parenté avec les parents de cette dernière, c'est l'absence de droits des grands-parents sur la filiation de l'enfant qui exclut leur intervention dans la procédure d'adoption. Le défaut de qualité pour agir avancé par la Cour de cassation est, en réalité, fondé sur le monopole des parents relatif à la décision de "donner" leur enfant en adoption sans que les grands-parents n'aient leur mot à dire. Même si la filiation avait été établie, le consentement de la mère à l'adoption de son enfant aurait été opposable aux grands-parents, comme l'est a fortiori l'abandon de l'enfant par sa mère dans le cadre de l'accouchement sous X. Le législateur a, cependant, introduit en 1996 (7) une exception à cette règle en interdisant l'adoption plénière de l'enfant du conjoint lorsque l'autre parent que le conjoint est décédé et qu'il laisse des ascendants au premier degré qui ne se sont manifestement pas désintéressés de l'enfant (8). Cette disposition permet justement d'éviter qu'un parent rompt les liens entre l'enfant et ses grands-parents ; elle est toutefois limitée à une hypothèse très particulière, dans laquelle le consentement à l'adoption n'est pas donné par le fils ou la fille des grands-parents mais par l'autre parent.
Intervention dans le processus antérieur d'adoption. A toutes fins utiles, la Cour de cassation précise qu'il s'agissait en l'espèce, ni d'une contestation de l'immatriculation de l'enfant comme pupille de l'Etat, ni d'une contestation de son placement en vue de l'adoption. Cette dernière décision n'aurait de toute façon pas pu être contestée par les grands-parents biologiques puisqu'un recours contre une telle décision est réservé au tuteur, subrogé tuteur et membre du conseil de famille dont les grands-parents biologiques ne faisaient, par hypothèse, pas partie (9). Le recours contre la décision d'immatriculation de l'enfant comme pupille de l'Etat est, en revanche, plus largement ouvert par l'article L. 224-8 du Code de l'action sociale et des familles (N° Lexbase : L5365DKW) à "toute personne justifiant d'un lien avec [l'enfant], notamment pour avoir assuré sa garde, de droit ou de fait, et qui demandent à en assumer la charge" (10). La jurisprudence semble, cependant, faire une interprétation restrictive de cette exigence considérant, dans une hypothèse où cette admission est contestée par les grands-parents, que les juges du fond apprécient souverainement l'intérêt de l'enfant d'être admis ou non en qualité de pupille de l'Etat ou que la mère et la soeur du concubin de la mère -la mère et son concubin étant décédés- n'étaient pas titulaires du recours contre l'arrêté d'admission d'un enfant en qualité de pupille de l'Etat, dès lors qu'il n'existait pas de possession d'état de l'enfant à l'égard de leur fils et frère (11).
Volonté de la mère. Si l'accouchement sous X n'est pas, en soi, un obstacle dirimant à l'intervention des grands parents dans la procédure d'adoption, il contribue, de fait, à rendre celle-ci très difficile. Il va, tout d'abord, faire perdre aux grands-parents un temps précieux, compte tenu des délais de recours, pour s'opposer au processus d'adoption. L'absence de lien juridique entre l'enfant et la famille de sa mère va ensuite aboutir à l'exclusion des grands-parents du processus d'adoption dont ils ne seront même pas informés et n'auront pas à l'être. Ils ne seront, par hypothèse, pas en mesure de participer à la prise en charge de l'enfant ni en droit ni en fait et par conséquent n'auront pas de titre pour demander qu'il leur soit confié. Même si cette solution paraît sévère pour des grands-parents, en particulier lorsque leur fille est décédée, elle correspond à la volonté de cette dernière qui n'aurait sans doute pas accouché dans l'anonymat et abandonné son enfant si elle avait voulu que celui-ci soit confié à ses parents...
(1) CA Paris, 1ère ch., sect. C, 10 avril 2008, n° 07/11288 (N° Lexbase : A1216D8K), Dr. fam., 2008, comm. n° 102, obs. P. Murat.
