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N2604BQI
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
Le 27 Mars 2014
Et bien, tout David Kahane que vous êtes, magazine du sensationnel télévisuel, le droit et la justice sont pour moi ! La révélation de l'issue d'un jeu télévisé constitue un comportement parasitaire justifiant l'octroi de dommages-intérêts, me livre la cour d'appel de Versailles, ce 1er juillet 2010. Par ailleurs, éditeur, vous avez bénéficié du détournement des investissements que j'avais engagés pour concevoir et produire ce jeu télévisé, en attisant la curiosité du public en vue d'augmenter vos ventes, profitant ainsi du succès d'un programme particulièrement difficile à réaliser et coûteux. C'est que l'affaire est sérieuse : révéler l'issue d'un jeu télévisé, c'est le condamner à une mort certaine... à une déflation de l'audimat, à un désintérêt progressif des mordus du petit écran. Alors passe encore que vous nous enleviez le pain ! Croyez vous pouvoir nous enlever impunément les jeux ?
Panem et circenses : tous les chemins mènent à Rome ! Même en matière de jeux télévisés, vous dis-je...
Suffit que la Cour de cassation retienne, il y a peu, que les candidats participant à jeu télévisé puissent être assimilés à des salariés ; et il est, dès lors, heureux que, lorsqu'il est affaire du travail d'autrui, même en maillot de bain sous les tropiques ou sac au dos en plein Sichuan, le droit de la concurrence condamne tout acte de parasitisme. La révélation de l'issue d'un jeu télévisé par un magazine fait perdre à l'émission une partie de son intérêt (sic), ce qui se traduit par une baisse d'audience... et donc par une baisse des recettes publicitaires et, à terme, par la disparition de ce bienfait culturel qu'est le jeu télévisé.
Les ludi de la Rome antique, ne sont plus ; mais la télévision, nouvelle Rome, papesse de la new culture est la fille des jeux du cirque, de ces courses de chars sans lesquelles elle n'aurait pas, non plus, existé... Et, ces jeux sont d'autant plus importants en période de crise : n'est-ce pas à l'occasion de la deuxième Guerre punique que de nombreux jeux ont été créés et inscrits métronomiquement dans le calendrier des Hommes... au point qu'un auteur télégénique, et néanmoins de talent, écrira que "la vie est une suite de jeux télévisés : d'abord Tournez manège', puis La roue de la fortune' et si tout se passe bien Le juste prix'" (Frédéric Beigbeder, Mémoires d'un jeune homme dérangé).
Les Romains étaient pointilleux sur les questions d'équité sportive. Et, en matière de jeu télévisé, la compétition n'est pas entre les candidats participants -les scenarii sont là pour fixer la place de chacun : au "souffre douleur", la victoire ; à l'arrogant, la défaite et, si possible, l'humiliation !-. Pas de tiare papale sur la formation des esprits, sans un brin de morale tout de même ! "La télévision a une sorte de monopole de fait sur la formation des cerveaux d'une partie très importante de la population" confiait Pierre Bourdieu ; la compétition qui doit être équitable se joue entre les médias, toujours plus avides de former nos cerveaux et de nous divertir, quand ce n'est pas la même chose.
Alors, au diable, les Juvénal de tout poil, que vous soyez député de Saône-et-Loire ou lecteur engagé de la Critique de la raison pratique ! Vous, qui vociférez sur l'abêtissement des masses, sachez que, si la censure épargne les corbeaux et tourmente les colombes (dat veniam corvis, vexat censura columbas, dans la langue du poète satirique), alors ce sera la chute de l'empire Romain, Sophia Loren en moins. Reproduisez le logo de la chaîne de télévision diffusant l'émission et la marque du jeu télévisé, tant en page de couverture que dans le corps de l'article, si nécessaire, pour désigner l'émission sur laquelle vous entendez écrire ; vous ne risquez pas les tribulations de l'article L. 713-2 du Code de la propriété intellectuelle, car interdire à un magazine dédié au média télévisuel de reproduire quelques images tirées d'une émission reviendrait à le priver de toute possibilité d'illustration pertinente -notre publicité nous est tout de même salutaire-. Mais, de grâce, ne privez pas les bonnes âmes cathodiques du suspens, de la trame quasi-romanesque de nos jeux toujours plus réalistes, bien que parfaitement fantaisistes. "Il existe une télévision pour passer le temps et une autre pour comprendre le temps" disait André Malraux. Et, en tant que producteur, je puis vous dire, Monsieur Carcopino, à la suite de Groucho Marx, que "la télévision est très favorable à la culture. Chaque fois que quelqu'un l'allume chez moi, je vais dans la pièce à côté et je lis"... les magazines qui en parlent...
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par Thierry Lambert, Professeur à l'Université Paul Cézanne Aix Marseille III
Le 07 Octobre 2010
Une société s'était spontanément acquittée, pour la période du 1er janvier 2001 au 31 octobre 2003, de cotisations de taxe sur les achats de viandes. Par une réclamation du 19 décembre 2003, elle en avait demandé la restitution. La réclamation n'interrompt pas l'exécution de l'avis de mise en recouvrement ni pour le principal des sommes qui y sont énoncées, ni pour les pénalités y afférentes à moins qu'elle soit assortie d'une demande de sursis de paiement (LPF, art. L. 277 N° Lexbase : L4684ICH). L'administration, le 20 septembre 2004, avait fait droit à cette requête, sans pour autant procéder au remboursement des cotisations versées. En effet, par courrier, en date 16 novembre 2004, elle informait le contribuable de l'annulation de la décision qu'elle avait prise le 20 septembre précédent, au motif que cette dernière aurait été irrégulière.
L'article L. 256 du LPF (N° Lexbase : L9048HG9) fixe pour principe que le comptable public doit adresser un avis de mise en recouvrement à tout redevable de sommes, droits, taxes et redevances de toute nature dont le recouvrement lui incombe, lorsque le paiement n'a pas été effectué à la date d'exigibilité.
Aux termes de l'article L. 256 précité, ainsi que de l'article 3-6° de la loi du 9 juillet 1991 (N° Lexbase : L9124AGZ), complété par l'article 98 de la loi du 31 décembre 1992 (N° Lexbase : L5405H7C), les avis de mise en recouvrement constituent des titres exécutoires.
La doctrine administrative considère que le remplacement d'un avis de mise en recouvrement par un autre ne peut être envisagé que dans l'hypothèse où le premier titre est entaché de nullité, c'est-à-dire lorsqu'il contient une irrégularité susceptible d'en affecter la validité, remarque étant faite qu'il importe peu que la nullité soit constatée par l'administration ou prononcée par le juge (DB 12 C-1232, 1er décembre 1984).
Les erreurs affectant un avis de mise en recouvrement sont susceptibles d'être réparées par l'émission, au cours de l'instance devant le tribunal administratif, d'un nouvel avis régulièrement motivé et contre lequel la réclamation doit être regardée comme ayant été dirigée (CE Contentieux, 26 juillet 1991, n° 77151 N° Lexbase : A9571AQK, RJF, 2991, 6, comm. 753). La période d'imposition est une mention obligatoire d'un avis de mise en recouvrement, mais celui-ci n'est pas rendu irrégulier par une simple erreur matérielle, dès lors qu'il renvoie à la notification de redressements (CE Contentieux, 20 mai 1998 N° Lexbase : A7137AS7, DF, 1998, 45, comm. 1007, concl. Arrighi de Casanova). Le Conseil d'Etat a jugé qu'est irrégulier l'avis de mise en recouvrement qui renvoie à la notification de redressements, aujourd'hui dénommée proposition de rectification, alors que les éléments de calcul des rappels de droits ont été modifiés ultérieurement par la réponse aux observations du contribuable (CE Contentieux, 28 juillet 1999, n° 175786 N° Lexbase : A4847AXS, DF, 2000, 9, comm. 161, concl. Courtial).
Dans l'affaire qui nous occupe il ne s'agit pas d'un avis de mise en recouvrement entaché de nullité mais de l'annulation de cet avis après un dégrèvement prononcé par l'administration. A cet égard, la cour administrative d'appel de Nancy apporte une précision intéressante. Quand l'administration, à la suite de la réclamation d'un contribuable, accorde un dégrèvement, celui-ci a pour effet d'éteindre la créance du Trésor. Dans l'hypothèse où l'administration considère que ce dégrèvement a été accordé à tort, il lui faut émettre un avis de mise en recouvrement, visé par l'article L. 256 du LPF, pour les impositions qu'elle entend rétablir. Ceci est d'autant plus important que la notification d'un avis de mise en recouvrement emporte un certain nombre d'effets, à partir du moment où il a été régulièrement notifié au redevable qui est visé. Il permet d'authentifier la créance du Trésor et fixe un certain nombre de délais, au regard de la réclamation, de la prescription de l'action en recouvrement notamment. Lorsqu'un avis de mise en recouvrement est abandonné et remplacé par un autre, le contribuable et l'administration sont dans le même état que celui où elles étaient lors de l'établissement de ce titre. Ajoutons, pour compléter, que lorsque l'administration a prononcé un dégrèvement elle ne peut établir sur les mêmes bases une nouvelle imposition sans avoir, préalablement, informé le contribuable de la persistance de son intention de l'imposer (CE Contentieux, 8 avril 1991, n° 67938 N° Lexbase : A0852AIE, RJF, 1991, 5, comm. 652).
Dans cette affaire, une société s'était acquittée spontanément du précompte mobilier le 13 août 1993, puis elle avait demandé, par une réclamation du 12 novembre 1996, la restitution de celui-ci considérant qu'elle l'avait acquitté à tort. Le 19 avril 2001, l'administration avait fait droit à sa demande, sans toutefois verser des intérêts moratoires.
En l'espèce les redressements notifiés à la société en matière d'impôt sur les sociétés au titre des années 1989, 1990 et 1991 avaient eu pour effet de modifier l'assiette de précompte mobilier en cause, formée de sommes mises en réserve au titre des exercices 1989 à 1993, sans avoir supporté l'impôt sur les sociétés au taux de droit commun. La mise en recouvrement des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, résultant de ces redressements, était intervenue le 28 février 1994.
L'article L. 208 du LPF (N° Lexbase : L7618HEU) énonce un principe : un contribuable qui obtient un dégrèvement à la suite d'une erreur matérielle d'assiette ou de calcul de l'impôt, obtient aussi le paiement d'intérêts moratoires dont le taux est celui de l'intérêt légal sur les sommes indûment perçues par l'administration. Lorsque les sommes consignées (LPF, art. L. 277 et L. 278 N° Lexbase : L4774ICS) doivent être restituées, en totalité ou en partie, la somme à rembourser est augmentée des intérêts moratoires.
En revanche n'entrent pas dans le champ d'application de cet article les restitutions d'excédents de versements opérées par les comptables, même après que le contribuable leur en ait fait la demande (CE 9° et 10° s-s-r., 13 décembre 2002, n° 220998 N° Lexbase : A4730A4X, RJF, 2003, 3, comm. 378).
Même si la jurisprudence semble assouplir les conditions d'application de l'article L. 208 précité relatif à l'attribution d'intérêts moratoires sur les dégrèvements accordés par l'administration (CE Contentieux, 17 février 1988, n° 58538 N° Lexbase : A6588APP, RJF, 1988, 4, comm. 543 ; CE Contentieux, 6 juillet 1990, n° 77720 N° Lexbase : A4651AQC, RJF, 1990, 10, comm. 1170), il n'en reste pas moins que le contribuable n'a pas droit au paiement des intérêts moratoires lorsque le dégrèvement accordé résulte de la seule initiative de l'administration (CE Contentieux, 10 février 1993, n° 93124 N° Lexbase : A8319AM3, RJF, 1993, 4, comm. 602).
La chose est un peu différente en matière de TVA. En effet, l'administration doit verser au contribuable des intérêts moratoires, lorsqu'elle rembourse un crédit d'impôt ou de taxe après le délai de six mois qui lui est ouvert pour statuer sur une réclamation préalable du contribuable (CE 9° et 10° s-s-r., 20 octobre 2000, n° 207798 N° Lexbase : A9050AHN, RJF, 2001, 1, comm. 111).
La jurisprudence du Conseil d'Etat est bien établie : l'article L. 208 du LPF vise uniquement les remboursements effectués à un contribuable à la suite d'un dégrèvement prononcé par le juge de l'impôt, ou par l'administration fiscale, et consécutif à la présentation régulière d'une réclamation contentieuse (CE 9° et 10° s-s-r., 13 décembre 2002, n° 220998 N° Lexbase : A4730A4X, RJF, 2003, 3, comm. 378).
La Haute assemblée a apporté un certain nombre de précisions dans un arrêt du 25 septembre 2009 (CE 3° et 8° s-s-r., 25 septembre 2009, n° 307326 N° Lexbase : A3334EL3, RJF, 2009, 12, comm. 1168). Tout d'abord, l'administration n'est pas tenue de verser des intérêts moratoires sur les dégrèvements qu'elle a prononcés, même lorsqu'ils sont accordés à la demande du contribuable, en l'absence de réclamation régulière de sa part. Ensuite, en cas de réclamation tardive du contribuable, le dégrèvement néanmoins prononcé par l'administration est qualifié de dégrèvement d'office qui n'est pas de nature à ouvrir droit au paiement des intérêts moratoires. Il résulte de l'article L. 208 précité que la décision de payer des intérêts moratoires appartient au comptable. En conséquence, la mention des intérêts moratoires portée sur une décision de dégrèvement par un fonctionnaire chargé de l'assiette de l'impôt doit être regardée comme une information destinée au comptable. La mention erronée "intérêts moratoires : oui" portée par le service d'assiette sur l'avis de dégrèvement ne constitue pas une décision créatrice de droit. Enfin, un contribuable qui a obtenu un dégrèvement gracieux ne peut soutenir qu'en l'absence de paiement des intérêts moratoires, les droits qu'il tire des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'Homme (N° Lexbase : L1625AZ9) auraient été méconnus dès lors que ce dégrèvement n'ouvre pas droit aux intérêts moratoires.
Dans l'affaire qui nous est donnée de commenter, le Conseil d'Etat s'inscrit dans le droit fil de sa jurisprudence en jugeant qu'à défaut de réclamation régulière de la part du contribuable, l'administration n'est pas tenue de verser des intérêts moratoires sur les dégrèvements qu'elle a prononcés, même lorsque ceux-ci sont accordés au cours d'une instance contentieuse.
Toutefois, le Conseil d'Etat a jugé que le versement de cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, résultant des redressements, était constitutif d'un événement au sens de l'article R.196-1 du LPF (N° Lexbase : L6486AEX) fixant ainsi le point de départ du délai de réclamation. En effet, doivent être regardés comme constituant le point de départ du délai les événements qui sont de nature à exercer une influence sur le bien-fondé de l'imposition soit dans son principe, soit dans son montant (CE Contentieux, 30 janvier 1976, n° 96173 N° Lexbase : A7629AY9, DF, 1977, comm. 1154, concl. Schmeltz). En ne recherchant pas si cette mise en recouvrement constituait un événement de nature à rouvrir le délai de réclamation, pour la demande de restitution de l'ensemble du précompte mobilier versé en 1993 ou de la seule part du précompte acquittée à tort compte tenu de la notification d'assiette résultant des redressements notifiés à la société, la Cour a commis une erreur de droit.
En conséquence, l'affaire est renvoyée devant la cour administrative de Versailles.
L'abus de droit est un sujet de débats et controverses à peu près inépuisables. Le Conseil d'Etat vient d'en donner une nouvelle illustration. L'enchaînement des opérations, la transformation des structures existantes et la création d'une nouvelle entité illustrent la complexité de la vie des affaires, sans pour autant être obligatoirement constitutif de montages visant à éluder l'impôt.
