Lecture: 4 min
N0655BKH
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
Le 27 Mars 2014
A titre de définition consensuelle, la fraude électorale désigne toutes les irrégularités qui peuvent se dérouler pendant une élection. Elle peut concerner les opérations électorales elles-mêmes (ex. : bourrage des urnes avec des bulletins en faveur d'un candidat) ou des manoeuvres constatées pendant la durée de la campagne électorale (ex. : tracts diffamatoires, diffusion de matériel de propagande après la clôture officielle de la campagne électorale). Et, l'actualité des dernières élections municipales a pu nous en donner un exemple topique à travers la fraude constatée lors des élections des conseillers municipaux de Perpignan. Pour mémoire, le président d'un bureau de vote avait été surpris, une première fois, en possession de bulletins en faveur d'une liste, puis une seconde fois, en pleine tentative de faire disparaître des enveloppes contenant des bulletins de vote. Les opérations de dépouillement avaient dû être interrompues et les services de police, ainsi que le procureur de la République, étaient intervenus sur place. Ainsi, eu égard à sa gravité et à la fonction des personnes concernées, à savoir deux personnalités locales liées au candidat arrivé en tête à l'issue du scrutin et, au stade auquel elle a été découverte, à savoir une heure après le début des opérations de dépouillement, le Conseil d'Etat, par un arrêt rendu le 23 avril 2009, sur lequel revient, cette semaine, Guy Prunier, chargé de mission au ministère de l'Intérieur, a estimé que cette manoeuvre frauduleuse était de nature à entacher d'irrégularité l'ensemble des opérations de dépouillement. Compte tenu, en outre, du très faible écart de voix entre les deux premières listes arrivées en tête, il n'était pas possible d'établir avec certitude qu'en l'absence de fraude la liste élue l'aurait emporté. Le scrutin fut donc définitivement annulé.
L'affaire des "chaussettes bourrées", eu égard au "bourrage" de l'accessoire de bonneterie auquel s'est livré le président du bureau de vote, aura permis au Haut conseil de faire une démonstration de sa méthode de caractérisation de la fraude, et des conséquences qu'il convient d'y attacher. En effet, si le juge électoral, une fois saisi, peut sanctionner les fraudes, ce n'est pas systématique. Pour qu'une élection soit annulée, ou les résultats modifiés, les fraudes constatées doivent avoir eu pour effet de déplacer un nombre suffisant de voix pour fausser les résultats. Ainsi, des atteintes aux règles définies par le Code électoral peuvent rester impunies si elles n'ont pas eu pour conséquence de modifier les résultats. D'aucuns estimeront qu'une invalidation systématique conforterait la moralisation des pratiques démocratiques, et plus particulièrement, électorales ; d'autres rappelleront que, si la démocratie est le moins mauvais des systèmes politiques, pour paraphraser Sir Winston, aucune organisation électorale ne peut, véritablement, être détachée de son ombre : la fraude. Le soupçon est le lot du pluralisme démocratique.
Et de relancer le débat autour du vote électronique. Aux termes de l'article L. 57-1 du Code électoral, toutes les communes françaises de plus de 3 500 habitants peuvent utiliser des machines à voter électroniques lors des scrutins. Pourtant, force est de constater que les lois n° 88-1262 du 30 décembre 1988, n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 et n° 2005-102 du 11 février 2005, qui fixent le cadre légal du vote à l'aide d'ordinateurs de vote en France, n'y ont rien changé : la suspicion règne toujours devant l'utilisation des modalités informatiques de vote, et sa généralisation est loin d'être de mise. Il faut dire que les détracteurs du système électronique de vote ont de quoi argumenter, tant les fraudes furent avérées dans de nombreux pays démocratiques dans lesquels ce système fut instauré et généralisé. Les élections présidentielles américaines de 1960, 2000 et 2004, le référendum pour l'indépendance du Québec en 1995, ainsi que les élections municipales de Montréal, en novembre 2005, figurent au palmarès des fraudes avérées ou fortement présumées. Mais, sans tomber dans la contestation systématique par le camp des vaincus, ni dans l'empirisme d'un système perfectible comme tout système électoral, il n'y a qu'à lire l'article de Chantal Enguehard, Le vote électronique en France : opaque & invérifiable (Laboratoire d'Informatique de Nantes Atlantique, rapport interne num.halshs-00085071, juillet 2006), pour admettre que les deux écueils du vote électronique résident principalement dans le secret qui entoure les matériaux informatiques employés et dans l'impossibilité d'une vérification humaine du comptage des voies. Pour autant, doit-on renoncer au système électronique de vote malgré ses imperfections ?
Finalement, machines à voter ou vote électronique à distance, plus que la fraude en elle-même qui ne disparaît pas avec la vote à bulletin papier, c'est l'étendue de la fraude qui épouvante. Si le "bourrage des urnes" est une pratique concevable à l'échelle locale, aucune élection nationale -dans un pays démocratique avéré s'entend- n'aurait pu être invalidée par ce type de manoeuvre. Il en va différemment avec le vote électronique, qui plus est par internet, où la sécurisation, même si elle est possible et indispensable, n'éludera jamais le spectre de la fraude massive... On retrouve, à travers cette application pratique de l'usage du web, la même problématique que celle relative au téléchargement illégal et à la loi "Hadopi" : si personne n'est dupe quant à la disparition de toute fraude, c'est l'échelle de la fraude et l'opacité du réseau qui inquiètent les citoyens comme les professionnels de l'industrie culturelle. Une domestication du réseau des réseaux par la transparence et la traçabilité apparaît, dès lors, comme l'alpha et l'oméga d'un consensus entre les Anciens et les Modernes.
"Une dictature est un pays dans lequel on a pas besoin de passer toute une nuit devant son poste pour apprendre le résultat des élections". Heureusement que depuis lors, Clemenceau fut dépassé par la technologie, sans que soit trahi l'esprit démocratique qui anime toujours son cher pays.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:350655
Réf. : Cass. soc., 30 avril 2009, n° 07-43.219, M. Joao Canario, FS-P+B (N° Lexbase : A6456EG9)
Lecture: 7 min
N0649BKA
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Marion Del Sol, Maître de conférences à l'Université de Rennes I et Directrice du Master 2 Droit du travail et de la protection sociale
Le 07 Octobre 2010
Résumé
Pour décider que le licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse et débouter le salarié de ses demandes en paiement d'indemnités, l'arrêt se borne à relever que l'employeur a discuté avec un délégué du personnel du problème de reclassement sans trouver de solution et que la mise en oeuvre de la procédure de licenciement trois jours après l'avis d'inaptitude ne peut établir que l'employeur n'avait pas tenté de mettre en oeuvre l'obligation de reclassement. En statuant ainsi, alors que, d'une part, le seul entretien avec un délégué du personnel ne suffisait pas à établir que l'employeur se soit conformé à ses obligations susvisées et que, d'autre part, la brièveté du délai écoulé après l'avis d'inaptitude démontrait, à lui seul, qu'il n'y avait eu aucune tentative sérieuse de reclassement, la cour d'appel a violé l'article L. 1226-2 du Code du travail (N° Lexbase : L1006H97). Par ailleurs, le salarié n'est tenu que d'apporter des éléments qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral, la cour d'appel, qui ne pouvait rejeter la demande du salarié au seul motif de l'absence de relation entre l'état de santé et la dégradation des conditions de travail, a violé les articles L. 1154-1 et L. 1152-1 (N° Lexbase : L0724H9P) du Code du travail. |
Commentaire
I - L'impossibilité d'écourter le délai de reclassement consécutif à l'avis d'inaptitude ?
Le Code du travail met à la charge de l'employeur une obligation de reclassement lorsque le médecin du travail déclare le salarié, consécutivement à une période de suspension causée par un problème de santé, inapte à son poste antérieur (C. trav., art. L. 1226-2). De façon indirecte, l'article L. 1226-4 (N° Lexbase : L1011H9C) laisse un délai d'un mois pour cette recherche de reclassement, délai au terme duquel l'employeur doit reprendre le paiement du salaire si le reclassement n'est pas effectif (1) ou si le salarié n'est pas licencié. Pour autant, aucune disposition légale ne vient préciser si le licenciement peut valablement intervenir avant le terme du délai lorsque le reclassement est impossible. D'où l'intérêt de cette décision.
Peu de temps après avoir informé son employeur qu'il se considérait victime de harcèlement moral de la part de son supérieur hiérarchique, un salarié se voit prescrire un arrêt de travail d'environ trois semaines. Au terme de la période de suspension, le médecin établit un avis d'inaptitude à tous les postes dans l'entreprise (2). Trois jours seulement après, l'employeur décide de mettre en oeuvre une procédure de licenciement, licenciement dont la validité est confirmée par la cour d'appel de Paris qui relève que l'employeur avait discuté de la question du reclassement avec le délégué du personnel et n'avait pas trouvé de solution.
Au visa de l'article L. 1226-2, la Chambre sociale casse l'arrêt d'appel sur ce point. En premier lieu, elle affirme que "le seul entretien avec un délégué du personnel ne [suffit] pas à établir que l'employeur se soit conformé à ses obligations" en matière de reclassement. La solution est logique, car l'obligation de reclassement incombe à l'employeur qui, seul, dispose du pouvoir de décision ; on ne peut se satisfaire d'une simple discussion avec un élu du personnel (3). En second lieu -c'est là l'apport principal de l'arrêt-, la Cour de cassation énonce sous forme de principe que "la brièveté du délai écoulé après l'avis d'inaptitude démontrait, à lui seul, qu'il n'y avait eu aucune tentative sérieuse de reclassement". Elle considère donc qu'un licenciement enclenché dans un temps très proche de l'avis d'inaptitude démontre le manquement à l'obligation de reclassement. Plus encore, la brièveté du délai écoulé est suffisante en elle-même pour que soit établie l'absence de recherche sérieuse de reclassement. Autrement dit, si la démarche de licenciement intervient peu de temps après l'avis du médecin du travail, elle est nécessairement (4) jugée hâtive et fait présumer du non-respect des obligations posées à l'article L. 1226-2 du Code du travail.
L'affirmation est exempte de toute ambiguïté dans sa formulation et prend valeur de principe, la décision du 30 avril 2009 étant promise à la publication au Bulletin des arrêts de la Cour de cassation et également au BICC. Ce faisant, elle balaie les perspectives peut-être entrevues dans un arrêt (de rejet et inédit) du 21 janvier 2009, qui avait déclaré légitime la notification d'une impossibilité de reclassement le jour même de l'avis d'inaptitude (Cass. soc., 21 janvier 2009, n° 06-42.173, F-D N° Lexbase : A6351EC9). Pour autant, toute incertitude n'est pas levée.
L'arrêt laisse une question en suspens : le délai d'un mois peut-il être écourté sans remettre en cause la validité du licenciement, dès lors que l'employeur démontre l'impossibilité de reclasser le salarié inapte ?
Les termes de la décision semblent laisser la porte ouverte à un licenciement avant le terme du délai d'un mois, car c'est la brièveté du délai écoulé qui est condamnée ici, et non le fait d'avoir écourté ce délai. Une telle interprétation serait doublement logique. En effet, au regard de la finalité de l'obligation de reclassement qui est le maintien dans l'emploi, la durée est gage d'une plus grande efficacité de la recherche de reclassement, car elle laisse du temps pour envisager "la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail" (C. trav., art. L. 1226-2, al. 3). Mais, en même temps, permettre de licencier avant l'expiration du délai d'un mois présente une utilité pour les deux parties (5) lorsque l'on sait qu'aucune possibilité de reclassement n'est manifestement possible.
Reste alors à cerner la notion de brièveté. Où peut-on situer le curseur ? A notre avis, l'appréciation des juges du fond devrait prendre en considération cumulativement trois facteurs : le facteur temps, toute précipitation pouvant, désormais, être considérée comme "suspecte" (6) -l'importance des restrictions d'aptitude formulées par le médecin du travail (plus l'aptitude est réduite et moins le reclassement est envisageable)-, la taille de l'entreprise et la configuration des postes de travail (plus l'entreprise est petite et les postes uniques et moins le reclassement peut s'opérer, spécialement en cas d'aptitude résiduelle).
II - Le rappel des règles probatoires en matière de harcèlement moral
La cour d'appel de Paris avait débouté le salarié de sa demande de dommages-intérêts pour harcèlement moral. Au visa de l'article L. 1154-1 du Code du travail, qui précise les règles probatoires en matière de harcèlement moral, la Cour de cassation casse l'arrêt d'appel sur ce point également. Elle rappelle que "le salarié n'est tenu que d'apporter des éléments qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral" et que sa demande ne peut être rejetée "au seul motif de l'absence de relation entre l'état de santé et la dégradation des conditions de travail".
