La lettre juridique n°285 du 13 décembre 2007

La lettre juridique - Édition n°285

Éditorial

S.A.S. ou le roman de la liberté statutaire

Lecture: 2 min

N3981BDS

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction

Le 27 Mars 2014


Qu'on se le dise, la société par actions simplifiée (SAS) a beau constituer, aux yeux des affairistes, le temple de la liberté contractuelle en matière de droit des sociétés, il n'en demeure pas moins qu'elle est soumise, pour bien des aspects, au droit commun, mais plus encore, aux droits fondamentaux. En rappelant que, si les statuts d'une société par actions simplifiée peuvent, dans les conditions qu'ils déterminent, prévoir qu'un associé peut être tenu de céder ses actions, l'article L. 227-16 du Code de commerce qui permet cette clause d'exclusion, n'autorise pas les statuts, lorsqu'ils subordonnent cette mesure à une décision collective des associés, à priver l'associé dont l'exclusion est proposée de son droit de participer à cette décision et de voter sur la proposition, la Cour de cassation ne vient-elle pas consacrer le droit de vote conféré à tout porteur de parts sociales, et par extension, le droit de propriété de tout ou partie du capital conféré à ce même porteur ?

Et Jean-Baptiste Lenhof, Maître de conférence à l'ENS de Cachan, de revenir, dans sa chronique publiée cette semaine, sur cette décision d'importance, rendue sous un visa des plus instructifs : l'article 1844, alinéa 1er, du Code civil, qui dispose que tout associé a le droit de participer aux décisions collectives et de voter, les statuts ne pouvant déroger à ces dispositions que dans les cas prévus par la loi. Ainsi, les statuts peuvent prévoir des catégories d'actions différentes, avec un ou plusieurs droits de vote, avec un dividende plus ou moins prioritaire, voire des titres alternatifs sous forme de certificat d'investissement, mais seulement dans des cas expressément limités, la suppression de tout droit vote. En effet, la propriété confère à son porteur, avec quelques aménagements possibles, un droit de vote, un droit au dividende et un droit à l'information sur la société : tels sont les fondamentaux de l'affectio societatis et de la vocation lucrative associés à la société commerciale. Un seul élément manque et c'est la nature même de la société, voire le statut même de "société", qui s'en trouvent profondément altérés.

Certes au travers de la SAS, un associé peut disposer de prérogatives indépendantes de sa part de capital. C'est la révolution opérée en 1994, par l'introduction de la SAS en France, en concurrence de la société anonyme, et consacrée en 1999, avec l'ouverture de la SAS aux personnes physiques. La responsabilité du pouvoir peut être limitée au management ; les statuts peuvent intégrer des clauses qui, jusqu'auparavant, relevaient des pactes d'actionnaires, mais sont, désormais, rédigées de manière beaucoup plus étendues ; enfin, le pouvoir peut être librement réparti, les décisions étant adoptées selon les règles contractuelles fixées par les statuts. Sur ce dernier point, la liberté contractuelle est telle, que les associés peuvent ainsi se délester de leurs propres pouvoirs, au travers des statuts, pour ne confier qu'à un seul l'essentiel du pouvoir, et pour ainsi convenir, à l'inverse d'une société anonyme au fonctionnement profondément "démocratique", à une véritable gouvernance "dictatoriale".

C'est contre la tendance de ces clauses d'exclusion comprenant bien souvent comme corollaire l'exclusion de l'associé concerné au vote de son exclusion capitalistique, que la Haute juridiction se lève, pour consacrer et protéger, contre la volonté des associés eux-mêmes, leurs droits de propriété. Car si Rousseau écrivait dans Du contrat social que "l'impulsion du seul appétit est esclavage, l'obéissance à la loi qu'on s'est prescrite est liberté", les clauses d'exclusion dans les SAS peuvent aisément aboutir à ce que "la loi qu'on s'est prescrite" devienne, en fait, l'esclavage tant honnie.

newsid:303981

Responsabilité

[Le point sur...] Le dommage corporel (seconde partie)

Lecture: 5 min

N3878BDY

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par David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit

Le 01 Novembre 2013

Dans le prolongement d'une conférence sur "le dommage corporel" donnée à Montargis le 26 novembre dernier, l'auteur se propose de revenir sur deux questions techniques ayant fait l'objet d'une réforme récente : l'assiette du recours des tiers payeurs d'abord (voir Le dommage corporel (première partie), Lexbase Hebdo n° 284 du 6 décembre 2007 - édition privée générale N° Lexbase : N3594BDH), l'incidence des partages de responsabilité sur l'assiette du recours, ensuite (II) (cf. l’Ouvrage "Droit de la responsabilité" N° Lexbase : E5786ETH). II - L'incidence du partage de responsabilité sur l'exercice du recours subrogatoire exercé par les tiers payeurs
  • Données du problème et droit antérieur à la réforme du 21 décembre 2006

Lorsque la victime, à raison de sa faute, se voit attribuer une part de responsabilité dans le dommage dont elle demande réparation, le partage de responsabilité qui en résulte doit-il être opposé aux tiers payeurs qui exercent leur recours subrogatoire ?

Jusqu'à une époque récente, et même si la victime n'était pas entièrement indemnisée à la mesure de ses droits (compte tenu précisément du partage de responsabilité), les tiers payeurs pouvaient récupérer l'intégralité de ce qu'ils avaient versé dans la limite de la dette du responsable, la victime ne recevant que le reste, c'est-à-dire la différence entre la part d'indemnité à laquelle elle avait droit et les prestations perçues. Autrement dit, le système retenu par le droit positif était celui du recours intégral à concurrence des droits de la victime. S'ils étaient plusieurs, ils se partageaient la part d'indemnité due par le responsable en proportion de leurs créances respectives. La solution ressortait des textes prévoyant tous, en des termes similaires, le remboursement des prestations sociales "à due concurrence" ou "dans la limite" de la part d'indemnité mise à la charge du responsable (CSS, art. L. 376-1, al. 3 N° Lexbase : L3414HWD, et L. 454-1, al. 3 N° Lexbase : L9367HEN ; L. 5 juillet 1985, art. 31 N° Lexbase : L4304AHU).

  • Réforme du 21 décembre 2006 (loi n° 2006-1640, de financement de la Sécurité sociale pour 2007 N° Lexbase : L8098HT4)

Cette solution a été remise en cause à la faveur de la loi du 21 décembre 2006, de financement de la Sécurité sociale pour 2007. Reprenant presque mot pour mot une disposition figurant dans le rapport "Lambert-Faivre" et dans le rapport de la Cour de cassation pour 2004, les textes énoncent à présent que, "conformément à l'article 1252 du Code civil (N° Lexbase : L1369ABC), la subrogation ne peut nuire à la victime subrogeante, créancière de l'indemnisation, lorsqu'elle n'a été prise en charge que partiellement par les prestations sociales ; en ce cas, l'assuré social peut exercer ses droits contre le responsable, par préférence à la caisse subrogée" (CSS, art. L. 376-1, al. 4 et L. 5 juillet 1985, art. 31, al. 2). La mise en oeuvre de la règle nouvelle, qui consiste donc à donner à la victime une priorité sur les tiers payeurs lorsque leurs prestations ne l'ont pas intégralement indemnisée pour tel ou tel poste de préjudice, est concevable selon deux procédés qui sont envisagés dans le rapport "Lambert-Faivre".

  • Mise en oeuvre de la réforme

Le premier système, système du recours proportionnel ou dit de l'opposabilité du partage de responsabilité aux tiers payeurs, consiste à appliquer aux prestations qui sont l'objet du recours la proportion de responsabilité imputable au responsable. Ce système paraît tout de même critiquable en ce qu'il lèse les tiers payeurs en même temps qu'il avantage illégitimement la victime. Il n'y a, en effet, aucune raison que les tiers payeurs ne puissent récupérer la totalité des prestations versées tant qu'elles n'excèdent pas les droits de la victime et par conséquent la dette du responsable. Ces prestations ont, dans leur totalité, contribué à l'indemnisation de la victime et il serait illogique de n'en retenir qu'une partie correspondant à la part de responsabilité du tiers responsable. Cela priverait les tiers payeurs de l'intégralité des droits qu'ils tiennent de l'action subrogatoire et avantagerait la victime dans la mesure où les prestations imputables seraient réduites à la fraction correspondant à la part de responsabilité du responsable.

Un exemple chiffré va permettre de le comprendre.

Soit un préjudice global soumis aux recours d'un montant total de 1 000, une part de responsabilité incombant à la victime de 50 % et des prestations sociales versées à hauteur de 600. Si on applique le système du recours proportionnel, les tiers payeurs ne pourront récupérer que 50 % des prestations servies, soit 300. Ces 300 s'imputeront sur les droits de la victime (qui sont de 50 % de 1 000, soit 500), de sorte que la victime pourra encore réclamer 200 au responsable et à son assureur au titre d'une action en complément d'indemnisation. Au total, elle aura perçu 800 (600 de prestations et 200 d'indemnité complémentaire), c'est-à-dire 300 de plus que ce à quoi elle a droit. Ce système est injuste puisqu'il avantage la victime au détriment des tiers payeurs.

Le second procédé s'inspire, lui, de la jurisprudence dominante en droit des assurances qui applique l'article 1252 du Code civil à la subrogation de l'assureur de dommage. A suivre ce procédé, la loi autoriserait la victime à réclamer au responsable le complément d'indemnisation de son préjudice dans la limite de ses droits ; quant au tiers payeur, il ne récupérerait que la différence entre la dette du responsable et ce que celui-ci a payé à la victime. Dans l'exemple précédent, la victime aurait droit, au titre de son action complémentaire contre le responsable, à 400 (1 000 - 600) et le tiers payeur ne pourrait récupérer que 100 (500 - 400). Cette solution est très favorable -encore plus favorable que la précédente- à la victime qui recevrait au total 600 + 400, soit 1 000. C'est probablement cette interprétation, pourtant bien discutable, qui devrait être retenue en jurisprudence, d'autant qu'elle est privilégiée par le rapport "Lambert-Faivre" qui, faut-il même le rappeler, a constitué manifestement la source d'inspiration du législateur.

  • Appréciations

Un avis du Conseil d'Etat du 4 juin 2007 le laisse, en tout état de cause, penser (CE Contentieux, 4 juin 2007, n° 303422, M. Lagier N° Lexbase : A5708DWC) : prenant, en effet, parti sur l'interprétation de la priorité accordée par la loi aux victimes, il est proposé de permettre à la victime partiellement indemnisée par les prestations sociales d'agir contre le tiers responsable afin de compléter son indemnisation jusqu'à la réparation intégrale de son dommage, et ce sans tenir compte d'un éventuel partage de responsabilité. Il est, ainsi, énoncé que "l'indemnité mise à la charge du tiers, qui correspond à une partie des conséquences dommageables de l'accident, doit être allouée à la victime tant que le total des prestations dont elle a bénéficié [...] ne répare pas l'intégralité du préjudice qu'elle a subi". Comme le relève, justement nous semble-t-il, M. le Professeur Jourdain, cette solution aboutira, pratiquement, à faire disparaître dans biens des cas l'incidence du partage de responsabilité sur les droits de la victime d'un dommage corporel, autrement dit la réduction de son indemnisation du fait du partage de responsabilité. Seuls les tiers payeurs subiront les incidences d'un tel partage : "étrange retournement de situation où, au sacrifice des droits des victimes qui résultait de l'inclusion dans l'assiette des recours des indemnités réparant des préjudices que les prestations ne prenaient pas en charge, succède une surprenant spoliation des droits des tiers payeurs" (1).


(1) RTDCiv. 2007, p. 577, obs. P. Jourdain.

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Santé

[Le point sur...] Le dossier médical personnel : vers une nouvelle coordination des soins ?

Lecture: 6 min

N3912BDA

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par Soliman Le Bigot et Peggy Grivel, avocats à la Cour

Le 07 Octobre 2010

Face à l'inextricable augmentation du déficit de la branche "maladie" de la Sécurité sociale, plusieurs réformes ont été entreprises. Dans un premier temps, la loi n° 2004-810 du 13 août 2004, relative à l'assurance maladie (N° Lexbase : L0836GT7), a créé le parcours de soins coordonnés visant à rationaliser les différentes interventions des professionnels de santé pour un même assuré. Dans un second temps, cette même loi a institué un dossier médical personnel (DMP). Ce dossier a pour principal objectif de présenter l'historique médical de chaque patient et de favoriser la coordination des soins : il assure en conséquence une véritable traçabilité du parcours de soins coordonnés. Si ce nouveau dispositif a été accueilli à son origine très favorablement, il pose, néanmoins, de nombreux problèmes : problèmes techniques, déontologiques mais également humains qui tendent à retarder considérablement sa mise en place. Le DMP constitue en quelque sorte un porte-documents contenant six parties :

des données permettant d'identifier son titulaire (nom, prénom, date de naissance, identifiant permettant l'ouverture et la tenue du DMP, identification du médecin traitant) ;
des données générales (antécédents médicaux et chirurgicaux, historique des consultations médicales et chirurgicales, des vaccinations, des allergies, etc.) ;
des données de soins (résultats d'analyses, comptes rendus médicaux, dispensations médicamenteuses, etc.) ;
des données de prévention (facteurs de risques individuels, comptes rendus d'actes diagnostiques à visée préventive, calendrier des vaccinations et des actes de prévention, etc.) ;
des données images (radios, scanners, IRM, échographies, etc.) ;
un espace d'expression personnelle permettant de porter des informations personnelles à la connaissance des professionnels de santé (désignation de la personne de confiance, par ex.).

Les éléments du dossier pharmaceutique (DP) concernant les médicaments délivrés sont, également, mentionnés dans le DMP.

  • Qui a accès au DMP ?

Les professionnels de santé ainsi que les assurés sociaux ont seuls accès au DMP.

Les professionnels de santé ont accès au DMP sous réserve que le patient en ait autorisé l'accès et uniquement à l'occasion des actes de diagnostic, de soins ou de prévention et des consultations qu'ils prodiguent.

Le niveau de prise en charge des actes et prestations de soins par l'assurance maladie sera alors subordonné à cette autorisation que donne le patient, à chaque consultation ou hospitalisation, aux professionnels de santé auxquels il a recours (1). Pas d'autorisation par le patient et le niveau de son remboursement sera moindre.

Par ailleurs, afin de prévenir toute dérive quant à l'accès au DMP, il a été expressément spécifié qu'il n'est pas accessible :

- lors de la conclusion d'un contrat relatif à une protection complémentaire en matière de couverture des frais de santé et à l'occasion de la conclusion de tout autre contrat exigeant l'évaluation de l'état de santé (2) ;
- dans le cadre de la médecine du travail (3), de sorte que le médecin du travail ne pourra pas, non plus, le compléter.

Le DPM n'est, en outre, pas cessible à titre onéreux (4).

Chaque patient maîtrise, également, l'accès de son DMP et en contrôle le contenu. Il possède un droit de masquage total des données le concernant. A ce jour, ce droit au masquage a été prévu par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 (5), il devra être intégré au Code de la Sécurité sociale et ses conditions d'application seront prises par décret. Ce droit au masquage de données médicales personnelles est un droit fondamental puisque les données médicales sont strictement personnelles et protégées. Néanmoins, ce droit ne risque-t-il pas de poser un réel problème dans le colloque singulier entre le médecin et son patient ? Où se trouverait l'intérêt du DMP s'il ne transmettait pas un état réel et exact des données de santé ? Quid de la responsabilité du médecin, dont le patient aurait retiré une donnée essentielle de son DMP ? Quid de la responsabilité du patient ayant retiré une information ? Ces responsabilités sont inédites et pourraient conduire à un risque sanitaire particulier.