En l'espèce, une SARL A avait été transformée, le 10 décembre 1997, en société anonyme A., créée le 23 décembre de la même année avec les mêmes associés. Elle avait cédé à la nouvelle société son fonds de commerce et son matériel le 27 décembre 1997, puis le 30 décembre de la même année son stock, ne conservant plus que des liquidités et un important portefeuille de valeurs mobilières de placement.
Les associés avaient cédé, le 30 décembre 1997, la totalité des titres de l'ancienne SA A. à la SA B., réglé en deux versements, l'un au jour de cession et l'autre au 27 juillet 1998.
Le 31 décembre 1997, l'ancienne SA A. a changé d'objet social, son siège et sa dénomination pour devenir la SA F..
L'un des associés avait déclaré des plus-values de cession de valeurs mobilières qui avaient été taxées au taux de 16 % au titre de l'année 1997.
La nouvelle SA A. a fait l'objet d'une vérification de comptabilité et les associés d'un examen contradictoire de la situation fiscale d'ensemble. L'administration à l'issue de ces contrôles avait conclu, sur le fondement de la procédure de répression des abus de droit, que la cession de l'activité industrielle puis des titres de l'ancienne société A. s'inscrivait dans un montage complexe à but exclusivement fiscal destiné en réalité à dissimuler la dissolution de cette société avec la création d'un être moral nouveau, la SA F.. Et, en conséquence, les sommes qui avaient été déclarées comme plus-values de cession de valeurs mobilières, pour bénéficier du taux forfaitaire, présentaient le caractère de boni de liquidation imposable au taux progressif.
A suivre le Conseil d'Etat le transfert du capital de l'ancienne SA A. à la SA B. ne peut pas être analysé comme ayant donné lieu à la création d'un être moral nouveau, même si l'opération a été suivie d'une modification de la dénomination, du siège et de l'objet social de la société.
L'article 221-5 du CGI (N° Lexbase : L5208IMT) dispose que "le changement de l'objet social ou de l'activité réelle d'une société emporte cession d'entreprise". A suivre la Haute assemblée, le changement d'activité et d'objet social qu'avait connu l'ancienne SA A., s'il justifiait l'imposition immédiate des bénéfices, n'entraînait pas obligatoirement la dissolution avec liquidation de la société.
Ne constitue pas un changement d'activité ou d'objet social, par exemple, le fait qu'une société holding qui initialement achetait des actions d'une société exploitant un hypermarché puis avait étendu son périmètre à l'exploitation directe de ce type de commerce, tout en procédant à la transformation sous forme de société anonyme son activité et procédant à la reprise en location gérance de l'exploitation de l'hypermarché (CAA Nantes, 1ère ch., 5 février 2003, n° 99NT01086 N° Lexbase : A0148C9D, RJF, 2003,6, comm. 695).
En outre, dans cette affaire le contribuable avait conclut un contrat dans le but unique était d'atténuer les charges fiscales, mais en réalité il n'en a rien été. A suivre la doctrine administrative, l'abus de droit suppose l'existence d'un ou plusieurs actes juridiques apparemment réguliers, mais dont le seul dessein est de masquer le véritable caractère d'une opération en vue d'éluder, en totalité ou en partie, l'impôt (DB 13 L 61531). Dans ces conditions, il n'est pas envisageable de retenir le qualificatif d'abus de droit à l'encontre de ce contribuable. Les actes juridiques susceptibles d'être mis en cause par la voie de l'abus de droit sont ceux qui n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales et qu'en outre les actes visés sont ceux qui ont un caractère fictif (LPF, art. L. 64 N° Lexbase : L4668ICU). Rappelons que l'abus de droit réprime non seulement la simulation, mais aussi la fraude à la loi fiscale, le Conseil d'Etat considère qu'il y a abus de droit lorsque les actes passés par le contribuable ont un caractère fictif ou, à défaut, qu'ils n'ont pu être inspirés par aucun motif autre que celui d'échapper, totalement ou en partie, aux charges fiscales (CE Contentieux, 10 juin 1981, n° 19079 N° Lexbase : A7572AKN).
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Réf. : Cass. soc., 15 septembre 2010, n° 09-40.473, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5847E9G)
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par Marion Del Sol, Professeur à l'Université de Bretagne Occidentale (IODE UMR CNRS 6262-Université de Rennes I)
Le 07 Octobre 2010
Indubitablement, la prévisibilité du rythme de travail constitue un élément-clé du statut du salarié à temps partiel, renforcé par la loi du 19 janvier 2000 (loi n° 2000-37, 19 janvier 2000 N° Lexbase : L0988AH3) au titre de la protection à assurer à ce type de travailleur tout au long de l'exécution du contrat de travail. Mais cette orientation joue également un rôle désormais prépondérant dans le cadre du contentieux relatif au travail à temps partiel, spécialement celui de la requalification en contrat de travail à temps complet. Cette préoccupation a très largement "déteint" en jurisprudence.
L'article L. 3123-14 du Code du travail (N° Lexbase : L3882IBE) subordonne la validité du contrat de travail à temps partiel au respect d'un certain nombre de mentions obligatoires (2) dont la plupart ont trait au rythme de travail : la durée hebdomadaire (ou mensuelle) de travail, la répartition de cette durée entre les jours de la semaine (ou les semaines du mois), les cas dans lesquels une modification éventuelle de cette répartition peut intervenir ainsi que la nature de cette modification, les modalités d'information sur les horaires quotidiens. A défaut, il est de jurisprudence constante que le contrat de travail est présumé avoir été conclu à temps complet. Pour autant, on le sait, il ne s'agit là que d'une présomption simple autorisant l'employeur à établir la preuve contraire.
Depuis plusieurs années, la jurisprudence se montre exigeante quant au contenu de la preuve contraire. S'il est nécessaire que l'employeur puisse prouver la durée exacte du travail convenue (par définition inférieure à la durée légale (3)), la preuve simplement contraire qui consiste à établir l'accord sur le principe d'un engagement à temps partiel ne saurait suffire. Il importe également -en l'absence d'écrit ou d'écrit incomplet- de démontrer que le salarié n'était pas placé dans l'impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler et qu'il n'était pas tenu de se tenir constamment à la disposition de son employeur (4). Cette dernière exigence, qui se cumule avec la première, ressortit incontestablement du courant de protection du salarié à temps partiel qui doit pouvoir, en dehors de périodes de travail clairement identifiées, pouvoir vaquer librement à d'autres occupations. Et, à défaut de pouvoir rapporter cette double preuve, le juge conclura à la requalification du contrat de travail en contrat à temps complet.
Que le travail à temps partiel soit subi ou choisi, il n'est pas moins exact que la visibilité du salarié sur ses plannings est essentielle. Dans le premier cas, la prévisibilité du rythme de travail conditionne la possibilité de trouver un emploi complémentaire dont les horaires seront compatibles avec ceux du premier emploi (5). Dans l'hypothèse où l'activité à horaires réduits résulte d'un choix du salarié, la prévisibilité du rythme de travail est seule à même de garantir qu'il puisse concilier l'exercice de son emploi avec ses activités extraprofessionnelles (suivi d'une formation, éducation des enfants, ...).
La prévisibilité du rythme de travail s'avère gage de protection du salarié quelles que soient les raisons expliquant sa situation de travailleur à temps partiel. A cet effet, la législation prévoit des mécanismes visant à rendre effective cette protection en accordant au salarié :
- le droit d'être informé des horaires de travail pour chaque journée travaillée par une communication écrite dont la forme n'est pas précisée par le Code du travail (C. trav., art. L. 3123-14, 3°) ;
- le droit à un quota limitatif d'heures complémentaires (C. trav., art. L. 3123-17 N° Lexbase : L3844IBY et L. 3123-18 N° Lexbase : L0426H9N) permettant au salarié de refuser d'effectuer de telles heures en cas de dépassement des limites légales ou conventionnelles ;
- le droit de refuser d'accomplir des heures complémentaires en raison d'un délai de prévenance trop bref que la loi fixe à trois jours minimum (C. trav., art. L. 3123-20 N° Lexbase : L0428H9Q) ;
- le droit de s'opposer à des changements de la répartition de la durée contractuelle du travail qui s'opéreraient en dehors du cadre contractuel prévu (C. trav., art. L. 3123-24 al. 1er (6) N° Lexbase : L0435H9Y) ou qui interviendraient en méconnaissance du délai de prévenance légal de sept jours (C. trav., art. L. 3123-21 N° Lexbase : L0429H9R) ou encore qui mettraient à mal certains aspects de son organisation extraprofessionnelle tels que des obligations familiales impérieuses ou le suivi d'un enseignement (C. trav., art. L. 3123-24, al. 2).
L'arrêt commenté constitue une illustration de la jurisprudence s'étant développée ces dernières années et les faits d'espèce sont révélateurs de la rigueur que la Cour de cassation entend exiger des juges du fond en ce domaine. Au cas présent, il s'agissait d'une femme de ménage ayant enchaîné une douzaine de CDD à temps partiel pour remplacer des salariés absents. Elle sollicitait des indemnités pour non respect de la législation sur le travail à temps partiel (7), faisant valoir à cet effet l'imprévisibilité de son planning de travail. Pour la débouter, les juges d'appel avaient retenu la faible variation de ses horaires (8) conduisant à une amplitude insuffisante à leurs yeux pour maintenir la salariée en permanence à la disposition de l'employeur et ce d'autant plus que les révisions d'horaires intervenaient pour les besoins du service. En d'autres termes, pour les juges du fond, les variations horaires étaient justifiées et pas assez significatives pour en conclure que la salariée ne pouvait prévoir son rythme de travail. La décision de la cour d'appel de Paris est cassée sur ce point.
Pour parvenir à cette conclusion, la Cour de cassation recourt à un long attendu rappelant la liste des mentions obligatoires relatives à la durée et au rythme de travail et reprenant sa jurisprudence relative à la double preuve exigée de l'employeur pour combattre la présomption d'emploi à temps complet. Mais, au final, elle reproche aux juges d'appel d'avoir débouté la salariée alors qu'ils avaient relevé que ses horaires pouvaient être révisés en fonction des besoins du service mais sans avoir précisé si l'employeur avait respecté le délai de prévenance de sept jours avant de mettre en oeuvre les modifications. La Cour semble assimiler révision des horaires quotidiens et modification de la répartition de la durée du travail qui sont des situations dont le cadre juridique diffère a priori.
II - Horaires de travail et répartition de la durée du travail, deux notions à distinguer ?
Hors hypothèse de travail à temps partiel, on sait que le changement des horaires de travail relève en principe du pouvoir de direction de l'employeur, qu'il s'agisse de prévoir une nouvelle répartition journalière ou hebdomadaire du travail... sauf si la modification envisagée bouleverse l'économie de l'organisation initialement prévue (passage d'un travail de jour à un travail de nuit, ...) ou se heurte à une prévision contractuellement convenue.
En matière de contrat de travail à temps partiel, la situation est juridiquement toute autre. En effet, la répartition des jours de travail sur la semaine est de nature contractuelle. Qui plus est, l'instrumentum doit prévoir non seulement les circonstances à l'occasion desquelles une modification peut être envisagée (sorte de motifs légitimes) mais également la nature de celle-ci (c'est-à-dire les modalités et l'amplitude de la variation (9)), étant précisé que la mise en oeuvre de la clause suppose le respect d'un délai de prévenance d'au moins sept jours (10). Les prérogatives unilatérales de l'employeur s'en trouvent considérablement réduites, d'autant plus que la jurisprudence fait preuve de rigueur dans l'appréciation de la validité des clauses afin d'éviter que leur libellé n'accorde de fait un pouvoir quasi discrétionnaire à l'employeur. Est spécialement mise sous surveillance la détermination des motifs permettant l'application d'une modification. Ainsi, une clause prévoyant une variation d'horaires lorsque "les circonstances le demandent" (11) ou encore "en fonction des nécessités du service" (12) ne présente pas de caractère de validité.
En revanche, les variations affectant les horaires quotidiens emportent davantage d'incertitudes juridiques. En effet, à défaut de clause expresse contractuelle fixant un horaire de travail quotidien, il a été jugé que "le changement de l'horaire de la journée de travail d'un salarié à temps partiel relève en principe du pouvoir de direction de l'employeur" (13), ce dernier devant cependant donner une information écrite préalable au salarié sur ses horaires de chaque journée travaillée. On pourrait donc en déduire un alignement sur la situation de travail à temps complet.... si ce n'était la confusion entretenue par le législateur lui-même. La dernière phrase de l'article L. 3123-24 du Code du travail, insérée dans la sous-section consacrée à la modification de la répartition de la durée du travail, décide, en effet, de rendre applicables certaines dispositions prévues pour ce type de modification au cas de changement des horaires quotidiens ; il s'en déduit que, si cette révision intervient dans un des cas et selon les modalités préalablement définies dans le contrat de travail pour la modification de la répartition des jours de travail sur la semaine, le refus du salarié ne constitue ni une faute ni un motif de licenciement "dès lors que ce changement n'est pas compatible avec des obligations familiales impérieuses, avec le suivi d'un enseignement scolaire ou supérieur, avec une période d'activité fixée chez un autre employeur ou avec une activité professionnelle non salariée" (14) .
Au vu de la jurisprudence, la distinction des situations de révision des horaires quotidiens et de modification de la répartition de la durée du travail sur les jours de la semaine doit être fortement relativisée. On constate, en effet, une assimilation partielle des révisions des horaires quotidiens aux modifications de la répartition des jours de travail sur la semaine. Les juges font, en effet, application des dispositions des articles L. 3123-21 au changement affectant les horaires journaliers alors que ce texte vise expressément le cas où l'employeur demande au salarié une "modification de la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois". Ainsi, dans l'arrêt du 15 septembre 2010, la Cour de cassation reproche aux juges d'appel, de ne pas s'être assurés, à l'occasion de la révision des horaires quotidiens de la femme de ménage, du respect du délai de prévenance de sept jours imposé à l'employeur par l'article L. 3123-21 lorsqu'il envisage de modifier la répartition de la durée du travail.
Reste à se demander si la perspective d'une révision de ses horaires quotidiens ouvre au salarié un droit de refus comparable à celui institué dans le cadre de l'alinéa 1er de l'article L. 3123-24 : refus légitime -et donc non fautif- si la révision n'est pas guidée par les circonstances contractuellement prévues pour la modification de la répartition de la durée du travail et n'intervient pas selon les modalités prédéfinies. Une décision rendue en 2004 en fait douter (15), le refus d'une salariée d'accepter de nouveaux horaires consécutivement à un changement de chantier (de 10h30-13h30 à 18h30/19h-22h) ayant été considéré comme fautif quand bien même la salariée le justifiait par l'existence de contraintes familiales (16).
Pourtant, la prudence doit être de mise au regard de l'omniprésence jurisprudentielle de l'idée de prévisibilité du rythme de travail puisque, rappelons-le, l'impossibilité de prévoir le rythme de travail est incompatible avec une relation de travail à temps partiel. Or, nul ne peut contester que la prévisibilité des horaires quotidiens participe de la prévisibilité du rythme de travail au même titre -même si c'est à un degré moindre- que la prévisibilité de la répartition des jours de travail sur la semaine. Cependant, la difficulté tient ici à l'état du droit, l'article L. 3123-14 n'exigeant pas la mention d'une tranche horaire dans le contrat de travail à temps partiel. Il devient, dès lors, indispensable que soit communiqué au salarié un planning quotidien faisant état des horaires précis d'exécution de sa prestation de travail au risque qu'il soit considéré que le salarié ne disposait pas d'une visibilité suffisante sur son rythme de travail (17), la prévisibilité devant certainement s'apprécier a priori (18). Dans cette mesure, rien ne semble pouvoir empêcher l'employeur de mettre en oeuvre unilatéralement un changement d'horaires quotidiens (19) à condition de respecter un délai de prévenance dont on ne peut que conseiller de calquer la durée minimale sur celle de l'article L. 3121-21 (N° Lexbase : L0313H9H) (soit sept jours)... comme le laisse entendre implicitement la décision du 15 septembre 2010. Il peut également envisager d'insérer une clause au contrat prévoyant les modalités d'éventuelles variations mais en prenant garde d'en faire un usage modéré car de modifications fréquentes peut se déduire l'impossibilité dans laquelle se trouve le salarié de prévoir son rythme de travail (21).