(2) Nos obs., La ratification de l'ordonnance relative à la filiation : une réforme de la réforme..., Lexbase Hebdo n° 334 du 22 janvier 2009 - édition privée générale (N° Lexbase : N3634BIG).
(3) CEDH, 10 janvier 2008, Req. 35991/04, Kearns c/ France (N° Lexbase : A2492D3P), et nos obs., Le consentement de la femme qui accouche sous X doit être libre et éclairé, Lexbase Hebdo n° 297 du 20 mars 2008 - édition privée générale (N° Lexbase : N4397BEL), Dr. fam. 2008, Etude n°14, nos obs..
(4) Comm. préc..
(5) C. civ., art. 353-2 (N° Lexbase : L2871ABX).
(6) CEDH, 26 mai 1994, Req. 16/1993/411/490, Keegan c/ Irlande (N° Lexbase : A6623AW9), E. Sudre (dir.), Les grands arrêts de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme, PUF, 5ème éd., p. 526.
(7) Loi n° 96-604 du 5 juillet 1996, relative à l'adoption (N° Lexbase : L1121G8Z).
(8) C. civ., art. 345-1 (N° Lexbase : L2854ABC).
(9) C. pr. civ., art. 1222 (N° Lexbase : L4093ICL) applicable en vertu de l'article L. 224-3 du Code de l'action sociale et des familles (N° Lexbase : L5358DKN) au Conseil de famille des pupilles de l'Etat.
(10) Dans le délai de trente jours suivant la date de l'arrêté du président du conseil général devant le tribunal de grande instance.
(11) Cass. civ. 1, 25 juin 2002, n° 00-21.712, Mme Marie-Cécile Pujo, épouse Roche c/ M. Guy Duluc, F-D (N° Lexbase : A0102AZS).
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Réf. : CE 4° et 5° s-s-r, 19 juin 2009, n° 322051, Mme Ollivro c/ Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (N° Lexbase : A2861EIS)
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par Guy Prunier, Chargé de mission au ministère de l'Intérieur
Le 07 Octobre 2010
Au premier tour de scrutin, sept listes briguaient les suffrages des électeurs. Quatre d'entre elles n'ont pas franchi le seuil de 5 % qui leur aurait permis de se voir remboursés des frais de campagne. Trois listes se sont présentées au second tour, dont celle conduite par Mme X, qui a alors recueilli 12,16 % des suffrages exprimés, suffisamment pour bénéficier de 3 sièges sur les 61 à pourvoir.
La commune comportant nettement plus de 9 000 habitants, l'article L. 52-4 du Code électoral (N° Lexbase : L9650DNQ) est applicable. Les candidats têtes de liste étaient donc tenus de déposer un compte de campagne, en l'occurrence le 16 mai 2008 au plus tard.
Conformément à l'article L. 52-12 précité, ce compte de campagne doit retracer la totalité des opérations qui ont fait l'objet d'un paiement ou d'une prise en charge, ainsi que les recettes correspondantes qui ont permis de les financer.
Pour garantir la sincérité du compte, la loi prévoit deux procédures qui, en réalité, s'appliquent avant le dépôt du compte : comme l'indique l'article L. 52-4 précité, le candidat est tenu de désigner un mandataire financier chargé de procéder au recueil des fonds et surtout au paiement de toutes les dépenses engagées en vue de l'élection ; conformément à l'article L. 52-12, le compte de campagne est présenté par un expert-comptable (ou un comptable agréé, énonce l'article L. 52-12, qui ignore la disparition de cette dénomination depuis 1994).
Normalement, les termes qu'utilise le législateur se recoupent. Toutes les dépenses engagées en vue de l'élection figurent dans le compte et réciproquement. Elles ont toutes été payées par le mandataire financier. En outre, le compte ne peut présenter de déficit. En d'autres termes, toutes les dépenses doivent être acquittées au moment du dépôt du compte.
