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N2226BDS
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction
Le 27 Mars 2014
Avec 106 millions d'euros en 2004, 205 millions d'euros en 2005 et 349 millions d'euros en 2006, on peut dire que les recettes directement liées à l'acuité visuelle des radars automatiques connaissent une croissance que beaucoup d'entreprises ou que les finances publiques, elles-mêmes, peuvent envier. En moyenne, un radar rapporte 208 000 euros par an. Le Trésor public reçoit peu de contestations, seulement 3 %, et 70 % du montant des amendes est recouvré. La logistique est donc implacable et des plus rentables. Et on comprend, dès lors, qu'avec une telle manne, d'aucuns verraient bien tomber dans leurs escarcelles quelques miettes de ce gâteau inespéré ; les collectivités territoriales, au premier rang. Après tout, ces radars sont installés sur le domaine public et le Code général de la propriété des personnes publiques prévoit bien que toute occupation ou utilisation du domaine public d'une personne publique donne lieu au paiement d'une redevance.
Certes, une partie des recettes ainsi engrangées est affectée à l'Agence de financement des infrastructures de transport en France (Afitf), en charge essentiellement de l'entretien des routes nationales. Mais, les départements demeurent les parents pauvres de cette redistribution, alors que plus de 40 % des radars sont situés sur des routes départementales. Certains d'entre eux ont alors décidé d'instaurer une redevance sur ces radars implantés sur le domaine public routier départemental.
Toutefois, c'était sans compter sur le fait que les équipements routiers, dont les radars automatiques, sont des dispositifs affectés aux besoins de la circulation routière, destinés à la signalisation, à la protection des usagers, à l'exploitation des voies du domaine public routier et à la constatation des infractions au Code de la route. Dès lors, nous rappelle le Conseil d'Etat, dans quatre arrêts rendus le 31 octobre dernier, ces équipements, qui concourent à l'exécution du service public de la sécurité routière, ne peuvent être regardés comme occupant ou utilisant le domaine public routier. Leur installation sur le domaine public routier départemental ne peut donc légalement donner lieu à l'institution d'une redevance d'occupation domaniale. Comme nous l'explique, cette semaine, Frédéric Dieu, Commissaire du Gouvernement près le Tribunal administratif de Nice, cette décision constitue l'épilogue d'un feuilleton judiciaire qui aura vu, tour à tour, les cours administratives d'appel de Douai puis de Versailles valider l'instauration d'une telle redevance, et la cour administrative d'appel de Marseille, au contraire, crier haro sur fond de mutations domaniales.
Epilogue ? Pas tout à fait. Car l'action menée par les départements aura finalement porté ses fruits : le projet de loi de finances pour 2008 prévoit, en effet, en son article 16, une nouvelle répartition des précieux subsides. Ainsi, 30 000 euros par radar fixe implanté au 31 décembre de l'année de versement sur le réseau routier dont les collectivités sont propriétaires seraient reversés à chaque département de métropole, à la collectivité territoriale de Corse, aux régions et départements d'outre-mer. Et le projet de loi entérine la décision du Conseil d'Etat : cette affectation est exclusive du versement de toute taxe ou redevance établie à ce titre au profit des collectivités bénéficiaires. Reste à savoir si cette clé de répartition sera acceptée par les départements. Ite missa est... ?
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Réf. : Cass. civ. 1, 17 octobre 2007, n° 06-11.887, Mme Françoise Bel, FS-P+B (N° Lexbase : A8040DYG)
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N2201BDU
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par Nathalie Baillon-Wirtz, Maître de conférences à l'Université de Reims Champagne-Ardenne
Le 07 Octobre 2010
A première vue, il serait logique de conclure que la mort de l'un des futurs époux rend impossible la formation du contrat puisqu'un consentement ne peut plus être obtenu au jour de la célébration. Cependant, comme il est de l'esprit du Code civil de considérer que c'est l'intention matrimoniale qui fait le mariage et non la communauté de vie (nuptias non concubitus, sed consensus facit) (3), le législateur a admis qu'il puisse exister un mariage in extremis entre deux futurs époux et, surtout, un mariage posthume.
La loi du 31 décembre 1959 a, ainsi, introduit dans le Code civil un article 171 selon lequel le mariage peut être célébré, moyennant une autorisation discrétionnaire du Président de la République, s'il existe un motif grave de déduire de l'accomplissement des formalités officielles exigées en vue du mariage le consentement du futur époux décédé (4).
Les circonstances de ce texte sont connues car liées au décès d'un futur époux lors de la rupture du barrage de Malpasset. L'opinion publique s'étant émue de la situation de la jeune fille enceinte dont le fiancé avait été emporté par les eaux, il fut inséré, sous la forme d'un amendement, dans le projet de loi tendant à l'indemnisation des victimes de la catastrophe, un article 23 qui, après adoption, donna naissance, dans sa rédaction actuelle, à l'article 171 du Code civil.
Rarement un texte n'aura suscité autant de polémiques. L'idée qu'il puisse valablement exister un mariage entre une personne vivante et un mort remet effectivement en cause non seulement le régime mais aussi la nature même du mariage. Il a ainsi été reproché au législateur de méconnaître "le donné réel du mariage, union légale des sexes, contrat des vivants par excellence, et institution tournée vers l'avenir" (5) dont la vocation essentielle est la durée "indéfinie, indéterminée, illimitée" (6).
L'utilité d'une telle institution a, également, été fortement discutée. Institué originellement dans le but d'attribuer à l'enfant né ou à naître une légitimité résultant de la célébration du mariage, le mariage posthume a perdu, selon l'avis d'une doctrine majoritaire (7), son intérêt depuis que la loi du 3 janvier 1972 a introduit dans le Code civil la légitimation par autorité de justice dans les cas où le mariage est impossible (8) ; légitimation que l'ordonnance du 4 juillet 2005 portant réforme de la filiation (ordonnance n° 2005- 759 N° Lexbase : L8392G9P) a, par ailleurs, supprimée.
Le présent arrêt montre, néanmoins, que le mariage posthume conserve dans les rapports entre époux un intérêt tant matériel que moral qui explique qu'il y soit encore recouru. En l'espèce, après avoir vécu en concubinage et eu un enfant, M. Jean-Michel X. et Mme Y. se fiancèrent en 1997. Après le décès du fiancé en 1998, la fiancée survivante forma une requête auprès du Président de la République sollicitant l'autorisation de célébrer un mariage posthume. Selon elle, le consentement du défunt au mariage était établi par des témoignages qui révélaient que celui-ci avait acquis une bague de fiançailles et qu'il avait informé le joaillier de son désir d'acheter des alliances. Cette requête fut rejetée en 1999, rejet, ensuite, confirmé par l'arrêt de la cour d'appel ici attaqué. La Cour de cassation rejette le pourvoi au motif qu'il appartient seulement au juge de vérifier l'existence de formalités officielles dont le Président de la République apprécie souverainement si elles sont de nature à marquer sans équivoque le consentement au mariage de l'époux décédé. Or, selon les faits rapportés, la requérante n'avait pu produire "aucun document officiel tendant à mettre en évidence les démarches entreprises pour la célébration du mariage".
La Cour de cassation rappelle, ici, une jurisprudence constante. Puisqu'il ne peut pas y avoir de mariage sans un accord de volontés, il est nécessaire de rechercher, chez le défunt, une intention matrimoniale antérieure à la célébration qui pourra tenir lieu de consentement non équivoque si elle s'extériorise par l'accomplissement de formalités officielles. Sont ainsi visées toutes les formalités légales prénuptiales prévues à peine de nullité par le Code civil (9), notamment, les publications légales préalables au mariage (C. civ., art. 63 N° Lexbase : L1379HIW) (10), l'établissement des certificats médicaux prénuptiaux (11), ainsi que la notification écrite de l'intention de mariage reçue par un juge de paix étranger (12). En revanche, il a été jugé que l'unique démarche du défunt faite à la mairie en vue de constituer un dossier de mariage ne suffit pas à faire croire la réalité du consentement (13).
A noter, toutefois, que l'accomplissement des seules formalités ne peut suffire à justifier l'exception au principe selon lequel on ne peut marier un vivant à un mort. Il faut, également, prouver, par le biais de motifs graves, l'opportunité de la célébration. Aucune allusion n'est faite, en l'espèce, à l'existence de cette condition. Néanmoins, d'après les faits rapportés, elle semble être remplie par la naissance d'un enfant issu du concubinage de la requérante et du défunt, encore que celui-ci n'y trouve qu'un faible intérêt depuis la reconnaissance d'une égalité des filiations et la suppression de la légitimation.
Outre l'intérêt de l'enfant, la demande de mariage posthume peut être fondée sur un simple intérêt moral (14), comme la volonté de garder le souvenir du défunt, ou comme le besoin pour le fiancé survivant de conserver par delà la mort la preuve concrète de son union. Le mariage posthume présente encore des avantages matériels pour le conjoint survivant. S'il est vrai que ce mariage "n'entraîne aucun droit de succession ab intestat au profit de l'époux survivant et aucun régime matrimonial n'est réputé avoir existé entre les époux" (C. civ., art. 171, al. 3), il existe d'autres moyens pour le survivant de tirer des ressources de l'union posthume. Il lui est, ainsi, possible de se prévaloir des dispositions testamentaires que le défunt aurait pu prendre à son égard ou des donations de biens présents ou à venir que les fiancés auraient pu se consentir dans un contrat de mariage. De même, rien ne s'oppose à ce que le conjoint survivant puisse prétendre au bénéfice de l'assurance vie, des prestations sociales et des droits qui lui sont expressément réservés (versement d'une pension de réversion, d'une allocation de veuvage (15), d'un capital-décès (16), droit aux aliments à l'encontre de la succession du prédécédé, cotitularité du droit au bail prévue à l'article 1751 du Code civil N° Lexbase : L1873ABY ou continuation du bail selon la loi du 6 juillet 1989 N° Lexbase : L8461AGH, droit à réparation en tant que conjoint contre le civilement responsable du décès du fiancé (17)...). Enfin, le mariage posthume peut avoir une incidence successorale indirecte lorsqu'il existe un enfant né ou à naître. Dans la mesure où ce dernier recueille la succession de son auteur, le conjoint survivant est effectivement assuré d'en profiter dès lors qu'il a la jouissance légale des biens transmis ou, de manière plus incertaine, lorsque l'enfant décède sans postérité.
En vertu de l'article 171 du Code civil, ces éléments de légalité et d'opportunité doivent être appréciés par le chef de l'Etat, désigné par le législateur comme autorité habilitante. La décision qu'il prend se manifeste, ainsi, à travers un décret non motivé qui n'est susceptible d'aucun recours.
Cette compétence présidentielle est, de ce fait, très controversée (18). Selon les détracteurs de l'article 171 du Code civil, il est difficile de justifier qu'on laisse ainsi la responsabilité d'apprécier des questions d'état aussi fondamentales (19) à un seul homme dont la décision, si elle n'est pas concertée et motivée, peut facilement souffrir de contradictions.
Une requête en annulation de la décision présidentielle est, toutefois, possible, comme le démontre l'arrêt du 17 octobre 2007, ici commenté. Seules les juridictions judiciaires sont alors compétentes (20). La Cour de cassation se prononçait, pour la première fois, dans un arrêt du 6 décembre 1989 sur ce point en décidant que "l'existence comme la gravité des motifs qui justifient le mariage posthume" relèvent "du pouvoir discrétionnaire du Président de la République" et s'il "appartient au juge de vérifier l'existence de formalités officielles" nécessaires à la célébration, "le chef de l'Etat apprécie souverainement si elles sont de nature à marquer sans équivoque le consentement au mariage de l'époux décédé" (21). L'existence des formalités officielles est donc distinguée de la réalité du consentement. Les juges ne sauraient vérifier l'existence du consentement au mariage du défunt puisque l'examen de cette condition est expressément laissé à l'appréciation souveraine et discrétionnaire du chef de l'Etat. Seul ce dernier peut apprécier si les formalités officielles sont de nature à marquer sans équivoque le consentement au mariage du fiancé décédé. Le juge, quant à lui, ne peut vérifier que l'existence de ces mêmes formalités.
Récemment, la Cour de cassation semblait avoir infléchi sa jurisprudence. Dans un arrêt du 28 février 2006, la première chambre civile avait, en effet, décidé que "s'il résulte de l'article 171 du Code civil que le Président de la République apprécie la réalité du consentement du futur époux décédé au moment des formalités officielles, il appartient au juge, saisi d'une demande d'annulation de mariage posthume, de vérifier si ce consentement a persisté jusqu'au décès" (22). Le rôle du juge judiciaire semblait donc être élargi puisqu'en plus de vérifier l'existence des formalités officielles, il devait, selon cet arrêt, s'assurer de la "persistance" jusqu'au décès du consentement au mariage, ce qui lui permettait de corriger une éventuelle erreur d'appréciation du chef de l'Etat.
Une telle jurisprudence paraît aujourd'hui isolée. Preuve en est avec l'attendu du présent arrêt du 17 octobre 2007, quasi identique à celui de l'arrêt précité du 6 décembre 1989.
En définitive, si les tribunaux judiciaires sont seuls compétents pour se prononcer sur la requête en annulation pour illégalité de la décision présidentielle, ces derniers, de façon plutôt contradictoire, cantonnent leur intervention à l'exercice d'un contrôle minimal de légalité, "à une seule mission, peu glorieuse et vide de sens" (23), pour finalement s'en remettre à la décision d'un seul homme, fût-il au plus haut niveau de l'Etat.
(1) J. Carbonnier, Droit civil, La famille, l'enfant, le couple, T. 2, PUF, Coll. Thémis, 21ème éd., 2002, p. 436.
(2) C. civ., art. 75 (N° Lexbase : L3236ABH) et 146-1 (N° Lexbase : L1572ABT).
(3) Ulpien, Dig. 35, 1, 15, cité par J. Carbonnier, Droit civil, La famille, L'enfant, Le couple, préc., p. 433.
(4) J. Noirel, Mariage 1960 : le mariage posthume, S. 1960, p. 15.
(5) J. Noirel, préc..
(6) G. Cornu, Droit civil, La famille, Domat, Droit privé, Montchrestien, 8ème éd., 2003, p. 274, n° 158.
(7) F. Terré et D. Fenouillet, Droit civil, Les personnes, La famille, Les incapacités, 7ème éd., Dalloz, 2005, p. 336, n° 368 ; B. Beignier, J.-Cl. Code civil, art. 16 à 16-12, Fasc. 72, Le mort, n° 5 ; I. Corpart, Mariage à titre posthume : une prérogative présidentielle dépassée ?, JCP éd. N, 2004, n° 1328.
(8) C. civ., anc. art. 333 à 333-6 (N° Lexbase : L6490DI9).
(9) Cass. civ. 1, 30 mars 1999, n° 96-20989, M. X et autre c/ Mlle Z, publié (N° Lexbase : A5358CKN), Dr. fam. 1999, comm. n° 62, note H. Lécuyer.