Il  faudra donc établir avec précision les responsabilités respectives de chaque intervenant sur le DMP c'est pourquoi chaque information reportée dans le DMP sera datée, signée et identifiée.

Le décret encadrant les conditions d'accès aux différentes catégories d'informations figurant au DMP (6) est, en conséquence, très attendu.

En tout état de cause, l'hébergeur du DMP n'a pas accès au contenu des DMP qu'il héberge.

  • Comment accède-t-on au DMP ?

Pour le patient, la clef d'accès du DMP se trouve sur sa carte Vitale (grâce au numéro identifiant national de santé - INS) et son authentification repose sur un code secret librement choisi par lui et sur un mot de passe temporaire généré automatiquement à chaque connexion et qui lui est envoyé par Short Message Service (SMS) ou courriel.

L'accès du DMP par le professionnel de santé se fait par la connexion au portail de l'internet DMP via son logiciel métier "DMP compatible". Il s'identifie grâce à sa carte de professionnel de santé (CPS) et à l'INS de son patient. Il ne peut accéder au DMP de son patient que si ce dernier lui en a autorisé l'accès, lors de la phase d'ouverture du DMP ou au cours d'une consultation, par une simple déclaration. Si le professionnel travaille en établissement, l'accès se fait via le système d'information de l'établissement.

  • Quid de la protection des données de santé ?

Le DMP est constitué de données de santé à caractère personnel (7) dont seuls les professionnels de santé ou les établissements de santé ou la personne concernée peuvent disposer. Par ailleurs, l'hébergement de ces données ne peut avoir lieu qu'avec le consentement exprès de la personne concernée. En outre, les traitements des données de santé à caractère personnel que nécessite cet hébergement doivent être opérés dans le respect des dispositions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés (N° Lexbase : L8794AGS).

Si le Conseil constitutionnel (8) a estimé que le DMP tel que décrit dans la loi, ne menaçait pas le secret médical, il est bien évident qu'aucun système informatique n'est infaillible, le patient pourrait donc voir ses données personnelles médicales divulguées sur l'internet. Or, si la plupart des informations (date de naissance, numéro de Sécurité sociale) ne constituent pas des données sensibles, d'autres sont en revanche théoriquement couvertes par le secret médical telle que l'indication d'une prise en charge à 100 % pour tout assuré soigné pour une affection de longue durée... Quid de la responsabilité du médecin, premier hébergeur de données, qui n'aurait pourtant pas révélé le secret médical mais dont les données de santé de ses patients se retrouveraient sur l'ensemble de l'internet ?

  • Quelles seront les responsabilités du professionnel de santé ?

Dans le DMP, chaque professionnel de santé doit indiquer tous les éléments médicaux ou nécessaires aux soins ou à la prévention de la santé du patient, sous réserve de l'autorisation donnée par le patient d'y accéder et de le compléter. Le rôle du professionnel de santé s'en trouve modifié puisque lui revient un nouveau rôle de quasi-délateur de connivence avec les caisses d'assurance maladie. Un tel rôle ne risque-t-il pas de dénaturer ses relations avec son patient. Est-ce bien là le rôle du praticien ? Ne conviendrait-il pas mieux de responsabiliser les patients ?

Mais face à ce nouveau rôle, le professionnel de santé se trouve lui aussi dans l'obligation d'utiliser le DMP et de l'alimenter. A défaut, son entrée et son maintien dans le processus de conventionnement avec les organismes d'assurance maladie pourraient être remis en cause (9).

Du côté des professionnels de santé, le DMP permettra d'avoir accès aux informations médicales provenant d'autres professionnels de santé assurant, ainsi, une parfaite coordination professionnelle et un suivi optimal des patients.

En améliorant ainsi l'information des différents praticiens qui traitent un même patient, en favorisant une connaissance accrue entre les différents intervenants, un meilleur suivi de chaque patient et en responsabilisant ce dernier, le DMP permettra, à n'en pas douter, une amélioration de la qualité et de l'efficience des soins. En revanche, s'il devait permettre de lutter contre les interactions médicamenteuses qui provoquent chaque année 128 000 hospitalisations, les actes redondants qui coûtent chaque année 1,5 milliard d'euros par an... les "économies à attendre du DMP sont incertaines, et en tout cas lointaines" (10) et son gigantesque budget (1 milliard d'euros) reste loin d'être rentabilisé.

A ce jour, le DMP n'a pas respecté son calendrier du fait, notamment, des risques techniques et juridiques qui l'entourent (11). La phase d'expérimentation, clôturée à la fin 2006, "n'a pas permis de tirer les enseignements opérationnels attendus" et une nouvelle feuille de route devrait être mise en oeuvre de manière pragmatique après une phase de concertation associant les professionnels de santé, les représentants des patients et les industriels (12).

En agissant en concertation et sans urgence, le DMP, ce "Dossier Mal Programmé", devrait alors redevenir l'ambitieux projet de ses origines, pouvant résoudre,  mais pas à lui seul, le déficit chronique de la Sécurité sociale et la coordination des soins.

De plus, le professionnel de santé refusant de reporter dans le DMP les éléments issus de chaque acte ou consultation pourra faire l'objet d'une pénalité prononcée par le directeur de l'organisme local d'assurance maladie (13). En revanche, l'organisme de Sécurité sociale ne peut concurremment recourir au dispositif de pénalité et aux procédures conventionnelles visant à sanctionner la même inobservation des règles par un professionnel de santé.

A terme, le DMP devrait permettre au patient de bénéficier d'un suivi coordonné et d'une sécurité diagnostique et thérapeutique renforcée. Il permettra, également, d'impliquer le patient dans la gestion de son parcours de soins coordonnés et de simplifier sa prise en charge dans le respect du secret médical et de la vie privée. C'est au patient et seulement à lui que revient le droit exclusif de donner, ou non, accès à son DMP aux professionnels de santé, conformément à la volonté établie par le législateur d'instaurer une véritable démocratie sanitaire prenant en compte le droit au secret du patient.


(1) CSS, art. L. 161-36-2 (N° Lexbase : L1358GUT).
(2) CSS, art. L. 161-36-3, al. 2 (N° Lexbase : L3335HWG).
(3) CSS, art. L. 161-36-3, al. 3.
(4) C. santé publ., art. L. 1111-8 (N° Lexbase : L6257HWN).
(5) Voir son article 36.
(6) CSS, art. L.161-36-4 (N° Lexbase : L6299HW9).
(7) C. santé publ., art. L. 1111-8.
(8) Cons. const., 12 août 2004, n° 2004-504 DC (N° Lexbase : A1527DDW).
(9) CSS, art. L. 161-36-2.
(10) Rapport sur le dossier médical personnel de l'IGAS-IGF-CGTI, 8 novembre 2007.
(11) Rapport précité.
(12) Remise au Gouvernement du rapport sur le DMP, 12 novembre 2007.
(13) CSS, art. L. 162-1-14 (N° Lexbase : L3343HWQ).

newsid:303912

Internet - Bulletin d'actualités n° 10

[Panorama] Bulletin d'actualités Clifford Chance - Département Communication Média & Technologies - Novembre 2007

Lecture: 19 min

N3876BDW

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Le 07 Octobre 2010

Tous les mois, Marc d'Haultfoeuille, avocat associé chez Clifford Chance, vous propose de retrouver l'actualité juridique en matière de Communication Média & Technologies. Seront abordés, ce mois ci, l'exclusion du champ d'application de l'article L. 131-5 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3388ADT) de l'utilisation à des fins publicitaires d'oeuvres musicales faisant l'objet d'un contrat de cession du droit d'exploitation ; la reproduction, sans autorisation, d'une oeuvre protégée sur la page de couverture d'un magazine d'information, dépassant le cadre du droit à l'information et constituant un acte de contrefaçon ; l'interconnexion des fichiers nationaux d'informations financières concernant les sociétés cotées en bourse par la mise en place d'un réseau électronique ; les modalités du droit de réponse en ligne ; et, enfin, la condamnation d'un hébergeur à la suite de la violation du droit moral des auteurs d'une oeuvre en raison des conditions de visualisation qu'il offre.

I - Droits d'auteurs

  • Par un arrêt du 14 juin 2007, la première chambre civile de la Cour de cassation refuse d'appliquer l'article L. 131-5 du Code de la propriété intellectuelle à une oeuvre musicale exploitée dans un cadre publicitaire au motif qu'une telle exploitation n'engendre aucun "produit" : Cass. civ. 1, 14 juin 2007, n° 06-15.863, M. Philippe Mallier, F-P+B (N° Lexbase : A7966DWX)

Faits :

Le 28 mai 1996, la société Bouygues Télécom a passé commande auprès de Messieurs X et Y d'une oeuvre musicale originale, moyennant le paiement d'une somme fixe au titre de la création et de la réalisation de l'oeuvre et d'une somme forfaitaire versée par année d'exploitation. Par actes du 18 mars et du 8 avril 2002, Messieurs X et Y ont assigné la société Bouygues Télécom afin d'obtenir une révision de ce forfait annuel, sollicitant une augmentation du montant forfaitaire de 50 000 francs (environ 7 622 euros) à 900 000 euros par année d'exploitation avec une augmentation de 10 % par année d'exploitation supplémentaire.

La cour d'appel de Versailles les a déboutés de leur action en révision par un arrêt du 8 décembre 2005. Selon la cour, la rémunération forfaitaire de la cession des droits sur l'oeuvre musicale à la société Bouygues Télécom ne pouvait être révisée au motif "qu'étant publicitaire, elle ne rapportait aucun produit".

Messieurs X et Y se sont alors pourvus en cassation au motif que l'oeuvre musicale pouvait engendrer des profits indirects car elle participait à la popularité de la société Bouygues Télécom auprès du public et au succès de l'opération publicitaire. A ce titre, ils soutenaient que la situation entrait alors dans le champ d'application de l'article L. 131-5 du Code de propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3388ADT), qui prévoit une révision des conditions de prix d'un contrat de cession d'exploitation d'une oeuvre en cas de préjudice de plus des 7/12èmes dû à une lésion ou à une prévision insuffisante des produits de l'oeuvre.

Décision :

La Cour de cassation rejette le pourvoi formé par Messieurs X et Y.

Elle relève, dans un premier temps, que l'oeuvre musicale n'est utilisée que de façon accessoire par la société Bouygues Télécom en tant qu'identifiant sonore pour son réseau de téléphonie mobile.

Dans un second temps, elle approuve le raisonnement de la cour d'appel selon lequel une telle utilisation de l'oeuvre musicale "n'engendrait aucun produit au profit de la société" Bouygues Télécom et, par conséquent, "le forfait en contrepartie duquel l'oeuvre avait été cédée n'était pas soumis à révision à défaut de remplir les conditions requises par l'article L. 131-5" du Code de la propriété intellectuelle.

Commentaire :

Cette décision tend à exclure du champ d'application de l'article L. 131-5 du Code de la propriété intellectuelle l'utilisation à des fins publicitaires d'oeuvres musicales faisant l'objet d'un contrat de cession du droit d'exploitation.

L'article L. 135-1 dispose, en effet, que "en cas de cession du droit d'exploitation, lorsque l'auteur aura subi un préjudice de plus de sept douzièmes dû à une lésion ou à une prévision insuffisante des produits de l'oeuvre, il pourra provoquer la révision des conditions de prix du contrat".

Cette demande de révision suppose que plusieurs conditions soient réunies.

Tout d'abord, l'oeuvre doit avoir été cédée moyennant une rémunération forfaitaire, ce qui était le cas en l'espèce.

En outre, il faut une lésion ou une prévision insuffisante des produits de l'oeuvre.

Or, en l'espèce, la cour d'appel et la Cour de cassation ont considéré que l'exploitation de l'oeuvre musicale dans un cadre publicitaire ne générait aucun produit puisqu'elle n'était utilisée que de façon accessoire en tant qu'identifiant sonore. Ainsi, l'argumentation de Messieurs X et Y tendant à démontrer que l'exploitation de l'oeuvre musicale engendrait un produit indirect n'a pas été retenue.

Par conséquent, le régime de la révision du prix pour prévision insuffisante exige comme condition sine qua non que le produit de l'oeuvre puisse être quantifié, ce qui semble impossible pour la Cour de cassation et la cour d'appel lorsque l'oeuvre est exploitée de manière accessoire dans une publicité.

Cependant, dans un arrêt du 9 juin 1986, la cour d'appel de Versailles avait jugé que l'action en rescision pour lésion visée à l'article 37 de la loi n° 57-298 du 11 mars 1957 (devenu, C. prop. Intell., art. L. 131-5) n'était pas exclue dans le domaine publicitaire et "qu'il importait de rechercher, par référence aux usages professionnels et en fonction des modalités d'exploitation de l'oeuvre que l'auteur avait autorisées, si un préjudice de plus des 7/12èmes avait été subi".

  • Dans un arrêt en date du 2 octobre 2007, la Cour de cassation a considéré que la reproduction, sans autorisation, d'une oeuvre protégée sur la page de couverture d'un magazine d'information dépasse le cadre du droit à l'information et constitue un acte de contrefaçon : Cass. civ. 1, 2 octobre 2007, n° 05-14.928, Société Hachette Filipacchi associés (HFA), FS-D (N° Lexbase : A6509DYQ)

Faits :

Le magazine d'information mensuel "Onze Mondial" a illustré la page de couverture du numéro de juillet 1998 avec un photomontage reproduisant le trophée de la Coupe du monde de football, entouré de footballeurs célèbres qui avaient les yeux levés vers ce trophée. Le trophée de la Coupe du monde de football étant une oeuvre artistique dont les droits ont été cédés à la Fédération Internationale de Football Association (la "FIFA"), celle-ci a assigné la société Hachette Filipacchi Associés (la "société HFA") en réparation du préjudice subi au motif que cette reproduction non autorisée constituait un acte de contrefaçon.

La cour d'appel de Paris a considéré, dans un arrêt du 9 mars 2005, que la reproduction du trophée au sein du photomontage était illicite et constituait dès lors un acte de contrefaçon (CA Paris, 4ème ch., sect. A, 9 mars 2005, n° 03/21924 N° Lexbase : A4003DHQ).

La société HFA s'est, ainsi, pourvue en cassation, invoquant le fait que la reproduction photographique du trophée était inséparable de l'information du public sur le déroulement de cet événement d'importance majeure. La société HFA cherchait à démontrer qu'en refusant de considérer que la reproduction du trophée était justifiée par le droit à l'information du public, la cour d'appel avait violé l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L4743AQQ) et l'article L. 122-4 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3360ADS).

Décision :

La Cour de cassation rejette le pourvoi formé par la société HFA en énonçant, tout d'abord, que "le droit à l'information du public consacré par l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales trouve ses limites dans le respect des autres droits identiquement protégés ; qu'il en est ainsi des droits de propriété intellectuelle".

Selon la Cour de cassation, le magazine "Onze Mondial", dans lequel figure la reproduction du trophée de la Coupe du monde n'est pas un document d'information puisqu'il est intégré dans un photomontage et qu'il excède la simple relation de l'événement d'actualité concerné. Ainsi, conclut la Cour, "cette reproduction relève de l'exploitation de l'oeuvre laquelle n'ayant pas été autorisée constitue un acte de contrefaçon".

Par conséquent, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par la société HFA et confirme l'arrêt de la cour d'appel de Paris.

Commentaire :

Par cet arrêt, les juges ont, à nouveau, délimité l'étendue du droit à l'information, consacré par l'article 10 de la CESDH.

La Cour rappelle que le droit à l'information du public consacré à l'article 10 précité trouve ses limites dans les droits de propriété intellectuelle. Cette interprétation est conforme à l'article qui pose le principe du droit à la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées (alinéa 1) sous réserve, notamment, de "la protection de la réputation ou des droits d'autrui" (alinéa 2).

