La lettre juridique n°303 du 8 mai 2008

La lettre juridique - Édition n°303

Conventions et accords collectifs

[Jurisprudence] Les conséquences de l'annulation d'un accord de substitution... suite !

Réf. : Cass. soc., 17 avril 2008, n° 07-41.401, M. Jean-Michel Amestoy, FS-P+B (N° Lexbase : A9775D78) et n° 07-41.465, M. Pierre Verk, FS-P+B (N° Lexbase : A9776D79)

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N8814BE8

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par Sébastien Tournaux, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010



La Cour de cassation décide, depuis 2000, que l'accord collectif de substitution conclu sans que l'ensemble des organisations syndicales représentatives aient été conviées à la négociation est nul. Cette règle avait déjà laissé entrevoir de lourdes conséquences dans deux arrêts rendus le 9 novembre 2005 et commentés dans ces colonnes (1). C'est cette tendance que la Cour de cassation confirme dans deux arrêts rendus par la Chambre sociale le 17 avril 2008. Cela nous offre l'occasion d'appréhender de manière un peu plus précise les conséquences directes (I) et indirectes (II) de la nullité d'un accord de substitution.
Résumé

L'obligation, pour les salariés, de restituer des éléments de rémunération perçus en application d'un accord est la conséquence nécessaire de l'annulation de cet accord.

Le bénéfice d'un sursalaire familial conventionnel est attribué aux salariés ayant eu des enfants durant le délai d'un an de maintien d'une convention collective dénoncée prévu par l'article L. 132-8 du Code du travail (N° Lexbase : L5688ACN, art. L. 2261-10, recod. N° Lexbase : L0573HXI). En revanche, les salariés dont les enfants sont nés postérieurement au délai d'un an ne peuvent bénéficier du sursalaire.

Commentaire

I - Les conséquences directes de la nullité d'un accord de substitution

  • Nullité de l'accord collectif de substitution

Comme tout accord collectif, les accords collectifs de substitution répondent à un certain nombre de conditions de validité expressément prévues par le Code du travail. Ce sont, tout d'abord, les règles classiques relatives à la validité d'un contrat, telles que les règles de capacité (2). D'autres règles plus spécifiques imposent, par exemple, que la convention collective soit rédigée par écrit et impérativement en langue française (3).

Enfin, et c'est le point de droit qui posait difficulté aux origines de cette affaire, la Cour de cassation a exigé que l'accord de substitution ne puisse être conclu sans que l'ensemble des organisations syndicales représentatives de salariés ait été invité à la nouvelle négociation qui s'était engagée après la dénonciation du précédent accord (4).

Plus précisément, des négociations avaient été engagées en 1990 par la société Suez Lyonnaise des eaux en vue de réviser le statut du personnel issu d'un accord de 1947. Le 19 janvier 1993, lors d'une réunion avec les organisations syndicales, constatant le blocage des négociations, l'entreprise avait dénoncé l'accord de 1947 et notifié la dénonciation aux syndicats à 22 heures. Les délégués CGT et CFDT avaient, alors, quitté la réunion. Les discussions s'étaient, cependant, poursuivies avec les représentants des organisations syndicales CGT-FO et CFE-CGC et avaient abouti à la signature d'un accord le 20 janvier 1993, à une heure du matin.

  • Effets classiques de la nullité d'un accord collectif appliqués à l'accord de substitution

Si le législateur et le juge ont donc prévu quelques hypothèses de nullité d'accord collectif en raison d'un manquement à l'une de ses conditions de validité, ils sont resté bien moins diserts quant aux effets concrets de cette nullité (5). C'est donc vers le droit commun et les règles classiques de la nullité qu'il convient de se tourner.

Ainsi, la nullité ayant pour effet l'anéantissement rétroactif du contrat, elle doit emporter la restitution réciproque de tout paiement obtenu en exécution du contrat annulé. "Les choses doivent être remises dans le même état que si l'acte n'avait pas existé" (6). Cette règle pose, pourtant, parfois, difficulté lorsqu'il s'agit d'un contrat à exécution successive, comme c'est le cas de l'accord collectif. Dans ces hypothèses, il est fait exception à la rétroactivité qui s'attache, par principe, à la nullité, si bien que l'anéantissement du contrat ne vaut, alors, que pour l'avenir.

  • En l'espèce

C'est principalement la première des espèces commentées (pourvoi n° 07-41.401) qui traduit les conséquences directes de la nullité d'un accord collectif de substitution. Dans cette affaire, l'accord collectif de substitution annulé comportait des éléments de rémunération pour les salariés. Les salariés, par leur pourvoi, contestaient la décision de la cour d'appel leur imposant la restitution des sommes versées en exécution de l'accord annulé. Faisant abstraction d'un moyen tiré du principe "à travail égal, salaire égal", la Cour de cassation rejette le pourvoi, estimant que la nullité de l'accord doit emporter la restitution des sommes versées en exécution de l'accord (7).

  • La délicate conciliation entre rétroactivité de la nullité et accord collectif

Il s'agit donc là d'une conséquence directe de la nullité de l'accord collectif de substitution. Par une application des plus classiques des règles gouvernant la nullité des actes juridiques, la Cour de cassation exige que les salariés restituent les sommes versées. Pour les Hauts magistrats, le caractère successif de la convention collective n'y change rien. Il faut reconnaître que le caractère rétroactif de la nullité n'est pas strictement écarté en raison du caractère successif du contrat, mais, plutôt, à cause de l'impossibilité de restitution d'un certain type d'obligations, telle que celle consistant en la fourniture d'une prestation de travail ou en l'occupation d'un local (8). En cas de nullité du contrat de travail, par exemple, le salarié n'est pas contraint de restituer les salaires versés parce que l'employeur n'est pas en mesure de restituer la force de travail produite durant l'exécution du contrat annulé.

La Cour de cassation ne semble, pourtant, pas s'attacher à un tel raisonnement. En effet, l'apparition, depuis une vingtaine d'années, d'accords dits "donnant-donnant" devrait inciter la jurisprudence à étudier si la restitution de sommes versées aux salariés n'engendre pas une forme d'enrichissement sans cause pour l'employeur, qui aurait bénéficié, du fait de l'accord annulé, d'autres avantages tels que, par exemple, une augmentation de la durée du travail ou l'institution conventionnelle de sujétions pour les salariés (9). La nature très particulière de la convention collective, à la fois contractuelle et règlementaire, n'explique pas mieux cette solution, puisque la nullité des actes règlementaires est, elle aussi, rétroactive.

A côté de ces conséquences très directes de la nullité de l'accord collectif de substitution, la Cour de cassation se prononce, également, sur des conséquences plus indirectes de la nullité de l'accord et découlant spécialement des règles relatives à la disparition des conventions collectives en droit du travail.

II - Les conséquences indirectes de la nullité d'un accord de substitution

  • Revitalisation de l'accord collectif dénoncé

"L'annulation d'un accord conclu en vue de remplacer un accord dénoncé équivaut à une absence d'accord de substitution". Tel était la substance de deux décisions rendues par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 9 novembre 2005, toujours au sujet du même accord conclu au sein de la société Suez Lyonnaise des eaux (10). Le précédent accord de 1947 ayant été dénoncé, employeur et salariés se trouvaient donc dans la situation de droit commun prévue par l'article L. 132-8 du Code du travail (art. L. 2261-10, recod.). Lors de la dénonciation d'un accord collectif, l'accord dénoncé continue de produire ses effets pour une durée maximale d'un an, à moins que n'intervienne entre-temps un accord de substitution. A l'expiration de ce délai, les avantages comportés par l'accord dénoncé sont contractualisés, les salariés bénéficiant, alors, des avantages individuels acquis.

Les lourdes conséquences du maintien des avantages individuels acquis, qu'une telle solution pouvait emporter, avaient déjà été soulignées par les commentateurs des arrêts rendus en 2005 (11). La Chambre sociale de la Cour de cassation a, cette fois, l'occasion de se prononcer sur d'autres avantages conférés par l'accord collectif de 1947 et distingue clairement selon le moment à partir duquel l'avantage était exigible par les salariés. Ce faisant, elle ne fait, somme toute, qu'une application des plus traditionnelles de la notion d'avantage individuellement acquis.

  • En l'espèce

En l'espèce, l'accord initial de 1947 prévoyait des sursalaires familiaux pour les salariés dont le montant variait en fonction du nombre de leurs enfants. L'accord de substitution étant annulé, l'accord initial devait être considéré, a posteriori, comme ayant survécu durant un an puis avoir donné naissance à des avantages individuels acquis.

Dans les deux affaires, les juges du fond avaient fait droit aux demandes des salariés de bénéficier de ces sursalaires pour des enfants nés ultérieurement à la dénonciation de l'accord. Les espèces se distinguaient, néanmoins, en ce que, pour la première (pourvoi n° 07-41.401), les sursalaires avaient été versés à des salariés ayant eu des enfants durant la période de survie d'un an de l'accord dénoncé alors que, dans la seconde (n° 07-41.465), les sursalaires avaient été versés après l'expiration de ce délai, au titre d'avantages individuels acquis.

La Cour de cassation rend des décisions en apparence contradictoire, rejetant le pourvoi pour la première affaire, prononçant la cassation de la décision des juges d'appel dans la seconde.

  • La restriction logique du champ des avantages individuels acquis

La première solution est indiscutable. La survie de l'accord n'implique aucune différence avec la situation dans laquelle l'accord n'aurait pas été dénoncé. Les enfants de salariés nés pendant cette période de survie donnent donc nécessairement droit au versement de ces sursalaires.

La seconde mérite, en revanche, quelques explications en ce qu'elle fait une application apparemment très stricte de la notion d'avantage individuel acquis. L'avantage individuel acquis est, d'abord, celui dont le salarié peut bénéficier individuellement. Cela s'oppose aux avantages collectifs que peuvent constituer, par exemple, l'institution de représentants conventionnels du personnel ou un système de répartition des pourboires (12). S'agissant de primes de sursalaire versées aux salariés parents, le caractère individuel ne fait que peu de doute. L'avantage doit, ensuite, être acquis, c'est-à-dire que le salarié doit en avoir effectivement bénéficié durant l'exécution de la convention collective (13).

S'agissant spécifiquement de sursalaires, deux interprétations étaient envisageables. La première consistait à considérer que seuls les salariés ayant déjà bénéficié du sursalaire pour un enfant né antérieurement à l'expiration de la période de survie voyaient l'avantage contractualisé, si bien qu'une naissance ultérieure leur donnait droit à l'augmentation corrélative du sursalaire. La seconde, plus restrictive, menait à considérer que les salariés ayant bénéficié d'un sursalaire avant l'échéance du délai de survie continuaient à bénéficier de celui-ci au titre d'un avantage individuel acquis, mais ne pouvaient exiger une augmentation de cette prime en cas de naissance ultérieure à l'échéance, n'ayant pas directement bénéficié de cette amélioration alors que la convention était encore active.

Alors que la cour d'appel avait retenu la première de ces interprétations, la Cour de cassation retient la seconde, en estimant que "l'accord dénoncé [...] ne continuait à produire ses effets que jusqu'à l'expiration du délai prévu à l'article L. 132-8 du Code du travail" et que "la cour d'appel, qui a constaté que les enfants des salariés demandeurs étaient nés postérieurement au délai précité, a violé le texte susvisé".

La notion d'avantage individuel acquis n'étant pas définie par le Code du travail, il revient au juge judiciaire de l'élaborer et d'en dessiner le régime juridique. Il n'y a, dès lors, rien de choquant, d'un point de vue juridique, à voir la Cour de cassation retenir une interprétation aussi stricte du caractère acquis de l'avantage.

Il faut, néanmoins, probablement, envisager que la justification véritable de cette restriction tienne plus aux circonstances de la naissance de l'avantage qu'à la notion même d'avantage individuel acquis. En effet, les conséquences de la nullité de l'accord de substitution peuvent être particulièrement lourdes, d'autant que la Cour de cassation rappelle que l'action des salariés en la matière, de nature indemnitaire, est soumise à un délai de prescription trentenaire (14). L'interprétation stricte de la notion d'avantage individuel acquis permet donc d'atténuer la rudesse que peut recouvrir la décision d'annulation.


(1) Cass. soc., 9 novembre 2005, n° 03-43.290, M. Pierre Verk c/ Société Suez Lyonnaise des eaux, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5088DLZ) ; Cass. soc., 9 novembre 2005, n° 03-45.774, M. Jean-Michel Amestoy c/ Société Suez Lyonnaise des eaux, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5104DLM) et les obs. de G. Auzero, L'annulation d'un accord de substitution vaut absence d'accord, Lexbase Hebdo n° 191 du 24 novembre 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N1150AKS), D., 2006, pan, p. 416, obs. E. Peskine ; RJS, 2006, 50, n° 69 ; JCP éd. S, 2005, p. 1010, note Ch. Néau-Leduc.
(2) Seuls les syndicats de salariés et les organisations patronales ou les employeurs peuvent conclure des accords collectifs, la règle ayant tout de même été nettement aménagée par la loi du 4 mai 2004 (loi n° 2004-391, relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social N° Lexbase : L1877DY8), qui permet, désormais, à certaines conditions, aux représentants élus de l'entreprise ou à un salarié mandaté par une organisation patronale de conclure un tel accord. V. les obs. de S. Martin-Cuenot, Présentation de la réforme du dialogue social, Lexbase Hebdo n° 120 du 13 mai 2004 - édition sociale (N° Lexbase : N1585ABC).
(3) Pour l'écrit, v. C. trav., art. L. 132-2 (N° Lexbase : L5680ACD, art. L. 2231-3, recod. N° Lexbase : L0476HXW). Pour la rédaction en langue française, v. C. trav., art. L. 132-2-1 (N° Lexbase : L5681ACE, art. L. 2231-4, recod. N° Lexbase : L0477HXX).
(4) Cass. soc., 9 février 2000, n° 97-22.619, Union syndicale des personnels de la société Lyonnaise des eaux Dumez c/ Société Lyonnaise des eaux et autres, publié (N° Lexbase : A4721AGX), RJS, 2000, p. 203, n° 306.
(5) A la décharge du juge, il faut reconnaître le caractère sporadique des décisions prononçant la nullité d'un accord ou d'une convention collective.
(6) F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Droit civil Les obligations, Dalloz, 9ème éd., 2005, p. 417. Adde E. Poisson-Drocourt, Les restitutions entre les parties consécutives à l'annulation d'un contrat, D., 1983, chron., p. 85.
(7) Relevons que les salariés avaient, également, soulevé un moyen fondé sur l'existence d'un engagement unilatéral de l'employeur puisque, rappelons-le, les accords atypiques ou imparfaits peuvent, en droit du travail, constituer des engagements unilatéraux liant l'employeur. La Chambre sociale laisse à demi-mot entendre qu'un tel moyen aurait pu avoir une certaine portée sur sa solution, mais l'écarte parce que ce moyen avait été soulevé, pour la première fois, devant la Cour de cassation sans avoir été soutenu devant les juges du fond.
(8) V. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Droit civil Les obligations, préc., p. 419.
(9) X. Carsin, La convention collective source de sujétions pour le salarié, JCP éd. S, 2007, 1015.
(10) Cass. soc., 9 novembre 2005, n° 03-43.290 et n° 03-45.774, préc..
(11) V., en particulier, G. Auzero, L'annulation d'un accord de substitution vaut absence d'accord, préc..
(12) Cass. soc., 12 février 1991, n° 89-45.314, M. Aal et autres c/ Société fermière du casino municipal de Cannes (N° Lexbase : A4265AA9).
(13) Cass. soc., 28 avril 2006, n° 04-41.863, Société Berlitz France c/ Mme Darcy Liddel, FS-P+B (N° Lexbase : A2107DPQ).
(14) Pourvoi n° 07-41.465, second moyen du pourvoi incident de la société Suez. Ce débat ne va pas sans rappeler celui qui s'était élevé à l'occasion des arrêts "La Samaritaine" et qui, par l'effet de la nullité du plan social, pouvaient entraîner de lourdes conséquences pour l'employeur, parfois plusieurs années après les licenciements. V. Cass. soc., 13 février 1997, n° 95-16.648, Société des Grands Magasins de la Samaritaine c/ Comité d'entreprise de la société des Grands Magasins de la Samaritaine (N° Lexbase : A1924ACA), D., 1997, p. 172, note A. Lyon-Caen ; Dr. soc., 1997, p. 255, note G. Couturier ; JCP éd. S, 1997, p. 230, note F. Gaudu ; G. Couturier et J. Pélissier, SSL, 1997, n° 829, p. 3.

Décisions

1° Cass. soc., 17 avril 2008, n° 07-41.401, M. Jean-Michel Amestoy, FS-P+B (N° Lexbase : A9775D78)

Rejet, CA Lyon, audience solennelle, 22 janvier 2007

Textes mentionnés : C. trav., art. L. 132-8 (N° Lexbase : L1022G8D, art. L. 2261-10, recod. N° Lexbase : L0573HXI)

Mots-clés : accord collectif de substitution ; nullité ; survie de l'accord dénoncé ; maintien des avantages individuels acquis.

Lien base :

2° Cass. soc., 17 avril 2008, n° 07-41.465, M. Pierre Verk, FS-P+B (N° Lexbase : A9776D79)

Cassation partielle, CA Lyon, audience solennelle, 22 janvier 2007

Textes visés : C. trav., art. L. 132-8 (N° Lexbase : L1022G8D, art. L. 2261-10, recod. N° Lexbase : L0573HXI)

Mots-clés : accord collectif de substitution ; nullité ; survie de l'accord dénoncé ; maintien des avantages individuels acquis.

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Éditorial

La fin de la primauté du droit communautaire...

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N8860BEU

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction

Le 27 Mars 2014


Il y a bien longtemps, déjà, on apprenait sur les bancs de la faculté que, depuis les arrêts "Jacques Vabre" en 1975 et "Nicolo" en 1989, l'ordre juridictionnel français reconnaissait la primauté du droit international sur le droit interne et s'autorisait à contrôler la régularité de second au regard du premier. Concrètement, l'intégration européenne et l'inflation normative communautaire devaient inexorablement conduire à une confrontation entre les normes nationales et communautaires, au sujet de leur application directe comme de leur transposition éventuelle. Se greffant à l'arsenal communautaire, le spectre des droits de l'Homme et l'invocabilité de la Convention européenne n'étaient, bien entendu, pas en reste dans la multiplication des contentieux et la complexification du rôle du juge et de la justice elle-même.

Changement d'époque, changement d'échelle ! Si l'on croyait s'en tenir à la seule appréciation du droit interne au regard du droit européen, c'était oublier un peu vite que la question de la conventionalité d'une convention internationale allait assurément se poser également. Comme le souligne le Conseil d'Etat, lui-même : "L'admission par le juge administratif du contrôle de conventionalité des lois par la voie d'exception s'est essentiellement traduite par l'introduction dans son prétoire de deux principaux instruments : le droit communautaire et la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. L'inflation des moyens tirés de la méconnaissance de ces deux instruments devait nécessairement conduire le juge à devoir les confronter. Et ce qui devait arriver, arriva".

Et cela arriva un beau matin du 10 avril 2008, au cours duquel le Haut conseil a fait droit au recours du CNB en annulant partiellement le décret du 26 juin 2006, pris en application de la loi du 11 février 2004 transposant la deuxième Directive "blanchiment" du 4 décembre 2001. Il a fait ainsi prévaloir le respect du secret professionnel, que l'avocat doit à son client, sur les obligations imposées aux avocats par le dispositif européen de lutte contre le blanchiment de capitaux. C'était la question de la conciliation entre les obligations imposées par la Directive et le secret professionnel des avocats, qui couvre à la fois leur activité de conseil et leur activité de défense et de représentation en justice de leurs clients, que posait ce recours formé devant le Conseil d'Etat. Or, ce secret n'est pas seulement protégé par la loi nationale, mais aussi par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. Quid de la régularité de la Directive au regard de la Convention européenne ? De celle de la loi et de son décret de transposition ? Le juge français a-t-il la possibilité de soulever une quelconque incompatibilité entre deux normes internationales qui, sauf droit coutumier relatif à la combinaison entre elles, s'imposent pareillement au droit interne. C'est à l'ensemble de ces questions que répondent les Sages du Palais royal ; réponse que nous éclaire, cette semaine, Olivier Dubos, Professeur de droit public à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, dans nos colonnes.

Enfin la question de la compatibilité de ces deux normes est d'autant plus vive que, si le juge communautaire, comme le juge interne, a recours à la notion de "principes généraux du droit communautaire" pour subordonner la norme communautaire à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, l'adhésion de l'Union européenne à la Convention européenne prévue au nouvel article 6 du Traité, dans sa rédaction issue du Traité de Lisbonne, permettra sûrement de se passer de ce prisme dans l'avenir. Il en résultera, assurément, un contrôle renforcé de la norme communautaire avant même sa promulgation (une sorte de contrôle de constitutionalité/conventionalité des Règlements et Directives), et, a posteriori, sur l'initiative du justiciable européen lui-même. Restera à se soucier de la conventionalité des conventions internationales autres que le Traité communautaire et de ses dérivés dont l'intégration à notre système normatif nous est facilitée par les travaux de la CJCE ; ce qui n'est pas le cas de toutes les autres conventions. Enfin, "Pour qu'on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir" écrivait Montesquieu dans De l'esprit des lois : aussi, quid de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme elle-même ? Sa vocation universelle empêche-t-elle de constater l'incompatibilité de ses dispositions au regard d'autres normes pourtant, juridiquement, de même niveau, alors que la réciproque est désormais admise ?

"Le droit international est, pour le Etats, non seulement, un ensemble normatif, mais aussi un langage commun" (Boutros Boutros-Ghali, extrait de l'introduction du Livre de l'année - 1994). C'est alors ce langage commun qui peut seul éviter l'inflation des contentieux tendant à soulever la contrariété des normes internationales.

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Conventions et accords collectifs

[Jurisprudence] Les conséquences de l'annulation d'un accord de substitution... suite !

Réf. : Cass. soc., 17 avril 2008, n° 07-41.401, M. Jean-Michel Amestoy, FS-P+B (N° Lexbase : A9775D78) et n° 07-41.465, M. Pierre Verk, FS-P+B (N° Lexbase : A9776D79)

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Le 07 Octobre 2010



La Cour de cassation décide, depuis 2000, que l'accord collectif de substitution conclu sans que l'ensemble des organisations syndicales représentatives aient été conviées à la négociation est nul. Cette règle avait déjà laissé entrevoir de lourdes conséquences dans deux arrêts rendus le 9 novembre 2005 et commentés dans ces colonnes (1). C'est cette tendance que la Cour de cassation confirme dans deux arrêts rendus par la Chambre sociale le 17 avril 2008. Cela nous offre l'occasion d'appréhender de manière un peu plus précise les conséquences directes (I) et indirectes (II) de la nullité d'un accord de substitution.
Résumé

L'obligation, pour les salariés, de restituer des éléments de rémunération perçus en application d'un accord est la conséquence nécessaire de l'annulation de cet accord.