(10) TGI Seine, 25 mai 1964, D. 1964, p.546, note P. Esmein ; Cass. civ. 1, 6 décembre 1989, n° 88-11994, Mme X c/ Mme Y, publié (N° Lexbase : A3987CGR), D. 1990, p.225, note J. Hauser.
(11) Cass. civ. 1, 30 mars 1999, préc..
(12) CA Grenoble, 5 septembre 2001, Dr. fam. 2002, comm. n° 139, note H. Lécuyer.
(13) CA Paris, 7 mai 1993.
(14) TGI Paris, 12 avril 1983, et sur appel, CA Paris, 25 juin 1985, cités par J. Rubellin-Devichi, RTDciv. 1986, p.573 ; TGI Albertville, 3 juillet 1987, GP 1989, I., p. 27, note J. Pascal.
(15) Cass. soc., 15 février 2001, n° 99-17.199, Mme Thérier c/ Caisse régionale d'assurance maladie Nord Picardie (N° Lexbase : A3858ARC), D. 2002, somm., p. 535, obs. J.-J. Lemouland.
(16) Cass. civ. 1, 22 mai 2007, n° 05-18.582, Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Seine et Marne, FS-P+B (N° Lexbase : A4839DW7), Dr. fam., 2007, comm. n° 160, note A. Devers.
(17) TGI Rouen, 21 novembre 1966, GP 1967, I., somm. p. 38.
(18) I. Corpart, Mariage à titre posthume : une prérogative présidentielle dépassée ?, préc..
(19) J. Noirel, préc.. V., également, les obs. de J. Hauser, sous Cass. civ. 1, 6 décembre 1989, préc..
(20) CE, 25 octobre 1963, Compan, GP 1964, I., p. 149 ; Cass. crim. 29 avril 1964, n° 62-92630, publié (N° Lexbase : A4224CKN), JCP 1964, II., 13912, note R. Meurisse : "Attendu que les autorisations accordées en vertu de l'article 171 nouveau du Code civil sont indissociables des questions d'état relatives au mariage lui-même et que la validité de celui-ci ne peut être appréciée que par l'autorité judiciaire".
(21) Cass. civ. 1, 6 décembre 1989, préc..
(22) Cass. civ. 1, 28 février 2006, n° 02-13.175, Mme Nathalie Auriac c/ Mme Stéphanie Clark, épouse Cialdella, FS-P+B (N° Lexbase : A4050DNC), Dr. fam. 2006, comm. n° 79, note V. Larribau-Terneyre.
(23) J. Hauser, note sous Cass. civ. 1, 6 décembre 1989, préc..
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Réf. : Rapport adopté par le conseil d'administration de l'OIT le 6 novembre 2007
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N2230BDX
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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen
Le 07 Octobre 2010
En résumé, le CNE n'est pas "mort", ni même en danger et encore moins compromis, du moins à court terme. Le législateur et le pouvoir réglementaire devront réformer le CNE : la portée de la recommandation émise par l'OIT reste donc mesurée. Elle risque, en revanche, d'avoir plus d'importance dans les contentieux en cours, les juges étant incités à contester la conformité du CNE au droit international.
L'OIT se prononce sur la conformité des ordonnances n° 2005-892 (3) et n° 2005-893 à la Convention OIT n° 158 sur le licenciement et à la Convention OIT n° 111 sur la discrimination, admettant, pour la première, une violation, mais pas la seconde.
1. Violation de la Convention n° 158 sur le licenciement
Comme l'affirme le Gouvernement français, les travailleurs recrutés sous CNE peuvent-ils être exclus de la protection de la Convention n° 158 sur la base de son article 2 § 2 ? Dans quelle mesure l'application de l'ordonnance n° 2005-893 prive-t-elle les travailleurs de la protection prévue par l'article 4 de la Convention OIT n° 158 ?
1.1. Champ d'application de la Convention OIT n° 158 : la question de la période d'ancienneté "raisonnable"
L'article 2 § 2 de la Convention OIT n° 158 ouvre la possibilité d'exclure du champ d'application de l'ensemble ou de certaines de ses dispositions, certaines catégories de travailleurs salariés : les travailleurs engagés aux termes d'un contrat de travail portant sur une période déterminée ou une tâche déterminée ; les travailleurs effectuant une période d'essai ou n'ayant pas la période d'ancienneté requise, à condition que la durée de celle-ci soit fixée d'avance et qu'elle soit raisonnable ; les travailleurs engagés à titre occasionnel pour une courte période.
Le comité OIT considère, néanmoins, que la période de consolidation de l'emploi de 2 ans, prévue au titre du CNE, pourrait relever de la "période d'ancienneté requise" au sens d'une période d'emploi spécifiée qui est requise pour que les salariés intéressés puissent bénéficier d'un contrat à durée indéterminée. Le comité rappelle que la notion de "période d'ancienneté requise" a été inscrite dans la Convention OIT n° 158 afin de tenir compte des situations où certains types de protection, relatifs, notamment, aux licenciements injustifiés, au préavis ou au paiement d'une indemnité, ne sont dus que si le travailleur intéressé a été engagé pour une période déterminée. Différentes périodes peuvent, ainsi, être prescrites pour établir des exclusions d'une durée et d'une portée différentes et à des fins variées. Cette période de consolidation, prévue pour le CNE, fixée à l'avance, est définie par le ministère de l'Emploi comme une période spécifique qui permet, notamment, à un employeur de mesurer la viabilité économique et les perspectives de développement de son entreprise.
La seconde condition prévue à l'article 2 § 2 prévoit que cette période d'ancienneté requise soit d'une durée "raisonnable". Le comité OIT rappelle qu'il appartient à chaque pays, pour lequel la Convention OIT n° 158 est en vigueur, de déterminer ce qui est raisonnable, compte tenu de l'objectif de la Convention OIT, qui est d'assurer la protection de tous les salariés de toutes les branches d'activité économique contre les licenciements injustifiés. La Commission d'experts pour l'application des Conventions et Recommandations OIT a estimé qu'une période d'ancienneté excessivement longue pouvait priver les travailleurs de la protection prévue par la convention.
Le Conseil d'Etat a estimé, dans un arrêt rendu le 19 octobre 2005 (4), qu'eu égard au but en vue duquel cette dérogation a été édictée et à la circonstance que le contrat nouvelles embauches est un contrat à durée indéterminée, la période de 2 ans pendant laquelle est écartée l'application des dispositions de droit commun relatives à la procédure de licenciement, et aux motifs pouvant le justifier, doit être regardée comme raisonnable au sens des dispositions de la Convention n° 158.
A contrario, un conseil de prud'hommes (5) avait avancé un point de vue opposé : l'ordonnance n° 2005-893 étant contraire à la Convention OIT n° 158, elle est privée d'effet juridique. De plus, certains juges du fond ont pu décider que l'appréciation judiciaire de la conformité de l'ordonnance n° 2005-893 à la Convention OIT n° 158 relève de la compétence du juge judiciaire : aucune question préjudicielle ne doit être soumise à l'examen du juge administratif (6). Le premier contentieux généré par le contrat nouvelles embauches portait précisément sur cette question de la rupture du contrat nouvelles embauches au cours de la période dite de consolidation (7). Selon les juges, la rupture abusive de la période de consolidation d'un contrat nouvelles embauches a, comme la rupture abusive de période d'essai d'un contrat à durée indéterminée, les conséquences d'un licenciement abusif, les dommages et intérêts se calculant conformément à l'article L. 122-14-5 du Code du travail (N° Lexbase : L5570ACB). Le conseil de prud'hommes, pour asseoir sa décision de condamner un employeur à verser des dommages et intérêts pour rupture abusive, s'est fondé sur l'article L. 122-14-5, ce qu'écarte formellement l'ordonnance n° 2005-293.
En l'espèce, le comité OIT note (point n° 71) que l'article 2 § 2 de la Convention 158 vise à garantir que l'exclusion de la protection de la convention pour les travailleurs effectuant une période d'essai ou n'ayant pas la période d'ancienneté requise soit d'une durée raisonnable. La raison d'être de la référence au caractère "raisonnable" paraît donc liée à l'exclusion de la protection. En conséquence, les considérations de politiques publiques de l'emploi, ainsi que les mesures prises pour compenser l'exclusion de la protection ou en limiter le champ, peuvent aider à justifier la relative longueur de la période d'exclusion. La principale préoccupation doit, cependant, être de s'assurer que la durée de l'exclusion des avantages de la Convention n° 158 se limite à ce qui peut raisonnablement être considéré comme nécessaire, à la lumière des objectifs pour lesquels la période d'ancienneté a été fixée, à savoir, en particulier, permettre à l'employeur de mesurer la viabilité économique et les perspectives de développement de son entreprise et permettre aux travailleurs concernés d'acquérir des qualifications ou de l'expérience.
Le comité OIT note que la durée normalement considérée comme raisonnable de la période d'ancienneté requise n'excède pas 6 mois en France. Il pourrait ne pas exclure la possibilité qu'une période plus longue se justifie pour permettre aux employeurs de mesurer la viabilité économique et les perspectives de développement, mais se trouve dans l'incapacité de conclure, sur la base des circonstances apparemment prises en compte par le Gouvernement pour déterminer cette durée, qu'une période d'une durée aussi longue que 2 ans soit raisonnable.
Au final, le comité OIT conclut qu'il n'existe pas de base suffisante pour considérer que la période de consolidation puisse être assimilée à une "période d'ancienneté requise" d'une durée raisonnable, au sens de l'article 2 § 2, justifiant l'exclusion des travailleurs concernés de la protection de la convention pendant cette durée.
1.2. Convention OIT n° 158 : l'exigence d'un motif valable de licenciement
L'article 4 de la Convention OIT n° 158 dispose qu'un travailleur ne devra pas être licencié sans qu'il existe un motif valable de licenciement lié à l'aptitude ou à la conduite du travailleur ou fondé sur les nécessités du fonctionnement de l'entreprise, de l'établissement ou du service. On sait que l'ordonnance n° 2005-893 rend inapplicables au CNE certaines dispositions du Code du travail, notamment, les articles L. 122-13 (N° Lexbase : L5564AC3), L. 122-14 (N° Lexbase : L9576GQQ), L. 122-14-1 (N° Lexbase : L0042HDW), L. 122-14-3 (N° Lexbase : L5568AC9) ou L. 321-1 et suivants (N° Lexbase : L8921G7K).
Le comité OIT relève, ainsi, qu'en cas de licenciement pendant la période couverte par le CNE :
- les salariés ne bénéficieraient de la procédure contradictoire préalablement au licenciement ou au moment du licenciement que dans le cas où il présenterait un caractère disciplinaire ; dans les autres cas, les travailleurs licenciés pour des motifs liés à leur conduite ou leur travail n'auraient pas la possibilité, préalablement au licenciement ou au moment du licenciement, de se défendre contre les allégations formulées, comme le prescrit l'article 7 de la Convention OIT n° 158, sauf dans les cas où l'on ne peut pas raisonnablement attendre de l'employeur qu'il offre cette possibilité ;
- la prescription découlant de l'article 4 de la Convention OIT n° 158, lu conjointement avec l'article 7, à savoir que l'on doit signifier au salarié, préalablement au licenciement ou au moment du licenciement un motif valable, du moins dans les cas liés à l'aptitude ou à la conduite du travailleur, de même ne s'applique que dans les licenciements de caractère disciplinaire ;
- les salariés pourraient être obligés de saisir les tribunaux simplement pour connaître le motif de leur licenciement ;
- conformément à l'article 4 de la Convention OIT n° 158, il doit exister un motif valable de licenciement, au sens où il ne peut constituer un abus de droit, ni être justifié par des motifs liés à l'état de santé du salarié, à ses opinions politiques ou religieuses, à ses moeurs ou à des circonstances qui révéleraient un harcèlement ou l'un des motifs de discrimination visés par l'article L. 122-45 du Code du travail (N° Lexbase : L3114HI8), visant à donner effet à l'article 5 de la Convention. Toutefois, comme la dérogation affecte le contrôle par le juge de la cause "réelle et sérieuse" du licenciement, il n'est pas évident, selon le comité OIT, que l'ordonnance n° 2005-893 permette de prendre effectivement des mesures contre un licenciement fondé sur des motifs non valables autres que ceux susmentionnés. Dans ces conditions, le comité OIT conclut que l'ordonnance n° 2005-893 s'éloigne de manière significative des prescriptions de l'article 4 de la Convention OIT n° 158, lequel, comme indiqué par la commission d'experts, est la pierre angulaire des dispositions de la convention.
Le comité OIT note que certaines décisions des tribunaux font clairement état de la possibilité que l'ordonnance ne soit pas appliquée par les juridictions françaises, car non conforme à la Convention OIT n° 158. Le comité considère que la France, à l'heure actuelle, n'assure pas une application effective de la Convention OIT n° 158, mais, néanmoins, qu'il est possible qu'une réparation adéquate soit accessible aux travailleurs intéressés devant les tribunaux français. Le comité OIT invite, par conséquent, le Gouvernement, en consultation avec les partenaires sociaux, à donner effet aux dispositions de l'article 4 en assurant que, conformément à la convention, les contrats nouvelles embauches ne puissent en aucun cas être rompus en l'absence d'un motif valable.
Contrairement aux autres contrats aidés qui donnent lieu à des aides financières (subventions, exonération de charges sociales...), le contrat nouvelles embauches n'intéresse les employeurs qu'au regard des aides juridiques (8) auxquelles il peut donner droit (non application de certaines obligations prévues par le droit commun). La non-soumission à certaines obligations en droit du licenciement pendant cette période de consolidation participait de ces aides juridiques propres au CNE. La recommandation émise par l'OIT, sans remettre en cause le principe même du CNE, le prive de l'une de ses principales aides juridiques.
2. Non-violation de la Convention OIT nº 111 concernant la discrimination
La CGT-FO a exprimé plusieurs réserves liées à l'incompatibilité de l'ordonnance n° 2005-893 avec la Convention OIT n° 111 concertant la discrimination. Le syndicat soutient que la nouvelle législation entraînera une discrimination supplémentaire, notamment dans certains secteurs d'activité, à savoir ceux qui se caractérisent par une grande flexibilité et précarité, des conditions de travail difficiles et de faibles rémunérations et qui embauchent majoritairement des jeunes travailleurs. Bien que le CNE ne vise pas expressément les jeunes, la CGT-FO soutient que l'effet cumulatif de feu les ordonnances n° 2005-892 et n° 2005-893 pourrait aboutir à un recours disproportionné au CNE pour les travailleurs de moins de 26 ans, qui se verraient, alors, privés en permanence du droit syndical et de la sécurité de l'emploi. Le comité OIT émet des réserves sur l'argumentation développée par la CGT-FO sur le caractère discriminatoire du régime du CNE.