Le harcèlement moral est caractérisé par des "agissements répétés [...] qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel" (C. trav., art. L. 1152-1). Dans le processus devant conduire à l'établissement de la réalité du harcèlement, il appartient au salarié d'établir "des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement" (C. trav., art. L. 1154-1, al. 1er) (7). En d'autres termes, les juges du fond ne peuvent exiger du salarié qu'il fasse la preuve du harcèlement et c'est ce que rappelle la Chambre sociale au cas d'espèce. On doit, toutefois, souligner qu'elle le fait très maladroitement en affirmant que le salarié doit apporter -et non établir- des éléments laissant supposer l'existence du harcèlement ; la terminologie utilisée ici se rapproche davantage de celle du texte initial, issu de la loi de modernisation sociale (loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002, de modernisation sociale N° Lexbase : L1304AW9), qui exigeait du salarié qu'il "présente" des indices de harcèlement que de celle en vigueur depuis la loi du 3 janvier 2004 (loi n° 2003-6 du 3 janvier 2003, portant relance de la négociation collective en matière de licenciements économiques N° Lexbase : L9374A8P et les obs. de C. d'Artigue, Que reste-il de la loi de modernisation sociale ?, Lexbase Hebdo n° 53 du 8 janvier 2003 - édition sociale N° Lexbase : N5391AAW) (8).
La Cour de cassation reproche indirectement aux juges d'appel de ne pas avoir considéré que le salarié avait rempli son rôle par la production d'une attestation relatant des conditions de travail pénibles imposées par le supérieur hiérarchique (9), mais, également, de certificats médicaux attestant de son état dépressif. Elle semble, ainsi, considérer que la matérialité des éléments pouvant laisser présumer le harcèlement était suffisamment établie et ce, bien que ces éléments ne démontrent pas la relation entre l'état de santé et la dégradation des conditions de travail.
Les juges d'appel n'ont pas retenu les faits de harcèlement au motif de l'absence de relation entre l'état de santé et la dégradation des conditions de travail. Pour ce faire, ils prenaient appui sur le contenu des certificats médicaux et de l'avis d'inaptitude. Or, cet avis ne doit contenir aucune information à caractère médical et, en cas de restriction d'aptitude, il ne devrait, en principe, faire état que des capacités restantes du salarié ; par conséquent, le médecin du travail n'a pas à mentionner les causes possibles ou avérées de l'inaptitude. Quant au médecin traitant, s'il délivre un certificat comportant nécessairement des indications médicales (ici, état dépressif), il ne peut attester de la réalité des raisons se trouvant à l'origine de l'état pathologique (10). Il convient donc de ne pas exiger des avis émanant des médecins plus que ce qu'ils peuvent et/ou doivent attester.
(1) En la matière, le délai doit être considéré comme préfix et impose donc la reprise du paiement du salaire un mois après le second avis d'inaptitude, quand bien même l'employeur aurait dû solliciter ultérieurement des précisions auprès du médecin du travail. Voir, Cass. soc., 25 mars 2009, n° 07-44.748, M. Daniel Nerzic, F-P+B (N° Lexbase : A2017EEG) et les obs. de Ch. Radé, Reprise du paiement du salaire du salarié inapte : un mois, sinon rien !, Lexbase Hebdo n° 345 du 9 avril 2009 - édition sociale ([LXB=0077BK3]).
(2) Dont on sait qu'il déclenche l'obligation de reclassement au même titre que l'avis d'inaptitude à certains emplois dans l'entreprise.
(3) Que l'avis des délégués du personnel ne soit pas exigé au cas d'espèce (maladie non professionnelle) ne change rien, à notre avis, à la solution retenue.
(4) Comme l'attestent les termes "à lui seul" auxquels a recours le juge.
(5) Spécialement pour le salarié qui, faute d'avoir repris le travail, est, en général, privé de salaire pendant cette période sans pouvoir prétendre aux indemnités journalières puisqu'il n'est plus en arrêt de travail. Un licenciement lui ouvre alors droit aux allocations de chômage. On doit, toutefois, préciser que, depuis la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2009 (loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008 N° Lexbase : L2678IC8), le salarié peut bénéficier du rétablissement des indemnités journalières pendant le délai de reclassement, mais seulement s'il est victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle et ne peut percevoir aucune rémunération liée à son activité salariée (CSS, art. L. 433-1, al. 5 N° Lexbase : L3044ICQ).
(6) Autrement dit, plus le licenciement intervient dans un temps proche de l'avis d'inaptitude et plus il sera "suspect".
(7) La suite du texte dispose que, "au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles".
(8) Voir Harcèlement moral ? Prouvez-le ! - Questions à Isabelle Boukhris, avocate associé du cabinet LEKS, Lexbase Hebdo n° 341 du 12 mars 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N7743BIM).
(9) Attestation mentionnant que ce supérieur "était constamment sur le dos [du salarié] et le harcelait continuellement pour des raisons injustifiées" ou encore qu'il ne laissait "même pas le temps pour se laver les mains ou aller aux toilettes".
(10) A rapprocher de Cass. soc. 31 mars 2009, n° 07-45.264, Mme Isabelle Schmidt, F-D (N° Lexbase : A5166EE3).
Décision
Cass. soc., 30 avril 2009, n° 07-43.219, M. Joao Canario, FS-P+B (N° Lexbase : A6456EG9) Cassation CA Paris, 10 mai 2007, 21ème ch., sect. B, n° 05/08769, Société MB Peinture c/ M. Joao Canario (N° Lexbase : A9661DX4) Textes visés : C. trav., art. L. 1226-2 (N° Lexbase : L1006H97), L. 1154-1 (N° Lexbase : L0747H9K) et L. 1152-1 (N° Lexbase : L0724H9P) Mots-clefs : inaptitude ; reclassement ; délai ; harcèlement moral ; preuve Lien base : |
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:350649
Réf. : CE 1° et 6° s-s-r., 23 avril 2009, n° 322243, Elections municipales de Perpignan (N° Lexbase : A4956EGN)
Lecture: 11 min
N0646BK7
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Guy Prunier, Chargé de mission au ministère de l'Intérieur
Le 07 Octobre 2010
Les conseils municipaux de toutes les communes de France ont été renouvelés les 9 et 16 mars 2008, celui de Perpignan comme les autres. La campagne s'y est déroulée de manière particulièrement âpre. En effet, lors des élections législatives de juin 2007, deux des quatre circonscriptions du département avaient vu les candidats élus au second tour avec un très faible écart de voix. Ce précédent paraissait annoncer un changement de majorité municipale dans la commune chef-lieu qui regroupe, à elle seule, près du tiers des électeurs du département. La campagne n'a déçu ni ses compétiteurs, ni ses observateurs.
Au premier tour de scrutin s'opposaient six listes de candidats. Celle du maire sortant, M. A., est arrivée en tête avec un peu moins des deux cinquièmes des suffrages exprimés, la deuxième, conduite par Mme D., la suivant d'assez loin avec un peu plus d'un cinquième des suffrages exprimés. A la suite de fusions intervenues au lendemain du premier tour, trois listes de candidats concouraient au second tour, les écarts s'étant considérablement réduits. En effet, la liste du maire sortant a recueilli 19 072 suffrages, soit 45,48 % des suffrages exprimés, la deuxième 18 498 suffrages, soit 44,11 %, une tierce liste rassemblant les 10,42 % restants.
L'écart entre les deux listes arrivées en tête au second tour porte donc sur 574 voix, soit 1,37 % des suffrages exprimés.
Toutefois, la proclamation des résultats s'est trouvée émaillée de multiples péripéties, le président d'un des bureaux de vote ayant suscité, par un comportement équivoque, la suspicion des membres de ce bureau. Les incidents s'étant envenimés, ledit président a été trouvé porteur de bulletins de vote sur lui, "dans ses chaussettes" pour reprendre l'image que la mémoire collective, par l'intermédiaire des reportages de divers organes de presse, a symboliquement retenu de cette affaire.
Les opérations de décompte des votes ont été immédiatement interrompues jusqu'à l'arrivée de la commission de contrôle qui, en application de l'article L. 85-1 du Code électoral (N° Lexbase : L2497AAQ), est nommée dans toutes les communes comptant au moins 20 000 habitants pour surveiller les opérations de vote et, le cas échéant, les opérations de recensement.
Le rôle de cette commission est, tout d'abord, celui d'un conciliateur appelé en cas de contestation pour faire prévaloir la solution d'apaisement, et accessoirement celui d'un témoin qui peut relater des faits en leur donnant date et heure certaines. La commission ne dispose, cependant, d'aucun pouvoir d'injonction. On observera, dès lors, le caractère paradoxal de la situation : le président du bureau de vote, seul détenteur légal du pouvoir de police en vertu des dispositions de l'article R. 49 du Code électoral (N° Lexbase : L1280HWC), se trouve directement mis en cause par des témoins, puis par des intervenants extérieurs. C'est pourquoi, très rapidement, l'autorité judiciaire s'est rendue sur les lieux à la demande de représentants de candidats.
Pris sur le fait, le président du bureau de vote dénia, non pas la fraude, mais l'intention de frauder. Tout au plus s'agissait-il, d'après lui, de "corriger" quelques résultats à la marge, de façon à éviter des décomptes fastidieux et inutiles. Au surplus, il ne disposait que d'une poignée de bulletins, à des noms divers, en quantité bien insuffisante pour modifier substantiellement le résultat de l'élection. L'opposition municipale, qui avait fait campagne contre "un système politique" installé localement de longue date, ne pouvait pas manquer l'occasion d'illustrer la fraude qui, selon ses dires, constituait à la fois une révélation publique et un symbole.
L'affaire fit si grand bruit médiatiquement que l'existence d'une contestation de la proclamation des résultats n'a nullement constitué une surprise. Conformément aux dispositions des articles L. 248 (N° Lexbase : L2603AAN) et L. 249 (N° Lexbase : L2604AAP) du Code électoral, le contentieux des élections municipales comporte relève du tribunal administratif en première instance, et du Conseil d'Etat en appel.
En l'occurrence, par jugement du 7 octobre 2008, le tribunal administratif de Montpellier a accordé une suite favorable à la demande des requérants en annulant les opérations électorales dans la commune de Perpignan et, par voie de conséquence, celle du maire et des adjoints, également objet du recours. Ce dispositif a été confirmé en appel par le Conseil d'Etat par la décision d'espèce du 23 avril 2009.
Ce contexte illustre parfaitement la situation ordinaire de conflit d'intérêts que le juge électoral est appelé à trancher : un candidat se réclamant de la légitimité sans équivoque du suffrage universel, face à son adversaire invoquant une fraude généralisée, de nature à porter atteinte à la sincérité du scrutin. Comment résoudre pareil conflit ?
Dans l'exemple décrit, deux points méritent une observation liminaire. Les résultats proclamés faisaient état, sur l'ensemble des 66 bureaux de vote de la commune de Perpignan, d'un écart de 574 voix, soit 1,37 % des suffrages exprimés, sans doute de peu d'ampleur en première apparence, mais suffisamment marqué pour que le juge électoral ne se limite pas à fonder sa décision sur le seul constat de l'étroitesse de cet écart.
Concernant la motivation du recours, les requérants se sont essentiellement fondés sur les faits constatés dans un bureau de vote, celui qui, en l'occurrence, portait le numéro 4, pour réclamer non seulement l'annulation de l'élection du conseil municipal, mais aussi celle du maire et des adjoints. Le contentieux de l'élection de l'exécutif municipal est, en effet, assimilé par l'article L. 2122-13 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L8609AA4) au contentieux électoral.
Cette affaire présente, enfin, un caractère peu fréquent. S'il est d'usage que des requérants invoquent des agissements frauduleux, il est beaucoup plus rare de pouvoir, sinon les démontrer, du moins exposer un faisceau d'indices permettant au juge de les établir. Il est vrai que le juge dispose, à cet égard, d'un pouvoir d'investigation. En règle générale, il s'y livre exceptionnellement. Une des raisons en est que, à la différence du juge pénal, sa capacité d'instruction est limitée dans le temps par la loi.
