La lettre juridique n°326 du 13 novembre 2008

La lettre juridique - Édition n°326

Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Calcul des heures indemnisables au titre du chômage partiel

Réf. : Cass. soc., 28 octobre 2008, n° 07-40.865, Société MGB, FS-P+B (N° Lexbase : A0679EBR)

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N7018BHE

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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen

Le 07 Octobre 2010

Alors que le législateur vient de modifier le régime de la durée du travail (loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail (1)), la Cour de cassation s'est prononcée, dans un arrêt du 28 octobre 2008, sur l'une des conséquences associées à une autre réforme de la durée du travail, la loi "Aubry II" du 19 janvier 2000 (loi n° 2000-37, relative à la réduction négociée du temps de travail N° Lexbase : L0988AH3), au regard du calcul des heures indemnisées au titre de la prise en charge du chômage partiel. En l'espèce, la question portait sur le seuil de déclenchement de prise en charge du chômage partiel, modifié par la loi "Aubry II", qui est passé de 39 à 35 heures (2). Un salarié demandait que l'employeur lui verse une indemnisation de chômage partiel calculée sur la base de 39 heures, durée du travail appliquée dans l'entreprise, alors que l'employeur, lui, entendait calculer l'indemnisation sur une base de 35 heures, durée du travail applicable à l'entreprise depuis la loi "Aubry II". La cour d'appel avait suivi l'argumentation du salarié, contrairement à la Cour de cassation, pour laquelle il résulte de l'article R. 351-53-I du Code du travail (N° Lexbase : L0303ADL, art. R. 5122-11, recod. N° Lexbase : L2860IA8) que le nombre d'heures perdues pouvant justifier des allocations attribuées en application de l'article L. 351-25 (N° Lexbase : L6259ACS, art. L. 5122-1, recod. N° Lexbase : L2041H9H) correspond à la différence entre la durée légale du travail applicable dans l'entreprise ou, lorsqu'elle est inférieure, la durée collective du travail ou la durée stipulée au contrat, et le nombre d'heures réellement travaillées sur la période considérée. De plus, l'article 2 de l'accord national interprofessionnel du 21 février 1968, applicable, dispose que seules les heures prises en charge au titre de l'indemnisation légale ouvriront droit aux allocations horaires conventionnelles.

Dans la mesure où le régime de la durée du travail a été modifié par la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, l'arrêt rapporté permet opportunément de faire le point sur la question du calcul de l'allocation de chômage partiel, en présence, ou non, d'un accord de modulation du temps de travail.


Résumé

En application de l'article R. 351-53-I du Code du travail (C. trav., art. R. 5122-11, recod.), le nombre d'heures perdues pouvant justifier des allocations de chômage partiel correspond à la différence entre la durée légale du travail applicable dans l'entreprise ou, lorsqu'elle est inférieure, la durée collective du travail ou la durée stipulée au contrat, et le nombre d'heures réellement travaillées sur la période considérée. L'article 2 de l'accord national interprofessionnel du 21 février 1968 dispose que seules les heures prises en charge au titre de l'indemnisation légale ouvriront droit aux allocations horaires conventionnelles.

Il résulte de ces dispositions combinées que les heures supplémentaires, soit les heures supérieures à la durée légale, ne donnent pas lieu à indemnisation au titre du chômage partiel.

Commentaire

I - Régime du chômage partiel, hors accord de modulation du temps de travail

A - Cas de prise en charge des indemnités de chômage partiel

  • Définition légale et réglementaire

Les causes susceptibles d'ouvrir droit à indemnisation relèvent de la conjoncture économique, des difficultés d'approvisionnement en matières premières ou en énergie, du sinistre ou intempéries de caractère exceptionnel, de la transformation, restructuration ou modernisation de l'entreprise, et, enfin, de toute autre circonstance de caractère exceptionnel (C. trav., art. R. 5122-2 N° Lexbase : L2884IA3) (3). Ces situations comprennent des caractéristiques communes reposant sur leur caractère obligatoirement temporaire et, dans certains cas, sur leur caractère exceptionnel, c'est-à-dire sur leur imprévisibilité (circ. DGEFP n° 2001-21 du 18 juillet 2001, relative à l'allocation spécifique de chômage partiel fiche 1 N° Lexbase : L7558IBK). Les derniers travaux statistiques disponibles (4) montrent que le chômage partiel peut remplir un rôle d'instrument de flexibilité répondant à des variations prévisibles d'activité et non de simple outil de protection de l'emploi utilisé dans des circonstances exceptionnelles.

  • Réduction de la durée du travail, cause de déclenchement du mécanisme de chômage partiel

Les salariés qui, tout en restant liés à leur employeur par un contrat de travail, subissent une perte de salaire imputable à la réduction de l'horaire de travail habituellement pratiqué dans l'établissement en deçà de la durée légale de travail, bénéficient d'une allocation spécifique qui est à la charge de l'Etat (C. trav., art. L. 5122-1) (5). Encore faut-il que cette réduction du temps de travail soit liée à une réduction d'activité : la direction départementale du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle (DDTEFP) peut valablement refuser une demande de prise en charge de l'indemnité de chômage partiel en l'absence de réduction d'activité (6).

B - Régime du chômage partiel : calcul des heures indemnisables

  • Calcul du nombre d'heures indemnisables

Dans les entreprises pratiquant une durée du travail hebdomadaire fixe, les heures indemnisables correspondent à la différence entre le nombre d'heures normalement travaillées sur le mois et le nombre d'heures réellement travaillées. Le nombre d'heures perdues pouvant justifier les allocations attribuées correspond à la différence entre la durée légale du travail applicable dans l'entreprise ou, lorsqu'elle est inférieure, la durée collective du travail ou la durée stipulée au contrat et le nombre d'heures réellement travaillées sur la période considérée. Ces allocations prennent la forme d'indemnités horaires dont le taux peut varier selon la taille de l'entreprise (C. trav., art. R. 5122-11, R. 5122-18 N° Lexbase : L2840IAG et R. 5122-23 N° Lexbase : L2827IAX).

Lorsque la durée du travail est fixée en application des articles L. 3122-6 (N° Lexbase : L0354H9Y) et L. 3122-19 (N° Lexbase : L0370H9L) du Code du travail, le nombre d'heures indemnisables correspond à la différence entre la durée hebdomadaire légale de travail, ou la durée collective si elle lui est inférieure, et le nombre d'heures réellement travaillées. Les heures perdues au-delà de la durée légale de travail ne donnent pas lieu à l'attribution du repos correspondant (C. trav., art. R. 5122-11). Elles peuvent être définies pour une entreprise, par un accord d'entreprise (ex., pour le Crédit agricole, Accord national 13 janvier 2000, relatif à la cessation anticipée d'activité, à l'aménagement et à la réduction du temps de travail au Crédit agricole ; CE contentieux, 17 juin 2002, n° 226936, Fédération nationale CGT des personnels des secteurs financiers N° Lexbase : A3583A34, RJS, 2002, n° 1272).

  • Influence de la loi sur la réduction du temps de travail

Avec l'abaissement de la durée légale mise en oeuvre par la loi "Aubry II", le décret n° 2001-557 du 28 juin 2001, relatif au chômage partiel (N° Lexbase : L2026AT9), dispose que le chômage partiel se déclenche en deçà de la durée légale de 35 heures ou en deçà de la durée collective si elle est inférieure à la durée légale. La réforme a, également, défini le mode de calcul des heures indemnisables pour les autres formes de mise en place de l'aménagement et la réduction du temps de travail. Ainsi, les modalités d'indemnisation varient selon les règles propres à la formule d'organisation du travail : modulation du temps de travail ; durée équivalente à la durée légale ; réduction du temps de travail avec jours de repos supplémentaires ; convention de forfait (heures sur le mois, heures ou jours sur l'année). Certaines heures non travaillées peuvent donc ne pas être indemnisables (7).

L'abaissement de la durée légale en application de l'article 1er de la loi du 19 janvier 2000 a eu pour conséquence directe un décompte du nombre d'heures indemnisables en deçà de 35 heures hebdomadaires. Lorsque la durée du travail est fixée dans un cadre hebdomadaire, les heures réellement chômées, et donc indemnisables par l'Etat, correspondent à la différence entre le nombre d'heures normalement travaillées sur le mois et le nombre d'heures réellement travaillées au cours de ce même mois. Le nombre d'heures habituellement travaillées au cours du mois dans l'établissement ne peut excéder la durée légale de travail ou la durée collective de travail si elle est inférieure à la durée légale ou la durée fixée au contrat pour les salariés non soumis à la durée collective (8).

L'abaissement de la durée légale hebdomadaire du temps de travail a entraîné des effets mécaniques quant aux conditions d'attribution de l'allocation spécifique de chômage partiel et donc de l'allocation complémentaire versée au titre d'une convention de chômage partiel. S'agissant des conditions de prise en charge de l'allocation complémentaire au titre d'une convention de chômage partiel, la carence de la prise en charge applicable aux heures comprises entre la 36ème et la 39ème heure a été supprimée pour prendre en compte les effets mécaniques de l'abaissement de la durée légale du travail (C. trav., art. D. 5122-36 N° Lexbase : L2792IAN).

La durée légale du travail a été réduite à 35 heures par semaine, à compter du 1er janvier 2000 pour les entreprises de plus de 20 salariés et à compter du 1er janvier 2002 pour les entreprises de 20 salariés et moins. Cette baisse de la durée légale du travail a entraîné une modification du régime réglementaire : le décret du 28 juin 2001 a recentré le chômage partiel sur son rôle premier de maintien en emploi des salariés. Pour les statisticiens, la réduction du temps de travail a donc contribué à recentrer le chômage partiel sur sa fonction initiale de protection de l'emploi, de prévention des licenciements, au détriment du volet "flexibilité" (9).

II - Régime du chômage partiel dans les entreprises qui pratiquent un accord de modulation

A - Régime antérieur à la loi du 20 août 2008

Le pouvoir réglementaire avait prévu que les entreprises appliquant un accord de modulation du temps de travail peuvent bénéficier des allocations de chômage partiel pour chaque heure perdue en deçà de la durée du travail prévue dans le programme indicatif des salariés concernés sur la période considérée dans les limites de la durée légale ou de la durée hebdomadaire moyenne sur l'année si elle est inférieure (C. trav., art. R. 5122-26). Les conventions et accords portant sur le chômage partiel doivent fixer le programme indicatif de la répartition de la durée du travail, les modalités de recours au travail temporaire, les conditions de recours au chômage partiel pour les heures qui ne sont pas prises en compte dans la modulation, ainsi que le droit à rémunération et à repos compensateur des salariés n'ayant pas travaillé pendant la totalité de la période de modulation de la durée du travail et des salariés dont le contrat de travail a été rompu au cours de cette même période (C. trav., art. L. 3122-11).

Les conditions de mise en oeuvre du chômage partiel, lorsque l'entreprise applique un accord de modulation, sont spécifiques (C. trav., art. R. 5122-26). Ces conditions respectent, tout à la fois, les règles relatives à la modulation du temps de travail et celles relatives au chômage partiel (circ. DGEFP n° 2001-21 du 18 juillet 2001, préc., fiche 5). L'employeur appliquant un accord de modulation du temps de travail et qui envisage la mise au chômage partiel de ses salariés doit adresser en temps réel une demande d'indemnisation, c'est-à-dire dès qu'il pressent qu'il ne pourra pas respecter le programme indicatif de la modulation (C. trav., art. R. 5122-27 N° Lexbase : L2816IAK). Lorsque la cause du chômage partiel réside dans une suspension d'activité due à un sinistre ou à des intempéries de caractère exceptionnel, l'employeur peut adresser sa demande dans un délai de trente jours à compter du premier jour de mise en oeuvre du chômage partiel. L'absence de programme indicatif ne permet pas d'attribuer l'allocation spécifique faute de décompte possible du nombre d'heures réellement chômées par les salariés (circ. DGEFP n° 2001-21 du 18 juillet 2001, préc., fiche 5).

Le nombre d'heures indemnisables au titre du chômage partiel correspond aux heures perdues par rapport au planning indicatif de la modulation. Les heures indemnisables sont calculées dans la limite de la durée légale du travail ou de la durée conventionnelle hebdomadaire en moyenne sur l'année si elle est inférieure à la durée légale. Les heures perdues comprises entre la durée légale, ou conventionnelle si inférieure, et le plafond de la modulation fixé par l'accord ou par la convention ne peuvent, en aucun cas, être indemnisées au titre du chômage partiel et doivent donc être normalement rémunérées par l'employeur.

Les clauses de l'accord sur la base duquel la modulation du temps de travail est appliquée prévoyant des dispositions relatives au recours au chômage partiel plus favorables au salarié doivent être respectées. Ainsi, si la convention ou l'accord prévoit explicitement qu'il ne sera recouru au chômage partiel que lorsque la réduction d'horaire se situe en deçà d'un horaire déterminé dans l'accord, stipulation plus favorable au salarié, celle-ci devra être appliquée par l'employeur. Ainsi, dans un tel cas, toute indemnisation au titre du chômage partiel ne peut être octroyée que lorsque la réduction d'activité porte l'horaire de travail en deçà de la durée fixée par l'accord. Il en ira différemment si l'accord prévoit que seules les heures perdues en deçà d'un horaire hebdomadaire fixé par celui-ci donneront lieu à une indemnisation au titre de la mesure. Ainsi, en dehors des stipulations de l'accord explicitement définies sur ce point, toute référence à une durée minimale de travail n'a donc pas à être retenue pour décompter le nombre d'heures indemnisables (circ. DGEFP n° 2001-21 du 18 juillet 2001, préc., fiche 5).

  • Conventions de forfait sur une base hebdomadaire ou mensuelle

Lorsque la durée du travail est fixée sur une base hebdomadaire ou mensuelle, en application des dispositions de l'article L. 3121-38 du Code du travail (N° Lexbase : L3861IBM), le nombre d'heures indemnisées dans le cadre de ces conventions correspond à la durée légale du travail diminuée de la différence entre la durée du travail mentionnée dans la convention de forfait et le nombre d'heures chômées en deçà de la durée légale (C. trav., art. R. 5122-20 N° Lexbase : L2834IA9). Ainsi, compte tenu du fait que ces conventions de forfait intègrent un nombre d'heures supplémentaires qui ne peuvent être indemnisées au titre de la mesure du chômage partiel, les modalités prévues dans le décret du 28 juin 2001 aboutissent à appliquer une compensation de fait entre les heures supplémentaires prédéterminées et les heures chômées (circ. DGEFP n° 2001-21 du 18 juillet 2001, préc., fiche 7).

  • Convention de forfait sur une base annuelle

Sont exclus du champ de l'indemnisation au titre du chômage partiel les salariés bénéficiant d'une convention de forfait sur une base annuelle, qu'elle soit définie sur une base horaire ou journalière, en cas de réduction de l'horaire de travail normalement pratiqué dans l'établissement qui emploie ces salariés (C. trav., art. R. 5122-9 N° Lexbase : L2865IAD). En effet, les règles spécifiques en matière de durée du travail liées à ce type de conventions de forfait ne permettant pas de connaître l'horaire habituellement pratiqué par le salarié tel que mentionné à l'article L. 5122-1, il n'est donc pas possible de décompter le nombre d'heures réellement chômées en cas de réduction d'horaire. Les règles encadrant ces conventions de forfait empêchent donc l'application de l'article L. 5122-1 du Code du travail en cas de réduction de l'horaire de travail.

En revanche, la rédaction de l'article L. 5122-1 rend nécessaire une indemnisation de ces salariés en cas de fermeture temporaire de l'établissement qui les emploie, qu'il s'agisse des cadres ou des itinérants. Dans ce cas, l'allocation spécifique de chômage partiel ne peut donc pas être attribuée pour une durée excédant 4 semaines consécutives, soit 28 journées équivalant, au plus au 1er janvier 2002, à 140 heures indemnisables consécutives, compte tenu de la durée légale applicable (soit 35 heures hebdomadaires x 4 semaines). En application de l'article L. 5122-1, le chômage partiel peut exceptionnellement être mobilisé pour des salariés employés dans le cadre de ce type de conventions en cas de fermeture temporaire de l'établissement qui les emploie (circ. DGEFP n° 2001-21 du 18 juillet 2001, préc., fiche 7).

Les modalités de décompte du nombre d'heures indemnisables concernant un salarié employé sous convention de forfait en heures sur l'année et qui se trouve placé en situation de chômage partiel, du fait de la suspension temporaire d'activité de l'établissement qui l'emploie, sont fixées par l'article R. 5122-11 du Code du travail. Le nombre d'heures indemnisables est déterminé en deçà de la durée hebdomadaire légale applicable ou en deçà de la durée collective de travail si elle est inférieure. Seules les heures indemnisables au titre du chômage partiel, c'est-à-dire celles pouvant donner lieu au versement de l'allocation spécifique permettent à l'employeur d'indemniser le salarié en lui versant l'allocation conventionnelle en lieu et place du salaire. L'heure indemnisable au titre du dispositif permet, également, à l'employeur d'être exonéré de cotisations patronales de sécurité sociale (circ. DGEFP n° 2001-21 du 18 juillet 2001, préc., fiche 7).