2.1. La combinaison des ordonnances n° 2005-892 et n° 2005-893 et principe de discrimination
Au sujet de l'effet cumulatif de l'ordonnance n° 2005-892 avec l'ordonnance n° 2005-893 et des risques d'aggravation de violation de la Convention OIT n° 111, le comité OIT rappelle la définition de la discrimination (article 1 § 1 a de la Convention OIT n° 111), laquelle vise toute distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la religion, l'opinion politique, l'ascendance nationale ou l'origine sociale, qui a pour effet de détruire ou d'altérer l'égalité de chances ou de traitement en matière d'emploi ou de profession.
Bien que cette définition ne couvre pas expressément la discrimination fondée sur l'âge, l'article 1 § 1 b de la Convention OIT n° 111 prévoit que la discrimination peut, également, comprendre toute autre distinction, exclusion ou préférence ayant pour effet de détruire ou d'altérer l'égalité de chances ou de traitement en matière d'emploi ou de profession, qui pourra être spécifiée par le membre de l'OIT intéressé après consultation des organisations représentatives d'employeurs et de travailleurs. Le comité OIT note que la France a choisi de spécifier la discrimination fondée sur l'âge, puisque l'article L. 122-45 du Code du travail interdit la discrimination fondée sur l'âge dans tous les domaines liés à l'emploi et à la profession.
Dans le cadre de la Convention OIT n° 111, le recours aux CNE pose la question de savoir si un groupe déterminé de travailleurs protégé par la Convention OIT fait, ainsi, l'objet d'une discrimination, l'ordonnance n° 2005-893 ne visant pas un groupe particulier de travailleurs, mais plutôt la taille de l'entreprise. Cependant, le comité OIT note que, combinée avec feu l'ordonnance n° 2005-892, qui s'adresse aux travailleurs de moins de 26 ans, l'effet cumulatif pourrait risquer de détruire ou d'altérer l'égalité des chances ou de traitement en matière d'emploi ou de profession sur la base de l'âge. Cependant, ayant noté que l'ordonnance n° 2005-892 n'a été appliquée que pendant 4 mois à peine et que les préoccupations exprimées par la CGT-FO ne sont pas étayées d'informations sur d'éventuels cas particuliers de discrimination résultant des mesures contestées, le comité OIT avoue n'être pas en mesure de déterminer si l'effet cumulatif de ces mesures a effectivement pour conséquence de détruire ou d'altérer l'égalité de chances ou de traitement en matière d'emploi ou de profession à l'égard des travailleurs de moins de 26 ans.
2.2. Justifications des discriminations tirées des politiques de l'emploi
S'agissant de la question soulevée à propos de l'article 5 § 2 de la Convention OIT n° 111, le comité OIT rappelle que l'article 2 de cette convention prévoit que tout membre de l'OIT s'engage à formuler et à appliquer une politique nationale visant à promouvoir l'égalité de chances et de traitement en matière d'emploi et de profession, afin d'éliminer toute discrimination en cette matière. Ces méthodes peuvent inclure des mesures spéciales, conformément à l'article 5 § 2 de la Convention OIT n° 111, qui prévoit que tout membre de l'OIT peut, après consultation des organisations représentatives d'employeurs et de travailleurs, définir comme non discriminatoires toutes autres mesures spéciales destinées à tenir compte des besoins particuliers de personnes à l'égard desquelles une protection ou une assistance spéciale est reconnue nécessaire pour des raisons telles que le sexe, l'âge, l'invalidité, les charges de famille ou le niveau social ou culturel.
Le comité OIT rappelle qu'il importe que les mesures spéciales en question correspondent effectivement à un but de protection ou d'assistance et qu'elles tendent à assurer, dans la pratique, l'égalité de chances et de traitement, tout en tenant compte de la diversité des situations de certaines personnes, en vue de mettre un terme aux pratiques discriminatoires à leur encontre. Ces types de traitement préférentiels sont destinés à rétablir un équilibre et devraient s'inscrire dans un effort plus large d'élimination de toutes les inégalités. De plus, la commission d'experts de l'OIT pour l'application des Conventions et Recommandations avait souligné qu'un réexamen attentif de certaines mesures, en consultation avec les organisations de travailleurs et d'employeurs, peut faire apparaître qu'elles sont susceptibles d'avoir pour effet d'instituer ou d'autoriser, en réalité, des distinctions, exclusions ou préférences qui relèvent de l'article 1 de la Convention OIT n° 111. Ainsi, une fois adoptées, les mesures spéciales devraient être examinées de manière périodique, en vue de vérifier la constance de leur raison d'être et leur efficacité. Le but de telles mesures étant de rétablir des déséquilibres dus à des discriminations visant certains travailleurs ou certains secteurs, il est entendu qu'elles sont temporaires par nature.
Notant que l'ordonnance n° 2005-893 prévoit que les conditions de mise en oeuvre du CNE et ses effets sur l'emploi feront l'objet, d'ici au 31 décembre 2008, d'une évaluation par une commission composée d'organisations d'employeurs et de salariés représentatives, le comité OIT considère essentiel que cet examen détermine, également, si les mesures ont débouché sur une discrimination directe ou indirecte à l'encontre des jeunes travailleurs, en tenant compte de l'effet des discriminations multiples fondées sur l'âge et les motifs visés à l'article 1 § 1 a de la Convention OIT n° 111, en particulier le sexe, la race, la couleur et l'ascendance nationale.
En droit interne, la question de l'égalité s'est posée depuis longtemps, dans la mesure où les contrats aidés reposent sur une logique discriminatoire (discriminations positives). L'atteinte au principe d'égalité n'a pas, jusqu'à présent, été retenu par le Conseil d'Etat ou le Conseil constitutionnel. Ainsi, le Conseil constitutionnel a estimé que le Cirma n'est pas contraire au principe d'égalité entre salariés régis par un contrat spécial et ceux régis par un contrat de travail de droit commun (Cons. const., décision n° 2003-487 DC, du 18 décembre 2003, loi portant décentralisation en matière de revenu minimum d'insertion et créant un revenu minimum d'activité N° Lexbase : A5371DA8). De même, dans sa décision rendue le 30 mars 2006 à propos de l'article 8 de la loi pour l'égalité des chances (instituant feu le contrat première embauche) (Cons. const., décision n° 2006-535 DC, du 30 mars 2006, loi pour l'égalité des chances N° Lexbase : A8313DN9), le Conseil constitutionnel a rejeté le grief tiré de la violation du principe d'égalité devant la loi (9).
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par Jean-Baptiste Lenhof, Maître de conférences à l'ENS - Cachan Antenne de Bretagne, Membre du centre de droit financier de l'Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne)
Le 07 Octobre 2010
Il ressort, cependant, de l'ensemble du dispositif que, si les OPCI (dans leur forme de droit commun (2)) constituent un nouveau produit financer, ce dernier emprunte sa forme aux anciennes SCPI et aux organismes collectifs de placement en valeurs mobilières (OPCVM). Cette dualité transparaît, de la sorte, dans la nature des supports de l'investissement éligibles (I), ainsi que dans leur fonctionnement, qui laisse une large part à l'introduction de mécanismes de sécurisation de l'investissement (II).
I - Les OPCI, organismes d'investissement dont l'actif est essentiellement immobilier
Les OPCI ont été imaginés, à l'origine (3), comme des supports destinés à accueillir les actifs détenus par les SCPI. Ces dernières -au terme d'un chassé croisé législatif qui devait aboutir à renoncer à leur suppression, initialement prévue-, vont être contraintes de se déterminer sur leur transformation en OPCI avant le 31 décembre 2009, toute augmentation de capital leur étant ensuite interdite (C. mon. fin., art. L. 214-84, I N° Lexbase : L7236HZZ). Par ailleurs, aucune création de nouvelle société sous cette ancienne forme sociale ne pourra plus être envisagée. Les nouveaux organismes sont ainsi conçus comme étant des supports nouveaux, mais, également, des outils de remplacement des SCPI (A). Ces dernières devenant des structures figées, la structure des OPCI évolue, elle, vers une forme proche des organismes collectifs investis en valeurs mobilières (B).
A - L'OPCI, structure de remplacement des SCPI
La transformation des SCPI constitue, au-delà des aspects dédiés à l'investissement, une transformation de société et doit, à ce titre, donner lieu, ainsi qu'en dispose l'article 422-46-1 du règlement général de l'AMF, à la réunion d'une assemblée pour soumettre la résolution de transformer la société. Le même article impose, qu'à cette fin, les associés (environ 500 000 pour 128 SCPI, selon les sources professionnelles), se voient communiquer un tableau comparatif du régime juridique et fiscal comparé des OPCI et des SCPI, ainsi qu'une note expliquant les différences de régime et l'obligation de convoquer une assemblée générale pour transformer la société (4). Par ailleurs, le choix à opérer par les actionnaires emporte d'autres conséquences que la seule transformation en OPCI. En effet, le changement de structure juridique pourra être fait entre deux formes sociales distinctes, comme le souligne l'article 424-2 du RG, le terme "OPCI" désignant, soit une société de placement à prépondérance immobilière à capital variable (SPPICV), soit un fonds de placement immobilier (FPI). Or, les conséquences de ce choix sont fort différentes, en ce qui concerne le régime juridique applicable aux investisseurs, indistinctement dénommés "porteurs", qu'ils soient réunis au sein d'une SPPICAV ou d'un FPI.
Le régime de la SPPICAV emprunte, en effet, à celui des SICAV, sociétés d'investissement à capital variable, qui s'analysent comme étant des portefeuilles boursiers gérés dans l'actif d'une société anonyme. Le règlement général renvoie, d'ailleurs, pour la constitution des SPPICAV, aux règles des articles 411-3 et 411-4 du même règlement qui concernent, précisément, les SICAV (5). Le régime applicable aux porteurs va, donc, être celui qui régit les associés. Il met, toutefois, en place un statut adapté afin de permettre une gestion efficace du portefeuille boursier. Pour autant, ces sociétés sont soumises à la plupart des règles de gouvernance, notamment, celles qui ont été imposées par la loi "NRE" du 15 mai 2001 (loi n° 2001-420, relative aux nouvelles régulations économiques N° Lexbase : L8295ASZ).
Le régime des FPI, en empruntant son encadrement juridique aux fonds communs de placement (FCP), fait, en revanche, des "porteurs", des "copropriétaires", au sens des articles 815 (N° Lexbase : L9929HN3) et suivants du Code civil qui régissent l'indivision. En conséquence, le FCP est, naturellement, dépourvu de la personnalité morale. Là encore, toutefois, en raison de leur spécificité, l'application de certaines dispositions du droit commun est écartée. Ainsi, l'article L. 214-20 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L2980HZE) établit que les dispositions du Code civil, relatives à l'indivision, ainsi que celles des articles 1871 (N° Lexbase : L2069ABA) à 1873 du même code, relatives aux sociétés en participation, ne s'appliquent pas aux fonds communs de placement. Les articles L. 214-22 (N° Lexbase : L9949DY7) et L. 214-23 (N° Lexbase : L9950DY8) du Code monétaire et financier établissent respectivement, quant à eux, que les porteurs ne peuvent provoquer le partage du fonds et qu'ils ne sont tenus des dettes de la copropriété qu'à concurrence de l'actif et proportionnellement à leur quote-part.
Les OPCI offriront, donc, comme les OPCVM dédiés aux valeurs mobilières, le choix entre deux structures, avec un encadrement juridique destiné, en principe, aux actifs importants (la SPPICAV) et un autre aux actifs moindres le (FPI), le choix pour le fonctionnement sous le régime du FCP entraînant, a priori, des sujétions moins lourdes quant à l'organisation interne du fonds.
Il semble, toutefois, que les choix pouvant conduire à opérer cette distinction risquent d'être effectués exclusivement sur le fondement de considérations extra-juridiques, en raison des conséquences financières et fiscales qu'entraînera l'option pour l'une ou l'autre des formes sociales proposées.
S'agissant, d'abord, des FPI, le régime d'imposition, qui y est attaché, vise à refléter le caractère immobilier du fonds, en adoptant une fiscalité comparable à celle qui est applicable aux biens fonciers détenus physiquement (le régime applicable aux sociétés ne sera pas évoqué ici). Toutefois, comme le fonds est dépourvu de personnalité morale, les revenus et les plus-values générés par la gestion conserveront leur qualification propre (plus-values, revenus locatifs, dividendes de sociétés, etc.). C'est ainsi que les revenus fonciers distribués seront soumis à l'impôt sur le revenu des personnes physiques, alors que les produits des cessions distribués seront soumis au régime des plus-values immobilières (les revenus financiers étant imposés en tant que tels). L'avantage, toutefois, de cet assujettissement est de pouvoir déduire, comme dans le cas de l'immobilier physique, les intérêts d'emprunt des revenus distribués et de profiter de l'abattement, comme pour les immeubles détenus directement, au prorata de la durée de détention. Le caractère favorable de ce régime explique l'importance du ratio de distribution pour les opérations réalisées : il est, obligatoirement de 85 % des revenus locatifs et de 85 % des plus-values de cession.
S'agissant, en revanche, des SPPICAV, leur caractère immobilier "prépondérant" laisse, potentiellement, une plus large part à l'investissement en produits financiers. Comme, par ailleurs, la SPPICAV dispose de la personnalité morale, l'imposition est calquée sur celle des revenus d'actions, pour les produits des revenus locatifs, et dans le cadre des plus-values de valeurs mobilières pour les cessions d'immeubles. Le caractère pénalisant de l'imposition des plus-values sur le fondement de ce régime est composé par des obligations de distribution allégées, puisque si les SPPICAV doivent distribuer 85 % des revenus locatifs, elle ne sont tenus à restituer que 50 % des plus-values de cession.
Quant aux hypothèses de cessions des parts ou des actions, là encore, la division entre les deux structures est patente. Les plus-values réalisées sur les cessions ou les rachats de parts de FPI seront soumises à l'impôt sur le revenu selon le régime des plus-values immobilières. Les plus-values réalisées sur les cessions ou les rachats d'actions de SPPICAV seront, elles, -en principe- soumises à l'impôt sur le revenu selon le régime des plus-values mobilières, sans application de l'abattement pour durée de détention. Elles devraient, également, être soumises aux prélèvements sociaux. On voit, ainsi, que l'OPCI se rapproche, au moins dans sa forme voisine des SICAV, des instruments collectifs d'épargne financière.