Le bénéfice d'un sursalaire familial conventionnel est attribué aux salariés ayant eu des enfants durant le délai d'un an de maintien d'une convention collective dénoncée prévu par l'article L. 132-8 du Code du travail (N° Lexbase : L5688ACN, art. L. 2261-10, recod. N° Lexbase : L0573HXI). En revanche, les salariés dont les enfants sont nés postérieurement au délai d'un an ne peuvent bénéficier du sursalaire.

Commentaire

I - Les conséquences directes de la nullité d'un accord de substitution

  • Nullité de l'accord collectif de substitution

Comme tout accord collectif, les accords collectifs de substitution répondent à un certain nombre de conditions de validité expressément prévues par le Code du travail. Ce sont, tout d'abord, les règles classiques relatives à la validité d'un contrat, telles que les règles de capacité (2). D'autres règles plus spécifiques imposent, par exemple, que la convention collective soit rédigée par écrit et impérativement en langue française (3).

Enfin, et c'est le point de droit qui posait difficulté aux origines de cette affaire, la Cour de cassation a exigé que l'accord de substitution ne puisse être conclu sans que l'ensemble des organisations syndicales représentatives de salariés ait été invité à la nouvelle négociation qui s'était engagée après la dénonciation du précédent accord (4).

Plus précisément, des négociations avaient été engagées en 1990 par la société Suez Lyonnaise des eaux en vue de réviser le statut du personnel issu d'un accord de 1947. Le 19 janvier 1993, lors d'une réunion avec les organisations syndicales, constatant le blocage des négociations, l'entreprise avait dénoncé l'accord de 1947 et notifié la dénonciation aux syndicats à 22 heures. Les délégués CGT et CFDT avaient, alors, quitté la réunion. Les discussions s'étaient, cependant, poursuivies avec les représentants des organisations syndicales CGT-FO et CFE-CGC et avaient abouti à la signature d'un accord le 20 janvier 1993, à une heure du matin.

  • Effets classiques de la nullité d'un accord collectif appliqués à l'accord de substitution

Si le législateur et le juge ont donc prévu quelques hypothèses de nullité d'accord collectif en raison d'un manquement à l'une de ses conditions de validité, ils sont resté bien moins diserts quant aux effets concrets de cette nullité (5). C'est donc vers le droit commun et les règles classiques de la nullité qu'il convient de se tourner.

Ainsi, la nullité ayant pour effet l'anéantissement rétroactif du contrat, elle doit emporter la restitution réciproque de tout paiement obtenu en exécution du contrat annulé. "Les choses doivent être remises dans le même état que si l'acte n'avait pas existé" (6). Cette règle pose, pourtant, parfois, difficulté lorsqu'il s'agit d'un contrat à exécution successive, comme c'est le cas de l'accord collectif. Dans ces hypothèses, il est fait exception à la rétroactivité qui s'attache, par principe, à la nullité, si bien que l'anéantissement du contrat ne vaut, alors, que pour l'avenir.

  • En l'espèce

C'est principalement la première des espèces commentées (pourvoi n° 07-41.401) qui traduit les conséquences directes de la nullité d'un accord collectif de substitution. Dans cette affaire, l'accord collectif de substitution annulé comportait des éléments de rémunération pour les salariés. Les salariés, par leur pourvoi, contestaient la décision de la cour d'appel leur imposant la restitution des sommes versées en exécution de l'accord annulé. Faisant abstraction d'un moyen tiré du principe "à travail égal, salaire égal", la Cour de cassation rejette le pourvoi, estimant que la nullité de l'accord doit emporter la restitution des sommes versées en exécution de l'accord (7).

  • La délicate conciliation entre rétroactivité de la nullité et accord collectif

Il s'agit donc là d'une conséquence directe de la nullité de l'accord collectif de substitution. Par une application des plus classiques des règles gouvernant la nullité des actes juridiques, la Cour de cassation exige que les salariés restituent les sommes versées. Pour les Hauts magistrats, le caractère successif de la convention collective n'y change rien. Il faut reconnaître que le caractère rétroactif de la nullité n'est pas strictement écarté en raison du caractère successif du contrat, mais, plutôt, à cause de l'impossibilité de restitution d'un certain type d'obligations, telle que celle consistant en la fourniture d'une prestation de travail ou en l'occupation d'un local (8). En cas de nullité du contrat de travail, par exemple, le salarié n'est pas contraint de restituer les salaires versés parce que l'employeur n'est pas en mesure de restituer la force de travail produite durant l'exécution du contrat annulé.

La Cour de cassation ne semble, pourtant, pas s'attacher à un tel raisonnement. En effet, l'apparition, depuis une vingtaine d'années, d'accords dits "donnant-donnant" devrait inciter la jurisprudence à étudier si la restitution de sommes versées aux salariés n'engendre pas une forme d'enrichissement sans cause pour l'employeur, qui aurait bénéficié, du fait de l'accord annulé, d'autres avantages tels que, par exemple, une augmentation de la durée du travail ou l'institution conventionnelle de sujétions pour les salariés (9). La nature très particulière de la convention collective, à la fois contractuelle et règlementaire, n'explique pas mieux cette solution, puisque la nullité des actes règlementaires est, elle aussi, rétroactive.

A côté de ces conséquences très directes de la nullité de l'accord collectif de substitution, la Cour de cassation se prononce, également, sur des conséquences plus indirectes de la nullité de l'accord et découlant spécialement des règles relatives à la disparition des conventions collectives en droit du travail.

II - Les conséquences indirectes de la nullité d'un accord de substitution

  • Revitalisation de l'accord collectif dénoncé

"L'annulation d'un accord conclu en vue de remplacer un accord dénoncé équivaut à une absence d'accord de substitution". Tel était la substance de deux décisions rendues par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 9 novembre 2005, toujours au sujet du même accord conclu au sein de la société Suez Lyonnaise des eaux (10). Le précédent accord de 1947 ayant été dénoncé, employeur et salariés se trouvaient donc dans la situation de droit commun prévue par l'article L. 132-8 du Code du travail (art. L. 2261-10, recod.). Lors de la dénonciation d'un accord collectif, l'accord dénoncé continue de produire ses effets pour une durée maximale d'un an, à moins que n'intervienne entre-temps un accord de substitution. A l'expiration de ce délai, les avantages comportés par l'accord dénoncé sont contractualisés, les salariés bénéficiant, alors, des avantages individuels acquis.

Les lourdes conséquences du maintien des avantages individuels acquis, qu'une telle solution pouvait emporter, avaient déjà été soulignées par les commentateurs des arrêts rendus en 2005 (11). La Chambre sociale de la Cour de cassation a, cette fois, l'occasion de se prononcer sur d'autres avantages conférés par l'accord collectif de 1947 et distingue clairement selon le moment à partir duquel l'avantage était exigible par les salariés. Ce faisant, elle ne fait, somme toute, qu'une application des plus traditionnelles de la notion d'avantage individuellement acquis.

  • En l'espèce

En l'espèce, l'accord initial de 1947 prévoyait des sursalaires familiaux pour les salariés dont le montant variait en fonction du nombre de leurs enfants. L'accord de substitution étant annulé, l'accord initial devait être considéré, a posteriori, comme ayant survécu durant un an puis avoir donné naissance à des avantages individuels acquis.

Dans les deux affaires, les juges du fond avaient fait droit aux demandes des salariés de bénéficier de ces sursalaires pour des enfants nés ultérieurement à la dénonciation de l'accord. Les espèces se distinguaient, néanmoins, en ce que, pour la première (pourvoi n° 07-41.401), les sursalaires avaient été versés à des salariés ayant eu des enfants durant la période de survie d'un an de l'accord dénoncé alors que, dans la seconde (n° 07-41.465), les sursalaires avaient été versés après l'expiration de ce délai, au titre d'avantages individuels acquis.

La Cour de cassation rend des décisions en apparence contradictoire, rejetant le pourvoi pour la première affaire, prononçant la cassation de la décision des juges d'appel dans la seconde.

  • La restriction logique du champ des avantages individuels acquis

La première solution est indiscutable. La survie de l'accord n'implique aucune différence avec la situation dans laquelle l'accord n'aurait pas été dénoncé. Les enfants de salariés nés pendant cette période de survie donnent donc nécessairement droit au versement de ces sursalaires.

La seconde mérite, en revanche, quelques explications en ce qu'elle fait une application apparemment très stricte de la notion d'avantage individuel acquis. L'avantage individuel acquis est, d'abord, celui dont le salarié peut bénéficier individuellement. Cela s'oppose aux avantages collectifs que peuvent constituer, par exemple, l'institution de représentants conventionnels du personnel ou un système de répartition des pourboires (12). S'agissant de primes de sursalaire versées aux salariés parents, le caractère individuel ne fait que peu de doute. L'avantage doit, ensuite, être acquis, c'est-à-dire que le salarié doit en avoir effectivement bénéficié durant l'exécution de la convention collective (13).

S'agissant spécifiquement de sursalaires, deux interprétations étaient envisageables. La première consistait à considérer que seuls les salariés ayant déjà bénéficié du sursalaire pour un enfant né antérieurement à l'expiration de la période de survie voyaient l'avantage contractualisé, si bien qu'une naissance ultérieure leur donnait droit à l'augmentation corrélative du sursalaire. La seconde, plus restrictive, menait à considérer que les salariés ayant bénéficié d'un sursalaire avant l'échéance du délai de survie continuaient à bénéficier de celui-ci au titre d'un avantage individuel acquis, mais ne pouvaient exiger une augmentation de cette prime en cas de naissance ultérieure à l'échéance, n'ayant pas directement bénéficié de cette amélioration alors que la convention était encore active.

Alors que la cour d'appel avait retenu la première de ces interprétations, la Cour de cassation retient la seconde, en estimant que "l'accord dénoncé [...] ne continuait à produire ses effets que jusqu'à l'expiration du délai prévu à l'article L. 132-8 du Code du travail" et que "la cour d'appel, qui a constaté que les enfants des salariés demandeurs étaient nés postérieurement au délai précité, a violé le texte susvisé".

La notion d'avantage individuel acquis n'étant pas définie par le Code du travail, il revient au juge judiciaire de l'élaborer et d'en dessiner le régime juridique. Il n'y a, dès lors, rien de choquant, d'un point de vue juridique, à voir la Cour de cassation retenir une interprétation aussi stricte du caractère acquis de l'avantage.

Il faut, néanmoins, probablement, envisager que la justification véritable de cette restriction tienne plus aux circonstances de la naissance de l'avantage qu'à la notion même d'avantage individuel acquis. En effet, les conséquences de la nullité de l'accord de substitution peuvent être particulièrement lourdes, d'autant que la Cour de cassation rappelle que l'action des salariés en la matière, de nature indemnitaire, est soumise à un délai de prescription trentenaire (14). L'interprétation stricte de la notion d'avantage individuel acquis permet donc d'atténuer la rudesse que peut recouvrir la décision d'annulation.


(1) Cass. soc., 9 novembre 2005, n° 03-43.290, M. Pierre Verk c/ Société Suez Lyonnaise des eaux, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5088DLZ) ; Cass. soc., 9 novembre 2005, n° 03-45.774, M. Jean-Michel Amestoy c/ Société Suez Lyonnaise des eaux, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5104DLM) et les obs. de G. Auzero, L'annulation d'un accord de substitution vaut absence d'accord, Lexbase Hebdo n° 191 du 24 novembre 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N1150AKS), D., 2006, pan, p. 416, obs. E. Peskine ; RJS, 2006, 50, n° 69 ; JCP éd. S, 2005, p. 1010, note Ch. Néau-Leduc.
(2) Seuls les syndicats de salariés et les organisations patronales ou les employeurs peuvent conclure des accords collectifs, la règle ayant tout de même été nettement aménagée par la loi du 4 mai 2004 (loi n° 2004-391, relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social N° Lexbase : L1877DY8), qui permet, désormais, à certaines conditions, aux représentants élus de l'entreprise ou à un salarié mandaté par une organisation patronale de conclure un tel accord. V. les obs. de S. Martin-Cuenot, Présentation de la réforme du dialogue social, Lexbase Hebdo n° 120 du 13 mai 2004 - édition sociale (N° Lexbase : N1585ABC).
(3) Pour l'écrit, v. C. trav., art. L. 132-2 (N° Lexbase : L5680ACD, art. L. 2231-3, recod. N° Lexbase : L0476HXW). Pour la rédaction en langue française, v. C. trav., art. L. 132-2-1 (N° Lexbase : L5681ACE, art. L. 2231-4, recod. N° Lexbase : L0477HXX).
(4) Cass. soc., 9 février 2000, n° 97-22.619, Union syndicale des personnels de la société Lyonnaise des eaux Dumez c/ Société Lyonnaise des eaux et autres, publié (N° Lexbase : A4721AGX), RJS, 2000, p. 203, n° 306.
(5) A la décharge du juge, il faut reconnaître le caractère sporadique des décisions prononçant la nullité d'un accord ou d'une convention collective.
(6) F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Droit civil Les obligations, Dalloz, 9ème éd., 2005, p. 417. Adde E. Poisson-Drocourt, Les restitutions entre les parties consécutives à l'annulation d'un contrat, D., 1983, chron., p. 85.
(7) Relevons que les salariés avaient, également, soulevé un moyen fondé sur l'existence d'un engagement unilatéral de l'employeur puisque, rappelons-le, les accords atypiques ou imparfaits peuvent, en droit du travail, constituer des engagements unilatéraux liant l'employeur. La Chambre sociale laisse à demi-mot entendre qu'un tel moyen aurait pu avoir une certaine portée sur sa solution, mais l'écarte parce que ce moyen avait été soulevé, pour la première fois, devant la Cour de cassation sans avoir été soutenu devant les juges du fond.
(8) V. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Droit civil Les obligations, préc., p. 419.
(9) X. Carsin, La convention collective source de sujétions pour le salarié, JCP éd. S, 2007, 1015.
(10) Cass. soc., 9 novembre 2005, n° 03-43.290 et n° 03-45.774, préc..
(11) V., en particulier, G. Auzero, L'annulation d'un accord de substitution vaut absence d'accord, préc..
(12) Cass. soc., 12 février 1991, n° 89-45.314, M. Aal et autres c/ Société fermière du casino municipal de Cannes (N° Lexbase : A4265AA9).
(13) Cass. soc., 28 avril 2006, n° 04-41.863, Société Berlitz France c/ Mme Darcy Liddel, FS-P+B (N° Lexbase : A2107DPQ).
(14) Pourvoi n° 07-41.465, second moyen du pourvoi incident de la société Suez. Ce débat ne va pas sans rappeler celui qui s'était élevé à l'occasion des arrêts "La Samaritaine" et qui, par l'effet de la nullité du plan social, pouvaient entraîner de lourdes conséquences pour l'employeur, parfois plusieurs années après les licenciements. V. Cass. soc., 13 février 1997, n° 95-16.648, Société des Grands Magasins de la Samaritaine c/ Comité d'entreprise de la société des Grands Magasins de la Samaritaine (N° Lexbase : A1924ACA), D., 1997, p. 172, note A. Lyon-Caen ; Dr. soc., 1997, p. 255, note G. Couturier ; JCP éd. S, 1997, p. 230, note F. Gaudu ; G. Couturier et J. Pélissier, SSL, 1997, n° 829, p. 3.

Décisions

1° Cass. soc., 17 avril 2008, n° 07-41.401, M. Jean-Michel Amestoy, FS-P+B (N° Lexbase : A9775D78)

Rejet, CA Lyon, audience solennelle, 22 janvier 2007

Textes mentionnés : C. trav., art. L. 132-8 (N° Lexbase : L1022G8D, art. L. 2261-10, recod. N° Lexbase : L0573HXI)

Mots-clés : accord collectif de substitution ; nullité ; survie de l'accord dénoncé ; maintien des avantages individuels acquis.

Lien base :

2° Cass. soc., 17 avril 2008, n° 07-41.465, M. Pierre Verk, FS-P+B (N° Lexbase : A9776D79)

Cassation partielle, CA Lyon, audience solennelle, 22 janvier 2007

Textes visés : C. trav., art. L. 132-8 (N° Lexbase : L1022G8D, art. L. 2261-10, recod. N° Lexbase : L0573HXI)

Mots-clés : accord collectif de substitution ; nullité ; survie de l'accord dénoncé ; maintien des avantages individuels acquis.

Lien base :

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Famille et personnes

[Jurisprudence] Délégation de l'autorité parentale : pas de priorité pour les membres de la famille

Réf. : Cass. civ. 1, 16 avril 2008, n° 07-11.273, Mme Dominique Fuseau, F-P+B (N° Lexbase : A9654D7P)

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N8813BE7

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par Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux

Le 07 Octobre 2010

Dans un arrêt en date du 16 avril 2008, la Cour de cassation affirme clairement qu'"aucune disposition légale n'impose au juge de choisir par priorité parmi les membres de la famille, le tiers à qui il délègue tout ou partie de l'autorité parentale". En l'occurrence, la délégation de l'autorité parentale à la compagne de la mère des enfants, décédée, ne pouvait être contestée en vertu d'une prétendue priorité donnée aux membres de la famille, invoquée par leur tante, dès lors que la délégation en cause remplissait les conditions prévues par l'article 377, alinéa 1er, du Code civil (N° Lexbase : L2924ABW). I - L'absence de priorité des membres de la famille

Délégation volontaire. La délégation de l'autorité parentale sur les deux enfants au profit de la compagne de leur mère était demandée conjointement par celle-ci et le père des enfants sur le fondement de l'article 377 du Code civil. On peut s'étonner de ce fondement. L'article 377-1, alinéa 2, du Code civil (N° Lexbase : L2925ABX), qui prévoit le partage de l'autorité parentale, aurait été, en effet, plus approprié. Cette disposition issue de la loi du 4 mars 2002, relative à l'autorité parentale (loi n° 2002-305 N° Lexbase : L4320A4R), a, en effet, permis l'utilisation du mécanisme de la délégation afin d'établir un partage de tout ou partie de l'exercice de l'autorité parentale pour les besoins de l'éducation de l'enfant. Le but de la réforme était de permettre à des tiers d'obtenir, grâce à une délégation, la consécration juridique de rapports de fait qu'ils entretiennent souvent déjà avec le mineur. Il en était ainsi, en l'espèce, les enfants ayant été confiés par leur père à la compagne de cette dernière avec laquelle ils vivaient depuis leur plus jeune âge.

Interprétation de l'article 377, alinéa 1er, du Code civil. Toutefois, leur tante estimait que la formulation de l'article 377, alinéa 1er, du Code civil, qui place les membres de la famille en tête de liste des délégataires possibles, donnait une priorité à ces derniers. Elle sollicitait donc que la délégation lui soit accordée à elle... La cour d'appel a fait une autre lecture de l'article 377, lecture approuvée par la Cour de cassation. Elle considère, à juste titre, que dans le cadre de la délégation volontaire, le choix du délégataire est laissé à l'appréciation des parents. Le père des enfants pouvait donc librement préférer la compagne de la mère à la soeur de celle-ci.

Enfant confié à un tiers. La délégation de l'autorité parentale se distingue ainsi de l'hypothèse dans laquelle le juge aux affaires familiales confie, à titre exceptionnel, l'enfant à un tiers, notamment lorsque l'un des parents est privé de l'exercice de l'autorité parentale, en vertu de l'article 373-3 du Code civil (N° Lexbase : L2906ABA). Cette disposition prévoit, en effet, expressément que le tiers à qui l'enfant est confié doit être choisi de préférence parmi la parenté. Cette différence s'explique par la qualité de celui qui prend l'initiative de confier l'enfant à un tiers : dans le cadre de la délégation de l'autorité parentale volontaire, il s'agit du ou des parents, tandis que dans le cadre de l'article 373-3 du Code civil, il s'agit du juge. La tante des enfants ne pouvait, toutefois, pas invoquer l'article 377, alinéa 1er, du Code civil puisque cette disposition est relative à la délégation volontaire de l'autorité parentale et que par hypothèse le père n'avait pas manifesté son intention de lui déléguer l'exercice de l'autorité parentale. La délégation forcée de l'alinéa 2 ne lui était pas davantage applicable puisqu'elle impliquait que les enfants lui aient été confiés.

Beaux-parents homosexuels. La Cour de cassation a déjà eu l'occasion de se prononcer, certes sur le fondement de l'article 377-1 du Code civil, sur la mise en oeuvre de la délégation de l'autorité parentale au profit de la compagne de la mère dans un arrêt très médiatisé du 24 février 2006 (1). En considérant que l'exercice de l'autorité parentale peut être délégué à une personne de même sexe, avec qui le parent vit en union stable et continue, la Cour de cassation a marqué clairement, et légitimement, son intention de ne pas faire de l'orientation sexuelle un critère abstrait de répartition des droits découlant de l'exercice de l'autorité parentale, et a approuvé plusieurs décisions de juges du fond allant dans le même sens (2).

II - Les conditions de la délégation de l'autorité parentale

Intérêt de l'enfant. Après avoir écarté la priorité des membres de la famille, la Cour de cassation rappelle que la cour d'appel devait vérifier que les circonstances exigeaient la délégation de l'autorité parentale et qu'elle était conforme à l'intérêt de l'enfant. Elle se fonde, en l'espèce, sur une appréciation globale des circonstances, considérant que la délégation était justifiée par les liens des enfants avec la compagne de leur mère qui avait été désignée par la défunte pour les prendre en charge après son décès. Il s'agit alors moins de remédier à une solution de détresse du titulaire de l'autorité parentale que de permettre la prise en charge des enfants par le tiers qui en assume effectivement la charge. Il est, d'ailleurs, révélateur que l'appréciation des circonstances de la délégation à laquelle procède la cour d'appel ne fasse pas état de la situation du père. Le juge se contente de démontrer que l'intérêt de l'enfant rendait nécessaire la délégation de l'autorité parentale. Ce faisant, il s'inscrit davantage dans la perspective d'un partage de l'autorité parentale que dans celui d'une délégation d'autorité parentale traditionnelle.

Audition de l'enfant. Contrairement à ce que l'auteur du pourvoi prétendait, la cour d'appel ne s'est pas fondée uniquement sur le souhait des enfants, même s'il paraît évident que leur volonté de continuer à vivre auprès de la compagne de leur mère, et de rester dans la même région, a dû constituer un élément déterminant dans la décision du juge. Les exigences de l'article 377 du Code civil imposaient, en effet, au juge de justifier sa décision par d'autres arguments que celui de la volonté des enfants. Dans une affaire similaire opposant un père de deux enfants à la compagne de leur mère décédée, la Cour européenne des droits de l'Homme a reproché, dans l'arrêt "C. c/ Finlande" du 9 mai 2006, à une juridiction finlandaise, d'avoir exclusivement pris en compte les souhaits exprimés par ces derniers, sans tenir d'audience ni prendre de mesure d'expertise.