Compte tenu du fait que la durée du travail de ces cadres ne peut être décomptée en heures, seules des journées de travail perdues, et non les réductions de l'horaire de travail, peuvent être indemnisées au titre de la mesure. Le remboursement par l'Etat prend la forme d'une allocation journalière. Le nombre de journées indemnisables est obtenu en multipliant le rapport entre le nombre de jours de fermeture de l'établissement et le nombre de jours du mois par le nombre moyen mensuel de jours fixés dans la convention de forfait (C. trav., art. R. 5122-21 ; circ. DGEFP n° 2001-21 du 18 juillet 2001, préc., fiche 7).

  • Equivalences

Lorsque le salarié est occupé, en application de l'article L. 3121-1 du Code du travail, selon une durée équivalente à la durée légale, l'allocation accordée par heure de travail perdue est égale à l'indemnité horaire multipliée par le quotient de la durée légale par le nombre d'heures équivalant à cette durée. Le nombre d'heures perdues pouvant justifier des allocations publiques de chômage partiel (C. trav., art. L. 5122-1) correspond, dans ce cas, à la différence entre la durée équivalente à la durée légale (ou, lorsqu'elle est inférieure, à la durée collective du travail) et le nombre d'heures réellement travaillées sur la période considérée (C. trav., art. R. 5122-18).

Le nombre d'heures perdues peut être exceptionnellement décompté au-delà de la durée légale du travail, c'est-à-dire jusqu'à la durée équivalente à la durée légale du travail, seuil au-delà duquel se déclenchent les heures supplémentaires (sauf si cette durée est inférieure à la durée équivalente du fait par exemple d'une réduction importante du temps de travail). Le taux de l'allocation spécifique est dans ce cas minoré par le rapport entre la durée légale et le nombre d'heures équivalant à cette durée. Ces modalités ont, ainsi, pour effet de ne pas pénaliser les entreprises appliquant ce mode de décompte spécifique de la durée du travail effectif tout en prenant en compte les périodes d'inaction qu'il comporte (circ. DGEFP n° 2001-21 du 18 juillet 2001, préc., fiche 8).

B - Questions ouvertes par la loi du 20 août 2008

La loi du 20 août 2008 (art. 19) modifie profondément le régime des conventions de forfait (10) (C. trav., art. L. 3121-38 N° Lexbase : L3861IBM) : dorénavant, la durée du travail de tout salarié peut être fixée par une convention individuelle de forfait en heures sur la semaine ou sur le mois. La loi intègre donc au Code du travail la faculté de conclure une convention individuelle de forfait avec tout salarié, sans qu'il soit nécessaire qu'un accord collectif préalable en prévoit la possibilité. Seuls des forfaits sur la semaine ou sur le mois pourront être mis en place, les forfaits à l'année demeurant réservés aux cadres et aux salariés disposant d'une autonomie particulière. L'article 19 de la loi du 20 août 2008 introduit une seconde sous-section dans la section 4 intitulée "Conventions de forfait sur l'année".

Le nouvel article L. 3121-42 du Code du travail (N° Lexbase : L3963IBE) régit les forfaits sur l'année en heures. Dans la limite de la durée annuelle de travail, peuvent conclure ce type de forfait les cadres dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l'horaire collectif applicable au sein de l'atelier, du service ou de l'équipe auquel ils sont intégrés, ainsi que les salariés qui disposent d'une réelle autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps. Les critères d'application du forfait en heures sur l'année pour les non-cadres sont modifiés.

L'article 19 modifie les articles L. 3121-43 et suivants du Code du travail (N° Lexbase : L3869IBW), relatifs aux forfaits en jours à l'année. Ce forfait ne pourra pas concerner tous les cadres. Le texte reprend la condition posée pour l'application d'un forfait en heures, mais ajoute la condition que le salarié dispose d'une autonomie dans l'organisation de son emploi du temps. La loi reprend les anciennes conditions prévues par le Code du travail, c'est-à-dire un critère cumulatif d'impossibilité de prédétermination du temps de travail et de réelle autonomie dans l'organisation de l'emploi du temps du salarié.

La loi du 20 août 2008 détermine, également, un nombre de jours maximal qui ne peut être dépassé par les accords collectifs déterminant la durée annuelle pour les forfaits-jours. L'article L. 3121-44 du Code du travail (N° Lexbase : L3857IBH) impose un plafond de 218 jours aux partenaires sociaux, soit le nombre de jours calendaires d'une année auxquels sont soustraits les congés payés, les samedis et dimanches, les jours fériés et, enfin, une dizaine de jours de récupération. L'article L. 3121-45 du Code du travail (N° Lexbase : L3952IBY) prévoit que les salariés, en accord avec leur employeur, peuvent renoncer à leurs jours de repos, dans la limite fixée par l'accord collectif. La rémunération des heures ainsi effectuées doit être majorée d'au moins 10 %, ce taux pouvant être accru par un avenant à la convention de forfait. A défaut d'accord, ce nombre maximal est de deux cent trente-cinq jours. Dans cette hypothèse, les jours fériés et la dizaine de jours de repos sont exclus du calcul. Comme dans l'ancien système, les salariés au forfait-jours ne sont pas soumis aux durées maximales hebdomadaires ou quotidiennes des articles L. 3121-24 et suivants du Code du travail (N° Lexbase : L3735IBX).

Il appartient, désormais, au pouvoir réglementaire de prendre les dispositions utiles pour que le régime de décompte des heures indemnisables au titre du chômage partiel soit adapté au nouveau régime des conventions de forfait.


(1) V. notre numéro spécial Lexbase Hebdo - édition sociale n° 318 du 18 septembre 2008, not., les obs. de F. Lalanne, Réforme du temps de travail : les grands principes (N° Lexbase : N1861BHE) ; Ch. Radé, Commentaire de la décision n° 2008-568 DC du 7 août 2008, loi portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail : dispositions relatives à la durée du travail (N° Lexbase : N1815BHP) ; S. Tournaux, Articles 18 et 19 de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail : les heures supplémentaires et les conventions de forfait (N° Lexbase : N1808BHG) ; S. Martin-Cuenot, Articles 20, 21 et 22 de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail : répartition des horaires de travail, congés payés et autres (N° Lexbase : N1825BH3).
(2) M. C., employé par la société MGB en qualité d'agent de maîtrise de 1985 à 2003, avait saisi la juridiction prud'homale d'une demande en paiement d'un rappel de salaires, exposant avoir subi une mesure de chômage technique entre le 1er octobre 2001 et le 31 décembre 2002, période durant laquelle il avait été indemnisé par la société sur la base de l'horaire légal de travail soit 35 heures, et non sur celle de l'horaire collectif de travail, soit 39 heures depuis le 1er janvier 2000, date d'entrée en vigueur de la réduction de la durée légale de travail dans l'entreprise. Pour accueillir sa demande, les juges du fond (CA Chambéry, ch. soc., 19 décembre 2006) ont retenu que la durée hebdomadaire de travail dans l'entreprise, fixée à 39 heures, avait été contractualisée : dès lors, c'est sur la base de 39 heures hebdomadaires que le salarié aurait dû être indemnisé au titre du chômage partiel. Statuant sur le pourvoi formé par la société MGB, la Cour de cassation se prononce dans le sens contraire : la durée légale du travail applicable dans cette entreprise était de 35 heures durant la période considérée ; les heures supplémentaires, soit les heures supérieures à la durée légale, ne donnent pas lieu à indemnisation au titre du chômage partiel.
(3) Bibliographie générale : O. Calavrezo, R. Duhautois et E. Walkowlak, Le recours au chômage partiel entre 1995 et 2005, Ministère de l'emploi, DARES, coll. Documents d'études n° 135, février 2008 ; B. Silhol, Le chômage partiel, LGDJ, 1998, préf. A. Coeuret ; M. Bunel, L'utilisation des modes de flexibilité par les établissements français, Travail et Emploi, 2006, n° 106, p. 7 ; Aides incitatives et déterminants des embauches des établissements passés aux 35 heures, Economie et Statistique, 2004, n° 376-377, p. 91 ; Les pratiques de flexibilité en 1999 : davantage complémentaires que substituables, Premières informations, Premières Synthèses, n° 33.1, août 2004.
(4) O. Calavrezo, R. Duhautois et E. Walkowlak, Forte baisse des autorisations de chômage partiel entre 1995 et 2005, Ministère de l'emploi, DARES, Premières informations, Premières synthèses, octobre 2008, n° 40.2.
(5) L. Doisneau, Les conventions de réduction du temps de travail de 1998 à 2000 : embaucher, maintenir les rémunérations, se réorganiser, Premières informations, Premières Synthèses, n° 45, novembre 2000 ; P. Askenazy, C. Bloch-London, M. Roger, La réduction du temps de travail 1997-2003 : dynamique de construction des lois "Aubry" et premières évaluations, Economie et Statistique, 2004, n° 376-377, p. 153.- P. Askenazy, La dynamique de l'organisation du travail lors de la réduction du temps de travail, Economie et Prévision, 2003, n° 158, p. 27 ; V. Le Corre, Les heures supplémentaires, le chômage partiel et la modulation du temps de travail Trois modes d'ajustement au volume d'activité des entreprises, Premières informations, Premières Synthèses, Dares, n° 30.2, 1998.
(6) CAA Douai, 2 mars 2006, n° 05DA00555, M. Claude Lapeyre (N° Lexbase : A0823DP8).
(7) O. Calavrezo, R. Duhautois et E. Walkowlak, Le recours au chômage partiel entre 1995 et 2005, DARES, Documents d'études n° 135, février 2008, préc..
(8) Circ. DGEFP n° 2001-21 du 18 juillet 2001, fiche 2, préc..
(9) O. Calavrezo, R. Duhautois et E. Walkowlak, Forte baisse des autorisations de chômage partiel entre 1995 et 2005, ministère de l'Emploi, DARES, Premières informations, Premières synthèses, octobre 2008, n° 40.2, préc..
(10) S. Tournaux, Articles 18 et 19 de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail : les heures supplémentaires et les conventions de forfait, préc..


Décision

Cass. soc., 28 octobre 2008, n° 07-40.865, Société MGB, FS-P+B (N° Lexbase : A0679EBR)

Cassation, CA Chambéry, ch. soc., 19 décembre 2006

Textes visés : C. trav., art. R. 351-53-I (N° Lexbase : L0303ADL, art. R. 5122-11, recod. N° Lexbase : L2860IA8) ; accord national interprofessionnel du 21 février 1968, art. 2

Mots-clefs : chômage partiel ; heures indemnisables ; calcul.

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


Domat dit "le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus", et l'article 1641 du Code civil fut... Et Pothier de lui répondre que "le vendeur n'est pas tenu des vices apparents et dont l'acheteur a pu se convaincre lui-même" et l'article 1642 du même code "d'enfoncer le clou", selon l'expression de Philippe Le Tourneau.

Aussi, comme le rappelait Jérôme Betoulle, Conseiller référendaire à la Cour de cassation, dans L'aspect "délictuel" du dol dans la formation des contrats, "le droit romain ne connaissait pas la théorie des vices du consentement. Le dol était réprimé comme un délit, l'action de dol étant pénale et infamante, et remplissait une fonction indemnisatrice qui calquait la réparation sur le préjudice subi. Ce n'est qu'à la Renaissance que commence à s'opérer un changement de perspective, les auteurs s'interrogeant plus sur l'altération du consentement que sur la consistance du délit qui en est la cause. Cependant, à l'époque suivante, si Domat et Pothier voient dans le dol un vice des conventions qui s'oppose à la sincérité et à la bonne foi qui doivent régner dans les contrats, la notion de vice du consentement, faute de réflexion sur la qualité de l'altération engendrée par le dol, n'est pas encore nettement dégagée".

Ces dispositions liminaires nous rappellent, ainsi, combien le code de 1804 est, désormais, bel et bien dépassé par l'interprétation de la Cour de cassation, tant la protection de l'acquéreur quant à son consentement ou quant à la chose acquise, se décline de manière graduée.

Que le lecteur nous pardonne l'anachronisme, mais si l'Ancien régime préconisait la doctrine "Dulles", dite des représailles massives, c'est-à-dire une pénalisation directe du comportement du vendeur de mauvaise foi, les Modernes auront préféré la doctrine "MacNamara" dite de la riposte graduée, selon que l'acquéreur et/ou le vendeur est profane ou professionnel. Mais, à la lecture de cinq arrêts récents rendus par la Cour de cassation, sur lesquels revient, cette semaine, David Bakouche, Professeur à l'Université de Sceaux, il est bien clair que le juge entend protéger chaque acquéreur du préjudice subi par une altérité de la chose vendue, quel que soit son niveau d'expertise quant à l'objet du litige ; seul le fondement de l'action diffère.

A l'encontre du vendeur d'une oeuvre d'art dont l'auteur ne s'avérait pas véritablement celui qu'il laissait entendre, la Cour de cassation retient l'erreur substantielle sur la chose vendue (Cass. civ. 1, 30 septembre 2008, n° 06-20.298). Il en va de même à l'encontre du vendeur d'un meuble réparé et accidenté présenté comme n'ayant subi aucune transformation depuis l'époque Louis XVI de référence (Cass. civ. 1, 30 octobre 2008, n° 07-17.523). En revanche, aucun vice caché n'est retenu dans le cadre d'une vente aux enchères d'un tableau présenté, sur catalogue, comme de "l'Ecole française vers 1600" et conforme à cette simple mention (Cass. civ. 1, 16 octobre 2008, n° 07-12.147). Au chef d'agence bancaire qui a vendu un véhicule d'occasion préalablement équipé d'un système de carburation GPL défectueux, la Cour régulatrice retient la garantie des vices cachés assortie de dommages-intérêts, considérant le défendeur comme un professionnel qui se livrait de manière habituelle à des opérations d'achat et de revente de véhicules d'occasion dont il tirait profit (Cass. civ. 1, 30 septembre 2008, n° 07-16.876). Enfin, en faveur d'une société ayant acquis des rayonnages métalliques, installés à l'extérieur de ses magasins, qui se sont rapidement détériorés sous l'effet de la rouille, la Cour a estimé que les juges d'appel n'avaient pas légalement justifié leur décision, car ils n'avaient pas recherché si les rayonnages vendus présentaient les qualités décrites dans les conditions générales de vente et si, dans la négative, le vendeur n'avait pas manqué à son obligation de délivrance conforme (Cass. com., 14 octobre 2008, n° 07-17.977).

Le préjudice causé par le seul usage impropre auquel on destine la chose vendue est donc loin derrière nous et la résolution de la vente n'est pas la seule sanction encourue par le vendeur. L'erreur substantielle sur la chose vendue et l'obligation de délivrance conforme complètent allègrement l'arsenal réparateur, sous l'égide de la résolution ou de la nullité du contrat de vente.

Au travers de ces cinq arrêts, la Cour régulatrice rappelle, au surplus, que si, depuis 1900, il appartient au juge du fond d'apprécier souverainement "l'impropriété" (dans toutes ses acceptations possibles au regard des trois actions réparatrices) de la chose à l'usage auquel elle est en principe destinée, elle contrôle que le juge a qualifié correctement les faits d'où il a déduit que la chose était ou non "défectueuse" (idem).

Mais, une fois le caractère "défectueux" de la chose avéré, il demeure la question du fondement de l'action en réparation, celle de la qualité profane ou professionnelle de l'acquéreur, afin de lui reconnaître "un droit limité à la légèreté", selon la formule des Professeurs Collart, Dutilleul et Delebecque, et celle de la qualité profane ou professionnelle du vendeur lui-même... La graduation emporte inexorablement son lot de subtilités.


* Que le lecteur pardonne l'évocation fortuite du Secrétaire national à la Défense américaine de Kennedy, à l'heure de "l'Obamania".