B - L'OPCI, un organisme calqué sur le modèle des OPCVM
Le régime de gestion de l'OPCI, et plus particulièrement celui des actifs éligibles et de leur pondération, laisse, en effet, une large place à l'investissement dans les produits financiers. Pour ce faire, le cadre législatif relatif à l'objet social des OPCI a permis d'ouvrir largement l'activité aux accessoires de l'investissement et de la gestion immobilière. Ainsi, hormis l'exclusion par l'article L. 214-90 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L7241HZ9) de l'acquisition d'actifs en vue de leur revente (ce qui exclut toute opération dite de marchand de biens), l'OPCI dispose d'une grande latitude quant à son champ d'activité : il lui est possible d'investir, directement ou indirectement, par voie de filialisation, aussi bien par le biais de sociétés de personnes que de sociétés de capitaux. L'OPCI peut réaliser des opérations de construction, des travaux (la rénovation et la réhabilitation en vue de la location, notamment), peut acquérir des immeubles pour donner en location, ou en faire construire exclusivement pour mettre en location, et réaliser des opérations de construction en état futur d'achèvement. Il peut, également, réaliser toute opération nécessaire à l'usage des immeubles, ou à leur revente, et peut procéder à des arbitrages entre les actifs détenus sans devoir respecter une durée minimum de détention. Il est, enfin, prévu que l'OPCI puisse réaliser la gestion d'instruments financiers et de dépôt.
Ce dernier point pose la question des actifs éligibles à la gestion par l'OPCI, que le Code monétaire et financier distingue nettement dans son article L. 214-92 (6). Cet article y rend, en effet, éligible -dans les a) à e) du I- des actifs immobiliers détenus directement ou indirectement, mais, également -dans les f) à j) I-, des actifs mobiliers comprenant des investissements purement financiers et des liquidités. En revanche, figure au II du même article, une restriction d'importance, qui interdit la détention dans le fonds d'actions, parts, droits financiers ou droits de vote dans une entité -de droit français ou étranger-, quelle qu'en soit sa forme, dont les associés ou membres répondent indéfiniment et solidairement des dettes.
L'éligibilité des produits financiers pose, ainsi, une nouvelle problématique à ces deux supports de l'investissement immobilier : le respect de ratios de composition du fonds, à l'image de ceux qui pèsent déjà sur les OPCVM.
Le principe, établi pour les deux formes d'OPCI est celui du respect d'une double limite : détenir, au moins, 60 % d'actifs immobilier et 10 %, au moins, de dépôts, d'instruments financiers à caractère liquide et de liquidités libres de sûretés ou de droits équivalents. La ventilation peut, ainsi, varier de 60 % à 90 % en actifs immobiliers et de 10 % à 40 % en actifs mobiliers. Au-delà de cette répartition globale, la pondération des actifs immobiliers éligibles est, toutefois, différente selon que l'OPCI est constitué en SPPICAV ou en FPI. Pour ces derniers, seules les sociétés non-soumises à l'impôt sur les sociétés peuvent constituer l'actif immobilier : les sociétés non cotées soumises à l'impôt sur les sociétés et les sociétés foncières cotées en sont exclues. Pour le SPPICAV, en revanche, l'investissement est libre dans toutes parts et actions de sociétés immobilières non cotées. L'investissement est, également, possible dans des actions de sociétés foncières cotées, dans la limite de 9 % du quota de 60 % précité (7).
D'autres principes prudentiels visent, au surplus, à encadrer les opérations autorisées et à les limiter. S'agissant, en premier lieu, des emprunts auxquels l'organisme peut souscrire, ces derniers ne peuvent dépasser, afin de conserver une congruence de gestion, 50 % de la valeur des actifs immobiliers pour financer des acquisitions d'immeubles et, s'agissant des autres emprunts, 10 % de la valeur de ses actifs non immobiliers. Il peut, à ce titre, consentir des sûretés sur ses actifs. Concernant, en second lieu, le financement d'autres sociétés, il ne peut consentir des avances en compte courant qu'aux sociétés immobilières dont il détient, directement ou indirectement, 5 % au moins du capital. Enfin, même si l'OPCI peut conclure des contrats portant sur des instruments financiers à terme, il lui est interdit de souscrire à ceux qui ont des marchandises pour sous-jacent.
II - Sécurisation des investissements et fonctionnement de l'OPCI
La constitution des OPCI a fait l'objet d'un certain nombre de critiques, lors de l'élaboration du projet, critiques portant, notamment, sur la sécurité insuffisante quant au fonctionnement des fonds (A). Le dispositif législatif et réglementaire étant, désormais, abouti, il apparaît que le traitement concret des questions qui avaient été soulevées démontre que, si le cadre textuel est encore perfectible, il traduit un accroissement très significatif de la sécurité des investisseurs (B).
A - La problématique du passage du cadre de la SCPI à celui de l'OPCI
La longue élaboration du cadre textuel des OCPI est, sans doute, à l'origine des interrogations qui se sont fait jour, tant en pratique qu'en doctrine (8), sur l'opportunité de créer de nouveaux organismes, parallèlement aux SCPI existantes, alors que le cadre législatif ne laissait pas augurer de l'introduction de mécanismes de sécurisation suffisants pour faire des OPCI les équivalents immobiliers des OPCVM.
Plus prosaïquement, les praticiens soulignaient, au début de l'année 2006, le risque que la création des OPCI faisait peser sur la confiance que les investisseurs pourraient accorder aux SCPI qui ne souhaitaient pas se transformer (9). Cette inquiétude, sans doute focalisée sur l'absence de liquidité du marché de la revente des parts (dit marché secondaire), devra, sûrement, être mesurée au fur et à mesure du déroulement des assemblées générales devant se prononcer sur la transformation. En effet, au cas où le maintien sous la forme ancienne de SCPI devait se confirmer, la revente ultérieure des parts pourrait devenir délicate pour les associés qui auront décidé d'un statu quo. Cette situation est à comparer à la situation des sociétés qui, en revanche, auront choisi la voie de la transformation, le législateur ayant introduit un certain nombre de mécanismes permettant d'accroître la liquidité en cas de demande de rachat des parts.
En effet, si certains points critiques ont pu être soulignés (10) depuis l'introduction de l'amendement de M. Marini, le législateur s'est attaché à les prendre en considération et à élaborer un corps de règles permettant de garantir la sécurité de l'investisseur sans compromettre le fonctionnement des organismes de placement collectif. Originellement, le Gouvernement souhaitait faire disparaître les inconvénients majeurs présentés par la réglementation des SCPI, révélés au grand jour à l'occasion de la crise immobilière des années 1990, crise dont on pouvait craindre, à l'époque, qu'elle ne se répète dans un marché immobilier caractérisé par une inflation à deux chiffres. En premier lieu, le manque de liquidité du marché secondaire des parts de SCPI était mis en avant, manque de liquidité lié aux difficultés à mobiliser une trésorerie suffisante pour se porter acquéreur des parts offertes à la cession. S'ajoutait à ce problème, purement technique, celui, plus critique, de la difficulté à estimer la valeur des parts en vue de la revente, cette difficulté se traduisant, parfois, par la nécessité d'affecter ces parts d'une décote pour garantir les acheteurs de la valeur des actifs représentatifs.
D'autres arguments étaient, au surplus, avancés (économiques ceux-là) tenant, d'abord, au risque que faisait peser sur les épargnants la nature cyclique de l'investissement, les particuliers surinvestissant dans les phases haussières du marché, et cherchant, à l'inverse, à céder leurs parts dans le cadre d'un marché baissier, cette stratégie s'avérant désastreuse en cas de retournement de cycle. Ils consistaient, ensuite, à faire ressortir la fragilité structurelle des SCPI, liée à la nature exclusivement immobilière de leur patrimoine. Les règles de fonctionnement des OPCI se devaient, donc, de prendre en considération les défauts attachés aux anciens supports de l'épargne collective et d'introduire des mécanismes de sécurisation de la gestion.
B - Une sécurisation destinée à conférer un niveau de protection élevé
Les mécanismes de sécurisation reposent, d'abord, sur un contrôle séparé des actifs : d'une part, l'immobilier fait l'objet d'une évaluation indépendante et, d'autre part, les actifs non immobiliers sont conservés par un dépositaire distinct.
Le contrôle de la valeur des actifs non financiers est de la compétence, dans le régime applicable aux OCPI, des "évaluateurs immobiliers". L'évaluation des immeubles, qui constituait, en effet, un point sensible dans l'ancienne organisation régissant les SCPI, fait l'objet, désormais, d'un traitement exhaustif dans le règlement général de l'AMF qui leur consacre six séries de dispositions, aux articles 322-84-9 et suivants. Manifestement, l'esprit du texte renvoie à l'application de principes proches de la gouvernance d'entreprise, plus particulièrement mis en oeuvre avec la loi sur les nouvelles régulations économiques du 15 mai 2001, déjà évoquée. Ainsi, il est prévu (RG AMF, art. 322-84-10) que la société de gestion (dont nous évoquerons le rôle ultérieurement) sera contrainte de mettre en place des procédures formalisées et contrôlables permettant de sélectionner les évaluateurs immobiliers. A ce titre, il s'agit, notamment, de vérifier que chaque évaluateur est indépendant de ses pairs, ainsi que de tous les acteurs de l'OPCI, qu'il exerce à titre principal une activité d'expertise immobilière et qu'il dispose d'une expérience et d'une compétence adaptée à l'exercice de sa fonction (RG AMF, art. 322-84-11). Mieux encore, cette désignation est placée sous la tutelle de l'AMF, puisque l'article 322-84-14 du règlement général prévoit que, "au plus tard trente jours avant l'échéance du mandat de l'évaluateur ou avant la date de la résiliation de son contrat, la société de gestion dépose à l'AMF une demande de nouvel agrément". La société de gestion doit, de la sorte, lier le sort de l'agrément à la désignation d'un évaluateur dont les compétences pourront être jugées comme étant satisfaisantes par l'AMF.
S'agissant des modalités du contrôle, ces dernières font, elles aussi, l'objet de dispositions très précises, aux articles L. 214-111 (N° Lexbase : L7262HZY) et suivants du Code monétaire et financier. Les évaluateurs, en premier lieu, sont, en vertu de ce premier article, au nombre de deux et "agissent de manière indépendante l'un par rapport à l'autre. Ils établissent conjointement, sous leur responsabilité, un rapport de synthèse écrit sur l'accomplissement de leur mission". Quant à cette responsabilité, l'article L. 214-115 du même code (N° Lexbase : L7266HZ7) prévoit qu'elle emporte, "tant à l'égard de la société de placement à prépondérance immobilière à capital variable ou de la société de gestion du fonds de placement immobilier que du dépositaire, des conséquences dommageables des fautes et négligences par eux commises dans l'accomplissement de leur mission". Concernant la valorisation, elle se fait sur la base de l'actif net, dont le calcul repose sur le rapport de deux évaluateurs par OPCI. Les experts précités sont chargés d'actualiser cette évaluation, au moins quatre fois par an, trois actualisations trimestrielles s'ajoutant à l'expertise annuelle qui donne lieu à l'établissement du rapport précité.
S'agissant des actifs financiers, ces derniers sont, en revanche, régis par les mécanismes prudentiels communs aux organismes de placement collectif en valeurs mobilières. Ces deniers sont, ainsi, détenus par les "dépositaires d'organismes de placement collectifs", qui sont régis par les articles 331-1 à 331-23 du règlement général de l'AMF et qui ne peuvent se voir déposer que des seuls instruments financiers. A ce titre, ils s'assurent de la régularité des décisions prises par l'OCPI et, comme pour l'expertise immobilière, son activité est placée, selon l'article 333-7, sous la tutelle de l'AMF puisqu'il "établit un cahier des charges qui précise les conditions dans lesquelles il exerce son activité", ce document étant tenu à la disposition de l'AMF. Il respecte, par ailleurs, un certain nombre de dispositions prudentielles tenant aux moyens et au personnel employé, sachant que, en vertu de l'article 333-11 du règlement général de l'AMF il existe, au sein de sa structure, un contrôleur légal des comptes qui "remplit une mission particulière annuelle portant sur le contrôle des comptes ouverts au nom des OPC dans les livres du dépositaire"(11).
Le contrôle des actifs étant particulièrement encadré, on peut, de la sorte, augurer, sinon de l'exactitude des informations, tout du moins de leur sincérité, accrue, au demeurant, par le risque financier encouru par les évaluateurs immobiliers en cas de faute. Ce contrôle permet, outre la fiabilité accrue de l'information sur la valeur des actifs, de donner au rachat des parts un degré de liquidité qui était, jusqu'alors, inconnu des anciennes SCPI.
La liquidité est, en effet, rendue possible par la transparence de l'évaluation des actifs. Au-delà de la remise du rapport par les évaluateurs, comme le souligne un auteur dans une étude exhaustive sur le régime applicable aux OCPI (12), la société de gestion établit, aux termes de l'article 424-43 du règlement général de l'AMF, une évaluation des actifs immobiliers dans leur ensemble. Il est fait, selon cette disposition, référence à ceux qui figurent dans la liste de l'article L. 214-92 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L2981HZG), en y incluant les parts de sociétés non cotées détenant majoritairement des actifs immobiliers. A ce titre, toujours en vertu du même article, elle est tenue de réévaluer les actifs mentionnés chaque jour d'établissement de la valeur liquidative de ces actifs.
Quant à la valeur liquidative de l'OPCI dans son ensemble, celle-ci obéit, pour son calcul, à l'application des règles des articles 424-66 et suivants du règlement général de l'AMF. Le principe, en l'espèce, impose une périodicité de calcul assez soutenue, puisque l'article 424-66 du même texte dispose que les OPCI sont tenus d'établir leur valeur liquidative et de la publier selon une fréquence adaptée à la politique de gestion de l'OPCI, à la nature des actifs détenus, ainsi qu'à celle des souscripteurs. Cette règle ne laisse, toutefois, qu'une très faible latitude dans les contraintes de réévaluation car la société de gestion est tenue de respecter la double limite d'un calcul et d'une publication au moins tous les six mois et, au plus, deux fois par mois. Renvoi est fait, pour déterminer la fréquence de l'information, aux données fournies dans le prospectus "complet" remis aux investisseurs, qui précise, aux termes de l'article 424-66 du règlement général de l'AMF, la périodicité d'établissement et de publication de la valeur liquidative, la méthode d'évaluation et le calendrier de référence choisi. Cette valeur liquidative est transmise à l'AMF le jour de sa publication.
Reste qu'au-delà de la liquidité théorique, l'encadrement juridique des remboursements permet d'opposer certaines exceptions au rachat des parts ou actions. Ce rachat peut, en effet, selon les articles L. 214-126 (N° Lexbase : L7277HZK) (pour les SPPICAV) et L. 214-136 (N° Lexbase : L7287HZW) (pour le FPI) du Code monétaire et financier, être suspendu à titre provisoire, en cas de force majeure et si l'intérêt des porteurs le commande, dans les conditions fixées par le règlement général de l'AMF. Or ce dernier prévoit, dans son article 424-14, que la suspension, sur le fondement des statuts ou le règlement de l'OPCI, peut intervenir dés que la demande excède 2 % du nombre de parts ou d'actions.