Article 373-3 du Code civil. On peut se demander si la délégation de l'autorité parentale est la réponse la plus appropriée à la situation faisant l'objet de l'arrêt du 16 avril 2008. On se trouve en effet dans l'hypothèse dans laquelle le parent survivant, dont on ne connaît pas les liens qu'il entretenait avec les enfants avant le décès de leur mère, ne paraît pas désireux de les prendre en charge alors qu'une autre personne assume ce rôle avec l'assentiment du parent décédé. Or, dans un tel cas, c'est en principe l'article 373-3, alinéa 3, du Code civil qui permet au juge aux affaires familiales de confier l'enfant à un tiers et ce faisant d'écarter la dévolution automatique de l'autorité parentale au parent survivant (3). Il reste que la délégation de l'autorité parentale semble plus appropriée lorsque le parent survivant est lui-même favorable au fait que l'enfant soit confié à un tiers. L'article 373-3, alinéa 3, du Code civil pourrait ainsi être réservé aux hypothèses de refus ou de silence du parent survivant. Les effets de la mesure sont de toute façon les mêmes dans les deux cas, la personne à qui l'enfant est confié recevant le pouvoir d'accomplir tous les actes usuels le concernant (4).


(1) Cass. civ. 1, 24 février 2006, n° 04-17.090, Procureur général près la cour d'appel d'Angers c/ Mme Christine X, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A1782DNC), AJFamille, 2006, p. 159, obs. F. Chénedé ; Dr. fam., 2006, comm., n° 89, obs. P. Murat ; RTDciv., 2006, p. 297, obs. J. Hauser ; D., 2006, p. 897, note D. Vigneau, p. 876, Point de vue, H. Fulchiron.
(2) TGI Nice, 8 juillet 2003, 7 avril 2004 et 30 juin 2004, AJFamille, 2004, p. 453, obs. F. Chénédé ; contra TGI Paris, 2 avril 2004.
(3) P. Murat et A. Gouttenoire, L'enfant confié à un tiers, Dr. fam., 2003, chron. n° 1.
(4) C. civ., art. 377-1, alinéa 2, et 373-4 (N° Lexbase : L2907ABB).

newsid:318813

Rémunération

[Jurisprudence] Recours contre l'avis d'aptitude : obligation de reprendre le versement de salaires

Réf. : Cass. soc., 9 avril 2008, n° 07-41.141, M. François Ranson, F-P+B (N° Lexbase : A9773D74)

Lecture: 7 min

N8862BEX

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par Stéphanie Martin-Cuenot, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010


L'employeur d'un salarié déclaré apte sous condition peut-il se dispenser de rémunérer son salarié dans l'attente de la décision de l'inspecteur du travail à la suite du recours formé contre l'avis d'aptitude émis par le médecin du travail ? A cette question la Haute juridiction répond, dans un arrêt du 9 avril 2008, par la négative. Elle rappelle, en effet, qu'en présence d'un avis d'aptitude du salarié à son poste émis par le médecin du travail, l'employeur est tenu de reprendre le paiement des salaires du salarié qui se tient à sa disposition et ce, même si un recours a été exercé devant l'inspecteur du travail. Cette solution n'est pas nouvelle et a le mérite de rappeler un principe "effacé" par l'hypothèse de l'inaptitude du salarié.

Résumé

A l'issue des périodes de suspension de son contrat de travail, si le salarié est déclaré apte par le médecin du travail, il retrouve son emploi ou un emploi similaire assorti d'une rémunération équivalente. Le chef d'entreprise est tenu de prendre en considération les propositions du médecin du travail et, en cas de refus, de faire connaître les motifs à ce qu'il y soit donné suite. La décision du médecin du travail est susceptible de recours devant l'inspecteur du travail. Ce recours n'est pas suspensif, l'employeur est tenu de reprendre le paiement des rémunérations du salarié qui se tient à sa disposition.

Commentaire

I - Obligation de l'employeur en présence d'un avis d'aptitude

  • Examen du salarié de retour d'une période de suspension de son contrat de travail pour maladie professionnelle ou accident du travail

L'article L. 122-32-4 du Code du travail (N° Lexbase : L5520ACG, art. L. 1226-8, recod. N° Lexbase : L9848HWN) prévoit que, lorsqu'à l'issue des périodes de suspension du contrat de travail pour maladie professionnelle ou accident du travail, le salarié est déclaré apte par le médecin du travail, il retrouve son emploi ou un emploi similaire assorti d'une rémunération au moins équivalente. Le salarié apte reprend son emploi antérieur. C'est là un des principaux intérêts de la protection exorbitante dont bénéficient les salariés victimes d'accidents du travail ou de maladies professionnelles, que de pouvoir retrouver leur poste.

Le médecin peut trouver que le salarié ne peut reprendre à l'identique le poste qu'il occupait auparavant. Sans conclure à l'inaptitude du salarié, il peut, alors, entourer le retour du salarié de conditions particulières. L'article L. 241-10-1 du Code du travail (N° Lexbase : L6034ACH, art. L. 4624-1, recod. N° Lexbase : L1933HXU) permet, en effet, au médecin du travail de prescrire des mesures individuelles, telles que mutations, aménagements de poste. L'employeur devra veiller à ce que les prescriptions du médecin du travail soient respectées. Le législateur oblige, en effet, l'employeur à prendre en considération les prescriptions du médecin du travail et lui impose de faire connaître au salarié les motifs qui s'opposent à ce qu'il soit donné suite à ces propositions.

L'employeur est tenu d'une véritable obligation de reclassement vis à vis des salariés, que ces derniers soient reconnus aptes ou inaptes à exercer la fonction pour laquelle ils ont été recrutés. Le reclassement doit donc être envisagé dès lors que le médecin a proposé des mesures individuelles.

  • Incidence du recours contre l'avis émis par le médecin du travail

Si le médecin décide, il n'est, pour autant, pas souverain. L'avis du médecin du travail peut être contesté. Un recours administratif peut être formé par l'employeur comme par le salarié.

Cette contestation devra être portée devant l'inspecteur du travail qui tranchera après avis du médecin inspecteur du travail (C. trav., art. L. 241-10-1, art. L. 4624-1, recod.). Seul l'inspecteur du travail est compétent pour se prononcer sur l'avis émis par le médecin du travail (Cass. soc., 2 avril 1994, n° 88-42.711, Union départementale de la mutualité agricole de la Haute-Vienne c/ Mme Viacroze et autre N° Lexbase : A0400ABG). La jurisprudence considère, à juste titre, qu'un expert même désigné par le tribunal (Cass. soc., 9 octobre 2001, n° 98-46.099, M. Pascal Perraud c/ M. Denis Berchet N° Lexbase : A2118AWD, Bull. civ. V, n° 957), voire le juge, ne sont pas compétents en la matière (Cass. soc., 14 janvier 1997, n° 93-46.633, Mme Yolène Petriacq c/ Société SOGARA, société anonyme N° Lexbase : A2596AGA).

Il est traditionnellement admis par la jurisprudence que le recours auprès de l'inspecteur du travail n'est pas suspensif (Cass. soc., 28 janvier 2004, n° 01-46.913, F-P N° Lexbase : A0430DBK, Bull. civ. V, n° 31) et que l'employeur est tenu de reprendre le paiement des salaires.

C'est de ce principe dont fait application la Haute juridiction dans la décision commentée.

  • Espèce

Dans cette espèce, un salarié, engagé en qualité de marbrier, avait été victime d'un accident du travail. Lors de la visite de reprise, le 17 juillet 2003, le médecin du travail l'avait déclaré apte à reprendre son poste à condition que ce dernier ne porte pas de charges lourdes supérieures à 20 kilos sans moyen mécanisé et qu'il ne fasse pas d'efforts violents. L'employeur avait sollicité un second examen médical, auquel le médecin du travail avait refusé de procéder. L'employeur avait, alors, formé un recours devant l'inspecteur du travail qui, en novembre 2003, avait déclaré le salarié apte sans aucune réserve. Il avait, ensuite, licencié le salarié en décembre 2003 pour faute grave caractérisée par le refus réitéré du salarié de reprendre le travail. Le salarié avait saisi le conseil de prud'homme d'une demande de paiement de salaires depuis le 17 juillet 2003, date de l'examen par le médecin du travail.

La cour d'appel avait donné raison à l'employeur. Les juges du second degré avaient considéré que le licenciement était fondé sur une cause réelle et sérieuse. Pour ces derniers, en effet, compte tenu des restrictions portées par le médecin du travail sur la déclaration d'aptitude, sa décision ne pouvait s'analyser que comme un avis d'inaptitude.

Cette décision est cassée par la Haute juridiction, qui considère que l'employeur est tenu de reprendre le versement des salaires du salarié qui se tient à sa disposition et ce, même si un recours contre la décision du médecin du travail a été introduit devant l'inspecteur du travail.

Cette solution n'est pas nouvelle et doit être approuvée même si elle paraît particulièrement lourde pour l'employeur.

II - "Indemnisation" du salarié en période d'incertitude

  • Un principe "traditionnel"

Cette décision est, désormais, classique. La Haute juridiction a déjà eu l'occasion de se prononcer sur l'obligation pour l'employeur de verser les salaires au salarié déclaré apte par le médecin du travail.

Dans une décision, elle avait affirmé que l'employeur est tenu au paiement des salaires pour la période pendant laquelle il a refusé de fournir au salarié du travail en l'affectant à son poste alors que le médecin du travail l'avait déclaré apte (Cass. soc., 16 décembre 1998, n° 97-43.531, Société ETS Blanc c/ M. Souvignet et autre N° Lexbase : A4725AG4).

On sait que la période de suspension du contrat de travail prend fin avec la visite médicale de reprise (C. trav., art. L. 122-32-4, art. L. 1226-8, recod.). Le contrat n'étant plus suspendu et le salarié déclaré apte à reprendre le travail, il doit pouvoir travailler.

Les juges ont, en effet, rappelé que la procédure de contestation n'impose pas la suspension du contrat de travail et que l'employeur ne peut empêcher le salarié, qui en fait la demande, de reprendre son poste (Cass. soc., 14 janvier 1988, RJS, 1988, 280, n° 448). Ce principe, qui se comprend parfaitement en présence d'un avis d'aptitude sans réserve, suscite quelques interrogations lorsque l'aptitude n'est pas totale.

Quid lorsque le poste n'est plus adapté aux capacités du salarié ? Le fait pour le médecin d'avoir émis un avis d'aptitude avec réserve oblige l'employeur à revoir le poste, voire à l'aménager. Ne devrait-on pas laisser à l'employeur un certain délai pour reclasser le salarié, comme c'est le cas lorsque le médecin a conclu à l'inaptitude du salarié ?

A priori, une réponse négative s'impose, puisque la Haute juridiction souligne qu'en présence d'un avis d'aptitude, l'employeur est tenu de reprendre le paiement des salaires au salarié qui se tient à sa disposition. Cette reprise du versement de la rémunération au salarié n'est donc subordonnée à aucun délai particulier. Le salarié est apte à reprendre son travail, l'employeur est tenu de lui en fournir un et, en tout état de cause, de lui verser son salaire.

On ne peut blâmer la Haute juridiction d'avoir statué en ce sens. On voit, en effet, clairement la volonté des juges de faire prévaloir la protection du salarié qui, comme ils le rappellent, "se tient à la disposition de l'employeur". Il semble, dans ces conditions, difficile de laisser le salarié attendre une décision de l'inspection du travail pour reprendre le versement de la rémunération.

  • Un principe "général"

Une telle position serait, en outre, contraire aux décisions rendues en matière d'inaptitude. Il est, en effet, de principe, dans ce domaine, que la contestation de l'avis d'inaptitude ne suspend que l'obligation pour l'employeur de prendre une décision (licencier ou reclasser) et non l'obligation de reprendre le paiement des salaires à l'expiration du délai d'un mois à compter de la date de la seconde visite médicale. Le fait qu'un recours ait été exercé ne fait, ainsi, pas obstacle à la reprise par l'employeur du versement des salaires à l'expiration du délai d'un mois à compter du second examen médical (Cass. soc., 16 novembre 2005, n° 03-47.395, FS-P+B N° Lexbase : A5535DLL).

Cette décision particulièrement favorable au salarié reste contestable si l'on se place du côté de l'employeur. La durée de versement du salaire est conditionnée par une décision qu'il ne maîtrise pas : celle de l'inspecteur du travail. Comme en témoigne l'arrêt commenté, une telle décision peut mettre longtemps à intervenir. Or, pendant ce temps, l'employeur rémunère un salarié dont il ne peut pas se séparer et qui ne peut plus satisfaire complètement au poste pour lequel il a été recruté : cela vaut-il la peine de contester ?

Décision

Cass. soc., 9 avril 2008, n° 07-41.141, M. François Ranson, F-P+B (N° Lexbase : A9773D74)

Cassation partielle de CA Amiens, 5ème ch. soc., sect. A, 6 juin 2006

Mots clefs : aptitude ; réserve ; avis du médecin du travail ; contestation ; saisine de l'inspecteur du travail ; absence d'effet suspensif du recours ; obligation pour l'employeur de reprendre le paiement des salaires ; reprise du versement à compter de la visite ayant constaté l'aptitude du salarié.

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Européen

[Jurisprudence] Le contrôle des lois de transposition des Directives communautaires

Réf. : CE Contentieux, 10 avril 2008, n° 296845, Conseil national des barreaux et autres (N° Lexbase : A8060D7N)

Lecture: 10 min

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par Olivier Dubos, Professeur de droit public à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

L'Union européenne a développé une importante législation afin de lutter contre le blanchiment des capitaux. Elle a, ainsi, adopté la Directive (CE) 91/308 du Conseil du 10 juin 1991, relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux (N° Lexbase : L7622AUT ; JOCE, n° L 166 du 28 juin 1991, p. 77), qui a été complétée par la Directive 2001/97/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 décembre 2001, modifiant la Directive 91/308/CEE du Conseil relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux (N° Lexbase : L9218A48 ; JOUE, n° L 344 du 28 décembre 2001, p. 76). Ce dispositif impose, notamment, aux professions juridiques indépendantes, et donc aux avocats, de coopérer avec les autorités chargées de la lutte contre le blanchiment, notamment "en informant, de leur propre initiative, ces autorités de tout fait qui pourrait être l'indice d'un blanchiment de capitaux" (article 6, § 1, a). Cette obligation s'impose lorsque ces professions assistent un client dans la réalisation d'une transaction. La transposition de cette Directive a suscité de très intéressants contentieux. Les barreaux belges avaient contesté devant la Cour constitutionnelle de Belgique la compatibilité de la loi nationale de transposition au regard des règles du procès équitable prévues aux articles 10 et 11 de la Constitution belge. Cette action mettait indirectement en cause la Directive elle-même. La Cour constitutionnelle avait, fort logiquement, posé une question préjudicielle en appréciation de validité à la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE).

Cette dernière avait souligné que "les Etats membres ne sont pas tenus d'imposer les obligations d'information et de coopération des avocats pour ce qui concerne les informations reçues de l'un de leurs clients ou obtenues sur l'un de ceux-ci, lors de l'évaluation de la situation juridique de ce client, ou dans l'exercice de leur mission de défense ou de représentation de ce client dans une procédure judiciaire ou concernant une telle procédure, y compris dans le cadre de conseils relatifs à la manière d'engager ou d'éviter une procédure, que ces informations soient reçues ou obtenues avant, pendant, ou après cette procédure" (CJCE, 26 juin 2007, aff. C-305/05, Ordre des barreaux francophones et germanophone c/ Conseil des ministres N° Lexbase : A9284DWR, Rec., p. I-5305, spéc. n° 26). Cette limitation du champ d'application de l'obligation d'information a conduit la CJCE à considérer que la Directive 91/308 ne méconnaissait pas le principe général du droit communautaire du procès équitable, tel qu'il découle de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (CESDH) (N° Lexbase : L7558AIR).

Un contentieux analogue s'est noué devant le Conseil d'Etat français. Le Conseil national des barreaux a attaqué pour excès de pouvoir le décret n° 2006-736 du 26 juin 2006, relatif à la lutte contre le blanchiment de capitaux et modifiant le Code monétaire et financier (N° Lexbase : L1049HK3), codifié aux articles R. 562-2 (N° Lexbase : L3170HZG), R. 563-3 (N° Lexbase : L3182HZU) et R. 563-4 (N° Lexbase : L3183HZW) de ce même code. Ce décret était pris en application de la loi n° 2004-130 du 11 février 2004, réformant le statut de certaines professions judiciaires ou juridiques, des experts judiciaires, des conseils en propriété industrielle et des experts en ventes aux enchères publiques (N° Lexbase : L7957DNZ), et avait, notamment, pour objet de transposer la Directive 91/308.

De manière tout à fait claire, le Conseil d'Etat a estimé "qu'il résulte tant de l'article 6 § 2 du Traité sur l'Union européenne , que de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, notamment de son arrêt du 15 octobre 2002 [CJCE, 15 octobre 2002, aff. C-238/99 P, Limburgse Vinyl Maatschappij NV (LVM) c/ Commission des Communautés européennes (N° Lexbase : A2782A3G)], que, dans l'ordre juridique communautaire, les droits fondamentaux garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales sont protégés en tant que principes généraux du droit communautaire ; qu'il appartient, en conséquence, au juge administratif, saisi d'un moyen tiré de la méconnaissance par une Directive des stipulations de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, de rechercher si la Directive est compatible avec les droits fondamentaux garantis par ces stipulations ; qu'il lui revient, en l'absence de difficulté sérieuse, d'écarter le moyen invoqué, ou, dans le cas contraire, de saisir la Cour de justice des Communautés européennes d'une question préjudicielle, dans les conditions prévues par l'article 234 du Traité instituant la Communauté européenne ".

Il a, également, précisé "que lorsque est invoqué devant le juge administratif un moyen tiré de ce qu'une loi transposant une directive serait elle-même incompatible avec un droit fondamental garanti par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, et protégé en tant que principe général du droit communautaire, il appartient au juge administratif de s'assurer d'abord que la loi procède à une exacte transposition des dispositions de la Directive ; que si tel est le cas, le moyen tiré de la méconnaissance de ce droit fondamental par la loi de transposition ne peut être apprécié que selon la procédure de contrôle de la Directive elle-même décrite ci-dessus".

Au fond, le Conseil d'Etat n'a pas estimé utile de saisir la CJCE sur l'appréciation de la validité de la Directive, mais a tenu compte des exigences rappelées par la Cour dans sa décision du 26 juin 2007 précitée, et a annulé certaines dispositions du décret du 26 juin 2006 susvisé (sur ces questions, v. C. Cutajar, Blanchiment : le Conseil d'Etat protecteur du secret professionnel des avocats, JCP éd. A, 2008, n° 2110).

Au-delà de ces problèmes de fond, c'est évidemment le raisonnement du Conseil d'Etat relatif au contrôle de conventionalité de la loi qui mérite attention. Il vient limiter le champ d'application de la jurisprudence "Nicolo" (CE Ass., 20 octobre 1989, n° 108243, Nicolo N° Lexbase : A1712AQH, Rec., p. 190, conclusions Frydman), lorsque sont en cause les mesures nationales de transposition de la Directive (I). Dans la mesure où est ici en cause la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, il convient d'apprécier cette jurisprudence à la lumière des exigences de cette dernière (II).

I - Une limitation du champ d'application de la jurisprudence "Nicolo"

Depuis l'arrêt "Nicolo", le juge administratif français accepte de contrôler par la voie de l'exception la conventionalité des lois. Pour la première fois, il s'est trouvé confronté dans l'affaire "Conseil national des barreaux" au contrôle de conventionalité, au regard de la CESDH, des dispositions d'une loi transposant une Directive communautaire. Or, en contrôler la conventionalité reviendrait inévitablement à contrôler celle de la Directive elle-même. Le Conseil d'Etat a justement refusé de procéder à un tel contrôle. Il vient, ainsi, limiter le champ d'application de la jurisprudence "Nicolo". Cette limitation ne joue évidemment que pour les dispositions qui sont "l'exacte transposition de la Directive". On retrouve ici la même précision que pour le contrôle de constitutionnalité des décrets de transposition des Directives communautaires (CE Ass., 8 février 2007, n° 287110, Société Arcelor Atlantique et Lorraine N° Lexbase : A2029DUP). Il est bien évident que, pour les dispositions de la loi ou du décret qui ne constituent pas une opération de transposition, il n'y a pas lieu de procéder à une telle restriction de la compétence du juge administratif. On peut considérer qu'il en va de même pour les dispositions qui transposent la Directive, mais utilisent la marge d'appréciation laissée aux Etats membres.

D'un point de vue communautaire, le juge administratif français ne pouvait adopter une autre solution. Il découle d'abord très clairement de l'article 234 du Traité instituant la Communauté européenne précité, tel qu'il a été interprété par la Cour de justice (CJCE, 22 octobre 1987, aff. C-314/85, Foto-Frost c/ Hauptzollamt Lübeck-Ost N° Lexbase : A8309AUB, Rec., p. 4199), que seule la CJCE est compétente pour apprécier la validité d'une norme communautaire de droit dérivé. Ensuite, l'autonomie de l'ordre juridique communautaire conduit à ne pouvoir apprécier les normes communautaires que par rapport au droit communautaire lui-même, ou aux normes internationales qui s'imposent à la Communauté, et spécialement aux accords externes qu'elle a conclus. En l'occurrence, il faut rappeler que la CESDH ne lie certes pas en tant que telle la Communauté européenne, mais s'impose, comme le rappelle le Conseil d'Etat, par l'intermédiaire des principes généraux du droit communautaire (TUE, art. 6, § 2 N° Lexbase : L7558AIR).

Il est alors logique que le Conseil d'Etat accepte de procéder, si cela s'avère nécessaire, c'est-à-dire si les requérants font valoir un moyen sérieux, à un renvoi préjudiciel en appréciation de validité de la Directive communautaire devant la CJCE. Le contrôle de la Directive est alors opéré par la CJCE elle-même, et les requérants ne souffrent pas d'une régression du niveau de protection de leurs droits fondamentaux. Il n'y a, toutefois, équivalence des protections que si l'on postule que le juge administratif français, d'une part, et le juge communautaire, d'autre part, interprètent et appliquent la CESDH, ou les principes généraux du droit communautaire qui en sont issus, comme la CEDH. On ne peut, cependant, négliger d'éventuelles distorsions. Le juge administratif pourrait, notamment, avoir une jurisprudence plus protectrice que celle du juge communautaire et de la CEDH. Mais là n'est pas la principale difficulté.

Que se passera-t-il lorsqu'un requérant invoquera un traité international qui ne lie pas la Communauté ? S'il s'agit d'un traité relatif à la protection des droits de l'Homme, la difficulté peut être assez facilement contournée en ayant recours au renvoi préjudiciel. La Cour de justice accepte de dégager des droits fondamentaux individuels au regard d'autres traités que la CESDH. Elle a déjà eu recours au pacte international sur les droits civils et politiques (CJCE grande chambre, 3 mai 2005, aff. jointes C-387/02, C-391/02, C-403/02, Procédures pénales c/ Silvio Berlusconi, Sergio Adelchi, Marcello Dell'Utri e.a. N° Lexbase : A0954DI8, Rec., p. I-3565). Par ailleurs, si le Traité de Lisbonne entre en vigueur, elle aura, avec la Charte des droits fondamentaux (N° Lexbase : L8117ANX), un texte de référence très complet, et en cas de lacune pourra toujours dégager un principe général du droit communautaire .