En l'espèce, la Cour de cassation a considéré que la reproduction du trophée de la Coupe du monde dans un photomontage n'avait pas pour but de relater l'événement d'actualité, mais d'illustrer, de façon symbolique, les aspirations des participants à l'événement au sein d'un article qui le présente.

Par conséquent, la Cour de cassation a fait une application stricte de la notion d'actualité pour décider que la société HFA avait commis un acte de contrefaçon en reproduisant une oeuvre protégée sans autorisation de la FIFA, titulaire des droits d'auteur.

La Cour de cassation avait déjà adopté la même position sur la notion d'actualité dans un arrêt du 5 juillet 2005 relatif au dopage dans le milieu cycliste (Cass. civ. 1, 5 juillet 2005, n° 03-13.913, FS-P+B N° Lexbase : A8821DIK).

II - Informatique

  • Dans une Recommandation du 11 octobre 2007 n° 2007/657/CE, la Commission encourage les Etats membres à interconnecter les fichiers nationaux d'informations financières concernant les sociétés cotées en bourse par la mise en place d'un réseau électronique

Contenu :

La Recommandation n° 2007/657/CE de la Commission européenne a pour objet d'encourager les Etats membres à veiller à ce que toutes les mesures nécessaires soient prises pour interconnecter efficacement les mécanismes nationaux de stockage des informations réglementées relatives aux acteurs des marchés financiers. Elle vient compléter le système prévu par la Directive 2004/109/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2004, sur l'harmonisation des obligations de transparence concernant l'information sur les émetteurs dont les valeurs mobilières sont admises à la négociation sur un marché réglementé (N° Lexbase : L5206GUD).

La Commission propose les mesures suivantes pour garantir à ce service une qualité et une accessibilité optimale :

- Conclusion d'un accord de gestion : les Etats membres devraient mandater une autorité compétente pour préparer un accord relatif à la gestion du réseau électronique communautaire, cet accord devant nécessairement traiter plusieurs points précisés par la Recommandation (création d'une plate-forme réseau, conditions de participation au réseau, organe chargé de la gestion quotidienne du réseau, conditions de financement du réseau, etc.).

-Tarification : les mécanismes de stockage devraient être libres de définir leurs propres tarifications. Toutefois, la Commission distingue l'accès aux informations financières publiées conformément à des obligations légales, qui devrait être gratuit pendant une durée limitée, et l'accès aux services à valeur ajoutée dont la tarification devrait être librement déterminée par les mécanismes de stockage.

- Normes de qualité minimales : la Recommandation précise les normes minimales que les mécanismes de stockage intervenant dans le réseau électronique devront respecter afin d'assurer un fonctionnement harmonisé. En outre, des mécanismes de sécurité devront être mis en oeuvre par les mécanismes de stockage afin de garantir la sécurité des communications (les moyens de communication devant cependant rester aisément accessibles, communément utilisés et largement disponibles à bas prix), l'intégrité des informations réglementées stockées, la validation des informations (garantir leur conformité aux normes et aux formats en vigueur), la fiabilité de l'accès aux services, ainsi que les éventuelles dérogations applicables aux dépôts d'informations non-conformes et la bonne tenue du système de sauvegarde.

- Certitude quant à la source de l'information : les mécanismes de stockage devraient, par ailleurs, disposer de systèmes sûrs permettant de contrôler la fiabilité de la source des informations (directement de l'entité à laquelle incombe l'obligation de dépôt ou d'une personne habilitée à remplir cette obligation pour le compte de celle-ci), d'accuser électroniquement réception des documents et de comporter une fonction de "non répudiation". A cet égard, les systèmes de stockage devraient, également, mettre en place des dispositifs de sécurité permettant d'attester de la validité de l'expéditeur (signature numérique, code d'accès ou toute autre mesure de sécurité).

- Fiabilité d'accès pour les utilisateurs finals : les mécanismes de stockage devraient être en mesure de garantir l'absence de risque de corruption ou de modification des données stockées et être en mesure d'en identifier toute altération ou modification. Ils devraient pouvoir enregistrer automatiquement les dépôts ainsi que leur date et horaire, tout en permettant d'utiliser des technologies de traitement automatique de bout en bout (en imposant pour cela des formats et des modèles de dépôt prédéfinis).

Les mécanismes devraient disposer de toutes les versions linguistiques disponibles des informations ayant fait l'objet du dépôt. Les fonctionnalités de recherche mises en place devraient être disponibles dans la langue officielle de l'Etat membre ainsi que dans une autre langue communément utilisée dans l'univers de la finance internationale.

Une assistance de service à disposition des utilisateurs devrait également être mise en place (le degré d'assistance restant à définir au niveau national).

Les informations doivent être conservées dans un format permettant aux utilisateurs de les visualiser, les télécharger ou les imprimer en totalité.

Commentaire :

Les recommandations de la Commission n'ont pas de force obligatoire. Elles expriment l'opinion de la Commission européenne et incitent les Etats membres à adopter un comportement déterminé. En l'espèce, cette Recommandation vient compléter la Directive 2004/109/CE (transposée par la loi n° 2005-842 du 26 juillet 2005, pour la confiance et la modernisation de l'économie N° Lexbase : L5001HGC) qui imposait de laisser à la disposition des participants au marché financier les informations financières réglementaires dans des fichiers centraux désignés par les Etats membres, par la mise en place d'un réseau électronique interconnectant les fichiers nationaux d'informations financières concernant les sociétés cotées en bourse. Le but de ces mesures est de faciliter l'accès des investisseurs aux données historiques sur les performances des entreprises et leur position financière.

Ce n'est donc pas un système de stockage au niveau communautaire qui est souhaité, mais un réseau électronique reliant les différents systèmes de stockage des Etats membres. Le but de ce procédé est de promouvoir l'intégration des marchés de capitaux européens, en facilitant l'accès du public aux informations à publier en vertu des Directives 2003/6/CE (N° Lexbase : L8022BBQ transposée par les lois n° 2005-811 du 20 juillet 2005, portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine des marchés financiers N° Lexbase : L5010HGN et n° 2003-710 du 1er août 2003, d'orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine N° Lexbase : L3558BLD) et 2003/71/CE (N° Lexbase : L4456DMY transposée par la loi n° 2005-842 du 26 juillet 2005).

Le Comité européen des régulateurs de marchés de valeurs mobilières ("CERVM") se voit, également, attribuer un rôle majeur puisqu'il est chargé de gérer, avec les autorités instituées par les Etats membres, la mise en place de l'accord précisant les conditions clés pour la création, le fonctionnement et le financement du réseau électronique. Ce comité sera, également, chargé de désigner un organe en charge de la gestion quotidienne du réseau.

La volonté de la Commission européenne est de garantir un accès simple, peu onéreux et sécurisé aux informations sur l'ensemble du territoire communautaire tout en s'assurant que ces informations sont fiables, en raison, notamment, de leur sensibilité et des enjeux financiers qu'elles impliquent. Bien que cette Recommandation n'ait aucune valeur obligatoire pour les Etats membres, le respect de celle-ci apparaît nécessaire pour harmoniser les systèmes de stockage des informations relatives aux sociétés cotées au niveau communautaire.

III - Internet

  • Le décret n° 2007-1527 du 24 octobre 2007, pris en application de la loi n° 2004-575 sur la confiance dans l'économie numérique en date du 21 juin 2004, précise les modalités d'exercice du droit de réponse en ligne (N° Lexbase : L7717HYH)

Contenu :

Le décret n° 2007-1527 du 24 octobre 2007 précise les modalités d'exercice du droit de réponse applicable aux services de communication au public en ligne lorsque le service n'offre aucun moyen à un utilisateur d'émettre des observations sur un message écrit, audio ou graphique le mettant en cause, mentionnée au IV de l'article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 (loi n° 2004-575 du 21 juin 2004, pour la confiance dans l'économie numérique [LXB= L2600DZC]).

La demande d'exercice du droit de réponse est adressée au directeur de la publication. Si celui-ci n'est pas connu, elle est envoyée à l'hébergeur qui doit la lui transmettre dans un délai de vingt-quatre heures sous peine d'amende. Le moyen utilisé pour l'envoi doit permettre de garantir l'identité du demandeur et la réception de la demande. En effet, dans un délai de trois jours suivant la réception de la demande, le destinataire doit indiquer au demandeur la suite qu'il entend donner à sa demande ou les mesures mises en oeuvre à cet effet.

En outre, la demande doit indiquer les références du message, ses conditions d'accès et, s'il est connu, le nom de son auteur. Elle doit préciser si le message est constitué de textes, de sons ou d'images et mentionner les passages sur lesquels portent les commentaires qu'il suscite. Elle doit comporter, enfin, les commentaires du demandeur sur le message ou, à défaut, les éléments du message dont il demande la vérification ou la suppression.

Par ailleurs, la réponse au message prend toujours la forme d'un texte même si le message dont elle fait l'objet est constitué de sons ou d'images. Sa longueur ne peut dépasser celle du message ou, si ce dernier n'est pas composé de caractères alphanumériques, celle de sa description sous forme d'un texte. En tout état de cause, la taille de la réponse ne peut excéder 200 lignes.

Cette réponse est, ensuite, publiée par le directeur de la publication sous la forme d'un droit de réponse dans la publication litigieuse. Elle doit être mise à disposition du public aussi longtemps que le message l'a été, étant précisé que cette durée ne peut être inférieure à un jour.

Enfin, elle est insérée à la suite du message. A titre d'alternative, il est possible d'insérer un lien hypertexte dans le message renvoyant vers la réponse. Si le message dont elle fait l'objet apparaît dans un courrier électronique non-quotidien, elle doit être publiée dans l'envoi qui suit la réception de la demande. Lorsque le message n'est plus mis à la disposition du public, la réponse doit comporter sa référence, sa date et sa durée de mise à disposition.

Commentaire :

Ce décret contient essentiellement des éléments procéduraux. Il concerne les éditeurs de sites internet qui n'offrent pas aux utilisateurs de moyens de réagir directement à un message ainsi qu'aux hébergeurs de pages personnelles. Par conséquent, les éditeurs de blogs ou d'articles qui proposent aux internautes d'insérer directement leurs commentaires sous le message appelant une réaction de leur part ne sont a priori pas concernés par cette nouvelle procédure.

Par ailleurs, le décret met en place un système de vérification de l'identité du demandeur. Le but est d'éviter qu'une personne n'usurpe l'identité d'une autre à des fins déloyales. C'est pourquoi la demande d'exercice du droit de réponse doit être envoyée par courrier recommandé avec avis de réception ou par tout moyen garantissant l'identité du demandeur, tel qu'un courriel signé numériquement.

Lorsque la demande émane d'une personne morale, la jurisprudence constante considère que seuls les dirigeants ou leurs délégués sont autorisés à l'émettre. A ce titre, ils doivent justifier de leur pouvoir. La Cour de cassation a ainsi considéré, dans un arrêt du 9 mai 1990 (Cass. crim., 9 mai 1990, n° 88-83414, Bodin Pierre et autres, publié N° Lexbase : A7727CGB, Bull. crim. n° 178), qu'un avocat chargé d'exercer le droit de réponse d'une personne morale devait accompagner sa demande d'un mandat lui conférant expressément ce pouvoir. Le dirigeant, quant à lui, peut justifier de son pouvoir par la production des statuts de la société ou de tout document lui permettant de justifier de son pouvoir.

Selon l'article 6 du décret, si le directeur de la publication est inconnu, comme souvent en matière de pages personnelles, l'hébergeur est tenu de lui adresser la demande dans un délai de trois jours. S'il ne se conforme pas à ce délai, il est passible d'une amende de 750 euros, s'il est une personne physique, et de 3 750 euros, s'il est une personne morale. Enfin, le directeur de la publication est tenu d'insérer les réponses dans un délai de trois jours suivant leur réception. S'il ne s'y conforme pas, il est passible d'une amende pouvant atteindre 3 750 euros. Cette dernière peine ne s'applique qu'aux personnes physiques.

  • Par un jugement en date du 19 octobre 2007, le tribunal de grande instance de Paris a condamné Google en sa qualité d'hébergeur du site Google Video du fait de ne pas avoir mis en oeuvre les moyens nécessaires pour éviter la remise en ligne d'un documentaire protégé par le droit d'auteur : TGI Paris, 19 octobre 2007, n° RG 06/11874, SARL Zadig Productions c/ Société Google INC (N° Lexbase : A5562DZZ)

Faits :

Jean-Robert V. et Mathieu V. sont les auteurs du film documentaire Tranquility bay, produit par la société Zadig Productions. Après une première diffusion au festival international de programmes audiovisuels de Biarritz, la version finale du film destinée à une exploitation internationale a été diffusée en France par une chaîne de télévision française le 11 mai 2006.

Le 12 avril 2006, le producteur avait été averti du fait que le documentaire était disponible sur le site Google Video exploité par la société Google Inc. sans son autorisation. Après mise en demeure adressée à Google, le film a été remis en ligne par différents internautes et à plusieurs reprises. Ces nouvelles diffusions ont fait l'objet d'une nouvelle dénonciation par le producteur auprès de Google qui a systématiquement supprimé les contenus litigieux.

Néanmoins, le producteur reprochait à Google de ne pas avoir mis en oeuvre les moyens nécessaires pour empêcher que le documentaire soit à nouveau diffusé sur le site internet de Google Video.

Jean-Robert V. et Matthieu V., en tant qu'auteurs, considéraient, par ailleurs, que la diffusion en streaming du documentaire avait porté atteinte à leur droit moral et ont demandé le paiement de dommages et intérêts aux motifs que :

- la qualité de visualisation était médiocre au moyen d'une fenêtre de visualisation de taille réduite et la durée initiale de l'oeuvre avait été réduite de manière significative, passant de 80 à 53 minutes (atteinte à l'intégrité de l'oeuvre) ;
- le nom des co-auteurs n'était pas mentionné (atteinte au droit de paternité des auteurs sur l'oeuvre) ;
- la mise en ligne de la version finale sur Google video avait eu lieu avant sa diffusion par la chaîne de télévision française (atteinte au droit de divulgation de l'oeuvre).

La société Google Inc., appuyée par l'AFA, soutenait qu'elle ne faisait qu'exercer une activité d'hébergement, les sons et images présentés sur son site étant fournis par les utilisateurs et considérait, en tant qu'hébergeur, avoir agi rapidement pour bloquer l'accès au documentaire après avoir été informé de chaque nouvelle mise en ligne.

Décision :

Par ce jugement, le tribunal de grande instance de Paris n'a pas retenu la qualité d'éditeur et a considéré que Google avait la qualité d'hébergeur.

En effet, selon le tribunal, "le fait pour la société défenderesse d'offrir aux utilisateurs de son service Google Video une architecture et les moyens techniques permettant une classification des contenus, au demeurant nécessaire à leur accessibilité par le public, ne permet pas de la qualifier d'éditeur de contenu dès lors qu'il est constant que lesdits contenus sont fournis par les utilisateurs eux-mêmes, situation qui distingue fondamentalement le prestataire technique de l'éditeur, lequel, par essence même, est personnellement à l'origine de la diffusion et engage à ce titre sa responsabilité".

Le tribunal a rejeté la responsabilité de Google pour la première mise en ligne du documentaire dans la mesure où Google avait rempli ses obligations d'hébergeur en retirant promptement le film contrefaisant. Néanmoins, le tribunal a retenu la responsabilité de Google pour les mises en ligne ultérieures du film contrefaisant car "informé du caractère illicite du contenu en cause par la première notification, il lui appartenait de mettre en oeuvre tous les moyens nécessaires en vue d'éviter une nouvelle diffusion". Google aurait dû développer des solutions techniques "afin de prévenir et à tout le moins de limiter l'atteinte aux droits des tiers".