En effet, pour les élections municipales, l'existence d'un double degré de juridiction enferme l'intervention du jugement de première instance dans un délai impératif de trois mois, mentionné au premier alinéa de l'article R. 120 du Code électoral (N° Lexbase : L3739HTN). Faute d'avoir statué dans ce délai, le tribunal administratif est automatiquement dessaisi au profit du Conseil d'Etat. L'on peut rappeler que le tribunal administratif doit, dans ce même délai, juger toutes les affaires de contentieux électoral de son ressort, tant pour les élections municipales que pour les élections cantonales.
C'est donc, essentiellement, à partir des faits ou des documents produits que le juge prend sa décision, après avoir entendu contradictoirement les intéressés, c'est-à-dire, en l'espèce, les membres de la majorité municipale et les personnes se réclamant de son opposition.
Pour trancher ce conflit, le juge a fait application d'une méthode et d'un raisonnement tout à fait classiques, suivis aussi bien en première instance qu'en appel.
L'annulation des suffrages dans un bureau de vote
Le premier point du raisonnement consiste à se limiter aux faits contestés. Puisque le fonctionnement d'un seul bureau de vote est en cause, le juge limite son examen à la qualification des faits qui s'y sont déroulés, sans perdre de vue que, parallèlement, une instance pénale avait été instruite.
En général, le juge électoral répugne à reconnaître explicitement un caractère frauduleux à des opérations dont la qualification peut entraîner des sanctions pénales. Il utilise ordinairement un vocabulaire plus adapté au contexte électoral. Il invoque volontiers une "manoeuvre", terme d'autant plus commode que sa définition est entièrement prétorienne, la manoeuvre consistant, en résumé, à porter une atteinte substantielle à la sincérité du scrutin.
En l'occurrence, la question était redoutable. L'on pouvait déduire d'une fraude partielle, au surplus fortuitement révélée, l'existence probable d'un "système" plus élaboré, mis au point préalablement au scrutin. Mais, inversement, la contestation et les témoignages venus l'appuyer concernaient, en définitive, un seul bureau de vote. A travers ce double constat contradictoire, on reconnaîtra sans peine l'argumentaire réciproquement opposé des requérants et des élus de la majorité municipale.
Le juge n'est pas entré dans ce débat. Il a vérifié, ce constat ne soulevant guère d'opposition, que les prescriptions du Code électoral relatives au dénombrement des suffrages n'avaient pas été respectées dans le bureau de vote incriminé. Pour garantir la transparence, et donc la sincérité du scrutin, la loi définit de façon minutieuse les étapes du dépouillement et du décompte des suffrages dans chaque bureau de vote, ainsi que, plus succinctement, de la proclamation des résultats (C. élect., art. L. 65 N° Lexbase : L2792AAN et L. 66 N° Lexbase : L2793AAP). A cet égard, les élections municipales font l'objet d'une proclamation par l'autorité municipale en l'absence de commission de recensement comme il en, existe par exemple, pour les élections législatives (C. élect., art. L. 175 N° Lexbase : L2548AAM) ou régionales (C. élect., art. L. 359 N° Lexbase : L2724AA7).
Les événements retracés dans les décisions de chaque juridiction, première instance et appel, montrent que la soirée électorale dans le bureau de vote a été perturbée par des allers et venues multiples, et que les opérations de dépouillement et de décompte ont été momentanément suspendues avant de reprendre, dans des conditions incertaines quant aux garanties qui ont pu marquer la période intermédiaire. En particulier, les bulletins de vote sont restés sans surveillance ou sans surveillance suffisante, de telle manière que l'assurance que les bulletins recomptés dans ce bureau de vote aient bien été ceux qui avaient été extraits de l'urne n'est pas apparue sans doute ni équivoque.
Le juge en a déduit que la sincérité des opérations de décompte, d'une manière générale, n'était pas acquise pour l'ensemble du bureau de vote. Par voie de conséquence, il a annulé les 797 suffrages qui y avaient été exprimés.
L'annulation des suffrages dans un bureau de vote, voire d'une commune entière, est une opération à laquelle le Conseil constitutionnel se livre périodiquement lors de la proclamation des résultats, tant du référendum que de l'élection présidentielle. Pour citer un exemple qui avait, lui aussi, défrayé la chronique locale et nationale, il n'a pas hésité à annuler les suffrages de toute une commune, ayant considéré l'attitude du maire comme contraire au principe de dignité du scrutin (cf. Cons. const., décision n° 2002052 DC du 8 mai 2002, portant proclamation des résultats de l'élection du Président de la République N° Lexbase : A8045EG3).
L'annulation de l'élection
En d'autres circonstances, cette opération une fois effectuée, le juge aurait pu s'y arrêter. Si, en effet, une opération de retranchement de suffrages suspects, sinon frauduleux, ne change pas l'issue du scrutin, et si, en particulier, l'élu conserve la majorité des suffrages, le juge se borne à rejeter les requêtes, non sans parfois assortir sa décision de commentaires tendant à regretter ou à blâmer certains comportements. Pour citer deux exemples ayant connu, également, en leur temps, une certaine couverture médiatique, le Conseil constitutionnel a, ainsi, statué à propos de deux affaires concernant des élections législatives de 1997 et de 2002 (C. const., décision n° 97-2113 du 20 février 1998, A.N. N° Lexbase : A8449ACW, et décision n° 2002-2676 DC du 14 novembre 2002, A.N., Essonne, 1ère circ. N° Lexbase : A5300DLU).
Dans l'affaire des élections municipales de Perpignan, il en va autrement. Pour s'en convaincre, il suffit de rapporter le nombre de suffrages annulés à l'écart des voix séparant les deux listes en concurrence. L'invalidation des suffrages du bureau de vote n° 4 suffisait à modifier l'issue de l'élection.
Il en va, d'ailleurs, souvent ainsi dans un scrutin de liste. En effet, dans le scrutin majoritaire, il faut un écart vraiment faible entre deux candidats pour que le retranchement de quelques centaines de suffrages suffise à modifier l'issue du scrutin. Au scrutin de liste, la question se complique du fait des règles de répartition à la plus forte moyenne, de surcroît appliqué à un grand nombre de sièges qui peuvent, compte tenu des modifications opérées, changer le résultat, notamment, des derniers élus. Pour les élections municipales, l'ampleur de la prime majoritaire réduit quelque peu la portée de cette règle mais ne la supprime pas entièrement.
Le juge aurait donc pu se borner à une annulation partielle. Mais le contexte ne s'y prêtait guère. C'est bien l'ensemble des opérations électorales qui a fait l'objet d'une contestation et qui justifiait, d'ailleurs, la demande concomitamment examinée d'annulation de l'élection du maire.
Cette appréciation demeure tout à fait prétorienne. Ainsi, le Conseil constitutionnel, saisi d'une contestation de l'élection de sénateurs dans un département où le système de répartition à la proportionnelle s'appliquait, mais en fait concentrée sur la désignation d'un seul sénateur, a annulé l'ensemble des opérations électorales, soit l'élection des cinq sénateurs du département (Cons. const, décision n° 2004-3381/3396 DC du 25 novembre 2004, Sénat, Bas-Rhin N° Lexbase : A0374DIP).
En l'occurrence, le contexte général de l'élection a joué. Dès lors que l'irrégularité des résultats du bureau de vote était établie et sa conséquence nécessaire constatée, la décision qui en constituait la suite logique ne faisait guère de doute.
Les suites de l'annulation
L'annulation de l'élection du maire et des adjoints constitue une conséquence logique de l'annulation de l'élection, qui prive, en effet, de base légale toute élection consécutive.
La juridiction administrative tient de la loi la possibilité, qu'elle apprécie souverainement, de faire procéder à la désignation d'une personne autre qu'un élu comme président d'un bureau de vote (C. élect., art. L. 118-1 N° Lexbase : L0623HWY). En l'occurrence, le contexte justifie particulièrement cette initiative.
En cas de fraude constatée, la juridiction administrative a l'obligation de saisir l'autorité judiciaire (C. élect., art. L. 117-1 N° Lexbase : L0622HWX). Dans les circonstances de l'espèce, ladite autorité étant déjà saisie, cette démarche aurait été sans effet. Dans le même temps, l'instance pénale déjà engagée continue de prospérer de manière tout à fait indépendante, tant de la décision du juge électoral, que des résultats de l'élection. Il ne s'agit ni des mêmes qualifications, ni des mêmes juges, ni des mêmes procédures, ni des mêmes conséquences.
En application des dispositions de l'article L. 2121-35 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L8549AAU), une délégation spéciale, désignée par le préfet, tiendra lieu d'autorité municipale jusqu'à ce que les sièges vacants soient pourvus par une élection partielle. En application de l'article L. 251 du Code électoral (N° Lexbase : L0418DP8), celle-ci intervient, au plus tard, dans les trois mois qui suivent l'annulation.
Le contentieux de l'élection municipale de Perpignan est éclairant sous l'angle pédagogique. Il illustre la nécessité de bien distinguer le contentieux électoral qui porte sur les opérations électorales du contentieux répressif de droit commun. Il explique, ce qui est souvent mal interprété par l'opinion publique, que des personnalités dont l'action a pu être dénoncée par le juge électoral ne soient pas sanctionnées électoralement par l'empêchement de se porter candidat.
S'agissant des élections municipales, la loi répond, toutefois, partiellement à cette préoccupation. Elle prévoit la nomination d'une délégation spéciale chargée de gérer les affaires courantes ou les plus pressantes et, notamment, de procéder à l'organisation du scrutin tendant à pourvoir les sièges ainsi rendus vacants. Cette précaution n'existe que pour l'élection municipale, du fait du double statut du maire, élu local mais chargé d'organiser les élections dans sa commune en tant qu'agent de l'Etat. La délégation spéciale substitue très provisoirement au maire une autorité municipale qui n'a pas intérêt au résultat de l'élection.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:350646
Réf. : Cass. soc., 29 avril 2009, n° 08-60.484, Union départementale Force ouvrière de Savoie, F-P+B (N° Lexbase : A6583EGW)
Lecture: 6 min
N0650BKB
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
Le 07 Octobre 2010
Résumé
L'article L. 2143-6 du Code du travail (N° Lexbase : L3785IBS), qui concerne les conditions de désignation des délégués syndicaux dans les entreprises de moins de cinquante salariés et qui n'a pas modifié le champ d'application du dernier alinéa de l'article L. 412-11 (N° Lexbase : L6331ACH) qu'il remplace, n'est pas applicable dans les entreprises dont l'effectif global est d'au moins cinquante salariés. |
Commentaire
I - Le cadre de désignation du délégué du personnel comme délégué syndical dans les entreprises de moins de cinquante salariés
Il a fallu attendre la loi du 27 décembre 1968 pour que les syndicats fassent leur entrée dans l'entreprise et assurent leur présence au travers des sections syndicales, des délégués syndicaux et des représentants syndicaux aux comités d'entreprises. Pour ce qui est des délégués syndicaux, la loi de 1968 a conditionné leur présence à une condition d'effectif, fixé à cinquante salariés, et visé l'"entreprise" comme cadre de désignation (1).
La loi "Auroux" du 28 octobre 1982 (loi n° 82-915, relative au développement des institutions représentatives du personnel N° Lexbase : L7836HYU) a cherché à favoriser la présence syndicale dans les "entreprises" de moins de cinquante salariés, en permettant aux syndicats représentatifs de désigner comme délégué syndical un délégué du personnel (2).
La question s'est rapidement posée de la possibilité de mettre en oeuvre cette faculté dans les établissements distincts de l'entreprise lorsque ces derniers ont un effectif inférieur à cinquante salariés, mais que l'entreprise a un effectif cumulé supérieur à ce seuil. Très logiquement, la Cour de cassation a précisé que cette faculté de désignation exceptionnelle supposait que l'effectif de cinquante salariés ne soit pas atteint au niveau de l'entreprise, la possibilité de désigner un délégué du personnel pouvant, dès lors, s'exercer dans les établissements distincts de celle-ci dotés d'un délégué du personnel (3).
Les dispositions de l'article L. 412-11, alinéa 4, du Code du travail, ont été reprises à l'article L. 2143-6 nouveau du Code du travail, au prix d'une réécriture du texte. Alors que l'ancien article indiquait que "dans les entreprises et organismes visés par l'article L. 421-1 qui emploient moins de cinquante salariés, les syndicats représentatifs peuvent désigner un délégué du personnel, pour la durée de son mandat, comme délégué syndical", le (nouveau) Code dispose, désormais, que "dans les établissements, qui emploient moins de cinquante salariés, les syndicats représentatifs peuvent désigner, pour la durée de son mandat, un délégué du personnel comme délégué syndical".