La principale difficulté surviendra lorsque le Traité ne sera pas relatif aux droits de l'Homme. Le Conseil d'Etat se trouvera, alors, dans une impasse. L'alternative consistera soit dans la violation de la Directive communautaire, soit du traité international. Par opportunité, il choisira certainement d'appliquer la Directive car la violation du droit communautaire est sanctionnée de manière contraignante par le recours en constatation de manquement, alors que la responsabilité internationale est bien souvent platonique.

On ne peut donc que conseiller aux Etats membres de tenter de prévenir de tels conflits en amont, au moment de la négociation du droit communautaire dérivé, et éventuellement de dénoncer les conventions internationales contraires aux Directives. La France avait ainsi dû dénoncer la Convention n° 89 du 9 juillet 1948 de l'Organisation internationale du travail qui interdisait le travail de nuit des femmes, à la suite d'un arrêt de la Cour de justice (CJCE, 25 juillet 1991, aff. C-345/89, Procédure pénale c/ Alfred Stoeckel N° Lexbase : A7298AHR, Rec., p. I-4047) qui avait estimé qu'une telle prohibition allait à l'encontre de la Directive 76/207/CEE du Conseil du 9 février 1976, relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail (N° Lexbase : L9232AUH ; JOCE n° L 39 du 14 février 1976, p. 40).

Si cette solution du Conseil d'Etat est conforme aux exigences du droit communautaire, il reste à déterminer si elle est conforme aux exigences de la CEDH.

II - Compatibilité de la solution avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme

Dans cet arrêt "Conseil national des barreaux", le juge administratif refuse de contrôler une loi par rapport à la CESDH. Il serait donc possible de douter de sa compatibilité avec cette Convention, telle qu'elle est interprétée par la Cour de Strasbourg.

On rappellera, d'abord, que le droit européen des droits de l'Homme, à la différence du droit communautaire, n'impose pas sa propre primauté dans l'ordre juridique interne. Les Etats n'ont qu'une obligation de résultat, et non pas une obligation de comportement. Il importe simplement qu'ils respectent de manière substantielle les droits fondamentaux garantis par la Convention.

Ensuite, la CEDH a une jurisprudence fort libérale s'agissant des mesures nationales d'exécution du droit communautaire. Elle accepte évidemment de les contrôler, dans la mesure où il s'agit, au moins formellement, d'actes étatiques (CEDH, 28 septembre 1995, Procola c/ Luxembourg N° Lexbase : A8397AWW, série A-326). Mais elle refuse, en principe, de se prononcer indirectement sur le droit communautaire. Elle a très clairement jugé qu'une mesure prise en application d'un traité constitutif d'une organisation internationale limitant les droits garantis par la Convention "doit être réputée justifiée dès lors qu'il est constant que l'organisation en question accorde aux droits fondamentaux (cette notion recouvrant à la fois les garanties substantielles offertes et les mécanismes censés en contrôler le respect) une protection à tout le moins équivalente à celle assurée par la Convention. Par "équivalente", la Cour entend "comparable" : toute exigence de protection "identique" de la part de l'organisation concernée pourrait aller à l'encontre de l'intérêt de la coopération internationale poursuivi. [...] Toutefois, un constat de "protection équivalente" de ce type ne saurait être définitif : il doit pouvoir être réexaminé à la lumière de tout changement pertinent dans la protection des droits fondamentaux. Si l'on considère que l'organisation offre semblable protection équivalente, il y a lieu de présumer qu'un Etat respecte les exigences de la Convention lorsqu'il ne fait qu'exécuter des obligations juridiques résultant de son adhésion à l'organisation. Pareille présomption peut toutefois être renversée dans le cadre d'une affaire donnée si l'on estime que la protection des droits garantis par la Convention était entachée d'une insuffisance manifeste. Dans un tel cas, le rôle de la Convention en tant qu'"instrument constitutionnel de l'ordre public européen" dans le domaine des droits de l'Homme l'emporterait sur l'intérêt de la coopération internationale" (CEDH, 30 juin 2005, Req. 45036/98, Bosphorus Hava Yollari Turizm ve Ticaret Anonim Sirketi c/ Irlande N° Lexbase : A1557DKU, spéc. n° 155-156).

La solution du Conseil d'Etat est donc compatible avec la CESDH, du moins tant que la protection offerte par la Cour de Bruxelles est équivalente à celle de la Cour de Strasbourg. Il ne pourrait y avoir véritablement de difficultés que si, sur une question précise, la Cour de justice retenait une interprétation de la CESDH beaucoup plus restrictive que celle de la CEDH.

Cet arrêt du Conseil d'Etat est donc probablement le premier à nous montrer avec autant d'évidence que l'avenir n'est peut-être pas tant aux conflits entre normes nationales et normes internationales, mais entre normes internationales elles-mêmes.

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Temps de travail

[Jurisprudence] Crédit d'heures pour l'exercice d'un mandat municipal : un droit discrétionnaire ?

Réf. : Cass. soc., 16 avril 2008, n° 06-44.793, Mme Patricia Charpy c/ Société Pompes funèbres Defruit, FS-P+B (N° Lexbase : A9611D74)

Lecture: 8 min

N8791BEC

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010


Soucieux de permettre aux salariés titulaires d'un mandat municipal d'exercer pleinement leurs fonctions malgré leurs obligations professionnelles, le législateur leur a octroyé un crédit d'heures. Si l'employeur est tenu, de par la loi, d'accorder à ces salariés l'autorisation d'utiliser leur crédit d'heures, il n'a pas, en revanche, à le rémunérer. En outre, il lui est fait interdiction absolue de licencier ou de sanctionner disciplinairement un salarié en raison des absences inhérentes à l'utilisation des heures de délégation. Tirant profit de ces dispositions, la Cour de cassation considère, dans un important arrêt rendu le 16 avril 2008, que, sauf à invoquer le dépassement de crédit d'heures par le salarié, l'employeur n'est pas en mesure de contrôler l'usage qui en est fait. En d'autres termes, l'employeur n'est pas en droit de reprocher au salarié une utilisation non conforme de son crédit d'heures. On est, ainsi, fort proche d'un droit discrétionnaire.
Résumé

L'employeur, qui est tenu d'accorder aux titulaires de mandats municipaux l'autorisation d'utiliser le crédit d'heures prévu par la loi et qui n'a pas invoqué le dépassement du forfait trimestriel par la salariée, ne peut contrôler l'usage qui en est fait.

Commentaire

I Le droit à un crédit d'heures pour l'exercice d'un mandat municipal

  • Principe et étendue

En application de l'article L. 2123-2 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L9559DND), les maires, les adjoints et les conseillers municipaux ont droit à un crédit d'heures leur permettant de disposer du temps nécessaire à l'administration de la commune ou de l'organisme auprès duquel ils la représentent et à la préparation des réunions des instances où ils siègent.

Ce crédit d'heures, forfaitaire et trimestriel, est fixé par référence à la durée hebdomadaire légale du travail. Il est égal :

1° à l'équivalent de quatre fois la durée hebdomadaire légale du travail pour les maires des communes d'au moins 10 000 habitants et les adjoints au maire des communes d'au moins 30 000 habitants ;

2° à l'équivalent de trois fois la durée hebdomadaire légale du travail pour les maires des communes de moins de 10 000 habitants et les adjoints au maire des communes de 10 000 à 29 999 habitants ;

3° à l'équivalent d'une fois et demie la durée hebdomadaire légale du travail pour les conseillers municipaux des communes de 100 000 habitants au moins et les adjoints au maire des communes de moins de 10 000 habitants ;

4° à l'équivalent d'une fois la durée légale du travail pour les conseillers municipaux des communes de 30 000 à 99 999 habitants, de 60 % pour les conseillers municipaux des communes de 10 000 à 29 999 habitants et de 30 % pour les conseillers municipaux des communes de 3 500 à 9 999 habitants.

Le texte en cause précise que, lorsqu'un adjoint ou un conseiller supplée le maire dans les conditions fixées par l'article L. 2122-17 du même code (N° Lexbase : L8613AAA), il bénéficie, pendant la durée de la suppléance, du crédit d'heures fixé au 1° ou au 2°. De même, les conseillers municipaux qui bénéficient d'une délégation de fonction du maire ont droit au crédit d'heures prévu pour les adjoints au 1°, au 2° ou au 3° (1).

Il est, enfin, à souligner que les heures non utilisées pendant un trimestre ne sont pas reportables.

  • Régime juridique

Conformément aux prescriptions de l'article L. 2123-2 du Code général des collectivités territoriales, l'employeur est tenu d'accorder aux élus concernés, sur demande de ceux-ci, l'autorisation d'utiliser leur crédit d'heures (2). En revanche, cette même disposition précise expressément que "ce temps d'absence n'est pas payé par l'employeur".

Il y a là une différence notable avec les heures de délégation dont bénéficient les représentants du personnel. On sait, en effet, que le temps passé par les représentants du personnel à l'exercice de leurs fonctions est de plein droit considéré comme temps de travail et payé à l'échéance normale. Cette différence est justifiée. Outre le fait que l'exercice d'un mandat municipal n'a, à l'évidence, rien à voir avec la représentation de la collectivité du personnel ; l'élu sera par ailleurs, et en principe, indemnisé au titre de ses fonctions.

Si l'exercice d'un mandat municipal ne coûte a priori rien à l'employeur, il n'en est pas moins de nature à désorganiser le fonctionnement de l'entreprise, en raison des absences du salarié. Sans bénéficier du statut de salarié protégé, en ce sens que son licenciement n'a pas à être soumis à l'autorisation de l'inspecteur du travail, le salarié titulaire d'un mandat municipal n'en bénéficie pas moins d'une certaine protection.

Il résulte de l'article L. 2123-8 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L8621AAK) qu'"aucun licenciement ni déclassement professionnel, aucune sanction disciplinaire ne peuvent être prononcés en raison des absences résultant de l'application des dispositions des articles L. 2123-1 (N° Lexbase : L8614AAB), L. 2123-2 et L. 2123-4 (N° Lexbase : L3964C9P) sous peine de nullité et de dommages et intérêts au profit de l'élu. La réintégration ou le reclassement dans l'emploi est de droit" (3).

Parfaitement justifiée en son principe, cette disposition n'avait, à notre connaissance, pas encore été mise en oeuvre par la Cour de cassation. C'est chose faite avec l'arrêt rapporté. L'interprétation qu'en donne la Chambre sociale est pour le moins protectrice du salarié titulaire d'un mandat municipal, puisqu'elle revient pratiquement à faire du droit à un crédit d'heures un droit discrétionnaire.

II Un droit discrétionnaire

  • L'interdiction faite à l'employeur de contrôler l'usage du crédit d'heures

En l'espèce, une salariée, employée comme vendeuse-secrétaire à temps partiel et maire-adjointe de la commune de Villers-Cotterets, avait informé son employeur, le 23 juin 2003, qu'elle utiliserait le crédit d'heures trimestriel du 7 au 12 juillet, du 15 juillet au 28 juillet et le 30 juillet 2003. A la demande de la société, un huissier s'était rendu à la mairie le 25 juillet où la secrétaire générale lui avait répondu : "Mme C. n'est pas visible ce jour, et à ma connaissance, elle est en congés actuellement".

Pour dire que le licenciement de la salariée était justifié par une faute grave, la cour d'appel avait retenu que rien ne s'oppose à ce que l'employeur fonde le licenciement d'un salarié titulaire d'un mandat municipal sur l'abus qui aurait pu être fait des autorisations d'absences, si elles ont pu être sollicitées pour des réunions imaginaires dans le seul but d'obtenir des congés. Or, le constat d'huissier faisait clairement ressortir cet abus, puisqu'il en résultait que la salariée avait demandé à bénéficier du crédit d'heures pour pouvoir prendre les congés payés qui lui avaient été refusés, et que cet unique grief était suffisamment grave, puisqu'il procédait de la volonté délibérée de tromper l'employeur en profitant des avantages donnés par le mandat municipal pour empêcher la poursuite de la relation de travail même pendant la période de préavis.

Cette décision est censurée par la Cour de cassation au visa des articles L. 2123-2 et L. 2123-8 du Code général des collectivités territoriales. Selon la Chambre sociale, "en statuant ainsi, alors que l'employeur, qui est tenu d'accorder aux titulaires de mandats municipaux l'autorisation d'utiliser le crédit d'heures prévu par la loi et qui n'a pas invoqué le dépassement du forfait trimestriel par la salariée, ne peut contrôler l'usage qui en est fait, la cour d'appel a violé les textes susvisés".

Ainsi, et sauf à invoquer un dépassement du crédit d'heures octroyé par la loi, l'employeur n'est pas en mesure de contrôler l'usage qui en est fait par le salarié titulaire d'un mandat municipal. C'est affirmer, en d'autres termes, que l'exercice d'un tel droit n'est pas susceptible d'abus, contrairement à ce qu'avaient pu juger les juges du fond. Il y a, dès lors, lieu de constater que l'on se trouve en quelque sorte en présence d'un droit discrétionnaire, catégorie pourtant extrêmement résiduelle dans notre système juridique. La solution apparaît, cependant, sinon justifiée, du moins justifiable.

  • Une solution surprenante mais justifiable

Si la solution retenue dans l'arrêt rapporté peut surprendre, c'est, d'abord, en comparaison avec la jurisprudence de la Cour de cassation relative aux heures de délégation des représentants du personnel.

Sans entrer dans le détail de cette question (4), on sait que l'employeur peut, dans le respect de la présomption d'utilisation conforme, obtenir le remboursement des heures de délégation qui n'ont pas été utilisées par le représentant à des fins de représentation du personnel ou à des fins syndicales. Au-delà, et encore que l'hypothèse soit beaucoup moins fréquente en pratique, l'utilisation non conforme des heures de délégation peut avoir des conséquences disciplinaires. Il a, en effet, été jugé que le représentant du personnel, en cas d'utilisation manifestement irrégulière et réitérée des heures de délégation, peut faire l'objet d'une sanction disciplinaire (Cass. soc., 26 février 1992, n° 88-45.284, Mme Arnaud c/ Etablissements Roudière N° Lexbase : A4524AB8, RJS, 1992, n° 456) (5). Ce faisant, et à condition que la faute soit suffisamment grave, l'employeur est donc en mesure de licencier le représentant du personnel indélicat. La rupture du contrat ne pourra, cependant, intervenir qu'avec l'accord de l'inspecteur du travail.

En interdisant à l'employeur de contrôler l'usage fait de ses heures de délégation par le salarié titulaire d'un mandat électif, la Cour de cassation écarte purement et simplement ces solutions dans cette hypothèse. Cette position peut se justifier. S'agissant des heures de délégation des représentants du personnel, le droit pour l'employeur d'en contrôler l'usage est d'abord la contrepartie de son obligation de rémunérer celle-ci. Or, et nous l'avons vu, le crédit d'heures des élus municipaux n'est pas rémunéré par l'employeur. Partant, l'employeur perd le droit d'en contrôler l'usage.

On admettra que cette explication n'est guère de nature à satisfaire l'employeur confronté à la situation dans laquelle son salarié prend ses heures de délégation pour faire tout autre chose que l'exercice de son mandat municipal. Sans doute, n'a-t-il pas à le rémunérer. Il n'en reste pas moins que celui-ci étant absent de son poste de travail, il subit peu ou prou un préjudice en raison de son absence. Cela étant, l'argument de texte s'avère, ici, imparable. Rappelons que, en vertu de l'article L. 2123-8 du Code général des collectivités territoriales, "aucun licenciement, aucune sanction disciplinaire ne peuvent être prononcés en raison des absences résultant de l'application des dispositions des articles L. 2123-1, L. 2123-2 et L. 2123-4 du Code général des collectivités territoriales sous peine de nullité et de dommages-intérêts au profit de l'élu" (6).

L'absence du salarié ne pouvant, en aucune façon, être sanctionnée et l'employeur n'étant pas tenu de rémunérer les heures de délégation, le contrôle de leur usage perd toute raison d'être. La solution retenue par la Cour de cassation est de ce fait justifiée, même si l'on peut trouver excessif l'affirmation selon laquelle l'employeur "ne peut contrôler l'usage qui en est fait". En réalité, l'employeur peut bien contrôler cet usage, mais il ne peut tirer aucune conséquence d'une utilisation non conforme.

L'immunité dont bénéficie le salarié en la matière est, cependant, bornée par les dispositions de l'article L. 2123-8 du Code général des collectivités territoriales. Seules les absences consécutives à l'utilisation du crédit d'heures octroyé par la loi excluent le contrôle de l'employeur. Par suite, et ainsi que le relève la Cour de cassation dans l'arrêt sous examen, le dépassement du forfait trimestriel autorise un tel contrôle (7).


(1) En cas de travail à temps partiel, ce crédit d'heures est réduit proportionnellement à la réduction du temps de travail prévue pour l'emploi considéré.
(2) Précision au demeurant nullement nécessaire dans la mesure où les élus sont titulaires d'un droit à un crédit d'heures en vertu du I de cet article.
(3) Ce même article dispose, en outre, qu'"il est interdit à tout employeur de prendre en considération les absences visées à l'alinéa précédent pour arrêter ses décisions en ce qui concerne l'embauche, la formation professionnelle, l'avancement, la rémunération et l'octroi d'avantages sociaux".
(4) Voir, par exemple, sur la question, J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, Droit du travail, Précis Dalloz, 23ème éd., 2006, pp. 790 et s..
(5) Ainsi que le relève un auteur (L. Gamet, Heures de délégation, J.-Cl. Travail Traité, Fasc. 15-90, § 100), "les juges du fond sont sensibles au caractère exceptionnel de l'irrégularité : 'A supposer qu'un délégué syndical ait utilisé son crédit d'heures d'une journée à des fins personnelles étrangères à son mandat, il n'entre pas dans les pouvoirs de l'employeur de sanctionner ce comportement abusif, celui-ci pouvant seulement demander le remboursement des sommes versées en contrepartie d'une obligation non exécutée' [CA Paris, 1ère ch., sect. D, 11 janvier 1985, D., 1985, inf. rap. p. 262]".
(6) C'est nous qui soulignons.
(7) Relevons que la Cour de cassation ne dit pas que le dépassement du crédit d'heures constitue ipso facto une faute du salarié. Elle semble plutôt signifier que le dépassement permet à l'employeur de contrôler l'usage de ces heures "supplémentaires". Cela étant, on peine à imaginer que l'employeur ne puisse tirer aucune conséquence d'un tel dépassement, alors même que le salarié aurait exercé son mandat municipal. Mais, peut-être faut-il réserver ici l'hypothèse de circonstances exceptionnelles.

Décision

Cass. soc., 16 avril 2008, n° 06-44.793, Mme Patricia Charpy c/ Société Pompes funèbres Defruit, FS-P+B (N° Lexbase : A9611D74)

Cassation partielle de CA Amiens, 5ème ch. soc., sect. B, 28 juin 2006

Textes visés : CGCT, art. L. 2123-2 (N° Lexbase : L9559DND) et L. 2123-8 (N° Lexbase : L8621AAK)

Mots-clefs : mandat municipal ; crédit d'heures ; usage par le salarié ; contrôle de l'employeur.

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Sécurité sociale

[Jurisprudence] Prévoyance des salariés, loi "Evin" et notion de prestations différées

Réf. : Cass. civ. 2, 17 avril 2008, 3 arrêts, n° 06-45.137, Société Supermarchés Match, FS-P+B (N° Lexbase : A9616D7B) ; n° 07-12.064, Mme Laurence P., FS-P+B (N° Lexbase : A9668D79) et n° 07-12.088, Mme N. B., épouse G., FS-P+B (N° Lexbase : A9669D7A)

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par Frank Wismer, Avocat associé du cabinet Fromont-Briens & Associés

Le 30 Décembre 2021

Près de 20 ans après la publication de la loi "Evin" (loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989, renforçant les garanties offertes aux personnes assurées contre certains risques N° Lexbase : L5011E4D), la Cour de cassation, dans trois arrêts du 17 avril 2008, consolide sa jurisprudence concernant la notion de "prestations différées" en matière de garanties "incapacité-invalidité-décès".

Pour mémoire, l'article 7 de cette loi dispose que la résiliation d'un contrat d'assurance est sans effet sur le maintien des "prestations immédiates ou différées, acquises ou nées durant son exécution".

En pratique, l'application de ce texte a pu causer des difficultés lorsqu'un salarié, en arrêt de travail sous l'empire d'un contrat d'assurance et percevant des prestations d'incapacité de travail à ce titre, est déclaré invalide par la Sécurité sociale postérieurement à cette résiliation, généralement sous l'empire d'un nouveau contrat d'assurance souscrit par son employeur.

La question se pose, alors, de savoir si cette invalidité constitue une prestation différée dans le temps, quoique née sous l'empire du contrat résilié par la survenance de la maladie ou de l'accident à l'origine de l'incapacité de travail.

La Chambre sociale avait déjà eu l'occasion, par un arrêt largement diffusé, de condamner un organisme assureur à garantir une rente d'inaptitude (qui était, en l'espèce, contractuellement assimilée à une rente d'invalidité 1ère catégorie), alors même que la situation d'inaptitude avait été constatée par le médecin du travail postérieurement à la résiliation du contrat d'assurance concerné (Cass. soc., 16 janvier 2007, n° 05-43.434, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A5820DTQ et les obs.de Ch. Willmann, Prise en charge des états pathologiques antérieurs à la souscription du contrat avec un organisme de prévoyance, Lexbase Hebdo n° 247 du 7 février 2007 N° Lexbase : N0143BAK).

On pouvait voir, dans cette décision, la confirmation de deux arrêts de la première, puis de la deuxième chambre civile (successivement en charge des questions d'assurance) aux termes desquels le premier organisme assureur avait été condamné à verser la prestation sur le fondement de l'article 7 de la loi "Evin" (Cass. civ. 1, 16 décembre 2003, n° 02-14.731, F-D N° Lexbase : A4923DAL ; Cass. civ. 2, 30 juin 2004, n° 03-13.775, Caisse de régimes interentreprises (CRI) Prévoyance c/ Mme Marie-Thérèse Bothorel, épouse Dheilly, F-D N° Lexbase : A9105DC9).

A nouveau, la deuxième chambre civile a abordé à trois reprises, le 17 avril dernier, cette problématique dans des termes dénués d'ambiguïté, même si les litiges ne portaient pas, à proprement parler, sur une succession d'organismes assureurs et n'impliquaient pas de mettre en oeuvre l'article 7 précité.

Un bref exposé des faits s'impose pour comprendre la portée de ces décisions.

Dans la première affaire (pourvoi n° 06-45.137), une salariée est licenciée et exécute son préavis d'une durée de trois mois : la veille du terme de son préavis, elle est placée en arrêt de travail et exige de l'organisme assureur le versement des prestations d'incapacité de travail. Ce dernier refuse sa garantie en opposant qu'au jour de l'attribution effective de la prestation, soit au terme de la période de franchise, elle ne revêtait plus la qualité de salarié justifiant l'obtention de la prestation.