En outre, le tribunal a condamné Google en violation du droit moral des auteurs du film. De fait, il relève que les noms des auteurs n'étaient pas mentionnés et que la qualité de visualisation de la vidéo était très mauvaise, ce qui constituait une atteinte au droit à la paternité et à l'intégrité de l'oeuvre. En revanche, le tribunal a rejeté l'argumentation relative au droit de divulgation, l'oeuvre ayant été présentée au public à Biarritz avant sa mise en ligne.

En conséquence, le tribunal a condamné Google au paiement de la somme de 25 000 euros au producteur en réparation de l'atteinte portée aux droits patrimoniaux et de 5 000 euros à chacun des coauteurs en réparation de la violation de leurs droits moraux.

Commentaire :

Sur la qualité d'hébergeur

Par cette décision, le tribunal de grande instance de Paris a confirmé la jurisprudence "Dailymotion" rendue par le même tribunal le 13 juillet 2007 (TGI Paris, 13 juillet 2007, n° RG 07/05198, Monsieur Christian Carion c/ SA Dailymotion N° Lexbase : A5139DXM et lire, Bulletin d'actualités Clifford Chance - Département Communication Média & Technologies - Juillet 2007, Lexbase Hebdo n° 272 du 13 septembre 2007 - édition privée générale N° Lexbase : N2734BCA). Il a considéré que Google, en tant qu'hébergeur des contenus illicites, n'était pas tenu à une obligation générale de surveillance des contenus. Il est à noter que la décision "Dailymotion" avait été rendue par les mêmes juges.

Le tribunal a retenu la qualité d'hébergeur de Google dans la mesure où, selon les juges, les contenus sont fournis non pas par Google mais par les utilisateurs de Google Video eux-mêmes et a rappelé qu'un éditeur de contenu est celui qui est personnellement à l'origine de la diffusion des contenus.

Sur les obligations de l'hébergeur

Le tribunal a retenu la responsabilité de Google dans la mesure où, selon les juges, il lui appartenait de "mettre en oeuvre tous les moyens nécessaires en vue d'éviter une nouvelle diffusion" et ce dès la première notification.

Il résulte de la jurisprudence du tribunal de grande instance de Paris que les hébergeurs de sites, ayant des activités similaires à celles de la société Dailymotion ou de Google, devraient prendre des mesures techniques destinées à bloquer l'accès et/ou à retirer les contenus illicites d'un site internet dès la première mise en demeure de le faire.

Par cette décision, le tribunal de grande instance de Paris confirme sa jurisprudence.

Enfin, pour la première fois, un hébergeur est condamné à la suite de la violation du droit moral des auteurs d'une oeuvre en raison des conditions de visualisation de l'oeuvre qu'il offre, ces conditions entraînant une violation des droits de paternité et d'intégrité de l'oeuvre.

Marc d'Haultfoeuille
Avocat associé
Département Communication Média & Technologies
Cabinet Clifford Chance

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Social général

[Jurisprudence] Justification des inégalités salariales et cession de l'entreprise

Réf. : Cass. soc., 4 décembre 2007, n° 06-44.041, Assedic Alpes-Provence, FS-P+B (N° Lexbase : A0465D3M)

Lecture: 6 min

N3933BDZ

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010

Quelques semaines seulement après avoir rendu une décision importante concernant la situation des salariés bénéficiaires du maintien des avantages acquis postérieurement à la mise en cause de leur accord collectif (Cass. soc., 11 juillet 2007, n° 06-42.128, FS-P+B+R N° Lexbase : A4724DXA ; lire nos obs., La justification des inégalités salariales par le principe du maintien des avantages individuels acquis, Lexbase Hebdo n° 272 du 13 septembre 2007 - édition sociale N° Lexbase : N2737BCD), la Cour de cassation s'intéresse, cette-fois, à la situation des salariés résultant de la conclusion d'un accord de substitution, dans le cadre de l'article L. 132-8, alinéa 7, du Code du travail (N° Lexbase : L5688ACN). Sans surprise, la Cour affirme, dans son arrêt du 4 décembre 2007, que l'accord de substitution peut valablement avantager les salariés de l'entreprise absorbée (1), ce qui nous semble pleinement justifié (2).

Résumé

Le maintien d'un avantage acquis en cas de mise en cause de l'application d'un accord collectif dans les conditions prévues à l'article L. 132-8, alinéa 7, du Code du travail ne méconnaît pas le principe "à travail égal, salaire égal" ; ce maintien résulte d'une absence d'accord de substitution ou d'un tel accord.

1. La confirmation de la légitimité des différences de traitement résultant de l'application de l'article L. 132-8 du Code du travail

  • Motifs justifiant une inégalité salariale

La Cour de cassation a admis, depuis l'arrêt "Ponsole" rendu en 1996 (1), différents types d'arguments qui peuvent justifier que des salariés exerçant un travail égal, ou de valeur égale, puissent valablement percevoir une rémunération différente.

Une première catégorie de justifications tient à la situation personnelle du salarié, singulièrement à sa situation de famille (2).

Une deuxième prend en compte des critères personnels plus professionnels ; ainsi, le travail accompli peut parfaitement être de meilleure qualité et justifier une meilleure rémunération (3). Le salarié peut, également, avoir une expérience plus significative (4), ou une ancienneté plus importante (5).

La date d'embauche n'est pas, en soi, une justification suffisante (6), sauf si elle traduit une différence de situation induisant la nécessité de compenser les conséquences d'une modification intervenue dans le statut ; le législateur peut, d'ailleurs, valablement instaurer des différences de traitement entre salariés, selon leur date d'embauche, sans porter atteinte au principe d'égalité (7).

La jurisprudence admet, également, des éléments tirés de la situation juridique des salariés au sein des entreprises. Des différences de traitement seront, alors, admises dès lors qu'il s'agit de compenser l'infériorité actuelle du statut (8), ou pour compenser l'infériorité résultant d'une modification du statut consécutive, notamment, à l'abaissement de la durée du travail (9), à une modification dans le système de rémunération, ou encore à la dénonciation de l'accord collectif provoquant le maintien des avantages individuels acquis (10).

Dans d'autres hypothèses, c'est le rattachement à des accords d'établissement différents qui justifiera la différence de traitement (11).

La Cour de cassation prend, également, en compte les contraintes pesant sur la gestion des ressources humaines, comme le fait qu'il peut y avoir urgence à recruter un salarié sur un poste qualifié (12) ou nécessité d'attirer des compétences de chercheurs étrangers sur un marché hautement concurrentiel (13), notamment, en compensant les contraintes de l'expatriation (14).

  • La justification admise dans les hypothèses de dénonciation ou de mise en cause d'un accord

Cet arrêt confirme que la différence de traitement peut résulter directement de l'application de l'article L. 132-8 du Code du travail, mais dans une hypothèse particulière.

Lorsqu'une entreprise est cédée, les contrats de travail sont maintenus auprès du nouvel employeur, par application de l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail (N° Lexbase : L5562ACY), mais les accords collectifs sont, en principe, mis en cause par le transfert. S'ouvre, alors, un délai de préavis de trois mois et une période de douze mois pendant laquelle l'entreprise cessionnaire, ou absorbante, doit négocier un accord de substitution destiné à lisser le passage d'un statut collectif à l'autre. A défaut de conclusion dans ce délai de douze mois, l'employeur sera en droit de faire unilatéralement application aux salariés cédés des dispositions conventionnelles applicables dans leur nouvelle entreprise (15), mais il risque de se heurter aux avantages individuels acquis sur le fondement de l'accord mis en cause et qui ont été contractualisés à l'expiration du délai de douze mois.

Dans les décisions intervenues précédemment, c'était le respect par l'employeur des avantages individuels acquis au bénéfice des salariés bénéficiaires d'une convention collective mise en cause dans le cadre de la cession de leur entreprise, qui avait été pris en compte pour justifier la différence de traitement qui résultait de la limitation du bénéfice de cette règle aux seuls salariés dont le contrat de travail avait été transféré (16).

  • L'affaire

Dans l'affaire qui a donné lieu à cet arrêt du 4 décembre 2007, le maintien des avantages individuels acquis ne résultait pas du défaut d'accord de substitution, mais bien des termes mêmes de l'accord conclu par les partenaires sociaux dans le délai de douze mois, et qui avait repris, mais uniquement pour les salariés dont les contrats de travail avaient été cédés avec l'entreprise, certains avantages présents dans l'accord qui avait été mis en cause à l'occasion de la cession (en l'occurrence, une prime trimestrielle de restauration).

Les salariés d'origine de l'entreprise cessionnaire avaient donc saisi le conseil de prud'hommes de demandes visant à leur élargir le bénéfice de ces avantages, au nom du respect du principe "à travail égal, salaire égal", ce qu'avait, d'ailleurs, fait la cour d'appel d'Aix-en-Provence qui leur avait donné raison.

Tel n'est pas l'avis de la Cour de cassation qui casse cet arrêt et considère, au contraire, que "le maintien d'un avantage acquis en cas de mise en cause de l'application d'un accord collectif dans les conditions prévues à l'article L. 132-8, alinéa 7, du Code du travail ne méconnaît pas le principe 'à travail égal, salaire égal', que ce maintien résulte d'une absence d'accord de substitution ou d'un tel accord".

2. Une solution pleinement justifiée

  • Un cas de figure inédit

Si ce n'est pas la première fois que la Cour de cassation affirme que le maintien légal des avantages individuels acquis, par application du 6ème alinéa de l'article L. 132-8 du Code du travail, c'est-à-dire en l'absence d'accord de substitution (17), justifie une différence de traitement, c'est, à notre connaissance, la première fois que la solution est appliquée dans l'hypothèse où la différence de traitement résulte directement des termes mêmes de l'accord de substitution.

  • L'absence regrettable de référence à la compensation du préjudice subi par les salariés de l'entreprise cédée

Reste à savoir ce qui est de nature à justifier cette solution.

Dans la dernière décision en date du 11 juillet 2007, qui portait, rappelons-le, sur la justification d'une différence de traitement entre salariés bénéficiaires du maintien des avantages individuels acquis, et ceux qui n'en bénéficiaient pas, la Chambre sociale de la Cour de cassation avait fondé sa décision sur le fait que la règle posée à l'article L. 132-8, alinéa 6, du Code du travail, a "pour objet de compenser, en l'absence de conclusion d'un accord de substitution, le préjudice qu'ils subissent du fait de la dénonciation de l'accord collectif dont ils tiraient ces avantages" (18).

Nous avions, alors, fait observer que l'introduction de ce critère, déjà présent dans d'autres hypothèses, semblait de nature à donner à la Cour non seulement le moyen de fédérer sa propre jurisprudence, mais également d'en étendre l'application dans des circonstances comparables.

Or, tel est bien le cas ici des salariés de l'entreprise cédée ou absorbée lorsque l'accord de substitution, conclu dans les quinze mois qui suivent la cession de l'entreprise, leur assure, par la voie conventionnelle, le maintien de certains avantages dont ils bénéficiaient antérieurement au titre de l'accord mis en cause par le transfert ; c'était, d'ailleurs, bien le cas dans cette affaire puisque l'accord de substitution leur reconnaissait le maintien d'une prime trimestrielle de restauration.

Dans ces conditions, on pouvait valablement s'attendre à ce que la Chambre sociale de la Cour de cassation justifie ainsi la différence de traitement constatée sur la volonté des partenaires sociaux de compenser, dans l'accord d'adaptation, le préjudice résultant de la mise en cause de l'accord antérieurement applicable.

La déception est alors grande car aucune formule comparable ne vient justifier la solution, ce qui est regrettable au regard de la continuité nécessaire dans la jurisprudence de la Cour (19).

  • Une solution préservant la fonction de l'accord d'adaptation

Au-delà de ce regret tenant à l'insuffisance de la motivation, il nous semble que la solution doit être pleinement approuvée.

Même si l'article L. 132-8, alinéa 7, ne le précise pas, le propre de l'accord "d'adaptation" est bien de concilier la nécessaire intégration des salariés de l'entreprise cédée dans le statut collectif de l'entreprise cessionnaire, tout en faisant en sorte de permettre aux salariés de l'entreprise cédée de ne pas trop perdre à l'occasion du changement d'employeur. L'accord de remplacement comportera, ainsi, nécessairement des dispositions destinées à garantir à ces salariés des avantages particuliers destinés à compenser le changement de statut.

Comme nous avions, également, eu l'occasion de le rappeler, l'application du principe "à travail égal, salaire égal" ne doit pas venir perturber cette entreprise délicate d'intégration des salariés de l'entreprise cédée dans leur nouvelle communauté de travail, en imposant une harmonisation "par le haut" des dispositions statutaires passées. Certes, tous les problèmes ne seront pas réglés par la signature d'un accord d'adaptation et les salariés de l'entreprise cessionnaire ne verront pas nécessairement d'un bon oeil que les nouveaux venus conservent une partie de leurs privilèges ; mais, ces questions relèvent de la compétence des partenaires sociaux qui devront négocier de manière fine l'accord d'adaptation, et pas de l'intrusion du juge dans le rapport social sous couvert d'assurer le respect du principe "à travail égal, salaire égal".