Est-il encore besoin de souligner l'omniprésence de la question de la prévisibilité du rythme de travail ? Non, seulement elle inspire la législation sur le contrat à temps partiel, mais elle guide aussi le juge dans de nombreux contentieux mettant en cause ce type de contrat (requalification, rupture, ...).
(1) Pour une illustration toute récente, voir Ch. Radé, L'égalité de traitement entre salariés à temps plein et à temps complet en questions, Lexbase Hebdo n° 410 du 30 septembre 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N1000BQ4) à propos de Cass. soc., 15 septembre 2010, n° 08-45.050 (N° Lexbase : A5754E9Y).
(2) L'absence de tout contrat écrit emporte a fortiori la même conséquence. Voir Cass. soc., 14 mai 1987, n° 84-43.829 (N° Lexbase : A7455AAD), Bull. civ. V, n° 337.
(3) C. trav., art. L. 3123-1 (N° Lexbase : L0404H9T).
(4) Cass. soc., 26 janvier 2005, n° 02-47.648 (N° Lexbase : A2969DG3) -Bull. civ. V, n° 24. Tout récemment, voir 3 arrêts rendus par la Chambre sociale le 30 juin 2010 concernant notamment des distributeurs de journaux et documents publicitaires, n° 09-40.042 (N° Lexbase : A6791E3W), Cass. soc., 30 juin 2010, 3 arrêts, n° 09-40.041 (N° Lexbase : A6790E3U) et n° 08-45.400 (N° Lexbase : A6693E3B).
(5) Dans une récente décision, il est mis en évidence que l'impossibilité dans laquelle la salariée travaillant pour une association d'aide à domicile avait été de prévoir son rythme de travail l'avait "privée d'une chance d'exercer un autre emploi" (Cass. soc., 8 juillet 2010, n° 09-40.965 N° Lexbase : A2375E4Q).
(6) Dans l'arrêt de juillet 2010, il a été ainsi été jugé que la méconnaissance avérée et répétée des stipulations contractuelles de variation de la durée du travail pouvait légitimer une prise d'acte produisant les effets d'un licenciement injustifié dès lors que la salariée était laissée "dans l'incertitude quant à la répartition hebdomadaire de son horaire de travail...L'employeur a [donc] empêché la salariée de prévoir son rythme de travail, l'a maintenue en permanence à sa disposition et l'a ainsi privée d'une chance d'exercer un autre emploi" (Cass. soc., 8 juillet 2010, n° 09-40.965, préc.).
(7) Le litige portait également sur la requalification des douze CDD en un contrat de travail à durée indéterminée. Sur ce point, les hauts magistrats ne tranchent pas la question sur le fond mais reprochent à la cour d'appel d'avoir inversé la charge de la preuve de la réalité des motifs de recours au CDD en faisant supporter cette preuve à la salariée et non à l'employeur.
(8) Le travail commençait toujours à 6 heures le matin et la fin du service était fixée le plus souvent à 9h ou 9h30. Parfois, le travail prenait fin à 11h et, de façon exceptionnelle, à 12h et 12h45.
(9) C. trav., art. L. 3123-14, 2°.
(10) Délai pouvant être ramené jusqu'à un minimum de trois jours ouvrés par convention ou un accord collectif de branche étendu ou convention ou un accord d'entreprise ou d'établissement (C. trav., art. L. 3123-22 N° Lexbase : L0431H9T).
(11) Cass. soc., 7 juillet 1998, n°95-43.443 (N° Lexbase : A3691ABC).
(12) Cass. soc., 6 avril 1999, n° 96-45.790 (N° Lexbase : A4648AGA).
(13) Cass. soc., 18 juillet 2001, n° 99-45.076 (N° Lexbase : A2250AUU).
(14) Cass. soc., 9 juillet 2003, n° 01-42.723 (N° Lexbase : A1085C93).
(15) Cass. soc., 15 décembre 2004, n° 02-44.924 (N° Lexbase : A4692DEI).
(16) Ses charges de famille ont toutefois conduit les juges à ne pas qualifier son refus de faute grave.
(17) Voir qu'on lui imposait de rester en permanence à la disposition de l'employeur (Cass. soc., 18 mars 2003, n° 01-41.726 N° Lexbase : A5297A7C). Voir le cas "exemplaire" de certains salariés distribuant des prospectus dans les boîtes aux lettres dont les jours de travail sont définis mais qui ne savent pas à l'avance le temps qui leur sera nécessaire pour procéder à leur tournée quotidienne... donc qui ignorent quels seront leurs horaires de travail (Cass. soc., 30 juin 2010, n° 09-40.041 N° Lexbase : A6790E3U).
(18) Il semble indifférent de savoir si, en réalité, le salarié aurait pu vaquer à d'autres occupations faute pour l'employeur de l'avoir sollicité.
(19) Mise en oeuvre dont l'effectivité suppose toutefois que le salarié n'oppose pas à son employeur les dispositions de l'article L. 3123-24 (cas d'incompatibilités). Voir supra.
(20) Il importe toutefois de garder à l'esprit que la jurisprudence relative au changement des horaires de travail, qui prend en compte l'importance de la variation pour le déqualifier le cas échéant en modification contractuelle, est d'application aussi en matière de contrat de travail à temps partiel.
(21) Cass. soc., 19 mai 2010, n° 09-40.056 (N° Lexbase : A3885EX8) (affaire dans laquelle l'employeur avait procédé une quinzaine de fois à la modification de la répartition des horaires entre le 21 février 2001 et le 18 septembre 2003).
Décision Cass. soc., 15 septembre 2010, n° 09-40.473, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5847E9G) Cassation partielle (CA Paris, 22ème ch., sect. C, 4 décembre 2008) Textes visés : C. trav., art. L. 3123-14 (N° Lexbase : L3882IBE) et L. 3123-24 N° Lexbase : L0435H9Y) Mots-clés : Travail à temps partiel. Durée du travail. Liens base : (N° Lexbase : E0438ETE) |
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par L'Association française des juristes d'entreprise
Le 27 Mars 2014
Gilles Mauduit : Face à un conflit juridique, c'est-à-dire en présence d'un noeud qui obstrue la fluidité de ses opérations, une entreprise n'a que deux solutions : soit tenter de dénouer ce noeud, soit se résoudre à le faire trancher. Le dénouer par la transaction ou en ayant recours à des techniques de transaction assistée (médiation, mini-trial, etc.), ou, au contraire, le faire trancher, que ce soit par le glaive de la justice étatique, ou celui de la justice arbitrale, dont le métal et le tranchant sont d'essence conventionnelle.
Or, pour toute une série de raisons, les parties n'arrivent pas toujours, de façon directe ou indirecte, à dénouer elles-mêmes leurs conflits et, s'agissant de le faire trancher, la justice arbitrale présente pour les entreprises de nombreux avantages par rapport à la justice étatique.
Il est d'abord des cas de plus en plus nombreux, au plan international, où aucune partie n'étant prête à accepter la compétence des tribunaux étatiques de l'autre, l'arbitrage est la seule solution car chacun exige un forum neutre. Or le développement mondial du commerce international avec des partenaires de plus en plus variés et lointains entraine ipso facto de plus en plus souvent cette conséquence.
Par ailleurs, que ce soit au plan interne ou au plan international, les atouts de l'arbitrage sont bien connus. Si, malheureusement, cette justice est plus chère, elle offre, en revanche, une confidentialité en principe absolue, une plus grande rapidité et une plus grande garantie de professionnalisme dans la mesure où les parties sont à même de choisir leurs propres juges en fonction de leur notoriété et de leurs secteurs de compétence. Elle permet aussi une plus grande contractualisation de l'administration de la preuve et de la conduite du procès. Et si, comme on vient de le dire, son coût est plus élevé, encore celui-ci est-il prévisible puisque son quantum dépend soit de barèmes officiels soit d'un accord passé entre les parties et le tribunal arbitral. Il faut en outre souligner que les parties ne sont nullement étrangères à l'inflation des coûts dont elle se plaignent parfois puisque des statistiques CCI ont établi que sur un arbitrage revenant à 100 aux parties, 2 % seulement représentent les frais de l'institution, 16 %, les honoraires des arbitres (dont 2 % de débours) et 82 % le coût des conseils, des experts et des frais internes.
AFJE : A quels types de procédure d'arbitrage les entreprises peuvent-elles faire appel ?
Gilles Mauduit : Il faut rappeler trois distinctions fondamentales.
La première oppose les arbitrages internes et les arbitrages internationaux, distinction dont les parties ne sont pas maîtresses puisqu'elle dépend de la mise en cause ou non d'intérêts du commerce international. En droit français, l'arbitrage interne est régi par les articles 1442 (N° Lexbase : L6406H7E) à 1491 du Code de procédure civile, l'arbitrage international par les articles 1492 (N° Lexbase : L6458H7C) à 1507.
La deuxième oppose les arbitrages en droit et les arbitrages en équité (ou en amiable composition). Le choix ici appartient aux parties. Dans le premier cas, le litige sera tranché selon l'application d'un droit substantiel donné (par ex. : droit anglais, français, suisse, chinois, etc.), soit que celui-ci ait été d'avance choisi par les parties dans la clause d'arbitrage, soit que le tribunal arbitral le détermine ultérieurement lui-même en fonction de règles appropriées. Dans le second cas, le litige sera tranché par référence aux règles d'équité. Dans les deux cas cet arbitrage doit être motivé.
La troisième distinction oppose les arbitrages institutionnels et les arbitrages ad hoc, distinction dont le choix appartient également aux parties.
Un arbitrage institutionnel est un arbitrage que les parties choisissent de soumettre -avec les garanties qui en découlent-, aux règles préétablies de telle ou telle institution d'arbitrage, en incorporant l'applicabilité de celles-ci dans le champ de leur consensus. C'est le cas des règlements de toutes les institutions bien connues que sont, au plan international, la CCI ou ICC (Chambre de commerce internationale ou International chamber of commerce), la LCIA (London Court international arbitration), la Cour d'arbitrage de Stockholm, la Chambre de Milan ou, au plan interne, l'AFA (Association française d'arbitrage) le CMAP (Centre de médiation et d'arbitrage de Paris), pour la France, ou bien l'AAA (American arbitration association) pour les Etats-Unis. Il faut d'ailleurs préciser que ces dernières institutions, dont la vocation originelle était essentiellement d'ordre interne cherchent également désormais à se développer de plus en plus dans le domaine de l'arbitrage international. Précisons à cet égard que sur les 80 dernières sentences rendues sous l'égide du CMAP, un tiers vise des arbitrages internationaux.
Toutes ces distinctions sont bien entendues susceptibles de se recouper. C'est ainsi qu'on peut être en présence d'un arbitrage interne AFA en équité, ou d'un arbitrage international ad hoc en droit néerlandais.
AFJE : Pourquoi Paris est-elle devenue la capitale mondiale de l'arbitrage ?
Gilles Mauduit : La vocation de Paris à ce titre tient à plusieurs raisons.
La première est le fait que Paris, outre qu'elle est déjà le siège de nombreuses institutions d'arbitrages spécialisées dans tel ou tel domaine professionnel, ainsi que le siège d'institutions à caractère général déjà mentionnées (AFA, CMAP), à la chance insigne d'être le siège mondial de la Cour d'arbitrage de la CCI depuis sa création, en 1923 (2). Or, depuis lors, cette institution a connu plus de 16 000 dossiers impliquant des parties et des arbitres ressortissants de 180 pays différents. En 2008, il y eut 685 nouvelles affaires portées devant la Cour d'arbitrage de la CCI. Paris fut retenu comme lieu de l'arbitrage dans 85 de ces affaires (soit environ 12,5 %), et 81 arbitres de nationalité française furent désignés pour en connaître.
Précisons également que l'arbitrage CCI fait autorité devant les juridictions françaises comme a eu l'occasion de le rappeler la Cour de cassation dans un arrêt de principe du 6 juillet 2000 (Cass. civ. 1, 6 juillet 2000, n° 98-19.068 N° Lexbase : A9071AG3).
La deuxième raison est que le droit français et les juridictions françaises sont, contrairement à d'autres droits plus frileux, résolument favorables au recours à l'arbitrage comme mode de règlement juridictionnel des conflits commerciaux. C'est là une tendance lourde et constante de la tradition française.
La troisième raison, peut-être, est que de nombreux juristes internationaux francophones et bilingues (français, mais aussi suisses, belges et autres) se sont révélés particulièrement talentueux dans la mise au point progressive d'un droit processuel et d'administration de la preuve original et efficace dans les arbitrages internationaux, empruntant tant à la common law qu'à la civil law. Comme si, grâce à eux, Paris se révélait un lieu particulièrement créatif de solutions originales, syncrétiques et adaptées sur la ligne de fracture des deux systèmes tectoniques que sont ceux du droit anglo-saxon et du droit continental (3). On cherche ainsi résolument à emprunter leurs best practices à chacun des deux systèmes. Qu'on pense par exemple à tous ces arbitrages où les règles retenues pour l'administration de la preuve s'inspirent pour l'essentiel de la civil law en ce qui concerne la preuve écrite (avec cette conséquence qu'il n'y aura pas ou peu de discovery) , et de la common law pour la preuve orale (avec cette conséquence qu'il sera possible de préparer les témoins et de faire appel aux subtilités de la cross-examination).
AFJE : Ancien président de l'AFJE, comment et pourquoi avez-vous choisi de devenir arbitre ?
Gilles Mauduit : Mon intérêt pour l'arbitrage est bien antérieur à l'honneur qui me fut donné d'être président de l'AFJE, et il n'a pas, en réalité, de relation directe avec lui. Cet intérêt, né dès la Faculté, avait déjà trouvé à s'exercer lorsque j'eus des fonctions de direction juridique et qu'à ce titre, j'étais responsable en interne du pilotage de très gros arbitrages internes ou internationaux.
Mon intérêt pour cette matière fut donc assez tôt connu et dès le début des années 1990, j'ai eu la chance de commencer à me voir désigné comme arbitre, soit par les parties, soit par les institutions elles-mêmes.
Ce qui fait qu'à ce jour, au travers de plus d'une trentaine d'arbitrages, j'ai pu me familiariser avec à peu près tous les cas de figure : co-arbitre, arbitre unique, président du tribunal arbitral dans des arbitrages internes et internationaux, menés, selon le cas, en français ou en anglais, qu'il s'agisse d'arbitrages ad hoc ou d'arbitrages institutionnels, en équité ou en droit. C'est ainsi que j'ai connu des délibérés consensuels, d'autres plus conflictuels et qu'il m'est arrivé, indépendamment du droit français, de statuer en droit belge, suisse, anglais, grec ou libanais...
Mais il est vrai que j'eus souvent l'occasion, quand j'étais président de l'AFJE, de souligner dans tel ou tel forum, l'intérêt et l'utilité qu'il y avait, pour les juristes d'entreprise, à investir davantage le domaine de l'arbitrage et celui, pour les entreprises, d'avoir recours à des juristes d'entreprises comme arbitres. Car tous les métiers du droit peuvent apporter leur contribution propre au processus de l'arbitrage. Ainsi, pour conclure en caricaturant volontairement un peu les choses, l'on peut observer que si la fée du droit se penche volontiers sur le berceau des professeurs de faculté, celle de la motivation sur celui des magistrats, celle duc sur celui des avocats, le juriste d'entreprise a pour lui de bien connaître l'entreprise elle-même, ses dures réalités, ses contraintes et ses aléas, et la façon dont le fait juridique y fait souvent, selon les cas, flétrir ou prospérer le fruit économique.