Une cause de difficultés provient donc du constat que justement ces termes ne coïncident pas, ou pas tout à fait. La Commission dispose, il est vrai, du droit de réformer le contenu des comptes, notamment lorsque le coût des prestations retracées paraît anormalement bas (cf. C. élect., art. L. 52-17 N° Lexbase : L2778AA7). Il appartient donc à la procédure contradictoire menée par la Commission, sous le contrôle ultérieur du juge, de constater la sincérité du compte.
Il n'est pas rare, en effet, qu'un compte de campagne parfois hâtivement rédigé manque, en particulier, de pièces justificatives. Si, comme on l'a dit, les dépenses engagées en vue de l'élection doivent avoir été acquittées, il n'est pas toujours facile pour le mandataire financier, ou même pour l'expert-comptable, de fournir à temps l'ensemble des pièces, surtout lorsqu'il s'agit d'élections se déroulant dans de grandes circonscriptions, comme, par exemple, les élections au Parlement européen.
Un compte de campagne n'est pas irrégulier du seul fait qu'il comporte trop de pièces. L'on conçoit, par exemple, qu'un candidat qui a dépensé moins que le plafond légal du remboursement forfaitaire soit tenté de présenter des factures sans lien direct avec l'élection. Dans ces conditions, la commission est fondée à abaisser le montant des dépenses électorales, sans pour autant considérer comme insincère le compte de campagne.
Ces rectifications s'opèrent lorsqu'il s'agit, par exemple, d'une dépense qu'aucun document du compte n'établit. Ainsi, le Conseil constitutionnel, lors de son examen des comptes de campagne des candidats à l'élection présidentielle de 2002, a procédé à de nombreuses rectifications sur ce motif (cf. ses décisions, toutes datées du 26 septembre 2002). Dans d'autres cas, il s'agira d'une dépense qui, quoique engagée à l'occasion de l'élection et payée par le mandataire financier, n'en constitue pas pour autant une dépense électorale (cf. CE, 1° et 6° s-s-r., 11 janvier 2006, n° 277042, Elections régionales d'Ile-de-France N° Lexbase : A5328DMB).
Cette procédure contradictoire peut connaître des évolutions variables. Par exemple, sans entrer dans le détail de situations particulières, le Conseil constitutionnel, à chaque série de saisines postérieures aux élections législatives, décide qu'il n'y a pas lieu à statuer dans le cas de candidats qui n'avaient pas fourni un certain nombre de pièces à la Commission (des relevés de compte bancaire, par exemple), mais qui les ont, ensuite, produites devant le juge.
Pour citer un autre cas concret, nettement moins fréquent, dans la décision du 30 janvier 2003 (Cons. const., décision n° 2002-3025 du 30 janvier 2003, A N, Gironde, 8ème circ. N° Lexbase : A1940DIP), le Conseil constitutionnel prend acte du fait que "par suite d'une erreur des services de La Poste", un chèque "transmis à la cellule de contrôle du centre de tri de Bordeaux, a été encaissé", et "qu'ainsi, la candidate n'a pas entendu procéder au règlement direct de la dépense".
Toutefois, une procédure contradictoire n'offre pas systématiquement une possibilité de régularisation. Dans la décision du Conseil constitutionnel du 27 février 2003 (Cons. const., décision n° 2002-3332 du 27 février 2003, AN, Martinique N° Lexbase : A1986DIE), le juge a déclaré inéligible un candidat qui avait accepté un financement par une personne morale de droit privé, non constituée en parti politique à la date à laquelle elle a participé au financement de la campagne ou lorsque la Commission s'est prononcée sur la régularité du compte de campagne, en dépit d'une procédure de régularisation ultérieure achevée à la date à laquelle a statué le Conseil constitutionnel.