(1) Cass. soc., 29 octobre 1996, n° 92-43.680, Société Delzongle c/ Mme Ponsolle, publié (N° Lexbase : A9564AAH).
(2) Cass. soc., 26 février 2002, n° 00-45.631, M. Roland Hommel c/ Société de secours minière (SSM) de Moselle-Est, FS-D (N° Lexbase : A0707AYT).
(3) Cass. soc., 8 novembre 2005, n° 03-46.080, M. Ricardo De Souza c/ Société Saint-Jacques hôtel, inédit (N° Lexbase : A5107DLQ).
(4) CA Paris, 18ème ch., sect. D, 7 octobre 2003, n° 01/38194 ; Bicc n° 602 du 15 juillet 2004, n° 1155.
(5) Cass. soc., 28 avril 2006, n° 03-47.171, Société DEMD Productions c/ Mme Anne Moutot, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2049DPL) ; lire nos obs., L'ancienneté et la situation juridique du salarié dans l'entreprise peuvent justifier une atteinte au principe "à travail égal, salaire égal", Lexbase Hebdo n° 213 du 4 mai 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N7835AKE).
(6) Cass. soc., 25 mai 2005, n° 04-40.169, Société The Hôtel Ritz Limited c/ Mme Stoyanka Smilov, FS-P+B (N° Lexbase : A4304DIA) ; Bull. civ. V, n° 178, p. 153.
(7) Cass. soc., 29 novembre 2007, n° 06-44.748, Mme Laurence Barbier Rondot, F-D (N° Lexbase : A9517DZI) : "Mais attendu, d'une part, que les salariés ayant engagé leurs actions les 10 et 13 décembre 2004, soit postérieurement à la date d'entrée en vigueur de l'article 8 de la loi du 17 janvier 2003, et, d'autre part, que la prohibition de toute discrimination telle qu'elle est prévue par l'article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966 n'interdisant pas au législateur de créer des distinctions entre la situation des justiciables selon qu'ils relèvent de la loi antérieure ou de la loi nouvelle, le conseil de prud'hommes, qui n'a pas dénaturé les demandes, les a exactement déclarées irrecevables en application de l'article 8 ; que le moyen n'est pas fondé".
(8) CDD : Cass. soc., 28 avril 2006, n° 03 47.171, préc..
(9) Cass. soc., 1er décembre 2005, n° 03-47.197, Société Transports de tourisme de l'océan, Ocecars c/ M. Jean-Pierre Gandon, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A8452DLM) ; JCP éd. G, 2005, II, 10017, note D. Corrignan-Carsin.
(10) Cass. soc., 11 janvier 2005, n° 02-45.608, Compagnie IBM France c/ M. René Dalbegue, FS-P (N° Lexbase : A0168DGC) ; Cass. soc., 11 juillet 2007, n° 06-42.128, Mme Julie Ashton, divorcée Romano, FS-P+B+R (N° Lexbase : A4724DXA) ; lire nos obs., La justification des inégalités salariales par le principe du maintien des avantages individuels acquis, Lexbase Hebdo n° 272 du 13 septembre 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N2737BCD).
(11) Cass. soc., 27 octobre 1999, n° 98-40.769, Electricité de France c/ M. Chaize et autres (N° Lexbase : A4844AGI) ; Dr. soc. 2000, p. 189, chron. G. Couturier ; Cass. soc., 18 janvier 2006, n° 03-45.422, Société Sogara France c/ Mme Lasoy Agion, F-P (N° Lexbase : A3972DM3) ; JCP éd. G, 2006, II, 10055, note D. Corrignan-Carsin.
(12) Cass. soc., 21 juin 2005, n° 02-42.658, Mme Claude Pichery c/ Association gestionnaire de la crèche Coste-Belle, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A7983DII) ; lire nos obs., La justification des inégalités de rémunération, Lexbase Hebdo n° 174 du 30 juin 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N6023AIW) ; Bull. civ. V, n° 206, p. 181.
(13) Cass. soc., 9 novembre 2005, n° 03-47.720, Société European synchrotron radiation facility (ESRF) c/ M. Marc Diot, FS-P+B (N° Lexbase : A5949DLW) ; lire nos obs., Nouvelle illustration d'une différence de traitement justifiée en matière de rémunération, Lexbase Hebdo n° 191 du 24 novembre 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N1188AK9).
(14) CA Paris, 18ème ch., sect. D, 20 septembre 2005 ; RG n° 05/01851, Bicc 628 du 1er novembre 2005, n° 2158.
(15) Cass. soc., 13 novembre 2007, n° 06-42.090, Société Casa services machines, F-D (N° Lexbase : A6026DZ9). La Cour de cassation considère, dans cet arrêt, "qu'à défaut de convention ou d'accord de substitution, le nouvel employeur ne peut imposer aux salariés repris l'application immédiate du statut collectif en vigueur dans l'entreprise, lorsque ce statut est différent de celui dont ils relevaient avant le transfert des contrats de travail".
(16) Cass. soc., 11 janvier 2005, préc. ; Cass. soc., 11 juillet 2007, préc..
(17) Cass. soc., 11 janvier 2005, préc. : "en l'absence d'un accord d'adaptation le maintien aux salariés transférés des avantages individuels acquis en application de l'accord mis en cause par l'absorption ne pouvait constituer à lui seul pour les autres salariés de l'entreprise auxquels cet avantage n'était pas appliqué un trouble manifestement illicite". ; Cass. soc., 11 juillet 2007, préc. : "Mais attendu qu'au regard de l'application du principe 'à travail égal, salaire égal', la seule circonstance que les salariés aient été engagés avant ou après la dénonciation d'un accord collectif ne saurait justifier des différences de traitement entre eux, à la seule exception de celles résultant, pour les salariés engagés avant la dénonciation, des avantages individuels acquis par ces derniers, conformément à l'article L. 132-8, alinéa 6, du Code du travail, lesquels ont pour objet de compenser, en l'absence de conclusion d'un accord de substitution, le préjudice qu'ils subissent du fait de la dénonciation de l'accord collectif dont ils tiraient ces avantages".
(18) Cass. soc., 11 juillet 2007, préc..
(19) L'arrêt en date du 4 décembre 2007 a été "rapporté" par le Conseiller J.-M. Béraud, alors que l'arrêt en date du 11 juillet l'avait été par Madame Grivel, ce qui pourrait expliquer la différence de motivation.
Décision

Cass. soc., 4 décembre 2007, n° 06-44.041, Assedic Alpes-Provence, FS-P+B (N° Lexbase : A0465D3M)

Cassation (CA Aix en Provence, 9ème ch., sect. A, 1er juin 2006)

Textes visés : principe "à travail égal, salaire égal" ; C. trav., art. L. 132-8, al. 7 (N° Lexbase : L5688ACN)

Mots-clefs : rémunération ; égalité ; accord de substitution.

Lien bases :

newsid:303933

Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Le versement de l'indemnité conventionnelle de licenciement liée à l'absence de motif disciplinaire

Réf. : Ass. plén., 30 novembre 2007, n° 06-45.365, M. Michel Canny c/ Crédit lyonnais, P+B+R+I (N° Lexbase : A9892DZE)

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N3932BDY

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par Sébastien Tournaux, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

La résistance des juridictions du fond à des solutions établies de la Cour de cassation illustre toujours l'existence d'un point de droit posant des difficultés manifestes. C'est bien pour cette raison que le législateur confie à l'Assemblée plénière de la Haute juridiction le soin de trancher définitivement les incertitudes que ces disparités de la jurisprudence peuvent faire naître. Il s'agissait, cette fois, de se prononcer définitivement sur l'interprétation d'une clause de la convention collective nationale de la banque , laquelle conditionne le versement d'une indemnité conventionnelle à l'existence de motifs spécifiques de licenciement. La Cour de cassation, dans son arrêt rendu le 30 novembre 2007, précise de manière définitive que cette indemnité de licenciement est due lorsque le licenciement est prononcé pour un motif inhérent à la personne du salarié mais non disciplinaire (1). Cependant, les juges ne parviennent pas à éviter le travers qui consistait à rattacher, également, ce versement à l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement (2).

Résumé

Bien que la convention collective conditionne son versement à l'existence d'une insuffisance professionnelle ou d'une incapacité physique, l'indemnité conventionnelle de licenciement doit être versée au salarié en cas de licenciement pour motif non disciplinaire.

1. Le versement de l'indemnité conventionnelle logiquement lié à l'absence de motif disciplinaire

  • L'existence d'indemnités conventionnelles de licenciement

Lorsque le licenciement est prononcé, différentes indemnités peuvent, le cas échéant, être dues au salarié. Ainsi en va-t-il de l'indemnité de préavis si le salarié est dispensé d'effectuer son délai-congé (1), de l'indemnité de congés payés dont il ne peut être privé qu'en cas de faute lourde ou (2), encore, de l'indemnité de licenciement dont l'existence est établie par l'article L. 122-9 du Code du travail (N° Lexbase : L5559ACU). A ces indemnités servies sans considération de la régularité du licenciement, viennent, parfois, s'ajouter d'autres indemnités réparant, par exemple, une défectuosité de la procédure de licenciement ou, encore, l'absence de cause réelle et sérieuse pour justifier la rupture (3).

S'agissant spécifiquement de l'indemnité de licenciement, l'article L. 122-9 prévoit que celle-ci n'est due qu'aux salariés disposant d'au moins deux années d'ancienneté et n'ayant pas été licenciés pour faute grave ou, a fortiori, pour faute lourde. Mais, selon les termes même du texte, il ne s'agit là que d'une "indemnité minimum". Interprétée comme étant une norme d'ordre public social, elle a donc toujours permis aux contrats de travail, mais surtout aux conventions collectives, de prévoir des indemnités de licenciement dites "conventionnelles", dont les conditions de versement sont plus favorables que la loi.

Ainsi, de nombreuses conventions collectives prévoient de telles indemnités conventionnelles de licenciement (4). Mais, le plus souvent, elles ne prévoient qu'une amélioration de la hauteur de l'indemnité sans autre distinction que la restriction classique pour les licenciements justifiés par une faute grave ou une faute lourde. Tel n'est pas le cas de la convention collective nationale de la banque du 10 janvier 2000, visée en l'espèce.

  • Les particularités de l'indemnité conventionnelle de la convention de branche de la banque

Cette convention collective, dans sa version antérieure datant du 20 août 1952, comme dans sa version actuelle datant de 2000, apporte une restriction à l'indemnité conventionnelle de licenciement.

Dans le texte initial, la convention prévoyait expressément quels motifs de licenciement permettaient au salarié de bénéficier de l'indemnité. Il s'agissait du motif d'"insuffisance résultant d'une incapacité physique, intellectuelle ou professionnelle et la suppression d'emploi". En revanche, le texte, aujourd'hui applicable à cette branche, est plus laconique.

En effet, l'article 26 de la convention semble pouvoir être interprété de deux manières différentes. Le texte prévoit que les licenciements qui pourront ouvrir droit à l'indemnité conventionnelle sont ceux prononcés pour un motif non disciplinaire. Pourtant, il précise que constituent des motifs non disciplinaires l'insuffisance professionnelle et l'incapacité physique de travailler.

Dès lors, deux approches peuvent être envisagées. La première approche consisterait en une interprétation positive du texte. Il s'agirait, alors, de prendre en compte seulement les motifs expressément présentés par le texte, à savoir l'insuffisance professionnelle et l'incapacité de travail, à l'exclusion de tout autre motif. La seconde approche, négative cette fois, consisterait à considérer que tout motif n'ayant pas un caractère disciplinaire puisse ouvrir droit à l'indemnité. Cette interprétation aurait le mérite de correspondre à la nomenclature de la convention qui aborde aux articles suivants d'autres motifs de licenciement et les conséquences qui y sont afférentes. Ainsi, l'article 27 traite des conséquences du licenciement pour motif disciplinaire, l'article 28 de celles inhérentes à un licenciement prononcé en raison d'une condamnation pénale et, enfin, l'article 29 de celles qui gouvernent un licenciement pour motif économique. Il paraît donc logique de considérer que l'article 26 visait l'ensemble des autres causes inhérentes au salarié mais pour un motif non disciplinaire. C'est dans la voie de cette interprétation que l'Assemblée plénière semble se diriger.

  • L'espèce

Un salarié mis à la retraite conteste les conditions de la rupture de son contrat de travail et obtient des juges du fond que celle-ci soit requalifiée en licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse. Il réclame le bénéfice de l'indemnité conventionnelle prévue par l'article 26 de la convention de branche de la banque. S'engage, alors, un véritable bras de fer entre les juridictions du fond et la Cour de cassation.

La cour d'appel de Paris le déboute de ses demandes, estimant que le licenciement ne reposait pas sur l'une des causes prévues par la convention. Cette position pouvait paraître parfaitement conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation qui estimait, classiquement, que l'indemnité ne pouvait être versée au salarié si le licenciement n'avait pas été prononcé pour l'une des causes invoquées par la convention (5).

La Chambre sociale de la Cour de cassation, saisie de l'affaire, casse pourtant cette décision par un arrêt du 8 mars 2005 estimant, au contraire, que l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement suffisait à justifier le versement de l'indemnité conventionnelle (6). La Cour de cassation se place donc dans la lignée d'un revirement opéré en 2002 et par lequel elle estimait qu'il "résulte nécessairement" que l'indemnité est due "lorsque le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse" (7).

La cour de Versailles, désignée comme cour de renvoi, résiste cependant à la solution de la Chambre sociale et reprend l'argumentation développée par la cour d'appel de Paris (8). Comme c'est le cas dans ce type d'hypothèses, c'est donc l'Assemblée plénière de la Cour de cassation qui est saisie en dernier lieu afin de trancher définitivement le problème de droit soulevé.

Par une argumentation qui prend l'allure d'une argumentation de principe, elle énonce "qu'une indemnité conventionnelle de licenciement est versée au salarié en cas de licenciement pour motif non disciplinaire" et complète sa démonstration en estimant que le licenciement "était dépourvu de cause réelle et sérieuse, ce qui lui [le salarié] ouvrait droit au paiement de l'indemnité conventionnelle de licenciement, laquelle n'est exclue qu'en cas de licenciement pour motif disciplinaire ou en raison d'une condamnation pour crime ou délit touchant à l'honneur ou à la probité".

La Cour de cassation reprend donc clairement l'interprétation de la convention collective nationale de la banque déjà énoncée en 2002 et en 2005. Néanmoins, le véritable fondement demeure flou. Est-ce l'absence de motif disciplinaire ou l'absence de cause réelle et sérieuse qui justifie véritablement que l'indemnité conventionnelle doive être versée ?

2. Le versement de l'indemnité conventionnelle inutilement lié à l'absence de cause réelle et sérieuse

  • La confusion entre cause justificative et cause qualificative du licenciement

Si la règle générale retenue semble faire reposer la solution sur l'absence de motif disciplinaire du licenciement, l'argumentation fait référence à l'absence de cause réelle et sérieuse pour fonder la solution.

Or, on sait qu'en matière de licenciement, une distinction a été établie entre cause qualificative et cause justificative (9). La convention collective semble distinguer en fonction du motif du licenciement, c'est-à-dire de sa cause qualificative, afin de déterminer dans quelle hypothèse l'indemnité conventionnelle devra être versée. Pourtant, l'argumentation développée se réfère à la justification suffisante du licenciement, à son caractère réel et sérieux, c'est-à-dire à sa cause justificative (10).

Or, il est manifeste que cette dualité de cause emporte des conséquences bien particulières en droit du travail, au premier titre desquelles figure la dualité d'indemnités pouvant être versées au salarié. En effet, si le motif du licenciement légitime l'existence d'une indemnité légale ou conventionnelle de licenciement, l'absence de cause réelle et sérieuse permet, de son côté, l'attribution d'une indemnité "qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois" et qui est "due sans préjudice, le cas échéant, de l'indemnité prévue à l'article L. 122-9" (11). La Cour de cassation décide, d'ailleurs, de manière tout à fait classique, que ces deux indemnités se cumulent, même dans l'hypothèse d'une indemnité de licenciement conventionnelle ou contractuelle (12).

La référence maintenue à l'absence de cause réelle et sérieuse nous paraît donc difficile à justifier en ce qu'elle semble impliquer une absence de distinction entre cause et motif du licenciement. Cela paraît d'autant plus malheureux que la décision aurait pu être parfaitement justifiée sans une telle référence et en se fondant simplement sur l'interprétation de la convention collective.

  • L'interprétation de la convention collective

Comme le démontrait de manière limpide le conseiller rapporteur de l'arrêt (13), l'interprétation des clauses des conventions collectives est soustraite au pouvoir d'appréciation souveraine des juges du fond pour être assurée par la Cour de cassation (14). Cela se justifie autant par un souci d'unification de l'interprétation des conventions collectives, en particulier quand elles sont étendues, que par leur caractère réglementaire qui les distingue de simples contrats.

La Cour de cassation avait donc pour rôle de trancher, non au vu de l'intention des parties comme le juge le ferait pour un simple contrat, mais avant tout selon la lettre du texte. Comme nous l'avons déjà expliqué, il était, dès lors, possible de retenir deux interprétations, l'une positive limitant l'indemnisation aux licenciements fondés sur un motif d'insuffisance professionnelle ou d'incapacité physique, l'autre négative ouvrant le versement de l'indemnité à tout licenciement prononcé pour un motif inhérent à la personne du salarié, à l'exclusion du motif disciplinaire.

  • Une interprétation justifiable

Plusieurs raisons militent pour le choix de cette seconde interprétation.

Tout d'abord, en raison du découpage opéré par la convention entre licenciement pour motif disciplinaire (art. 27), licenciement en raison d'une condamnation (art. 28), licenciement économique (art. 29). Cela semble impliquer que les autres motifs de licenciement soient traités par l'article 26. Il s'agirait, alors, de tout licenciement pour motif inhérent à la personne du salarié, mais non fondé sur une faute du salarié.

On pourrait, en outre, penser à une analogie avec le découpage opéré au niveau légal puisque l'article L. 122-9 du Code du travail n'exclut l'existence de l'indemnité de licenciement que pour les licenciements prononcés en raison d'une faute grave du salarié. Ce second argument est, cependant, moins convaincant puisqu'il est loisible aux partenaires sociaux de limiter l'amélioration que constitue l'indemnité conventionnelle à certains types de licenciements.