(1) Diplômé d'Etudes Supérieures de droit privé et de sciences criminelles, titulaire du CAPA, Gilles Mauduit a commencé sa carrière comme assistant à la Faculté de droit de Rennes, puis fut assistant-Professeur à la Faculté de droit de l'Université Laval, Québec, Canada. Ayant rejoint le groupe IBM, il y occupa différentes fonctions de conseil à Paris, Londres et Bruxelles. Plus tard directeur-adjoint des affaires juridiques et des accords du groupe Rhône-Poulenc, il termina sa carrière en entreprise au sein du groupe Sanofi dont il fut General Counsel et Directeur délégué auprès du Président. Consultant, il se consacre désormais essentiellement à l'arbitrage.
(2) Créée en 1926, la Chambre arbitrale internationale de Paris compte actuellement 540 arbitres, répartis en fonction de leurs spécialités (par secteur d'activité, expertise comptable ou juridique, etc.). En 85 ans d'activité, elle a connu près de 35 000 litiges, dont 75 % sont internationaux. Elle dispose de nombreux arbitres de dimension internationale susceptibles d'être désignés ou nommés dans des arbitrages qui traitent des litiges de types très divers : litiges entre associés consécutifs à des restructurations d'entreprise, litiges de distribution et de vente, sur des opérations de transport, des contrats de représentation, des licences de marque au des contrats de franchise... Sur plus d'un millier de sentences rendues par la Chambre depuis 1990, aucune n'a été annulée en appel.
(3) L'association Paris, the Home of International Arbitration a été constituée à Paris le 26 janvier 2006, à l'occasion d'une assemblée constitutive réunissant plus de trente personnalités du monde de l'arbitrage international. L'association a pour but de promouvoir Paris en tant que place mondiale de l'arbitrage. Elle est animée par un bureau composé de praticiens de l'arbitrage de diverses nationalités, basés à Paris et bénéficie du parrainage de trois personnalités de premier plan : Jean-Pierre Ancel, Président de Chambre honoraire de la Cour de cassation, Yves Derains, Président du Comité français de l'arbitrage, et Serge Lazareff, Président de l'Institut du droit des affaires de la Chambre de commerce internationale (ICC). Les premières activités envisagées sont la création et la diffusion d'une plaquette d'information sur la place de Paris, l'organisation d'actions promotionnelles internationales et la création d'un site web destiné aux usagers de l'arbitrage international. L'association est ouverte à tous les usagers et praticiens de l'arbitrage international.
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Réf. : Cass. com., 29 juin 2010, n° 09-66.773, F-P+B (N° Lexbase : A6839E3P)
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par Jean-Louis Respaud, Maître de conférences à la faculté de droit d'Avignon, Avocat au barreau d'Avignon - Cabinet JUDILEX
Le 24 Janvier 2011
Si le feuilleton judiciaire "Chattawak" a fortement obscurci, à notre sens, la qualification de contrat de commission-affiliation (I), il semble que le régime de ce contrat bénéficie au contraire de belles éclaircies (II).
I - Une qualification obscurcie
Alors que les définitions respectives des contrats d'agence commerciale et de commission-affiliation, ainsi que leur distinction, sont clairement établies (A), les différents épisodes "Chattawak" semblent avoir apporté leur lot de complication à ce sujet (B).
A - Une définition initialement claire
Tant la définition du contrat de commission (1°) que celle du contrat de commission-affiliation (2°) sont simples et permettent de les distinguer de contrats voisins.
1° - Le contrat de commission
Les termes de l'article L. 132-1, alinéa 1er, du Code de commerce (N° Lexbase : L5633AIH) sont clairs : "le commissionnaire est celui qui agit en son propre nom ou sous un nom social pour le compte d'un commettant" (C. com., art. 94, al. 1er ancien). Le commissionnaire est donc, selon la loi, celui qui agit en son propre nom pour le compte d'un commettant.
La jurisprudence a également fait sienne cette définition. Ce fut dans un premier temps le cas de la Chambre criminelle de la Cour de cassation par un arrêt du 24 juillet 1852 (13) suivie par les juridictions du fond ainsi que par la Chambre commerciale : "Mais attendu qu'aux termes de l'article 94 du Code de commerce, un commissionnaire est celui qui agit en son nom et pour le compte d'un commettant" (14).
L'article 1984 du Code civil (N° Lexbase : L2207ABD) définit ainsi le mandat : "Le mandat ou procuration est un acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom".
Intervenant tous deux pour le compte de leur donneur d'ordre, il est possible de distinguer le mandataire du commissionnaire selon que l'intermédiaire intervient au nom de son mandant ou au contraire sous son propre nom. La Cour de cassation a eu plusieurs fois l'occasion de confirmer cette position, et elle l'a fait de façon très ferme (15).
L'absence de représentation est donc "vraiment spécifique" de la commission (16). Comme le résume le Professeur Bénabent, "la solution jurisprudentielle est donc maintenant bien établie : n'est commissionnaire que celui qui agit en son nom propre" (17).
Tant en doctrine qu'en jurisprudence, la solution est donc bien acquise ; le droit positif est unanime : l'intermédiaire qui agit pour le compte du donneur d'ordres mais en son propre nom est un commissionnaire conformément aux termes de l'article L. 132-1 du Code de commerce.
2° - Le contrat de commission-affiliation
Le contrat de commission-affiliation est une alternative au contrat de franchise (18). Elle présente notamment l'avantage, pour le distributeur, de ne pas supporter la charge et le risque des stocks et, pour le fournisseur, la possibilité d'imposer plus facilement sa politique commerciale et tarifaire aux membres de son réseau (19). Cette alternative peut être lue dans deux sens. Soit il sera considéré que le contrat de commission-affiliation consiste à greffer sur un contrat de commission la mise à disposition de signes distinctifs propres au promoteur du réseau de distribution et éventuellement celle d'un concept original ou d'un savoir-faire. Soit, au contraire, on observera qu'il s'agit d'une sorte de contrat de franchise sans achat pour revendre mais avec une commission à la vente assortie d'un contrat de dépôt-vente.
Quelle que soit la lecture retenue, le contrat de commission-affiliation est donc une opération de commission assortie d'une identification commerciale du commettant, généralement la marque ou l'enseigne (20). Là est sans doute la difficulté, puisque logiquement le commissionnaire se caractérise par son opacité ; il cache juridiquement son commettant. Toutefois, cette notion d'opacité ou de transparence -plus pédagogique qu'opérationnelle- s'apprécie juridiquement et non matériellement ; il s'agit de réfuter ou, au contraire, de révéler l'existence d'un engagement de l'intermédiaire au bénéfice du client final. En effet, cette distinction entre le contrat de mandat et l'opération de commission ne repose pas sur un critère de fait lié à l'opacité effective du commissionnaire (21). Il est ainsi fréquent que le tiers contractant connaisse l'existence et l'identité du commettant sans que le commissionnaire ait précisé agir en son nom, notamment lorsque le contrat de commission ajoute une mise à disposition de l'enseigne, de la marque ou de signes distinctifs quelconques du commettant. Cette révélation du commettant, comme en l'espèce par l'apposition ostensible de sa marque sur les produits et lieux de vente, n'est pas exclusive de l'engagement du commissionnaire. Le commissionnaire ne devient pas mandataire du seul fait que le nom de son commettant est révélé (22). En pareil cas, comme le souligne Marie-Pierre Dumont, "la qualification de contrat de commission demeure" (23).
B - Une définition compliquée par les juges
Les décisions rendues dans la tumultueuse affaire "Chattawak" ont eu le mérite de rappeler une solution bien établie selon laquelle l'application du statut d'agent commercial ne dépend pas de la dénomination portée en titre du contrat mais des conditions effectives de l'activité (24). Mais au-delà de ce mérite, il semble que la complication à propos du contrat de commission-affiliation introduite par les juges du fond (1°) a peut-être été quelque peu entretenue par la Cour de cassation (2°).
1° - Une complication introduite par les juges du fond
La confusion introduite dans la qualification de contrat de commission-affiliation à l'occasion de l'affaire "Chattawak" semble avoir pour origine le jugement rendu le 6 février 2004 par le tribunal de commerce de Paris qui avait retenu la qualification d'agence commerciale en raison de critères pouvant indifféremment évoquer la commission ou le mandat, à savoir l'exclusivité de fourniture consentie à l'affilié, ses obligations de ne vendre qu'aux consommateurs et sous l'enseigne du commettant, la consignation des produits dont la propriété était conservée par le fournisseur, la fixation des prix de vente par le fournisseur et la rémunération du distributeur par une commission. Dans son premier arrêt, la cour d'appel de Paris avait souligné le caractère indifférent de ces éléments, puis avait considéré que le distributeur C. n'était pas opaque mais transparent, notamment du fait de l'utilisation exclusive de la dénomination du fournisseur dans l'identification de son point de vente et sur les tickets de caisse ou encore l'existence d'un compte bancaire ouvert au nom du fournisseur afin de confirmer la requalification en contrat d'agence commerciale tout en qualifiant pourtant ce distributeur de commerçant indépendant propriétaire de son fonds de commerce (25). C'est justement cette contradiction entre la qualification d'agent commercial et la reconnaissance d'un fonds de commerce indépendant qui avait conduit la Chambre commerciale à une première cassation (26). Sur renvoi, les conseillers parisiens avaient, une seconde fois, requalifié le commissionnaire-affilié en agent commercial en s'attachant alors à démontrer que les éléments du fonds de commerce en question devaient être rattachés au fournisseur (27).
2° - Une complication entretenue par l'arrêt du 29 juin 2010 ?
Par l'arrêt du 29 juin 2010, la Chambre commerciale casse la décision de la cour d'appel du 9 avril 2009. Pour ce faire, elle reproche aux juges parisiens de ne pas avoir recherché "laquelle des deux sociétés avait la qualité juridique de vendeur", critère qui aurait en effet permis de révéler l'opacité ou, au contraire, la transparence des opérations de vente et donc de distinguer clairement entre les qualités de commissionnaire ou d'agent commercial.
Puis la Cour reproche aux juges du fond, d'une part, d'avoir identifié une clientèle attachée au distributeur et pourtant retenu la qualification d'agent commercial alors que "l'agent commercial, simple mandataire, n'a pas de clientèle propre" et, d'autre part, d'avoir relevé que la société distributrice avait cédé son droit au bail des locaux sans écarter la qualité d'agent commercial alors que cette titularité d'un bail commercial "était un élément essentiel pour déterminer si celle-ci avait la qualité de commerçant qu'un agent commercial ne peut posséder".
Outre le tort de mal poser le problème de l'appartenance de la clientèle, celle-ci étant moins un élément du fonds de commerce que son objectif, utiliser ainsi le fonds de commerce comme critère et le droit au bail comme indice peut dérouter. En effet, il ressort du statut d'agent commercial que celui-ci ne possède pas de fonds de commerce et ne peut donc, dès lors, en principe, revendiquer le statut des baux commerciaux. Peut-on pour autant rejeter ou retenir une qualification en raison de ces éléments ? Il semble que non ; il appartient en effet traditionnellement à la qualification d'indiquer le régime applicable et non l'inverse. Déduction et induction doivent être distinguées.
II - Un régime éclairci
Bien que quelques nuages jurisprudentiels aient obscurci le ciel du contrat de commission-affiliation, son régime bénéficie de belles éclaircies tant en droit de la concurrence (A) qu'en matière fiscale (B).
A - En droit de la concurrence
Le contrat de commission-affiliation a été imaginé notamment afin de permettre à certains promoteurs de réseaux, souvent de franchise, d'échapper aux rigueurs du droit de la concurrence (28).
Imposer une politique commerciale et tarifaire très précise peut constituer une entente anticoncurrentielle au sens de l'article 101 TFUE et de l'article L. 420-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L6583AIN). Mais, pour qu'il y ait entente, il est nécessaire de démontrer une concertation, et la concertation nécessite bien entendu la pluralité (29). C'est justement là que le bât blesse en matière d'intermédiaires du commerce. En effet, pour s'entendre, il faut être au moins deux entreprises, or le droit de la concurrence considère, par principe, que l'intermédiaire, qu'il nomme "agent" de manière générique, ne constitue pas une entreprise indépendante, faute d'autonomie suffisante. Ainsi, ne constituant pas une entreprise susceptible d'entente anticoncurrentielle, l'intermédiaire, dont le commissionnaire, peut se voir imposer des conditions de commercialisation et de tarification. Le vocabulaire utilisé par le droit de la concurrence est moins précis que les notions du droit des contrats : agence, commission, représentation semblent en effet être considérés comme équivalent. Ainsi les lignes directrices envisagent, comme la pratique anglo-saxonne, le contrat d'agence de façon générale, pour distinguer, ensuite, en fonction de ses effets et retrouver les techniques du mandat ou de la commission. D'une façon générale, le Règlement d'exemption relatif aux accords verticaux et les lignes directrices ne remettent pas en cause le raisonnement qui prévalait jusque-là. Les "vrais contrats d'agence" sont en effet exclus du champ d'application de l'article 101 § 1 TFUE. Est un "vrai contrat d'agence" celui dans lequel l'agent ne supporte pas tous les risques commerciaux et financiers, ou à tout le moins une part négligeable, relatifs aux contrats qu'il conclut, dont les risques et coûts de transferts et livraison des biens, coûts de gestion des stocks, coûts d'exploitation d'un service après-vente, coût des investissements nécessaire au marché en cause, coût de la responsabilité à l'égard des tiers, et coût de la responsabilité en cas de non exécution du contrat (30).
La décision rendue le 30 juin 2009 par l'Autorité de la concurrence à propos d'un réseau de distribution de prêt-à-porter est précisément relative à ces questions (31). L'Autorité de la concurrence observe la relation contractuelle et relève certains de ces principaux traits quant au point de vente, à la politique commerciale fixée par la société Mango, aux articles préétiquetés et donc aux prix de vente imposés, à la gestion et la propriété des stocks qui demeure celle de Mango... La décision relate également que l'intermédiaire doit fournir une garantie correspondant à la valeur des stocks déposés à la vente dans sa boutique et payer les frais de transport des articles depuis l'Espagne. Bien que qualifiant de sui generis ce contrat, l'Autorité décrit ce qui paraît être un contrat de commission-affiliation. Puis est relaté le grief adressé : "Il est fait grief à Punto Fa SL d'avoir passé avec les distributeurs indépendants adhérents à son réseau Mango des accords contrevenant à l'interdiction posée par l'article L. 420-1 du Code de commerce et l'article 81, paragraphe 1, CE, en ce que lesdits accords conviennent des prix de vente au consommateur des produits concernés" (l'article 81 TCE est depuis devenu l'article 101 TFUE).
Ces dispositions interdisent ainsi des comportements coordonnés bilatéralement ou multilatéralement, sous forme d'ententes, pour ce qui concerne le droit national, d'accords entre entreprises, de décisions d'associations d'entreprises ou de pratiques concertées, pour ce qui concerne le droit communautaire. L'Autorité rappelle alors que "ces différentes formes de collusion supposent que les partenaires soient en capacité de conclure un accord de volontés, ce qui implique que chacun d'entre eux soit indépendant des autres". Comme le relève le Tribunal de première instance des Communautés européennes dans son arrêt du 15 septembre 2005 dans l'affaire "Daimler Chrysler contre Commission" (32), "la notion d'accord au sens de l'article 81, paragraphe 1, CE, telle qu'elle est interprétée par la jurisprudence, est axée sur l'existence d'une concordance de volontés entre deux parties au moins". De même, le Conseil de la concurrence, dans son rapport annuel pour l'année 2006, affirme que "l'entente ne pourra exister qu'entre entreprises autonomes au sens du droit de la concurrence".