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Social général

[Jurisprudence] Confirmation du champ du principe de faveur

Réf. : Ass. plén., 24 octobre 2008, n° 07-42.799, Syndicat Syser CFDT de l'Hérault c/ Syndicat mixte pour le traitement de l'information et les nouvelles technologies Cogitis, P+B+R+I (N° Lexbase : A9271EAM)

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N7023BHL

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par Stéphanie Martin-Cuenot, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

Le principe de faveur est un principe général de règlement des conflits de normes qui veut qu'en cas de conflit portant sur la même cause et /ou le même objet, seule la plus favorable trouve à s'appliquer. Son application est donc limitée à l'hypothèse dans laquelle il existe un véritable concours de normes, c'est-à-dire que deux ou plusieurs normes se rapportant à la même cause ou au même objet trouvent simultanément à s'appliquer au salarié. Dans la mesure où les jours de récupération, qui sont acquis par le salarié au titre d'un accord d'aménagement et de réduction du temps de travail, n'ont ni la même cause, ni le même objet que les congés payés d'ancienneté auxquels il a droit en application de l'article 23 de la Convention collective Syntec du 15 décembre 1987 , le principe de faveur ne peut s'appliquer, comme le rappelle l'Assemblée plénière dans une décision du 24 octobre 2008.
Cette solution, qui n'est pas nouvelle, doit être approuvée.
Résumé

En cas de concours d'instruments conventionnels collectifs, les avantages ayant le même objet ou la même cause ne peuvent, sauf stipulations contraires, se cumuler, le plus favorable d'entre eux pouvant seul être accordé.

Les jours de récupération, qui sont acquis par le salarié au titre d'un accord d'aménagement et de réduction du temps de travail, n'ont ni la même cause, ni le même objet que les congés payés d'ancienneté auxquels il a droit, en sus de ses congés annuels, ils doivent donc simultanément être appliqués.

Commentaire

I - Rappel de l'objet du principe de faveur

  • L'ordre public social, source du principe de faveur

Le droit du travail trouve son originalité dans l'existence d'un ordre public social. En vertu de cet ordre public spécial, les normes de rang inférieur peuvent déroger aux normes de rang supérieur dans un sens plus favorable aux salariés (C. trav., art. L. 2251-1 N° Lexbase : L2406H9Y, art. L. 2254-1 N° Lexbase : L2417H9E, art. L. 2252-1 N° Lexbase : L2407H9Z et art. L. 2253-1 N° Lexbase : L2409H94). Cet ordre public social est une source de conflits puisque, au lieu et place du principe hiérarchique, qui aboutit à faire prévaloir la norme de rang supérieur par préférence à toutes les autres, plusieurs normes ont vocation à régler une seule et même situation.

En autorisant, en effet, les partenaires sociaux à venir réglementer dans le champ de la loi, les parties au contrat de travail à intervenir dans le champ des normes légales ou conventionnelles de rang supérieur, ou les partenaires sociaux de l'entreprise à intervenir dans le champ des accords de branche ou des accords interprofessionnels, le législateur crée une situation de concours.

Force est de constater que ce concours ne trouve pas sa résolution dans le Code du travail. Celui-ci ne contient, en effet, aucun principe permettant d'indiquer l'issue qu'il convient de donner au concours de normes ainsi créé.

C'est donc la jurisprudence qui a dégagé un principe général de règlement des conflits de normes, corollaire du caractère d'ordre public social des normes en droit du travail. Ce principe est le principe de faveur.

  • Spécialité du principe de faveur

Le principe de faveur est un principe général de règlement des conflits de normes en droit du travail en vertu duquel, en cas de conflit de normes portant sur la même cause et/ou le même objet, seules les dispositions les plus favorables trouvent à s'appliquer (Ass. plén., 18 mars 1988, n° 84-40.083, Mme Chevallier N° Lexbase : A8500AA3, D., 1989, 221, note Chauchard). L'application de ce principe se fait indépendamment de la place de la norme appliquée dans la hiérarchie des normes ou de sa date d'entrée en vigueur.

Ce qui détermine l'application de l'une des normes en concours est, à titre exclusif, son caractère plus avantageux pour le ou les salariés.

Pour que le principe de règlement des conflits de normes trouve à s'appliquer, encore faut-il qu'il y ait concours de normes.

Dans le cas contraire, il devra être fait une application cumulative des dispositions en présence, comme l'affirme l'Assemblée plénière de la Cour de cassation dans la décision commentée.

  • Espèce

Dans cette espèce, deux accords d'entreprise avaient été conclus. Le premier prévoyait une réduction du temps de travail de 39 heures à 33 heures et l'attribution de journées de récupération, le second fixait le nombre de jours de congés payés annuels à 25 jours ouvrés par an.

Le syndicat commerce et services de l'Hérault CFDT prétendait que l'augmentation du congé annuel légal en fonction de l'ancienneté du salarié prévu par l'article 23 de la Convention collective Syntec était plus favorable que ces jours de récupération et avait demandé à ce que l'employeur en fasse application dans l'entreprise.

La cour d'appel avait rejeté la demande du syndicat. Elle avait, en effet, cru pouvoir faire application, dans cette hypothèse, du principe de faveur. Les juges du second degré avaient, ainsi, considéré que les jours de récupération attribués en contrepartie de la réduction de la durée du travail et les jours de congés supplémentaires avaient le même objet et procédaient de la même cause, ce qui leurs avait permis de faire prévaloir les dispositions conventionnelles relatives aux jours de récupération, ces dernières étant, même pour les salariés les plus anciens, plus favorables, le temps rémunéré non ouvré étant plus important pour tous les salariés.

Cette décision est cassée par l'Assemblée plénière. Elle considère que les jours de récupération acquis par le salarié au titre d'un accord de réduction du temps de travail n'ont ni la même cause, ni le même objet que les congés payés d'ancienneté auxquels le salarié a droit en plus de ses congés annuels et qu'en conséquence, le principe ne peut s'appliquer.

Cette solution rendue par l'Assemblée plénière ne doit pas surprendre et doit, en tous points, être approuvée.

II - Confirmation du champ limité du principe de faveur

  • Un principe d'application stricte

Le principe du non-cumul des avantages en concours et d'application du plus favorable sont d'interprétation stricte.

Dans la mesure où l'application du principe fait échec au cumul des avantages, il convient d'en circonscrire le champ aux seules dispositions portant sur la même cause ou le même objet.

La mise en oeuvre par les juges de la règle de conflit de normes confirme cette application.

La jurisprudence met, en effet, en concours des avantages généralement strictement identiques, à l'exclusion de ceux qui ont un objet ou une cause simplement similaire (Cass. soc., 7 octobre 1997, RJS, 1997, 781, n° 1266 ; Cass. soc., 24 avril 2001, n° 99-40.142 Société Institut français du pétrole c/ M. Jean-Claude Miléo N° Lexbase : A2855ATW).

Dans la plupart des décisions, l'objet des avantages en concours est strictement identique. Tel sera, par exemple, le cas lorsque plusieurs normes réglementent le montant de l'indemnité de licenciement (Cass. soc., 7 mai 2002, n° 99-44.161, FS-P N° Lexbase : A6226AYA), son mode de calcul (Cass. soc., 20 février 1996, n° 92-45.024, Mme Cepero c/ Société Procam N° Lexbase : A2022AA7) ou, encore, s'intéressent à l'indemnisation des congés annuels payés (Cass. soc., 7 mai 2003, n° 01-41.313, F-D N° Lexbase : A7940BSU).

La situation est plus complexe lorsque la comparaison doit reposer, non pas sur des avantages portant strictement sur le même objet, mais globalement sur un groupe d'avantages indivisiblement liés entre eux.

Dans ce cas, il ne convient pas d'apprécier chaque avantage portant sur le même objet et de faire une application distributive des avantages contenus dans l'une et l'autre des normes en concours, ce qui aurait pour conséquence de dénaturer la volonté des rédacteurs, mais de rechercher globalement quel est l'ensemble de dispositions se rapportant à la même cause qui est plus favorable aux salariés et qui peut, pour cette raison, trouver à s'appliquer.

Un exemple peut être trouvé dans une espèce dans laquelle des dispositions statutaires fixant de manière général le régime des congés payés se trouvaient confrontées aux dispositions légales se rapportant à la même cause (Cass. soc., 7 mai 2003, n° 01-41.311, F-D N° Lexbase : A7938BSS), à savoir les congés annuels payés.

  • Une exclusion parfaitement logique

La situation était totalement différente dans la décision commentée. Aucun concours ne pouvait, en effet, être relevé. Parmi les avantages en présence, une disposition fixait la durée du congé annuel accordé à tout salarié et prévoyait le remplacement de la diminution de la durée du travail par des jours de récupération et une autre accordait une majoration de congés annuels payés pour ancienneté (l'article 23 de la convention collective applicable à l'entreprise).

Les dispositions n'avaient ni la même cause, ni le même objet. Les jours de récupération trouvent leur cause dans la réduction et l'aménagement du temps de travail, les congés payés bonifiés pour ancienneté constituent un avantage se rattachant aux congés annuels payés.

Tout concours est, dans ce cas, exclu ce qui rend donc impossible l'application du principe de faveur. Le cumul s'impose (Cass. soc., 24 juin 1992, n° 90-42.432, SA Poclain c/ Addirai et autres N° Lexbase : A8430AGC ; Cass. soc., 17 mars 1982, n° 80-40.306, SA Laboratoire cinématographique Daems c/ Dame Jacquot, Dame Girard, Dame Altounian, Dame Oger N° Lexbase : A7525AGS ; Cass. soc., 2 décembre 2003, n° 01-46.235, Compagnie générale de géophysique marine (CGGM) c/ M. Patrice Lambolez, FS-D N° Lexbase : A3668DA4).

Le principe général de règlement des conflits de normes étant, en outre, d'ordre public les partenaires sociaux ne peuvent en aucun cas en disposer et, partant, décider qu'il devra être appliqué alors qu'aucun conflit ne peut, effectivement, relevé.

La définition, l'appréciation et l'application du principe de faveur sont donc uniques et unifiées (Cass. soc., 24 juin 1992, n° 90-42.432, préc. ; Cass. soc., 17 mars 1982, n° 80-40.306, préc. ; Cass. soc., 2 décembre 2003, n° 01-46.235, préc.). La décision rendue par l'Assemblée plénière ne fait que le confirmer.

Décision

Ass. plén., 24 octobre 2008, n° 07-42.799, Syndicat Syser CFDT de l'Hérault, venant aux droits du Syndicat commerce et services CFDT de l'Hérault c/ Syndicat mixte pour le traitement de l'information et les nouvelles technologies Cogitis, P+B+R+I (N° Lexbase : A9271EAM)

Cassation de CA Nimes, 1ère ch. civ., sect. A, 6 février 2007

Mots clefs : dispositions conventionnelles ; avantages en présence ; défaut d'identité de cause ou d'objet des avantages en concours ; impossibilité de faire application du principe de faveur ; cumul des avantages ne portant pas sur la même cause et ou le même objet.

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Concurrence

[Jurisprudence] La remise en cause du statut des architectes en chef des Monuments historiques pour discrimination par rapport aux autres professionnels établis en France

Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 6 octobre 2008, n° 310146 et n° 311080, Compagnie des architectes en chef des Monuments historiques (N° Lexbase : A7108EAI)

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N6874BH3

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par Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Metz

Le 07 Octobre 2010

Le positionnement des professions libérales au regard du droit de la concurrence est un sujet suscitant de constantes interrogations, qui plus est lorsque certaines de ces professions peuvent bénéficier, au surplus, d'un statut particulier et unique. Par une décision du 6 octobre 2008, le Conseil d'Etat annule partiellement l'article 9 du décret n° 2007-1405 du 28 septembre 2007, portant statut particulier des architectes en chef des Monuments historiques et adaptation au droit communautaire des règles applicables à la restauration des immeubles classés (N° Lexbase : L5697HYN) (1). Les architectes en chef ont toujours eu un statut assez particulier, combinant à la fois le statut de fonctionnaires d'Etat et, celui, essentiel et libéral, d'architecte. En ce sens, ils ne sont pas des agents de l'Etat comme les autres, il s'agit d'une particularité ancienne tenant à ce que leur activité porte sur les Monuments historiques, à l'égard desquels ils sont spécialisés et dont l'Etat veut assurer la protection. Cette dernière, dans sa forme moderne, a été engagée par la grande loi du 31 décembre 1913 sur les Monuments historiques (N° Lexbase : L4485A8M) (2) dont les dispositions, avec les modifications dont elles ont fait l'objet ultérieurement, ont été reprises dans le Code du patrimoine dans le titre II du livre VI aux articles L. 621-1 (N° Lexbase : L3980HCE) et suivants. Le décret n° 2007-487 du 30 mars 2007 (N° Lexbase : L8702HUT) (3) en détermine, aujourd'hui, les modalités d'application. Le Code du patrimoine dispose que les Monuments historiques peuvent être constitués d'objets mobiliers autant que d'immeubles, et c'est pour ceux-là seuls que les architectes des Monuments historiques exercent leur activité. Leur caractère commun tient, outre leur nature immobilière, "à l'intérêt public" que, selon l'article L. 621-1 du Code du patrimoine, leur "conservation présente, au point de vue de l'histoire ou de l'art". La reconnaissance des Monuments historiques s'effectue à deux titres : le premier est celui du classement, et le second celui de l'inscription sur l'inventaire supplémentaire, les architectes en chef étant compétents, à la fois en vue de ce classement et de cette inscription, mais aussi pour la conservation des immeubles ainsi classés et inscrits.

Une dernière distinction doit être établie selon que les Monuments historiques appartiennent à l'Etat ou à d'autres personnes, personnes publiques ou personnes privées, sachant que c'est sur cette seconde catégorie d'appartenance que porte l'arrêt du Conseil d'Etat ici commenté. En l'espèce, le juge administratif suprême a eu à se prononcer sur deux requêtes. La première, qui a été rejetée par le Conseil d'Etat, était introduite par la Compagnie des architectes en chef des Monuments historiques et tendait, notamment, à l'annulation pour excès de pouvoir du décret n° 2007-1405 du 28 septembre 2007 précité (4). La seconde était présentée par l'association "architecte du patrimoine" et tendait à l'annulation de l'article 9 du décret. Le Conseil d'Etat, faisant en partie droit aux conclusions de cette dernière association, annule partiellement l'article susvisé.

Cet article, qui dispose que "la maîtrise d'oeuvre des travaux de restauration des Monuments classés autres que ceux mentionnés au premier alinéa du III de l'article 3 peut, également, être assurée sur une opération donnée par un ressortissant d'un Etat membre de la Communauté européenne ou d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen établi dans un autre Etat que la France", a pour objet de permettre de confier la maîtrise d'oeuvre des travaux de restauration des Monuments historiques classés n'appartenant pas à l'Etat à d'autres catégories de professionnels que les architectes en chef des Monuments historiques.

Il faut préciser, à cet égard, que la maîtrise d'oeuvre des travaux sur les Monuments historiques classés distingue, depuis 1913, les travaux d'entretien ou de réparation ordinaire, et les travaux de restauration. Pour l'entretien des monuments classés, la maîtrise d'oeuvre doit être confiée aux architectes des Bâtiments de France en vertu du décret n° 84-145 du 27 février 1984, portant statut particulier des architectes des Bâtiments de France (N° Lexbase : L7150IBG) (5) et, pour les opérations de restauration, elle doit être confiée aux architectes en chef des Monuments historiques en vertu du décret n° 80-911 du 20 novembre 1980, portant statut particulier du corps des architectes en chef des Monuments historiques (N° Lexbase : L7149IBE) (6), dès lors que la maîtrise d'ouvrage des travaux est assurée par l'Etat ou lorsque les propriétaires ou affectataires reçoivent une aide financière de l'Etat au titre du Livre VI du Code du patrimoine, ce qui est presque toujours le cas.

Ce monopole des architectes en chef, souvent critiqué, a amené la Commission européenne à adresser à la France un avis motivé en date du 19 avril 2006 l'avertissant du caractère "contraire aux articles 43 et 49 du Traité CE" de ce monopole. L'un porte sur la liberté d'établissement devant permettre l'accès de tous les ressortissants communautaires aux activités non salariées et leur exercice , et l'autre assure la libre prestation des services dans la communauté (Traité CE, art. 49 N° Lexbase : L5359BCH). En effet, l'activité d'architecte est une activité de service, qui s'exerce, normalement, à titre libéral. Or, pour les Monuments historiques, celle des architectes, si elle s'en différencie par son objet, ne s'en distingue pas dans sa réalisation. En adoptant le décret n° 2007-487 du 30 mars 2007 précité, la France a évité que la procédure engagée par la Commission se poursuive par un recours devant la Cour de justice en constatation de manquement, sur le fondement de l'article 226 du Traité CE .

L'article 9 susvisé du décret permet aux ressortissants communautaires, sous certaines conditions de qualification, de se voir confier la maîtrise d'oeuvre de ces travaux, mais cette extension est limitée aux professionnels établis dans un autre Etat que la France. Ces dispositions ont donc pour effet d'exclure de l'ouverture de l'accès à la maîtrise d'oeuvre les architectes établis en France, qu'ils soient de nationalité française, ressortissants d'autres Etats membres de la Communauté européenne ou parties à l'accord sur l'Espace économique européen. Elles font perdurer, finalement, une sorte de monopole de fait des architectes en chef des Monuments historiques, puisqu'il semble plus probable que ce soit des architectes français ou étrangers résidant en France qui soient susceptibles de proposer leurs compétences en la matière, plutôt que des résidents étrangers. C'est cette discrimination envers les résidents français qui a poussé l'association des "architectes du patrimoine" à demander l'annulation pour excès de pouvoir de la disposition en cause alors que, parallèlement, la Compagnie des architectes en chef des Monuments historiques demandait le rejet de cette requête et la conservation en l'état de la disposition litigieuse.