Dans l'absolu, l'article 7 de la loi "Evin" ne trouvait pas à s'appliquer, puisqu'en pareille hypothèse, le contrat d'assurance n'était pas résilié, seul le contrat de travail du salarié ayant été rompu. Toutefois, la Cour condamne l'organisme assureur à verser les prestations sur la base d'un principe jurisprudentiel inédit issu, de toute évidence, des termes et de l'esprit de l'article 7.

Ainsi, la terminologie employée par la Cour de cassation est strictement identique à celle de ce texte. Elle a, en effet, jugé que "lorsque des salariés sont garantis collectivement contre [...] le risque décès ou les risques d'incapacité ou d'invalidité, la cessation de la relation de travail est sans effet sur le versement des prestations immédiates ou différées, acquises ou nées durant cette relation".

Dans le même ordre d'idée, et dans le deuxième litige (pourvoi n° 07-12.064), un salarié subit un accident du travail ouvrant droit à une prestation d'incapacité de travail. Postérieurement à la rupture de son contrat de travail pour inaptitude, la caisse primaire d'assurance maladie lui notifie un nouveau taux d'incapacité permanente de 35 %, ouvrant droit à une prestation d'invalidité de 2ème catégorie au titre du contrat d'assurance en vigueur chez son ancien employeur. L'organisme refuse sa garantie en opposant qu'à la date de notification du nouveau taux d'incapacité, l'assuré n'était plus salarié de l'entreprise et que, là encore, l'article 7 ne pouvait trouver à s'appliquer compte tenu du défaut de résiliation du contrat d'assurance.

Comme dans l'arrêt précédemment décrit, la Cour de cassation adopte le même principe jurisprudentiel et casse l'arrêt d'appel ayant rejeté la condamnation de l'organisme assureur.

Enfin, le troisième arrêt (pourvoi n° 07-12.088) concerne une entreprise ayant souscrit un contrat d'assurance auprès d'une compagnie d'assurance et dont un salarié a été placé en arrêt de travail deux mois avant la date d'effet de la résiliation de ce contrat. Sous l'empire du contrat d'assurance souscrit auprès du nouvel organisme, le salarié est classé en invalidité 2ème catégorie. Ce dernier se retourne vers son employeur pour obtenir le versement du capital décès par anticipation, tel que cela a été prévu dans le contrat d'assurance du premier organisme. L'employeur lui refuse cette prestation en opposant que l'invalidité a été déclarée sous l'empire du second organisme et que le contrat de ce dernier ne prévoit le versement d'un capital décès par anticipation qu'en situation d'invalidité de 3ème catégorie.

A défaut d'avoir appelé en la cause les organismes assureurs, le contentieux se limite à la relation entre le salarié et son employeur. Il n'en reste pas moins que la deuxième chambre civile juge que la cour d'appel a exactement décidé que "le versement du capital décès par anticipation [dans le cas d'une invalidité de 2ème catégorie] constitue une prestation différée relevant de l'exécution de ce contrat".

Erigeant un principe jurisprudentiel de maintien des garanties postérieurement à la rupture du contrat de travail ou faisant expressément référence à l'article 7 de la loi "Evin" dans un contentieux ne concernant, pourtant, aucun organisme assureur, la Cour de cassation semble affirmer une position de principe visant à considérer que l'invalidité constitue une prestation différée de l'incapacité de travail, lorsque celle-ci résulte d'un accident ou d'une maladie survenu tant sous l'empire du contrat d'assurance avant sa résiliation, que du contrat de travail avant sa rupture.

Cette solution peut être saluée, a minima, pour deux raisons.

D'une part, elle permet de prendre en compte l'hypothèse où le contrat d'assurance est résilié, sans qu'un nouveau contrat d'assurance ne soit souscrit par la suite. Tel peut être le cas, par exemple, lorsque l'entreprise est en situation de liquidation judiciaire. En pareil cas, outre la perte de leur emploi, les salariés en arrêt de travail rencontreraient, sans l'application de cet article, les plus grandes peines du monde pour trouver une garantie d'invalidité à un tarif supportable, compte tenu de leur état de santé déjà dégradé lors de la souscription du contrat d'assurance individuelle.

D'autre part, la règlementation impose aux organismes assureurs de constituer des provisions dites "pour rentes en attente relatives aux rentes d'invalidité susceptibles d'intervenir ultérieurement au titre des sinistres d'incapacité en cours au 31 décembre de l'exercice". Or, lorsqu'un organisme assureur évalue le montant d'une cotisation, il prend en compte le fait qu'en cas de survenance d'une incapacité de travail, il devra obligatoirement constituer de telles provisions. Ainsi, les salariés ont déjà "payé" la constitution des provisions liées au risque de survenance de l'invalidité à travers leurs cotisations salariales.

Considérer que l'invalidité n'est pas due en raison de sa survenance postérieurement à la résiliation du contrat d'assurance aboutirait à la solution paradoxale où l'organisme assureur résilié constaterait un bénéfice technique compte tenu de l'annulation de cette provision, alors même que le salarié ne serait plus en mesure de trouver une garantie à titre personnel, ou paierait avec son employeur une "sur-cotisation", si le nouvel organisme assureur acceptait de prendre en charge cette sinistralité aggravée. Ce serait là une bien étrange façon de "renforcer les garanties offertes à certaines personnes assurées", ce qui est pourtant l'objet et le titre de la loi "Evin".

newsid:318882

Contrat de travail

[Jurisprudence] Le TGI de Paris requalifie en contrat de travail l'activité des "portés" d'une société de portage salarial

Réf. : TGI de Paris, 1ère ch., sect. soc., 18 mars 2008, n° 06/08817, Mme Marie Alice Christian et a. c/ Assedic de Paris (N° Lexbase : A9156D7A)

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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen

Le 07 Octobre 2010



Le Tribunal de grande instance de Paris a, le 18 mars 2008, demandé aux Assedic de rétablir dans leurs droits aux allocations chômage cinq anciens "portés" d'une société de portage salarial. L'Assedic refusait d'admettre la réalité de leur contrat de travail, qui présentait, selon elle, un caractère fictif. Au contraire, le TGI a considéré que la relation créée entre la société de portage ("ITG") et ses consultants s'inscrit dans de réels liens de subordination juridique et économique tels que recherchés pour caractériser l'existence d'un contrat de travail. La situation des contrats examinés se rapproche de celles d'autres professions actuelles de nature commerciale ou intellectuelle dans lesquelles une grande marge d'initiative est laissée au salarié, lequel reste, néanmoins, sous la dépendance d'un employeur sur les plans juridique et économique.



Le TGI a relevé que les contrats de travail faisaient, notamment, référence aux dispositions du droit du travail et à la Convention collective Syntec ; que les embauches avaient fait l'objet d'une déclaration à l'Urssaf ; que l'exercice de l'activité se faisait sous le contrôle de la société de portage ; que les salariés devaient respecter le règlement intérieur de cette société ; que la rémunération des salariés respectait la convention collective et reposait sur les jours de mission effectuées. Le tribunal précise, en outre, que le fait de laisser une grande marge d'initiative à ses salariés ne remet pas en cause la dépendance juridique et économique des salariés envers son employeur.

Cette décision montre la fragilité des montages juridiques mis en place par les société de portage, dont la doctrine a largement rendu compte (1) (II), justifiant la nécessité d'un encadrement de leurs activités, qu'il soit conventionnel ou législatif (I), alors même que l'activité de portage connaît une croissance rapide (en 2007, environ 20 000 salariés portés ; plus de 100 entreprises de portage proposaient leurs services en 2005 contre une dizaine une décennie plus tôt).


Résumé


La relation créée entre une société de portage et ses consultants s'inscrit dans de réels liens de subordination juridique et économique tels que recherchés pour caractériser l'existence d'un contrat de travail. La situation des contrats examinés se rapproche de celles d'autres professions actuelles de nature commerciale ou intellectuelle dans lesquelles une grande marge d'initiative est laissée au salarié, lequel reste, néanmoins, sous la dépendance d'un employeur sur les plans juridique et économique. Les "portés" sont donc bien dans un lien de subordination avec leur employeur, la société de portage. Ils peuvent prétendre aux allocations de chômage.


I - Cadre juridique du portage salarial


A - Cadre juridique déjà mis en place


Le 15 novembre 2007, le CICF-SNEPS (Syndicat national des entreprises de portage salarial), qui revendique de représenter les deux tiers du secteur, et la CICF (Chambre de l'ingénierie et du conseil), dont ce syndicat est adhérent, ont signé avec trois organisations de salariés (les fédérations sectorielles de la CFDT, la CFE-CGC et la CFTC) un accord collectif des entreprises de portage salarial.

Il s'agit d'un accord de branche, qui encadre le portage salarial relevant de la Convention collective nationale des bureaux d'études et sociétés de conseil. Cet accord a été conclu pour une durée de deux ans et son suivi sera assuré par un observatoire paritaire qui fera, également, office d'instance de conciliation. Les signataires ont, ainsi, souhaité mettre fin aux incertitudes juridiques liées à l'emploi du salarié doté d'un contrat de travail classique qui a été porté par sa société au service d'une autre société. L'accord précise que le contrat de travail du salarié porté doit être signé au début de sa première mission et qu'il ne pourra comporter de clause d'exclusivité ou de concurrence. De plus, l'accord prévoit le montant des salaires minima, le nombre d'heures de travail hebdomadaire et le fait que le salarié porté a obligatoirement le statut de cadre. Enfin, l'accord met en place des garanties de prévoyance au moins égales à celles prévues par la convention collective nationale.


B - Cadre juridique en devenir : ANI du 11 janvier 2008 et projet de loi sur la modernisation du marché du travail


  • Accord de modernisation sur le marché du travail du 11 janvier 2008


Conscients que l'activité de portage est souvent considérée comme entachée d'illégalité, mais estimant qu'elle répond à un besoin social, les partenaires sociaux ont souhaité (article 19 de l'ANI) sécuriser la situation des portés, ainsi que la relation de prestation de service (2). Ils décrivent le portage salarial comme une relation triangulaire entre une société de portage, une personne, le porté, et une entreprise cliente. Pour ce faire, ils ont prévu de confier à la branche du travail temporaire le soin d'organiser, par accord collectif étendu, le portage salarial, en garantissant au porté le régime du salariat et la rémunération de sa prestation chez le client, ainsi que de son apport de clientèle. La durée du contrat de portage ne devra pas excéder trois ans.

La doctrine s'est montrée réservée sur cette disposition, dans la mesure où l'accord du 11 janvier 2008 ne supprime les défauts du portage salarial, qui reste un mécanisme illégal (délit de marchandage ou du prêt de main-d'oeuvre illicite). La loi peut autoriser un tel dispositif, mais pas un accord collectif. Seul le législateur est à même d'étendre le Code du travail à des personnes qui, pour une raison ou pour une autre, peinent à entrer dans la catégorie des salariés.


  • Loi sur la modernisation du marché du travail


Le projet de loi sur la modernisation du marché du travail (n° 133) a été adopté par l'Assemblée nationale le 29 avril 2008 ("Petite loi"), transmis au Sénat le 29 avril 2008. L'article 8 du projet de loi créé un nouvel article L. 1251-60 du Code du travail, selon lequel le portage salarial est un ensemble de relations contractuelles organisées entre une entreprise de portage, une personne portée et des entreprises clientes comportant pour la personne portée le régime du salariat et la rémunération de sa prestation chez le client par l'entreprise de portage. Il garantit les droits de la personne portée sur son apport de clientèle. Par exception aux dispositions du premier alinéa de l'article L. 133-1 du Code du travail (N° Lexbase : L5694ACU, art. L. 2261-19, al. 2, recod. N° Lexbase : L0582HXT) et pour une durée limitée à deux ans, un accord national interprofessionnel étendu peut confier à une branche dont l'activité est considérée comme la plus proche du portage salarial la mission d'organiser, par accord de branche étendu, le portage salarial.

Selon les travaux parlementaires (3), la stipulation de l'ANI attribuant à la branche de l'intérim la mission d'organiser par accord collectif la branche du portage salarial est dérogatoire au droit commun de la négociation collective, qui définit les règles de représentativité permettant aux organisations syndicales de conclure valablement des accords collectifs. En particulier, l'article L. 133-1, alinéa 1er, du Code du travail (art. L. 2261-19, al. 1er, recod.) dispose que les accords de branche, pour pouvoir être étendus, doivent avoir été négociés et conclus en commission paritaire composée des organisations représentatives dans la branche. La mise en oeuvre de l'ANI exige donc une base légale autorisant une dérogation à cet article : tel est l'objet de l'alinéa 6 de l'article 8 du projet de loi, qui prend le soin de limiter la durée de cette dérogation à deux ans, pendant lesquels un accord national interprofessionnel étendu (c'est bien sûr l'ANI du 11 janvier dernier qui est visé) peut confier à une branche dont l'activité est considérée comme la plus proche du portage salarial (ce qui doit être lu comme visant la branche de l'intérim du fait de la ressemblance de la relation triangulaire) la mission d'organiser ce dernier.

L'article 8 du projet de loi de modernisation du marché du travail reprend, avec quelques adaptations, les dispositions principales de l'article 19 de l'ANI (4). Son paragraphe I tend à introduire une section 6, consacrée au portage salarial, dans le chapitre 1er du titre V du livre II de la première partie du Code du travail. Ce chapitre regroupe les dispositions relatives au contrat de travail conclu avec une entreprise de travail temporaire. Cette section 6 comporte un article unique qui définit d'abord le portage salarial comme un ensemble de relations contractuelles organisées entre une entreprise de portage, une personne portée et des entreprises clientes.

Le projet de loi est moins précis que l'ANI sur la définition du type de relations contractuelles qui se noue entre la société de portage, le porté et les clients. Le projet de loi mentionne, sans plus de précision, un ensemble de relations contractuelles, alors que l'ANI indique clairement que le contrat entre la société de portage et le client est un contrat de prestation de services et le contrat entre la société de portage et le porté un contrat de travail.

Il est précisé, ensuite, que la personne portée bénéficie du régime du salariat et est rémunérée par l'entreprise de portage pour la prestation effectuée chez le client. Cette référence au régime du salariat permet d'envisager deux hypothèses : soit le régime du salariat découle de la conclusion d'un contrat de travail entre la société de portage et le porté, soit le contrat entre le porté et la société de portage est d'une autre nature et le régime du salariat résulte, alors, d'un mécanisme d'assimilation, analogue à celui dont ont déjà bénéficié de nombreux indépendants.

Le texte garantit, en outre, les droits de la personne portée sur son apport de clientèle. Même si le sens de cette formule reste à préciser, elle laisse entendre que la société de portage ne pourrait pas, par exemple, dessaisir une personne portée d'une mission qu'elle aurait négociée avec un client pour la confier à une autre personne portée. L'entreprise cliente serait liée à une personne portée en particulier, celle qui a négocié le contrat, non à l'entreprise de portage en tant que telle. Cette disposition ne reprend pas exactement les termes de l'ANI, qui garantit au porté une rémunération pour son apport de clientèle, laissant, ainsi, la porte ouverte à une possible mutualisation des missions au sein de l'entreprise de portage en échange d'une rémunération.

Le paragraphe II tend à modifier l'alinéa 1er de l'article L. 125-3 du Code du travail (N° Lexbase : L9638GQZ, art. L. 8241-1, al. 1er, recod. N° Lexbase : L3278HXP), qui prohibe le prêt de main-d'oeuvre illicite : toute opération à but lucratif ayant pour but exclusif le prêt de main-d'oeuvre est, en effet, interdite. Cette interdiction connaît, cependant, des dérogations (entreprises de travail temporaire, entreprises à temps partagé, agences de mannequins, entreprises et associations sportives). Le projet de loi de modernisation du marché du travail entend compléter cette liste de dérogations pour indiquer que l'interdiction du prêt de main-d'oeuvre ne s'applique pas non plus au portage salarial.

Le paragraphe III prévoit, enfin, qu'un accord national interprofessionnel étendu peut confier à la branche dont l'activité est considérée comme la plus proche du portage salarial la mission d'organiser le portage salarial par la voie d'un accord de branche étendu. Cette disposition permet de mettre en oeuvre une des stipulations de l'article 19 de l'ANI, par laquelle les partenaires sociaux ont souhaité confier à la branche de l'intérim le soin d'organiser le portage salarial. Cette stipulation déroge à l'article L. 133-1, alinéa 1er du Code du travail (art. L. 2261-19, recod.) qui dispose qu'un accord ne peut être étendu que s'il a été négocié par les organisations syndicales d'employeurs et de salariés représentatives dans le champ d'application considéré. Comme il n'est pas prévu de confier la négociation de l'accord aux organisations patronales et syndicales du secteur du portage salarial, mais à celles de l'intérim, il est nécessaire de prévoir dans la loi une exception à cette règle. La branche de l'intérim disposera de deux ans, au plus, pour mener à bien la négociation.


II - Régime juridique du portage


La doctrine et les travaux parlementaires ont, jusqu'alors, réservé un accueil très mitigé à la pratique du portage salarial. Le droit des activités professionnelles repose largement sur une distinction nette entre travail salarié et travail indépendant. Sa légalité est souvent contestée devant les tribunaux, pour l'un des motifs suivants : le recours abusif à la qualification de contrat de travail (le lien de subordination entre employeur et salarié, qui est le critère essentiel du contrat de travail, fait souvent défaut entre l'entreprise de portage et le porté, le prétendu employeur ne fournissant de surcroît aucun travail) ; si la qualification de contrat de travail est reconnue malgré tout, l'entreprise de portage risque de tomber sous le coup d'une condamnation pour prêt de main-d'oeuvre illicite, conformément à l'article L. 125-3, alinéa 1er, du Code du travail (art. L. 8241-1, recod.) ; le non-respect des principes fondamentaux du droit de la Sécurité sociale, puisque la charge des cotisations de sécurité sociale pèse intégralement sur le salarié, en violation des dispositions d'ordre public de l'article L. 241-8 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L4944ADH) ; la fraude à l'assurance chômage, les prestations servies par ce régime étant subordonnées à la rupture involontaire d'un contrat de travail.

Récusant l'idée selon laquelle le portage serait une simple technique de fraude, ses promoteurs estiment, au contraire, qu'il constitue une forme innovante d'organisation du travail, favorisant le retour des chômeurs vers l'emploi (notamment pour les plus âgés) et facilitant les transitions entre le salariat et le statut d'entrepreneur.


A - L'activité de portage


Une personne (généralement un consultant) effectue une prestation pour un client. Celui-ci verse les honoraires qui lui sont facturés auprès d'une société de portage qui les rétrocède au consultant sous forme de salaire, après déduction des cotisations sociales (patronales et salariales) et d'une commission. L'opération de portage nécessite la conclusion de deux, voire trois contrats :

- un contrat de prestation signé entre le consultant, la société de portage et le client. Il s'agit d'un contrat classique qui doit mentionner la nature de la prestation à effectuer, les dates de début et de fin de la mission, ainsi que les modalités de paiement ;

- un contrat de travail entre le consultant et la société de portage. Il est établi en même temps que le précédent contrat. Il s'agit généralement d'un contrat à durée déterminée couvrant la période de la mission, mais certaines structures utilisent le contrat à temps partiel annualisé ou le contrat à durée indéterminée ;

- une convention d'adhésion peut, également, être signée entre ces mêmes personnes pour prévoir les modalités de refacturation des honoraires, ainsi que les prestations annexes proposées par les sociétés de portage.

En pratique, le recours au portage peut, selon les situations, être totalement occasionnel et ne concerner qu'une mission déterminée ou bien se situer sur une période plus longue dans le cadre de missions récurrentes.


B - Les sociétés de portage


Les sociétés de portage s'apparentent au métier de conseil. Elles n'acceptent généralement que des missions de services, à l'exclusion des activités réglementées qui n'entrent pas dans leur domaine de compétence. Les activités les plus fréquentes sont des activités d'expertise et de conseil dans les domaines variés comme les ressources humaines, la qualité, le marketing, les finances, la communication, etc..

Ces sociétés se rémunèrent en prélevant sur les prestations facturées une commission correspondant aux frais de gestion engagés. Celle-ci varie entre 5 et 15 %. La société de portage facture le client de l'intervenant, gère les recouvrements et lui verse chaque mois son salaire après déduction de frais de gestion pouvant varier de 3 % à 15 % (généralement 10 %). Certaines structures pratiquent, également, un système dégressif fonction du chiffre d'affaires réalisé par le consultant, et un système annualisé, le barème variant, là encore, en fonction du chiffre d'affaires réalisé chaque année.


C - Le statut du consultant


Vis-à-vis de ses clients, le consultant travaille dans les mêmes conditions qu'un indépendant. Il doit les démarcher lui-même et négocier la durée et le montant de ses prestations. Vis-à-vis de la société de portage, il est considéré comme un salarié, ce qui peut lui permettre de bénéficier du maintien de ses droits aux Assedic (procédure de reprise d'une activité réduite salariée).

La qualification juridique de salarié reconnue aux "portés" a pu poser des difficultés aux Assedic (comme en atteste le jugement rapporté) : dès lors que le porté démarche ses clients et négocie directement ses prestations avec eux, on est à la limite du lien juridique de subordination avec l'entreprise de portage employeur. Il peut être soutenu que celle-ci n'assigne pas réellement son travail au salarié ni n'exerce d'autorité sur lui ; son rôle est, alors, essentiellement administratif (formalités d'embauche, facturation, comptabilité...). En l'espèce, l'Assedic soutenait que le contrat de travail des portés était fictif et que le contrat de travail était dépourvu d'objet et fondé sur une cause illicite.

Le tribunal de grande instance de Paris (jugement rapporté) reconnaît l'existence d'un contrat de travail pour les personnes recourant à une société de portage salarial et donc le droit pour celles-ci de prétendre aux allocations chômage. Il relève, dans son jugement, que les éléments nécessaires à la reconnaissance d'un lien de subordination sont bien présents :

- sur le plan économique : le risque économique est bien supporté par l'entreprise de portage salarial, et non le porté. Pour le TGI de Paris, les salariés portés ne peuvent être assimilés à des travailleurs indépendants dans la mesure où ils ne prennent aucun risque d'entreprise et où leurs missions sont contrôlées par l'entreprise ;

- sur les pouvoirs de l'employeur : le TGI a relevé que les portés devaient fournir chaque mois à la société de portage un rapport mensuel d'activité, dont l'absence pouvait être sanctionnée. L'employeur fixait les objectifs du porté et pouvait le licencier en cas de non respect de ceux-ci ;

- sur l'appartenance à un service organisé : le règlement intérieur précisait que les portés, qu'ils effectuent leur prestation à domicile, dans les locaux de l'entreprise cliente ou ceux de la société de portage, étaient soumis aux règles disciplinaires ;

- sur le versement d'une rémunération : les portés percevaient une rémunération constituée par une partie fixe, prenant en compte les journées de mission effectuées, les heures consacrées à la prospection de clients et à la formation ; et d'une partie variable, en fonction du résultat obtenu.