La comparaison de ces deux textes, censés concerner la même règle, montre que la notion d'entreprise initialement visée a été remplacée par celle d'établissement, ce qui semble de nature à remettre en cause l'interprétation admise par la Cour de cassation depuis 1983.
C'est précisément tout l'intérêt de cet arrêt rendu le 29 avril 2009 par la Chambre sociale de la Cour de cassation qui se prononce, pour la première fois à notre connaissance, sur une difficulté d'interprétation liée à la recodification du Code du travail.
Dans cette affaire, un employeur avait contesté la désignation faite par le syndicat FO d'une déléguée du personnel comme déléguée syndicale au sein d'un établissement comptant moins de cinquante salariés. Cette désignation avait été annulée par le tribunal d'instance d'Aix-les-Bains, par jugement du 17 juillet 2008, après que celui-ci eut constaté que l'effectif global de l'entreprise était supérieur à cinquante salariés et ce, conformément à la jurisprudence constante de la Cour de cassation.
L'Union départementale FO faisait grief au jugement d'avoir annulé cette désignation et d'avoir violé les dispositions de l'article L. 2143-6 du Code du travail dans sa nouvelle rédaction, dont il résulterait qu'il serait, désormais, possible de désigner comme délégué syndical un délégué du personnel dans les établissements de moins de cinquante salariés et ce, y compris si l'effectif de l'entreprise est supérieur à ce seuil. En d'autres termes, le demandeur prétendait qu'à l'occasion de la recodification de cette règle l'application de celle-ci aurait été modifiée dans le sens d'un élargissement de la possibilité de désignation du délégué du personnel.
Le rejet du pourvoi par la Chambre sociale de la Cour de cassation, qui plus est dans un arrêt publié, montre la volonté affichée de la Haute juridiction d'inscrire la recodification du texte dans le cadre du droit constant. Selon cette dernière, en effet, "l'article L. 2143-6 du Code du travail concerne les conditions de désignation des délégués syndicaux dans les entreprises de moins de cinquante salariés ; [...] il en résulte que ce texte, qui n'a pas modifié le champ d'application du dernier alinéa de l'article L. 412-11 qu'il remplace, n'est pas applicable dans les entreprises dont l'effectif global est d'au moins cinquante salariés", ce qui justifie le jugement aux termes duquel un syndicat ne peut désigner comme délégué syndical une "déléguée du personnel dans un établissement comptant environ vingt salariés qui dépend de la société Monoprix exploitation qui compte plus de cinquante salariés".
Cette solution doit être pleinement approuvée tant pour des raisons de texte que parce qu'elle situe parfaitement la recodification du Code du travail dans sa véritable dimension.
II - La consécration du principe d'interprétation constante du (nouveau) Code du travail
La solution retenue est, tout d'abord, parfaitement conforme aux nouvelles dispositions du Code du travail qui sont, sur la règle en question, beaucoup plus claires que les précédentes.
Le doute sur l'interprétation de l'ancien article L. 412-11, alinéa 4, provenait du fait que le texte faisait référence à l'entreprise, comme cadre de désignation, alors que l'article L. 412-12 prévoit la possibilité de désigner des délégués dans les établissements d'au moins cinquante salariés et que les délégués du personnels sont, également, mis en place dans le cadre de l'établissement (4).
La commission de recodification du Code du travail a souhaité clarifier l'écriture de cette règle. L'article L. 2143-6 vise, désormais, comme cadre de désignation du délégué du personnel, l'établissement, mais ce texte se trouve placé dans un paragraphe 2 intitulé "Entreprises de moins de cinquante salariés".
La combinaison des deux est alors particulièrement éclairante : la possibilité de désigner un délégué du personnel comme délégué syndical ne vaut que pour les "entreprises" de moins de cinquante salariés (§ 2), mais peut se faire dans le cadre de ses "établissements" distincts dont l'effectif est, par hypothèse, inférieur à ce même seuil.
En affirmant que "l'article L. 2143-6 du Code du travail [...] n'a pas modifié le champ d'application du dernier alinéa de l'article L. 412-11 qu'il remplace", la Chambre sociale de la Cour de cassation applique, ici, le principe d'interprétation à droit constant, que l'on peut, désormais, qualifier de "principe d'interprétation constante", qui doit prévaloir. Initialement, la référence au droit constant, implicite puis explicite dans les lois habilitant le Gouvernement à recodifier par voie d'ordonnance le Code du travail (5), constituait une contrainte pesant sur la Commission de recodification lors de ses travaux (6), une condition de validité de l'ordonnance, dont aucune juridiction, d'ailleurs, n'a eu à connaître (7), et un principe politique devant conduire le Parlement à ratifier, le cas échéant après certaines modifications, l'ordonnance, ce qui fut, d'ailleurs, fait lors du vote de la loi du 21 janvier 2008 (8). Mais une fois l'ordonnance ratifiée et le Code nouveau entré en vigueur, le principe du droit constant doit devenir un principe d'interprétation guidant le juge, principe en vertu duquel, sauf s'il résulte clairement des termes du texte nouveau, interprété par les travaux préparatoires du texte, que ce dernier a été volontairement modifié par la commission, dans le cadre qui avait été défini par les lois d'habilitation, la réécriture ne doit se traduire par aucun changement d'interprétation de la norme. Or, tel était bien le cas, ici, car la Commission de recodification n'avait nullement l'intention d'élargir le champ d'application de la règle, mais uniquement, comme nous l'avons indiqué, d'en clarifier la rédaction.
(1) Article 2 de la loi n° 68-1179, devenu l'article L. 412-4, alinéa 1er, du Code du travail (N° Lexbase : L6329ACE), en 1973.
(2) C. trav., art. L. 412-11, al. 4.
(3) Cass. soc., 6 juillet 1983, n° 82-60.613, Vervish, Godier c/ SA Bostik (N° Lexbase : A3777AGY), Dr. soc. 1984, p. 84, note J. Savatier ; Ass. plén., 14 juin 1985, n° 84-60.528, Mme Linder, Syndicat CFDT (N° Lexbase : A4899AAP), Dr. soc., 1985, p. 741, concl. C. Cabannes, note J. Savatier ; Cass. soc., 28 mai 1997, n° 96-60.225, Société Prisunic exploitation, société anonyme c/ Union départementale CFDT, inédit (N° Lexbase : A6207C4N).
(4) C. trav., art. L. 421-1, al. 1er (N° Lexbase : L6352ACA).
(5) L'article 84, II, de la loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004, de simplification du droit (N° Lexbase : L4734GUU), habilitant le Gouvernement à procéder à la recodification par ordonnance, disposait, en effet, que "les dispositions codifiées en vertu du I sont celles en vigueur au moment de la publication des ordonnances", mais ne faisait pas expressément au "droit constant". Cette expression a été formellement introduite dans la seconde loi d'habilitation, prolongeant de 9 mois le délai laissé au Gouvernement (article 57, I, de la loi n° 2006-1770 du 30 décembre 2006, pour le développement de la participation et de l'actionnariat salarié et portant diverses dispositions d'ordre économique et social N° Lexbase : L9268HTG) : "I - Dans les conditions prévues par l'article 38 de la Constitution (N° Lexbase : L1298A9X), le Gouvernement est autorisé à procéder par ordonnance à l'adaptation des dispositions législatives du Code du travail à droit constant".
(6) Lire nos obs., Le Code du travail nouveau est arrivé !, Lexbase Hebdo n° 253 du 22 mars 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N3582BAW).
(7) Le Conseil d'Etat n'a pas statué sur le recours pour excès de pouvoir dirigé contre l'ordonnance du 12 mars 2007 (ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007, relative au Code du travail (partie législative) N° Lexbase : L6603HU4) et le Conseil constitutionnel a considéré qu'il n'entrait pas dans ses compétences de contrôler la conformité de l'ordonnance à la loi d'habilitation (décision n° 2007-561 DC du 17 janvier 2008, Loi ratifiant l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007, relative au Code du travail (partie législative), § 12 N° Lexbase : A7427D3H).
(8) Loi n° 2008-67 du 21 janvier 2008, ratifiant l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007, relative au Code du travail (partie législative) (N° Lexbase : L7792H3Y).
Décision
Cass. soc., 29 avril 2009, n° 08-60.484, Union départementale Force ouvrière de Savoie, F-P+B (N° Lexbase : A6583EGW) Rejet TI Aix les Bains, contentieux des élections professionnelles, 17 juillet 2008 Textes concernés : C. trav., art. L. 2143-6 (N° Lexbase : L3785IBS) Mots clef : délégué syndical ; désignation ; entreprises de moins de 50 salariés ; nouveau Code du travail ; interprétation Lien base : |
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:350650
Lecture: 11 min
N0657BKK
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 07 Octobre 2010
La garantie légale des vices cachés suscite un important contentieux qui, en dépit des précisions maintes fois répétées par la Cour de cassation, ne se tarit manifestement pas. En dehors même de la difficulté tenant à la distinction de l'obligation de délivrance du vendeur, d'une part, définie par l'article 1604 du Code civil (N° Lexbase : L1704ABQ) comme "le transport de la chose vendue en la puissance et possession de l'acheteur", et qui suppose, précisément, que le vendeur lui délivre une chose conforme à ce à quoi il s'est engagé, et, d'autre part, de l'obligation de garantie des vices cachés de l'article 1641 (N° Lexbase : L1743AB8) du même code, aux termes duquel "le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminue tellement cet usage, que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus", et sur laquelle l'occasion a déjà été donnée, à de très nombreuses reprises, de revenir, d'autres questions continuent d'agiter la jurisprudence. A s'en tenir, en effet, aux décisions les plus récentes ici même évoquées, on se souvient qu'un arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation du 17 décembre 2008 (Cass. civ. 3, 17 décembre 2008, n° 07-20.450, FS-P+B N° Lexbase : A9081EBX) avait à trancher la question de savoir si le vice invoqué par l'acquéreur devait effectivement être considéré comme caché ou bien s'il ne s'agissait en réalité pas d'un vice apparent échappant, ainsi, à la garantie due par le vendeur (voir nos obs., La Chronique de droit des contrats de David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI) - Janvier 2009, Lexbase Hebdo n° 333 du 15 janvier 2009 - édition privée générale N° Lexbase : N2322BIT).
Plus récemment, la première chambre civile, par un arrêt du 19 mars 2009 (Cass. civ. 1, 19 mars 2009, n° 08-12.657, F-P+B N° Lexbase : A0892EER et nos obs., La Chronique de droit des contrats de David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI) - Avril 2009, Lexbase Hebdo n° 345 du 9 avril 2009 - édition privée générale N° Lexbase : N0080BK8), rappelait que l'appréciation de la "destination normale" de la chose dans la garantie légale des vices cachés devait se faire in concreto, ce qui, en définitive, paraissait assez logiquement s'imposer. Voici, à présent, que deux arrêts de la troisième chambre civile du 8 avril 2009 abordent deux autres séries de questions, l'une relative à l'efficacité des clauses limitatives ou exclusives de garantie, l'autre relative à la question de savoir si la restitution d'une fraction du prix de vente peut constituer un préjudice indemnisable.
Dans le premier arrêt (n° 08-12.960), en effet, il s'agissait de savoir si une clause exclusive de garantie stipulée à l'acte était ou non opposable à l'acquéreur. Concrètement, l'état parasitaire, annexé à l'acte de vente comportant une clause d'exclusion de garantie des vices cachés, certifiait l'absence de termites. Mais l'acheteur, qui avait découvert, au cours de la réalisation de travaux d'aménagement, une infestation importante de ces parasites ayant fortement attaqué la structure en bois de l'immeuble, avait assigné le vendeur en garantie des vices cachés estimant qu'il ne pouvait ignorer la présence de termites compte tenu de l'état parasitaire annexé à son propre acte d'acquisition quelques années plus tôt, en 2001.
Il faut ici rappeler que l'article 1643 du Code civil (N° Lexbase : L1746ABB) dispose que le vendeur "est tenu des vices cachés, quand même il ne les aurait pas connus, à moins que, dans ce cas, il n'ait stipulé qu'il ne sera obligé à aucune garantie". Et l'on sait que la jurisprudence décide que le vendeur professionnel ne peut ignorer les vices de la chose (1). Autrement dit, le vendeur professionnel est présumé connaître les vices de la chose, ce en quoi il est assimilé à un vendeur de mauvaise foi ne pouvant, pour cette raison, se prévaloir des limitations ou exonérations conventionnelles de garantie. Tout cela est parfaitement entendu. Et l'on n'ignore pas davantage que, selon le droit positif, la qualité de professionnel de l'acquéreur, et plus précisément sa propre compétence, peuvent tout de même exercer une influence en la matière. Il en va ainsi dans les relations entre professionnels de la même spécialité : lorsque l'acquéreur est de la même spécialité que le vendeur, la jurisprudence admet que les conventions restreignant ou écartant la garantie contre les vices cachés doivent produire leurs effets (2). C'est alors la compétence technique de l'acquéreur, égale à celle dont est présumé investi le vendeur, qui justifie de ne plus le faire bénéficier d'une protection particulière, et redonne son effet à la convention relative à la garantie.