Dans le cas d'espèce, le litige concerne une catégorie bien précise de dépenses, celle des frais d'impression de documents électoraux, qui ont, naturellement, vocation à figurer dans le compte de campagne : l'on ne peut guère dénier la qualité de documents électoraux à des tracts, brochures, périodiques et autres publications vantant les mérites des candidats qui les diffusent. Mais cette forme de propagande des candidats est encadrée par des dispositions suffisamment complexes pour réserver parfois des surprises aux candidats eux-mêmes.
En effet, ceux-ci font souvent appel à un prestataire unique chargé de l'impression et, parfois, de la diffusion de toutes sortes de documents, outre ceux déjà énumérés, tels que les bandeaux, affichettes, calicots, banderoles, etc..
Lorsqu'il a mis sur pied le système actuel de contrôle du plafonnement et du financement des campagnes électorales en 1990, le législateur a maintenu, dans un souci initial de "simplification", l'ancien système de remboursement spécifique de la propagande dite "officielle" des candidats. Ce remboursement est prévu par un certain nombre de dispositions législatives du code rédigées en termes variables (cf. C. élect, art. L. 167 N° Lexbase : L2539AAB, art. L. 216 N° Lexbase : L2571AAH, art. L. 242 N° Lexbase : L2599AAI, art. L. 355 N° Lexbase : L2721AAZ, art. L. 377 N° Lexbase : L2743AAT, etc.), mais qui trouvent toutes leur dispositif d'application dans l'article R. 39 du même code (N° Lexbase : L5531HWR).
Il s'agit des frais d'impression, à savoir des affiches apposées sur les emplacements officiels prévus à cet effet, des circulaires ou professions de foi adressées à chaque électeur, et des bulletins de vote. Seule l'élection présidentielle dispose d'un régime distinct, quoique voisin.
Ces dépenses ne figurent pas dans le compte de campagne en vertu de l'article L. 52-12 précité, pour autant qu'elles aient fait l'objet d'un remboursement préalable. Ce point résulte d'une jurisprudence de la Commission approuvée, plus ou moins implicitement, par le juge électoral. Elle n'allait, initialement, pas de soi : l'on aurait pu considérer, en effet, que ces dépenses résultant de deux régimes étanches, sans lien de réciprocité, conduisaient à un traitement spécifique de la prise en charge des documents imprimés indépendamment des comptes de campagne.
Cette règle complète une interprétation stricte de l'article L. 52-12. Autrement dit, figure dans le compte de campagne la part des documents de propagande non remboursée par l'autorité compétente de l'Etat, ordinairement le préfet. L'idée de fond est claire : le candidat qui fait imprimer des professions de foi en quantités nettement supérieures au nombre des électeurs fait, en réalité, imprimer des tracts. La Commission fait, d'ailleurs, figurer cette rubrique dite "R. 39" dans son modèle de compte de campagne.
Le rythme de remboursement de ces dépenses dépend de chaque préfecture ; outre des considérations de quantités, interviennent des notions de qualité de papier. En toute rigueur, une circulaire imprimée sur papier hors grammage ou sur du papier non écologique, qui n'ouvre pas droit à remboursement, est donc à inclure dans le compte de campagne.
Le rôle du mandataire financier est ambigu pour cette dépense, en principe non électorale, donc dispensée du paiement par ses soins. Il en résulte également, en toute rigueur, qu'un candidat ne peut affecter à cette dépense le produit d'aucun don de personne physique recueilli par l'intermédiaire de son mandataire financier.
L'on observera que le Conseil constitutionnel, conscient de cette difficulté a, dans sa décision du 15 mai 2003 (Observations du Conseil constitutionnel relatives aux élections législatives des 9 et 16 juin 2002), proposé d'inclure ces dépenses dans le compte de campagne. A ce jour, cette proposition n'a pas connu de suite positive : il est vrai qu'il faudrait modifier pas moins d'une dizaine d'articles législatifs, d'ailleurs pas tous codifiés, et, selon toute vraisemblance, modifier le mode de calcul des plafonds de dépenses.
En définitive, l'on peut comprendre que l'équipe de la candidate se soit quelque peu égarée dans ce maquis.