Enfin, cette interprétation est opportune car elle a le mérite d'exclure toute velléité de contournement de la disposition conventionnelle. En effet, la cause qualificative du licenciement étant liée à la rédaction de la lettre de licenciement, il serait aisé de priver le salarié de l'indemnité conventionnelle en invoquant un motif autre que l'insuffisance professionnelle ou l'incapacité physique. Certes, comme le soulevait l'avocat général dans son avis relatif à l'arrêt, une telle volonté de prévenir les fraudes ne peut être utilement invoquée comme règle d'interprétation d'une convention collective. Cela n'empêche pas de constater qu'une telle interprétation devrait permettre d'éviter que les règles de la convention soient contournées.

On pourrait se demander s'il subsiste une différence entre les conventions collectives qui prévoient simplement que l'indemnité conventionnelle sera versée en cas d'absence de motif disciplinaire et celles qui, comme la convention collective des banques, paraissent limiter seulement l'indemnité à certains motifs. Cette différence ne semble subsister que dans l'hypothèse d'un licenciement prononcé pour un motif non disciplinaire, distinct de l'insuffisance professionnelle et de l'incapacité physique, à condition toutefois que ce licenciement soit justifié par une cause réelle et sérieuse. On pourrait ainsi penser, par exemple, qu'un licenciement prononcé en raison du trouble objectif que constitue pour l'entreprise l'absence d'un salarié, trouble ayant rendu nécessaire son remplacement définitif, puisse permettre de l'exclure. Mais dans ce cas, à nouveau, c'est la cause justificative du licenciement qui constituera la caractéristique déterminante du versement d'une indemnité dont l'existence est pourtant liée à une cause qualificative.


(1) C. trav., art. L. 122-8 (N° Lexbase : L5558ACT).
(2) C. trav., art. L. 223-14 (N° Lexbase : L5916AC4).
(3) C. trav., art. L. 122-14-4 (N° Lexbase : L8990G74).
(4) V., en ce sens, l'avis de l'avocat général Allix.
(5) Cass. soc., 20 juin 1995, n° 92-40.049, Crédit lyonnais, société anonyme c/ Mme Jeanine Menou, inédit (N° Lexbase : A6231CX3) ; Cass. soc., 28 octobre 1997, n° 94-45.242, Banque nationale de Paris c/ Mme Colette Vallet, inédit (N° Lexbase : A7525C4H) ; Cass. soc., 23 mars 1999, n° 97-41.096, M. André Salomon c/ Société générale, inédit (N° Lexbase : A0722CZR) ; Cass. soc., 17 janvier 2001, n° 97-45.011, Mme Jeanine Delbot, inédit (N° Lexbase : A9498ASL).
(6) Cass. soc., 8 mars 2005, n° 01-44.752, M. Michel Canny c/ Crédit lyonnais, F-D (N° Lexbase : A2451DHA).
(7) Cass. soc., 15 mai 2002, n° 99-46.160, Mme Michèle Comte, épouse Pavin c/ Banque Rhône Alpes, FS-P (N° Lexbase : A6732AYY) et les obs. de S. Koleck-Desautel, L'indemnité conventionnelle de licenciement est due dès lors que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse, Lexbase Hebdo n° 25 du 30 mai 2002 - édition sociale (N° Lexbase : N2975AAG) ; RJS 2002, n° 812, p. 635.
(8) La solution est vigoureusement confirmée par un arrêt rendu en 2005, Cass. soc., 28 juin 2005, n° 03-44.819, Caisse d'épargne Île-de-France Paris c/ M. Patrice Paume, F-P+B (N° Lexbase : A8549DIH) ; RJS 2005, n° 974, p. 694 ; JCP éd. S, 2005, 1117, obs. P.-Y. Verkindt.
(9) On peut penser que les juges de Versailles, malgré les décisions de 2002 et de 2005, ont été influencés par l'existence d'une décision dissidente de la Chambre sociale, décision néanmoins restée inédite. V. Cass. soc., 7 juillet 2004, n° 02-42.821, Crédit lyonnais c/ M. Hugues Vannier, F-D (N° Lexbase : A0395DDY).
(10) Distinction initialement établie à l'égard du licenciement pour motif économique, v. J. Pélissier, La cause économique du licenciement, RJS 1992, p. 527.
(11) Cette idée avait déjà été mise en lumière par P.-Y. Verkindt dans ses observations relatives à l'arrêt du 28 juin 2005, v. Cass. soc., 28 juin 2005, n° 03-44.819, préc..
(12) C. trav., art. L. 122-14-4.
(13) En cas d'indemnité conventionnelle, v. Cass. soc., 5 juin 1986, n° 84-40.951, Société Loury-Thezelais c/ M Thezelais, publié (N° Lexbase : A4888AAB) ; en cas d'indemnité de licenciement stipulée au contrat de travail, v. Cass. soc., 28 février 2006, n° 04-48.280, M. Olivier Picon c/ Société Kooga sports limited, FS-P+B (N° Lexbase : A4279DNS) et les obs. de S. Martin-Cuenot, Du cumul de l'indemnité contractuelle de licenciement et de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, Lexbase Hebdo n° 206 du 16 mars 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N5687AKT).
(14) V. le rapport de Mme Bellamy, conseiller rapporteur.
(15) Ass. plén., 6 février 1976, n° 74-40.223, Demoiselle Alix c/ Société La belle jardinière, publié (N° Lexbase : A6884A3D) ; Ass. plén., 12 mai 1989, n° 86-41.740, Société lyonnaise de banque c/ M. Alheritière, publié (N° Lexbase : A1758CHL).
Décision

Ass. plén., 30 novembre 2007, n° 06-45.365, M. Michel Canny c/ Crédit lyonnais, P+B+R+I (N° Lexbase : A9892DZE)

Cassation (CA Versailles, 11 octobre 2006)

Textes visés : Articles 26, 26-2, 27-2 et 28 de la convention collective nationale de la banque du 10 janvier 2000 .

Mots-clés : licenciement ; indemnité conventionnelle ; absence de cause réelle et sérieuse.

Lien bases :

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Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Jurisprudence] La "Princesse", les ventes à consommer sur place, la TVA et l'établissement stable

Réf. : CAA Lyon, 12 juillet 2007, n° 04LY01394 et n° 04LY01544, Société Princesse de Provence CMBH and CO KG (N° Lexbase : A6179DYI)

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N3914BDC

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par Guy Quillévéré, commissaire du gouvernement près le tribunal administratif de Nantes

Le 07 Octobre 2010

Par une décision du 12 juillet 2007 (CAA Lyon, 12 juillet 2007, n° 04LY01394 et n° 04LY01544, Société Princesse de Provence CMBH and CO KG, conclusions M. Pourny), la cour administrative d'appel de Lyon a jugé que des ventes à consommer sur place relevant du c du 4 de l'article 259 A du CGI (N° Lexbase : L5202HLA) sont des prestations de services supposant, pour être exécutées matériellement, l'existence d'un établissement stable de la société étrangère en France, les dispositions de l'article 259 A 4°) n'étant pas contraire aux dispositions de l'article 9 paragraphe I de la 6ème Directive-TVA (Directive 77/388/CEE du Conseil du 17 mai 1977 N° Lexbase : L9279AU9) et à la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes. Les faits sommairement résumés de l'espèce étaient les suivants : la société Princesse de Provence est une société de droit allemand qui commercialise, directement ou par l'intermédiaire d'agences de voyages, des croisières fluviales qu'elle organise sur le Rhône et la Saône, à destination d'une clientèle principalement allemande. Elle a fait l'objet de deux vérifications de comptabilité, à la suite desquelles elle a été déclarée redevable de rappels de TVA.

L'importance de l'arrêt réside dans la lecture qui est faite par la cour administrative d'appel de Lyon des dispositions de l'article 259 A 4°) s'agissant de ventes à consommer sur place, au regard des dispositions de l'article 9 paragraphe I de la 6ème Directive-TVA. L'article 259 A 4°) dispose, en effet, que par dérogation aux dispositions de l'article 259 du CGI (N° Lexbase : L5197HL3), "le lieu des prestations suivantes est réputé se situer en France [...] 4°) les prestations ci-après lorsqu'elles sont matériellement exécutées en France : [...] ventes à consommer sur place". Mais la cour juge que l'exécution matérielle suppose "concrètement l'existence d'un établissement stable de la société étrangère en France". La vente à consommer sur place est une prestation de service, et aux termes des dispositions de l'article 9 paragraphe 1 de la 6ème Directive-TVA : "le lieu d'une prestation de service est réputé se situer à l'endroit où le prestataire a établi le siège de son activité économique ou un établissement stable à partir duquel la prestation est rendue ou, à défaut d'un tel siège ou d'un tel établissement stable, au lieu de son domicile ou de sa résidence habituelle".

Cet arrêt précise les conditions de la localisation en France de prestations réputées s'y situer. Cette localisation suppose la possibilité d'une exécution matérielle et a, donc, pour conséquence que, alors même qu'une prestation est réputée imposable en France, si le prestataire n'y est pas établi, c'est le preneur qui est redevable de la TVA. La décision restreint, en interprétant la notion d'exécution matérielle, le champ de la dérogation aux dispositions de l'article 259 du CGI posée par l'article 259 A 4 c du même code. L'originalité de l'arrêt résidant, alors, dans l'appréciation des règles de taxation aux opérations de restauration sur des moyens de transport qui circulent entre des Etats membres ayant des réglementations nationales divergentes en ce qui concerne le lieu de l'opération imposable. La cour administrative d'appel de Lyon retient partiellement la solution de la CJCE du 2 mai 1996 (CJCE, 2 mai 1996, aff. C-231/94, Faaborg-Gelting Linien A/S c/ Finanzamt Flensburg N° Lexbase : A9401AUQ : RJF 10/96 n° 1256, Rec. I-2395), mais contrairement à la CJCE, la cour juge que, s'agissant d'un bateau de croisière fluviale naviguant dans les eaux françaises, il est plus rationnel, sur le plan fiscal, de rattacher les prestations effectuées à bord à l'établissement stable que constitue le navire plutôt qu'au siège. La CJCE avait affirmé, dans l'affaire "Linien", que le rattachement d'une prestation de service à un établissement autre que le siège "n'entre en ligne de compte que si cet établissement présente une consistance minimale, par la réunion permanente des moyens humains et techniques nécessaires à des prestations de services déterminées", mais concluait que ce n'était pas le cas pour des opérations de restauration sur un navire, surtout lorsque le siège permanent de l'exploitant du navire fournit un point de rattachement utile en vue de l'imposition.

1. L'exécution matérielle d'une vente à consommer sur place suppose concrètement l'existence d'un établissement stable au sens de l'article 9 de la 6ème Directive-TVA

L'article 259 A-4° c du CGI dispose qu'une vente à consommer sur place est réputée se situer en France, lorsque ces prestations sont matériellement exécutées en France. La cour administrative d'appel de Lyon juge, alors, que cette exécution matérielle requiert l'existence d'un établissement stable. Les dispositions de l'article 259 du CGI auxquelles dérogent les dispositions de l'article 259 A-4° c du même Code sont la transposition des dispositions de l'article 9 paragraphe 1 de la 6ème Directive-TVA du 17 mai 1977. Or, les dispositions de l'article 9 de la 6ème Directive, qui se borne à définir le siège de l'activité du prestataire de service comme un point de rattachement prioritaire, n'excluent pas le rattachement à un autre établissement lorsque le choix du siège ne conduit pas à une solution rationnelle du point de vue fiscal ou créé un conflit avec un autre Etat membre.

1.1. Une vente à consommer sur place est une prestation de service (CJCE, 2 mai 1996, aff. C-231/94, FG-Linien).

La décision de la cour administrative d'appel de Lyon est, non seulement compatible avec les dispositions de l'article 9 de la 6ème-Directive, mais n'est pas contraire à la jurisprudence communautaire. Elle reprend la qualification de la vente à consommer sur place retenue par la CJCE le 2 mai 1996 (CJCE, aff. C-231/94, FG-Linien, précité). La Cour avait, alors, jugé que les opérations de restauration sont des prestations de services, au sens de l'article 6 § 1 de la 6ème Directive-TVA. La cour administrative d'appel de Lyon regarde, donc, indirectement les dispositions de l'article 259 A 4° du CGI comme compatibles avec l'article 6 §1 de 6ème Directive-TVA.

La qualification à donner aux ventes à consommer sur place n'était pas nécessairement évidente. Dans sa décision "Linien", la CJCE s'était interrogée sur le point de savoir si les opérations de restauration constituent des livraisons de biens au sens de l'article 5 de la 6ème Directive, réputées avoir lieu à l'endroit où le bien se trouve au moment de la livraison, selon l'article 8 § 1 b), ou si elles constituent des prestations de services au sens de l'article 6 § 1, réputées avoir lieu à l'endroit où le prestataire a établi le siège de son activité, conformément à l'article 9 § 1, de la même Directive. Il avait été jugé par la CJCE que les opérations de restauration sont à considérer comme des prestations de services, au sens de l'article 6 § 1 de la 6ème Directive-TVA. Elles sont réputées avoir lieu à l'endroit où le prestataire a établi le siège de son activité économique, conformément à l'article 9 § 1 de la même Directive.

Appliquant la technique du faisceau d'indice, qui est aussi celle que retient le Conseil d'Etat, la cour soulignait la nécessité de prendre en considération toutes les circonstances dans lesquelles se déroule l'opération en question pour en rechercher les éléments caractéristiques. La cour administrative d'appel de Lyon, dans les motifs de l'arrêt, est d'un laconisme prudent sur la manière de réaliser la prestation mais affirme que la préparation des repas jusqu'au service à bord est exécutée sur le territoire français. La CJCE, dans la décision "Linien", avait précisé que la fourniture de mets préparés et de boissons prêts à la consommation immédiate est le résultat d'une série de services allant de la cuisson des mets jusqu'à leur délivrance matérielle sur un support et qu'elle s'accompagne de la mise à la disposition du client d'une infrastructure comportant aussi bien une salle de restauration avec dépendances (garde-robes, etc.) que le mobilier et la vaisselle. La cour administrative d'appel se montre, certes, plus laconique, mais procède de la même façon que le juge communautaire à une analyse des circonstances concrètes dans lesquelles se déroule l'opération.

Il apparaît, ainsi, que l'opération de restauration est caractérisée par un faisceau d'éléments et d'actes dont la livraison de nourriture n'est qu'une composante et au sein duquel les services prédominent largement. Elle doit, par conséquent, être considérée comme une prestation de services au sens de l'article 6 § 1 de la 6ème Directive-TVA. Il en va, en revanche, différemment lorsque l'opération porte sur les aliments "à emporter" et qu'elle ne s'accompagne pas de services destinés à agrémenter la consommation sur place dans un cadre adéquat. La décision de la cour administrative d'appel de Lyon ne devrait donc pas concerner les ventes à emporter mais seulement celles à consommer sur place.

Dès lors qu'il est établi que l'opération de restauration effectuée à bord du navire de croisière constitue une prestation de services, il y a lieu de déterminer sa localisation c'est-à-dire l'endroit où elle est réputée avoir été exécutée.

1.2. Une vente à consommer sur place, pour être matériellement exécutée, suppose un établissement stable

Les dispositions de l'article 259 A 4°) dérogent à celles de l'article 259 du CGI. La décision de la cour administrative d'appel de Lyon restreint cette dérogation, la présomption de localisation en France supposant, lorsque l'exécution matérielle de la prestation de service l'impose, un établissement stable. Nous sommes donc renvoyés, d'une certaine façon, sur le terrain de l'article 259 du CGI. L'article 259 prévoit que "les prestations de services sont imposables en France lorsque le prestataire a en France le siège de son activité ou un établissement stable". En l'espèce, le siège de la société n'est pas en France. L'article 259 A 4°) se réfère implicitement à la notion d'établissement stable en tant que l'exécution matérielle d'une vente à consommer sur place suppose un établissement stable de la société étrangère en France. Les dispositions de l'article 259 du CGI résultent de la transposition de celles de l'article 9 de la 6ème Directive-TVA, il se pourrait donc que les dispositions de l'article 259 A 4° qui y dérogent soient incompatibles avec celles de l'article 9. La cour administrative d'appel de Lyon répond négativement en analysant la compatibilité des dispositions de l'article 259 A 4°) du CGI avec l'article 9 de la 6ème Directive-TVA.