L'Autorité souligne, ensuite, que la notion d'entente ou d'accords anticoncurrentiels renvoie à celle d'entreprise. Comme le souligne en effet le TPICE dans son jugement du 15 septembre 2005 "si un [...] intermédiaire exerce une activité au profit de son commettant, il peut en principe être considéré comme organe auxiliaire intégré dans l'entreprise de celui-ci, tenu de suivre les instructions du commettant et formant ainsi avec cette entreprise, à l'instar de l'employé de commerce, une unité économique". Mais "il en est autrement si les conventions passées entre le commettant et ses agents confèrent ou laissent à ces derniers des fonctions se rapprochant économiquement de celles d'un négociant indépendant, du fait qu'elles prévoient la prise en charge, par lesdits agents, des risques financiers liés à la vente ou à l'exécution des contrats conclus avec des tiers". La conclusion s'impose alors : "dès lors qu'un agent [...] ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique les instructions qui lui sont imparties par son commettant, les interdictions édictées par l'article 81, paragraphe 1, CE sont inapplicables dans les rapports entre l'agent et son commettant, avec lequel il forme une unité économique".
Ce rappel fait, il incombait alors à l'Autorité de la concurrence de vérifier que ces deux opérateurs, Mango et son affilié, ne constituaient pas une seule et même entité économique active sur le marché.
Un distributeur est considéré comme un "agent" lorsqu'il ne supporte que les risques qui sont attachés aux prestations de services d'agence en général, comme le risque que les revenus de l'agent soient subordonnés à sa réussite professionnelle ou les investissements généraux dans un local ou du personnel. En revanche, le distributeur perd sa qualité d'agent lorsque, compte tenu des stipulations contractuelles, il doit assumer des risques qui vont au-delà de ceux qui sont attachés à la fonction de vente. Ces risques sont directement liés aux contrats, comme le financement des stocks, ou aux investissements spécifiques du marché. Dans ce cas, le distributeur perd alors sa qualité d'agent et peut être considéré comme un acteur économique indépendant de son contractant et la possible qualification d'entente anticoncurrentielle peut alors réapparaître.
L'Autorité a donc considéré que malgré certains risques commerciaux et financiers supportés par le distributeur, celui-ci ne constituait pas une entreprise autonome au sens du droit de la concurrence et ainsi écarté toute qualification de pratiques anticoncurrentielles. Cette décision, qui après avoir décrit les traits caractéristiques d'un contrat de commission-affiliation et les obligations nécessaires à sa mise en oeuvre les absout en droit de la concurrence, participe à remettre un peu de baume au coeur de ce contrat et de ses promoteurs.
B - En droit fiscal
L'article 256 bis III du CGI (N° Lexbase : L5651H98) prévoit qu'"un assujetti, agissant en son nom propre mais pour le compte d'autrui, qui s'entremet dans une acquisition intracommunautaire, est réputé avoir personnellement acquis et livré le bien". Un commissionnaire français intervenant sur le territoire national au nom et pour le compte de son commettant étranger est donc bien entendu soumis aux différents impôts et aux différentes taxes sur le chiffre d'affaires. Mais qu'en est-il du commettant étranger ? Telle était justement la question posée par l'importante affaire "Zimmer".
Cet arrêt, rendu le 31 mars 2010 par le Conseil d'Etat (33) a mis un terme à la période d'incertitude ouverte par un arrêt de la de la cour administrative d'appel de Paris en date du 2 février 2007 (34) qui avait qualifié d'établissement stable le commissionnaire exclusif d'une société anglaise avec toutes les conséquences induites en termes d'assujettissement aux impôts et taxes. En effet, par cette décision, la cour administrative d'appel de Paris reconnaissait comme légitime l'assujettissement en France de la société commettante à l'impôt sur les sociétés et la taxe professionnelle.
Le Conseil d'Etat, considérant que les locaux du commissionnaire ne constituaient pas un établissement stable en France du commettant, a donc annulé cet arrêt parisien et l'assujettissement corrélatif aux impôts et taxes de l'entreprise commettante en France. Le droit fiscal apporte donc, lui aussi, son renfort à la réhabilitation du contrat de commission en général et donc à celle du contrat de commission-affiliation en particulier.
(1) G. Amédée-Manesme, La politique des prix et la commission affiliation : un juste équilibre à trouver, D. Affaire, 1999, 1160 ; F. Auque, La commission-affiliation, AJDI, 2001, 1060 ; D. Mainguy et J.-L. Respaud, A propos du contrat de commission-affiliation, Mélanges Le Tourneau, D., 2007, p. 705 ; N. Dissaux, La commission-affiliation à l'épreuve de la notion de fonds de commerce, JCP éd. E, 2009, n° 37, p. 20 ; du même auteur, La commission-affiliation : un monstre juridique ?, Lettre Omnidroit, 19 mai 2010.
(2) N. Dissaux, préc..
(3) D. Ferrier, La commission-affiliation : Charybde ou Scylla ?, D., 2008, p. 2907.
(4) D. Ferrier, Requalification d'un commissionnaire affilié en agent commercial : épilogue, D., 2009, Chron. 1942.
(5) B. Saintourens, RTDCom., 2009, 683.
(6) E. Chevrier, Dalloz actualité, 8 juillet 2010.
(7) CA Paris, 5ème ch., sect. A, 13 septembre 2006, n° 04/10715 (N° Lexbase : A5917DSX), D., 2007, p. 1911, obs. D. Ferrier ; JCP éd. E, 2006, n° 51-52, p. 2202 ; Cah. dr. entr., 2007, n° 3, p. 47, note M.-P. Bonnet-Desplan.
(8) Cass. com., 26 février 2008, n° 06.20.772, F-D (N° Lexbase : A1750D7X), JCP éd. G, 2008, II, 10094, note D. Mainguy et J.-L. Respaud ; JCP éd. E, 2008, 1710, note N. Dissaux ; Cont. conc. cons., 2008, n° 95, obs. N. Mathey.
(9) CA Paris, 5ème ch., sect. B, 9 avril 2009, n° 08/07996 (N° Lexbase : A5306EGM), D., 2009, Jur. 1942, note D. Ferrier ; RTDCom, 2009, 683, obs. Saintourens ; JCP éd. E, 2009, n° 37, p. 20, note N. Dissaux ; Cont. conc. cons., 2009, n° 264, obs. Mathey ; RJDA, 2009, n° 1070 ; RJ com., 2009, 272, note Lebreton-Derrien ; Lettre distrib., septembre 2009, p. 1, obs. M.-P. Bonnet-Desplan.
(10) Lire (N° Lexbase : N6805BPQ).
(11) CE, 10° et 9° s-s-r.., 31 mars 2010, n° 304715, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A4168EUW), Droit fiscal, n° 16, 22 avril 2010, comm. 289, note E. Rivière, P. Escaut et E. Bonneaud ; G. Quillévéré, Un commissionnaire n'est pas un établissement stable du commettant dès lors qu'il n'engage pas juridiquement ce dernier, Lexbase Hebdo n° 389 du 10 juin 2010 - édition fiscale (N° Lexbase : N3013BPB).
(12) Autorité de la concurrence, déc. n° 09-D-23 du 30 juin 2009, relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur de la distribution de vêtement prêt-à-porter féminin et d'accessoires (N° Lexbase : X7801AEN), Europe, n° 2009/8, comm. 338, obs. L. Idot.
(13) Cass. crim, 24 juillet 1852, D., 1852, 1, p. 584.
(14) Cass. com., 2 novembre 1954, JCP, 1955, II, 8496.
(15) Cass. com. 2 novembre 1954, préc., Gaz. Pal., 1955, 1, 5 ; JCP, 1955, II, 8496 ; Cass. com., 21 novembre 1956, Bull. civ. IV, n° 303 ; Cass. com., 19 mars 1958, JCP, 1958, IV, 66 ; Cass. com., 6 juillet 1960, n° 58-11.222, publié (N° Lexbase : A6451AT4), Bull. civ. IV, n° 279 ; Cass. com., 15 juillet 1963, publié (N° Lexbase : A1027GBN), Bull. civ. IV, n° 378 ; Cass. com., 3 mai 1965, publié (N° Lexbase : A1026GBM), Bull. civ. IV, n° 280 ; Cass. com., 10 février 1970, n° 68-10.363, publié (N° Lexbase : A8683CGP), Bull. civ. IV, n° 49 ; Cass. com., 21 juin 1982, n° 78-10.562, publié (N° Lexbase : A4310CIH), Bull. civ., IV, n° 235, JCP éd. G, 1982, IV, 314 ; Cass. com., 22 mai 1991, n° 88-15.796, publié (N° Lexbase : A9559AAB), Bull. civ. IV, n° 173 ; Cass. com., 3 janvier 1995, n° 93-11.953, inédit (N° Lexbase : A5480CLK), RJDA, 4/1995, n° 425 ; Cass. com., 20 mai 1997, n° 94-21.544, inédit (N° Lexbase : A5727CXE), RJDA, 10/1997, n° 1187.
(16) F. Collart-Dutilleul et Ph. Delebecque, Contrats civils et commerciaux, Dalloz, 2000, n° 663.
(17) A. Bénabent, Contrat de commission - Définition, JCl. com., Fasc. 470, n° 16 ; dans le même sens, M.-P. Dumont, J.-CL. Contrats-Distribution, 2004, V° Contrat de Commission, Fasc. 820, n° 7.
(18) D. Ferrier, Le devenir du droit de la franchise, D. Affaires, 1998, 1169 ; D. Mainguy et J.-L. Respaud, A propos du contrat de commission-affiliation, préc..
(19) G. Amédée-Manesme, La politique des prix et la commission affiliation : un juste équilibre à trouver, D. Affaires, 1999, 1160.
(20) D. Mainguy et J.-L. Respaud, préc..
(21) M.-P. Dumont, J.-Cl. Contrats-Distribution, 2004, Contrat de Commission, Fasc. 820, n° 11.
(22) Cass. com., 7 mars 1962, publié (N° Lexbase : A1025GBL), Bull. civ. IV, n° 240 ; Cass. com.,15 juillet 1963, préc..
(23) M.-P. Dumont, J.-Cl. Contrats-Distribution, 2004, préc..
(24) Cass. com., 10 décembre 2003, n° 01-11.923, FS-P+B (N° Lexbase : A4236DA7), D., 2005. Pan. 148, obs. D. Ferrier ; RTDCiv., 2004, 285, obs. J. Mestre et B. Fages.
(25) CA Paris, 5ème ch., sect. A, 13 septembre 2006, préc. et les obs. préc..
(26) Cass. com., 26 février 2008, préc. et les obs. préc..
(27) CA Paris, 5ème ch., sect. B, 9 avril 2009, préc. et les obs. préc..
(28) V., not., G. Amédée-Manesme, La politique des prix et la commission affiliation : un juste équilibre à trouver, préc. ; D. Ferrier, La commission-affiliation : Charybde ou Scylla ?, préc..
(29) V., not., D.Mainguy, J.-L. Respaud, M. Depincé, Droit de la concurrence, Litec, 2010, n° 284 et s..
(30) Déc. Comm. CE n° 2002/758 du 10 octobre 2001, JOCE du 25 septembre 2002, n° L 257, Europe, décembre 2002, comm. 377, obs. L. Idot, condamnant une entente entre un constructeur et ses agents, décision infirmée par le TPICE : TPICE, 15 septembre 2005, aff. T-325/01, (N° Lexbase : A4384DKL), Gaz. Pal., 20-21 janvier 2006, Europe, novembre 2005, comm. 391, obs. L. Idot.
(31) Autorité de la concurrence, déc. n° 09-D-23 du 30 juin 2009, préc. et les obs. préc..
(32) TPICE, 15 septembre 2005, aff. T-325/01, préc..
(33) CE, 10° et 9° s-s-r., 31 mars 2010, préc. et les obs. préc..
(34) CAA Paris, 2ème ch., 2 février 2007, n° 05PA02361 (N° Lexbase : A4648DUP).
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Réf. : Loi n° 2010-658 du 15 juin 2010, relative à l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée, art. 2 (N° Lexbase : L5476IMR)
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par Vincent Téchené, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition privée générale
Le 07 Octobre 2010
Lexbase : Quelles sont les modifications apportées par la loi sur l'EIRL concernant la capacité commerciale des mineurs ?
Catherine Michelet-Quinquis : La loi sur l'EIRL, en son article 2, permet au mineur émancipé d'acquérir la qualité de commerçant. En effet, le législateur a modifié l'article 413-8 du Code civil ainsi que l'article L. 121-2 du Code de commerce, qui prévoient désormais que le mineur émancipé peut être commerçant sous les conditions suivantes. Il faut que le mineur émancipé recueille l'autorisation du juge des tutelles au moment de la décision d'émancipation. Si tel n'est pas le cas, il peut toujours requérir l'autorisation du président du tribunal de grande instance ultérieurement.
C'est un changement majeur. En effet, antérieurement à la loi sur l'EIRL, l'article 413-8 du Code civil interdisait expressément au mineur d'acquérir la qualité de commerçant.
Du fait de ce changement, le mineur émancipé pourra devenir commerçant. Il convient de noter que cette possibilité ne se limite pas au strict cadre de l'EIRL. En effet, les nouvelles dispositions introduites par la loi du 15 juin 2010 permettent, de façon générale, à tout mineur émancipé, de pouvoir, sous condition préalable d'en obtenir l'autorisation, effectuer seul tous les actes de commerce.
Lexbase : N'y a-t-il donc plus d'interdiction générale pour un mineur d'être commerçant ?
Catherine Michelet-Quinquis : Il convient de distinguer le mineur émancipé, du mineur non émancipé.
En ce qui concerne le mineur émancipé, la loi relative à l'EIRL prévoit expressément la possibilité d'obtenir la qualité de commerçant dans la nouvelle rédaction de l'article 413-8 du Code civil.
En revanche, en ce qui concerne le mineur non émancipé, le texte n'a pas précisément édicté une telle possibilité. Ainsi, on pourrait s'interroger sur la signification du silence du législateur : a-t-il voulu laisser la possibilité au mineur non émancipé d'obtenir la qualité de commerçant ? La lecture historique des textes et le principe de prudence juridique nous conduisent à répondre par la négative, même s'il n'y a plus d'interdiction générale.
Le législateur a tout de même aménagé la possibilité pour le mineur non émancipé d'accomplir les actes d'administration inhérents à la création et à la gestion d'une EIRL. En effet, le nouvel article 389-8 du Code civil soumet cette possibilité à l'autorisation soit des deux parents qui exercent en commun l'autorité parentale, soit de l'administrateur légal sous contrôle judiciaire avec l'autorisation du juge des tutelles. L'autorisation revêt la forme d'un acte passé sous seing privé ou d'un acte notarié, et comporte la liste des actes d'administration que pourra accomplir le mineur. Ainsi, pour les actes de disposition, ce sont les parents ou l'administrateur légal qui disposent du pouvoir de les accomplir, dans les conditions susvisées.
Lexbase : Quelles activités pourra donc exercer un mineur non émancipé ? Que pensez-vous de cette nouveauté ?
Catherine Michelet-Quinquis : Si l'on s'en remet au texte de la loi relative à l'EIRL, en partant du principe que le silence sur la possibilité pour le mineur non émancipé d'acquérir la qualité de commerçant équivaut à une interdiction, ce dernier ne pourrait exercer qu'une activité non commerciale.
Cependant, le texte de loi nous conduit à une situation assez paradoxale. D'une part, le législateur ne confère donc pas la qualité de commerçant au mineur non émancipé. D'autre part, il l'autorise, aux termes de l'article 389-8 du Code civil, à accomplir les actes d'administration nécessaires pour les besoins de la création et de la gestion d'une entreprise individuelle à responsabilité limitée.
Or, ces actes d'administration indispensables au fonctionnement quotidien de l'EIRL impliquent nécessairement l'accomplissement d'actes de commerce. On peut citer par exemple la gestion de stocks. Sans avoir la qualité de commerçant en droit, le mineur non émancipé serait donc amené à agir comme tel dans la pratique quotidienne de son entreprise.