Au final, le TGI estime que les rapports noués entre les portés et la société de portage salarial s'inscrivent dans de réels liens de subordination juridique et économique. Le TGI admet, tout de même, que la situation des contrats de travail des portés se rapproche de celle d'autres professions actuelles de nature commerciale ou intellectuelle dans lesquelles une grande marge d'initiative est laissée au salarié, mais pour le TGI, le porté reste, néanmoins, sous la dépendance d'un employeur sur les plans juridique et économique.


La portée de ce jugement du TGI de Paris doit être relativisée. La solution, isolée, rendue par une juridiction inférieure, ne permet pas d'asseoir une jurisprudence stable et continue. D'autres juridictions ont statué dans un sens exactement inverse, de non-reconnaissance d'un contrat de travail entre le porté et la société de portage, mais entre le porté et l'entreprise cliente (CA Montpellier, 7 novembre 2007, n° 07/2783). De même, la cour d'appel de Lyon refusait la qualification de contrat de travail aux rapports contractuels noués entre un porté et une société de portage salarial (CA Lyon, 5ème ch., 13 octobre 2006, n° 04/06602, Melle Françoise Vitali c/ SA Inter-venance N° Lexbase : A8615DZ4).


(1) L. Casaux-Labrunée, Le portage salarial : travail salarié ou travail indépendant ?, Dr. soc., 2007, p. 58 ; L. Casaux-Labrunée (dir.), Le portage salarial - Fraude ou nouvelle forme d'organisation du travail ?, n° spécial SSL, supplément n° 1332, 10 décembre 2007 ; J.-Y. Kerbourc'h, Le portage salarial : prestation de service ou prêt de main d'oeuvre illicite ?, Dr. soc., 2007, p. 72 ; P. Morvan, Eloge juridique et épistémologique du portage salarial, Dr. soc., 2007, p. 607 ; J.-J. Dupeyroux, Le roi est nu Réponse à P. Morvan, Dr. soc., 2007, p. 616.
(2) G. Auzero, Commentaire des articles 1, 9 et 19 de l'accord sur la modernisation du marché du travail : contrats de travail, GPEC et sécurisation du portage salarial, Lexbase Hebdo n° 289 du 24 janvier 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N8211BDH).
(3) D. Dord, Rapport AN n° 789, 8 avril 2008, Rapport sur le projet de loi (n° 743) portant modernisation du marché du travail.
(4) P. Bernard-Remond, Rapport Sénat n° 306 (2007-2008), 30 avril 2008.


Décision

TGI de Paris, 1ère ch., sect. soc., 18 mars 2008, n° 06/08817, Mme Marie Alice Christian et a. c/ Assedic de Paris (N° Lexbase : A9156D7A)

Textes visés : C. trav., art. L. 121-1, al. 1er (N° Lexbase : L5443ACL, art. L. 1221-1 (N° Lexbase : L9733HWE) ; art. L. 1251-60, recod. et art. L. 125-3 du Code du travail (N° Lexbase : L9638GQZ, L. 8241-1, recod. N° Lexbase : L3278HXP)

Mots-clefs : portage salarial ; requalification ; contrat de travail ; lien de subordination

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Immobilier et urbanisme

[Chronique] Chronique en droit immobilier

Lecture: 5 min

N8812BE4

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par Marine Parmentier, Avocat à la cour d'appel de Paris

Le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique en droit immobilier de Marine Parmentier, Avocat à la cour d'appel de Paris. Au premier plan de cette chronique, se trouve un arrêt de la Cour de cassation qui apporte d'importantes précisions relatives à l'information qui peut être mise à la charge du vendeur et du notaire en matière de vente d'un site industriel classé. Est également à l'honner, une seconde décision de la Haute juridiction qui rappelle que la charge de la dépollution d'un site industriel incombe au dernier exploitant et non au propriétaire du bien pollué.
  • Vente d'un site industriel classé : devoir d'information du vendeur et du notaire (Cass. civ. 3, 9 avril 2008, n° 07-10.795, Société civile immobilière (SCI) Coignières Logistic, FS-P+B+I N° Lexbase : A8818D7Q)

Dans un arrêt du 9 avril 2008, destiné à une large publication, la Cour de cassation apporte d'importantes précisions relatives à l'information qui peut être mise à la charge du vendeur et du notaire en matière de vente d'un site industriel classé.

Selon un acte authentique de vente, établi le 20 décembre 2000 par une étude notariale, une propriété bâtie à usage industriel d'entrepôt louée à une société, en vertu d'un bail commercial en date du 7 mai 1999, a été vendue.

Le preneur a fait l'objet, le 11 décembre 2000, d'un procès-verbal d'infraction pour défaut d'autorisation d'exploitation d'une installation classée et a donné congé par acte du 14 juin 2001 pour le 14 mai 2002, terme de la première période triennale du bail.

L'acquéreur a, dès lors, assigné les venderesses ainsi que le notaire en réparation de son préjudice, comprenant le coût des travaux de mise en conformité de l'entrepôt et divers préjudices financiers.

- A l'encontre des venderesses, l'acquéreur arguait du manquement à leur devoir d'information qui résulterait, selon le pourvoi, de l'article L. 514-20, alinéa 1er, du Code de l'environnement (N° Lexbase : L1735DKH).

En vertu de cet article, lorsqu'une installation soumise à autorisation a été exploitée sur un terrain, le vendeur de ce terrain est tenu d'en informer par écrit l'acheteur.

Selon l'acquéreur, l'obligation d'information à la charge du vendeur s'appliquerait indistinctement, que l'exploitation de l'installation soit actuelle ou passée.

Confirmant l'arrêt des juges parisiens, la Cour de cassation précise que l'alinéa 1er de l'article L. 514-20 du Code de l'environnement ne s'applique pas à la vente d'un terrain sur lequel l'exploitation d'une installation classée est en cours.

Procédant à une lecture stricte, la Haute cour apporte donc une précision complémentaire concernant le champ d'application de cet alinéa et, partant, le domaine de l'obligation d'information à la charge du vendeur.

Il avait déjà été indiqué que cette obligation formelle du vendeur s'imposait même si l'acheteur n'ignorait pas l'existence d'une telle exploitation (Cass. civ. 3, 12 janvier 2005, n° 03-18.055, FS-P+B N° Lexbase : A0261DGR).

Rappelons qu'en cas de manquement du vendeur à son obligation d'information, l'acheteur a le choix de poursuivre la résolution de la vente ou de se faire restituer une partie du prix. Il peut également demander la remise en état du site aux frais du vendeur, lorsque le coût de cette remise en état ne paraît pas disproportionné par rapport au prix de vente.

- L'acquéreur se fondait, par ailleurs, sur une violation du devoir d'information du notaire pour que sa responsabilité soit engagée à son égard.

Il reprochait, notamment, au notaire de n'avoir pas attiré son attention sur les conséquences qui seraient celles de l'application éventuelle de la réglementation sur les installations classées et de ne l'avoir pas mis en garde contre le risque qu'il y avait à acquérir l'immeuble sans attendre que la préfecture ait fait connaître sa décision.

La Cour de cassation, approuvant l'analyse des premiers juges, rappelle que le notaire avait donné l'information utile concernant la nécessité de l'attestation de la préfecture sur les sites classés et que c'est l'acquéreur qui, bien qu'informé et parfaitement conscient que le problème de l'autorisation préfectorale restait en suspens, voulait absolument régulariser la vente avant une date donnée, soit avant que la réponse de la préfecture ne soit connue.

La responsabilité du notaire pour manquement à son devoir d'information ne sera dès lors pas plus engagée que celle des venderesses.

  • La remise en état d'un site industriel résultant d'une obligation légale particulière dont la finalité est la protection de l'environnement et de la santé publique est à la charge du locataire (Cass. civ. 3, 2 avril 2008, n° 07-12.155, Société civile immobilière (SCI) du Réal, FS-P+B+I N° Lexbase : A7386D7P)

Par un arrêt du 2 avril 2008, la Cour de cassation rappelle que la charge de la dépollution d'un site industriel incombe au dernier exploitant et non au propriétaire du bien pollué.

En l'espèce, une SCI était propriétaire d'un terrain sur lequel sont édifiés des bâtiments donnés en location aux fins d'exploitation d'une usine de production de produits chimiques et d'engrais à une autre société.

Le preneur a donné congé pour le 30 septembre 1993 et a remis les clés du site le 6 septembre 1994.

Des travaux de dépollution du site, imposés par la loi du 19 juillet 1976 (loi n° 76-663, relative aux installations classées pour la protection de l'environnement N° Lexbase : L6346AG7), ont été réalisés du 9 octobre 2001 au 12 mars 2003 et la SCI, propriétaire, a saisi le juge d'une demande en paiement de dommages-intérêts pour le retard apporté à la dépollution et l'immobilisation des locaux pendant cette période.

A titre reconventionnel, l'ancien locataire a sollicité la condamnation de la bailleresse au remboursement des frais de dépollution.

Distinguant ses qualités d'exploitant, d'une part, et de locataire, d'autre part, l'auteur du pourvoi indiquait que, s'il lui appartenait d'assumer les frais de dépollution du site qu'il exploitait, il n'en demeure pas moins qu'il était, en sa qualité de locataire titulaire d'une créance de dommages-intérêts puisqu'il était établi, selon lui, que le site était pollué avant son entrée en jouissance et que, dès lors, la dépollution était une amélioration au bien loué.

Cette argumentation n'emportera pas la faveur de la troisième chambre de la Cour de cassation.

Par adoption de motifs, elle retient, en effet, qu'aux termes des dispositions de la loi du 19 juillet 1976, la charge de la dépollution d'un site industriel incombe au dernier exploitant et non au propriétaire du bien pollué. En conséquence, les premiers juges en ont déduit à bon droit que la remise en état du site, résultant d'une obligation légale particulière dont la finalité est la protection de l'environnement et de la santé publique, était à la charge de la locataire.

Cette solution s'inscrit dans la droite ligne de précédentes décisions de la Cour de cassation (voir, notamment, Cass. civ. 3, 10 avril 2002, n° 00-17.874, Société Agip française c/ Société civile immobilière (SCI) du Port, FS-P+B N° Lexbase : A4848AY9).

Il appartiendra, en l'espèce, au locataire et exploitant, débiteur de l'obligation de remise en état des lieux, de supporter la charge d'un recours éventuel à l'encontre de l'ancien exploitant s'il est établi que le site était déjà pollué lors de sa prise de possession du terrain (lire F.-G. Trébulle, note sous Cass. civ. 3, 17 décembre 2002 N° Lexbase : A5100A4N, RDI, 2003, p. 244).

newsid:318812

Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Affaire du "Synchrotron" : la Cour de cassation persiste et signe !

Réf. : Cass. soc., 17 avril 2008, n° 06-45.270, M. Pierre Wattecamps, FS-P+B (N° Lexbase : A9619D7E)

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N8763BEB

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010

L'arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 17 avril 2008 devrait logiquement clore l'affaire du "Synchrotron", qui avait déjà donné l'occasion à cette même juridiction de valider le versement par l'entreprise de primes d'expatriation destinées à compenser les inconvénients résultant de l'expatriation du salarié et de sa famille et à contribuer à la création d'un pôle d'excellence scientifique international. L'intervention de la Halde dans cette affaire n'y aura rien changé : la politique salariale du consortium européen est, ici, confirmée (I), la Cour de cassation profitant de l'occasion pour expliciter la portée des dispositions communautaires qui pouvaient encore faire douter de la solution (II).
Résumé

Le principe de non-discrimination en raison de la nationalité énoncé par l'article 12 du Traité CE n'a vocation à s'appliquer que dans les situations régies par le droit communautaire ; ainsi, en matière d'emploi, il n'est destiné, en vertu de l'article 39 du même Traité (N° Lexbase : L5348BC3), qu'à garantir la libre circulation des travailleurs ; il en résulte que ces dispositions ne peuvent pas être invoquées par un salarié qui n'a pas exercé cette liberté de circulation pour travailler dans un autre Etat membre.

Il résulte des dispositions combinées du préambule de la Convention de Paris du 16 décembre 1988, relative à la construction et à l'exploitation d'une installation européenne de rayonnement synchrotron, de la résolution n° 2 jointe à l'acte final, des articles 12 et 25 des statuts de la société Installation européenne de rayonnement synchrotron et 50 de la convention collective d'entreprise précitée, que la prime d'expatriation, prévue par les statuts annexés à la convention, est destinée à compenser les inconvénients résultant de l'expatriation du salarié et de sa famille et à contribuer à la création d'un pôle d'excellence scientifique international ; la privation de cet avantage pour les salariés français repose, ainsi, sur une raison objective, pertinente, étrangère à toute discrimination prohibée et proportionnée à l'objectif légitimement poursuivi par les Etats contractants.

Commentaire

I - La confirmation de la validité de la politique salariale de l'entreprise Synchrotron

  • L'affaire du "Synchrotron"

Pour favoriser le recrutement de chercheurs étrangers de haut niveau, le Synchrotron, consortium européen de recherche, avait mis en place une politique conventionnelle de rémunération attractive, réservant aux seuls salariés non nationaux de l'entreprise le bénéfice d'une prime d'expatriation et de dépaysement (article 50 de la convention collective d'entreprise, en date du 18 juin 1993). De nombreux chercheurs français, se considérant comme victimes d'une discrimination fondée sur la nationalité, avaient protesté contre ces dispositions, faisant valoir que, en dépit des apparences, ils ne se trouvaient pas dans une situation réellement différente de nombreux chercheurs étrangers, embauchés par l'entreprise, mais qui résidaient déjà en France au moment de leur embauche. Soucieux de purger les relations sociales au sein de l'entreprise de cette empoisonnante question, les partenaires sociaux ont modifié, en octobre 2001, les critères conventionnels d'attribution de cette prime, pour substituer au critère litigieux de la nationalité celui plus neutre de résidence, tout en conservant l'avantage acquis pour les salariés en ayant effectivement bénéficié antérieurement.

Le nouvel accord n'avait donc que partiellement réglé la question. Non seulement ce dernier ne prétendait pas remettre en cause rétroactivement le bien-fondé de l'ancien critère, en élargissant aux nationaux le bénéfice de la prime litigieuse, mais il laissait, de surcroît, subsister, dans le cadre du maintien des avantages acquis sur le fondement de l'ancien accord, une différence de traitement avec les chercheurs français embauchés avant le nouvel accord.

Dans une première phase contentieuse de l'affaire, la Chambre sociale de la Cour de cassation, désavouant la cour d'appel de Grenoble et revenant sur les termes de la jurisprudence dégagée dans l'affaire "Institut Goethe" (1), avait donné raison à l'entreprise. Après avoir visé l'article L. 122-45 du Code du travail (N° Lexbase : L3114HI8, art. L. 1132-1, recod. N° Lexbase : L9686HWN) et le principe "à travail égal, salaire égal", la Haute juridiction avait, en effet, affirmé qu'"une inégalité de traitement entre des salariés peut être justifiée lorsqu'elle repose sur des raisons objectives, étrangères à toute discrimination prohibée", et elle avait précisé qu'"il résulte des dispositions combinées du préambule de la Convention de Paris du 16 décembre 1988, relative à la construction et à l'exploitation d'une installation européenne de rayonnement synchrotron, de la résolution n° 2 jointe à l'acte final, des articles 12 et 25 des statuts de la société Installation européenne de rayonnement synchrotron annexés à ladite Convention, 50 de la convention d'entreprise de la société précitée dans sa rédaction applicable, que si la prime d'expatriation introduit une différence de traitement entre les salariés français et les salariés étrangers, cette inégalité vise non seulement à compenser les inconvénients résultant de l'installation d'un individu et de sa famille en pays étranger, mais aussi à faciliter l'embauche des salariés ressortissants non français des parties contractantes afin de contribuer à la création d'un pôle d'excellence scientifique international ; qu'ainsi l'avantage conféré aux salariés étrangers reposait sur une raison objective, étrangère à toute discrimination en raison de la nationalité" (2).

Cette décision avait, d'ailleurs, été explicitée par la Cour de cassation elle-même, dans le cadre du rapport annuel pour 2005. Le rapport avait, en effet, précisé que le critère d'attribution conventionnel avait, en réalité, été mal formulé : "il est apparu à la Chambre sociale, comme d'ailleurs au conseil de prud'homme ayant statué en premier ressort, qu'en réalité la formulation de la condition mise à l'octroi d'une prime d'expatriation procédait davantage d'une terminologie maladroite que d'une véritable discrimination fondée sur la nationalité. En effet, les termes des accords internationaux et des statuts de la société du synchrotron faisaient clairement apparaître que la seule finalité de l'octroi de cette prime d'expatriation était de compenser les inconvénients résultant de l'installation d'un individu et de sa famille en pays étranger et de faciliter l'embauche des salariés ressortissants non français des parties contractantes afin de contribuer à la création d'un pôle d'excellence scientifique international, ce qui constituait une raison objective étrangère à toute discrimination en raison de la nationalité".

  • Le litige

Le conflit avait rebondi après une nouvelle saisine des juridictions grenobloises, intervenue peu de temps après l'arrêt de cassation. Cette fois-ci, les salariés avaient obtenu un soutien de poids, celui de la Halde, laquelle avait considéré comme discriminatoire le critère de nationalité (3). Dans une autre affaire, la Halde était, également, intervenue et avait, d'ailleurs, exercé cette prérogative devant la Chambre sociale de la Cour de cassation, qui examinait cette nouvelle affaire.

II - La communautarisation de la jurisprudence sociale

  • Les nouveaux arguments tirés du droit communautaire

Pour tenter de contraindre la Chambre sociale à modifier sa jurisprudence, le demandeur avait appelé à la rescousse le droit communautaire, qui s'impose au juge français et peut, en cas de contrariété, le conduire à écarter la règle nationale contraire. Dans sa délibération en date du 22 octobre 2007, rendue dans l'affaire "Diot", la Halde avait, d'ailleurs, clairement indiqué que le critère d'attribution de la prime lui semblait contraire aux articles 12 et 39 du Traité CE (4).

Jusqu'à présent, ces articles avaient parfois été invoqués, mais jamais la Chambre sociale de la Cour de cassation n'avait véritablement pris position sur leur utilité dans le débat (5) et l'on attendait avec curiosité qu'elle le fasse.

Le premier de ces textes dispose que, "dans le domaine d'application du présent Traité, et sans préjudice des dispositions particulières qu'il prévoit, est interdite toute discrimination exercée en raison de la nationalité. Le Conseil, statuant conformément à la procédure visée à l'article 251, peut prendre toute réglementation en vue de l'interdiction de ces discriminations". Le second, singulièrement en ses alinéas premier et deuxième, prévoit que "la libre circulation des travailleurs est assurée à l'intérieur de la Communauté [et qu'] elle implique l'abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des Etats membres, en ce qui concerne l'emploi, la rémunération et les autres conditions de travail".

  • Le caractère inadéquat des textes mobilisés

Ce double appel n'était, toutefois, pas de nature à peser sur l'issue du litige, car, comme le relève très justement la Chambre sociale de la Cour de cassation, le litige qui opposait le salarié à son employeur, également français, ne relevait pas du domaine d'application du droit communautaire, mais, uniquement, du droit national.

L'article 12 du Traité CE n'a, en effet, pas de portée générale et ne s'applique, selon ses propres termes, que "dans le domaine d'application" du droit communautaire. Ce domaine d'application se trouve explicité par l'article 3 du Traité CE (N° Lexbase : L4764AQI), qui vise à favoriser l'instauration d'un espace communautaire libéré des entraves à la mobilité des biens et des personnes. L'article 39, alinéa 1er, du Traité précise, d'ailleurs, également très clairement, que c'est bien le principe de libre circulation qui "implique" l'abolition de toute discrimination. Le principe communautaire de non-discrimination ne trouve donc à s'appliquer que dans des hypothèses de mobilité intracommunautaire et/ou lorsqu'un salarié se plaint du traitement discriminatoire qu'un autre Etat lui réserve en comparaison des nationaux de cet Etat placé dans une même situation. L'article 12 ne s'applique donc pas aux salariés qui n'ont pas réalisé de mobilité, ni aux ressortissants d'un Etat qui se plaignent d'une discrimination, dont ils seraient les victimes, en raison de dispositions de leur droit national, car il ne s'agit, alors, que d'un différend de pur droit interne n'intéressant pas le droit communautaire (6). Sur ce point, l'argument opposé par la Chambre sociale de la Cour de cassation est irréfutable.

  • Les différences notées dans la justification de la différence de traitement

L'arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 17 avril 2008 présente, également, un intérêt, dans la mesure où il traduit une volonté, que l'on ne peut que saluer, d'affiner encore plus la justification de la différence de traitement dénoncée par les salariés français et de se rapprocher des justifications avancées par les Cours européennes.

Dans le premier arrêt "Synchrotron" rendu en 2005, la Chambre sociale avait affirmé que la "différence de traitement" créait une "inégalité" entre salariés français et ressortissants de pays hors CEE, mais qu'elle visait, "non seulement à compenser les inconvénients résultant de l'installation d'un individu et de sa famille en pays étranger, mais aussi à faciliter l'embauche des salariés ressortissants non français des parties contractantes afin de contribuer à la création d'un pôle d'excellence scientifique international", et "qu'ainsi, l'avantage conféré aux salariés étrangers reposait sur une raison objective, étrangère à toute discrimination en raison de la nationalité".

Dans ce nouvel arrêt rendu le 17 avril 2008, la Cour indique que "la prime d'expatriation [...] est destinée à compenser les inconvénients résultant de l'expatriation du salarié et de sa famille et à contribuer à la création d'un pôle d'excellence scientifique international" et que "la privation de cet avantage pour les salariés français repose, ainsi, sur une raison objective, pertinente, étrangère à toute discrimination prohibée et proportionnée à l'objectif légitimement poursuivi par les Etats contractants".

La nouvelle formulation diffère donc assez sensiblement de la précédente, même si la conclusion demeure inchangée.

  • La suppression de toute référence ambivalente à une inégalité entre salariés

En premier lieu, on relèvera que la Chambre sociale ne fait plus référence, à propos du sort réservé aux chercheurs français, ni à l'existence d'une "différence de traitement", ni à une "inégalité", mais uniquement à une "privation" de droits.

Cette volonté de s'en tenir à la description neutre d'un état de fait, sans faire référence, notamment, à une inégalité qui frapperait les chercheurs français, se justifie pleinement pour éviter de créer un sentiment de frustration trop important chez les demandeurs. Même si, intellectuellement, toute inégalité de traitement ne constitue pas en soi une discrimination (7), le fait même de désigner la situation par le vocable "inégalité " suggère immédiatement le caractère anormal de la situation, ainsi, décrite, un peu comme l'emploi du terme "discrimination" renvoie immédiatement au caractère illicite du comportement, loin du sens premier que lui donne la langue française. En se contentant de se référer à la "privation" d'un droit, la Cour de cassation évite, ainsi, de donner le sentiment aux chercheurs français qu'ils seraient victimes, en toute hypothèse et au-delà des justifications retenues, d'une injustice.

  • La modification dans l'objet de la compensation

En deuxième lieu, l'analyse de la justification de la différence de traitement a, également, évolué.