Le Conseil d'Etat juge que cette distinction entre professionnels, selon qu'ils sont établis en France ou dans l'un de ces Etats, n'est pas en rapport avec l'objet de ces dispositions, et n'est pas justifiée pour des raisons d'intérêt général. Il annule donc l'article 9 en tant qu'il exclut de son champ d'application les professionnels établis en France. Par cette annulation, le Conseil d'Etat sanctionne l'apparente libre concurrence interne du marché des Monuments historiques (I), même si cette annulation laisse persister encore une certaine mainmise de l'Etat en la matière (II).

I - La sanction d'une apparente libre concurrence du marché des Monuments historiques

Le Gouvernement a mis fin, par le décret n° 2007-1405 du 28 septembre 2007, à la situation de monopole quasi-juridique des architectes en chef des Monuments historiques, pour le rendre conforme aux principes communautaires de libre prestation de service et de liberté d'établissement (Traité CE, art. 49 et 43) (A). Cependant, en agissant de la sorte, il a, en réalité, fait perdurer une sorte de monopole de fait de la profession vis-à-vis des autres catégories de professionnels établies en France (B).

A - Un statut qui se veut pourtant conforme aux principes communautaires

On a déjà pu relever que l'activité d'architecte est une activité qui s'exerce normalement à titre libéral et que, pour les Monuments historiques, celle des architectes, si elle s'en différencie par son objet, ne s'en distingue pas dans sa réalisation. Il a pu être question de certaines hésitations par rapport au droit de la concurrence, eu égard à la situation particulière de ses professions.

En effet, d'une part, elles font l'objet, en raison de la spécificité de leur domaine d'intervention, de réglementations particulières édictées dans des conditions souvent exorbitantes du droit commun. Les professionnels en cause interviennent dans des domaines où les exigences de sécurité et de qualité sont très fortes, et les services rendus dépassent la relation bilatérale entre le professionnel et son client pour intéresser l'ensemble de la collectivité. Or, précisément, les seules règles du marché sont, dans ces secteurs, insuffisantes à garantir que les exigences de sécurité et de qualité seront satisfaites, aussi bien au niveau du bénéficiaire direct de ces services qu'à celui de la collectivité.

D'autre part, les professions libérales se définissent comme non commerciales mais s'exercent comme une activité économique, puisqu'elles consistent à offrir des services à des personnes ou des entreprises qui en expriment le besoin. Elles sont donc bien des entreprises au sens du droit communautaire. Dès lors, les ordres professionnels, lorsqu'ils représentent leurs membres en tant qu'entreprises, sont des associations d'entreprises sans que leur nature particulière et, notamment, le fait qu'ils agissent sur la base d'une délégation donnée par les pouvoirs publics, les fassent échapper au droit de la concurrence s'ils adoptent des règlements ou des comportement restrictifs de concurrence non justifiés par ce qui est nécessaire à l'exercice de leur mission.

Parmi ces comportements restrictifs de concurrence figure celui, notamment, de réserver l'accès au corps de la profession aux seuls nationaux français contraire au principe de liberté d'établissement (Traité CE, art. 43) devant permettre l'accès de tous les ressortissants communautaires aux activités non salariées et leur exercice, auquel s'ajoute l'article 49 du Traité CE assurant la libre prestation des services dans la communauté.

Les conditions restrictives d'accès à la profession, destinées à garantir un haut niveau de qualification, sont généralement considérées comme nécessaires à l'exercice de la profession et échappent à toute condamnation. Mais les conditions définies doivent l'avoir été de manière objective, transparente et non discriminatoire. Il ne faut pas, sous couvert d'interprétation de la loi, donner une définition extensive et tendancieuse du monopole légal reconnu, et empêcher l'accès d'autres professionnels à certaines activités. En ce cas, il y a infraction au droit de la concurrence et cette infraction doit être sanctionnée.

B - Un monopole de fait qui perdure vis-à-vis d'autres catégories de professionnels établis en France

L'article 9 du décret ouvre la maîtrise d'oeuvre des travaux de restauration des Monuments historiques n'appartenant pas à l'Etat aux ressortissants communautaires, à l'exclusion des ressortissants français. Ces dispositions ont donc pour effet de priver cet accès aux architectes établis en France, qu'ils soient, comme le relève l'association requérante, de nationalité française ou, d'ailleurs, ressortissants d'autres Etats membres. Pour apprécier la légalité des dispositions contestées, le Conseil d'Etat se fonde uniquement sur le principe d'égalité et semble, ainsi, mettre de côté les moyens tirés du droit communautaire.

De manière générale, le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations diverses, ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général. Il faut alors que la différence qui en résulte soit, dans l'un et l'autre cas, en rapport avec l'objet de la norme qui l'établit, et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des différences de situation susceptibles de la justifier.

Pour le Conseil d'Etat, l'objet de l'article 9 est, justement, de permettre de confier la maîtrise d'oeuvre de travaux de restauration de Monuments historiques classés n'appartenant pas à l'Etat à d'autres catégories de professionnels que les architectes en chef. Il est ainsi "loisible au Gouvernement de réserver, pour des raisons d'intérêt général, l'exercice de la maîtrise d'oeuvre de la restauration de ces Monuments historiques classés à des professionnels disposant d'une qualification et d'une expérience suffisante en ce domaine", mais "il ne ressort pas des pièces du dossier que des raisons d'intérêt général suffisantes justifient la différence de traitement qu'instituent les dispositions précitées au détriment des professionnels établis en France".

La décision du Conseil d'Etat fait suite, en ce sens, à une autre décision importante prise en la matière quant aux menaces de la décentralisation sur le statut, à la fois des architectes des Bâtiments de France, et des architectes en chef des Monuments historiques. La loi n° 2004-809 du 13 août 2004, relative aux libertés et responsabilités locales (N° Lexbase : L0835GT4) (7) a procédé à des transferts de compétences, notamment dans le domaine du patrimoine. Son article 99 (N° Lexbase : L7586GT7) a prévu, en particulier, plusieurs mesures relatives à la politique d'entretien et de restauration du patrimoine classé ou inscrit n'appartenant pas à l'Etat et à ses établissements publics.

La mesure principale permettait d'expérimenter, pendant quatre ans, un transfert de la gestion des crédits budgétaires affectés à l'entretien et à la restauration des immeubles, orgues et objets mobiliers classés ou inscrits. Le texte a prévu qu'un décret en Conseil d'Etat "détermine les modalités d'application du présent article, notamment les catégories de professionnels auxquels le propriétaire d'un immeuble classé monument historique est tenu de confier la maîtrise d'oeuvre des travaux de restauration".

Ce décret a été pris le 20 juillet 2005 (8), et son article 3 fixe les règles de maîtrise d'oeuvre des travaux d'entretien et de réparations ordinaires des immeubles concernés. Ces travaux d'entretien et de réparations doivent, en principe, être déterminés et dirigés par l'architecte des Bâtiments de France territorialement compétent, mais le décret permet de confier la maîtrise d'oeuvre des travaux à d'autres catégories d'architectes, sous réserve que les intéressés soient titulaires de certains diplômes.

Un syndicat de fonctionnaires du ministère de la Culture a attaqué ces dispositions devant le Conseil d'Etat, en tant qu'elles permettaient de confier la maîtrise d'oeuvre des travaux d'entretien et de réparation d'un immeuble classé à des professionnels autres qu'un architecte des Bâtiments de France ou un architecte en chef des Monuments historiques. L'arrêt rejette leur requête en jugeant que le décret est conforme à la volonté du législateur, qui n'a pas entendu réserver à ces deux catégories d'architectes la maîtrise d'oeuvre des travaux d'entretien et de réparation ordinaires des immeubles classés visés par le processus d'expérimentation, mais a, au contraire, entendu élargir le champ des professionnels qualifiés auxquels peut être confiée cette mission (9).

Le débat ne portait que sur le cas des travaux d'entretien et de réparations ordinaires, car le décret précité du 20 juillet 2005 confirmait la compétence exclusive des architectes en chef des Monuments historiques pour ce qui est de la maîtrise d'oeuvre des travaux de restauration. Est, ainsi, ébauchée la jurisprudence développée par la suite par le Conseil d'Etat relative aux architectes en chef et par rapport, cette fois-ci, au décret du 28 septembre 2007. Il y a, de la sorte, confirmation de la volonté de libéralisation de ces différents statuts protecteurs concernant la profession d'architecte sous couvert, essentiellement, des grands principes communautaires, même si le Conseil d'Etat le fonde, en l'espèce, sur le principe d'égalité. Pour autant, cette libéralisation s'accompagne encore d'une certaine mainmise de l'Etat en la matière.

II - La persistance d'une certaine mainmise de l'Etat

Loin de se contenter d'annuler la disposition litigieuse, le Conseil d'Etat a enjoint l'Etat de modifier la rédaction de l'article 9 du décret, obligeant ainsi le ministre de la Culture à proposer un nouveau texte en la matière. Pour autant, il reste que l'Etat continue à disposer d'une certaine mainmise et à assurer une protection à ces architectes au statut particulier, que ce soit à travers la procédure du choix de l'architecte (A), ou en raison de la nécessité, toujours présente, d'obtenir des garanties des professionnels agissant dans ce secteur ou ce domaine (B).

A - Le rôle encore essentiel de l'Etat dans la mise en oeuvre de la procédure du choix de l'architecte

La décision du Conseil d'Etat vient confirmer le fait que les propriétaires autres que l'Etat peuvent attribuer la maîtrise d'oeuvre à un professionnel qui n'est pas un architecte en chef des Monuments historiques, et qui est ressortissant d'un autre Etat membre de la Communauté européenne ou de l'Espace économique européen. Sont, ainsi, satisfaites les exigences communautaires de libre prestation de service et de liberté d'établissement, aussi bien vis-à-vis des autres professionnels en France ou dans d'autres Etats membres.

Pour autant, une fois modifié par le Gouvernement conformément au respect du principe d'égalité, l'article 9 continuera à fixer les conditions nécessaires pour qu'un professionnel autre qu'un architecte en chef puisse obtenir la maîtrise d'oeuvre. Il ne pourra s'agir que d'une personne présentant les conditions requises, à la fois pour se présenter au concours sur titres des architectes en chef et pour être inscrit à un tableau régional de l'ordre des architectes (art. 9 du décret précité). Par cette procédure, l'Etat garde une marge de manoeuvre importante quant au choix de l'architecte. Il est positivement exigé une expérience professionnelle et celle-ci doit être caractérisée par la détention d'un diplôme d'architecte reconnu par l'Etat avec "la capacité à exercer la maîtrise d'oeuvre". Pour répondre aux critères requis pour se présenter aux concours sur titres, les intéressés "doivent justifier d'une activité professionnelle régulière dans le domaine de la restauration du bâti ancien pendant les dix années qui précèdent l'ouverture du concours". En ce sens, il peut y avoir matière à appréciation de la part de l'autorité qui arrête la liste des candidats admis à se présenter au concours, que ce soit par rapport aux candidats étrangers ou aux candidats français.

De même, selon l'article 2 du décret, les candidats reçus aux concours qui, à la date des épreuves, ne sont pas inscrits à un tableau régional de l'ordre des architectes, doivent, préalablement à leur nomination, dans un délai de six mois suivant leur réussite au concours, obtenir leur inscription à ce tableau régional sous peine d'en perdre le bénéfice (10). Normalement, l'inscription au tableau n'implique pas un certain contrôle de la part des autorités ordinales, puisque l'appréciation des diplômes et des garanties a déjà été donné positivement, mais il peut y avoir certaines divergences et c'est au ministre qu'il appartient, finalement, de statuer en cas de refus d'inscription. Sa décision peut autant régler la question de l'inscription à l'ordre que celle de la nomination dans le corps des architectes en chef.

Hormis cette double barrière mise en place par l'Etat, il faut aussi relever que le maître d'ouvrage doit, toujours selon l'article 9 du décret, et avant le commencement des travaux, fournir aux services déconcentrés du ministère de la Culture, "des justifications utiles de nature à établir que la formation et l'expérience professionnelle de ce maître d'oeuvre attestent des connaissances historiques, architecturales et techniques nécessaires à la conception et à la conduite des travaux sur l'immeuble faisant l'objet des travaux de restauration". Cette possibilité d'exiger un minimum de qualification peut permettre d'éviter les incompétents, mais ce rôle de l'administration peut prêter à discussion (11).

Ce contrôle dont la forme n'est pas précisée peut, dès lors, entraîner des difficultés quant à son application. L'accord de l'administration est-il obligatoire ? Si tel était le cas, l'administration pourrait faire en sorte que la mise en concurrence ne puisse aboutir, et que les propriétaires autres que l'Etat ne puissent trouver de maître d'oeuvre. Il faut, à cet égard, ne pas oublier une dernière disposition qui veut que, lorsqu'aucun maître d'oeuvre ne peut être retenu pour des travaux de restauration des Monuments historiques classés n'appartenant pas à l'Etat, cette maîtrise d'oeuvre soit confiée à l'architecte en chef dans la circonscription territoriale dans laquelle se trouve le monument en cause (art. 3 du décret précité). Dans ce cas, l'architecte en chef conserverait la totalité des fonctions qu'il exerce déjà sur les Monuments de l'Etat, certes par défaut, mais ce qui démontre bien, au final et en tenant compte de l'ensemble des dispositions, que malgré l'ouverture ainsi permise par le droit communautaire mais aussi le Conseil d'Etat, par la décision d'espèce, l'Etat conserve une certaine mainmise sur le statut avec comme ambition majeure de sauvegarder le riche patrimoine des Monuments historiques.

B - La nécessité constante d'avoir des garanties quant aux professionnels intervenant dans le secteur

Il ressort de la décision du Conseil d'Etat qu'aujourd'hui, dès lors que le propriétaire n'est pas l'Etat, la maîtrise d'oeuvre n'est plus attribuée d'office aux architectes en chef. Ainsi, l'architecte en chef chargé, au titre de fonctions "administratives", de la surveillance d'un monument historique n'appartenant pas à l'Etat ne peut en assurer la maîtrise d'oeuvre, contrairement au monument appartenant à l'Etat où il dispose d'une exclusivité de maîtrise d'oeuvre.

Comme l'indique le professeur Delvolvé, "la solution a sa logique. Elle n'en est pas moins paradoxale : l'architecte qui connaît le mieux un monument ne peut assurer la maîtrise d'oeuvre des travaux le restaurant" (12). La question se pose de savoir si toutes les garanties sont ainsi données pour qu'aucun monument historique ne puisse être privé d'une maîtrise d'oeuvre compétente, car, au-delà de l'ouverture à la concurrence, il faut reconnaître, "l'intelligence d'un statut permettant à l'Etat de disposer, pour les Monuments historiques, d'un corps d'agent qui, par la double qualité de fonctionnaires et d'architectes, peuvent assurer toutes les fonctions s'y rapportant" (13). Les obligations du droit communautaire n'ont donc pas altéré les idées initiales et l'objet de l'activité des architectes en chef.

Les fonctions exercées par les architectes en chef sont d'abord des fonctions administratives, ils "apportent leur concours au ministre chargé de la Culture pour protéger, conserver et faire connaître le patrimoine architectural de la France" (décret du 28 septembre 2007, art. 3.I). A ce titre, "ils réalisent les études qui leur sont demandées par le ministre [...] celui-ci peut les charger d'accomplir toute mission d'expertise et de proposition en relation avec leurs attributions [...] ils peuvent participer à des programmes de recherche et enseignements sur le patrimoine" (art. 3. I du décret). Plus spécialement, selon l'article 3. II, chaque architecte en chef des Monuments historiques est chargé "des missions de surveillance et de conseil" sur des Monuments ou dans une inscription déterminée. Chacun se voit affecter un (ou des) monument(s) historique(s), ou une circonscription territoriale. Les deux sortes d'affectation peuvent être alternatives ou cumulatives.

La décision du Conseil d'Etat intervient aussi dans un contexte où, depuis plusieurs années, il est mené un combat contre l'opacité de la gestion du ministère de la Culture, notamment par la Cour des Comptes ou la commission des Finances du Sénat (14). La Cour des comptes a, en ce sens, vivement condamné la pratique de la maîtrise d'oeuvre des travaux de restauration des Monuments historiques : "les ACMH restent juge et partie du bien fondé, de la nature et des coûts des travaux qu'ils estiment nécessaires sur les Monuments historiques [...] [Leurs] rémunérations sont pour l'essentiel composé par les honoraires qu'ils perçoivent, à taux élevés, sur les montants de travaux définis par eux-mêmes" (15).