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Réf. : CE, 31 octobre 2007, quatre arrêts, n° 306338 (N° Lexbase : A2028DZ7), n° 307797 (N° Lexbase : A2030DZ9), n° 307861 (N° Lexbase : A2031DZA), n° 308716 (N° Lexbase : A2032DZB)
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par Frédéric Dieu, commissaire du Gouvernement près le tribunal administratif de Nice
Le 07 Octobre 2010
La guerre entre les départements et l'Etat n'aura donc pas lieu, du moins pas devant le juge administratif. Le Conseil rappelle, ainsi, que le législateur est l'arbitre naturel des conflits entre les collectivités territoriales et l'Etat. Politiquement opportune, la solution retenue par le Conseil d'Etat dans les quatre arrêts du 31 octobre 2007 n'en a pas moins nécessité une analyse juridique très radicale et très constructive qui, plutôt que de s'appuyer sur la notion de domaine public routier, se fonde essentiellement sur la mission particulière qui est assignée aux radars automatiques dans le cadre de la politique de sécurité routière.
I - Pour éviter d'analyser la nature de l'utilisation par les radars du domaine public départemental, le Conseil d'Etat adopte une lecture dissociée des dispositions du Code de la voirie routière par rapport à celles du Code général de la propriété des personnes publiques
A. Si l'impossibilité de qualifier la présence des radars sur les routes départementales comme une utilisation privative du domaine public des départements n'a jamais fait de doute...
1) Retour sur la notion, en vogue, d'utilisation privative du domaine public
Dans le cadre de la politique de sécurité routière, l'installation de dispositifs automatiques de contrôle et de sanction, dits radars automatisés fixes, permettant de sanctionner les excès de vitesse, a conduit à une réduction très importante du nombre de morts sur les routes, près de 40 % au cours des quatre dernières années. Mais ces radars, qui sont au nombre de 2 000 environ, ont aussi été une source de recettes non négligeable puisque les amendes générées par les contrôles qu'ils ont opérés se sont élevées à 350 millions d'euros en 2006. Or, ces radars ont été installés au bord des routes qui, depuis le transfert des routes nationales aux départements, opéré par la loi n° 2004-809 du 13 août 2004, relative aux libertés et responsabilités locales (N° Lexbase : L0835GT4), appartiennent, à concurrence de 95 %, au domaine public routier des départements. Une quarantaine de départements a décidé de demander à l'Etat le paiement de redevances domaniales pour chaque implantation d'un radar automatisé fixe sur leur domaine public routier. Le montant de ces redevances a été fixé proportionnellement à l'importance de la circulation au lieu d'implantation des radars avec une fourchette variant entre 10 000 et 40 000 euros annuels pour chaque radar. Les départements ont, ainsi, considéré que l'installation de radars sur les routes qu'ils géraient relevait d'une utilisation privative par l'Etat de leur domaine public routier.
Le nouveau Code général de la propriété des personnes publiques (CGPPP), reprenant l'article L. 28 du Code du domaine de l'Etat (N° Lexbase : L2097AAW), dispose, dans son article L. 2122-1 , que "nul ne peut, sans disposer d'un titre l'y habilitant, occuper une dépendance du domaine public d'une personne publique". A la différence de l'usage collectif du domaine affecté à l'usage du public qui, parce qu'il est conforme à la destination de celui-ci, est libre, l'usage à des fins autres s'analyse normalement comme un usage privatif qui, s'il est possible dès lors qu'il est compatible, est soumis à une autorisation préalable du propriétaire de la dépendance ou si l'usage est superficiel, de l'autorité de police. Cet usage particulier est dit privatif en ce qu'il correspond à un intérêt propre à l'utilisateur et par opposition à l'usage collectif qui, seul, participe de l'affectation de dépendances mises à disposition du public.
Par ailleurs, "lorsque l'administration, propriétaire du domaine public, enlève à la jouissance commune une partie du domaine pour la mettre temporairement à la disposition d'un particulier, elle est tenue d'imposer à cet occupant l'obligation de restituer à la communauté une part des bénéfices que cet avantage lui assure" (J.-F. Dénoyer, L'exploitation du domaine public, LGDJ, 1969, p. 161). En d'autres termes, le domaine public ne peut être gratuitement soustrait de son affectation publique dans l'intérêt d'un seul.
De manière remarquable, la cour administrative d'appel de Marseille a récemment affirmé le principe général de non-gratuité des utilisations privatives (CAA Marseille, 6ème ch., 6 décembre 2004, n° 00MA01740, Commune de Nice N° Lexbase : A1418DGM, AJDA 2005, p. 831, note Deliancourt ; CMP, juin 2005, n° 165, commentaire Eckert ; JCP éd. A, 2005, n° 1192, note Moreau). Ce principe rejoint, ainsi, les principes généraux de la domanialité publique auxquels la jurisprudence du Conseil d'Etat, bien qu'elle n'ait en fait dégagé qu'un seul principe, tiré de l'absence de droit acquis pour les titulaires d'autorisation au renouvellement de leur titre (CE Contentieux, 14 octobre 1991, n° 95857, Helie N° Lexbase : A0521ARQ, au Recueil p. 680). En conséquence, toute utilisation privative doit donner lieu à la perception d'une redevance par l'autorité concédant une dépendance du domaine public : les collectivités publiques ne peuvent user à leur guise de leur domaine. La cour administrative d'appel de Marseille a, également, jugé, dans l'arrêt précité, que le principe général de non-gratuité faisait obstacle à une utilisation privative à titre gratuit, sauf dérogations fondées sur l'intérêt général. Ainsi, une parcelle du domaine public ne peut être mise gratuitement à la disposition d'un particulier ou sans contrepartie, sauf pour la satisfaction d'un intérêt communal. Une circulaire du 13 septembre 1966, relative à la conservation et à la surveillance des voies communales (JORF 25 octobre 1966, p. 9398), adoptait déjà cette position : "toute occupation des voies communales doit en principe donner lieu à la perception d'une redevance au profit de la commune. Outre, en effet, que le domaine public peut être considéré comme un bien productif du meilleur revenu possible, les communes ne sont pas habilitées à consentir des libéralités aux particuliers et à établir des discriminations aboutissant à créer des catégories privilégiées d'usagers. Il y a lieu toutefois, dans la pratique, de faire fléchir la rigueur du principe en fonction de la nature ou de l'objet des autorisations et des avantages retirés de celles-ci par la commune".
Selon l'article L. 2125-3 du CGPPP , qui a repris l'article R. 56 du Code du domaine de l'Etat (N° Lexbase : L2410AAI), la redevance instituée doit tenir compte des avantages de toute nature, c'est-à-dire qu'elle est fonction, non seulement de la valeur locative d'une propriété privée comparable à la dépendance du domaine public en question, mais aussi de l'avantage spécifique que constitue le fait d'être autorisé à jouir d'une façon privative d'une partie du domaine public (CE Contentieux, 10 février 1978, n° 7652, Ministre de l'Economie et des Finances c/ Sieur Scudier N° Lexbase : A3255AIE, au Recueil p. 66). Pourront être retenus comme base de calcul, notamment et pour partie, le chiffre d'affaires réalisé par l'occupant privatif (TA Paris, 27 février 2004, Société VE Airport, n° 020288017), le revenu qu'il en retire (CE, 10 février 1978, précité ; CE 3° et 8° s-s-r., 29 novembre 2002, n° 219244, Commune du Barcarès c/ M. Attal et autres N° Lexbase : A4733A43, JCP éd. A, 2003, n° 1253 ; DA, 2003, n° 36 ; Collectivités - Intercommunalité 2003, n° 76 ; AJDA 2003, p. 1016 ; CE Contentieux, 21 mars 2003, n° 189191, Syndicat intercommunal de la périphérie de Paris pour l'électricité et les réseaux N° Lexbase : A7834C8N, au Recueil, p. 144 ; JCP éd. A, 2003, n° 1484, note J. Moreau ; RFDA 2003, p. 903, note J. Soulié ; AJDA 2003, p. 1935, note P. Subra de Bieusses), la durée consentie (CE 2° et 7° s-s-r., 11 juillet 2007, n° 290714, Syndicat professionnel de l'Union des aéroports français N° Lexbase : A2865DXE, JCP éd. A 2007, act. n° 752).
Soulignons qu'il appartient au juge administratif d'examiner l'adéquation du montant de la redevance avec l'ampleur des avantages conférés au concessionnaire d'une dépendance du domaine public (CAA Nancy, 1ère ch., 13 janvier 2005, n° 03NC00988, Région Lorraine N° Lexbase : A2008DGH, JCP éd. A, 2005, n° 1192, note Moreau : la cour vérifie, en l'espèce, que le montant du loyer n'est pas "très nettement inférieur à celui du marché") : le juge peut, ainsi, être amené à censurer les redevances trop basses (TA Lyon, 10 mars 2005, Lavaurs, AJDA 2005, p. 1474, note Lagarde ; BJCL 2005, p. 310, note Poujade).
2) Une qualification logiquement écartée en ce qui concerne les radars automatisés installés sur les routes gérées par les départements
Le dispositif de contrôle automatique mis en oeuvre par des radars implantés le long des voies publiques départementales a engendré des recettes en proportion à la suite des amendes infligées (il est prévu des recettes de 100 millions d'euros pour l'année 2008 selon le comité des finances locales). Or, en vertu des lois de finances successives, le produit de celles-ci est essentiellement affecté, par dérogation aux dispositions de l'article L. 2334-24 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) (N° Lexbase : L9030AAP), à un compte d'affectation spéciale du budget de l'Etat, alors qu'a été récemment accru le kilométrage des routes départementales par le transfert aux départements de nombreuses routes nationales, en bordure desquelles a été implantée une grande partie des radars fixes. Ces radars étant installés sur le domaine public routier départemental, les conseils généraux ont estimé que l'Etat était en situation d'occupation privative et qu'il devait donc, conformément à l'article L. 2125-3 du Code général de la propriété des personnes publiques (CGPPP), leur verser une redevance annuelle d'occupation d'un montant non négligeable puisque pouvant atteindre 80 000 euros par radar.
Il s'agissait, donc, pour les départements, que le transfert de biens ne se réduise pas à un simple transfert de charges, les dépenses d'entretien de la voirie départementale représentant une part importante de leurs dépenses obligatoires. Selon ce raisonnement, dès lors que l'Etat souhaite, pour contrôler la vitesse des automobiles, installer en bordure des axes routiers des radars, il doit obtenir l'autorisation des collectivités propriétaires des voies concernées et en particulier des départements. Le bas-côté des routes départementales étant l'accessoire de celles-ci et donc propriété des départements, le président du conseil général est, en effet, compétent pour autoriser cette installation sur leur emprise et délivrer les permissions de voirie afférentes (ces équipements, parce qu'ils sont fixés au sol et d'utilité publique, constituent des ouvrages publics). A supposer, d'ailleurs, que cette installation n'exige pas un ancrage au sol, il serait également compétent pour délivrer les permis de stationnement nécessaires puisqu'il exerce, sur le fondement de l'article L. 3221-4 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L9381AAP), le pouvoir de police sur le domaine départemental (l'on peut même se demander si l'installation de radars, simplement posés au sol ou sur la plage arrière d'une voiture au stationnement un moment dans la journée, ne nécessiterait pas un permis de cette nature). Si, pour le moment, les communes ne se sont pas manifestées, il est clair que, pour les mêmes raisons, le maire serait compétent pour délivrer les permissions de voirie préalables à l'installation de radars au bord de voies communales (la région Corse pourrait, également, être concernée puisqu'elle aussi bénéficie du transfert des routes nationales).
C'est ce raisonnement qui a été adopté par plusieurs juridictions administratives : citons, en particulier, le tribunal administratif de Lille (TA Lille, 4 juillet 2007, n° 0701891, Préfet du Nord c/ Département du Nord, et, même date, n° 0701413, Préfet du Pas-de-Calais c/ Département du Pas-de-Calais, JCP éd. A du 23 juillet 2007, act. n° 727) et les cours administratives d'appel de Douai (CAA Douai, 20 avril 2007, préc.) et de Versailles (CAA Versailles, 24 mai 2007, préc.). Pour toutes ces juridictions, l'intérêt général qui s'attache à la sécurité routière ne suffit pas à faire regarder les radars comme des ouvrages intéressant un service public qui bénéficie gratuitement à tous, au sens des dispositions de l'article L. 2125-1 du CGPPP , qui prévoient, dans ce cas, que l'autorité concédante d'une dépendance du domaine public peut (ce n'est donc qu'une faculté à la discrétion de celle-ci) ne pas réclamer de redevance à son concessionnaire. Ces juridictions ont, ainsi, considéré que le montant de la redevance au titre de l'installation par l'Etat de radars sur le domaine public routier départemental pouvait, donc, donner lieu à l'établissement d'une redevance calculée conformément aux dispositions de l'article L. 2125-3 du CGPPP .
Ce raisonnement a, toutefois, été écarté par le Conseil d'Etat dans les quatre arrêts du 31 octobre 2007 et il a, en cela, suivi les conclusions de son commissaire du Gouvernement. En effet, lorsque l'Etat installe des radars sur le domaine public routier départemental, il n'agit pas dans son intérêt propre, mais il remplit une mission de service public : la fonction des radars est manifestement une fonction d'utilité publique dans la mesure où il résulte de l'article L. 130-9 du Code de la route (N° Lexbase : L4653DYY) qu'ils ont pour objet la constatation d'infractions à celui-ci, par des automobilistes ne respectant pas les limitations de vitesse qu'il a édictées. Les constatations réalisées par ces appareils de contrôle automatiques, dès lors qu'ils sont homologués, font foi jusqu'à preuve du contraire. Ces équipements ont, donc, une affectation publique évidente. Ils sont, par ailleurs, aménagés de façon telle qu'ils soient adaptés à leur mission. Leur homologation le prouve amplement, de sorte qu'ils sont des ouvrages publics et font partie du domaine public.
L'on peut enfin douter de la possibilité pour un département ou une commune de s'opposer avec succès à l'installation d'un radar le long d'une voie communale. S'agissant de la seconde, il faut souligner que l'article L. 2215-5 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L8735AAR) dispose que les permissions de voirie à titre précaire sur les voies publiques qui sont placées dans les attributions des maires et qui ont pour objet, notamment, l'établissement dans le sol de la voie publique des canalisations destinées au passage ou à la conduite de l'eau ou du gaz peuvent, en cas de refus du maire non justifié par l'intérêt général, être accordées par le représentant de l'Etat dans le département. Cette disposition, parce qu'elle n'est pas limitative dans son énoncé, s'applique vraisemblablement aussi aux installations ayant une fonction d'amélioration de la sécurité publique. Un refus du maire sans réelle justification d'intérêt général entraînerait la possibilité d'une substitution du préfet à ce dernier qui deviendrait alors compétent pour l'accorder aux lieu et place de l'autorité municipale.