La Commission a donc rejeté le compte de la candidate au motif qu'il y manquait une facture d'un montant non négligeable, portant sur des documents de nature nettement électorale. Mais le rejet du compte aurait pu tout aussi bien être motivé par un paiement tardif. C'est ce à quoi fait allusion la décision de première instance du tribunal administratif de Rennes du 2 octobre 2008.
Cependant, le Conseil d'Etat n'a pas relevé la candidate de son inéligibilité prononcée en première instance.
Conformément aux dispositions de l'article L. 118-3 précité, la Commission, lorsqu'elle rejette un compte de campagne, ou constate l'absence de tout dépôt par le candidat, est tenue de saisir le juge de l'élection, en l'occurrence le tribunal administratif de Rennes, aux fin de déclaration d'inéligibilité. Comme on l'a vu précédemment, le juge n'est pas obligé de donner suite automatiquement à cette demande.
Ce point est confirmé par la décision du Conseil d'Etat qui limite, également, la marge d'appréciation du juge. L'on pourrait, en effet, penser que le juge instruit à nouveau la totalité de l'affaire pour vérifier le bien fondé de la décision de la Commission. Mais il doit se considérer comme saisi sur l'unique fondement retenu par la Commission.
En l'occurrence, la candidate a "joué le jeu" de la procédure contradictoire pour régulariser sa situation. Au surplus, l'éventualité d'un dépassement possible du plafond de dépenses n'est pas en cause. Paradoxalement, la candidate aurait, peut-être, été plus favorablement traitée sur ce motif de rejet car il appartient alors, en effet, au juge d'apprécier de prononcer l'inéligibilité du candidat en relation avec l'ampleur du dépassement sans égard aux autres critères.
L'on pouvait donc légitimement se poser la question de la bonne foi de la candidate. Le juge électoral a tendance à faire une interprétation restrictive de cette notion, qui lui est, d'ailleurs, en partie suggérée par le législateur. Le régime de la "bonne foi", qui figure à l'article L. 118-3, y a été introduit par la loi n° 96-300 du 10 avril 1996, tendant à préciser la portée de l'incompatibilité entre la situation de candidat et la fonction de membre d'une association de financement électorale ou de mandataire financier (N° Lexbase : L6194AP4), texte adopté dans le prolongement du contentieux des élections municipales de juin 1995 et non déféré au Conseil constitutionnel.
Le principe initial est celui de la sanction, le relèvement de celle-ci l'exception. En effet, une jurisprudence constante tend à exclure du bénéfice de la bonne foi les candidats dont les manquements constatés à leur obligation légale sont graves, ou qui ont méconnu une formalité considérée comme substantielle eu égard aux objectifs poursuivis par le législateur.
C'est ainsi que, sauf exceptions, ne sont pas relevés de la sanction d'inéligibilité les candidats qui n'ont pas déposé de compte de campagne, l'ont déposé en retard, n'ont pas déposé de compte présenté par un expert-comptable (en dehors des cas de dispenses prévues par la loi), n'ont pas désigné de mandataire financier, ou ont procédé au paiement direct de dépenses électorales en dépit de la désignation d'un mandataire financier.
Si l'on prend le dernier exemple, la jurisprudence est très stricte. Elle a été définie par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 20 septembre 2001, (Cons. const., décision n° 2001-2593 du 20 septembre 2001, AN Haute-Garonne (1ère circ.) N° Lexbase : A2068DIG), en ces termes : "si le règlement direct par le candidat, pour des raisons pratiques, de menues dépenses peut être toléré, ce n'est que dans la mesure où leur montant global est faible par rapport au total des dépenses du compte de campagne, et négligeable au regard du plafond de dépenses autorisées fixé par l'article L. 52-11 du Code électoral". L'on observera, en l'occurrence, qu'il s'agissait d'un contexte assez voisin puisque la candidate avait acquitté, elle-même, directement une facture présentée par son imprimeur.