Dans un contexte de tentative de maîtrise des coûts (16), il faut prendre garde à ne pas sacrifier, sur l'autel de la rationalité administrative ou dans l'optique d'une certaine libéralisation de la profession, la spécificité et les garanties de la profession d'architecte en chef. Ces spécificités et ces garanties sont largement justifiées par les caractères propres de leur activité et l'intérêt du patrimoine monumental.


(1) JO, 30 septembre 2007, page 10, texte n° 13.
(2) JO, 4 janvier 1914, page 129.
(3) La compagnie soutenait que le décret ne maintenait pas en vigueur les dispositions de l'article 3 du décret n° 80-911 du 20 novembre 1980 au moins jusqu'au 1er janvier 2009 et, en tout état de cause, jusqu'au 1er jour du septième mois suivant la publication du décret prévu à l'article L. 621-9 du Code du patrimoine. Qu'il instituait une astreinte qui ne pouvait être appliquée en l'absence du même décret d'application et, qu'enfin, il ne comportait pas de dispositions transitoires applicables aux opérations de travaux en cours.
(4) Décret n° 2007-487 du 30 mars 2007, relatif aux monuments historiques et aux zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (JO, 31 mars 2007, page 6046).
(5) JO, 29 février 1984, page 735.
(6) JO, 21 novembre 1980, page 2713.
(7) JO, 17 août 2004, page 14545.
(8) Décret n° 2005-837 du 20 juillet 2005, pris en application de l'article 99 de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004, relative aux libertés et responsabilités locales et relatif à la maîtrise d'oeuvre de certains travaux portant sur les monuments historiques classés et à la définition du patrimoine rural non protégé au titre des monuments historiques (N° Lexbase : L8730G99) (JO, 23 juillet 2005, page 12032).
(9) CE, 9 mars 2007, n° 285289, Syndicat CFDT Culture (N° Lexbase : A5825DUB), BJCL, 2007, page 343, concl., F. Séners.
(10) La procédure est organisée par le décret n° 77-1481 du 28 décembre 1977 (N° Lexbase : L2892HKC) (JO, 1er janvier 1978, p. 19) sur l'organisation de la profession d'architecte, modifié par le décret n° 2007-790 du 10 mai 2007 (N° Lexbase : L5085HXM) (JO, 11 mai 2007, page 8584).
(11) Voir, en ce sens, Pierre Delvolvé, "Un statut très "particulier" : le statut des architectes en chef des monuments historiques", RFDA, 2007, page 1227, § 39 et suivants.
(12) Ibid., § 37.
(13) Ibid., § 41.
(14) Voir, notamment, Cour des Comptes, Rapport de 2001 et Sénat, Rapport d'information n° 378 (2001-2002) du sénateur Yann Gaillard, déposé le 25 juillet 2002.
(15) Cour des Comptes, Rapport au Président pour l'année 2005, page 211. La charge est introduite de la façon suivante : "Le ministère de la Culture a reconnu, tant devant la mission d'évaluation et de contrôle que devant la commission des finances du Sénat, la nécessité de remédier aux anomalies et aux surcoûts relevés dans le fonctionnement des monopoles des architectes en chef des monuments historiques".
(16) Le différentiel extravagant entre ce qui était voté par le Parlement en millions d'euros, ce qui était effectivement dépensé et ce qui apparaissait en "autorisations de programme" a amené à ce que le ministère de l'Economie et des Finances réduise de façon considérable les crédits de paiement attribués aux Monuments historiques, faisant en sorte de fragiliser la profession et de faire perdre un certain nombre d'emplois de restaurateurs hautement qualifiés.

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Contrats et obligations

[Jurisprudence] Défaut de conformité et vices cachés : retour sur la distinction des qualifications et des régimes

Réf. : Cass. civ. 1, 30 septembre 2008, n° 07-16.876, M. Antoine Van Loon, F-P+B (N° Lexbase : A5910EA7) et Cass. com., 14 octobre 2008, n° 07-17.977, Société Toujas et Coll, matériaux de construction, FS-P+B (N° Lexbase : A8093EAY)

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N6996BHL

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par David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI)

Le 07 Octobre 2010

L'occasion a été donnée, à plusieurs reprises, d'insister sur l'une des difficultés essentielles du droit de la vente tenant à la distinction de l'obligation de délivrance du vendeur, d'une part, définie par l'article 1604 du Code civil (N° Lexbase : L1704ABQ) comme "le transport de la chose vendue en la puissance et possession de l'acheteur", et qui suppose, précisément, que le vendeur lui délivre une chose conforme à ce à quoi il s'est engagé, et, d'autre part, de l'obligation de garantie des vices cachés de l'article 1641 du même code (N° Lexbase : L1743AB8), aux termes duquel "le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminue tellement cet usage, que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus". Et nul n'ignore que les enjeux pratiques attachés à la distinction sont considérables, ne serait-ce que parce que, s'agissant du délai de prescription de l'action, l'action en garantie des vices cachés, qui, autrefois, devait être engagée à "bref délai", doit, depuis une ordonnance n° 2005-136 du 17 février 2005, relative à la garantie de la conformité du bien au contrat due par le vendeur au consommateur (N° Lexbase : L9672G7D), être exercée dans les "deux ans à compter de la découverte du vice" (C. civ., art. 1648), délai distinct du délai de droit commun applicable à l'action en défaut de conformité.

Au reste, les différences ne s'arrêtent pas là : ainsi la première chambre civile de la Cour de cassation a-t-elle décidé que, "en matière de garantie des vices cachés, lorsque l'acquéreur exerce l'action rédhibitoire, le vendeur, tenu de restituer le prix qu'il a reçu, n'est pas fondé à obtenir une indemnité liée à l'utilisation de la chose vendue ou à l'usure résultant de cette utilisation" (1), alors qu'il a été jugé que "l'effet rétroactif de la résolution d'une vente pour défaut de conformité permet au vendeur de réclamer à l'acquéreur une indemnité correspondant à la dépréciation subie par la chose en raison de l'utilisation que ce dernier en a faite", étant entendu qu'"il incombe au vendeur de rapporter la preuve de l'existence et de l'étendue de cette dépréciation" (2), solution assez récemment confirmée par un arrêt de la Chambre commerciale en date du 30 octobre 2007 (3).

Ainsi, une différence existe-t-elle selon que l'action de l'acquéreur est une action en défaut de conformité, comme en l'espèce, ou une action rédhibitoire en garantie des vices cachés : alors, en effet, on vient de le rappeler, que la résolution de la vente pour défaut de conformité peut permettre au vendeur qui démontrerait l'existence et l'étendue de la dépréciation subie d'obtenir une indemnité de l'acquéreur, la solution est inverse en cas de rédhibition consécutive à l'exercice d'une action en garantie des vices. On a pu s'étonner de cette distinction, d'autant que, comme la résolution, la rédhibition entraîne, elle aussi, l'anéantissement rétroactif de la vente (4). Nous pensons, après d'autres, que cette différence peut pourtant s'expliquer par des considérations concrètes tenant à la cause de l'anéantissement du contrat, distincte d'un cas à l'autre. La mise en oeuvre de la garantie des vices cachés supposant un défaut de la chose la rendant impropre à l'usage auquel elle est destinée (C. civ., art. 1641), on peut assez légitimement considérer que le fait "que l'utilisation de cette chose l'ait éventuellement en outre usée importe peu puisqu'elle est de toute façon viciée et impropre à son usage" (5), alors qu'il en va autrement en cas de défaut de conformité, la chose, certes non-conforme aux spécifications convenues, pouvant parfaitement convenir à un autre acquéreur, de telle sorte qu'il peut paraître juste de tenir compte de la dépréciation qu'elle a pu subir et d'indemniser, dans ce cas, le vendeur. Un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 30 septembre dernier, à paraitre au Bulletin, est venu rappeler ce principe de solution en affirmant, sous le visa des articles 1641 et 1644 du Code civil (N° Lexbase : L1747ABC), "qu'en matière de garantie des vices cachés lorsque l'acheteur exerce l'action rédhibitoire, le vendeur, tenu de restituer le prix qu'il a reçu, n'est pas fondé à obtenir une indemnité liée à l'utilisation de la chose vendue ou à l'usure résultant de cette utilisation".

Tout cela suppose tout de même de bien distinguer, du point de vue conceptuel, le défaut de conformité du vice caché. Or, à examiner le droit positif, la distinction des deux notions, hors le cas de la vente de meubles aux consommateurs où elles ont été unifiées (C. consom., art. L. 211-1 N° Lexbase : L9679G8Y à L. 211-18), continue de susciter quelques difficultés. Un arrêt de la Chambre commerciale du 14 octobre 2008, à paraitre au Bulletin, permet précisément d'y revenir. L'arrêt casse un arrêt de cour d'appel, sous le visa de l'article 1604 du Code civil, reprochant aux juges du fond de ne pas avoir recherché si la chose vendue, en l'occurrence des rayonnages métalliques, présentait les qualités décrites dans les conditions générales du vendeur et si, dans la négative, le vendeur n'avait pas manqué à son obligation de délivrance conforme.

Il faut rappeler que la non-conformité de la chose vendue aux spécifications convenues par les parties est une inexécution de l'obligation de délivrance ; en revanche, la non-conformité de la chose à sa destination normale ressortit à la garantie des vices cachés au sens de l'article 1641 du Code civil (6).

Si, donc, ce qui est discuté tient à la conformité de la chose aux spécifications convenues par les parties, c'est-à-dire au contrat, c'est bien l'obligation de délivrance qui est en cause, le vendeur devant délivrer la chose contractuellement convenue, avec ses caractéristiques, de telle sorte que la délivrance d'une chose différente constitue un manquement à cette obligation (7).

Si, au contraire, ce qui est discuté tient à la conformité de la chose à sa destination normale, c'est alors la garantie des vices qui est en cause, les vices étant, précisément, des défauts de la chose qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine (8).


(1) Cass. civ. 1, 21 mars 2006, 2 arrêts, n° 03-16.075, Société Automobiles Citroën c/ M. Gauthier Carles (N° Lexbase : A6389DNX et n° 03-16.307, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A6390DNY).
(2) Cass. civ. 1, 21 mars 2006, n° 02-19.236, Safirauto c/ Société Sonauto-Hyundaï, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A6388DNW).
(3) Cass. com., 30 octobre 2007, n° 05-17.882, Société Anciens Etablissements Branger (AEB), FS-P+B (N° Lexbase : A2281DZI).
(4) Voir, très nettement en ce sens, F. Collart-Dutilleul et Ph. Delebecque, Contrats civils et commerciaux, Précis Dalloz, 6ème éd., n° 287 p. 247 ; A. Bénabent, Droit civil, Les contrats spéciaux civils et commerciaux, Domat-Montchrestien, 5ème éd., n° 235 et s., qui consacre un chapitre à "L'anéantissement de la vente" présenté comme l'effet, soit de l'annulation du contrat lorsque sa formation était entachée d'une cause de nullité, soit de la résolution du contrat lorsqu'une des parties a manqué à ses obligations, soit, enfin, de l'action rédhibitoire en matière de garantie des vices cachés.
(5) L. Leveneur, obs. sous Cass. civ. 1, 21 mars 2006, préc., Contrats, conc., consom., 2006, n° 130.
(6) Cass. civ. 1, 27 octobre 1993, n° 91-21.416, Compagnie La Concorde c/ Société MTS et autre (N° Lexbase : A8458AXK), Bull. civ. I, n° 305 ; Cass. civ. 1, 8 décembre 1993, n° 91-19.627, M. Prario c/ M Hennequin de Villermont (N° Lexbase : A5323ABR), Bull. civ. I, n° 362.
(7) Voir, not., Cass. civ. 1, 5 novembre 1996, n° 94-15.898, Mlle Badiou c/ M. Faure et autres (N° Lexbase : A8550ABB), JCP éd. G, 1997, II, 22872, note Ch. Radé ; Cass. civ. 1, 17 juin 1997, deux arrêts, n° 95-18.981, Société Plâtres Lambert production c/ M. Poux (N° Lexbase : A0677AC3) et n° 95-13.389, Société Garage Saurel c/ M. Hercher et autres (N° Lexbase : A0414ACC), Bull. civ. I, n° 205 et n° 206.
(8) Cass. civ. 3, 1er octobre 1997, n° 95-22.263, Société Empain Graham et Cie et autres c/ Epoux Journe (N° Lexbase : A0802ACP), Bull. civ. III, n° 181 ; Cass. civ. 3, 15 mars 2000, n° 97-19.959, Société Empain Graham et Cie et autres c/ Société Thoretim et autres (N° Lexbase : A3495AUY), Bull. civ. III, n° 61 ; Cass. com., 28 mai 2002, n° 00-16.749, Société Wartsila NSD corporation c/ Société Méca Stamp international, F-D (N° Lexbase : A7838AYX), Contrats, conc., consom., 2002, n° 139, obs. Leveneur.

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Contrats et obligations

[Jurisprudence] De l'importance des mentions du catalogue en matière de vente d'oeuvres d'art (à propos de l'erreur sur les qualités substantielles)

Réf. : Cass. civ. 1, 30 septembre 2008, n° 06-20.298, FS-P+B (N° Lexbase : A5831EA9), Cass. civ. 1, 16 octobre 2008, n° 07-12.147, F-P+B (N° Lexbase : A7999EAI) et Cass. civ. 1, 30 octobre 2008, n° 07-17.523, M. François Pinault, F-P+B (N° Lexbase : A0616EBG)

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N6995BHK

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par David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI)

Le 07 Octobre 2010

Après avoir, à l'article 1108 du Code civil (N° Lexbase : L1014AB8), expressément fait du "consentement de la partie qui s'oblige" l'une des quatre "conditions [...] essentielles pour la validité d'une convention", et avoir indiqué, à l'article 1109 (N° Lexbase : L1197ABX), ouvrant la section première "Du consentement" du chapitre II du titre III du livre III du code, qu'"il n'y a point de consentement valable, si le consentement n'a été donné que par erreur, ou s'il a été extorqué par violence ou surpris par dol", l'article 1110 (N° Lexbase : L1198ABY) précise les cas dans lesquels l'erreur est susceptible d'entraîner la nullité du contrat. Ainsi est-il énoncé, dans un alinéa premier, que "l'erreur n'est une cause de nullité de la convention que lorsqu'elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l'objet", tandis que l'alinéa second, lui, exclut que la nullité puisse résulter d'une erreur sur la personne du cocontractant, "à moins que la considération de cette personne ne soit la cause principale de la convention". Alors que l'erreur sur la personne ne donne lieu, en définitive, qu'à un contentieux assez limité, du moins en droit commun des obligations (l'erreur de l'article 180 du Code civil N° Lexbase : L1359HI8 en droit de la famille ayant connu, à une époque récente, un certain regain d'intérêt...), il en va certainement différemment de l'erreur sur la substance, particulièrement dans le domaine de la vente d'oeuvres d'art, la notion même de substance ainsi que les conditions de mise en oeuvre de cette erreur faisant l'objet, assez régulièrement, d'un nombre important de décisions. Pour preuve, chronologiquement, trois arrêts de la première chambre civile de la Cour de cassation des 30 septembre, 16 et 30 octobre 2008.

Dans le premier arrêt (n° 06-20.298), l'acquéreur d'une oeuvre présentée au catalogue comme de Salvador Dali avait demandé la nullité de la vente pour erreur sur la substance après s'être vu refuser l'oeuvre par une galerie new-yorkaise au motif qu'elle n'était pas de la main de Salvador Dali. La Cour de cassation approuve les premiers juges d'avoir prononcé la nullité. Elle relève, en effet, que "s'il était bien fait mention de l'existence d'un décor de scène, il n'était pas indiqué que l'oeuvre mise en vente était seulement une partie de celui-ci et non une oeuvre réalisée par Dali lui-même, intégrée dans ce décor, que le certificat établit par M. X, qui précisait qu'il s'agissait d'une création originale avec intervention de la main de l'artiste, n'y était pas reproduit et qu'il était au contraire indiqué que l'oeuvre vendue était un 'tableau' ce qui, s'agissant d'une simple partie de châssis de coulisse, était inexact ; que de ces constatations et énonciations, la cour d'appel a pu en déduire que par leur insuffisance les mentions du catalogue avaient entraîné la conviction erronée de l'acquéreur que l'oeuvre en cause était certainement de la main de l'artiste quand, comme élément d'un décor conçu par celui-ci, elle pouvait ne pas l'être, et a prononcé à bon droit la nullité de la vente pour erreur sur les qualités substantielles de la chose vendue".