Dans la première affaire jugée en 2005, la Cour de cassation avait justifié la différence de traitement par la volonté de compenser les inconvénients résultant de "l'installation d'un individu et de sa famille en pays étranger", mais, aussi, par le désir de "faciliter l'embauche des salariés ressortissants non français des parties contractantes, afin de contribuer à la création d'un pôle d'excellence scientifique international".

Si ce second objectif apparaît toujours dans le second arrêt du 17 avril 2008, certes dans une forme plus sobre ("contribuer à la création d'un pôle d'excellence scientifique international"), le premier a été légèrement réécrit, puisqu'il s'agit, désormais, de compenser les inconvénients résultant "de l'expatriation du salarié et de sa famille". Ce changement terminologique s'explique parfaitement par les arguments avancés par les chercheurs français, lors de la première affaire, qui faisaient valoir que certains chercheurs étrangers étaient déjà installés de longue date en France au moment de leur embauche par le Synchrotron, rendant l'argument inopérant pour justifier une différence de traitement avec les ressortissants de l'UE. Désormais, c'est bien plus largement la volonté de compenser les contraintes de l'expatriation qui sont prises en compte, c'est-à-dire le fait de vivre expatrié, sans qu'il s'agisse de faire référence à une quelconque installation qu'il conviendrait de financer (déménagement, scolarisation des enfants, emploi du conjoint, etc.). La Cour est donc passée de la compensation d'une action (l'installation du salarié) à celle d'un état (expatrié), ce qui nous semble effectivement plus juste. Il est, également, intéressant de noter que la Cour a ajouté, à la mention selon laquelle "l'avantage conféré aux salariés étrangers reposait sur une raison objective, étrangère à toute discrimination en raison de la nationalité", le caractère "pertinent" de cette raison et ce pour sa rapprocher de la terminologie de la Cour de justice des Communautés européennes.

  • L'introduction du critère de proportionnalité

En troisième lieu, et c'est certainement sur ce point que l'arrêt rendu le 17 avril 2008 innove le plus, la justification de la différence de traitement n'est pas à rechercher uniquement dans la nécessité de la mesure, mais également dans son caractère proportionné.

Cet ajout est parfaitement justifié lorsqu'il s'agit de vérifier le caractère légitime d'une différence de traitement et, plus largement, lorsqu'est en cause l'atteinte à un droit ou une liberté fondamentale (8). La proportionnalité de l'atteinte est, en effet, indissociable de son caractère justifié, car une différence de traitement disproportionnée est, en réalité, une différence de traitement qui ne se trouve que partiellement justifiée et qui excède donc, pour partie, la mesure de ce qui est nécessaire. Ce faisant, la Chambre sociale de la Cour de cassation confirme (9) son désir de s'approprier la terminologie de la Cour de justice des Communautés européennes (10) et de la Cour européenne des droits de l'Homme (11).


(1) Cass. soc., 10 décembre 2002, n° 00-42.158, Association Goethe Institut pour la promotion de la langue allemande à l'étranger et échanges culturels c/ Mme Suzanne Bataille, épouse Zamolo, FS-P+B (N° Lexbase : A4126A4L).
(2) Cass. soc., 9 novembre 2005, n° 03-47.720, Société European synchrotron radiation facility (ESRF) c/ M. Marc Diot, FS-P+B (N° Lexbase : A5949DLW) et nos obs., Nouvelle illustration d'une différence de traitement justifiée en matière de rémunération, Lexbase Hebdo n° 218 du 7 juin 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N1188AK9).
(3) Délibération Halde n° 2007-272 du 22 octobre 2007, Marc Diot (N° Lexbase : X9865ADQ) et nos obs., Non-discrimination salariale : la Halde au secours des salariés français du Synchrotron, Lexbase Hebdo n° 280 du 8 novembre 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N9884BC3).
(4) Préc..
(5) Dans un nouvel arrêt "Institut Goethe", rendu le 19 septembre 2007 (Cass. soc., 19 septembre 2007, n° 05-45.212, F-D N° Lexbase : A4194DYY), la Chambre sociale avait bien fait référence aux articles 12 et 39 du Traité CE dans une affaire de discrimination alléguée entre salariés de nationalité différente, dans une hypothèse où les salariés allemands bénéficiaient d'avantages refusés aux salariés français, mais la Cour avait rejeté le pourvoi et confirmé l'arrêt d'appel, qui avait écarté le grief de discrimination, après avoir relevé "qu'aucun autre salarié de l'Institut Goethe ne se trouvait ou ne s'était trouvé dans une situation comparable à celle de M. X..., compte tenu de l'emploi exercé par ce dernier".
(6) CJCE, 15 janvier 1986, aff. C-44/84, Derrick Guy Edmund Hurd c/ Kenneth Jones (Her Majesty's Inspector of Taxes) (N° Lexbase : A4575AWD), Rec. p. 47, concl. Sir Gordon Slynn, point 56. Jurisprudence constante. Sur ce point, P. Rodière, Droit social de l'Union européenne, LGDJ, 1998, p. 126 et s. ; B. Teyssié, Droit européen du travail, Litec Manuel, 3ème éd. 2006, n° 328.
(7) En ce sens, Cass. soc., 18 janvier 2006, n° 03-45.422, Société Sogara France c/ Mme Lasoy Agion, F-P (N° Lexbase : A3972DM3), Dr. soc. 2006, p. 449, et les obs. : "Attendu qu'une différence de traitement entre les salariés d'une même entreprise ne constitue pas en elle même une discrimination illicite au sens de l'article L. 122-45 du Code du travail".
(8) L'article L. 120-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5441ACI, art. L. 1121-1, recod. N° Lexbase : L9684HWL) dispose, d'ailleurs, très clairement, que "nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché".
(9) S'agissant de l'égalité de rémunération entre les femmes et les hommes et la présence, dans l'arrêt, de la jurisprudence de la Cour de Justice : Cass. soc., 21 mars 2000, n° 98-45.485, M Diot et autres c/ Société Renault (N° Lexbase : A6327AGG), Dr. soc. 2000, p. 645, et les obs..
(10) Sur ce thème, P. Rodière, ouvrage préc., n° 41 et s. ; S. Le Gac-Pech, La proportionnalité en droit privé des contrats, LGDJ, Bibliothèque de droit privé, n° 335, préf. H. Muir-Watt, 2000, n° 17 et s. (droit communautaire). Par exemple, CJCE, 27 novembre 1997, aff. C-57/96, H. Meints c/ Minister van Landbouw, Natuurbeheer en Visserij (N° Lexbase : A0354AWZ), Rec. p. 6689, §. 45 (discrimination indirecte) : "A moins qu'elle ne soit objectivement justifiée et proportionnée à l'objectif poursuivi" ; CJCE, 18 juillet 2007, aff. C-213/05, Wendy Geven c/ Land Nordrhein-Westfalen (N° Lexbase : A4371DX8) (discrimination indirecte).
(11) Sur ce thème, F. Sudre, Droit européen et international des droits de l'homme, Puf, Coll. Droit fondamental, 8ème éd., 2006, p. 271 et s..
Décision

Cass. soc., 17 avril 2008, n° 06-45.270, M. Pierre Wattecamps, FS-P+B (N° Lexbase : A9619D7E)

Rejet (CA Grenoble, ch. soc., 13 septembre 2006)

Textes concernés : Traité CE, art. 12 et 39 (N° Lexbase : L5348BC3) ; C. trav., art. L. 122-45 (N° Lexbase : L3114HI8, art. L. 1132-1, recod. N° Lexbase : L9686HWN)

Mots clef : égalité salariale ; non-discrimination ; nationalité ; prime versée aux non nationaux ; justification.

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Assurances

[Chronique] Chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences

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Le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur de droit privé, en collaboration avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences à la Faculté de droit de Nantes, tous deux membres de l'IRDP (Institut de recherche en droit privé). Au premier plan de cette chronique un arrêt en date du 7 février dernier, aux termes duquel "il ne peut pas être dérogé, par voie de convention, aux dispositions d'ordre public de la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989, qui prévoit le maintien à l'ancien salarié privé d'emploi de la couverture résultant de l'assurance de groupe souscrite par l'employeur pour la garantie des frais de santé". A noter, également, une décision en date du 20 février 2008 par laquelle la Cour de cassation attire l'attention sur les difficultés posées par le fonctionnement des assurances dans un contexte international.
  • La continuation de la garantie d'assurance santé au profit de salariés d'entreprise (Cass. civ. 2, 7 février 2008, n° 06-15.006, FS-P+B+R N° Lexbase : A7197D4C)

La complexité de la réglementation des assurances de groupe n'est plus à démontrer (1). Les règles de fonctionnement de ces conventions sont d'autant plus délicates à appréhender qu'elles varient, de plus en plus, selon le type de convention conclue (2). C'est ainsi que l'on distingue les assurances collectives des assurances emprunteurs ainsi que les adhérents garantis par une assurance individuelle ou par une assurance collective ou encore les assurances à adhésion facultative ou les assurances à adhésion obligatoire. Pour qui n'est pas familier de ces aspects, précisons qu'il convient, de surcroît, de ne pas confondre les assurances de groupe régies par la loi n° 89-1014 du 31 décembre 1989 (N° Lexbase : L0640A34), dite loi "Bérégovoy", et celles réglementées par la loi n° 89-1009 également du 31 décembre 1989 (N° Lexbase : L5011E4D), dite loi "Evin". Ajoutons que se retrouver dans cette jungle, ou disons, plus juridiquement, ce foisonnement technique, n'est pas toujours simple et captivant.

Si la Cour de cassation ajoute à ces obstacles, l'ensemble devient alors pesant. Et ce n'est pas l'arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation en date du 7 février 2008 qui viendra contredire cette assertion, même si l'on a connu pire. Dans le cas présent, la difficulté est née de l'étendue et du contenu, en quelque sorte, des conséquences de la rupture du lien qui avait été tissé, à l'origine, entre celui que la loi nomme le souscripteur -au risque d'être source de mauvaises compréhensions- et l'adhérent. En l'espèce, le contrat d'assurance de groupe en jeu consistait en une garantie collective offerte aux salariés d'une entreprise, en raison d'une adhésion obligatoire, ainsi que l'article 2 de la loi "Evin" autorise à le faire. C'est-à-dire -et la remarque n'est pas neutre pour la suite de la compréhension de la logique relative de la Cour de cassation- qu'il n'était pas considéré qu'une relation ayant une existence autonome s'était nouée entre l'adhérent et l'assureur.

L'interrogation ne portait pas tout à fait sur la possibilité ou non de continuer le contrat d'assurance souscrit après la cessation des relations de travail entre l'employeur souscripteur et son salarié adhérent. En effet, l'article 4 de la loi "Evin" admet, pour les frais occasionnés par une maladie, une maternité ou un accident, que le contrat puisse prévoir, sans condition de période probatoire ni d'examen ou de questionnaire médical, les modalités et les conditions tarifaires des nouveaux contrats ou conventions par lesquels l'organisme d'assurance maintient la couverture d'assurance. Le législateur, pour ce type de risque particulier qui suppose une exécution régulière ou tout au moins réitérée de l'assureur, au cours de la période de garantie, avait voulu offrir une protection accrue à l'adhérent, par rapport aux assurances de groupe prévoyant, à la charge de l'assureur, une intervention unique et ponctuelle telle la remise d'un capital.

En dépit de la rupture du lien ayant existé entre le souscripteur et l'adhérent, à l'origine de l'ensemble du montage juridique, la cessation de toute relation avec l'entreprise d'assurance n'a donc pas été décidée. L'arrêt rapporté en constitue une nouvelle application à laquelle il faut adjoindre une évolution significative. Concrètement, une entreprise décide, un jour, de souscrire, auprès d'un assureur, un contrat d'assurance de groupe à adhésion obligatoire, pour son personnel cadre et assimilé. Loin de se contenter d'un accord global et peu détaillé, elle prend, au contraire, le soin de prévoir, par avenant signé en 1999 les modalités du maintien de la couverture d'assurance et les conditions tarifaires au profit des anciens salariés et les ayants droit d'un assuré décédé.

Quelques années plus tard, l'un des salariés est licencié. Or, celui-ci demande à continuer de bénéficier, à titre individuel, de l'assurance santé et décès à laquelle il avait droit lorsqu'il était salarié de l'entreprise. L'assureur ne refuse pas de satisfaire sa demande. Mais il lui propose une garantie pour les frais de santé un peu différente de la précédente. Le salarié, M. A., assigne ce dernier afin qu'il soit condamné à maintenir toutes les prestations d'origine. La cour d'appel ne fait pas droit à la prétention du salarié car elle estime que les nouvelles garanties offertes sont proches des précédentes. Or, l'avenant signé en 1999 indiquait que le maintien de la couverture d'assurance des frais médicaux pouvait être effectuée "sur la base du régime le plus proche de celui prévu par le contrat collectif et obligatoire". En l'espèce, seuls les frais d'optique semblaient ne pas figurer comme dans le contrat initial.

Ainsi exposée, la difficulté apparaît uniquement celle d'un problème d'interprétation d'une clause contractuelle. Dans ce cadre, il appartenait donc aux juges du fond, en vertu de leur pouvoir souverain d'appréciation, de juger si les prestations désormais offertes étaient similaires ou presque à celles antérieurement proposées. A priori donc aussi, la Cour de cassation n'avait pas à censurer la décision de la cour d'appel. Pourtant, c'est ce qu'elle effectue en déclarant "qu'il ne peut pas être dérogé, par voie de convention, aux dispositions d'ordre public de la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989, qui prévoit le maintien à l'ancien salarié privé d'emploi de la couverture résultant de l'assurance de groupe souscrite par l'employeur pour la garantie des frais de santé" (3).

La décision a semblé laisser un peu dubitatif (4). En réalité, sur le plan juridique, elle n'est peut-être pas si étrange qu'elle peut paraître, de prime abord. Car la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989 n'a pas expressément énoncé que l'adhérent au contrat d'assurance de groupe disposait du droit de négocier, discuter ou modifier les termes de ce dernier, fut-ce après la rupture du lien qui l'unissait à l'un des cocontractants originaires. Or, au fond, si l'on y réfléchit, il n'est pas incohérent d'avoir adopté cette règle. Lors de sa formation, comme de son exécution, seuls l'assureur et le souscripteur décident et règlent le sort de ce contrat d'assurance de groupe. Par conséquent, qu'il ne soit pas donné, plus tard, à l'adhérent la possibilité de discuter les termes de ce contrat, rien de plus normal et d'orthodoxe. On parlerait volontiers de parallélisme des formes lors de la formation du contrat et de son maintien.

N'étant pas partie au contrat d'assurance de groupe, mais tiers bénéficiaire -puisque c'est bien ainsi qu'il convient de l'analyser- il ne peut prétendre, ensuite, en changer les termes. La stipulation pour autrui de l'article 1121 du Code civil (N° Lexbase : L1209ABE), sur laquelle repose l'opération, justifie cette analyse, quoi que l'on puisse en penser par ailleurs. La solution de la Cour de cassation est alors logique : puisque ce tiers ne peut pas revenir sur un accord qu'il subit dans le cadre d'une assurance souscrite collectivement, à adhésion obligatoire, le maintien des garanties doit être strictement identique. Mais dans cette perspective, toute clause contractuelle d'aménagement de la règle de la poursuite des garanties précédemment offertes, est alors inutile, sans effet, pour ne pas dire nulle et non avenue. La Cour de cassation ne l'énonce toutefois pas, alors qu'elle en avait la possibilité.

Une autre analyse est encore possible, dont la mise en oeuvre n'est pas exclusive de la première, et qui viendrait, au contraire, renforcer l'explication de la rigueur dont a fait preuve la Cour de cassation. Les termes exacts de l'avenant, étant donné leur caractère approximatif, expliquent peut-être la réaction de cette dernière. On sait que celle-ci s'est toujours défiée de ces clauses vagues, imprécises, non limitées (5). Tout au moins est-ce sa réaction, en assurances de dommages, en matière d'exclusions de risque (6), de clauses de nullité ou de déchéances. C'est ainsi qu'elle a censuré les clauses trop générales comme celles employant l'adverbe "notamment" (7) ou encore celles dont l'imprécision ne permet pas à l'assuré d'en connaître l'exacte étendue (8). Même si c'est plus rare (9), elle en a décidé ainsi également en assurances de personnes (10), à propos des maladies sexuellement transmissibles. En l'espèce, la Cour de cassation n'a-t-elle donc pas voulu imposer aussi la rédaction de clauses claires, nettes et précises ? Au-delà des seules incidences en matière d'assurances de groupe, n'a t-elle donc pas voulu imposer la rédaction de clauses claires, nettes et précises ?

En revanche, au-delà de l'aspect strictement juridique, l'arrêt du 7 février 2008 n'est pas sans incidences importantes pour les assureurs. En effet, ayant vocation à s'appliquer à tous les contrats comportant une clause du type de celle -assez banale- conclue dans cette affaire, la décision s'appliquera dans de nombreux autres cas. Une fois de plus la jurisprudence est source d'insécurité juridique pour l'assureur. Or, si toute évolution jurisprudentielle n'est pas neutre pour les parties concernées, elle prend une coloration particulière lorsqu'elle concerne l'assurance puisqu'il est interdit à l'assureur, pour l'année en cours tout au moins, de solliciter un montant de primes différent au prétexte -fut-il tout à fait valable- d'une augmentation de charges résultant, indirectement, des tribunaux.

Véronique Nicolas, Professeur agrégé, Faculté de droit de l'Université de Nantes, Membre de l'Institut de Recherche en Droit Privé

  • Des recours subrogatoires contre l'assureur de l'auteur d'un accident de la circulation routière en matière internationale (Cass. civ. 1, 20 février 2008, n° 06-19.936, F-P+B N° Lexbase : A0504D7S)

Un arrêt en date du 20 février dernier, destiné au Bulletin, attire l'attention sur les difficultés posées par le fonctionnement des assurances dans un contexte international. Il s'agit, plus précisément, de définir la loi applicable aux recours subrogatoires entre assureurs, ou d'un organisme de Sécurité sociale contre l'assureur du tiers responsable d'un dommage dont la victime a été indemnisée par cet organisme. La question est déjà complexe en droit interne (11) ; la présence d'un élément d'extranéité soulève, en question liminaire, des enjeux de droit international privé : compétence judiciaire et détermination du droit internationalement compétent.

Le droit du contrat d'assurance international est complexe (12) et il faudra, sans doute, dans une prochaine chronique mesurer si le Réglement "Rome I" (13) pourrait simplifier la matière. L'arrêt du 20 février 2008, ici examiné, en ce qu'il mêle droit de la Sécurité sociale et droit des assurances dans un contexte d'accident international de la circulation routière ajoute à la difficulté. En outre, ce litige portant sur des rapports franco-suisse, il demeure dans un contexte tenu à l'écart du mouvement de "communautarisation" du droit international privé, puisque la Suisse, non membre de l'Union (on n'apprendra rien à quiconque sur ce point !), n'est pas davantage tenue par les accords concernant l'Espace économique européen (EEE), lequel unit l'Union européenne à tous les pays de l'AELE (14) (Association européenne de libre échange) sauf... la Suisse ! Cependant, ce pays se réserve la possibilité de conclure certains accords bilatéraux avec l'Union européenne ou avec tel ou tel pays, dont la France.

La seule lecture de l'arrêt ne permet guère d'en comprendre les faits. Il faut donc quelque peu conjecturer à leur endroit. Le pourvoi est formé par la compagnie d'assurance Winterthur dans le litige l'opposant à quatre litigants [Axa France -il est piquant de constater qu'AXA ayant "acheté" Winthertur par un accord daté du 14 juin 2006, l'arrêt est une forme de "procès avec soi-même" !-, M. Thierry V., domicilié à Divonne-les-Bains, M. Jérôme P., domicilié à Divonne-les-Bains, et la caisse suisse de compensation], à propos, dixit l'arrêt, "d'un accident de la circulation survenu le 22 mars 1992". On croit comprendre qu'un français, domicilié en France mais travaillant en Suisse, couvert par la compagnie suisse Winthertur, a eu un accident de la circulation en suisse (accident du travail en forme "d'accident de trajet" ?) avec un français, domicilié en France et couvert par la compagnie française Axa. La victime ayant été indemnisée par versement des prestations obligatoires au sens de la loi suisse (droit de la Sécurité sociale suisse) par la Caisse suisse de compensation, établissement public équivalent à nos caisses de Sécurité sociale, et par le versement d'indemnités journalières au titre d'un contrat d'assurance accident complémentaire par la compagnie Winthertur, ces deux "payeurs" ont cherché à exercer un recours surbrogatoire contre l'assureur du responsable de l'accident (Axa).

La caisse suisse a voulu écarter pour partie la "concurrence" de la société d'assurance privée helvète? en soutenant que les indemnités journalières versées par cet assureur "devaient être exclues de l'assiette du recours, car ne constituant pas des prestations obligatoires au sens de la loi suisse". Les juges du fond ont décidé que "la compagnie Winterthur exercera son recours subrogatoire pour les prestations légales et obligatoires, en concours avec le recours subrogatoire de la caisse suisse de compensation, avec répartition au marc le franc", aux motifs que "'la LAA' ne prévoit pas de subrogation pour les prestations au titre de l'assurance accident complémentaire". C'est juger que cette "LLA", comprendre la loi fédérale sur l'assurance-accidents du 20 mars 1981 (15), écarte toute subrogation pour les indemnités complémentaires (et c'est refuser de fonder celles-ci sur une autre loi !) et retenir que cette loi permet une action proportionnelle pour les prestations légales et obligatoires acquittées par ces deux payeurs.

Ce n'est toutefois pas sur la pertinence de l'assiette du recours contre l'assureur du responsable que le contentieux va rouler. C'est sur le terrain de la loi compétente pour fonder ce recours subrogatoire que la Cour de cassation va opérer censure, aux motifs "qu'en se déterminant ainsi, sans préciser les dispositions de la loi suisse sur lesquelles elle se fondait et sans s'expliquer sur la loi (LLA) dont elle faisait application alors que toutes les parties avaient invoqué la loi fédérale suisse du 2 avril 1908 sur le contrat d'assurance (LCA) applicable au litige en vertu de la Convention franco-suisse de Sécurité sociale du 3 juillet 1975, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard du texte susvisé". Voilà qui appelle plusieurs remarques.