Il existe donc, en fait, deux régimes de jurisprudences parallèles, car seul le juge administratif fait application de cette "bonne foi" qui ne s'étend pas aux élections législatives, le régime des inéligibilités des députés à l'Assemblée nationale étant défini par une loi organique en vertu de l'article 25 de la Constitution (N° Lexbase : L1284A9G).
Il existe, cependant, des tempéraments dans certains cas. L'on peut citer quelques exemples : en cas de règles applicables ambigües (CE Contentieux, 26 juillet 1996, n° 177095, Elections municipales de Saint-Marie N° Lexbase : A0630APZ) ; quand le droit applicable prête à confusion du fait de son imprécision (CE Contentieux, 30 octobre 1996, n° 177927, Elections municipales de Fos-sur-Mer N° Lexbase : A1478APG) ; lorsqu'une irrégularité de caractère substantiel a été commise à l'insu du candidat (CE Contentieux, 8 janvier 1997, Elections municipales d'Istres N° Lexbase : A1215AIT) ; ou dans un cas isolé, à propos d'un candidat chômeur de longue durée (CE contentieux, 20 janvier 1999, n° 198038, Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques N° Lexbase : A3171ARU).
Dans le cas d'espèce, le juge électoral, pour fonder sa décision, a fait masse de trois critères, dont la conjonction a fait obstacle au bénéfice de la bonne foi : une facture d'un montant relativement important n'a pas figuré au compte, le rendant insincère ; il s'agissait d'une dépense manifestement électorale par son objet ; elle a été payée tardivement.
En outre, le tribunal administratif, selon le Conseil d'Etat, en a "trop fait" en ce sens qu'il a cru bon d'ajouter, pour mieux fonder sa décision, un argument supplémentaire, à savoir que le non-paiement de la facture en cause au moment du dépôt du compte de campagne rendait ce dernier déficitaire, donc non conforme aux prescriptions rappelées en tête de cette étude.
En définitive, le juge est tenu par les modalités de la saisine de la Commission, ce qui limite partiellement son pouvoir d'appréciation. Le Conseil d'Etat considère qu'il appartient à la Commission de motiver le rejet du compte de campagne par une ou plusieurs raisons de son choix. Mais cette motivation, une fois retenue, constitue le fondement exclusif de la saisine du juge.
Or, c'est sur le seul terrain de la sincérité du compte que la Commission s'est placée pour rejeter le compte de campagne de Mme X.
De nombreuses critiques ont été émises sur l'interprétation trop restrictive que donne le juge électoral de la bonne foi. Il n'est pas sûr que le juge soit disposé à un usage extensif de cette prérogative aux contours tout à fait prétoriens. Mais l'on peut, aussi, considérer que la complexité de règles appliquées à des contextes, par nature divers, rend toute jurisprudence incertaine en la matière.
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Réf. : Cass. soc., 1er juillet 2009, n° 07-44.482, Mme Marie-Jeanne Tréboscen, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5748EIQ)
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par Sébastien Tournaux, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV
Le 07 Octobre 2010
Résumé
Si, par application de l'article L. 1152-4 du Code du travail (N° Lexbase : L0730H9W), l'employeur doit prendre toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral, il n'entre pas dans les pouvoirs du juge d'ordonner la modification ou la rupture du contrat de travail du salarié auquel sont imputés de tels agissements, à la demande d'autres salariés, tiers à ce contrat. |
Commentaire
I - Précisions relatives aux sanctions du harcèlement moral
Si le concept de harcèlement moral n'a été que tardivement introduit dans notre droit du travail (2), le retard a été très rapidement rattrapé tant les plaideurs se sont très vite appropriés cet outil, donnant ainsi de multiples occasions aux juges du fond et à la Cour de cassation d'en modeler les contours.