Ainsi, en pratique, on verrait apparaître une distinction entre les opérations de bas de bilan que le mineur émancipé pourrait accomplir, et celles de haut de bilan concernant les immobilisations, pour lesquelles le mineur non émancipé devra recevoir l'autorisation de ses deux parents ou de l'administrateur légal sous contrôle judiciaire avec l'autorisation du juge des tutelles, ce que l'on peut considérer comme la consécration d'une forme de cogestion du fonds.
Cet état de fait est à rapprocher de l'article 509 du Code civil (N° Lexbase : L2246IBS) qui interdit au tuteur légal du mineur non émancipé, d'exercer le commerce au nom de la personne protégée.
Lexbase : Quels sont, selon vous, les actes relatifs au droit des sociétés qui relèvent de la classification des actes de disposition ? L'intervention des deux parents exerçant l'autorité parentale ou de l'administrateur légal sous contrôle du juge des tutelles ne va-t-elle pas à l'encontre de la rapidité de la prise de décisions qu'impose la gestion d'une société ?
Catherine Michelet-Quinquis : L'acte de disposition est un acte qui engage et modifie le patrimoine en transférant un bien ou un droit. Il a ainsi un impact direct sur le patrimoine de la personne protégée. Le mineur émancipé peut accomplir les actes de disposition lui-même. Le mineur non émancipé doit quant à lui se limiter aux actes d'administration listés par l'autorisation qui lui a été accordée.
Le décret n° 2008-1484 du 22 décembre 2008, relatif aux actes de gestion du patrimoine des personnes placées en curatelle ou en tutelle (N° Lexbase : L4112ICB), définit les actes de disposition comme "les actes qui engagent le patrimoine de la personne protégée, pour le présent ou l'avenir, par une modification importante de son contenu, une dépréciation significative de sa valeur en capital ou une altération durable des prérogatives de son titulaire". Ce même décret fixe une liste d'actes regardés de façon certaine comme des actes de disposition, et une liste d'actes regardés comme des actes d'administration sauf circonstances d'espèce, compte tenu, notamment, de ce qui a été évoqué précédemment. On peut ainsi penser que ce critère des circonstances d'espèce tiendra compte des nécessités inhérentes à la gestion d'une société, et admettra de concevoir de façon moins stricte la limite entre ces deux catégories d'actes.
Dans la première catégorie on trouve notamment : la vente ou l'apport en société d'un immeuble, tout acte grave, notamment la conclusion et le renouvellement du bail, relatif aux baux ruraux, commerciaux, industriels, artisanaux, professionnels et mixtes, les grosses réparations sur immeuble, la vente ou l'apport en société d'instruments financiers non admis à la négociation sur un marché réglementé, la transaction, le compromis et la clause compromissoire au nom de la personne protégée.
Le nécessaire recours aux deux parents exerçant l'autorité parentale, ou à l'administrateur légal sous contrôle du juge des tutelles constitue sans nul doute un frein à l'accomplissement des actes de disposition, ce qui se répercutera directement sur la gestion de la société. En tout état de cause, cela paraît être une précaution nécessaire tant l'impact de ces actes peut mettre en péril l'entreprise.
Lexbase : S'il faut comprendre que tout mineur émancipé peut, désormais, devenir commerçant, qu'en est-il des dispositions relatives à la société en nom collectif (SNC), et en commandite qui limitent la participation du mineur à la société ?
Catherine Michelet-Quinquis : Les dispositions relatives à la qualité d'associé d'une SNC ou d'une société en commandite, supposent de posséder la qualité de commerçant. Or avant la publication de la loi relative à l'EIRL, les articles 413-8 du Code civil et L. 121-2 du Code de commerce prohibaient expressément à tout mineur, même émancipé, d'obtenir cette qualité. En conséquence, un mineur ne pouvait pas être associé d'une SNC ou d'une société en commandite.
Il semblerait donc que grâce à la modification des articles 413-8 du Code civil et L. 121-2 du Code de commerce dont découle désormais la possibilité d'obtenir la qualité de commerçant pour un mineur émancipé, ce dernier puisse devenir associé d'une SNC ou d'une société en commandite.
Lexbase : Un mineur pourra donc faire l'objet d'une procédure collective. Cela ne soulève-t-il pas d'importants problèmes, s'agissant, notamment, de l'application des sanctions, en particulier, des sanctions pénales ?
Catherine Michelet-Quinquis : La procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation est applicable à toute personne morale de droit privé. En permettant au mineur émancipé de devenir commerçant, et de ce fait de remplir les conditions nécessaires à l'obtention de la qualité d'associé d'une société, le législateur l'expose effectivement aux procédures prévues par le droit des entreprises en difficulté.
Cela pose un problème au regard de la responsabilité illimitée de l'associé dans les sociétés de personnes. Ainsi, en cas de liquidation, l'associé est normalement responsable sur l'ensemble de son patrimoine. Les conséquences de la réforme peuvent donc s'avérer extrêmement sévères pour un mineur même émancipé.
Il convient de rappeler les pouvoirs du mineur émancipé sur son patrimoine. Il résulte de l'article 413-8 du Code civil que le mineur émancipé peut accomplir tous les actes de la vie civile. Il peut ainsi gérer son patrimoine, effectuer seul un achat ou une vente, percevoir ses propres revenus, effectuer un emprunt. Cependant, avant la réforme du 15 juin 2010, le mineur ne pouvant pas être commerçant, les risques encourus étaient donc limités. Dès lors que, désormais, il peut devenir associé d'une société de personnes, on peut craindre qu'il y ait un risque réel de mise en danger de son patrimoine.
Au-delà des procédures collectives, le mineur émancipé est également exposé aux sanctions pénales qu'encourt tout gérant en cas d'exercice abusif de ses pouvoirs, notamment en cas d'abus de biens sociaux. Il faut donc ici souligner le caractère très sévère de cette réalité juridique qui expose le mineur aux mêmes sanctions qu'un dirigeant plus mature.
(1) Lire, notamment, J.-B. Lenhof, Le régime de l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée : la notion de patrimoine dans tous ses états, Lexbase Hebdo n° 402 du 8 juillet 2010 - édition privée générale (N° Lexbase : N6181BPM) ; V. Téchené, L'entrepreneur individuel à responsabilité limitée : les conditions d'une réussite, Lexbase Hebdo n° 410 du 30 septembre 2010 - édition privée générale (N° Lexbase : N0989BQP) ; et cf., également, B. Saintourens, L'entrepreneur individuel à responsabilité limitée - Commentaire de la loi n° 2010-658 du 15 juin 2010, Revue des sociétés, 2010, p. 351 et s. ; F. Vauvillé, Commentaire de la loi du 15 juin 2010 relative à l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée, Rep. Défrenois, 2010, n° 15, p. 1649 et s. ; V. Legrand, L'auto-entrepreneur à l'ère EIRL, Rec. Dalloz, 2010, n° 29, p. 1898 et s. ; S. Piédeliève, L'entreprise individuelle à responsabilité limitée, Rép. Defrénois, 2010, n° 13, p. 1417 et s. ; B. Dondero, L'EIRL, ou l'entrepreneur fractionné, JCP éd. G, 2010, n° 25, p. 1274 et s.. Pour les aspects uniquement fiscaux du texte, lire, A.-L. Lonné, "Ma petite entreprise"... ou la naissance d'un nouveau statut pour les entrepreneurs - Questions à Maître Franck Demailly, Avocat associé, Ducellier Avocats, Lexbase Hebdo n° 399 du 17 juin 2010 - édition fiscale (N° Lexbase : N4238BPN).
(2) Euripide, Les Phéniciennes.
(3) Sénat, séance du 8 avril 2010 (compte rendu intégral des débats).
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Réf. : CEDH, 14 septembre 2010, Req. 38224/03 (N° Lexbase : A2131E9S)
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par Frédéric Dieu, Maître des requêtes au Conseil d'Etat
Le 07 Octobre 2010
A - Les faits de l'espèce et l'arrêt rendu par la chambre
La société requérante est une société néerlandaise ayant son siège à Hoofddorp (Pays-Bas) et dont l'activité consiste à publier et vendre des magazines. L'affaire concerne des photographies devant accompagner un article au sujet de courses automobiles illégales que la société requérante fut contrainte de remettre à la police qui enquêtait sur une autre infraction, bien que les journalistes se fussent fortement élevés contre l'obligation de livrer des informations propres à permettre l'identification de leurs sources.
Le 12 janvier 2002, une course de voitures illégale eut lieu dans une zone industrielle à la périphérie de la ville de Hoorn. La société requérante affirme que des journalistes travaillant pour son magazine spécialisé -et qui avaient l'intention de publier un article au sujet des courses automobiles illégales- se virent offrir la possibilité de prendre des photos de la course à condition de donner l'assurance que l'identité des participants ne serait pas divulguée. Les photographies devaient être retouchées de manière à ce que les voitures et les spectateurs ne pussent être identifiés, puis sauvegardées sur un Cd-rom. Finalement, la course fut interrompue par la police, qui était sur place. Il ne fut procédé à aucune arrestation. La police fut par la suite amenée à penser que l'un des véhicules qui avait participé à la course de rue avait été utilisée pour s'enfuir par les auteurs d'un casse bélier qui avait eu lieu le 1er février 2001 au cours duquel un distributeur de billets avait été dérobé et un passant menacé avec une arme à feu. Plus tard dans la même journée, la police tenta de se faire remettre le Cd-rom où se trouvaient contenues les photographies en question. La société requérante s'y refusa afin de protéger l'anonymat de ses sources journalistiques. Le procureur d'Amsterdam délivra alors à la société requérante une injonction au titre de l'article 96a du Code de procédure pénale lui ordonnant de remettre les photographies, ainsi que toutes pièces connexes concernant la course. Le rédacteur en chef du magazine refusa, invoquant à nouveau l'engagement que les journalistes avaient pris envers les participants quant à la protection de leur anonymat. Le 1er février 2002 à 18h01, le rédacteur en chef fut arrêté et fut présenté au procureur d'Amsterdam. Il fut libéré à 22 heures.
L'avocat de la société invita les procureurs, qui y consentirent, à solliciter l'intervention du juge d'instruction de garde du tribunal d'arrondissement d'Amsterdam qui, tout en reconnaissant d'emblée que la loi ne lui donnait aucune compétence en la matière, exprima l'avis que les nécessités de l'enquête pénale l'emportaient sur le privilège journalistique de la société requérante. Le 2 février 2002 à 1h20 du matin, la société requérante remit, non sans protester, le Cd-rom au procureur, qui le plaça formellement sous main de justice. Le 15 avril 2002, la société requérante forma une plainte devant le tribunal régional, sollicitant la mainlevée de la saisie et la restitution du Cd-rom, la délivrance à la police et au parquet d'une injonction leur ordonnant de détruire les éventuelles copies des données enregistrées sur le Cd-rom et d'une autre leur interdisant de prendre connaissance ou de faire usage des informations contenues dans celui-ci. Le 19 septembre 2002, le tribunal d'arrondissement fit droit uniquement à la demande de mainlevée de la saisie et de restitution du Cd-rom à la société requérante.
La requête a été introduite devant la Cour européenne des droits de l'Homme le 1er décembre 2003. Invoquant l'article 10, la société requérante se plaignait d'avoir été contrainte de livrer à la police des informations propres à permettre l'identification des sources de ses journalistes. Dans son arrêt de chambre, communiqué par écrit le 31 mars 2009, la Cour a conclu que, même si en principe le recours à la contrainte lorsqu'il s'agit d'obtenir la remise de matériaux journalistiques peut avoir un effet inhibant sur l'exercice de la liberté d'expression journalistique, il n'était pas interdit aux autorités néerlandaises de mettre en balance les intérêts concurrents en jeu. En particulier, les informations qui se trouvaient contenues dans le Cd-rom étaient pertinentes pour les infractions concernées et de nature à permettre l'identification des auteurs d'autres infractions sur lesquelles la police enquêtait, les autorités n'ayant utilisé les informations obtenues par elles que dans ce but. La chambre a, en conséquence conclu, par quatre voix contre trois, à l'absence de violation de l'article 10.
B - L'existence d'une atteinte à la protection des sources journalistiques doit être appréciée indépendamment de l'intention des autorités, ainsi que de l'effectivité et de l' usage" de cette atteinte
Sans surprise, la Cour commence par rappeler le fort degré de protection que sa jurisprudence a constamment accordé à la liberté d'expression journalistique (§ 50 et 51) (3), en particulier pour l'une de ses déclinaisons : la protection des sources (§ 59 et 63 pour un état des lieux de la jurisprudence), comme elle le rappelle au paragraphe 50 : "Le droit pour les journalistes de protéger leurs sources fait partie de la liberté de 'recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques' consacrée par l'article 10 de la Convention et il en constitue l'une des garanties essentielles. Il s'agit là d'une pierre angulaire de la liberté de la presse, sans laquelle les sources pourraient se montrer réticentes à aider la presse à informer le public sur des questions d'intérêt général. La presse pourrait alors être moins à même d'assumer son rôle vital de chien de garde, et sa capacité à fournir des informations précises et fiables au public pourrait s'en trouver amoindrie" (4).
Comme la chambre, la Cour n'aperçoit aucune raison de mettre en doute l'affirmation de la société selon laquelle ses journalistes s'étaient engagés à ne pas révéler l'identité des participants à la course automobile illégale en question. L'affaire concerne une injonction de remise de matériaux journalistiques renfermant des informations propres à permettre d'identifier les sources journalistiques. Cela suffit pour que la CEDH estime que l'injonction constituait en soi une ingérence dans la liberté de la société de recevoir et de communiquer des informations garantie par l'article 10 § 1 de la Convention.
Contrairement à la chambre, la Grande Chambre estime, toutefois, que l'ingérence n'était pas "prévue par la loi". Il n'est pas contesté que l'ingérence litigieuse avait une base légale (C. pr. pén., art. 96a § 3). La discussion porte sur la qualité de la loi (en particulier sur les garanties procédurales requises). La Cour relève qu'une injonction de divulgation des sources peut avoir un impact préjudiciable non seulement sur les sources, dont l'identité peut être révélée, mais, également, sur le journal ou toute autre publication visée par l'injonction, dont la réputation auprès des sources potentielles futures peut être affectée négativement par la divulgation, et sur les membres du public, qui ont un intérêt à recevoir les informations communiquées par des sources anonymes.
La Grande Chambre contredit, ainsi, radicalement la position de la chambre. Elle estime, en effet, que "n'est pas cruciale [la] distinction" entre une action qui aspire directement à "l'identification des sources elles-mêmes" (l'ensemble des participants à la course) et une autre qui, bien que pouvant conduire indirectement à cette identification, tend à poursuivre une autre fin, à savoir identifier les auteurs d'une infraction distincte (§ 66). En d'autres termes, la Cour juge qu'une violation du droit à la protection des sources ne s'apprécie pas en fonction de l'intention des autorités d'y porter ou non atteinte (§ 66), ni en fonction de son résultat de divulgation ou non des sources. Elle énonce au paragraphe 67 que, "dans des affaires antérieures, la Cour a jugé non pertinente aux fins de la détermination du point de savoir s'il y avait eu atteinte au droit pour les journalistes de protéger leurs sources la mesure dans laquelle l'exercice d'une contrainte avait effectivement eu pour résultat la divulgation ou la poursuite de sources de journalistes". Cette appréciation d'une action tendant à la "remise obligatoire" (§ 65) d'"informations propres à permettre l'identification de sources journalistiques" (§ 72) est avant tout fonction de l'"effet inhibant sur l'exercice de la liberté d'expression des journalistes" qu'elle peut entraîner (§ 65 et 71). Or, ici, les juges strasbourgeois estiment que cet effet était suffisant pour caractériser une ingérence au sein du droit à la protection des sources dérivé de la liberté d'expression, et ce, même si "aucune perquisition ne fut menée dans les locaux de la société requérante" (§ 69). La "menace" d'une telle perquisition était ici "crédible", notamment au regard de la brève arrestation du rédacteur en chef et des conséquences économiques des autres sanctions envisagées comme la fermeture temporaire du magazine (§ 69). En conséquence, l'injonction de la police et du procureur de remettre les photographies constitue bien une ingérence au sein de l'article 10 (§ 72).