B. ...la doctrine avait envisagé d'y voir un service public faisant l'objet de dispositions dérogatoires du CGPPP...
1) Une approche plus conforme à la mission assignée aux radars automatisés
Le caractère d'utilité publique des radars ne faisait donc guère de doute. La question se posait, cependant, de savoir quelles conséquences il fallait tirer de ce caractère : en particulier, cela excluait-il, en principe, toute perception de redevance par les propriétaires du domaine public routier sur lequel sont installés les radars ou était-il possible pour ces derniers de réclamer de telles redevances ?
La doctrine (C. Lavialle, L'installation par l'Etat de radars sur le domaine public des collectivités territoriales, JCP éd. A, 2007, n° 2229), comme le commissaire du Gouvernement dans ses conclusions sous les quatre arrêts du 31 octobre 2007, ont estimé que si le Code de la voirie routière fixait les conditions particulières d'utilisation, de conservation et de police du domaine public routier, il ne comportait, cependant, aucune disposition excluant l'application à ce domaine du Code général de la propriété des personnes publiques. Le choix a donc été fait de combiner les dispositions du Code la voirie routière et les dispositions du Code général de la propriété des personnes publiques : selon ce raisonnement, en effet, si l'article L. 117-1 du Code de la voirie routière (N° Lexbase : L8826AEM) fonde le droit de l'Etat d'installer les équipements nécessaires à la constatation des infractions à la réglementation routière sur tout le domaine public routier, il ne fait pas échapper cette installation au régime juridique de l'occupation du domaine public lorsque le domaine public ne lui appartient pas ou a été affecté à un tiers, et, notamment, au caractère en principe payant de cette occupation.
Il faut, à cet égard, souligner que si l'article L. 2125-1 du CGPPP pose le principe selon lequel toute occupation ou utilisation du domaine public donne lieu au paiement d'une redevance, il prévoit, également, des dérogations. L'autorisation peut être délivrée gratuitement, "1° soit lorsque l'occupation ou l'utilisation est la condition naturelle et forcée de l'exécution de travaux ou de la présence d'un ouvrage, intéressant un service public qui bénéficie gratuitement à tous ; 2° soit lorsque l'occupation ou l'utilisation contribue directement à assurer la conservation du domaine public lui-même". Bien évidemment, la mise en place des radars ne relève pas de la police de la conservation du domaine public routier, mais de la police administrative générale de la sécurité de la circulation automobile, même si la limitation de la vitesse a un effet protecteur sur le revêtement des voies publiques. En revanche, l'on peut considérer que l'installation de radars relève du service public puisqu'elle a une finalité manifeste d'intérêt général, d'ordre public et qu'elle est exécutée et gérée par l'Etat. Il bénéficie à tous, puisqu'il a contribué à réduire la mortalité et le nombre d'accidents. Il le fait de manière gratuite puisque cette installation est financée par le budget de l'Etat et non par les usagers. Cette activité relève d'un service public judiciaire, donc, à caractère administratif au sens large de ce terme et non industriel et commercial. Aussi, il semble bien que cette utilisation particulière du domaine public entre dans le champ d'application de la dérogation instituée par l'article L. 2125-1 du CGPPP.
En effet, l'occupation du domaine public est la condition à la fois naturelle et obligatoire de l'installation des radars. Par ailleurs, la sécurité routière semble bien relever d'une véritable mission de service public qui bénéficie gratuitement à tous (CE 3° et 8° s-s-r., 25 mai 2007, n° 289751, Société Zebra auto-moto école N° Lexbase : A4780DWX : le circuit routier et les installations "sont affectés à des activités, tant sportives et récréatives que relatives à la sécurité routière, relevant de missions de service public").
Ceci ne signifie pas pour autant que l'Etat n'a pas à payer une redevance. En effet, la dérogation consiste seulement à ouvrir la possibilité au propriétaire du domaine, dans les cas cités, de ne pas percevoir une redevance. La gratuité est possible mais non imposée. Les collectivités territoriales qui bénéficient, sur le fondement de l'article 72 de la Constitution (N° Lexbase : L1342A9L), du droit de s'administrer librement et qui, notamment, disposent d'une autonomie, reconnue par le Conseil constitutionnel, "en matière de gestion et d'affectation de leur domaine public" (CC, décision n° 96-378 DC, 23 juillet 1996, loi relative à la réglementation des télécommunications N° Lexbase : A8344ACZ) peuvent donc choisir, dans le cas présent, d'assujettir, ou non, à redevance l'Etat lorsqu'il implante des radars sur leur domaine routier. L'on comprend que les départements aient souhaité rendre onéreuse cette implantation lorsque l'on sait que le transfert à ceux-ci de certaines routes nationales a été mal accueilli. Ils ont considéré qu'il s'agissait essentiellement, pour l'Etat, de se décharger du coûteux entretien de ces voies. La décision d'assujettir l'Etat à une redevance s'explique, donc, par la volonté d'utiliser le produit de ces recettes pour entretenir le réseau dont les départements ont, malgré eux, hérité et de le faire contribuer au financement de ce transfert redouté : si l'Etat est considéré comme étant en situation d'occupation privative, il est, en effet, équitable et légal que les collectivités propriétaires du domaine public routier soient fondées à lui demander le versement d'une redevance pour l'occupation qu'il en fait en y installant des radars.
2) Une approche cependant peu opérante en ce qu'elle ne confère aux départements aucune créance sur l'Etat
Le raisonnement consistant à considérer les radars comme des ouvrages installés sur le domaine public routier en vue de contribuer à un service public qui bénéficie gratuitement à tous, s'il est séduisant théoriquement, est, toutefois, sans portée pratique, puisqu'il est bien difficile de déterminer quels sont les avantages que l'Etat tire de l'installation des radars, avantages qui seuls pourraient fonder le montant de la redevance mise à sa charge en application de l'article L. 2125-3 du Code général de la propriété des personnes publiques.
A cet égard, les départements s'étaient fondés, à la fois, sur l'avantage résultant du montant des amendes perçues et sur les avantages tirés d'un exercice plus efficace des missions de police de l'Etat. Si la notion d'avantage a un contenu large, puisque le code mentionne "les avantages de toute nature procurés au titulaire de l'autorisation", la jurisprudence du Conseil d'Etat ne retient que les avantages économiques résultant de l'occupation du domaine public. L'avantage pris en compte est, soit celui que l'occupant retire comme opérateur économique, soit celui dont est privée la collectivité propriétaire à qui il interdit d'autoriser un concurrent à utiliser le domaine qu'il occupe.
Or, même si le montant des amendes générées par les radars est important, l'installation de ces dispositifs par l'Etat ne poursuit aucun but économique. Sa finalité correspond exclusivement à un objectif et une mission de sécurité routière qui n'ont aucun but lucratif. L'on peut même dire, au contraire, que son objectif est de ne plus percevoir aucune amende, le succès de la politique de sécurité routière dépendant du respect par les automobilistes des limitations de vitesse. Dès lors qu'en installant des radars au bord des routes, l'Etat n'agit pas comme opérateur économique mais au titre de sa mission de service public de sécurité routière, il ne peut être regardé comme tirant un avantage économique du domaine public routier qu'il occupe. L'on pourrait, certes, soutenir que l'espace occupé par les radars prive le propriétaire du domaine du revenu qu'il obtiendrait en autorisant une autre utilisation privative de son domaine. Toutefois, les radars n'occupent qu'un mètre carré environ situé, en outre, sur le bas côté des routes : rares sont, donc, les cas où ils se situent sur un emplacement ayant une certaine valeur économique.
L'amélioration du fonctionnement de l'Etat et de la sécurité publique est, en fait, un avantage qui touche à l'intérêt général dont bénéficient aussi les collectivités territoriales et qui, outre qu'il est difficilement quantifiable, ne peut être monnayé. Nous sommes là dans une hypothèse de coopération immatérielle des personnes publiques à l'intérêt commun qui ne relève pas de relations marchandes. Ensuite, les recettes générées par les amendes ne sont pas des produits résultant de l'exploitation des radars comme les revenus d'un occupant privatif résultent de l'activité économique qu'il développe sur le domaine. Les amendes sont dues de par la loi et en raison de l'infraction faite à celle-ci. Elles ne peuvent, donc, que difficilement être considérées comme "un avantage financier" pour l'Etat. Elles constituent en fait une sanction pour les contrevenants et en faire une analyse seulement économique est un travestissement qui, juridiquement, ne peut produire d'effets et en particulier conduire à faire payer l'Etat pour la mise en place de son dispositif. Il s'agit là de l'exercice d'une prérogative régalienne qui ne saurait être assimilée à une activité économique susceptible, à ce titre, de donner lieu au paiement de redevance pour service rendu ou d'occupation domaniale.
Enfin, une partie du produit des amendes est utilisée pour la voirie puisqu'elle est affectée dans la limite de 100 millions d'euros à l'agence de financement des infrastructures de transport de France, le solde éventuel étant destiné aux collectivités territoriales pour financer des opérations d'amélioration des transports en commun et de la circulation. Ces collectivités bénéficient, donc, d'une fraction de ces amendes qui leur est réservée pour des actions d'entretien de la voirie. Elles ne sont pas totalement écartées, ce qui serait inéquitable dès lors qu'elles prêtent leur concours à ce dispositif et que leur domaine public routier leur coûte cher alors qu'elles ne l'ont pas nécessairement revendiqué, du moins pour sa totalité.
Finalement, le raisonnement consistant à considérer les radars comme des ouvrages installés sur le domaine public routier en vue de participer au service public de la sécurité routière, lequel bénéficie gratuitement à tous, outre qu'il subordonne la perception d'une redevance à la seule initiative du propriétaire du domaine et donc généralement du département (or, imagine-t-on que l'Etat soit amené à payer une redevance dans tel département et en soit dispensé dans tel autre ?), ne permet guère de fonder financièrement cette redevance puisqu'il est bien difficile de voir dans l'utilisation par l'Etat du domaine public routier départemental un avantage économique quantifiable.
C. ...mais cette approche a été écartée par le Conseil d'Etat au profit d'une lecture autonome des dispositions des articles L. 117-1 (N° Lexbase : L8826AEM) et R. 111-1 (N° Lexbase : L0885HHA) du Code de la voirie routière
1) Le refus par le Conseil d'Etat d'effectuer une combinaison entre les dispositions du Code la voirie routière et les dispositions du Code général de la propriété des personnes publiques
Dans les quatre arrêts du 31 octobre 2007, après avoir cité les dispositions de l'article L. 2125-1 du Code général de la propriété des personnes publiques qui subordonnent "toute occupation ou utilisation du domaine public d'une personne publique [...] au paiement d'une redevance", le Conseil d'Etat rappelle les dispositions de l'article L. 117-1 du Code de la voirie routière selon lesquelles "des dispositifs techniques destinés à assurer le respect du Code de la route ou permettant aux fonctionnaires et agents habilités de constater les infractions audit code sont intégrés aux infrastructures et équipements routiers". Or, le rappel de ces deux articles est nettement séparé par un "toutefois" qui indique clairement que les dispositions du Code de la voirie routière ne peuvent être combinées avec les dispositions du Code général de la propriété des personnes publiques, contrairement à ce qu'estimait le commissaire du Gouvernement.
La solution retenue par le Conseil d'Etat est, donc, radicale, puisque selon lui, loin de constituer une dérogation au droit commun de l'utilisation du domaine public (laquelle doit toujours donner lieu au paiement d'une redevance), l'installation de radars sur les routes départementales est tout simplement étrangère à ce droit, qu'il soit commun ou dérogatoire. Ce sont, donc, les seules dispositions du Code de la voirie routière qui sont pertinentes pour analyser la portée juridique de l'installation de ces radars. Pour le dire encore plus brièvement, les quatre arrêts du Conseil d'Etat du 31 octobre 2007 font sortir l'installation des radars du droit de la domanialité publique. La position du Conseil est d'autant plus radicale qu'il a, cependant, dans les mêmes arrêts, reconnu que les radars concouraient bien "à l'exécution du service public de la sécurité routière". Toutefois, plutôt que de s'appuyer, comme son commissaire du Gouvernement l'y invitait, sur cette qualification de service public pour faire application des dispositions dérogatoires de l'article L. 2125-1 du CGPPP, le Conseil d'Etat choisit d'ignorer ce lien entre service public et domaine public.
Il s'agissait donc bien pour le Conseil d'Etat de mettre en échec les dispositions du CGPPP et force est de constater que cette volonté ne s'est pas embarrassée de longues justifications juridiques. Toujours dans le considérant de principe commun aux quatre arrêts du 31 octobre 2007, le Conseil, après avoir indiqué que "les radars automatiques de contrôle de vitesse constituent, compte tenu de leur objet même, des équipements intégrés aux infrastructures routières au sens des dispositions du Code de la voirie routière", estime que "dès lors, ces équipements [...] ne peuvent être regardés comme occupant ou utilisant le domaine public routier au sens de l'article L. 2125-1 du Code général de la propriété des personnes publiques". Ce "dès lors", qui pèse très lourd puisqu'il exclut l'installation des radars du droit de la domanialité publique, est bien énigmatique. En effet, le lien de cause à conséquence entre la nature d'équipements routiers des radars et l'absence d'occupation ou d'utilisation du domaine public routier est pour le moins ambigu. Faut-il considérer que les radars, en tant qu'équipements intégrés aux infrastructures routières, appartiennent à la route elle-même et sont en quelque sorte la route, ce qui expliquerait qu'ils ne peuvent être regardés comme occupant ou utilisant cette route ? Faut-il plutôt estimer qu'en prévoyant l'intégration des dispositifs de contrôle et de constatation des infractions aux infrastructures et équipements routiers, l'article L. 117-1 du Code de la voirie routière donne en tout état de cause à l'Etat le droit d'installer de tels systèmes sur tout le domaine public routier et que ce droit ne nécessite, pour être mis en oeuvre, aucune utilisation ou occupation de ce domaine public ?
La réponse n'est pas évidente mais, finalement, elle importe peu puisque seules comptent les conséquences qui sont attachées à cette exclusion de l'installation et de l'utilisation des radars du droit de la domanialité publique.
2) Les conséquences d'une telle lecture
Les conséquences d'une telle exclusion sont nombreuses et importantes, et il faut bien le dire, bénéfiques pour l'Etat.
En premier lieu, il faut rappeler que, selon le droit commun de la gestion du domaine public, l'utilisation d'une dépendance du domaine public dans des limites excédant le droit d'usage qui appartient à tous est, en application des dispositions de l'article L. 2122-1 du Code général de la propriété des personnes publiques, subordonnée à une autorisation, qui, aux termes de l'article L. 2122-3 du même code, est précaire et révocable. Plus généralement, l'installation d'un ouvrage sur le domaine public nécessite l'octroi d'une permission de voirie par l'exécutif de la collectivité propriétaire du domaine public occupé ou utilisé. La solution rendue par le Conseil d'Etat permet donc clairement et définitivement d'affranchir l'Etat de l'obligation de solliciter une autorisation des collectivités propriétaires du domaine public routier pour toute installation d'un radar.