Mais point de présomption en l'espèce puisque la vente avait eu lieu entre particuliers. Aussi bien fallait-il rechercher et établir la connaissance par les vendeurs du vice. C'est ce qu'avaient fait les juges du fond, approuvés ici par la Cour de cassation qui décide que "ayant, par motifs propres et adoptés, relevé que l'état parasitaire établi en 2001, dont ni le technicien chargé du diagnostic de 2003, ni les acquéreurs, n'avaient eu connaissance, faisait apparaître 'la présence de traces de termites sur les murs de la cave et le long des tuyaux de chauffage dans le hall d'entrée', 'la présence de termites dans les plinthes en bois' et 'des traces de termites dans les parties accessibles au jour du contrôle', la cour d'appel, qui a caractérisé la connaissance du vice par les vendeurs en retenant que la présence, même sans activité, de termites dans un immeuble ancien constituait un vice dès lors qu'il était acquis que, de manière très rapide, une situation caractérisée par une simple présence pouvait évoluer de manière aléatoire et non prévisible vers une véritable infestation provoquée par un regain d'activité, en a exactement déduit [...] que la clause de non-garantie était inopposable à l'acquéreur, et a légalement justifié sa décision".
Une fois constatée l'existence d'un vice caché, l'acquéreur a, conformément à l'article 1644 du Code civil (N° Lexbase : L1747ABC), "le choix de rendre la chose et de se faire restituer le prix, ou de garder la chose et de se faire rendre une partie du prix, telle qu'elle sera arbitrée par experts". L'acheteur dispose ainsi, à son choix (3), des deux actions rédhibitoire et estimatoire, et peut d'ailleurs, après avoir intenté l'une d'elles, exercer l'autre tant qu'il n'a pas été statué sur sa demande par décision passée en force de chose jugée (4). Dans l'hypothèse dans laquelle l'acquéreur opterait pour l'action estimatoire, le vendeur, contraint de lui restituer une fraction du prix, peut-il appeler en garantie un tiers fautif et prétendre, à ce titre, à une indemnisation ?
Telle était la question à laquelle était invitée à répondre le second arrêt du 8 avril dernier (n° 07-19.690). En l'espèce, le vendeur, condamné à restituer à l'acquéreur une fraction du prix de vente en raison de l'existence d'un vice caché de l'immeuble, s'était retourné contre le notaire qui avait procédé à la vente au motif qu'il n'avait pas informé le vendeur de l'obligation de fournir un état parasitaire du bâtiment conforme aux dispositions de la loi du 8 juin 1999 et qu'il s'était abstenu d'attirer son attention sur les conséquences de l'inobservation de cette prescription, à savoir l'inefficacité de la clause d'exonération de garantie. Mais la Cour de cassation rejette le pourvoi et décide, par un motif de pur droit substitué à celui critiqué, que "la restitution à laquelle un contractant est condamné à la suite de la réduction du prix de vente prévue à l'article 1644 du Code civil, ne constitue pas par elle-même un préjudice indemnisable ouvrant droit à réparation au profit de ce co-contractant".
La solution ne doit pas surprendre, la Cour de cassation ne faisant ici que répéter une solution déjà acquise (5). Il avait déjà été jugé : au sujet d'une restitution suivant une éviction partielle, que "le remboursement à l'acquéreur de la valeur de la partie dont il se trouve évincé, prévu par l'article 1637 du Code civil en cas d'éviction partielle du fonds vendu, ne constitue pas, par lui-même, un préjudice indemnisable" (6) ; au sujet des restitutions consécutives au prononcé de la nullité, que "la restitution à laquelle un contractant est condamné à la suite de l'annulation d'un contrat ne constitue pas, par elle-même, un préjudice indemnisable" (7) ; au sujet de la restitution de la fraction du prix prévue par l'article 1619 du Code civil (N° Lexbase : L1719ABB) pour la vente d'un immeuble en l'état futur d'achèvement, que "la restitution de partie du prix à laquelle un contractant est condamné ne constitue pas, par elle-même, un préjudice indemnisable permettant une action en garantie" (8).
La solution doit être approuvée au motif, comme on a justement pu le dire, que, en réalité, dans ces hypothèses, s'il n'y a pas préjudice, c'est parce que le vendeur ne perd rien qu'il ait eu, en justice, vocation à recevoir. Il détenait "un excédent de prix en contravention à l'idée de justice commutative, qui innerve tous les rapports d'échange" (9). L'excédent auquel il n'avait en fait pas droit justifie ainsi l'absence de préjudice indemnisable.
Le contrat réel est celui qui, pour sa formation, exige non seulement l'accord des parties, mais la remise d'une chose au débiteur. Tel est le cas du prêt, du gage et du dépôt. L'opportunité du maintien de la notion de contrat réel a été discutée : alors que certains ont prôné sa suppression en faisant valoir que la catégorie n'était qu'une source de complications inutiles (10), d'autres ont, au contraire, relevé que, "ayant le mérite de rappeler l'importance des éléments matériels, la catégorie des contrats réels traduirait l'importance du déplacement de valeur" et rendrait compte d'une "conception moins intellectuelle, plus concrète et par là plus vraie des relations contractuelles" (11). La jurisprudence a, en tout cas, brouillé l'image du contrat de prêt d'argent en distinguant selon qu'il est conclu entre particuliers ou bien qu'il est consenti par un professionnel. Si, en effet, elle continue de considérer que le prêt de consommation est bien en principe un contrat réel (12), elle décide, en revanche, que tel n'est plus le cas lorsque le prêt est consenti par un professionnel du crédit, ce que confirme un récent arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 7 avril dernier. La solution n'est, dès lors, pas sans incidence sur l'appréciation de l'existence de l'obligation de l'emprunteur.
En l'espèce, une banque, qui avait consenti à l'un de ses clients un découvert en compte courant à concurrence de 14 000 euros, l'avait, après lui avoir notifié la cessation de ce concours, mis en demeure de lui en payer le solde débiteur ainsi que les échéances du prêt restées impayées et l'avait assigné en paiement.
On passera rapidement sur le second moyen du pourvoi selon lequel le client, en défense, réclamait à la banque le paiement de dommages et intérêts au motif que la banque avait manqué à son devoir de mise en garde lors de la conclusion du prêt en ne s'assurant pas que la charge du remboursement, en s'ajoutant aux autres charges du fonds, pouvait être supportée par l'exploitation du fonds à l'acquisition duquel le prêt était affecté. Il faut dire que, sans grande surprise compte tenu de la jurisprudence en la matière (13), la Cour de cassation rejette le moyen en énonçant que "ayant retenu, par motifs propres et adoptés, que M. X avait exercé de longue date une activité de pâtissier-chocolatier avant de céder la branche pâtisserie pour ne conserver que la branche chocolaterie, ce dont il résultait qu'à la date de l'octroi des crédits, il était un emprunteur averti et que la caisse n'était tenue d'aucun devoir de mise en garde à son égard dès lors qu'il n'était pas prétendu qu'elle aurait eu, sur les revenus de M. X, son patrimoine et ses facultés de remboursement prévisibles en l'état du succès escompté de l'opération, des informations que lui-même aurait ignorées, la cour d'appel a légalement justifié sa décision".
Le premier moyen, qui retiendra ici l'attention, soutenait, plus radicalement, que le contrat du prêt était nul pour absence de cause. La demande avait été rejetée par les premiers juges qui avaient considéré que "la cause du prêt réside dans la délivrance des fonds, laquelle a été réalisée". C'est sur ce terrain que la Cour de cassation exerce sa censure, décidant, sous le visa des articles 1131 (N° Lexbase : L1231AB9) et 1134 (N° Lexbase : L1234ABC) du Code civil, que "le prêt consenti par un professionnel du crédit n'est pas un contrat réel ; que c'est dans l'obligation souscrite par le prêteur, que l'obligation de l'emprunteur trouve sa cause, dont l'existence, comme l'exactitude, doit être appréciée au moment de la conclusion du contrat".
La solution, bien qu'elle ne soit pas inédite, est importante. Il faut, en effet, rappeler qu'un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 27 mai 1998 avait déjà posé en principe que "les prêts régis par les articles L. 312-7 (N° Lexbase : L6769ABC) et suivants du Code de la consommation n'ont pas la nature de contrat réel" (14). Il est vrai, cependant, que la portée de cette solution avait été discutée : s'appuyant sur le fait que les lois "Scrivener" de 1978 et de 1979 (loi n° 79-596 du 13 juillet 1979, relative à l'information et à la protection des emprunteurs dans le domaine immobilier N° Lexbase : L2593DZ3) sur le crédit à la consommation avait mis en place un formalisme protecteur des consommateurs, conférant à ces contrats un "certain caractère solennel" (15), on avait fait de ce particularisme la justification de cette solution, au point d'ailleurs de considérer qu'elle réaffirmait indirectement le caractère réel du prêt de consommation. La suite devait démentir cette interprétation, puisque la même première chambre civile, par un arrêt en date du 28 mars 2000, devait finalement poser en principe que "le prêt consenti par un professionnel du crédit n'est pas un contrat réel" (16), ce que devait, ensuite, réaffirmer la Haute juridiction à plusieurs reprises (17). C'est cette solution que répète l'arrêt de la Chambre commerciale du 7 avril 2009. Aussi bien le prêt consenti par un professionnel du crédit n'est plus un contrat réel mais un contrat consensuel (18) ; en revanche, le prêt qui n'est pas consenti par un établissement de crédit demeure un contrat réel supposant la remise de la chose (19).
Toujours est-il que, ayant posé, en amont, que le prêt consenti par un professionnel du crédit n'est pas un contrat réel, il est, dès lors, cohérent que la Cour de cassation en déduise que "c'est dans l'obligation souscrite par le prêteur, que l'obligation de l'emprunteur trouve sa cause, dont l'existence, comme l'exactitude, doit être appréciée au moment de la conclusion du contrat". Se formant par le seul échange des consentements, et revêtant du même coup un caractère synallagmatique, les obligations du prêteur et de l'emprunteur se servent, en effet, mutuellement de cause : le prêteur s'engage à mettre à la disposition de l'emprunteur une somme d'argent en contrepartie de l'engagement de celui-ci de lui verser des intérêts et de la lui restituer une fois le terme échu.
David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI)
(1) Cass. com., 27 novembre 1991, n° 89-19.546, Mutuelle assurance artisanale de France (MAAF) et autre c/ M. Doundov et autres (N° Lexbase : A8615AHK), Bull. civ. IV, n° 367 ; Cass. com., 21 janvier 1992, n° 90-12.345, SA Lachaise c/ SA Faure charcuterie Enval (N° Lexbase : A5074AYL), Contrats, conc., consom., 1992, n° 94, obs. L. Leveneur ; Cass. civ. 2, 30 mars 2000, n° 98-15.286, Société IG industries c/ M. Sibille et autres (N° Lexbase : A5369CK3), Bull. civ. II, n° 57.
(2) Pour l'affirmation du principe : Cass. com., 8 octobre 1973, n° 71-14.322 (N° Lexbase : A6478CGZ), D., 1973, somm. p. 152 ; JCP éd. G, 1975, II, 17927, note J. Ghestin. Voir, depuis, et toujours dans le même sens : Cass. com., 6 novembre 1978, n° 76-15.037 (N° Lexbase : A3798CGR), JCP éd. G, 1979, II, 19178, note J. Ghestin ; Cass. com., 3 décembre 1985, n° 84-13.230, SA Stinox c/ Sarl Transfinistérienne, SA Finistérienne de cabotage (N° Lexbase : A5522AAR), Bull. civ. IV, n° 287 ; Cass. civ. 3, 27 septembre 2000, n° 99-10.297, M. Joseph Vignolo et autres c/ Société civile immobilière (SCI) Lifla (N° Lexbase : A2672C4Q), D., 2001, p. 2628, note J.-P. Storck.