Concernant la loi compétente, on pourrait s'attendre, s'agissant d'un accident de la circulation en matière internationale, à voir utilisée la Convention de La Haye du 4 mai 1971. Mais ce serait oublier que son article 2 exclut de son champ d'application toute action récursoire, qu'il s'agisse des "recours entre personnes responsables" (art. 2.4), des "recours et subrogations concernant les assureurs" (art. 2.5), des "actions et recours exercés par ou contre les organismes de Sécurité sociale, d'assurance sociale ou autres institutions analogues et les fonds publics de garantie automobile, ainsi qu'aux cas d'exclusion de responsabilité prévus par la loi dont relèvent ces organismes" (art 2.6). Ces actions subrogatoires de l'organisme de Sécurité sociale et de l'assureur suisses contre un assureur français ne pouvant être fondées sur cette convention multilatérale, restait à examiner si une convention bilatérale ne régissait pas cette question. Or, justement, il existe une Convention de Sécurité sociale du 3 juillet 1975 (16) qui lie la France et la Suisse. Les juges du fond ne semblaient pas, au moins expressément (était-ce une économie de moyens ou une erreur ?), s'y être référés, visant seulement la "LAA" suisse. La Cour de cassation, quant à elle, la vise pour préciser qu'en application de cette Convention, c'est la loi suisse qui est ici compétente. Il faut approuver l'analyse puisque l'article 35 de cette Convention du 3 juillet 1975 dispose que "les droits éventuels de l'institution débitrice à l'encontre du tiers tenu à la réparation du dommage sont réglés de la manière suivante : a) lorsque l'institution débitrice est subrogée, en vertu de la législation qu'elle applique, dans les droits que le bénéficiaire détient à l'égard du tiers, cette subrogation est reconnue par l'autre Etat contractant ; b) Lorsque l'institution débitrice a un droit direct à l'égard du tiers, l'autre Etat contractant reconnaît ce droit. Dans l'exercice de cette subrogation ou de ce droit direct, l'organisme assureur du premier Etat est assimilé à l'institution nationale correspondante". Or, c'est ici sur le fondement du droit suisse que l'organisme de Sécurité sociale et l'assureur suisses sont intervenus pour indemniser la victime. C'est donc sur ce même fondement qu'ils exerceront cette action récursoire.

Reste à déterminer, à l'intérieur de l'ordre juridique suisse ainsi désigné compétent, la loi substantielle compétente. La cour d'appel a considéré que c'est la loi fédérale sur l'assurance-accidents du 20 mars 1981 qui devait ici s'appliquer. La Cour de cassation fait grief aux juges du fond de ne pas s'être expliqués sur le choix de cette loi, alors que toutes les parties avaient invoqué une autre loi suisse, la loi fédérale suisse du 2 avril 1908 sur le contrat d'assurance. D'où sa censure pour manque de base légale. Il y a donc confusion éventuelle entre deux règles du droit suisse, l'une procédant du droit de la Sécurité sociale et l'autre du droit des assurances. En somme, c'est un peu comme si, sur le fondement du droit français, il était reproché de procéder à une confusion entre les articles L. 376-1 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L3414HWD) et L. 121-12 du Code des assurances (N° Lexbase : L0088AAI).

Il nous semble que, dans la mesure où il est question de subrogation par un organisme de Sécurité sociale et par un assureur, une application distributive de deux lois n'est pas à exclure ! En outre, dans la mesure où il serait question d'une action subrogatoire concernant à la fois des prestations "obligatoires" au sens du droit suisse et d'autres "complémentaires" résultant d'une assurance privée, l'application distributive de deux textes n'aurait, ici encore, rien de surprenant. Les juges du fond n'avaient, visiblement, entendu ouvrir de recours que pour les prestations "obligatoires"...

Cette référence à la "loi invoquée par toutes les parties" fait immédiatement songer à l'accord procédural, dont on sait l'importance au stade de l'applicabilité de la règle de conflit lorsque, s'agissant de droits disponibles, comme le sont les droits en matière de responsabilité civile, les parties s'entendent pour désigner une loi différente de celle désignée par notre règle de conflit de lois. Toutefois, la question à examiner ne se situe pas ici au stade de l'applicabilité de la règle de conflit, mais bien plutôt au stade de son application. Or, on sait avec certitude que, depuis deux arrêts du 28 juin 2005 (17) figurant au Rapport annuel, la Cour de cassation a éteint la divergence entre ses première chambre civile et Chambre commerciale en positionnant nettement la recherche de la teneur de la loi étrangère comme relevant de l'office des juges du fond, comme un devoir imposé en toute matière, sans qu'il faille ici distinguer selon la nature disponible ou indisponible des droits en présence, tandis que, en amont, au stade de l'applicabilité de la règle de conflit, ce critère demeure pour distinguer selon que le juge "peut" (droits disponibles) ou "doit" (droits indisponibles) relever d'office la loi étrangère désignée par notre règle de conflit de lois alors que les parties se seraient abstenues de le faire. Dans son Rapport annuel, la Cour de cassation a précisé que, s'agissant de la preuve de la teneur du droit étranger compétent, "le juge doit s'assurer du concours des parties (productions de certificats de coutume ou autre preuve) ou en rechercher la teneur, même d'office, par son action personnelle [...] L'établissement du droit étranger relève désormais de son office. Il ne peut s'y soustraire que s'il établit par des motifs précis et circonstanciés que cette recherche est impossible ou n'a pas permis de prouver le contenu du droit en cause. Enfin, lorsqu'il déclare un droit étranger applicable, l'application qu'il en fait, quelle qu'en soit la source, légale ou jurisprudentielle, échappe, sauf dénaturation, au contrôle de la Cour de cassation" et elle qualifie "d'aménagement" "la notion d'accord procédural, en matière de droits disponibles, [défini comme] l'accord résultant ou déduit des conclusions des parties invoquant une loi autre que celle désignée par un traité, par le contrat ou par la règle de conflit".

Est-ce à dire qu'un tel accord procédural s'impose y compris au stade de la teneur de la loi étrangère ? Il faut l'admettre par un raisonnement a fortiori, car si cette volonté concordante est apte à écarter la loi normalement compétente selon notre règle de conflit de lois au profit d'une autre au stade de la désignation du droit compétent, cela doit valoir a fortiori, en aval, quant au choix, "interne" au système juridique compétent (ici suisse), de la norme substantielle à appliquer au litige. Il nous semble donc logique de tenir compte d'un tel accord procédural, sauf à constater qu'il procèderait d'une dénaturation du droit étranger compétent. D'ailleurs la formule employée par la Cour de cassation dans l'arrêt examiné, selon laquelle "en se déterminant [...] sans s'expliquer sur la loi (LLA) dont elle faisait application alors que toutes les parties avaient invoqué la loi fédérale suisse du 2 avril 1908 sur le contrat d'assurance (LCA) applicable au litige en vertu de la Convention franco-suisse de Sécurité sociale du 3 juillet 1975, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard du texte susvisé", si elle invite à tenir compte de l'accord procédural, ne semble pas fermer toute possibilité d'appliquer cette loi suisse (la LLA de 1981) différente de celle retenue de manière concordante par toutes les parties dans leurs écritures (la LCA de 1908). Mais cette "mise à l'écart" de la loi désignée par les parties, cette non-prise en considération de l'accord procédural, doit faire l'objet "d'explications", bref être dûment motivée !

Une seule "explication" indiscutable pourrait conduire à écarter un tel accord procédural : l'hypothèse où la loi étrangère (ici suisse) visée par les juges du fond constituerait une loi de police étrangère, auquel cas elle serait préférée à l'autre loi de cet état étranger visée par les parties. Mais rien n'indique qu'une telle qualification soit ici à retenir. En outre, elle est sans doute superflue dans le contexte d'une convention bilatérale qui impose une reconnaissance de plein droit de la subrogation dans l'autre Etat (cf. art. 35 précité supra).

On s'interrogera sur le sens de l'expression "toutes les parties" employée dans l'arrêt. Faute d'avoir l'intégralité des écritures, on supposera que l'expression désigne tant l'organisme de Sécurité sociale et l'assureur suisses, "demandeurs à la subrogation", que l'assureur français du tiers responsable de l'accident, "défendeur à la subrogation". S'il en est ainsi, l'accord procédural pourra produire ses effets. Si l'expression était utilisée pour ne désigner que les deux parties ayant vocation à agir par voie de subrogation, qui s'opposaient ici s'agissant de la détermination de l'assiette de ce recours, l'accord procédural pourrait n'être pas efficace, puisque, n'étant pas opposable au "troisième" (18) (l'assureur français de l'auteur du dommage) qui se fonderait, pour sa part, sur une "loi suisse" distincte de celle invoquée par les co-demandeurs suisses.

Il faut laisser à la cour de renvoi le soin de dénouer ces éventuelles difficultés de droit suisse ! (en rappelant que l'impossibilité de faire la clarté sur les dispositions du droit suisse en cette matière autoriserait la cour de renvoi à utiliser le droit français, à titre subsidiaire). Pour l'heure, on retiendra essentiellement de cet arrêt du 20 février 2008 que, même s'il se fonde sur une convention bilatérale, il confirme implicitement la jurisprudence antérieure qui, sur ce terrain, n'est guère fournie. La doctrine avait remarqué un arrêt de la cour d'appel de Versailles du 30 janvier 1989 (19) ayant jugé que le recours des organismes de Sécurité sociale ou des assureurs se fondent sur la loi locale en vertu de laquelle ils ont indemnisé la victime (dans cette espèce il s'agissait de la Sécurité sociale française, donc de la compétence de l'article L. 376-1 du Code de la Sécurité sociale), tandis que l'assiette du recours est déterminée par la loi du lieu de survenance de l'accident en tant que lex loci delicti (et non en application de la Convention de 1971, inapplicable aux actions récursoires comme on l'a déjà souligné). De son côté, la cour d'appel de Paris, dans un arrêt du 13 mai 1998 (20), a partagé cette analyse, retenant, à propos de l'action subrogatoire d'un assureur liechtensteinois (il s'agissait déjà de Winthertur !) que "son action subrogatoire, aux fins de recouvrement des rentes qu'elle doit payer à ce titre aux ayants droit de la victime d'un accident de la circulation, n'est pas soumise aux dispositions de la Convention de La Haye du 4 mai 1971, en vertu de l'art. 2-6 de celle-ci ; Cette action est régie par les dispositions de l'institution pour le fonctionnement de laquelle s'opère l'action subrogatoire ; Si, en effet, le mode et l'étendue de la réparation d'un dommage sont assujettis à la loi du lieu où celui-ci a été occasionné [en l'occurrence la France, donc la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 N° Lexbase : L7887AG9], l'action subrogatoire, indépendante du statut de l'acte dommageable, obéit en revanche à sa loi propre, savoir celle qui régit le paiement opérant subrogation [en l'espèce la loi du Liechtenstein] à laquelle la loi du lieu du fait dommageable reste étrangère".

Ces solutions seront-elles amenées à évoluer ? Si on délaisse le cas de la Suisse et qu'on se tourne vers les problèmes assurantiels liés à des accidents automobiles intra-communautaires, on signalera que, si dans le Règlement "Rome II" du 11 juillet 2007 (Règlement (CE) n° 864/2007 du Parlement européen et du Conseil, sur la loi applicable aux obligations non contractuelles N° Lexbase : L0928HYZ), les autorités communautaires n'ont pas adopté de dispositions relatives aux accidents internationaux, ce règlement s'accompagne, in fine, d'une déclaration intitulée "Déclaration de la commission sur les accidents de la route" aux termes de laquelle : "Consciente de la disparité des pratiques suivies dans les Etats membres en ce qui concerne le niveau des indemnisations accordées aux victimes d'accidents de la route, la Commission est disposée à examiner les problèmes spécifiques que rencontrent les résidents de l'UE impliqués dans des accidents de la route dans un Etat membre autre que celui où ils résident habituellement. A cet effet, elle mettra à la disposition du Parlement européen et du Conseil, avant la fin de l'année 2008, une étude portant sur toutes les possibilités, notamment en matière d'assurance, d'améliorer la situation des victimes transfrontalières; cette étude préparerait la voie à un livre vert". Dans l'attente d'un futur instrument, la doctrine demeurera vigilante...

Sébastien Beaugendre, Maître de conférences à la Faculté de droit de Nantes, Membre de l'IRDP (institut de recherche en droit privé)


(1) V. Nicolas, Essai d'une nouvelle analyse du contrat d'assurance, Thèse dacty., 1994, LGDJ, 1996, préf. Jacques Héron, spéc. n° 452 et s., p. 196 et s.. Le titre consacré à cette partie des contrats d'assurance est ainsi intitulé : La structure complexe d'assurance (...).
(2) L. Mayaux in Traité de droit des assurances : les assurances de personnes, Tome IV, LGDJ, 2007, sous la direction de J. Bigot, préf. G. Durry, spéc. n° 771 et s., p. 619 et s..
(3) Note sous arrêt, JCP éd. G, n° 13 du 26 mars 2008, note D. Noguero.
(4) P. Sargos, Le droit au maintien des prestations et des garanties dans l'assurance de prévoyance collective, JCP éd. G, 2000, I, 363.
(5) Cass. civ. 1, 3 février 1993, n° 90-10.404, Compagnie Cigna France c/ Compagnie La Concorde et autres (N° Lexbase : A4985AH4), RGAT, 1993, p. 317.
(6) C. assur., art. L. 113-1 (N° Lexbase : L0060AAH) : "Les pertes et dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l'assuré sont à la charge de l'assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police".
(7) Cass. civ. 1, 20 janvier 1993, n° 88-10.141, Société Scotren c/ Caisse d'assurance mutuelle du Bâtiment (N° Lexbase : A3399AHD).
(8) Cass. civ. 1, 4 juillet 2000, n° 98-10.548 (N° Lexbase : A5412AWD), Cass. civ. 1, 10 décembre 1996, n° 94-21.477 (N° Lexbase : A9787CGL), Cass. civ. 1, 20 juillet 1994, n° 92-16.078, M. Kohn c/ M. Guitline et autres (N° Lexbase : A7063AB9), RGAT, 1994, p. 1115, note J. Kullmann.
(9) Cass. civ. 2, 21 décembre 2006, n° 06-13.525 (N° Lexbase : A1196DTH) ; Cass. civ. 2, 5 juillet 2006, n° 04-10.273, Mme Raphaëlle Buffoli, veuve Utard, FS-P+B (N° Lexbase : A3619DQ4) ; Cass. civ. 2, 18 janvier 2006, n° 04-17.279, M. Gérard Cottin c/ Caisse nationale de prévoyance (CNP 75), FS-P+B (N° Lexbase : A4025DMZ) ; Cass. civ. 1, 10 décembre 1996, n° 94-21.477, Mlle Sacuto et autre c/ Compagnie AXA (N° Lexbase : A9787CGL) ; Cass. civ. 1, 20 juillet 1994, n° 92-16.078, M. Kohn c/ M. Guitline et autres (N° Lexbase : A7063AB9), RGAT, 1994, p. 1115, note J. Kullmann.
(10) Cass. civ. 1, 14 mai 1999, n° 97-16.924, M. X... c/ Société La Baloise (N° Lexbase : A0313CGP).
(11) Sur les recours des caisses de Sécurité sociale, cf., notamment, J.-P. Chauchard, Droit de la sécurité sociale, LGDJ, 2005, n° 193 et s..
(12) Pour une analyse détaillée, cf. V. Heuzé in Traité de droit des assurances, sous la direction de J. Bigot, T. 3, Le contrat d'assurance, LGDJ, 2002, spéc. n° 2011 et s..
(13) Dans l'attente de la publication du Règlement, cf. Position du Parlement européen arrêtée en première lecture le 29 novembre 2007 en vue de l'adoption du Règlement (CE) du Parlement européen et du Conseil sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I), spécialement son article 7 consacré au contrat d'assurance.
(14) L'AELE comprend : l'Islande, le Liechtenstein, la Norvège et la Suisse.
(15) Consultable sur le site : http://www.admin.ch/.
(16) Publiée par le décret n° 76-1098 du 24 novembre 1976.
(17) Cass. civ. 1, 28 juin 2005, n° 00-15.734, M. A. c/ M. B., FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A8389DIK), Bull. civ. I, n° 289 et Cass. com., 28 juin 2005, n° 02-14.686, FS-P+B+I+R N° Lexbase : A8402DIZ), Bull civ. IV, n° 138.
(18) En application d'un arrêt (Cass. civ. 1, 22 février 2005, n° 02-17.587, Mutuelle assurance des instituteurs de France (MAIF) c/ M. Armand Asnar, FS-P+B N° Lexbase : A8569DGH, RCDIP, 2005, p. 304, note P. Lagarde) qui écarte l'accord procédural conclu entre les victimes françaises et l'auteur français du dommage créé par un accident de la circulation au Guatémala, afin de désigner compétente la loi française du 5 juillet 1985 plutôt que la loi guatémaltèque compétente en tant que loi du lieu de l'accident en vertu de l'article 3 de la Convention de La Haye du 4 mai 1971, dès lors que l'assureur français de l'auteur du dommage revendiquait l'application de la loi guatémaltèque. Dans un procès "à trois", l'accord entre deux n'y suffit pas !
(19) CA Versailles, 30 janvier 1989, D., 1989, somm. comm., p. 259, obs. B. Audit.
(20) CA Paris, 17ème ch., sect. A, 13 mai 1998, D.,1998, p. 200.

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Responsabilité

[Jurisprudence] Responsabilité de l'Etat pour faute lourde ou déni de justice et réparation du préjudice subi par ricochet

Réf. : Cass. civ. 1, 16 avril 2008, 2 arrêts, n° 07-16.286, Mme Catherine Dalmais, épouse Jacquiot, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A9367D73) et n° 07-16.504, M. Jean-Claude Perrin, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A9368D74)

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par David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit

Le 07 Octobre 2010

Aux termes de l'ancien article L. 781-1 du Code de l'organisation judiciaire (N° Lexbase : L3351AM3), devenu L. 141-1 du même code (N° Lexbase : L7823HN3) à la faveur de la réforme réalisée par l'ordonnance n° 2006-673 du 8 juin 2006 (N° Lexbase : L9328HIC) qui en a refondu la partie législative, "l'Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du Service public" (al. 1er) et, "sauf dispositions particulières, cette responsabilité n'est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice" (al. 2). Le régime légal a un caractère impératif, la jurisprudence ayant, en effet, consacré l'impossibilité, pour un usager du service public de la justice, d'engager la responsabilité de l'Etat sur un autre fondement que le fondement légal (CA Paris, 8 octobre 2002, Les annonces de la Seine, 19 décembre 2002, p. 12). Toujours est-il que la mise en oeuvre du texte a suscité un certain nombre d'hésitations, non seulement quant à la détermination de l'auteur de la faute, mais aussi quant à la qualification de la faute lourde ou du déni de justice. En outre, on n'ignore pas que la compatibilité du régime légal aux dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales a, elle aussi, été discutée, jusqu'à ce que, en définitive, l'Assemblée plénière de la Cour de cassation décide que l'existence d'un régime de responsabilité propre au fonctionnement défectueux du service public de la justice, qui ne prive pas le justiciable d'accès au juge, n'est pas contradictoire avec les exigences d'un procès équitable au sens de l'article 6 § 1 de la Convention (N° Lexbase : L7558AIR) (Ass. plén., 23 février 2001, n° 99-16.165, Consorts Bolle-Laroche c/ Agent judiciaire du Trésor N° Lexbase : A0716ATP, Bull. civ. n° 5 ; JCP éd. G, 2001, II, 10583, note Meruret ; D., 2001, p. 1752, note Debbash). Mais là ne s'épuisent pas toutes les difficultés d'application du dispositif légal, comme en témoignent, au demeurant, deux arrêts rendus par la première chambre civile de la Cour de cassation le 16 avril dernier, ayant fait l'objet d'une diffusion maximale (à paraître au Bulletin officiel des arrêts civils, en ligne sur le site internet de la Cour et promis aux honneurs de son prochain Rapport annuel).

Dans la première affaire, un individu placé en détention provisoire s'était suicidé. Sa veuve et ses parents avaient assigné l'Etat en réparation de leur préjudice causé par les défaillances du service public de la justice. Or, les juges du fond, qui avaient retenu l'existence d'une faute lourde du service public de la justice, avaient certes admis le principe de la réparation du préjudice des demandeurs en qualité d'héritiers du défunt, mais avaient déclaré irrecevables leurs demandes d'indemnisation en tant que victimes par ricochet. Autrement dit, ils avaient refusé d'engager la responsabilité de l'Etat afin de le condamner à réparer leur préjudice personnel, et non plus leur préjudice successoral, et ce aux motifs que les demandeurs n'étaient pas eux-mêmes usagers du service public de la justice.

Dans la seconde affaire, les données du litige, bien qu'un peu différentes, posaient, en réalité, exactement la même question : un individu avait été mis en examen du chef de complicité de vol à main armée, placé en détention provisoire, puis libéré sous contrôle judiciaire et, finalement, acquitté par un arrêt de cour d'assise. Ses parents avaient, là encore, assigné l'Etat en réparation de leur préjudice causé par les défaillances du service public et, comme dans la première affaire, les juges du fond avaient déclaré irrecevables leur demande en réparation du préjudice personnel qui leur avait été causé, les intéressés n'étant pas partie à la procédure diligentée contre leur fils, de telle sorte "qu'ils [n'avaient] pas souffert personnellement d'un fonctionnement défectueux de la justice".

Dans les deux espèces, la décision des juges du fond est cassée, sous le visa de l'article L. 781-1 du Code de l'organisation judiciaire, devenu L. 141-1 du même code. La Haute juridiction énonce, en effet, très nettement, dans un attendu de principe, "qu'il résulte de ce texte que l'Etat est tenu de réparer le dommage personnel causé aux victimes par ricochet par le fonctionnement défectueux du service public de la justice lorsque cette responsabilité est engagée par une faute lourde ou un déni de justice", et relève, dans les deux affaires, que les demandeurs "invoquaient un préjudice par ricochet causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice", si bien qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel avait violé le texte susvisé.

Ces arrêts méritent d'être approuvés en ce qu'ils sont conformes à la notion même de préjudice par ricochet et à l'appréciation qu'en fait généralement la jurisprudence conduisant, dans l'ensemble, à des solutions libérales. Le principe est, en effet, que toute personne qui prouve avoir souffert d'un dommage personnel par contrecoup de celui qui a frappé la victime initiale (ou directe ou immédiate) peut en obtenir réparation. Parmi de très nombreux exemples, à peine est-il ici utile de redire que, contrairement à la Chambre criminelle, la première chambre civile de la Cour de cassation avait, un temps, refusé d'admettre la réparation du dommage moral souffert par la concubine du fait du décès de son concubin, jusqu'à ce qu'un arrêt rendu en chambre mixte consacre, du moins lorsque le concubinage est stable, la solution de la Chambre criminelle et, donc, admette le droit à réparation (Cass. mixte, 27 février 1970, n° 68-10.276, Dame Gaudras c/ Dangereux N° Lexbase : A2247AZA, JCP éd. G, 1970, II, 16305, concl. Lindon, note Parlange).

Surtout, les arrêts du 16 avril dernier confirment l'autonomie du droit à réparation du dommage par ricochet par rapport au droit de la victime immédiate. On comprend, dès lors, qu'il importait peu que les victimes par ricochet n'aient pas, elles-mêmes, eu la qualité d'usagers du service public de la justice ou qu'elles n'aient pas personnellement souffert d'un fonctionnement défectueux du service public en question : seul devait, en effet, compter le fait que, en tant que proches, elles avaient souffert d'un préjudice propre par contrecoup du préjudice souffert par la victime immédiate qui méritait, en tant que tel et pour cette seule raison, réparation.

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