Par ailleurs, cette solution permet, également, d'affranchir l'Etat de toute menace d'une redevance exigée par les collectivités propriétaires du domaine public routier : nous l'avons vu, en effet, la solution préconisée par la doctrine et le commissaire du Gouvernement aboutissaient au même résultat, mais uniquement sur un fondement financier, à savoir l'absence de tout avantage économique retiré par l'Etat de l'installation et de l'utilisation des radars sur le domaine public routier départemental. En déniant toute pertinence au droit de la domanialité publique, le Conseil d'Etat donne un fondement juridique, et non seulement financier ou résiduel, à l'impossibilité pour les collectivités propriétaires du domaine public routier de lui réclamer le paiement d'une redevance. C'est en principe et en droit que ce paiement est exclu et non en l'espèce et en fait.
En troisième lieu, l'exclusion de l'installation et de l'utilisation des radars du droit de la domanialité publique permet de ne pas contractualiser l'exploitation des radars. L'on peut, en effet, supposer que, si les radars devaient être regardés comme occupant ou utilisant le domaine public routier départemental, il y aurait lieu pour l'Etat et chaque département de conclure une convention d'occupation du domaine public prévoyant éventuellement le paiement d'une redevance par l'Etat. Or, de toute évidence, le Conseil d'Etat n'a pas voulu soumettre une politique nationale telle que la politique de sécurité routière aux exigences et aux attentes divergentes des collectivités territoriales propriétaires du domaine public routier.
II. La solution retenue par le Conseil d'Etat, fragile au regard de l'extension du domaine public routier, est, cependant, justifiée par le souci d'éviter toute confusion entre police de la circulation routière et police de la voirie routière
A. Une solution fragile au regard de la définition et de l'extension du domaine public routier
1) La définition du domaine public routier
Le domaine public est défini à l'article L. 2111-1 du CGPPP : "le domaine public d'une personne publique mentionnée à l'article L. 1 est constitué des biens lui appartenant qui sont soit affectés à l'usage direct du public, soit affectés à un service public pourvu qu'en ce cas ils fassent l'objet d'un aménagement indispensable à l'exécution des missions de ce service public". Se trouvent ainsi confirmés deux critères jurisprudentiels classiques (propriété publique, affectation soit à l'usage du public soit à un service public), tandis que se trouve réduit, en cas d'affectation à un service public, le critère de l'aménagement qui, de spécial, devient indispensable.
Le domaine public routier est défini par l'article L. 111-1 du Code de la voirie routière (N° Lexbase : L1635GU4) comme "l'ensemble des biens du domaine public de l'Etat, des départements et des communes affectés aux besoins de la circulation terrestre, à l'exception des voies ferrées". Cette affectation à la circulation générale permet de distinguer la voie publique de la promenade publique et elle est systématiquement exigée par le juge : une bande de terrain située entre deux parcelles privées ne peut être un élément du domaine public routier dès lors "qu'il ne résulte pas de l'instruction [qu'elle] ait jamais été ouverte à la circulation générale" (CE 3° et 8 s-s-r., 10 avril 2002, n° 234777, Commune de Rugny c/ M. Merel N° Lexbase : A5759AYX). La définition permet, également, d'écarter certaines dépendances dont l'affectation est plus limitée ou plus spécialisée : ainsi en est-il des voies créées lors de la réalisation d'un port et aménagées, à titre principal, pour la desserte des installations portuaires et plus généralement pour l'exploitation du port, dans laquelle figure l'activité commerciale, "alors même que lesdites voies sont ouvertes à la circulation et à l'usage du public elles doivent être regardées comme appartenant au domaine public maritime" (CAA Marseille, 16 décembre 2003, n° 02MA00795, X et a. N° Lexbase : A9306DZP).
Toutefois, cette définition du domaine public routier reste peu opérante puisqu'elle ne comprend pas les dépendances des routes, qui s'intègrent pourtant au domaine public routier en tant qu'elles participent de l'affectation à la circulation. Ces dépendances trouvent, pour partie, définition au Code de la voirie routière, au titre de l'article R. 111-1, à travers la notion d'équipements routiers. Cet article R. 111-1, de création récente (décret n° 2002-1251 du 10 octobre 2002, relatif aux équipements routiers et modifiant le Code de la voirie routière N° Lexbase : L3581H3Z, Ann. voirie 71/2002, p. 215, note F.D. ; v., aussi, l'arrêté du 14 février 2003, pris pour application du décret susvisé, Journal Officiel 18 Février 2003 ; Ann. voirie 75/2003, p. 59, note F.D.), indique que les équipements routiers sont des "dispositifs affectés aux besoins de la circulation routière, destinés à la signalisation, à la protection des usagers et à l'exploitation des voies du domaine public routier".
Le code identifiait traditionnellement trois catégories d'équipements : "1° les équipements de signalisation permanents ou temporaires [...], notamment, les produits de marquage de chaussées, les panneaux de signalisation, dont les panneaux à messages variables, ainsi que les balises et les feux de circulation ; 2° les équipements de protection des usagers, notamment ceux qui assurent une fonction de retenue des véhicules ou des piétons sur la chaussée ou ses dépendances, d'atténuation des chocs ou de protection contre l'éblouissement ; 3° les équipements d'exploitation des voies du domaine public routier, notamment ceux qui sont destinés à la régulation du trafic, à l'information ou au secours des usagers, au recueil des données routières et à l'éclairage des voies".
Toutefois, le décret n° 2004-472 du 1er juin 2004, relatif aux équipements de constatation des infractions au Code de la route (N° Lexbase : L2181DYG, JO du 2 juin 2004, p. 9736), a ajouté à ces trois catégories une quatrième comprenant "les équipements de constatation des infractions au Code de la route, qui sont intégrés aux infrastructures routières" et incluant, donc, les radars automatisés.
Les dépendances du domaine public routier sont, donc, essentiellement cernées par la jurisprudence, cette qualification étant "réservé(e) aux éléments autres que le sol de la chaussée" (TA Clermont-Ferrand, 2 décembre 1960, Troupel c/ Maire de Mauriac, AJDA 1961, p. 546, obs. B. Paulin), éléments qui, compte tenu de la définition donnée à l'article L. 111-1 du Code de la voirie routière, participent inégalement mais nécessairement "aux besoins de la circulation terrestre". En la matière, les solutions de jurisprudence sont souvent implicites : le juge détermine habituellement la consistance du domaine public routier par l'application des régimes répressif et de responsabilité. Précisons, enfin, que toute atteinte à une dépendance du domaine public routier est, en effet, logiquement sanctionnée par une contravention de voirie routière, dont la répression est poursuivie devant la juridiction judiciaire sur la base des articles L. 116-1 (N° Lexbase : L1695AEI) et suivants du Code de la voirie routière.
2) Le domaine public routier inclut les dépendances ayant pour objet d'assurer la sécurité de la circulation
Il faut souligner que la plupart des équipements routiers faisant partie des trois catégories initiales visées par l'article R. 111-1 du Code de la voirie routière sont considérés comme des dépendances du domaine public routier.
Les installations édifiées sur l'emprise des voies publiques sont, en effet, nombreuses et variées. Elles n'intègrent pas de ce simple fait le domaine public routier, mais il en ira ainsi dès lors qu'elles contribuent à l'affectation à la circulation terrestre. Al'inverse, ne seront pas des dépendances de la voirie les nombreux ouvrages implantés en vue de la seule réalisation d'autres services publics (tels que les services de télécommunication, de la distribution de l'eau, de l'électricité ou du gaz), ou en vue de la seule satisfaction d'intérêts privés. Parmi les ouvrages construits à même la chaussée, il faut signaler le cas des ralentisseurs, ou "dos d'âne", qui sont destinés à limiter la vitesse des véhicules et donc contribuent à la sécurité des usagers, piétons comme utilisateurs de véhicules motorisés. Ces ouvrages font partie intégrante du domaine public routier, même si la collectivité gestionnaire se doit d'assurer leur visibilité par rapport à la chaussée (CAA Nantes, 2ème ch., 10 mai 2000, n° 98NT01186, M. Jacky Guérinel N° Lexbase : A2074BHB ; CAA Nancy, 1er décembre 2005, n° 02NC00865, Mme Waeckel).
De même, les îlots directionnels, situés sur la voie, participent également à l'affectation de celle-ci et appartiennent à ce titre au domaine public routier. L'article R. 110-2 appréhende ce type d'ouvrages à travers la notion de "carrefour à sens giratoire". L'appartenance des îlots au domaine public routier résulte, également, de la jurisprudence (CE 1° et 2° s-s-r., 19 avril 1967, n° 69047, Popu N° Lexbase : A2971B8K, aux Tables p. 954 ; CE 4° et 1° s-s-r., 9 février 1977, n° 98248, Communauté urbaine de Lyon N° Lexbase : A6307B7Q, Dalloz 1977, inf. rap. p. 143 ; CAA Bordeaux, 2ème ch., 5 juillet 1999, n° 96BX02215, M. Millet Olivier N° Lexbase : A0128BEH). Sur le modèle des îlots directionnels, le terre-plein central séparant deux voies de circulation sur la même chaussée est également une dépendance du domaine public routier (CE Contentieux, 2 juillet 2001, n° 211231, Commune de La Courneuve N° Lexbase : A5039AU8, au Recueil p. 327).
Ne fait pas de doute, non plus, le caractère nécessaire à l'affectation, donc l'appartenance au domaine public routier, des bornes et panneaux de signalisation, qu'ils soient fixes ou mobiles (T. confl., 23 juin 2003, n° 3362, SARL Transports Saint-Germain c/ Directeur départemental de l'équipement et Agent judiciaire du Trésor N° Lexbase : A1562DQW, Petites affiches, 9 janvier 2004, p. 10, conclusions R. Schwartz ; CE, 18 décembre 1959, Epoux Blanc, au Recueil p. 699 ; CE Contentieux, 9 février 2000, n° 157562, Mutuelle assurance des commerçants et industriels de France des cadres et salariés de l'industrie et du commerce (MACIF) N° Lexbase : A0352AUL), que la signalisation soit classique ou automatique (par exemple, des feux tricolores, CE Contentieux, 22 avril 1966, n° 61780, Ville de Marseille N° Lexbase : A5131B8K, au Recueil p. 278), ou, même, qu'ils aient une fonction publicitaire, du moment qu'ils ont été édifiés en vue de faciliter la circulation (nom de la localité traversée, direction des principales curiosités touristiques, proximité d'un point dangereux pour la circulation, CA Poitiers, 29 juin 1931, Société de publicité et d'affichage c/ Ville Royan, DP 1933, 2, p. 65, note M. Waline). Enfin, sont aussi incorporées au domaine public routier les barrières et glissières de sécurité qui participent directement à la sécurité de la circulation et donc à la réalisation de l'affectation de la voie (CE Contentieux, 21 juin 1991, n° 74623, Ridoin et MACIF N° Lexbase : A1934AR3).
L'on voit, donc, qu'il n'y aurait rien d'excessif et d'illogique à considérer que les radars, tout comme les autres équipements routiers visés à l'article R. 111-1 du Code la voirie routière, sont des dépendances du domaine public routier en ce qu'ils contribuent au service public de la sécurité routière, ce que le Conseil d'Etat a lui-même affirmé dans les quatre arrêts du 31 octobre 2007. Cette solution aurait le mérite de soumettre à un même régime, à savoir le régime de la domanialité publique, l'ensemble des équipements routiers visés par les quatre alinéas de cet article. Au contraire, la solution retenue par le Conseil d'Etat semble opérer une distinction entre les trois premiers alinéas de cet article, qui se rapportent au domaine public routier, et le quatrième alinéa, qui concerne des ouvrages (les radars) n'occupant ni n'utilisant ce domaine.
B. Une solution justifiée par la nécessité d'éviter toute confusion entre la police de la circulation routière et la police de la voirie routière
1) La distinction entre contraventions destinées à réprimer les atteintes à l'intégrité du domaine public routier et contraventions destinées à réprimer les atteintes aux règles de la circulation routière
Les contraventions de voirie routière, qui sont des infractions à la police de la conservation du domaine public routier (police administrative spéciale), doivent être bien distinguées des infractions à la police de la circulation routière (cette police relevant de la police de l'ordre public, c'est-à-dire de la police administrative générale) bien qu'elles soient assez souvent liées à celles-ci. En effet, les mêmes faits sont parfois constitutifs d'une contravention de voirie routière, d'une part, et d'une infraction à la police de la circulation routière, d'autre part (Cass. crim., 9 juin 1999, n° 98-80.254, Parriche Patrice, inédit au bulletin N° Lexbase : A3405CQ8). Il arrive aussi que des infractions relevant des deux catégories soient commises, constatées et poursuivies simultanément (Cass. crim., 21 juin 1995, n° 94-84.082, Delautre Hervé, inédit N° Lexbase : A1744CYA : accident de voiture ayant causé la mort d'un homme et la dégradation du mobilier du domaine public routier). Dans les deux cas, des sanctions peuvent être prononcées au titre des diverses infractions commises. Le même juge, le juge pénal, sera alors saisi des deux infractions. D'ailleurs, le transfert de compétence opéré par le décret du 28 décembre 1926 au profit du juge pénal, confiant à ce dernier la répression de toutes les infractions à la police de la conservation des voies publiques, tendait précisément, dans un souci de simplification, à attribuer à un seul juge la répression de toutes les infractions commises sur le domaine public routier.
Les contraventions de voirie routière étant définies comme des atteintes à l'intégrité ou à l'usage normal du domaine public routier, leur champ d'application se confond avec le domaine public routier auquel il se limite. Celui-ci "comprend l'ensemble des biens du domaine public de l'Etat, des départements et des communes affectés aux besoins de la circulation terrestre, à l'exception des voies ferrées" (C. voirie routière, art. L. 111-1), c'est-à-dire les autoroutes, les routes nationales et départementales, ainsi que les voies communales, rues, chemins et places. La contravention peut consister en une atteinte aux voies qui composent le domaine public routier, mais aussi, aux termes de l'article R. 116-2 (N° Lexbase : L1618AEN), en une atteinte à l'intégrité des dépendances du domaine public routier, parmi lesquelles on peut citer un panneau directionnel et les feux tricolores (CE Contentieux, 5 novembre 1986, n° 59613, Ville de Besançon c/ Billey N° Lexbase : A7174AMN) et une borne de signalisation lumineuse (T. confl., 27 novembre 1995, n° 02924, Mme Buasa Njinji).
L'on voit, donc, que les radars, s'ils étaient regardés comme des dépendances du domaine public routier des départements, pourraient donner lieu à l'établissement de contraventions de voirie.