II - La saisie de documents pouvant conduire à l'identification des sources journalistiques : des exigences procédurales strictes
A - Les carences de la législation néerlandaise en matière de contrôle juridictionnel des informations susceptibles de permettre l'identification des sources
La protection des sources journalistiques suppose, selon la jurisprudence de la CEDH, que les atteintes pouvant y être portées fassent l'objet d'une procédure juridictionnelle à même de permettre au journaliste de faire valoir ses droits. Au premier rang des garanties exigées doit figurer la possibilité de faire contrôler la mesure par un juge ou tout autre organe décisionnel indépendant et impartial. Le contrôle requis doit être mené par un organe, distinct de l'exécutif et des autres parties intéressées, investi du pouvoir de dire, avant la remise des éléments réclamés, s'il existe un impératif d'intérêt public l'emportant sur le principe de protection des sources des journalistes et, dans le cas contraire, d'empêcher tout accès non indispensable aux informations susceptibles de conduire à la divulgation de l'identité des sources. Dans les cas urgents, un contrôle indépendant mené à tout le moins avant que les éléments obtenus ne soient consultés et exploités devrait être suffisant pour permettre de déterminer si une question de confidentialité se pose et de peser les divers intérêts en jeu. Un contrôle indépendant pratiqué seulement après la remise d'éléments susceptibles de conduire à l'identification de sources est inapte à préserver l'essence même du droit à la confidentialité.
Le juge ou autre organe indépendant et impartial doit donc être en mesure d'effectuer avant toute divulgation cette mise en balance des risques potentiels et des intérêts respectifs relativement aux éléments dont la divulgation est demandée. La décision à prendre doit être régie par des critères clairs, notamment quant au point de savoir si une mesure moins intrusive peut suffire. Le juge ou autre organe compétent doit avoir la faculté de refuser de délivrer une injonction de divulgation ou d'émettre une injonction de portée plus limitée ou plus encadrée, de manière à ce que les sources concernées puissent échapper à la divulgation de leur identité. En cas d'urgence, une procédure doit pouvoir être suivie qui permette d'identifier et d'isoler, avant qu'elles ne soient exploitées par les autorités, les informations susceptibles de permettre l'identification des sources de celles qui n'emportent pas semblable risque.
En l'espèce, la Grande Chambre n'a guère besoin d'aller très loin sur le terrain de l'examen de la conventionalité de l'ingérence litigieuse (CESDH, art. 10 § 2) et constate la violation de la liberté d'expression, faute pour cette ingérence d'avoir été "prévue par la loi". Plus précisément, c'est la "qualité de la loi" néerlandaise et l'insuffisante protection que celle-ci offre aux journalistes qui sont à l'origine de la sanction des Pays-Bas. En effet, la loi néerlandaise confie au procureur, et non à un juge indépendant, la procédure permettant d'identifier les informations susceptibles de permettre l'identification des sources. Or, du point de vue procédural, le procureur est une "partie" et ne peut guère passer pour suffisamment objectif et impartial : plus précisément, le procureur "est une 'partie' qui défend des intérêts potentiellement incompatibles avec la protection des sources des journalistes et il ne peut guère passer pour suffisamment objectif et impartial pour effectuer la nécessaire appréciation des divers intérêts en conflit " (§ 93). La législation néerlandaise n'offre, ainsi, aucun contrôle indépendant préalable. La Cour estime, en outre, que l'on ne peut pas voir dans l'intervention du juge d'instruction en l'espèce une garantie adéquate ; le juge d'instruction avait, en effet, un rôle uniquement consultatif et son intervention s'est faite en dehors de toute base légale, comme il l'a du reste lui-même reconnu (§ 97). Il n'avait donc pas la faculté de délivrer une injonction, de rejeter ou d'accueillir une demande d'injonction ou de mettre des conditions ou des limites à une injonction. Pareille situation ne peut guère être réputée compatible avec l'état de droit. La Cour ajoute qu'elle serait parvenue à cette conclusion sur chacun des deux aspects mentionnés s'ils avaient été considérés séparément.
Ces déficiences ne furent pas purgées en l'espèce par le tribunal d'arrondissement, tout aussi impuissant à empêcher le procureur et la police d'examiner les photographies stockées sur le Cd-rom une fois celui-ci parvenu en leur possession : il ne s'agit là que d'un contrôle juridictionnel a posteriori. La Cour estime, ainsi, que les "déficiences [constatées au préalable] ne furent pas purgées par le contrôle post factum effectué par le tribunal d'arrondissement, tout aussi impuissant à empêcher le procureur et la police d'examiner les photographies stockées sur le Cd-rom une fois celui-ci parvenu en leur possession" (§ 99).
En conclusion, la qualité de la loi était déficiente dans la mesure où il n'existait aucune procédure entourée de garanties légales adéquates qui eût permis à la société requérante d'obtenir une appréciation indépendante du point de savoir si l'intérêt de l'enquête pénale qui était en cours devait l'emporter sur l'intérêt public à la protection des sources des journalistes. Il y a donc eu violation de l'article 10 à raison du fait que l'ingérence incriminée n'était pas "prévue par la loi".
B - L'affirmation de la nécessité d'un contrôle juridictionnel a priori et d'exigences procédurales strictes
A l'occasion de l'affaire en cause, et à l'invitation d'ailleurs de la société requérante (§ 77), la Cour précise et accroît explicitement le niveau de ses exigences en matière de contrôle juridictionnel de l'atteinte portée à la protection des sources. Ainsi, les juges européens estiment que, "compte tenu de l'importance vitale pour la liberté de la presse de la protection des sources des journalistes et des informations susceptibles de conduire à leur identification, toute atteinte au droit à la protection de pareilles sources doit être entourée de garanties procédurales, définies par la loi, en rapport avec l'importance du principe en jeu" (§ 88). Puisque la divulgation des sources peut avoir des conséquences graves pour l'intérêt de trois parties ("les sources, dont l'identité peut être révélée" ; "la réputation [du journal] auprès des sources potentielles futures" ; "les membres du public, qui ont un intérêt à recevoir les informations communiquées par des sources anonymes"), la Cour consacre solennellement une importante "garantie" : "la possibilité de faire contrôler [les mesures destinées à obtenir des documents pouvant révéler les sources journalistiques] par un juge ou tout autre organe décisionnel indépendant et impartial " (§ 90).
Ces exigences procédurales impliquent en principe "un contrôle [...] mené par un organe, distinct de l'exécutif et des autres parties intéressées, investi du pouvoir de dire, avant la remise des éléments réclamés, s'il existe un impératif d'intérêt public l'emportant sur le principe de protection des sources des journalistes et, dans le cas contraire, d'empêcher tout accès non indispensable aux informations susceptibles de conduire à la divulgation de l'identité des sources" (§ 90). Par exception, en cas d'urgence, "un contrôle indépendant mené à tout le moins avant que les éléments obtenus ne soient consultés et exploités devrait être suffisant pour permettre de déterminer si une question de confidentialité se pose et, le cas échéant, si, eu égard aux circonstances particulières de l'espèce, l'intérêt public invoqué par les autorités d'enquête ou de poursuite l'emporte sur l'intérêt public général à la protection des sources" (§ 91). Mais, en toutes circonstances, "un contrôle indépendant pratiqué seulement après la remise d'éléments susceptibles de conduire à l'identification de sources est inapte à préserver l'essence même du droit à la confidentialité" (§ 91).
Au-delà de "la nécessité d'un contrôle de nature préventive" avant toute divulgation (§ 92), la procédure d'examen de l'opportunité de la remise d'éléments est elle-même soumise à des exigences précises. Il est, en effet, indiqué que la décision du contrôleur "doit être régie par des critères clairs, notamment quant au point de savoir si une mesure moins intrusive peut suffire pour servir les intérêts publics prépondérants ayant été établis" (§ 92). Outre cette exigence de clarté, ainsi que de stricte proportionnalité de la mesure, des pouvoirs suffisants doivent être conférés au contrôleur afin qu'il puisse "avoir la faculté de refuser de délivrer une injonction de divulgation ou d'émettre une injonction de portée plus limitée ou plus encadrée, de manière à ce que les sources concernées puissent échapper à la divulgation de leur identité, qu'elles soient ou non spécifiquement nommées dans les éléments dont la remise est demandée, au motif que la communication de pareils éléments créerait un risque sérieux de compromettre l'identité de sources de journalistes" (§ 92). Cette possibilité de tri entre les informations doit également être prévue en cas d'urgence (§ 92 in fine).
C - La "conventionnalité" de la loi du 4 janvier 2010 relative à la protection des sources des journalistes
L'arrêt du 14 septembre 2010 présente un important intérêt pratique. La fixation d'exigences procédurales précises et détaillées offre la possibilité de passer au crible les législations des Etats parties et donc de vérifier si ces dernières respectent un tel standard de protection.
A cet égard, l'on peut estimer que la législation française, bien que récemment modifiée par la loi du 4 janvier 2010, ne se trouve pas nécessairement à l'abri d'une sanction strasbourgeoise. Certes, par exemple, l'intervention d'un magistrat est bien prévue pour les perquisitions visant les locaux -professionnels ou personnels- de journalistes (C. pr. pén., art. 56-2 N° Lexbase : L3573IGG). Toutefois, il n'est pas sûr que ce magistrat réponde à l'exigence d'"impartialité" car il mène lui-même la perquisition qu'il aura autorisé, et même parfois en pratique aux fins de nourrir sa propre instruction. Ce problème est d'ailleurs mis en exergue par l'intervention possible, dans un délai de cinq jours, du juge des libertés et de la détention qui sera compétent pour examiner les contestations des saisies. Ce dernier répond bien, semble-t-il, aux exigences d'indépendance et d'impartialité. Cependant, non seulement ce contrôle intervient a posteriori mais, de plus, la nécessité d'une telle intervention tend à démontrer a contrario que le premier magistrat ayant réalisé la perquisition n'était pas placé dans une situation aussi impartiale vis-à-vis de l'affaire.
Plus sûrement encore, la conformité de la loi de 2010 vis-à-vis de la jurisprudence strasbourgeoise semble plus douteuse au regard du champ d'application matériel limité de la procédure évoquée plus haut. Celle-ci ne couvre pas aussi clairement les hypothèses -comme dans l'affaire examinée par la chambre- où l'exigence de remise de document ne s'insère pas dans une perquisition officielle, mais résulte de pressions des autorités de poursuite. En tout état de cause, l'intensité accrue de la protection strasbourgeoise des sources journalistiques ne peut qu'inciter le législateur -et l'ensemble des autorités publiques- à résorber les lacunes et autres carences du droit français qui ont pu être pointées par nombre d'observateurs, ceci même après l'entrée vigueur de la loi de 2010.
(1) CEDH, 31 mars 2009, Req. 38224/03 (N° Lexbase : A4634E9I).
(2) CEDH, 6 avril 2010, Req. 45130/06 (N° Lexbase : A1237GBG) ; CEDH, 30 juin 2009, Req. 17215/06 (N° Lexbase : A0320GBH).
(3) CEDH, 1er juin 2010, Req. 16023/07 (N° Lexbase : A7685EXW) ; CEDH, 6 mai 2010, Req. 17265/05 (N° Lexbase : A9814EWE) ; CEDH, 22 avril 2010, Req. 40984/07 (N° Lexbase : A1235GBD).
(4) CEDH, 15 décembre 2009, Req. 821/03 (N° Lexbase : A1236GBE) ; CEDH, 27 mars 1996, Req. 17488/90 (N° Lexbase : A1234GBC) (§ 39).
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Réf. : Cass. soc., 22 septembre 2010, deux arrêts, n° 08-45.227, FS-P+B+R (N° Lexbase : A2157GA7) et n° 09-41.173, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5295GAD)
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par Sébastien Tournaux, Maître de conférences à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV
Le 07 Octobre 2010
Résumé 1 - Cass. soc., 22 septembre 2010, n° 08-45.227, FS-P+B+R La protection du conseiller du salarié, inscrit sur la liste prévue par l'article L. 1232-7, alinéa 2, du Code du travail (N° Lexbase : L1390H9D), court à compter du jour où cette liste est arrêtée dans le département par le Préfet en application de l'article D. 1232-5 du même code (N° Lexbase : L2500IAT), indépendamment des formalités de publicité prévues par ce dernier texte. Il résulte de l'article R. 2421-3 du Code du travail (N° Lexbase : L0060IAH) que la demande, à l'inspecteur du travail, d'autorisation de licenciement d'un délégué syndical, salarié mandaté ou conseiller du salarié doit être précédée de l'entretien préalable prévu à l'article L. 1232-2 du même code (N° Lexbase : L1075H9P) ; qu'est dès lors soumis à cette procédure le licenciement d'un conseiller du salarié même lorsqu'il s'inscrit dans le cadre d'un licenciement économique collectif relevant de l'article L. 1233-38 du Code du travail (N° Lexbase : L1186H9S). 2 - Cass. soc., 22 septembre 2010, n° 09-41.173, FS-P+B+R La protection du conseiller du salarié inscrit sur la liste prévue par l'article L. 1232-7, alinéa 2, du Code du travail court à compter du jour où cette liste est arrêtée dans le département par le préfet en application de l'article D.1232-5 du même code, indépendamment des formalités de publicité prévues par ce dernier texte. |
Commentaire
I - La modification du point de départ de la protection du conseiller du salarié
Le conseiller du salarié "inscrit sur une liste dressée par l'autorité administrative et chargé d'assister les salariés convoqués par leur employeur en vue d'un licenciement" bénéficie, par application des articles L. 1232-14 (N° Lexbase : L1098H9K) et L. 2411-1 (N° Lexbase : L3230IML) du Code du travail du statut de salarié protégé détaillé aux articles R. 2421-1 et suivants du même code (N° Lexbase : L0066IAP).
Ce statut, est-il utile de le rappeler, impose à l'employeur d'obtenir l'autorisation de l'inspecteur du travail préalablement au prononcé de la rupture du contrat. L'article L. 2436-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0235H9L) prévoit en outre que le fait de rompre le contrat de travail du conseiller de salarié sans requérir cette autorisation constitue un délit puni d'un an d'emprisonnement et d'une amende de 3 750 euros.
Les conditions du bénéfice de cette protection n'ont fait l'objet que d'une jurisprudence sporadique, n'apportant que quelques rares précisions en la matière. On a tout de même pu relever que la protection accordée à ces conseillers était indépendante de l'accomplissement effectif de missions de conseil (1). Peu importe que le conseiller soit peu actif, voire totalement inactif, la protection demeure quand bien même le mandat resterait en quelque sorte en sommeil.
La protection du conseiller du salarié ne se limite pas aux hypothèses de licenciement comme le laisse penser l'alinéa 2 de l'article L. 1232-14 du Code du travail. En effet, la Chambre sociale de la Cour de cassation a précisé que la protection bénéficiait au conseiller y compris en cas de rupture de la période d'essai (2). Cette solution désormais bien acquise est confirmée dans le second arrêt sous examen.
Des difficultés plus sérieuses étaient nées de la question du point de départ de la protection.