(3) Sur le fait que ce choix s'exerce sans que l'acheteur ait à le justifier : Cass. civ. 1, 5 mai 1982, n° 81-10.315, SA 3M France c/ Carre (N° Lexbase : A7511AGB), Bull. civ. I, n° 163.
(4) Cass. civ. 2, 11 juillet 1974, n° 73-10.415, Upuis c/ Galland (N° Lexbase : A0642CHA), Bull. civ. II, n° 231.
(5) Cass. civ. 1, 16 janvier 2001, n° 98-16.732, GAN incendie accidents (N° Lexbase : A3187ARH), Bull. civ. I, n° 4, Rép. Defrénois, 2001, p. 722, obs. J.-L. Aubert.
(6) Cass. civ. 1, 14 juin 2005, n° 02-17.792, Société civile professionnelle (SCP) James c/ Mme Marie Macario, épouse Moulin Traffort, FS-D (N° Lexbase : A7450DIR).
(7) Cass. civ. 1, 13 octobre 1999, n° 97-14.295, Société Les Gémeaux, société à responsabilité limitée c/ Société civile professionnelle (SCP) Dutrieux, David, Klifa, Lagouche et autres, inédit (N° Lexbase : A7225CSE), RTDCiv., 2000, p. 124, obs. P. Jourdain.
(8) Cass. civ. 3, 8 novembre 2006, n° 05-16.948, Société d'architectes Panet-Desseigne, FS-P+B (N° Lexbase : A3051DSS), JCP éd. G, 2007, I, 115, obs. Ph. Stoffel-Munck.
(9) Ph. Stoffel-Munck, obs. préc..
(10) Voir not. J. Huet, Les principaux contrats spéciaux, LGDJ, n° 22129.
(11) J. Ghestin, La formation du contrat, n° 452.
(12) Voir not. Cass. civ. 1, 20 juillet 1981, n° 80-12.529, Société Piter c/ Bibal, Banroques (N° Lexbase : A0228AZH), Bull. civ. I, n° 267.
(13) Voir not., Cass. civ. 1, 6 décembre 2007, n° 06-15.258, M. Paul Briquet, FS-P+B (N° Lexbase : A0307D3R).
(14) Cass. civ. 1, 27 mai 1998, n° 96-17.312, Caisse nationale de prévoyance c/ M. Verset (N° Lexbase : A2780ACX), D., 1999, p. 194.
(15) J. Huet, Les principaux contrats spéciaux, LGDJ, n° 22130.
(16) Cass. civ. 1, 28 mars 2000, n° 97-21.422, Société UFB Locabail c/ M. Bermond (N° Lexbase : A3516AUR), JCP éd. G, 2000, II, 10296, concl. J. Sainte-Rose, note S. Piédelièvre.
(17) Cass. civ. 1, 27 novembre 2001, n° 99-10.633, M. Didier Balkany, FS-P+B+R (N° Lexbase : A2833AX9), JCP éd. G, 2002, II, 10050, note S. Piédelièvre ; Cass. civ. 1, 5 juillet 2006, n° 03-21.142, Mme Anny Rivière, épouse Métivier, FS-P+B (N° Lexbase : A3616DQY), D., 2007 p. 50, note J. Ghestin.
(18) Sur cette qualification, s'agissant des contrats conclus entre professionnels et consommateurs, voir not. L. Aynès, in Le droit du crédit au consommateur, p. 63.
(19) Cass. civ. 1, 7 mars 2006, n° 02-20.374, M. Guillaume Laurre c/ Mme Emmanuelle Gobry, divorcée Hugonin, FS-P+B (N° Lexbase : A4939DNA), Contrats, conc., consom., 2006, n° 128, obs. L. Leveneur ; Cass. civ. 1, 19 juin 2008, n° 06-19.753, Mme Michèle Hirskowitz, épouse Feige, FS-P+B+I (N° Lexbase : A2147D9E), JCP éd. G, 2008, IV, 2313.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:350657
Lecture: 8 min
N0741BKN
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Daniel Faucher, Consultant au CRIDON de Paris
Le 07 Octobre 2010
L'administration vient d'intégrer dans sa doctrine la décision de la Cour de cassation qui avait précisé que la faculté mise à la disposition de l'administration de demander aux héritiers du défunt les relevés bancaires de ce dernier n'est pas un préalable obligatoire à l'exercice de son droit de communication directement auprès de l'organisme bancaire qui gérait les comptes du défunt (Cass. com., 26 mars 2008, n° 07-12.470, F-P+B N° Lexbase : A6120D7S).
1. Une recommandation...
Le droit de communication que les agents détiennent auprès des établissements de crédit résulte des dispositions de l'article L. 85 du LPF (N° Lexbase : L3917ALN) dans la mesure où ces établissements sont soumis aux obligations des articles L. 123-12 (N° Lexbase : L5570AI7) à L. 123-28 du Code de commerce et de l'article L. 83 du LPF (N° Lexbase : L7615HER) dès lors qu'ils sont soumis au contrôle de l'autorité administrative. En principe, les dispositions de l'article L. 85 du LPF, qui visent l'ensemble des documents comptables détenus par les établissements de crédit, doivent normalement suffire pour satisfaire à la plupart des demandes de communication utiles au service. Selon la doctrine administrative tant en matière d'examen contradictoire de la situation fiscale personnelle (ESFP) que de contrôle de succession, les demandes de relevés de comptes et de copies de chèques adressées aux banques et CCP doivent, sauf cas exceptionnels, être limitées aux seuls cas pour lesquels les contribuables ou les héritiers préalablement interrogés, n'auront pas satisfait eux-mêmes à la demande du service (Doc. adm. 13 K 1232 n° 5 du 1er juin 2001 et BOI 13 K-2-88).
2.... qui n'est pas une interprétation formelle de la loi fiscale !
Sur la portée de cette doctrine, dans un litige qui opposait des héritiers à l'administration fiscale, la cour d'appel avait jugé que son contenu avait seulement pour objet de limiter le nombre de demandes auprès des banques en recommandant aux agents de s'adresser en premier lieu au contribuable. Selon la cour, ce texte ne constituait ni une réglementation, ni une interprétation formelle de la loi fiscale opposable à l'administration. La Haute juridiction, dont la décision est aujourd'hui intégrée dans la doctrine administrative, avait décidé que l'administration n'avait donc pas l'obligation dans l'exercice de son droit de communication auprès des établissements bancaires de s'adresser au préalable aux héritiers.
Peut-on demander au juge de contrôler le contenu même de la charte qui est remise à tout contribuable vérifié ? Le sujet est important puisqu'une charte qui n'est pas à jour peut induire en erreur le contribuable sur ses droits. Or, le Conseil d'Etat vient de confirmer que, si le défaut de remise de la charte est susceptible d'entraîner la nullité de la vérification, la remise d'une charte périmée ne vicie pas la procédure, exception faite du cas où le contribuable aurait été privé d'une garantie essentielle du fait de la remise du document incomplet.
On sait qu'avant d'engager les opérations de contrôle, le vérificateur doit obligatoirement envoyer ou remettre au contribuable la charte des droits et obligations du contribuable vérifié. Ce document a pour objet de résumer les principales règles applicables en matière de contrôle fiscal. Les dispositions qui y sont contenues sont opposables à l'administration.
1. Le défaut de remise de la charte
Le défaut de remise de la charte du contribuable vérifié est susceptible d'entraîner la nullité de la vérification, et, par suite l'abandon des rappels d'impôts (Doc. adm. 13 L-1311 n° 47 du 1er juillet 2002). En effet, la remise préalable de cette charte, avant le début de toute vérification (vérification de comptabilité ou examen contradictoire de la situation fiscale personnelle), permet à l'intéressé d'être informé du déroulement de ces contrôles, de ses obligations ainsi que des garanties dont il bénéficie. En cas de contrôle inopiné ou de remise de l'avis de vérification et de la charte en mains propres lors de la première intervention sur place, le service doit porter en marge de la copie de l'avis qu'il conserve la mention suivante : "un exemplaire de la charte des droits et obligations du contribuable vous a été remis le ..." et demander au contribuable d'apposer sa signature à la suite de cette mention.
2. La remise d'une charte périmée
Conçue pour favoriser la compréhension entre les contribuables et les agents des impôts, le contenu de la charte évolue nécessairement en fonction des dernières dispositions issues, chaque année, des lois de finances. La remise d'une charte ne contenant pas ces dispositions nouvelles est un risque incontestable, principalement en début d'année. Pour déterminer les conséquences qu'il convenait de tirer de la remise d'une charte périmée, le juge avait le choix entre le contrôle de son contenu et s'assurer du fait que le contribuable n'avait pas été privé d'une garantie essentielle. Dans le premier cas, il aurait examiné si, dans chaque affaire qui lui était soumise, la charte était actualisée et si elle contenait toutes les précisions nécessaires. Dans le second, il se "contenterait" de vérifier si l'absence d'une mention devant figurer dans la charte prive, en fait, le contribuable d'une garantie essentielle. Auquel cas, en application des dispositions de l'article L. 80 CA du LPF (N° Lexbase : L8571AE8), l'irrégularité substantielle entachant la procédure entraînerait la décharge de l'ensemble des droits rappelés. C'est cette seconde alternative qui a été retenue par le Conseil d'Etat (CE 8° et 3° s-s-r., 20 octobre 2000, n° 204814, Société anonyme Comelec N° Lexbase : A9594AHS) et qui vient d'être récemment confirmée dans l'arrêt du 4 mars 2009. Au cas particulier, le vérificateur avait remis à une entreprise une charte qui n'était pas à jour en ce qu'elle mentionnait que la durée de la vérification sur place ne pouvait excéder trois mois pour les moyennes et petites entreprises dont le chiffre d'affaires n'excédait pas 3 millions de francs (457 347 euros), alors que cette limite avait été portée à 3,5 millions de francs (533 571 euros) à la date de la vérification. L'absence de cette mise à jour n'a pas été jugée comme privant le contribuable d'une garantie essentielle dès lors que la vérification n'avait pas duré plus de trois mois. Dans l'affaire examinée en 2000, les juges du Palais Royal avaient précisé que l'omission des dispositions relatives à la déduction en cascade des droits rappelés au titre de la TVA et au délai de réponse laissé au contribuable en cas d'accord sur les redressements n'avait privé la société contrôlée d'aucune garantie essentielle. On remarquera que de telles décisions, empreintes d'opportunité au motif qu'une autre solution aurait risqué de fragiliser de nombreux contrôles, permettent à l'administration d'échapper à l'obligation d'actualiser la charte à chaque changement de législation.
L'article L. 170 du LPF (N° Lexbase : L8523AEE) dispose que les omissions ou insuffisances d'imposition révélées, soit par une instance devant les tribunaux, soit par une réclamation contentieuse peuvent être réparées jusqu'à l'expiration de l'année suivant celle de la décision qui a clos l'instance et, au plus tard, jusqu'à la fin de la dixième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due (avant l'entrée en vigueur de la loi de finances pour 1990, c'est le juge qui limitait l'application de cet article à dix ans à compter du fait générateur). Cet article permet donc de relever le fisc de l'application de la prescription générale qui résulte de l'article L. 169 du LPF (N° Lexbase : L4168ICD).
1. Principe
Les deux délais de l'article L. 170 sont dépendants. Autrement dit, à l'intérieur du délai de dix ans du fait générateur, la décision qui clôt l'instance lui substitue le délai de un an qui court à compter de cette décision. Ce délai d'une année se combine lui-même avec les délais de droit commun. Une omission ou insuffisance révélée par une instance peut donc être utilement réparée jusqu'au 31 décembre de la troisième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due, en application de l'article L. 169 du LPF, alors même que le délai d'un an prévu à l'article L. 170 serait échu. Ainsi, pour l'impôt sur le revenu dû au titre de l'année 2008, si la date de la décision clôturant l'instance est le 14 mai 2009, la prescription n'est acquise que le 31 décembre 2011, (LPF, art. L. 169), alors que le délai d'un an est expiré après le 31 décembre 2010 (LPF, art. L. 170). En revanche, si la décision intervient le 14 mai 2017, la prescription est acquise le 31 décembre 2018 (LPF, art. L. 170, dont les deux délais se confondent). La notion d'instance devant les tribunaux s'entend de la phase de l'exercice de l'action publique et de l'instruction. L'administration n'est donc pas tenue d'attendre l'intervention de la décision de clôture pour réparer une omission révélée par l'instruction pénale (CAA Paris, 5ème ch., 16 octobre 2006, n° 04PA02834, M. Alphonse Faure N° Lexbase : A2483DSR). Elle n'est pas tenue, non plus, comme viennent de le considérer les juges du Palais Royal, d'attendre que le juge d'instruction ait pris son ordonnance de renvoi de l'affaire devant le tribunal correctionnel (CE, 27 avril 2009, n° 296346).