C'est donc l'insuffisance ou l'imprécision des mentions du catalogue qui a créé un décalage entre la croyance des contractants, en l'occurrence des acquéreurs, et la réalité. Il a, au demeurant, déjà été jugé que l'inexactitude de la référence à une période historique, portée sans réserve expresse au catalogue de la vente publique, suffit à provoquer l'erreur sur la substance (v. Cass. civ. 1, 27 février 2007, n° 02-13.420, FS-P+B N° Lexbase : A4065DU4). L'arrêt rendu le 30 octobre dernier se situe dans le sillage de cette jurisprudence (n° 07-17.523). Il décide, sous le visa de l'article 1110 du Code civil, que "les mentions du catalogue, par leur insuffisance, n'étaient pas conformes à la réalité et avaient entraîné la conviction erronée et excusable des acquéreurs que bien que réparé et accidenté [le] meuble n'avait subi aucune transformation depuis l'époque Louis XVI de référence". Ces décisions attestent de l'importance qu'il convient d'attacher aux mentions portées au catalogue qui constituent en quelque sorte le critère susceptible d'établir l'existence de l'erreur. En creux, un autre arrêt de la première chambre civile, du 16 octobre 2008 (n° 07-12.147), confirme cette analyse. En l'espèce, une société avait acquis aux enchères publiques un tableau présenté au catalogue sous les mentions suivantes : "Ecole française vers 1600", et avait, ensuite, demandé la nullité de la vente pour réticence dolosive et erreur sur la substance. La Cour de cassation approuve les juges du fond d'avoir rejeté la demande aux motifs, d'une part, que le tableau litigieux n'était pas une copie puisqu'il avait bien été réalisé conformément au style propre à l'Ecole française et, d'autre part, que la mention au catalogue n'était pas inexacte car elle garantissait seulement que le tableau offert à la vente avait été réalisé pendant la durée d'existence du mouvement artistique désigné dont la période était précisée et par un artiste ayant participé à ce mouvement.

On rappellera, en tout état de cause, que, pour apprécier l'existence d'un vice du consentement, il faut se placer au jour de la formation du contrat (voir encore, récemment, Cass. civ. 3, 4 juillet 2007, n° 06-15.881, Société civile immobilière (SCI) du Res, FS-P+B N° Lexbase : A0858DX3), ce qui, au reste, est parfaitement logique puisque l'article 1108 du Code civil précité fait bien, on l'a déjà signalé, du consentement, à côté de la capacité, de l'objet et de la cause, une condition de validité du contrat, autrement dit une condition nécessaire à sa formation. La Cour de cassation a, d'ailleurs, déjà eu l'occasion de le rappeler en décidant que la validité du consentement doit être appréciée au moment de la formation du contrat, si bien que les juges du fond ne peuvent débouter l'acquéreur d'une voiture d'occasion de son action en nullité pour erreur en se fondant sur le fait que, pour revendre le véhicule, le demandeur avait fait paraître une annonce dans laquelle il indiquait que l'état de la voiture était bon (Cass. civ. 1, 26 octobre 1983, n° 82-13.560, Rouche c/ Mougin N° Lexbase : A1196CKI, Bull. civ. I, n° 249), ou encore, pour écarter la nullité, sur le fait qu'un terrain est devenu inconstructible après la vente s'il l'est devenu par suite de l'annulation du plan d'occupation des sols par application de la législation en vigueur au jour de la vente (Cass. civ. 3, 13 juillet 1999, n° 97-16.362, M. Maillet c/ Société Empain Graham et autres N° Lexbase : A3196CHT, Bull. civ. III, n° 178 ; Cass. civ. 3, 26 mai 2004, n° 02-19.354, FS-P+B N° Lexbase : A2740DCH, Bull. civ. III, n° 107). En revanche, le droit de se servir d'éléments d'appréciation postérieurs à la vente pour prouver l'existence d'une erreur au moment de la vente ne peut être dénié au vendeur (Cass. civ. 1, 13 décembre 1983, n° 82-12.237, Epoux Saint-Arroman c/ Réunion des Musées Nationaux, Ministre de la Culture, Rheims, Laurin, Lebel N° Lexbase : A3665CH9, Grands arrêts de la jurisprudence civile, Dalloz, 11ème éd., par F. Terré et Y. Lequette, n° 149 et les références citées). Et il a, plus généralement, été décidé que pour se prononcer sur l'existence d'un vice du consentement au moment de la formation du contrat, les juges du fond peuvent faire état d'éléments d'appréciation postérieurs à cette date (Cass. com., 13 décembre 1994, n° 92-12.626, Mme Magnetti c/ Caisse régionale de Crédit agricole mutuel du Midi et autres N° Lexbase : A6841ABY, Bull. civ. IV, n° 375 ; pour une illustration appliquée au cas de violence au sens de l'article 1112 du Code civil N° Lexbase : L1200AB3, voir not. Cass. civ. 3, 13 janvier 1999, n° 96-18.309, Société Jojema c/ Mme X N° Lexbase : A2555CH4, Bull. civ. III, n° 11).

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[Panorama] Taxe professionnelle : panorama de jurisprudence 2008

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par Anne-Lise Lonné, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition fiscale

Le 07 Octobre 2010

Le 4 novembre dernier, sur proposition de Christine Lagarde, ministre de l'Economie, de l'industrie et de l'emploi, le Gouvernement a remis au Parlement un rapport évaluant la mise en oeuvre de la réforme de la taxe professionnelle adoptée dans la loi de finances pour 2006. L'objectif de cette réforme était triple : alléger de manière permanente la charge fiscale sur les premières années suivant l'investissement, mieux tenir compte des capacités contributives des entreprises et responsabiliser les collectivités territoriales et EPCI. Techniquement, cette réforme avait prolongé le dégrèvement pour investissements nouveaux, initialement prévu pour 2004 et 2005, aux acquisitions d'immobilisations à compter de 2006. Le plafonnement de la cotisation de taxe professionnelle a été uniformisé à 3,5 % de la valeur ajoutée. Enfin, les collectivités territoriales et leurs EPCI financent la part des plafonnements en fonction de la valeur ajoutée correspondant aux hausses de taux qu'ils ont décidées depuis 2005. La remise du rapport gouvernemental précède une prochaine réforme de cet impôt, annoncée d'ici fin 2008, qui devrait permettre l'exonération permanente de la taxe professionnelle sur les investissements réalisés du 23 octobre 2008 au 31 décembre 2009, et qui précéderait vraisemblablement la suppression totale. En attendant l'ultime réforme, il convient de faire le point sur le dispositif actuel. Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose, cette semaine, de retrouver l'actualité jurisprudentielle 2008 en matière de taxe professionnelle à travers un panorama de jurisprudence sélectionnant les principaux arrêts rendus tant par le Conseil d'Etat que par les juridictions du fond. Les différentes décisions sont présentées selon un plan classique : le champ d'application de la taxe, son assiette et son calcul. 1. Champ d'application de la taxe professionnelle

La taxe professionnelle est due chaque année par les personnes physiques ou les personnes morales qui exercent en France, à titre habituel, une activité professionnelle non salariée. Deux arrêts rendus respectivement par la cour administrative d'appel de Versailles et par la cour administrative d'appel de Bordeaux apportent des précisions intéressantes afférentes au champ d'application de la taxe professionnelle, le premier à propos du non-assujettissement d'une société n'exerçant plus d'activité malgré l'absence de déclaration en ce sens, le second retenant la non-exonération des éditeurs de journaux gratuits.

1.1. Non-assujettissement d'une société n'exerçant plus d'activité malgré l'absence de déclaration en ce sens

Aux termes de l'article 1447 du CGI (N° Lexbase : L0048HMQ), "la taxe professionnelle est due chaque année par les personnes physiques ou morales qui exercent à titre habituel une activité professionnelle non salariée". Dans un arrêt rendu le 22 mai 2008, la cour administrative d'appel de Versailles retient l'absence d'assujettissement à la taxe professionnelle d'une société qui n'avait plus d'activité et ne disposait d'aucun local et d'aucun actif à l'adresse d'imposition mais seulement de l'usage d'une boîte aux lettres. En l'espèce, si la société était restée inscrite au registre du commerce et des sociétés et avait maintenu une adresse de domiciliation jusqu'à sa dissolution par transmission universelle de son patrimoine à une autre société et si ses comptes, déficitaires, de l'exercice clos le 30 septembre 2004 avaient été approuvés par l'assemblée générale des associés le 20 février 2005, ses déclarations fiscales ne faisaient état que d'un chiffre d'affaires négatif en 2004 et nul en 2005 et du paiement résiduel de quelques charges. Selon la cour, nonobstant l'absence de toute déclaration de mise en sommeil de la société, ces opérations ne pouvaient révéler la poursuite par l'entreprise d'une activité professionnelle à titre habituel au 1er janvier de chacune des années 2004 et 2005 en cause (CAA Versailles, 1ère ch., 22 mai 2008, n° 06VE00334, Compagnie Wape, venant aux droits et obligations de la société Seamontain N° Lexbase : A3225D9C).

1.2. La non-exonération des éditeurs de journaux gratuits

Aux termes de l'article 1458 du CGI (N° Lexbase : L4727HWY), les éditeurs de feuilles périodiques sont exonérés de la taxe professionnelle. Dans un arrêt rendu le 27 mars 2008, la cour administrative d'appel de Bordeaux précise que les journaux gratuits, qui sont exclusivement ou essentiellement consacrés à la publicité ou aux annonces et ne proposent aucun contenu éditorial ou un contenu éditorial de minime importance, ne constituent pas des feuilles périodiques au sens des dispositions précitées de l'article 1458 du CGI. Dès lors, en l'espèce, la société requérante, qui ne contestait pas la méthode de l'administration consistant à retenir le pourcentage du chiffre d'affaires des "journaux gratuits", pour déterminer la partie de son activité assujettie à la taxe professionnelle, n'était pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Pau avait rejeté sa demande tendant à la décharge de cotisations de taxe professionnelle (CAA Bordeaux, 4ème ch., 27 mars 2008, n° 06BX01403 N° Lexbase : A5287D9P).

2. Assiette de la taxe professionnelle

Depuis le 1er janvier 2003, la base d'imposition de la taxe professionnelle ne repose plus que sur la valeur locative des immeubles et des autres immobilisations corporelles dont a disposé le redevable pour sa profession, la base d'imposition relative aux salaires versés par l'entreprise ayant progressivement été supprimée entre 2000 et 2002. Pour certaines professions, libérales notamment, des règles spécifiques prévoient que la taxe professionnelle est assise sur les recettes de l'entreprise.

2.1. Immobilisations corporelles prises en compte : notion de disposition

Aux termes de l'article 1467-1° du CGI (N° Lexbase : L6788HWC), la base d'imposition à la taxe professionnelle est constituée par la valeur locative des immobilisations corporelles dont le redevable a disposé pour les besoins de son activité professionnelle pendant la période de référence, à l'exception de celles qui ont été détruites ou cédées au cours de la même période. La notion de "disposition" des immobilisations corporelles constitue certainement l'une des sources principales du contentieux en matière de taxe professionnelle. La jurisprudence rendue en 2008 vient compléter l'apport du juge administratif sur cette notion. Par souci de clarté, nous exposerons ces précisions jurisprudentielles en suivant les règles posées par l'article 1469 du CGI relatives à la détermination de la valeur locative.

- Aux termes de l'article 1469-1° du CGI (N° Lexbase : L4732HW8), relatif aux biens passibles d'une taxe foncière :

"La valeur locative est déterminée comme suit :
1° Pour les biens passibles d'une taxe foncière, elle est calculée suivant les règles fixées pour l'établissement de cette taxe ;
[...]
Les locaux donnés en location à des redevables de la taxe professionnelle sont imposés au nom du locataire ; toutefois, la valeur locative des entrepôts et magasins généraux n'est retenue que dans les bases d'imposition de l'exploitant de ces entrepôts ou magasins".

Si les locaux donnés en location à des redevables de la taxe professionnelle sont donc, en principe, imposés au nom du locataire, le Conseil d'Etat, dans un arrêt rendu le 26 mars 2008, après avoir précisé que ces dispositions doivent s'entendre comme visant le locataire qui a la jouissance effective des locaux, retient que le fait que le locataire des locaux ne soit pas redevable de la taxe professionnelle n'implique pas que les locaux en cause doivent être inclus dans l'assiette de la taxe professionnelle du propriétaire, dès lors qu'il n'en a pas la jouissance effective (CE 9° et 10° s-s-r., 26 mars 2008, n° 293537, Mentionné aux Tables du Recueil Lebon N° Lexbase : A5952D7L). En effet, il ressort des dispositions de l'article 1467-1° du CGI, que les immobilisations dont la valeur locative est intégrée dans l'assiette de la taxe professionnelle sont les biens placés sous le contrôle du redevable et que celui-ci utilise matériellement pour la réalisation des opérations qu'il effectue. Selon la Haute juridiction administrative, aucune disposition du 1° de l'article 1469 du CGI, non plus qu'aucune autre disposition législative, ne permet d'imposer les biens passibles d'une taxe foncière, lorsqu'ils sont donnés en location, au nom d'un autre redevable que le locataire final, même dans le cas où celui-ci n'est pas redevable de la taxe professionnelle.

Cet arrêt est à rapprocher d'une décision rendue le 16 septembre 1998 par le Haut conseil, dans laquelle ce dernier avait considéré que, lorsqu'ils sont donnés en location, les biens passibles d'une taxe foncière ne peuvent être imposés au nom du propriétaire, même dans le cas où le locataire est exonéré de la taxe professionnelle (CE Contentieux, 16 septembre 1998, n° 174795, M. Simoens N° Lexbase : A8206ASQ).

- Aux termes du 3° de l'article 1469 du CGI (N° Lexbase : L4732HW8) :

3° Pour les autres biens [équipements et biens mobiliers], lorsqu'ils appartiennent au redevable, lui sont concédés ou font l'objet d'un contrat de crédit-bail mobilier, la valeur locative est égale à 16 % du prix de revient ;
Lorsque ces biens sont pris en location, la valeur locative est égale au montant du loyer au cours de l'exercice sans pouvoir différer de plus de 20 % de celle résultant des règles fixées au premier alinéa ; les biens donnés en location sont imposés au nom du propriétaire lorsque la période de location est inférieure à six mois ; il en est de même si le locataire n'est pas passible de la taxe professionnelle ou n'a pas la disposition exclusive des biens loués ;
La valeur locative des biens pris en crédit-bail mobilier n'est pas modifiée lorsque, à l'expiration du contrat, les biens sont acquis par le locataire".

Dans le cas de mise à disposition de panneaux publicitaires, le Conseil d'Etat a rappelé, dans un arrêt rendu le 5 mai 2008, que les biens relevant des dispositions susvisées et qui sont donnés en location sont imposés au nom du propriétaire lorsque la période de location est inférieure à six mois. Et de préciser qu'il en est de même si le locataire n'est pas passible de la taxe professionnelle ou n'a pas la disposition exclusive des biens loués (CE 9° et 10° s-s-r., 5 mai 2008, n° 285174, Minefi c/ Société PML Affichage N° Lexbase : A4271D8P). Ainsi, la Haute juridiction administrative a retenu qu'une société mettant à disposition d'entreprises d'annonces publicitaires des panneaux destinés à recevoir les affiches des annonceurs, ne pouvait se prévaloir de ces dispositions dès lors que, si les contrats conclus avec les annonceurs avaient une durée supérieure à six mois, ces contrats n'avaient pas pour objet la location des panneaux publicitaires mais conféraient à ces annonceurs l'exclusivité des emplacements pour la réalisation de leurs opérations de publicité. Par suite, la durée de location était sans incidence sur la détermination du redevable de la taxe professionnelle au titre des panneaux publicitaires

- Aux termes de l'article 1469-3° bis du CGI, toujours relatif aux équipements et biens mobiliers :

"3° bis Les biens mentionnés aux 2° et 3°, utilisés par une personne passible de la taxe professionnelle qui n'en est ni propriétaire, ni locataire, ni sous-locataire et confiés en contrepartie de l'exécution d'un travail par leur propriétaire, leur locataire ou leur sous-locataire sont imposés au nom de la personne qui les a confiés, dans le cas où elle est passible de la taxe professionnelle".

Ces dispositions nourrissent un contentieux particulièrement abondant.