Initialement, la Chambre sociale de la Cour de cassation avait adopté une position très protectrice du statut des conseillers du salarié en estimant que "la liste des conseillers [étant] établie par le préfet et (...) publiée au recueil des actes administratifs de la préfecture", "elle peut être consultée tant en préfecture, qu'à l'inspection du travail et en mairie" si bien "qu'en raison de cette publicité les inscriptions sur ladite liste, sont opposables à tous" (3). Dit autrement, il importait peu à la Cour de cassation que l'employeur ait ou non eu connaissance du mandat de conseiller du salarié de l'un de ses collaborateurs pour que la protection soit effective.
La sévérité de la posture adoptée pouvait tout de même être justifiée. En effet, l'objet des mesures de publicité de ces mandats étant précisément de porter leur existence à la connaissance de tout un chacun, le salarié n'avait pas à informer l'employeur de son mandat. D'autre part, le Code du travail prévoyait un certain nombre de mesures permettant à l'employeur d'être informé de l'existence du mandat. Ainsi, la liste des conseillers du salarié fait l'objet d'une publicité substantielle puisqu'elle est publiée au recueil des actes administratifs du département et qu'elle doit être tenue à la disposition des salariés dans chaque section d'inspection du travail et dans chaque mairie (4). En outre, les directeurs départementaux du travail doivent communiquer aux entreprises, dont l'un des salariés est placé sur cette liste, le nom des salariés concernés (5). Cette information laisse cependant sans solution la situation dans laquelle un employeur engage un salarié dont le nom figure déjà sur la liste des conseillers du salarié (6).
Cette position originelle avait tout de même été atténuée par un arrêt rendu le 24 septembre 2008 (7). Dans cette affaire, si la liste des conseillers du salarié était bien consultable auprès de l'inspection du travail et en mairie, elle n'avait cependant pas fait l'objet d'une publication au recueil des actes administratifs de la préfecture. L'employeur soutenait alors que, n'étant pas informé de l'existence du mandat de sa salariée, il n'avait pas à requérir l'autorisation de l'inspection du travail. Adoptant sur ce point l'argumentation de l'employeur, la Chambre sociale jugeait que "seule la publication de la liste au recueil des actes administratifs du département la rend opposable à tous", si bien qu'en l'absence d'une telle publication, "il appartenait au conseiller du salarié inscrit sur cette liste de faire la preuve que son employeur avait connaissance de sa qualité lors de l'envoi de la lettre de licenciement". En cas de défaillance de l'administration et d'absence de publication de la liste, le salarié devenait débiteur d'une sorte d'obligation d'information auprès de son employeur ou, tout du moins, devait-il démontrer que l'employeur avait bien connaissance du mandat pour bénéficier de la protection.
C'est sur cet ensemble mettant la publication de la liste au centre de la question du point de départ de la protection que les deux arrêts commentés prennent à nouveau position.
Dans la première affaire (Cass. soc., 22 septembre 2010, n° 08-45.227), un conseiller du salarié avait été licencié pour motif économique par le liquidateur judiciaire d'une entreprise placée en liquidation. Le salarié invoquait la nullité du licenciement pour non-respect de la procédure de licenciement des salariés protégés. La cour d'appel de Douai faisant droit à la demande du salarié, le liquidateur se pourvut en cassation. Pour soutenir sa demande, il estimait que malgré la publication de la liste des conseillers du salarié au recueil des actes administratifs du département, le salarié était débiteur d'une obligation d'information à l'égard de son employeur sur l'existence de son mandat. L'inexécution de cette obligation, déduite pour le demandeur au pourvoi de l'article 1134, alinéa 3, du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC), constituait selon lui en une exécution déloyale du contrat de travail.
La Chambre sociale de la Cour de cassation rejette le pourvoi en jugeant que "la protection du conseiller du salarié, inscrit sur la liste prévue par l'article L. 1232-7, alinéa 2, du Code du travail, court à compter du jour où cette liste est arrêtée dans le département par le Préfet en application de l'article D. 1232-5 du même code (N° Lexbase : L2500IAT), indépendamment des formalités de publicité prévues par ce dernier texte". On relèvera avec attention que la Cour de cassation porte ici une réponse qui va bien au-delà de la question posée par le pourvoi. En effet, ne se prononçant absolument pas sur la prétendue obligation d'information à la charge du salarié, la chambre sociale déplace le point de départ de la protection du conseiller qui n'est plus désormais protégé dés la publication de la liste mais dès que la liste est arrêtée par le Préfet.
Un deuxième moyen, qui ne sera pas examiné ici, était relatif à la chronologie de la procédure de licenciement du salarié protégé, la Cour de cassation rappelant que par application de l'article R. 2421-3 du Code du travail (N° Lexbase : L0060IAH), l'entretien préalable de licenciement devait intervenir avant la demande d'autorisation de licenciement à l'inspecteur du travail.
Dans la seconde affaire (Cass. soc., 22 septembre 2010, n° 09-41.173), un salarié avait été engagé avec une période d'essai quelques semaines après que la liste des conseillers du salarié sur laquelle son nom figurait soit actualisée. Avant l'échéance de l'essai, l'employeur mettait un terme à la période d'essai sans requérir d'autorisation administrative de rupture du contrat de travail. Le salarié et son syndicat intentaient alors une action en référé afin d'obtenir la réintégration du salarié et le paiement de diverses sommes à titre de provision.
La cour d'appel de Versailles fit également droit à la demande de ce salarié. L'employeur forma un pourvoi en cassation, soutenant que seule la publication de la liste des conseillers du salarié au recueil des actes administratifs du département rendait l'existence du mandat opposable à tous. Or, si le nom du salarié figurait bien sur la liste des conseillers du salarié, celle-ci n'avait pas été intégralement publiée au recueil, l'arrêté précisant simplement que la liste était tenue à la disposition des salariés.
La Cour de cassation rejette également ce pourvoi, adoptant une motivation identique à celle du premier arrêt : le nom du salarié figurant bien sur la liste arrêtée par le préfet, "le licenciement (sic) constituait un trouble manifestement illicite qu'il convenait de faire cesser en ordonnant la réintégration du salarié".
Si ces deux décisions feront l'objet d'une publication au rapport annuel de la Cour de cassation, c'est parce qu'elles constituent un véritable revirement de jurisprudence en matière de point de départ de la protection du conseiller du salarié. Comme nous l'avons déjà montré, la Cour de cassation jugeait jusqu'alors que le point de départ de la protection résidait dans la publication de la liste et non dans le simple fait qu'elle ait été arrêtée par le Préfet. La solution revêt une importance d'autant plus grande que la Cour prend position sur une question qui ne lui était pas posée en ces termes dans le premier arrêt sous examen.
II - L'appréciation du point de départ de la protection du conseiller du salarié
L'analyse de cette décision dépend bien évidemment du point de vue que l'on adopte. Si l'on se place du côté des conseillers du salarié, la solution leur est bien évidemment favorable, à la fois parce que le point de départ de principe de la protection sera plus précoce, mais encore parce que la solution les dispense à coup sûr de toute obligation d'informer l'employeur de l'existence du mandat.
Compte tenu des difficultés d'actualisation des recueils administratifs en la matière, la jurisprudence antérieure menait en effet le salarié à informer l'employeur de l'existence du mandat en cas de défaut de publication. Or une telle information n'était pas anodine tant le salarié titulaire d'un mandat peut aisément devenir une cible pour certains employeurs peu ouverts à l'activité syndicale de leurs salariés.
En outre, cette jurisprudence est cohérente avec la position adoptée en matière de constitution de la section syndicale. En effet, on se souviendra que la chambre sociale a porté une atteinte au principe du contradictoire au nom du respect à la vie privée duquel découle le droit de chaque salarié à préserver le secret sur son appartenance syndicale. Ainsi, si le syndicat doit faire la preuve de l'existence d'une pluralité d'adhérents dans l'entreprise pour pouvoir y constituer une section syndicale, cette preuve n'est pas intégralement soumise au principe du contradictoire si bien qu'en cas de litige, le juge sera dispensé de communiquer à l'employeur le nom des salariés constituant la section (8).
Si en revanche, on se place du côté des employeurs, il faut bien reconnaître que la connaissance de l'existence d'un mandat de conseiller du salarié risque de devenir un jeu de piste, voire un véritable casse-tête. Si la liste n'a pas été publiée, l'employeur devra vérifier systématiquement, à chaque fois qu'il aura l'intention de procéder à un licenciement, que le dernier état de la liste arrêtée par le Préfet ne comporte pas le ou les noms des salariés dont le licenciement est envisagé. Cette procédure est très complexe même s'il faut reconnaître que la liste des conseillers du salarié est relativement facile à obtenir puisqu'elle est tenue à disposition des salariés dans les sections d'inspection du travail et les mairies. La solution n'est cependant ici guère satisfaisante : la liste est tenue, dispose l'article D. 1232-5 al. 2, "à la disposition des salariés" et non à la disposition des employeurs...
On peut, en outre, se demander quelle est désormais l'utilité de la publication de la liste au recueil des actes administratifs. Cette publication n'était d'aucune utilité pour le conseiller du salarié lui-même, ni pour les salariés qui pouvaient avoir recours à ses services. Elle n'avait finalement pour seul objectif que d'informer de l'existence du mandat d'autres personnes et, en particulier, les employeurs. L'obligation de publication prévue à l'article D. 1232-5 devient, à notre sens, totalement sans objet.
Pire encore, on peut se demander si les solutions adoptées par la chambre sociale ne portent pas atteinte aux règles relatives à l'entrée en vigueur des actes administratifs. On se souviendra en effet que l'entrée en vigueur des actes administratifs peut dépendre de leur publication. Tel est évidemment le cas des actes de nature réglementaire qui ne peuvent être opposables qu'à la condition d'avoir été publiés . La question est plus délicate lorsque l'acte administratif est un acte dit "individuel", le plus souvent un acte de nomination, qui désigne nommément des personnes concernées par l'acte.
Aucune décision du juge administratif ne règle, à notre connaissance, la question de la nature juridique de l'arrêté préfectoral établissant la liste des conseillers du salarié (10). Cependant, si la qualification de décision individuelle devait être retenue, une publication n'en serait pas moins exigée, de manière générale, pour que l'acte puisse être opposable aux tiers. Le Conseil d'Etat juge en effet, de manière constante, que si la notification de la décision individuelle aux intéressés suffit à son entrée en vigueur (11), l'opposabilité de la décision aux tiers n'est acquise qu'à la condition que la décision individuelle ait été publiée (12). La solution adoptée par la Chambre sociale paraît donc en parfaite opposition avec les règles les plus fondamentales d'entrée en vigueur et d'opposabilité des décisions administratives, qu'elles soit réglementaires ou individuelles...
Le bilan coûts/avantages des solutions commentées est finalement très déséquilibré. Il aurait été concevable que la Cour de cassation mette en balance le respect de la vie personnelle du salarié et sa composante que constitue la protection du secret de ses mandats. Mais, d'abord, la Cour de cassation n'invoque à aucun moment cet argument et, ensuite, la protection de ce secret n'est qu'éphémère et provisoire, l'employeur ayant la possibilité, et c'est heureux, de découvrir l'existence du mandat de conseiller du salarié.
Ces décisions sont donc très nettement contestables sur le plan juridique comme sur celui de l'opportunité et l'on attendra avec une certaine impatience les lumières que la Cour de cassation voudra bien nous donner dans son rapport d'activité pour l'année 2010.
(1) Cass. soc., 14 janvier 2003, n° 00-45.883, FS-P ([LXB=A6853A4L)]) et les obs. de G. Auzero, Licenciement pour motif personnel, Lexbase Hebdo n° 56 du 30 janvier 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N5661AAW).
(2) Cass. soc., 26 octobre 2005, n° 03-44.585, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A1387DLX) et les obs. de Ch. Radé, La rupture du contrat de travail du salarié protégé pendant la période d'essai soumise à l'autorisation préalable de l'inspection du travail, Lexbase Hebdo n° 188 du 3 novembre 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N0314AKT).
(3) Cass. soc., 14 janvier 2003, n° 00-45.883, préc.
(4) C. trav., art. D. 1232-5 (N° Lexbase : L2500IAT).
(5) Circ. min. n° 91-16 du 5 septembre 1991, relative à l'assistance du salarié lors de l'entretien préalable au licenciement (N° Lexbase : L5115ARU), v. spécialement le § 1.2.4.
(6) On retrouve une telle difficulté pour les conseillers prud'hommes, difficulté qui avait été pointée du doigt par la Cour de cassation dans son rapport annuel pour l'année 2007. V. nos obs., Les propositions de réforme de la Chambre sociale avancées par le rapport de la Cour de cassation, Lebase Hebdo n° 305 du 22 mai 2008 - édition sociale, (N° Lexbase : N9554BEL).
(7) Cass. soc., 24 septembre 2008, n° 07-40.436, FS-P+B (N° Lexbase : A4976EAK) et nos obs., Opposabilité à l'employeur du statut protecteur du conseiller du salarié : l'hypothèse d'un manquement de l'administration, Lexbase Hebdo n° 321 du 9 octobre 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N3798BH7).
(8) L'adhésion du salarié à un syndicat relève de sa vie personnelle et ne peut être divulguée sans son accord , v. Cass. soc., 8 juillet 2009, n° 09-60.011, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7069EIN) et les obs. de Ch. Radé, Loi du 20 août 2008 et réforme de la démocratie sociale : premières précisions sur le droit transitoire et les règles applicables à la section syndicale, Lexbase Hebdo n° 360 du 23 juillet 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N1143BLW) ; RDT, 2009, p. 729, note M. Grevy ; SSL, 2009, n° 1412, p. 6, note G. Borenfreund ; D., 2010, p. 282, note J. Mouly.
(9) CE 3e et 5e s-s-r, 4 juillet 1975, n° 89349 (N° Lexbase : A2966B7Y) ; JCP éd. G 1977, II, 18666, note Vincent ; CE Contentieux, 2 avril 1997, n° 138657 (N° Lexbase : A9249ADW) ; Dr. adm., 1997, comm. 193 ; Rec. CE, 1997, tables, p. 640.
(10) La qualification d'arrêté préfectoral a tout de même été attribuée à cette décision administrative par un arrêt de la cour administrative d'appel de Paris, v. CAA Paris, 3ème ch., 19 novembre 2008, n° 06PA03000 (N° Lexbase : A0781ECW).
(11) CE Contentieux, 20 juin 1997, n° 185323 (N° Lexbase : A0592AEN) ; Rec. CE, 1997, p. 247 ; AJDA, 1997, p. 800, concl. Pécresse.
(12) CE Contentieux, 18 février 1994, n° 140815 (N° Lexbase : A0095ASC) ; Rec. CE, 1994, tables, p. 770 ; Dr. adm., 1994, comm. 180 ; Petites affiches, 29 septembre 1994, p. 4, concl. Schwartz.
Décision 1 - Cass. soc., 22 septembre 2010, n° 08-45.227, FS-P+B+R (N° Lexbase : A2157GA7) Rejet, CA Douai, ch. soc., 30 septembre 2008 Textes cités : C. trav., art. L. 1232-7 (N° Lexbase : L1086H94), L. 1232-2 (N° Lexbase : L1075H9P), L. 1233-38 (N° Lexbase : L1186H9S), R. 2421-3 (N° Lexbase : L0060IAH) et D. 1232-5 (N° Lexbase : L2500IAT). Mots-clés : Conseiller du salarié. Protection. Publication de la liste des conseillers. Arrêté préfectoral établissant la liste des conseillers du salarié. Liens base : (N° Lexbase : E9253ESI) et (N° Lexbase : E9544ESB). 2 - Cass. soc., 22 septembre 2010, n° 09-41.173, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5295GAD) Rejet, CA Versailles, 6ème ch., 20 janvier 2009 Textes cités : C. trav., art. L. 1232-7 (N° Lexbase : L1086H94) et D.1232-5 (N° Lexbase : L2500IAT) Mots-clés : Conseiller du salarié. Protection. Publication de la liste des conseillers. Arrêté préfectoral établissant la liste des conseillers du salarié. Liens base : (N° Lexbase : E9253ESI) |
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