2. Application
Les dispositions de l'article L. 170 ont été jugées applicables à un contribuable, gérant une discothèque, qui tenait une double billetterie au motif que ce procédé de fraude avait été révélé par l'instruction devant le tribunal correctionnel (CE 9° et 10° s-s-r., 20 février 2008, n° 281130, M. Chenevière N° Lexbase : A0420D7P). De même, l'activité occulte d'un contribuable étant révélée par les pièces de la procédure judiciaire close par jugement rendu le 30 janvier 1991, le délai spécial a pu commencer à courir à compter de cette date, alors même que le jugement du tribunal ne précisait pas l'origine des revenus litigieux (CE 9° et 10° s-s-r., 17 novembre 2006, n° 254526, M. et Mme Giral N° Lexbase : A5440DSB).
3. Exception
L'administration ne peut se prévaloir du délai spécial de reprise si elle a eu connaissance des omissions en d'autres circonstances, comme au cours d'une vérification de comptabilité ou d'une procédure de redressement antérieure à la plainte (CE 8° s-s., 13 juillet 1966, n° 61296 N° Lexbase : A9353B7K). Tel était le cas dans l'affaire récemment examinée par le Conseil d'Etat. Au cas particulier, dans l'exercice du droit de communication prévu à l'article L. 80 F du LPF (N° Lexbase : L8732G8W), concernant la recherche des manquements aux règles de facturation auxquelles sont soumis les redevables de la TVA, le service avait été informé par une note de l'existence d'un dispositif de surfacturation. Le service de contrôle avait préféré attendre les résultats de l'instruction pénale avant de notifier les redressements, en se fondant sur le délai de reprise spécial. Mal lui en prit, puisque, ayant pu, avant d'obtenir les résultats de l'instruction, notifier les redressements dans le cadre de prescription ordinaire, le juge a considéré que l'application de l'article L. 170 du LPF ne pouvait être revendiquée (CE, 29 avril 2009, n° 299949).
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:350741
Lecture: 9 min
N0738BKK
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Anne Lebescond, Journaliste juridique
Le 07 Octobre 2010
La Cour de cassation devait, ici, décider si une procédure inconnue de notre droit positif pouvait recevoir plein effet dans notre système juridique, via son exequatur. La Haute cour a, déjà, répondu par l'affirmative concernant les injonctions in personam connues sous le nom d'"injonctions Mareva" (Cass. civ. 1, 30 juillet 2004, n° 01-03.248, FP+P+B+R+I N° Lexbase : A8829DCY) (3) (d'ailleurs, elles aussi sanctionnées, en cas de non-respect, par un contempt of court). La solution a, toutefois, été différente pour les anti-suit injonctions (CJCE, 27 avril 2004, aff. C 159/02, Gregory Paul Turne c/ Felix FaaredlsmailGrovit N° Lexbase : A9855DBM) (4), la Cour de justice les estimant contraires aux principes de droit de la défense. La question de l'exequatur d'un contempt of court, encore jamais tranchée par le juge français, était d'autant plus délicate en l'espèce, que les montants en jeux étaient importants, ainsi que nous l'expose Claire Picard et Katia Boneva-Desmicht, collaboratrices au sein du cabinet d'avocats Salans, conseil du receiver. Lexbase Hebdo - édition privée générale les a rencontrées, afin de faire la lumière sur les tenants et les aboutissants de cet arrêt de principe fondamental, soumis aux honneurs du Bulletin.
Lexbase : Pour savoir si le contempt of court prononcé par le juge américain à l'encontre du ressortissant américain était exécutoire en France, de quelle manière les juges de la Cour de cassation ont-ils, tout d'abord, déterminé si sa nature était civile ou pénale ?
Claire Picard et Katia Boneva-Desmicht : La question de la nature civile ou pénale du contempt of court est, ici, fondamentale, puisqu'il est admis que seule une décision civile peut faire l'objet d'une procédure d'exequatur (5). Selon le demandeur au pourvoi, la sanction revêtait une nature pénale, tout comme l'outrage à magistrat, délit auquel elle équivaudrait. Le caractère exorbitant de la sanction renforçait, en outre, sa vocation punitive. Il invoquait, à l'appui de son argumentation, l'arrêt du 30 juin 2004 (précité) sur les "injonctions Mareva", qui distinguait la nature civile de l'injonction de la nature pénale de la sanction de son non-respect.
Il n'y avait aucune certitude quant à la décision qui serait rendue par la Cour de cassation, qui avait laissé entrevoir qu'elle pouvait admettre une nature pénale à une décision de contempt of court puisque cette indication figurait, assez étrangement certes, entre parenthèses dans l'arrêt précité (6). Le rapport de la Cour de cassation fait état de deux propositions d'arrêts.
Cet arrêt du 30 juin 2004 (rendu lorsque notre instance était en cours) n'est, cependant, pas contradictoire avec la solution rendue par la première chambre civile le 28 janvier 2009. La question soumise à la Cour de cassation ne portait pas, alors, directement sur ce point de droit. Le premier arrêt concernait une procédure britannique, tandis que le second avait trait à une procédure américaine.
Aux Etats-Unis, le contempt of court peut aussi bien revêtir une nature civile qu'une nature pénale. Il a une nature pénale, lorsqu'il a pour unique but de sanctionner le comportement du débiteur, à qui nulle possibilité n'est laissée de remédier à la situation. Le dommage résultant du non respect des injonctions d'origine n'est pas davantage pris en compte dans le montant de la sanction pécuniaire. La sanction est, ici, perçue comme la punition d'une faute passée qui ne peut pas être purgée. Au contraire, la sanction aura une nature civile, dès lors qu'elle est envisagée comme une mesure coercitive qui prend la forme d'une astreinte, qui ne sera définitivement liquidée, qu'après qu'il soit donné au contrevenant d'ultimes possibilités (notamment, en lui accordant des délais supplémentaires) de se conformer aux injonctions de la décision de justice d'origine dont le non-respect est sanctionné par le contempt of court. L'astreinte liquidée tend, alors, à réparer une partie du préjudice résultant de l'abstention ou de l'action fautive du contrevenant et le montant de la sanction sera proportionnel à l'importance du préjudice.
En l'espèce, le juge américain, par une décision motivée (7), s'est prononcé sur la nature civile de l'astreinte, car elle avait pour objet la réparation du préjudice subi par les investisseurs, du fait de l'absence de coopération du requérant, qui n'a pas permis le recouvrement des actifs détournés. La possibilité avait été accordée au requérant de remédier à son comportement, puisque plus de six mois se sont écoulés entre la première injonction (le 21 janvier 2000) et la liquidation de l'astreinte par le juge américain (le 25 juillet 2000), avec, entre temps, le renouvellement de l'injonction (le 5 avril 2000).
De la même façon, la première chambre civile opte pour la nature civile de la sanction, "la condamnation de Monsieur [B.] au paiement d'une somme d'argent à titre de sanction du non respect d'une injonction du juge étranger constitu[ant] une décision de nature civile", ceci, d'autant que les infractions pénales reprochées n'interfèrent pas sur la nature de la sanction (8). Les magistrats soulignent, en outre, qu'il n'y a pas lieu de rapprocher la sanction civile d'entrave à l'administration de la justice d'un équivalent en droit français, le juge de l'exequatur n'ayant pas à rechercher si l'institution civile mise en oeuvre par la juridiction étrangère est connue du droit national.
Lexbase : Une fois la nature civile du contempt of court caractérisée, comment les magistrats ont-ils déterminé si la sanction avait un caractère disproportionné au manquement ?
Claire Picard et Katia Boneva-Desmicht : Le demandeur au pourvoi invoquait les dispositions de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen du 26 août 1789 (N° Lexbase : L1372A9P), selon lesquelles "la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée". Selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, ce principe ne concerne pas seulement les peines prononcées par les juridictions répressives, mais s'étend à toute sanction ayant le caractère de punition (9). Celui-ci soulignait le caractère disproportionné de la sanction, 13 millions de dollars US, avec le manquement allégué, en l'occurence l'absence de coopération avec l'administrateur ad hoc. Il séparait, en réalité, le non-respect de l'injonction des infractions boursières commises, fond du litige, des préjudices qui en ont découlé. Pourtant, c'était bien pour aboutir sur le fond du litige que l'injonction de coopération avait été formulée. Le requérant se prévalait, également, du principe de l'article 1er du protocole additionnel n° 1 à la Convention européenne des droits de l'Homme (N° Lexbase : L1625AZ9), selon lequel "toute personne a droit au respect de ses biens", toute atteinte devant être proportionnée au but poursuivi. Or, une condamnation à verser plus de 13 millions de dollars US équivalait, selon le demandeur au pourvoi, à une véritable expropriation.
Ces deux principes, à valeur constitutionnelle, sont partie intégrante de la conception française de l'ordre public international. Or, dans le cadre de la reconnaissance de l'exequatur, le contrôle de la décision dont l'exécution est demandée porte sur la conformité de celle-ci avec cet ordre public (10). Les juges du fond, puis la Cour de cassation, dans le cadre de ce contrôle, ont estimé que le montant du contempt of court n'était pas disproportionné : "mais attendu qu'ayant relevé que les détournements qui étaient reprochés à [B.] étaient évalués à 200 millions de dollars US, c'est sans méconnaître l'article 6 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen du 26 août 1789 et l'article 1er du protocole additionnel n° 1 à la Convention européenne des droits de l'Homme, que la cour d'appel a pu en déduire que le montant de l'astreinte liquidée n'était pas contraire au principe de proportionnalité".
Ce faisant, la Cour de cassation garde son contrôle, sans reconnaître, par principe, une conformité à l'ordre public français des décisions de contempt of court ; sa reconnaissance dépendra des circonstances de l'espèce et, notamment, du montant du préjudice subi sur le fond de l'affaire.
Lexbase : Quelle est la portée de cet arrêt ?
Claire Picard et Katia Boneva-Desmicht : Pour saisir la portée de cet arrêt, il faut cerner les différences majeures des deux systèmes juridiques de common law et romano-germaniques pour traiter des litiges relatifs aux détournements d'actifs. Les deux conceptions sont, en effet, diamétralement opposées.
Notre système romano-germanique, pour recouvrer les actifs détournés, raisonne sur les biens et non sur les personnes. Ainsi, la plupart du temps, il conviendra de procéder à des mesures conservatoires sur chaque actif détourné, comme les saisies réelles. En cas de dispersion des biens à l'étranger, les procédures et les droits applicables sont, donc, démultipliés et, avec elles, les avocats, les frais de justice..., en fonction des différentes localisations des actifs.
Le système anglo-saxon n'appréhende, quant à lui, la question que du seul point de vue des personnes juridiques (personnes physiques ou personnes morales) susceptibles de permettre le recouvrement ou de limiter les pertes (dont, notamment, l'auteur des détournements), ce qui limite considérablement les procédures et le droit applicable au nombre de personnes juridiques concernées et accroît les chances de reconstituer les actifs, soit directement, soit indirectement. Ainsi, le juge formule une injonction in personam, qui n'aura plus qu'à faire l'objet d'une demande d'exequatur dans chaque pays concerné pour y être exécutoire, comme le montre l'exemple de l'arrêt précité du 30 juin 2004. L'efficacité du système repose sur la sanction qui en est indissociable, puisqu'à défaut, pour ces personnes, de se conformer aux injonctions judiciaires, elles peuvent faire l'objet d'une décision de contempt of court dont le montant sera proportionné au préjudice subi. Cette sanction est, elle-même, sujette à exequatur, comme le montre le présent arrêt. Enfin, l'efficacité du système est renforcée par le fait que toute personne qui a connaissance de l'injonction est tenue d'agir en conséquence, sous peine d'être reconnue complice de l'auteur des infractions.
Dans ce mécanisme, les contempts of court apparaissent comme des armes juridiques de persuasion, plus que comme de véritables sanctions. La solution était, donc, loin d'être évidente, d'autant que le contempt of court ne connaît pas d'équivalent dans notre droit positif.