Il convient, donc, et s'agissant d'un bateau de croisière fluviale d'apprécier l'existence d'un établissement stable.

Le rattachement d'une prestation de services à un établissement autre que le siège n'entre en ligne de compte que si cet établissement présente, un degré suffisant de permanence et une structure apte, du point de vue de l'équipement humain et technique, à rendre possibles, de manière autonome, les prestations de services considérées (CJCE, 17 juillet 1997 aff. C-190/95, Aro Lease BV N° Lexbase : A9909AUK : RJF 10/97, n° 999 ; Recueil 1997-I p. 4383 ; CJCE, 7 mai 1998, aff. C-390/96, 5ème ch., Lease Plan Luxembourg SA N° Lexbase : A0444AWD). La notion d'établissement stable figurant au paragraphe 1 de l'article 9 de la 6ème Directive-TVA doit être interprétée en ce sens qu'une entreprise établie dans un Etat membre qui donne en location ou en leasing un certain nombre de véhicules à des clients qui sont établis dans un autre Etat membre, ne dispose pas, du fait même de cette mise en location, d'un établissement stable dans l'autre Etat membre (CJCE, 7 mai 1998, aff. C-390/96, 5ème ch., Lease Plan Luxembourg SA, précité : RJF 7/98 n° 892).

S'inspirant de la définition donnée par la CJCE, le Conseil d'Etat a défini l'établissement stable comme suit : un établissement stable est caractérisé par la disposition personnelle et permanente d'une installation comportant les moyens humains et techniques nécessaires à l'activité de l'assujetti (CE 31 janvier 1997, n° 170164, Hofman et Gebhartxi N° Lexbase : A8131ADI ; CE 31 janvier 1997 n° 150828-157689, Stark N° Lexbase : A7987AD8 ; CE 31 janvier 1997, 8° et 9° s-s-r., n° 170166, Schlosser N° Lexbase : A8132ADK : RJF 3/97 n° 217 ; CE 17 octobre 1997 8° s-s., n° 181412, Société Partenreederci Bossinger N° Lexbase : A4815AS7).

En l'espèce, la cour administrative d'appel de Lyon se place dans cette ligne jurisprudentielle en soulignant que le bateau sur lequel la société Ligabue exécute l'ensemble de ses prestations présente une consistance minimale par la réunion permanente de moyens humains et techniques nécessaires à la réalisation des prestations. Nous sommes, donc, en présence d'un établissement stable au sens de l'article 9 de la 6ème Directive-TVA transposé à l'article 259 du CGI. Toutefois, l'article 9, paragraphe 1, de la 6ème Directive a pu être interprété en ce sens qu'une installation destinée à une activité commerciale, comme l'exploitation de machines à sous, sur un bateau naviguant hors du territoire national en haute mer, ne saurait être qualifiée comme établissement stable au sens de la disposition citée que si, non seulement cet établissement comporte une réunion permanente de moyens humains et techniques nécessaires aux prestations de services en cause mais aussi si ces prestations ne peuvent pas être utilement rattachées au siège de l'activité économique du prestataire (CJCE, 4 juillet 1985, aff. C-168/84, Gunter Berkholz N° Lexbase : A8291AUM ; Recueil 1985-6 p. 2251).

Ainsi, les conditions d'existence d'un établissement stable sont satisfaites mais il peut paraître plus rationnel de rattacher, malgré tout, la prestation au siège. C'est ici que la décision de la cour de Lyon s'éloigne du précédent de la CJCE et qu'elle fait oeuvre de jurisprudence en se prononçant alors même que les conditions d'existence de l'établissement stables sont réunies sur le rattachement au lieu du siège, mais pour l'écarter.

2. Il est plus rationnel, sur le plan fiscal, de rattacher les prestations exécutées à bord d'un navire de croisière fluviale à l'établissement stable

Le lieu de rattachement des ventes à consommer sur place est le lieu où elle sont exécutées matériellement, nonobstant la circonstance que le lieu du siège soit un point de rattachement prioritaire. La notion de rattachement au siège figure dans l'arrêt de la CJCE en date du 2 mai 1996 (CJCE, aff. C-231/94, Faaborg-Gelting-Linien AS, précité : RJF 10/96 n° 1256, Rec. I-2395). La cour rappelle que le rattachement d'une prestation de service à un établissement autre que le siège "n'entre en ligne de compte que si cet établissement présente une consistance minimale, par la réunion permanente des moyens humains et techniques nécessaires à des prestations déterminées". La cour en conclut que ce n'est pas le cas pour des opérations de restauration sur un navire, surtout lorsque le siège permanent de l'exploitant du navire fournit un point de rattachement utile en vue de l'imposition. La décision de la cour administrative d'appel de Lyon ne retient pas une telle analyse.

2.1. Le rattachement de la prestation de service au siège est regardé par la CJCE comme un point de rattachement prioritaire

Le lieu du siège de l'activité du prestataire est un point de rattachement prioritaire : la prise en considération d'un autre établissement à partir duquel la prestation de services est rendue ne présente un intérêt que dans le cas où le rattachement au siège ne conduit pas à une solution rationnelle du point de vue fiscal ou crée un conflit avec un autre Etat membre (CJCE, 4 juillet 1985, aff. C-168/84, Berkholz, précité ; Recueil 1985-6 p. 2251 ; CJCE 2 mai 1996, aff. C-231/94, FG Linien, 6ème ch., précité : RJF 10/96 n° 1256 ; Recueil 1996-I p. 2395 ; CJCE, 20 février 1997, aff. C-260/95, DFDS N° Lexbase : A9911AUM : RJF 4/97 n° 406 ; Recueil 1997-I p. 1005).

L'arrêt "Gunter Berkholz" concernait l'exploitation d'automates de jeux à bord d'un navire. Le siège permanent de l'exploitant de ces automates fournissait un point de rattachement utile en vue de l'imposition. De même, à propos de la décision "Linien", l'Avocat général notait dans ses conclusions qu'admettre l'existence d'un établissement stable sur un ferry ne conduirait pas à une délimitation rationnelle du champ d'application des législations des Etats membres et que si l'existence d'un établissement stable sur un navire était admise, il faudrait que cet établissement soit rattaché à l'Etat membre avec lequel il présente des liens suffisamment étroits, c'est-à-dire avec l'Etat membre dans lequel le ferry est immatriculé et où se trouve le siège de la société exploitante.

Le Conseil d'Etat, dans le prolongement des décisions de la CJCE, avait évité de prendre en compte un critère complexe à l'application manifestement nuancée tiré de l'idée de solution rationnelle. Dans sa décision du 31 janvier 1997 (CE, 31 janvier 1997, n° 170164 Hofman et Gebbart N° Lexbase : A8131ADI) précisant la notion d'établissement stable, au sens de l'article 242 OM de l'annexe II au CGI, le Conseil d'Etat n'avait retenu des critères de la CJCE pour l'application de l'article 9 paragraphe 1 de la 6ème Directive-TVA que le critère tiré de la réunion permanente des moyens humains et techniques nécessaires aux prestations de service à l'exclusion de celui de l'impossibilité de rattacher les prestations au siège de l'activité économique du prestataire. Ainsi, ne constitue pas un établissement stable en France, pour les propriétaires d'un voilier établis en Allemagne, la société française à laquelle ils ont confié la garde et l'entretien du voilier dans un port français et donné mandat d'assurer la location du voilier pour leur compte (CE 31 janvier 1997, n° 170164, Hofman et Gebhart, précité ; CE, 31 janvier 1997, n° 170166, Schlosser, précité : RJF 3/97 n° 217).

Le critère du siège qui est, depuis une décision de la CJCE du 28 juin 2007 (CJCE, 28 juin 2007, aff. C-73/06 4ème ch., Planzen Luxembourg SARL N° Lexbase : A9310DWQ : RJF 11/07 n° 1367) définit comme le lieu où sont adoptées les décisions essentielles concernant la direction générale de cette société et où sont exercées les fonctions d'administration centrale de celle-ci, revêt une portée autonome de celle de l'établissement stable. Le caractère rationnel du rattachement des prestations à celui-ci avait conduit la CJCE à adopter la solution "Linien", la cour administrative d'appel de Lyon s'écarte de cette solution, elle retient pour l'analyser le critère du siège, mais l'écarte aussitôt en soulignant qu'il est plus rationnel sur le plan fiscal de rattacher les prestations à l'établissement stable.

2.2. En l'espèce, le rattachement au siège ne conduit pas à une solution rationnelle, le rattachement au siège est écarté

La décision de la cour administrative d'appel de Lyon ne retient pas l'analyse de la CJCE s'agissant du lieu de rattachement de la prestation pour une prestation de vente à consommer sur place sur un navire. La Cour de justice regarde le critère du siège comme prioritaire mais en ce sens que le critère de l'établissement stable ne présente d'intérêt que dans le cas où le rattachement au siège ne conduit pas à une solution rationnelle du point de vue fiscal ou crée un conflit avec un autre Etat membre. La Cour de justice, ce faisant, semble hiérarchiser les deux critères, encore qu'il s'agisse là, sans doute, d'une analyse d'espèce. Toutefois, le deuxième critère de l'établissement stable n'entre en ligne de compte que si cet établissement présente la réunion permanente des moyens humains et techniques nécessaires à des prestations de services déterminées. La cour administrative d'appel de Lyon juge, de son côté, qu'il est plus rationnel au plan fiscal de rattacher les prestations exécutées à bord de l'établissement stable que constitue le bateau de la requérante. La cour ne se borne pas à constater l'existence d'un établissement stable mais fait application du second critère, le siège, pour l'écarter et pour se prononcer.

Alors, peut-on dire que la décision de la cour administrative d'appel de Lyon est contraire à la jurisprudence de la CJCE ? Nous ne le croyons pas, car la CJCE indique, dans sa décision "DFDS A/S" du 20 février 1997 (aff. C-260/95) se référant à l'arrêt "Berkholz" du 4 juillet 1985 (aff. C-168/84), qu'il appartient aux autorités fiscales de chaque Etat membre de déterminer, dans le cadre des options offertes pour la 6ème Directive-TVA, quel est, pour une prestation de services déterminée, le point de rattachement le plus utile du point de vue fiscal.

En retenant, non seulement le critère, désormais classique, de la réunion des moyens, mais aussi en retenant celui tiré de la rationalité du rattachement, la cour administrative d'appel de Lyon fait prévaloir l'établissement stable sur le siège et fait oeuvre jurisprudentielle, nonobstant la circonstance que le bateau de croisière fluviale n'a pas, conformément à la jurisprudence des Communautés, un statut indépendant par rapport à la société du siège (CJCE, 20 février 1997, aff. C-260/95, DFDS précité : RJF 4/97 n° 406). Il est donc intéressant de savoir ce que seront les suites données à la décision des juges de Lyon.

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Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Réparation du non-respect par l'employeur d'un engagement de reclassement

Réf. : Cass. soc., 27 novembre 2007, n° 06-42.745, Société American Airlines, F-D (N° Lexbase : A9489DZH) ; Cass. soc., 27 novembre 2007, n° 06-42.746, Société American Airlines, F-D (N° Lexbase : A9490DZI)

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N3983BDU

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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen

Le 07 Octobre 2010

L'employeur, au titre de son obligation de reclassement, est tenu à un certain nombre d'obligations spécifiques, dès lors que le licenciement envisagé, portant sur plus de 10 salariés sur une période de 30 jours, donne lieu à la mise en place d'un plan de sauvegarde de l'emploi. Ces obligations, légales, sont de deux ordres : prévues par le Code du travail (C. trav., art. L. 321-4-1 N° Lexbase : L8926G7Q), elles portent sur la mise en place du plan de sauvegarde de l'emploi ; prévues par le Code civil (C. civ., art. 1382 N° Lexbase : L1488ABQ), elles portent sur l'exécution de l'obligation de reclassement prise par l'employeur au titre du plan de sauvegarde de l'emploi, dont le non-respect peut engager sa responsabilité. Ces deux obligations sont fréquemment rappelées par les juridictions, essentiellement au titre des obligations de mise en place du plan de sauvegarde de l'emploi, et moins souvent au titre de son exécution. L'intérêt des deux arrêts rendus par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 27 novembre 2007 tient précisément à leur objet, puisque la Cour précise le régime de la réparation due aux salariés dès lors que l'employeur ne respecte pas ses engagements de reclassement.
Résumé

Même si un employeur ne s'engage à garantir l'exécution du plan social qu'envers le comité d'entreprise, les salariés licenciés sont en droit de se prévaloir, sur le fondement de la responsabilité extra-contractuelle, d'une violation de cet engagement, dès lors qu'il en est résulté pour eux un préjudice.

On se souvient de la faillite de la société pourtant mythique de la TWA, rachetée par American Airlines. Ne disposant plus d'aucun vol vers la France, l'employeur avait, alors, engagé une procédure de licenciement collectif du personnel employé à Roissy et passé à son service, en établissant à cet effet un plan social, complété par un "protocole d'accord" du 12 juillet 2001, qui organisait, à l'intention des salariés intéressés, une procédure de reclassement auprès de la société American Airlines. Dans une lettre adressée le 2 août 2001 au comité d'entreprise, la société American Airlines s'est engagée à garantir l'exécution de la procédure de reclassement prévue dans le plan social. Reprochant à leur employeur d'avoir manqué aux obligations prises dans le plan social, et à la société American Airlines de n'avoir pas tenu ses engagements, 25 salariés licenciés ont saisi le juge prud'homal de demandes indemnitaires dirigées contre ces deux sociétés. Les deux arrêts rapportés rappellent que l'employeur est tenu d'exécuter de bonne foi ses engagements de reclassement, à défaut de quoi il engage sa responsabilité.

1. Exécution de bonne foi des engagements de reclassement

L'employeur s'engage, dans le processus du plan de sauvegarde de l'emploi, à assurer un reclassement des salariés (éviter, limiter les licenciements, reclasser les salariés licenciés...), qu'il soit interne ou externe, en retenant les mesures adaptées à sa situation financière, sa structure, ses objectifs, et propres aux salariés, selon leur profil particulier. L'engagement de l'employeur mérite un examen attentif de son régime. Les enjeux sont d'importance, notamment au regard des questions du respect de l'engagement unilatéral et des sanctions encourues. Il ressort que l'employeur est tenu d'exécuter de bonne foi les engagements de reclassement pris au titre et dans le cadre du plan de sauvegarde de l'emploi (1).

1.1. Principe d'une exécution de bonne foi des engagements de reclassement

L'exécution de bonne foi du plan de sauvegarde de l'emploi résulte de deux normes juridiques très différentes : le contrat ou l'acte unilatéral. Dans le champ contractuel, l'employeur peut être tenu d'exécuter de bonne foi son engagement de reclassement collectif, en tant que partie signataire. En qualité de débiteur, il est dans l'obligation de respecter ses engagements contractuels, pris au titre d'un accord d'entreprise (accord sur l'emploi, par exemple) ou d'une convention conclue avec la Direction départementale du Travail, de l'Emploi et de la Formation Professionnelle (DDTEFP) (portant sur l'allocation spéciale du fonds national pour l'emploi -ASFNE-, par exemple, ou la prise en charge du chômage partiel). L'autre hypothèse, l'acte unilatéral, est un peu plus délicate. La doctrine et la jurisprudence admettent que l'émetteur d'un acte unilatéral soit tenu de ses engagements à l'égard du bénéficiaire (2).