L'article L. 1152-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0724H9P) dispose qu'"aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel". Sous l'oeil désormais attentif de la Chambre sociale de la Cour de cassation (3), les juges du fond ont pour mission d'identifier si les situations qui leur sont soumises relèvent, ou non, du harcèlement. Lorsque les faits de harcèlement sont avérés, diverses conséquences directes ou indirectes peuvent intervenir.
S'agissant des conséquences directes, elles sont, pour l'essentiel, déterminées par le Code du travail lui-même. Ainsi, la combinaison des articles L. 1152-1 et L. 1152-3 (N° Lexbase : L0728H9T) permet au juge d'annuler toute mesure, disposition ou acte intervenus à la suite d'un harcèlement moral. Le cas le plus fréquent est, bien entendu, celui de la nullité du licenciement prononcé dans le cadre d'un harcèlement moral (4) même si, en réalité, toute mesure semble pouvoir être annulée. Rappelons, enfin, que le harcèlement moral constitue un délit sanctionné par le Code pénal (5).
S'agissant des conséquences indirectes, la Cour de cassation a développé un panel de mesures qui peuvent également venir sanctionner un employeur auteur de harcèlement. La Cour accepte, bien entendu, que le salarié harcelé prenne acte de la rupture de son contrat de travail (6). A cela s'ajoute le fait que les juges du fond indemnisent toujours le préjudice moral subi par le salarié (7). Si la qualification d'accident du travail n'a jamais été retenue directement face à des faits de harcèlement moral, la Cour de cassation retient, en revanche, qu'une tentative de suicide dont la cause réside dans une situation de harcèlement peut être qualifiée d'accident du travail (8).
Même si la majorité des mesures prises touchent l'employeur, il n'est parfois pas le seul à être mis en cause dans le cas d'un harcèlement. Cela est notamment le cas lorsque les faits de harcèlement ne sont pas personnellement imputables à l'employeur mais à l'un de ses subordonnés. C'est ce que l'on dénomme généralement un harcèlement moral entre salariés.
Dans cette hypothèse, l'employeur demeure, bien entendu, responsable au titre des mesures qui viennent d'être énoncées (9). Mais le salarié coupable devra lui aussi subir les conséquences de ces actes via la mise en oeuvre du pouvoir disciplinaire de l'employeur, puisque l'article L. 1152-5 du Code du travail (N° Lexbase : L0732H9Y) dispose que "tout salarié ayant procédé à des agissements de harcèlement moral est passible d'une sanction disciplinaire". Cette formule n'est pas impérative et l'employeur demeure seul à juger si ce salarié doit être sanctionné. C'est précisément cette limite qui ne convenait pas aux deux salariées harcelées dans l'affaire commentée.
Deux salariées d'une association subissaient des faits de harcèlement moral de la part de la directrice de leur établissement. Elles saisirent le conseil de prud'hommes, par la voie du référé au fond (10) de l'article L. 2313-2 du Code du travail (N° Lexbase : L2550H9C), afin d'obtenir réparation du préjudice qu'elles avaient subi, mais, également, d'obtenir que la directrice soit "écartée de ses fonctions".
La cour d'appel les débouta sur cette dernière demande en arguant qu'en cas de harcèlement moral imputable à un salarié de l'entreprise, c'est à l'employeur et non au juge de prendre les mesures nécessaires pour prévenir ou faire cesser le harcèlement. Ce raisonnement est confirmé par la Chambre sociale de la Cour de cassation qui juge que, "si, par application de l'article L. 1152-4 du Code du travail (N° Lexbase : L0730H9W), l'employeur doit prendre toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral, il n'entre pas dans les pouvoirs du juge d'ordonner la modification ou la rupture du contrat de travail du salarié auquel sont imputés de tels agissements, à la demande d'autres salariés, tiers à ce contrat", ce qui manifestement aurait été le cas si les juges du fond avaient décidé d'écarter la directrice de ses fonctions.