On relèvera que le Conseil d'Etat a précisé, dans un rendu le 23 avril 2008, que la valeur locative des équipements et biens mobiliers mis à la disposition d'un sous-traitant doit être incluse dans les bases de l'établissement donneur d'ordres auquel sont destinées les pièces produites au moyen de ces équipements (CE 9° et 10° s-s-r., 23 avril 2008, n° 300775, Minefi c/ Communauté d'agglomération du pays de Montbéliard, Mentionné aux Tables du Recueil Lebon N° Lexbase : A1722D8B). En l'espèce, une société constructeur automobiles avait mis gracieusement à la disposition d'entreprises sous-traitantes situées sur le territoire de la Communauté d'agglomération du pays de Montbéliard des outillages lui appartenant, notamment des moules de presse, pour la fabrication de pièces détachées destinées à des usines de son groupe situées dans le même ressort. La cour administrative d'appel avait relevé que les pièces détachées fabriquées au moyen des outillages mis à la disposition d'entreprises sous-traitantes étaient destinées à la production de véhicules par le constructeur automobiles dans ses établissements situés dans le ressort de la Communauté d'agglomération du pays de Montbéliard. Selon la Haute juridiction administrative, en déduisant de ces constatations, que ces outillages devaient être considérés comme étant rattachés à ces établissements au sens des dispositions précitées de l'article 1473 du CGI (N° Lexbase : L0224HMA), la cour n'a pas commis d'erreur de droit.

Par ailleurs, la Haute juridiction administrative, dans un arrêt du 26 mars 2008, rappelle qu'il résulte des dispositions susvisées que la base de la taxe peut inclure la valeur locative de biens dont le redevable n'a pas eu la disposition. Elle précise que les biens visés aux 2° et 3° de l'article 1469 du CGI, lesquels ont trait à la détermination de leur valeur locative, sont les équipements et biens mobiliers qui, utilisés pour les besoins d'une activité soumise à la taxe professionnelle, doivent, en vertu de l'article 1467-1°-a) du CGI (N° Lexbase : L6788HWC), entrer dans les bases de cette taxe à concurrence de ladite valeur. Selon la Haute juridiction administrative, les dispositions précitées du 3° bis de l'article 1469 ont pour objet d'instituer redevable des droits assis sur cet élément de base, dans le cas qu'elles définissent, et par exception à la règle découlant des termes du a. du 1° de l'article 1467, un contribuable autre que celui qui a disposé des biens pour effectuer les opérations que comporte son activité (CE 9° et 10° s-s-r., 26 mars 2008, n° 296625 N° Lexbase : A5959D7T). En l'espèce, une société, qui était passible de la taxe professionnelle, disposait, pour l'exercice de son activité de fabrication et de vente de matériels chirurgicaux et d'implants à usage chirurgical, de matériels spécifiques de mise en place de ces implants, dits matériels "ancillaires". Elle restait propriétaire de ces matériels visés au 3° de l'article 1469 du CGI, qu'elle mettait gratuitement à la disposition de chirurgiens qui n'en étaient ni locataires, ni sous-locataires. Dans ces conditions, la Haute juridiction administrative retient que la valeur locative de ces biens entrait dans la base de la taxe professionnelle à laquelle la société était assujettie.

- Enfin, aux termes de l'article 1469-3° quater du CGI :

"3° quater Le prix de revient d'un bien cédé n'est pas modifié lorsque ce bien est rattaché au même établissement avant et après la cession et lorsque, directement ou indirectement :
a. l'entreprise cessionnaire contrôle l'entreprise cédante ou est contrôlée par elle ;
b. ou ces deux entreprises sont contrôlées par la même entreprise".

Ces dispositions ont pour objet de limiter les effets des opérations de restructuration des entreprises qui pourraient entraîner une réévaluation à la baisse de la base imposable.

Un arrêt important rendu par la cour administrative d'appel de Douai, le 3 juin 2008, précise la notion de "cession" au sens de ces dispositions, excluant de leur champ le cas d'une transmission universelle de patrimoine (CAA Douai, 2ème ch., 3 juin 2008, n° 07DA01475, Mentionné aux Tables du Recueil Lebon N° Lexbase : A1775EBD). Selon la cour, les cessions de biens visées par les dispositions précitées du 3° quater de l'article 1469 du CGI s'entendent des seuls transferts de propriété consentis entre un cédant et un cessionnaire. Si, en vertu des dispositions de l'article 1844-5 du Code civil (N° Lexbase : L2025ABM), la dissolution sans liquidation d'une société dont toutes les parts ont été réunies en une seule main entraîne le transfert du patrimoine de la société dissoute à l'associé unique qui subsiste, cette mutation patrimoniale qui n'est pas une cession au regard du droit civil ou du droit des sociétés, ne rentre pas dans le champ d'application du 3° de l'article 1469 quater.

2.2. Détermination de la valeur locative des établissements industriels

Comme il a été vu précédemment, en vertu de l'article 1469-1° du CGI, la valeur locative des biens passibles d'une taxe foncière est calculée suivant les règles fixées pour l'établissement de cette taxe.

Les règles suivant lesquelles est déterminée la valeur locative des biens passibles de la TFPB sont différemment définies à l'article 1496 du CGI (N° Lexbase : L0262HMN) pour les locaux affectés à l'habitation ou servant à l'exercice d'une profession, à l'article 1498 (N° Lexbase : L0267HMT) pour tous les biens autres que les locaux d'habitation ou à usage professionnel visés au I de l'article 1496, enfin à l'article 1499 (N° Lexbase : L0268HMU) pour les "immobilisations industrielles". Revêtent un caractère industriel, au sens de ce dernier article, les établissements dont l'activité nécessite d'importants moyens techniques, non seulement lorsque cette activité consiste dans la fabrication ou la transformation de biens corporels mobiliers, mais aussi lorsque le rôle des installations techniques, matériels et outillages mis en oeuvre, fût-ce pour les besoins d'une autre activité, est prépondérant. Cette définition résulte de la jurisprudence "Société des Pétroles Miroline", par laquelle le Conseil d'Etat a posé le caractère alternatif des critères de définition d'un établissement industriel (CE section, 27 juillet 2005, n° 261899, Minefi c/ Société des Pétroles Miroline N° Lexbase : A1332DKK)

Par quatre arrêts rendus le 14 avril 2008, la Haute juridiction confirme l'application des critères alternatifs. Surtout, elle précise que la circonstance que le redevable soit ou non propriétaire des installations techniques, matériels et outillages est sans incidence sur l'appréciation de leur importance et de leur rôle (CE 3° et 8° s-s-r., 14 avril 2008, n° 307465, Mentionné aux Tables du Recueil Lebon N° Lexbase : A9547D7Q, n° 307466 N° Lexbase : A9548D7R, n° 307467 N° Lexbase : A9549D7S, n° 307468 N° Lexbase : A9550D7T). Ainsi, après avoir souverainement apprécié le caractère important des moyens techniques utilisés par la société en cause et l'absence de rôle prépondérant de la mise en oeuvre de ces matériels et outillages dans l'exploitation, la cour administrative d'appel avait pu, sans commettre d'erreur de droit ni d'erreur de qualification juridique sur la mise en oeuvre des règles rappelées ci-dessus, en déduire que l'établissement en cause ne revêtait pas un caractère industriel au sens et pour l'application des dispositions de l'article 1499 du CGI (pour plus de précisions sur ces arrêts, lire : Guy Quillévéré, Commissaire du Gouvernement près le tribunal administratif de Nantes, La difficile mise en oeuvre de la définition de l'établissement industriel au sens des dispositions de l'article 1499 du CGI, Lexbase Hebdo n° 307 du 5 Juin 2008 - édition fiscale N° Lexbase : N2243BG8).

Toujours en matière d'évaluation de la valeur locative d'établissements industriels, on relèvera un arrêt rendu par la cour administrative d'appel de Lyon, dans lequel les juges lyonnais ont statué sur les modalités d'appréciation du prix de revient (CAA Lyon, 2ème ch., 10 juillet 2008, n° 06LY01210, Mentionné aux Tables du Recueil Lebon N° Lexbase : A4353EAH).

Aux termes de l'article 324 AE de l'annexe III au CGI (N° Lexbase : L3151HMN), le prix de revient pour la détermination de la valeur locative des immobilisations industrielles passibles de la taxe foncière sur les propriétés bâties, s'entend de la valeur d'origine pour laquelle les immobilisations doivent être inscrites au bilan en conformité de l'article 38 quinquies de l'annexe III (N° Lexbase : L3750HZW), c'est-à-dire, pour les immobilisations acquises à titre onéreux, du coût d'acquisition et pour les immobilisations acquises à titre gratuit, de la valeur vénale. Après avoir rappelé qu'une transaction à titre onéreux suppose un accord des parties sur le prix et la chose, les juges retiennent qu'une cession à un prix symbolique ne peut être regardée comme réalisée à titre onéreux que si l'acquéreur est contraint à une contrepartie réelle et quantifiable à l'égard du cessionnaire. En l'espèce, s'il était probable que la ville ait consenti un prix symbolique en raison du développement économique induit par la construction industrielle envisagée sur ce terrain, l'acte de vente ne comportait aucun engagement de la société vis-à-vis de la ville. L'administration était donc fondée à considérer que cette opération ne constituait pas une acquisition à titre onéreux, mais entrait dans le champ des acquisitions à titre gratuit et que la valeur locative de cette immobilisation à retenir comme base de la taxe professionnelle était sa valeur vénale.

2.3. Valeur locative plancher en cas de cession d'établissement

Aux termes de l'article 1518 B du CGI (N° Lexbase : L2757HWZ), la valeur locative des immobilisations corporelles acquises à la suite d'apports, de scissions, de fusions de sociétés ou de cessions d'établissements ne peut être inférieure à une valeur locative plancher retenue antérieurement à l'opération. Modifié à plusieurs reprises, l'article 1518 B du CGI prévoit des valeurs locatives plancher différentes selon la date de l'opération d'apport, de scission, de fusion ou de cession.

Un arrêt rendu par le Conseil d'Etat le 3 septembre 2008 vient préciser la notion de "cession d'établissement" pour l'application de ces dispositions. Il en ressort qu'un établissement doit être regardé comme ayant fait l'objet d'une cession lorsque l'ensemble des éléments mobiliers et immobiliers, corporels et incorporels, qui sont nécessaires à l'activité exercée ont été acquis par un même redevable qui y poursuit une activité identique (CE 9° et 10° s-s-r., 3 septembre 2008, n° 295010, Minefi c/ SA Literie Duvivier, Mentionné aux Tables du Recueil Lebon N° Lexbase : A0994EA3).

Ainsi, en l'espèce, la cession de la totalité du matériel, mais d'une partie seulement des locaux ne pouvait être regardée comme emportant cession d'établissement, alors même qu'une activité identique y était effectivement poursuivie par le cessionnaire au moyen de ces immobilisations corporelles, louées par lui dans le cadre d'un contrat de crédit-bail à une société tierce, elle-même devenue propriétaire de ces immobilisations.

La Haute juridiction administrative, dans un arrêt rendu le mois suivant, retient la même définition de la cession d'établissement (CE 9° et 10° s-s-r., 29 octobre 2008, n° 300351 N° Lexbase : A1004EBS). Ainsi, la cession à une filiale des matériels, équipements et installations nécessaires au fonctionnement des restaurants, à l'exclusion des éléments immobiliers, corporels et incorporels, dont la jouissance des locaux, requis pour l'exercice de son activité de restauration, ne pouvait être regardée comme emportant cession d'établissement, alors même qu'une activité identique y était effectivement poursuivie par le cessionnaire au moyen de ces éléments immobiliers dont il disposait dans le cadre d'un contrat de location-gérance, lequel avait conféré à cette société la qualité de locataire pour l'application de l'article 1469 du CGI (N° Lexbase : L4732HW8). Ainsi, même si la filiale avait poursuivi une activité identique et avait pu disposer de l'ensemble des actifs, la seule combinaison de la mise à disposition de ces locaux et d'éléments d'actifs incorporels, réalisée sous forme de location-gérance, et de l'acquisition par ailleurs des autres actifs, ne pouvait suffire à qualifier l'opération de cession d'établissement au sens et pour l'application de l'article 1518 B.

2.4. L'assiette spécifique applicable aux activités d'intermédiaire de commerce

Pour les contribuables titulaires de BNC, les agents d'affaires ou les intermédiaires de commerce, soumis à l'IR et qui emploient moins de cinq salariés, la base d'imposition à la taxe professionnelle répond à des règles spécifiques posées par l'article 1467-2° du CGI (N° Lexbase : L6788HWC). La base d'imposition est ainsi constituée par une fraction de leurs recettes.

A cet égard, on relèvera un arrêt du 6 août 2008, par lequel le Conseil d'Etat a précisé qu'une société immatriculée au registre des commissionnaires de transport, exerçant une activité d'organisation et d'exécution de transport de marchandises sur l'ordre de ses clients en ayant exclusivement recours aux services de tiers transporteurs qui conservaient la disposition et la responsabilité de leur personnel et de leur matériel, exerce une activité d'intermédiaire de commerce. Les circonstances tenant à ce que la société ne rendait aucun compte à ses clients, notamment du prix auquel elle sous-traitait les transports et que sa rémunération ne prenait pas la forme d'une commission sont sans incidence sur la qualification apportée à cette activité quant au calcul de la taxe professionnelle selon les règles de l'article 1467-2° du CGI (CE 9° et 10° s-s-r., 6 août 2008, n° 291954, EURL Jacques Pajot N° Lexbase : A0711EAL).

3. Calcul de la taxe professionnelle

Parmi les mesures de dégrèvement applicables aux cotisations de taxe professionnelle, on compte, notamment, le plafonnement des cotisations en fonction de la valeur ajoutée, et le crédit d'impôt en faveur des entreprises industrielles ou réalisant certaines activités de service qui sont situées dans les zones d'emploi en grande difficulté. La jurisprudence rendue en 2008 apporte un certain nombre de précisions utiles.

3.1. Le plafonnement en fonction de la valeur ajoutée

Ce dispositif de plafonnement de la taxe professionnelle en fonction de la valeur ajoutée, prévu à l'article 1647 B sexies du CGI (N° Lexbase : L4745HWN), a été réformé par la loi de finances pour 2006 (loi n° 2005-1719 du 30 décembre 2005, de finances pour 2006 N° Lexbase : L6429HET), constituant la mesure essentielle du texte en direction des entreprises. Le Gouvernement a décidé de plafonner la cotisation de taxe professionnelle à un taux unique de 3,5 % de la valeur ajoutée pour toutes les entreprises (et non plus aux taux de 3,5 %, 3,8 % ou 4 % en fonction de leur chiffre d'affaires), à partir d'une nouvelle année de référence, l'année 2004 (et non plus 1995). Le renforcement du dispositif à travers l'élargissement de son applicabilité mérite, dès lors, une analyse attentive de la jurisprudence rendue à propos de la mise en oeuvre de ces dispositions, même dans leur rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de la loi de finances pour 2006.

On relèvera, en premier lieu, une série d'arrêts rendus par le Conseil d'Etat à propos des éléments comptables devant être pris en compte dans le calcul de la valeur ajoutée en fonction de laquelle sont plafonnées les cotisations de taxe professionnelle, et plus précisément, des éléments inscrits à un compte "transfert de charges".

Les dispositions de l'article 1647 B du CGI fixent, en effet, la liste limitative des catégories d'éléments comptables qui doivent être pris en compte dans le calcul de la valeur ajoutée en fonction de laquelle sont plafonnées les cotisations de taxe professionnelle. Pour déterminer si une charge ou un produit se rattache à l'une de ces catégories, il y a lieu de se reporter aux dispositions du plan comptable général dans leur rédaction en vigueur lors de l'année d'imposition concernée. Aux termes de l'article 38 quater de l'annexe III au CGI (N° Lexbase : L6524HL9), "les entreprises doivent respecter les définitions édictées par le plan comptable général, sous réserve que celles-ci ne soient pas incompatibles avec les règles applicables pour l'assiette de l'impôt".

Dans deux arrêts rendus le 5 mai 2008, le Conseil d'Etat retient que, si les indemnités d'assurances perçues par une entreprise pour compenser un sinistre doivent être inscrites au crédit du compte 79 "transfert de charges" et si ce compte ne pouvait être rattaché à aucune des rubriques prévues pour le calcul de la valeur ajoutée par l'article 1647 B sexies avant sa modification par l'article 85 de la loi n° 2005-1719 du 30 décembre 2005 de finances pour 2006 (N° Lexbase : L6429HET), ces indemnités doivent, dans le cas et dans la mesure où elles compensent des charges qui ont été elles-mêmes déduites par cette entreprise pour la détermination de sa valeur ajoutée au titre des consommations de biens et services en provenance de tiers, être regardées, au sens et pour l'application des dispositions de cet article et en particulier du 1 de son II, comme une production de l'exercice au cours duquel elles ont été perçues par le redevable (CE 9° et 10° s-s-r., 5 mai 2008, n° 293913, Mentionné aux Tables du Recueil Lebon N° Lexbase : A4284D88 et n° 300774 N° Lexbase : A4297D8N).