En accordant l'exequatur à la liquidation de l'astreinte prononcée par le juge américain, la France s'est ouverte à un système juridique bien différent du sien, participant, ainsi, à une politique judiciaire internationale dont ne peut pas se passer l'internationalisation des flux. Elle permet au juge américain de rendre possible sa justice. Toutefois, il n'est pas certain que cet arrêt ouvre la voie à la reconnaissance de la force exécutoire de toutes les "armes" juridiques issues du droit anglo-saxon, comme les punitives damages (11) par exemple.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:350738
Réf. : Cass. soc., 29 avril 2009, n° 07-19.880, Association Union générale des syndicats Force Ouvrière Véolia et filiales et a. c/ Société Ateliers de mécanique du pays d'Ouche et a., FS-P+B (N° Lexbase : A6446EGT)
Lecture: 7 min
N0652BKD
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
Le 07 Octobre 2010
Résumé
La reconnaissance d'une unité économique et sociale impose la mise en place des institutions représentatives du personnel qui lui sont appropriées et il appartient aux syndicats représentatifs de désigner des délégués syndicaux dans le cadre de cette unité économique et sociale et de mettre fin aux mandats antérieurs. Les mandats de délégués syndicaux désignés antérieurement à la reconnaissance de l'UES deviennent caducs par suite de cette reconnaissance. |
Commentaire
I - Reconnaissance d'une UES et mise en place des représentants du personnel
Ainsi que l'a parfaitement résumé la Cour de cassation dans un arrêt récent, "la reconnaissance conventionnelle ou judiciaire d'une unité économique et sociale entre entités juridiques distinctes, ayant des activités complémentaires ou similaires et caractérisée par une concentration du pouvoir de direction économique et une unité sociale, a pour objet d'assurer la protection des droits des salariés appartenant à une même collectivité de travail, et permettant à cette fin une représentation de leurs intérêts communs" (1). Cette décision rappelle opportunément que l'UES sert d'abord et avant tout de périmètre aux institutions représentatives du personnel, même si ce n'est sans doute plus là son unique objet.
On sait, en outre, qu'après quelques hésitations, la Cour de cassation a fini par admettre que les critères de l'UES sont les mêmes pour toutes les institutions représentatives du personnel (2). Ainsi que l'a parfaitement souligné un auteur, "s'affirme, ainsi, l'idée première selon laquelle la reconnaissance d'une unité économique et sociale exprime la réalité d'une entreprise unique au regard du droit du travail, réalité dont il y a lieu de tirer toutes les conséquences" (3).
Parmi ces conséquences, figure l'obligation de mettre en place les institutions représentatives du personnel appropriées au périmètre en cause. Cette solution d'importance, que la Chambre sociale rappelle dans l'arrêt sous examen, avait déjà été énoncée dans une décision antérieure (4).
Cette solution doit être approuvée. Parce qu'elle revient à constater l'existence d'une entreprise, la reconnaissance d'une UES impose, tant à l'employeur qu'aux syndicats, de mettre en place les représentants du personnel à ce niveau. Le Code du travail ne dit, d'ailleurs, pas autre chose lorsqu'il indique, à l'article L. 2322-4 (N° Lexbase : L2710H9A) que "lorsqu'une une unité économique et sociale regroupant cinquante salariés ou plus est reconnue par convention ou par décision de justice entre plusieurs entreprises juridiquement distinctes, la mise en place d'un comité d'entreprise commun est obligatoire" (nous soulignons). Il faut donc comprendre que la reconnaissance d'une UES est moins source d'options que source de contraintes en termes de mise en place des représentants du personnel. On est tenté de dire qu'à partir du moment où l'UES est constatée, le périmètre de l'entreprise se déplace des entités qui la composent vers celle qui les regroupe et, avec elle, le périmètre de désignation ou d'élection des représentants du personnel.
On admettra, avec un auteur, que "si l'UES est la même quelle que soit l'institution, le cadre de chacune des institutions ne se confond pas nécessairement avec le périmètre de l'UES. Il convient, à l'intérieur de ce périmètre de déterminer l'espace propre à chaque instance, c'est-à-dire l'établissement [...]. A défaut d'établissement distinct, le cadre de chacune des institutions se confond avec le périmètre de l'UES" (5). Cela étant admis, la difficulté réside dans la conciliation de cette idée avec la solution retenue dans l'arrêt sous examen.
Si la reconnaissance d'une unité économique et sociale impose la mise en place des institutions représentatives du personnel qui lui sont appropriées, cela ne conduit pas à ce que les représentants du personnel soient nécessairement désignés ou élus à ce niveau. Il faut comprendre que la reconnaissance d'une UES a, en quelque sorte, pour effet de "remettre les compteurs à zéro". Le périmètre de l'entreprise se situant, à compter de ce moment, au niveau de l'UES, les représentants du personnel doivent être mis en place à ce niveau. Toutefois, si les entités juridiquement distinctes qui composent l'UES peuvent être qualifiées d'établissements distincts, ces derniers constitueront un niveau pertinent pour la mise en place des institutions représentatives du personnel.
Pour être admissible, cette proposition exige que l'on s'interroge sur le sort des mandats en cours ; question qui était au coeur de l'arrêt sous examen.
II - Reconnaissance d'une UES et sort des mandats en cours
Dans l'arrêt précité du 26 mai 2004, la Cour de cassation a décidé, après avoir affirmé que "la reconnaissance d'une UES impose la mise en place des institutions représentatives du personnel qui lui sont appropriées", que "les mandats en cours cessent au jour des élections organisées au sein de l'UES, quelle que soit l'échéance de leur terme". Ainsi que l'avait relevé un auteur à l'époque, cette décision laissait en suspens le sort des mandats non électifs dont jouissent les délégués syndicaux. Plus précisément, il était relevé que "ceux-ci ont été désignés dans une configuration où les entreprises juridiquement distinctes, ultérieurement groupées en une UES, étaient considérées comme autonomes, notamment pour le calcul des effectifs justifiant la désignation de délégués syndicaux. Cela devrait conduire à une remise en cause des mandats en cours des délégués syndicaux, alors pourtant que les délais pour contester leur décision sont expirés" (6).
La décision rapportée vient confirmer cette assertion, la Chambre sociale considérant qu'il appartient aux syndicats représentatifs de désigner des délégués syndicaux dans le cadre de l'UES et que, surtout, les mandats des délégués syndicaux, désignés antérieurement à la reconnaissance de l'UES, étaient devenus caducs par suite de cette reconnaissance.
Cette solution peut, de prime abord, surprendre, dès lors qu'il est classiquement admis que, à partir du moment où la désignation d'un salarié en qualité de délégué syndical n'a pas été contestée dans le délai de quinze jours prévu à l'article L. 2143-8 du Code du travail (N° Lexbase : L2190H9Y), elle est purgée de tout vice (7). Cela laisse donc clairement supposer que, passé ce délai, le mandat ne peut être remis en cause que sur décision expresse du mandant, en l'occurrence de l'organisation syndicale auteur de la désignation, ou, éventuellement, du mandataire lui-même. De même, on sait que la réduction importante et durable de l'effectif en-dessous de cinquante salariés n'entraîne pas, ipso facto, la suppression du mandat de délégué syndical (C. trav., art. L. 2143-11 N° Lexbase : L3750IBI). Pour ces deux raisons au moins, on pouvait avancer que la reconnaissance d'une UES n'était pas de nature à entraîner la disparition des mandats de délégués syndicaux.
Pour autant, nous pensons que la solution retenue par la Cour de cassation doit être approuvée et que la référence à la caducité des mandats est particulièrement pertinente. Il suffit, ici, de rappeler que la caducité est "l'état de non-valeur auquel se trouve réduit un acte initialement valable du fait que la condition à laquelle était suspendue sa pleine efficacité vient à manquer par l'effet d'un évènement postérieur" (8).
La désignation d'un délégué syndical n'est valable que si elle intervient dans le périmètre adéquat. Sans doute pourra-t-il être rétorqué que passé le délai de 15 jours, cette circonstance importe peu dès lors que la désignation est purgée de tous vices à défaut de contestation. Mais cela ne peut se concevoir qu'au regard des vices qui existaient au moment de cette désignation. Or, la reconnaissance d'une UES intervenant par définition postérieurement, elle rend le mandat inefficace puisque l'une de ses conditions de validité vient à manquer a posteriori.
Il reste que le motif de principe retenu par la Cour de cassation peut surprendre. En effet, si les mandats des délégués syndicaux désignés antérieurement à la reconnaissance de l'UES sont caducs du seul fait de cette reconnaissance, on ne voit pas pourquoi il appartiendrait aux syndicats mandants de mettre fin aux mandats antérieurs.
Pour être justifiée, la solution retenue par la Cour de cassation dans l'arrêt sous examen n'est pas sans susciter des difficultés quant à sa mise en oeuvre. Tout d'abord, et cela avait déjà été relevé par le passé (9), il convient de s'interroger sur les effets des recours dont peut faire l'objet la décision du tribunal d'instance reconnaissant l'UES. Une première solution consisterait à ne rien faire, dans l'attente d'une décision définitive. Remarquons, cependant, que la décision de la Cour de cassation ne renferme aucune réserve en ce sens. Partant, il semble qu'il faille considérer que la caducité des mandats intervient dès la reconnaissance de l'UES, de même que la mise en place des représentants du personnel à ce niveau. Le problème réside, cependant, dans l'éventualité d'une annulation de la décision reconnaissant l'UES. Celle-ci aurait a priori pour effet d'entraîner la nullité des désignations des délégués syndicaux intervenus dans l'UES et le retour au statu quo ante.
Ensuite, et dans la mesure où le cadre de mise en place des représentants du personnel ne correspond pas nécessairement à l'UES, dès lors que l'on caractérise l'existence de certains établissements distincts au sein de celle-ci, la caducité des mandats est-elle nécessairement inéluctable ? En effet, en admettant que cela soit le cas, mais que l'on constate que chacune des entités où des délégués syndicaux avaient été désignés antérieurement à la reconnaissance de l'UES constituent un établissement distinct, les syndicats représentatifs pourraient désigner les mêmes salariés. Ne serait-il pas plus simple dès lors de considérer qu'il n'y a lieu à caducité des mandats que si les entités où ces derniers étaient exercés ne constituent pas des établissements distincts ?
Autant de questions auxquelles l'arrêt rapporté ne permet pas de répondre, mais qui se poseront sans doute dans un proche avenir.
(1) Cass. soc., 16 décembre 2008, n° 07-43.875, Société Assurance France Générali (N° Lexbase : A9180EBM) et les obs. de S. Tournaux, L'affinement de la notion d'unité économique et sociale, Lexbase Hebdo n° 333 du 14 janvier 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N2323BIU).
(2) Cass. soc., 1er décembre 1998, n° 97-60.492, Société générale Asset Management et autre c/ M. Dusseaux et autres (N° Lexbase : A4796AGQ).
(3) G. Couturier, L'unité économique et sociale. Trente ans après, SSL, suppl. au n° 1140.
(4) Cass. soc., 26 mai 2004, n° 02-60.935, Union générale des syndicats Force ouvrière Vivendi et filiales c/ Fédération Interco-CFDT (N° Lexbase : A2482DCW) et nos obs., Reconnaissance judiciaire d'une UES : mise en place des institutions représentatives du personnel appropriées et cessation des mandats en cours, Lexbase Hebdo n° 123 du 3 juin 2004 - édition sociale (N° Lexbase : N1765ABY).
(5) B. Boubli, L'Unité économique et sociale à l'époque des voeux. Etat des lieux et souhaits de réforme, SSL, n° 1156 et 1157, p. 6.
(6) J. Savatier, obs. sous l'arrêt en cause, Dr. soc., 2004, p. 917.
(7) V., en dernier lieu, Cass. soc., 4 mars 2009, n° 08-40.500, M. Lannoy c/ Association Definord N° Lexbase : A6434EDN, JCP éd. S, 2009, 1191, avec l'avis de D. Allix.
(8) Vocabulaire juridique, publié sous la direction de G. Cornu, Puf.
(9) V. les obs. préc. de J. Savatier.
Décision
Cass. soc., 29 avril 2009, n° 07-19.880, Association Union générale des syndicats Force Ouvrière Véolia et filiales et a. c/ Société Ateliers de mécanique du pays d'Ouche et a., FS-P+B (N° Lexbase : A6446EGT) Rejet CA Paris, 18ème ch., sect. C, 28 juin 2007, n° 06/13728 (N° Lexbase : A4522DY7) Textes concernés : C. trav., art. L. 2143-3 (N° Lexbase : L3719IBD), L. 2143-11 (N° Lexbase : L3750IBI) et L. 2322-4 (N° Lexbase : L2710H9A) Mots-clefs : unité économique et sociale ; reconnaissance ; délégués syndicaux ; sort des mandats ; caducité Lien base : |
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:350652