1.2. Suivi des plans de sauvegarde de l'emploi

La loi organise une information de l'exécution du plan de sauvegarde de l'emploi, dont sont bénéficiaires les représentants du personnel et l'administration du travail (C. trav., art. L. 321-4, al. 8 N° Lexbase : L9633GQT). On dispose de très peu de données juridiques ou jurisprudentielles sur ce thème, qui ne génère aucun contentieux, aussi bien judiciaire qu'administratif. Le législateur, enfin sensibilisé par la question, a prévu de nouvelles modalités de suivi.

La loi nº 2002-73 du 17 janvier 2002, de modernisation sociale (N° Lexbase : L1304AW9), a mis en place une nouvelle règle : désormais, le plan de sauvegarde de l'emploi doit déterminer les modalités de suivi de la mise en oeuvre effective des mesures inclues dans le plan. Ce suivi fait l'objet d'une consultation régulière et approfondie du comité d'entreprise ou des délégués du personnel. La DDTEFP est associée au suivi de ces mesures (C. trav., art. L. 321-4). La loi n° 2003-6 du 3 janvier 2003, portant relance de la négociation collective en matière de licenciements économiques (N° Lexbase : L9374A8P), n'a pas porté atteinte à ce principe. De plus, cette loi a prévu que ces accords de méthode conclus peuvent utilement prévoir, dans le respect des dispositions légales en vigueur, toute disposition relative, notamment, au suivi de la mise en oeuvre du plan de sauvegarde de l'emploi (circulaire DGEFP/DRT, n° 2003-03, du 26 février 2003, relative à la mise en oeuvre de la loi n° 2003-6 du 3 janvier 2003, portant relance de la négociation collective en matière de licenciements économiques N° Lexbase : L9666A9U).

2. Sanctions de l'inexécution des engagements de reclassement

Un certain nombre de motifs peut être avancé par un employeur pour justifier de son incapacité à respecter un engagement de ne pas licencier ou de reclasser (situation financière de l'entreprise, restructuration, cessation d'activité...). Face à une telle violation de ses propres engagements, les réponses juridiques sont de deux ordres : elles sont propres au droit du travail ou relèvent du droit commun des obligations. Normalement, l'action contentieuse relève de la compétence du tribunal de grande instance, spécialement lorsque l'employeur n'a pas respecté la mise en oeuvre d'un droit reconnu aux salariés compris dans un licenciement économique collectif, dont le fondement était conventionnel (3).

2.1. Sanctions propres au droit du travail

Le non-respect par l'employeur d'un engagement contenu dans le plan de sauvegarde de l'emploi entraîne une série de sanctions très variables. La première sanction porte sur le versement d'une somme (indemnité, allocation) prévue au plan de sauvegarde de l'emploi (4). La seconde sanction a pour objet d'invalider les licenciements, qui se trouvent, dès lors, privés de cause réelle et sérieuse (5). La juridiction compétente sera le conseil de prud'hommes (6). Le fondement juridique de la force obligatoire du plan de sauvegarde de l'emploi, justifiant que des sanctions soient prononcées à l'encontre de l'employeur qui ne respecte pas ses engagements unilatéraux, repose sur le principe que l'employeur ne peut revenir sur son engagement, si celui-ci est pris pour une durée déterminée, ce qui est le plus souvent le cas (7).

Ces sanctions classiques restent assez peu dissuasives, parce que limitées à une perspective indemnitaire. C'est pourquoi le législateur, soucieux d'assurer une plus grande efficacité économique et sociale aux différentes aides publiques spécialement accordées dans le champ de l'emploi, a réformé le droit des aides publiques, dans une perspective d'une plus grande rigueur (loi n° 2001-7 du 4 janvier 2001, relative au contrôle des fonds publics accordés aux entreprises N° Lexbase : L1992BGU). Désormais, tout comité d'entreprise (ou, à défaut, un délégué du personnel) peut saisir l'organisme gestionnaire d'aides ou l'autorité compétente lorsqu'il estime que l'employeur ne respecte pas les engagements souscrits pour bénéficier des aides à l'emploi. Il peut le faire à partir de la connaissance du montant et de l'utilisation des aides publiques que l'employeur est tenu de lui communiquer (C. trav., art. L. 432-4 N° Lexbase : L6408ACC). L'organisme gestionnaire saisi peut décider, après avoir entendu l'employeur et les représentants du personnel, de suspendre ou de retirer l'aide accordée et peut en exiger le remboursement. Il en apprécie l'utilisation en fonction, notamment, de l'évolution de l'emploi dans l'entreprise considérée ou des engagements formulés par le chef d'entreprise pour bénéficier de ces aides ou, enfin, des objectifs avancés par les salariés et leurs organisations syndicales.

2.2. Responsabilité civile

  • Responsabilité contractuelle

Même si le plan de sauvegarde de l'emploi constitue, par principe, un acte unilatéral, des conventions portant sur le reclassement collectif peuvent très bien être conclues par l'employeur avec l'Etat (DDTEFP) ou les syndicats (accord sur l'emploi). Dès lors, le régime juridique du droit des contrats sera applicable. La situation la plus répandue est la violation d'un engagement de l'employeur (conclu dans le cadre d'une convention d'allocations spéciales du FNE), de ne procéder à aucun licenciement ni à aucun départ négocié pour les salariés âgés de 50 à 55 ans et de procéder au reclassement interne ou externe des salariés remplissant cette condition d'âge dont l'emploi serait supprimé. La Cour de cassation admet une réparation d'un tel préjudice sur le fondement de la responsabilité contractuelle (8). La responsabilité sera retenue, même si cet engagement est contenu dans un contrat liant l'employeur à l'Etat (convention ASFNE) et non avec le salarié (9).

De plus, la réparation obtenue au profit du salarié pourra porter sur la perte d'une chance. Il a été admis que, dans le cadre d'un plan de sauvegarde de l'emploi prévoyant la transformation d'un emploi à temps plein en emploi à temps partiel (convention d'aide au passage à temps partiel), l'employeur commet une faute en ne respectant pas ses engagements, causant aux salariés licenciés un préjudice résultant de la perte d'une chance de conserver leur emploi (10). L'employeur qui s'engage, dans un plan de sauvegarde de l'emploi, à solliciter, auprès de la DDTEFP, la conclusion d'une convention du Fonds national de l'emploi engage sa responsabilité en cas de retard (privant, de ce fait, le salarié de la faculté d'adhérer à une convention ASFNE (11).

  • Responsabilité extra-contractuelle

Si l'engagement de ne pas licencier certains salariés s'inscrit, le plus souvent, dans un contrat conclu avec l'Etat (convention ASFNE), il peut aussi résulter d'un accord d'entreprise ou atypique (conclu avec les syndicats ou les représentants du personnel), d'un accord individuel ou d'un engagement unilatéral (12).

Les deux arrêts rapportés traitent de deux points très intéressants du régime de la responsabilité civile appliqué au droit du licenciement économique collectif.

- La question du fondement de la responsabilité civile

En l'espèce, les engagements de reclassement pris par l'employeur n'avaient pour destinataires que les représentants du personnel, et non les salariés eux-mêmes. Doivent-ils, pour autant, être exclus des bénéficiaires de l'engagement de reclassement ? Plus exactement, les salariés ont-ils encore un titre juridique à invoquer pour obtenir réparation (de la violation par l'employeur de son engagement de reclassement) ? La Cour de cassation relève (arrêts rapportés) que, si la société American Airlines ne s'était engagée à garantir l'exécution du plan social qu'envers le comité d'entreprise, les salariés licenciés étaient en droit de se prévaloir, sur le fondement de la responsabilité extra-contractuelle, d'une violation de cet engagement, dès lors qu'il en était résulté pour eux un préjudice. Si la société American Airlines ne s'était engagée à garantir l'exécution du plan social qu'envers le comité d'entreprise, le salarié licencié était en droit de se prévaloir, sur le fondement de la responsabilité extra-contractuelle, d'une violation de cet engagement, dès lors qu'il en était résulté pour lui un préjudice.

Dans le même sens, mais dans le cadre bien précis d'une procédure collective, la Cour de cassation a admis que la recevabilité de l'action engagée par un créancier d'un débiteur en procédure collective contre un tiers dépend seulement du point de savoir s'il justifie d'un préjudice spécial et distinct de celui évoqué par les autres créanciers (Cass. soc., 14 novembre 2007, n° 05-21.239, FS-P+B N° Lexbase : A5847DZL ; lire les obs. de G. Auzero, Recevabilité de l'action en responsabilité engagée par des salariés, créanciers d'un débiteur en procédure collective, contre un tiers, Lexbase Hebdo n° 283 du 29 novembre 2007 - édition sociale N° Lexbase : N2145BDS). Le préjudice résultant, à la suite de la cession d'une filiale, de la perte de leur emploi ainsi que de la diminution de leur droit à participation dans la société employeur et de la perte d'une chance de bénéficier des dispositions du plan social du groupe, constitue, pour les salariés, un préjudice particulier et distinct de celui éprouvé par l'ensemble des créanciers de la procédure collective.

- La question de la nature du préjudice subi par les salariés

Les juges du fond ont relevé, en l'espèce, que la société American Airlines n'avait pas accompli toutes les diligences qu'impliquait la mise en oeuvre du plan social dont elle garantissait l'exécution. La Cour de cassation souligne, dans les deux arrêts rapportés, que l'employeur n'avait pas veillé, avant cette date, à la mise en oeuvre des mesures d'accompagnement prévues dans le plan et dans le protocole d'accord qui le complétait. Ces deux sociétés avaient, ainsi, commis une faute, qui avait privé les salariés ayant fait acte de candidature d'une chance de reclassement et qui ouvrait droit à indemnisation.

La solution n'est pas originale. La Cour de cassation l'avait déjà admise (Cass. soc., 6 juin 2007, n° 06-41.001, FS-D N° Lexbase : A7810DW8). En l'espèce, la société Giat et sa filiale, la société Sofred, qui savaient que le redressement de la situation très obérée de la société Y était conditionné par un apport personnel, sans cesse différé promis par M. Y pour en couvrir le déficit, avaient néanmoins encouragé un salarié dans son projet de reclassement externe auprès de la société Y, sans lui communiquer ces informations dont il n'a pas été prétendu qu'il les connaissait, ce qui avait conduit l'intéressé à conclure un contrat de travail avec un employeur qui devait déposer son bilan sept jours plus tard. La société Giat a failli à son obligation de mettre en oeuvre de bonne foi le plan de sauvegarde de l'emploi et devait réparer le préjudice qui en était résulté pour le salarié, lequel avait ainsi perdu une chance d'effectuer un autre choix. D'où le principe, dégagé par la Cour de cassation, selon lequel l'employeur qui, dans le cadre de la mise en oeuvre d'un plan de sauvegarde de l'emploi qu'il a établi, propose aux salariés des mesures de reclassement dans une autre entreprise, doit les informer loyalement des risques que peuvent présenter les emplois proposés.


(1) Bibliographie : F. Bruggeman, Analyse de l'exécution d'un plan : l'exemple de l'entreprise Chausson à Creil, dans Le salarié, l'entreprise, le juge et l'emploi, Cahier travail et emploi, Doc. Fr./ministère de l'Emploi et de la solidarité, 2001, p. 161 ; F. Gaudu, Le contrôle des engagements en matière d'emploi, Dr. soc. 1998, p. 36 ; F. Géa, L'intervention des différents acteurs de l'entreprise en matière d'exécution du plan social, dans Le salarié, l'entreprise, le juge et l'emploi, Cahier travail et emploi, préc. 2001, p. 139 ; J. Savatier, L'engagement de ne pas licencier certains salariés souscrit par un employeur dans une convention d'allocations spéciales FNE, Dr. soc. 1999, p. 677 ; La portée des engagements pris par l'employeur dans le cadre d'un plan social lors d'un licenciement collectif, Dr. soc. 1990, p. 803 ; Une extension contestable de la notion d'activités sociales et culturelles des comités d'entreprise, RJS 3/1999, p. 199.
(2) Cass. soc., 25 novembre 2003, n° 01-17.501, Société BSN Glasspack c/ Syndicat CFDT Chimie Energie de Rhone Alpes Ouest (CFDT-SCERAO), FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2101DA3) ; Bull. civ. V n° 294, p. 296 ; Dr. soc. février 2004, p. 166, obs. J. Savatier, RTDCiv. 2004, p. 733-734, obs. J. Mestre et B. Fages.
(3) F. Duquesne, Le tribunal de grande instance face au licenciement économique collectif, Dr. soc. 2002, p. 606.
(4) Allocation complémentaire de retraite : Cass. soc., 23 février 1994, n° 92-42.896, Société Rhône Poulenc Rorer c/ M. Péguy, publié (N° Lexbase : A1079ABL) ; Bull. civ. V, n° 69, Dr. soc. 1994. 516, RJS 4/1994, n° 392.
(5) Cass. soc., 6 juin 2000, n° 98-42.860, Société Roneo c/ Syndicat CFDT de la Métallurgie des Deux-Sèvres et autres, publié (N° Lexbase : A6687AH7) ; Bull. civ. V, n° 219, Dr. soc. 2000. 1032, obs. G. Couturier.
(6) Cass. soc., 23 février 1994, n° 92-42.896, préc.. 
(7) Cass. soc., 4 avril 1990, n° 86-42.626, Société nouvelle des Etablissements Maguin c/ M. Courtin et autres, publié (N° Lexbase : A8757AAL) ; Bull. civ. V, n° 161, RJS 5/1990, n° 372.
(8) Cass. soc., 13 avril 1999, n° 96-44.334, M. Mérono c/ Société Montabert, publié (N° Lexbase : A4651AGD) ; Bull. civ. V, n° 176, Dr. soc. 1999. 680 et J. Savatier, Dr. soc. 1999, p. 677 ; CA Paris, 1er avril 1996, RJS 6/1994, n° 684; CA Paris, 7 juillet 1993, RJS 8-9/1993, n° 949.
(9) CA Versailles, 21 mai 1996, RJS 10/1996, n° 1072.
(10) Cass. soc., 6 mai 1998, n° 95-45.464, Société Eternit industrie c/ M. Cabieces et autres, publié (N° Lexbase : A2587ACS) ; Bull. civ. V, n° 231, RJS 6/98, n° 715.
(11) Cass. soc., 14 novembre 2001, n° 99-46.298, AGS de Paris c/ M. Alain Blum, F-D (N° Lexbase : A1024AX9) ; Semaine sociale Lamy 3 décembre 2001, n° 1053, p. 13.
(12) G. Gélineau-Larrivet, Quelques observations sur le respect des engagements en matière d'emploi, Dr. soc. 1998., p. 380 ; A. Lyon-Caen, Le maintien de l'emploi, Dr. soc. 1996, p. 655 ; F. Petit, Sur les clauses de garantie d'emploi, Dr. soc. 2000, p. 80 ; M.-A. Souriac-Rotschild, Engagements et arrangements sur l'emploi : quelle efficacité juridique ?, Dr. soc. 1997, p. 1061 ; J. Savatier, Les garanties contractuelles de stabilité d'emploi, Dr. soc. 1991, p. 413.
Décisions

Cass. soc., 27 novembre 2007, n° 06-42.745, Société American Airlines, F-D (N° Lexbase : A9489DZH)

Rejet (CA Paris, 21ème ch., sect. C, 21 mars 2006)

Textes concernés : néant

Cass. soc., 27 novembre 2007, n° 06-42.746, Société American Airlines, F-D (N° Lexbase : A9490DZI)

Rejet (CA Paris, 21ème ch., sect. C, 21 mars 2006)

Textes concernés : néant

Mots-clefs : plan de sauvegarde de l'emploi ; exécution ; obligation de reclassement ; défaillance de l'employeur ; sanctions ; responsabilité civile ; préjudice ; perte de chance.

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