II - Limitation du pouvoir de sanction du juge... et de la portée de la procédure de référé au fond
Cette solution pose une limite aux pouvoirs du juge en matière de sanction du harcèlement moral et s'inscrit donc dans le mouvement entamé il y a quelques mois par la Cour de cassation d'encadrement des pouvoirs des juges du fond en matière de harcèlement moral. Pour poser cette limite, la Cour de cassation semble opérer une conciliation entre différentes logiques.
Il y a d'abord les règles relatives au harcèlement moral aux termes desquelles c'est à l'employeur et à lui seul de prendre "toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral" (11). Il serait certes possible de gloser sur le sens du verbe "prévenir", qui relève bien plus du prophylactique que du curatif. Pour autant, la demande des salariées visant à écarter la directrice de ses fonctions n'était-elle pas destinée à prévenir tout renouvellement d'un quelconque harcèlement ? Dans ces conditions, la mutation ou l'évincement de la directrice peut encore être considérée comme une mesure préventive et, ainsi, relever du pouvoir de l'employeur.
A ce raisonnement s'ajoute celui insidieusement instillé par la Chambre sociale lorsqu'elle rappelle que les salariées harcelées sont tierces au contrat de travail de la directrice. Même si le principe de l'effet relatif des conventions est loin d'être un principe absolu, même si le droit du travail est un domaine de prédilection de recul de ce principe (12), il n'en demeure pas moins qu'il paraît tout à fait logique qu'un tiers ne puisse obtenir la modification ou la résiliation d'un contrat.
Ces deux arguments sont, aux yeux de la Cour de cassation, suffisamment convaincants pour écarter les effets d'un autre texte qui avait été mis en jeu par les salariées harcelées, celui de l'article L. 2313-2 du Code du travail (N° Lexbase : L2550H9C). Rappelons que ce texte, qui fonde la procédure de référé au fond en vue de protéger la santé ou les libertés d'un salarié, permet au juge prud'homal, en cas de carence de l'employeur, d'"ordonner toutes mesures propres à faire cesser" l'atteinte aux droits des personnes, à la santé des salariés, à ses libertés individuelles dans l'entreprise. La formule pouvait paraître suffisamment vaste pour autoriser le juge à modifier ou résilier le contrat de travail d'un salarié qui, par son attitude, porte atteinte aux droits et libertés protégés.
Si le rôle de l'employeur imposé par le Code du travail en matière de harcèlement et, surtout, le principe de l'effet relatif des conventions sont bien des arguments de poids, on peut tout de même regretter qu'il ne soit pas donné plus de portée à ce formidable outil que constitue le référé au fond et les pouvoirs du bureau de jugement qui en découlent. La Cour refuse ainsi, comme elle l'a toujours fait, de s'immiscer directement dans la gestion de l'entreprise. Mais, ce faisant, elle laisse planer le risque que des situations de harcèlement ne soient jamais remis en cause.
En effet, sur le plan de l'opportunité, cette solution se place sous le signe de l'optimisme : le refus de permettre au juge d'imposer une modification ou une rupture du contrat de travail du salarié auteur de harcèlement postule que l'employeur a les moyens de ménager la chèvre et le chou, c'est-à-dire de conserver une directrice d'association s'il le juge utile tout en s'assurant que les faits de harcèlement ne se reproduisent plus.
Mais cet optimisme est-il suffisamment raisonné ? On peut, en effet, se demander ce qu'il adviendra si la directrice ne cesse pas de harceler le personnel de l'association. Certes, l'employeur pourra toujours être sanctionné par les différentes mesures déjà présentées. Mais dans les faits, le harcèlement n'aura pas cessé et pourra, potentiellement, ne jamais s'arrêter puisque le juge n'aura jamais le pouvoir de forcer la main de l'employeur.
Décision
Cass. soc., 1er juillet 2009, n° 07-44.482, Mme Marie-Jeanne Tréboscen, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5748EIQ) Rejet, CA Orléans, ch. soc., 10 juillet 2007 Textes cités : C. trav., art. L. 1152-4 (N° Lexbase : L0730H9W) Lien base : |
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