Dans un arrêt rendu le 6 août 2008, le Conseil d'Etat retient la même solution, relevant que la seule circonstance que les sommes en cause aient été enregistrées dans un compte de transfert de charges ne fait pas obstacle à ce qu'elles soient prises en compte pour le calcul de la valeur ajoutée au sens de l'article 1647 B sexies du CGI (CE 9° et 10° s-s-r., 6 août 2008, n° 285719, Compagnie Nationale de Navigation N° Lexbase : A0679EAE). De même par deux arrêts rendus le 3 septembre 2008, la Haute juridiction administrative, après énonciation du même considérant, retient qu'une société qui inscrit au compte transfert de charges des sommes correspondant à des dépenses de personnel, de formation, de téléphone ou de transport, à des achats auprès de ses fournisseurs ainsi qu'à diverses fournitures qui ont été refacturées à des tiers, constituent des ventes et des prestations de services concourant à la détermination de la production des exercices et donc au calcul de la valeur. Constitue également une production, une somme correspondant au remboursement d'un sinistre alors même qu'elle a été inscrite au compte transfert de charges et que ce compte ne pouvait être rattaché à aucune des rubriques prévues par l'article 1647 B sexies. De même, une société devait comprendre dans le montant de la production les sommes inscrites au compte transfert de charges alors que ce compte avait été crédité, par le débit des comptes de tiers, des charges enregistrées sans qu'il soit nécessaire pour la cour d'appel de rechercher si ces charges avaient effectivement été refacturées à des tiers (CE 9° et 10° s-s-r., 3 septembre 2008, n° 283315 N° Lexbase : A0985EAQ et n° 287957 N° Lexbase : A0990EAW).

En second lieu, on retiendra une décision rendue par la cour administrative d'appel de Versailles le 7 juillet 2008, à propos du calcul de la valeur ajoutée dans le cadre des établissements de crédit. Selon la cour, il résulte des articles 1447 (N° Lexbase : L0048HMQ), 1647 E (N° Lexbase : L1653HM8), et 1647 B sexies (N° Lexbase : L4745HWN) du CGI, que, s'agissant des établissements de crédit, les produits d'exploitation bancaire et les produits accessoires, au nombre desquels figurent les produits des titres de placement et les produits des titres d'investissement en application des normes comptables, entrent dans la base de calcul de la valeur ajoutée, qu'ils soient ou non issus de la gestion des fonds propres de ces établissements. Selon la cour, le moyen tiré de la méconnaissance des articles 14 de la CESDH (N° Lexbase : L4747AQU) et 1er du Premier Protocole additionnel à cette Convention (N° Lexbase : L1625AZ9) est inopérant au regard de la différence de traitement entre les entreprises bancaires et les entreprises non bancaires. En effet, dès lors que les fonds propres des établissements de crédit sont soumis à une réglementation relative à leur masse et à leur utilisation afin d'assurer la sécurité des dépôts et placements de leurs clients, et que le placement des fonds relève de l'activité ordinaire d'une banque, les établissements de crédit se trouvent dans une situation objectivement différente de celle des autres entreprises pour lesquelles les dispositions législatives précitées des articles 1647 B et E n'ont pas prévu de base de calcul spécifique (CAA Versailles, 5ème ch., 7 juillet 2008, n° 07VE01983, Mentionné aux Tables du Recueil Lebon N° Lexbase : A9464D9E).

3.2. Le crédit d'impôt en faveur des entreprises industrielles ou réalisant certaines activités de service qui sont situées dans les zones d'emploi en grande difficulté

Aux termes de l'article 1647 C sexies du CGI (N° Lexbase : L3359IAN), l'entreprise exonérée de taxe professionnelle en application des articles 1464 B à 1464 F ou 1465 à 1466 E du CGI bénéficie d'un crédit d'impôt pour le maintien de l'emploi dans une zone d'emploi reconnue en grande difficulté au regard des délocalisations. Ce crédit d'impôt est égal à 1 000 euros par salarié employé depuis au moins un an au 1er janvier de l'année d'imposition dans un établissement affecté à une activité industrielle ou de recherche scientifique et technique.

Pour l'application de ces dispositions, il convient de relever un arrêt rendu par la cour administrative d'appel de Douai, en date du 20 mai 2008, dans lequel il est précisé qu'ont un caractère industriel, au sens des dispositions combinées des articles 1465 et 1647 C sexies du CGI, les entreprises exerçant une activité qui concourt directement à la fabrication ou la transformation de biens corporels mobiliers et pour laquelle le rôle des installations techniques, matériels et outillages mis en oeuvre est prépondérant. Dans cet arrêt, les juges rappellent le caractère cumulatif des critères énoncés. En estimant que le rôle des installations techniques d'une société suffisait à caractériser l'exercice d'une activité industrielle, le tribunal administratif a fait une inexacte application des dispositions précitées de l'article 1647 C sexies du CGI. Ainsi, quelle que soit l'importance des matériels mis en oeuvre par la société, la seule activité, qui consistait en le conditionnement de l'eau minérale, ne présentait pas le caractère d'une activité industrielle dès lors que la mise en bouteille n'entraîne aucune transformation de la denrée ainsi conditionnée (CAA Douai, 2ème ch., 20 mai 2008, n° 07DA01309, Ministre du Budget, des Comptes publics et de la Fonction publique c/ SAS Roxane Nord N° Lexbase : A5359D9D).

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Contrat de travail

[Jurisprudence] Conséquences du décès du salarié sur le paiement de la contrepartie pécuniaire à l'obligation de non-concurrence

Réf. : Cass. soc., 29 octobre 2008, n° 07-43.093, Société Cima c/ Mme Violaine Briand, veuve Riaux, FS-P (N° Lexbase : A0715EB4)

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010


S'il est, désormais, acquis que la clause de non-concurrence n'est licite qu'à la condition de comporter une contrepartie financière à la charge de l'employeur et au bénéfice du salarié, le régime juridique de cette dernière continue de susciter des interrogations. Souvent présentée comme la cause de l'engagement du salarié, cette contrepartie s'apparente fort à une indemnité compensatrice, alors même que la Cour de cassation l'analyse comme un salaire. En tous cas, et c'est la solution qui se dégage d'un intéressant arrêt rendu le 29 octobre 2008, il faut, désormais, savoir que la contrepartie financière de la clause de non-concurrence n'est pas due en cas de rupture du contrat de travail par suite du décès du salarié.
Résumé

La contrepartie financière de la clause de non-concurrence a pour objet d'indemniser le salarié qui, après rupture du contrat de travail, est tenu d'une obligation qui limite ses possibilités d'exercer un autre emploi. Il en résulte qu'elle n'est pas due en cas de rupture du contrat de travail par suite du décès du salarié.

Commentaire

I - L'exigence d'une contrepartie pécuniaire à l'obligation de non-concurrence

  • Principe

Visant tout à la fois "le principe fondamental de libre exercice d'une activité professionnelle" et l'article L. 120-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5441ACI, art. L. 1221-1, recod. N° Lexbase : L0767H9B), la Cour de cassation a fini par affirmer, dans plusieurs arrêts rendus le 10 juillet 2002, qu'une "clause de non-concurrence n'est licite que si elle comporte l'obligation pour l'employeur de verser au salarié une contrepartie financière" (1).

Cette solution trouve à se justifier par le principe général du droit des contrats, selon lequel, dans les contrats synallagmatiques, l'obligation de chaque partie doit avoir une cause, qui est la contrepartie fournie par le contractant (2). En d'autres termes, le versement par l'employeur d'une contrepartie financière sert de cause à l'obligation de non-concurrence pesant sur le salarié en vertu de la stipulation en cause. La justification précitée peut ne pas emporter pleinement la conviction, dès lors que l'on considère que l'obligation de non-concurrence trouve sa contrepartie dans l'exécution de la relation de travail passée. La solution est, toutefois, acquise aujourd'hui : faute de contrepartie pécuniaire, la clause de non-concurrence est illicite.

  • L'obligation au paiement de la contrepartie financière

A supposer que la clause de non-concurrence comporte une contrepartie pécuniaire, l'obligation au paiement de celle-ci est soumise à trois conditions : la cessation d'activité du salarié, le respect de la clause de non-concurrence et l'absence de renonciation de l'employeur. Il en résulte que l'obligation au paiement de la contrepartie financière ne peut être affectée par les circonstances de la rupture du contrat de travail et la possibilité pour le salarié de reprendre, ou non, une activité. Partant, l'indemnité compensatrice est due alors même que le salarié, postérieurement à la rupture de son contrat, n'est plus en mesure d'exercer une activité professionnelle (3) ou a fait valider ses droits à pension de retraite (4). Pour étrange qu'elle soit, cette position se conçoit au regard de la force obligatoire du contrat.

Dans l'affaire qui nous intéresse, les juges du fond avaient précisément fait application des principes qui viennent d'être évoqués. En l'espèce, un salarié avait été engagé en qualité de technico-commercial à compter du mois d'août 2003, aux termes d'un contrat de travail stipulant une clause de non-concurrence. Ce contrat ayant été rompu au mois de décembre 2004, en raison du décès du salarié, sa veuve a saisi la juridiction prud'homale afin d'obtenir le paiement de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence. Pour faire droit à cette demande, l'arrêt attaqué a retenu que l'obligation au paiement de la contrepartie financière, qui est liée à la cessation d'activité du salarié, au respect de la clause de non-concurrence et à l'absence de renonciation de l'employeur, ne peut être affecté par les circonstances de la rupture du contrat de travail. Par conséquent, le droit conditionnel à la contrepartie financière étant entré dans le patrimoine du salarié dès la conclusion du contrat de travail contenant son engagement de non-concurrence, sa veuve est en droit d'en demander le paiement.

Cette décision est censurée par la Cour de cassation qui, après avoir visé l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC), affirme que "la contrepartie financière de la clause de non-concurrence a pour objet d'indemniser le salarié qui, après rupture du contrat de travail, est tenu d'une obligation qui limite ses possibilités d'exercer un autre emploi ; [...] il en résulte qu'elle n'est pas due en cas de rupture du contrat de travail par suite du décès du salarié".

Ainsi que le souligne la Cour de cassation, cette solution se justifie par l'idée que la contrepartie financière à l'obligation de non-concurrence a pour objet d'indemniser le salarié. Ce fondement reste, cependant, difficile à concilier avec l'analyse prétorienne selon laquelle la contrepartie en cause est un salaire.

II - La nature de la contrepartie pécuniaire à l'obligation de non-concurrence

  • Une indemnité compensatrice

Ce n'est pas la première fois que la Cour de cassation affirme que la contrepartie financière à l'obligation de non-concurrence a pour objet d'indemniser le salarié qui, après la rupture du contrat de travail, est tenu d'une obligation qui limite ses possibilités d'exercer un autre emploi. Dans un important arrêt rendu le 7 mars 2007, la Cour de cassation avait retenu semblable argumentation pour affirmer que le paiement de la contrepartie ne peut intervenir avant la rupture (5). Parce que la contrepartie pécuniaire vise à réparer l'atteinte portée à la liberté du travail du salarié, elle ne peut être versée qu'au moment où le salarié subit effectivement cette atteinte, soit postérieurement à la cessation de la relation de travail. Un tel fondement n'est, évidemment, pas sans rappeler l'une des règles fondamentales de la responsabilité civile, selon laquelle le dommage éventuel ne peut donner lieu à réparation tant que l'éventualité ne s'est pas transformée en certitude (V. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Droit civil, Les obligations, Précis Dalloz, 9ème éd., 2005, § 700).

En résumé, il n'y a lieu de verser la contrepartie pécuniaire que parce que le salarié subit effectivement une atteinte à l'une de ses libertés fondamentales en respectant l'obligation contractuelle de non-concurrence. A ce titre, il importe peu que celui-ci respecte son obligation de gré ou de force, parce que, notamment, il n'est plus en mesure de travailler. Ce qui compte, c'est qu'il ne fasse pas concurrence à son employeur. Or, lorsque le salarié vient à décéder avant même que la clause de non-concurrence ait pu recevoir application, aucune atteinte à sa liberté du travail n'a pu naître faute, précisément et malheureusement pour ce dernier, d'avoir pu respecter son obligation. Il est, dès lors, difficile de souscrire à l'argumentation développée en l'espèce par les juges du fond. Sans doute le droit à la contrepartie financière est-il un droit "conditionnel". Mais la condition ne réside pas uniquement dans la rupture du contrat de travail, mais bien dans le respect de l'obligation de non-concurrence stipulée dans ce dernier.

Cette dernière assertion explique, sans doute, le visa de l'article 1134 du Code civil retenu par la Cour de cassation. On peut, néanmoins, se demander s'il n'aurait pas été plus opportun de viser l'article 1131 du Code civil (N° Lexbase : L1231AB9). En effet, à partir du moment où l'on admet que la contrepartie financière constitue la cause de l'obligation qui pèse sur le salarié, il est logique de considérer que l'obligation au paiement de la contrepartie n'a plus de cause, dès lors que le salarié ne peut plus respecter son obligation. A dire vrai, ce fondement ne convainc guère plus. Ce sentiment procède, au fond, de l'idée que ce qui fonde le paiement de la contrepartie pécuniaire, c'est moins l'obligation du salarié en tant que telle que l'atteinte à la liberté du travail qu'elle induit. Cela démontre tout le particularisme de la clause de non-concurrence qu'il est difficile d'assimiler à un engagement contractuel classique. La contrepartie pécuniaire semble, en réalité, jouer deux rôles. Au moment de la formation du contrat, elle est une condition de validité de la stipulation en tant qu'elle constitue la cause de l'engagement du salarié, tandis que lors de l'exécution de la stipulation la Cour de cassation paraît l'analyser en une indemnité réparant un préjudice subi par le salarié.

  • Une indemnité assimilée à un salaire

On admettra qu'il est troublant que la Cour de cassation se réfère à la notion d'indemnisation pour analyser l'objet de la contrepartie financière, là où elle pourrait se contenter de dire qu'elle est la contrepartie de l'engagement du salarié. Mais il est vrai que cette position laisserait dans l'ombre l'atteinte à la liberté du travail qu'induit le respect de l'obligation en cause.

Cela étant, la référence à la notion d'indemnisation suscite une autre interrogation. Il convient de rappeler que, de longue date, la Cour de cassation analyse la contrepartie pécuniaire de la clause de non-concurrence comme un salaire (6). Or, en affirmant que la contrepartie financière a pour objet "d'indemniser" le salarié, la Chambre sociale laisse plutôt à penser que celle-ci constitue des dommages-intérêts. Cette qualification serait, sans doute, préférable, dès lors que l'on considère que cette "indemnité" peut se cumuler avec un revenu de remplacement.

En tout état de cause, l'arrêt commenté démontre, une nouvelle fois, qu'une précaution élémentaire pour les employeurs consiste à prévoir une faculté de renonciation unilatérale à l'obligation de non-concurrence dès la conclusion du contrat de travail.


(1) Cass. soc., 10 juillet 2002, n° 00-45.135, M. Fabrice Salembier c/ Société La Mondiale, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A1225AZE) et les obs. de S. Koleck-Desautel, Revirement de jurisprudence : la contrepartie financière est désormais une condition de validité de la clause de non-concurrence, Lexbase Hebdo n° 33 du 24 juillet 2002 - édition sociale (N° Lexbase : N3576AAP).
(2) V., en ce sens, J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, Droit du travail, Précis Dalloz, 23ème éd., 2006, § 245.
(3) Cass. soc., 10 octobre 2001, n° 99-42.404, Société Perron Tortay c/ M. Yannick Mollet (N° Lexbase : A5931AGR).
(4) Cass. soc., 30 avril 2003, n° 01-41.874, M. Jean-Claude Léon c/ Société Jagep Jeune ([LXB=7581BSL]).
(5) Cass. soc., 7 mars 2007, n° 05-45.511, Société Publications Pierre Johanet, FP-P+B+R (N° Lexbase : A6024DUN), RDT, 2007, p. 308, avec nos obs.. Lire, également, les obs. de Ch. Radé, Indemnité compensatrice de non-concurrence : la fin des versements anticipés ?, Lexbase Hebdo n° 252 du 14 mars 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N3315BAZ).
(6) Cass. soc., 6 juillet 2000, n° 98-15.307, Société Cheynet et fils, société anonyme c/ Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale (N° Lexbase : A8266AHM).


Décision

Cass. soc., 29 octobre 2008, n° 07-43.093, Société Cima c/ Mme Violaine Briand, veuve Riaux, FS-P (N° Lexbase : A0715EB4)

Cassation de CA Caen, 3ème ch., sect. soc. 2, 8 juin 2007

Texte visé : C. civ., art. 1134 (N° Lexbase : L1234ABC)

Mots-clefs : clause de non-concurrence ; contrepartie financière ; paiement ; décès du salarié.

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