2) La prééminence accordée à l'objet des radars
L'on peut finalement considérer que le Conseil d'Etat s'est attaché à l'objectif assigné à l'installation des radars, à savoir la mise en oeuvre de la politique de sécurité routière, qui est une politique nationale (et qui fut, d'ailleurs, en son temps, une "grande cause nationale"), via la répression des infractions aux règles de la circulation routière, pour définir le régime juridique auquel il doit être soumis. Selon le Conseil, ce régime résulte des seules dispositions du Code la voirie routière, lesquelles fondent le droit de l'Etat d'installer partout où il le souhaite des radars automatisés, ce sans requérir l'autorisation de la collectivité propriétaire du domaine public routier d'installation ni, à plus forte raison, sans devoir s'acquitter vis-à-vis d'elle d'une quelconque redevance.
Rien d'étonnant, donc, que la mission de mieux répartir l'argent des radars ait été confiée au législateur puisque lui seul dispose de la légitimité pour arbitrer le conflit opposant l'Etat aux départements.
Plusieurs questions restent, cependant, en suspens : nous en évoquerons deux. La première concerne l'applicabilité de la solution retenue par le Conseil d'Etat aux radars mobiles qui ne sont pas ancrés au sol mais qui sont utilisés sur le domaine public routier des collectivités territoriales : s'il semble difficile d'y voir des équipements routiers au sens de l'article R. 111-1 du Code de la voirie routière, l'on voit, cependant, mal comment il pourrait leur être réservé un sort différent de celui réservé aux radars fixes. Il y a là, en tout état de cause, matière à contentieux. La seconde question concerne le statut des radars ancrés au sol : s'ils appartiennent, sans aucun doute, au domaine public de l'Etat et s'ils sont des ouvrages publics, ne peut-on considérer qu'ils reçoivent en fait une double affectation, au domaine public de l'Etat, d'une part, et au domaine public de la collectivité en cause, d'autre part ?
Le Conseil d'Etat nous paraît avoir répondu par la négative à cette seconde question, par une décision qui, rendue dans le cadre d'une procédure de référé, n'en sera pas moins publiée au Recueil. Il reste, toutefois, que la solution retenue ne laisse pas de surprendre en considérant qu'un équipement routier intégré aux infrastructures routières n'occupe ni n'utilise le domaine public routier.
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Réf. : Cass. com., 13 novembre 2007, n° 05-13.248, M. Robert Meynet, administrateur judiciaire, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A5843DZG)
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par David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit
Le 07 Octobre 2010
En effet, après avoir énoncé que "le pourvoi dirigé contre un arrêt rendu sur l'appel d'un jugement statuant en dehors des cas prévus par les articles 160 et 170, alinéa 1er, du décret du 27 décembre 1985, dans lesquels la notification ou la signification incombe au greffier, n'est recevable qu'à condition que cet arrêt ait été préalablement signifié par la partie la plus diligente", la Cour affirme, sous le visa de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L7558AIR), des articles 611-1 (N° Lexbase : L2867ADK) et 675 (N° Lexbase : L2943ADD) du Nouveau Code de procédure civile, et des articles 160 (N° Lexbase : L5274A44), 161 (N° Lexbase : L5275A47) et 170 (N° Lexbase : L5186A4T) du décret du 27 décembre 1985, que "l'application immédiate, à l'occasion d'un revirement de jurisprudence, de cette règle d'irrecevabilité, dans une instance en cours aboutirait à priver le demandeur au pourvoi d'un procès équitable, en lui interdisant l'accès au juge". Elle en déduit, au cas d'espèce, "qu'il n'y a donc pas lieu de faire une application immédiate de cette règle d'irrecevabilité au pourvoi en cassation formé par M. Y, ès qualités, même si celui-ci n'a pas remis au greffe, dans le délai du dépôt du mémoire ampliatif, un acte de signification de l'arrêt attaqué, alors que cette décision déclarant irrecevable son action en annulation de paiements faits durant la période suspecte, n'est pas au nombre de celles énumérées aux articles 160 et 170, alinéa 1er, du décret du 27 décembre 1985" (4).
Au regard de ce qui nous intéresse ici, il faut noter que la Chambre commerciale de la Cour de cassation reprend exactement la formule retenue par l'Assemblée plénière en décembre dernier. On rappellera brièvement que, dans cette dernière affaire, à la question de savoir si l'action en réparation d'une atteinte à la présomption d'innocence est ou non soumise aux conditions de prescription de droit commun ou à la courte prescription de la loi du 29 juillet 1881, l'Assemblée plénière avait affirmé "que les dispositions de l'article 65-1 de la loi du 29 juillet 1881 instaurent, pour les actions fondées sur une atteinte au respect de la présomption d'innocence, un délai de prescription particulier qui déroge au droit commun de la prescription des actions en matière civile ; que ces dispositions, d'ordre public, imposent au demandeur, non seulement d'introduire l'instance dans les trois mois de la publication des propos incriminés, mais aussi d'accomplir tous les trois mois un acte de procédure manifestant à l'adversaire son intention de poursuivre l'instance ; que si c'est à tort que la cour d'appel a écarté le moyen de prescription alors qu'elle constatait que Mme X n'avait accompli aucun acte interruptif de prescription dans les trois mois suivant la déclaration d'appel faite par les parties condamnées, la censure de sa décision n'est pas encourue de ce chef, dès lors que l'application immédiate de cette règle de prescription dans l'instance en cours aboutirait à priver la victime d'un procès équitable, au sens de l'article 6§ 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, en lui interdisant l'accès au juge".
Autrement dit, à la question de savoir si un demandeur en justice, qui agit en se conformant, pour le délai d'exercice de son action, à l'interprétation donnée à cette date par la Cour de cassation du texte relatif à la prescription de l'action, pouvait se voir privé d'un droit processuel régulièrement mis en oeuvre par l'effet d'une interprétation nouvelle qu'il ne pouvait connaître à l'époque, la Cour de cassation répondait négativement, reprenant ainsi la proposition faite par le groupe de travail présidé par le Professeur Molfessis : la Cour a jugé qu'on ne pouvait appliquer à la victime d'une atteinte à la présomption d'innocence une obligation de réitération des actes interruptifs que la Cour de cassation n'imposait pas à la date de son action, dès lors que l'application immédiate de l'interprétation nouvelle, résultant d'un arrêt de la deuxième chambre civile du 8 juillet 2004 (Cass. civ. 2, 8 juillet 2004, n° 01-10.426, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A0975DDH, Bull. civ. II, n° 387) aurait eu pour effet de la priver d'un procès équitable, au sens de l'article 6 § 1 susvisé, en lui interdisant l'accès au juge. La logique qui sous-tend aujourd'hui la solution de la Chambre commerciale est la même : l'application rétroactive du revirement relatif aux conditions de recevabilité du pourvoi en cassation formé par le commissaire à l'exécution du plan dans le cadre de son action en contestation des paiements faits pendant la période suspecte "aboutirait à priver le demandeur au pourvoi d'un procès équitable, en lui interdisant l'accès au juge".
On remarquera que, dans les espèces dont a eu à connaître la Cour, l'application rétroactive du revirement aurait conduit, à chaque fois, à priver le justiciable d'un droit processuel, du droit à un procès équitable en l'occurrence et, plus précisément encore, du droit à l'accès au juge, composante du droit au procès équitable. Est-ce pour autant à dire que la modulation dans le temps des revirements de jurisprudence est nécessairement limitée à ce cas de figure ? La question mérite d'être posée. Le Professeur Mouly avait relevé que "dans un Etat de droit, où les solutions juridiques tracent le paysage dans lequel chaque individu détermine ses prévisions et ses actions, seules sont admissibles des normes et solutions connues de tous au moment où les prévisions sont formées et les actions engagées. Les normes ne doivent pas être rétroactives, car la rétroactivité fausse les données ; elle spolie ceux qui se sont engagés en fonction de l'état du droit antérieur ; elle mine la prévisibilité et bafoue la croyance commune. Elle porte atteinte au principe supérieur de sécurité juridique, dont la Cour européenne des droits de l'homme fait grand cas" (5) -ainsi d'ailleurs que le Conseil constitutionnel. Par où l'on voit bien que, fondamentalement, ce qui justifie la modulation dans le temps du revirement, c'est l'atteinte que porte la rétroactivité au sentiment élémentaire de bonne administration de la justice. Pourquoi, dans ces conditions, limiter cette modulation au cas dans lequel ce qui serait atteint par la rétroactivité serait seulement un droit processuel du justiciable ? Ne faudrait-il pas étendre la modulation dans le temps du revirement au cas dans lequel un droit substantiel serait bafoué par la rétroactivité ?
(1) Ch. Mouly, Le revirement pour l'avenir, JCP éd. G, 1994, I, 3776.
(2) Les revirements de jurisprudence, Rapport remis à Monsieur le Premier Président Guy Canivet, Litec, 2005.
(3) Cass. Ass. plén., 21 décembre 2006, n° 00-20.493, Société La Provence c/ Mme Véronique Danve, P+B+R+I (N° Lexbase : A0788DTD), et nos obs., La présomption d'innocence devant l'Assemblée plénière de la Cour de cassation : consécration de la modulation dans le temps des revirements de jurisprudence, Lexbase Hebdo n° 245 du 25 janvier 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N7989A9R), JCP éd. G, 2007, II, 10016, note Guyader, RTDCiv. 2007, p. 72, obs. P. Deumier.
(4) Sur le point relatif aux procédures collectives, voir les obs. de F. Labasque, Le commissaire à l'exécution du plan, titulaire de l'action en nullité de... quelle période suspecte ?, Lexbase Hebdo n° 283 du 29 novembre 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N2192BDK).
(5) Ch. Mouly, préc.
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par Daniel Faucher, Consultant au CRIDON de Paris
Le 07 Octobre 2010
Afin de neutraliser la hausse de l'immobilier, la loi "TEPA" du 21 août 2007 (loi n° 2007-1223 N° Lexbase : L2417HY8) a relevé le taux de l'abattement applicable à la valeur de la résidence principale sur laquelle le propriétaire est redevable de l'impôt de solidarité sur la fortune. L'administration vient de publier l'instruction qui commente cette disposition. Ainsi, force est de constater que la valeur de la résidence principale occupée par son propriétaire voit sa valeur légale différenciée selon que l'impôt dû est l'ISF ou celui sur les successions.
1. Abattement applicable en matière d'ISF
On sait que conformément à l'article 885 S du CGI (N° Lexbase : L9263HZ4), la valeur des biens est déterminée, pour l'assiette de l'ISF, suivant les règles existantes en matière de droits de mutations par décès. C'est l'article 761 du CGI (N° Lexbase : L8122HLE) qui précise que cette valeur s'entend comme étant la valeur vénale réelle du bien au jour de la transmission. Cependant, par dérogation à cette disposition, un abattement de 20 % sur cette valeur est appliqué lorsque le bien immobilier à évaluer constitue la résidence principale du défunt (CGI, art. 764 bis N° Lexbase : L8133HLS). Ainsi, jusqu'à présent, un abattement de même niveau était appliqué sur l'immeuble occupé à titre de résidence principale par un redevable de l'ISF. L'article 14 de la loi "TEPA" a relevé de 20 % à 30 % le taux de cet abattement en matière d'ISF. L'instruction du 10 octobre précise que cette disposition nouvelle s'applique pour l'impôt de solidarité sur la fortune dû à compter de 2008.
2. Abattement applicable en matière de mutation par décès
L'abattement applicable en matière de droits de succession sur la valeur de l'immeuble qui constitue la résidence principale du défunt, lorsque, à la date du décès, cet immeuble est également occupé, notamment par le conjoint survivant, est fixé à 20 %. Ce taux ne change pas. La loi nouvelle ne concerne que l'impôt de solidarité sur la fortune. L'occupation par le propriétaire d'un immeuble conduit, donc, à une décote différente selon l'impôt dû. Impôt de transmission, l'abattement est de 20 %, impôt de détention (ISF), il est de 30 %. Ces deux décotes étant justifiées par l'occupation, dont on sait qu'elle influe sur la valeur des immeubles. Ainsi, d'une même situation de fait, l'occupation par le propriétaire, la loi tire des conséquences divergentes selon la nature de l'impôt. Le propriétaire d'un bien affecté à sa résidence principale qui décède le 2 janvier impose à ses héritiers de déposer, d'une part, une déclaration de succession dans laquelle le bien subira une décote de 20 % et, d'autre part, une déclaration ISF dans laquelle le même bien bénéficiera d'une décote de 30 %. La loi qui n'est pas celle du marché, référence pourtant reconnue, opère ainsi une distinction sans fondement juridique.
Un légataire ne peut renoncer au legs en sa faveur lorsqu'il a, préalablement, exercé une action en délivrance de legs. En conséquence, l'administration fiscale est en droit de le mettre en demeure de déposer la déclaration de succession afférente aux biens qui lui ont été légués.
1. La délivrance de legs rend irrévocable l'acceptation de la succession
Un héritier ou un légataire ne peut renoncer à la succession ou à son legs lorsqu'il a préalablement accepté la succession ou son legs de façon expresse ou tacite. La prise de qualité est expresse quand elle résulte, par exemple, de l'énonciation de la qualité d'héritier dans un acte public ou privé. L'acceptation est tacite lorsque l'héritier fait un acte qui implique nécessairement l'intention d'accepter et qui n'aurait pu être effectué sans avoir la qualité d'héritier. Dans ce domaine, en cas de litige, le juge se fonde sur les faits qui lui sont soumis. En effet, il vérifie si les actes en cause peuvent être ou non qualifiés d'actes d'administration qui ne sont pas considérés comme des actes d'addition d'hérédité (C. civ., art. 779 N° Lexbase : L9852HN9). Ainsi, la conclusion d'un bail concernant un immeuble dépendant de la succession, effectué pour la conservation du bien, n'entraîne pas, par lui-même, un acte d'acceptation de la succession. Dans l'affaire soumise récemment à la Haute juridiction, la défunte laissait pour lui succéder un légataire universel et un neveu, légataire à titre particulier, de la pleine propriété de parts d'un groupement foncier agricole (GFA). Le neveu avait demandé et obtenu judiciairement la délivrance de son legs. Cependant, comme le GFA avait refusé de l'agréer en qualité de nouvel associé, il avait renoncé à ses droits dans la succession. Malgré cette renonciation, le service des impôts avait mis en demeure le légataire particulier de souscrire une déclaration de succession. Dans sa décision, la Cour a approuvé les juges du fond qui, ayant relevé que le légataire avait, à sa demande, obtenu la délivrance de son legs, en avaient déduit que ce dernier avait irrévocablement accepté la succession et ne pouvait plus y renoncer. Le juge confirme, ainsi, que la demande de délivrance de legs est un acte manifestant la volonté d'accepter ce legs. La renonciation ultérieure est donc inopérante et n'empêche pas l'exigibilité des droits de succession.
2. Le point de départ du délai pour déposer la déclaration de succession
Le délai de six mois, en cas de décès en France métropolitaine, court à compter du décès. Ce délai court sans que l'administration ait à prouver l'acceptation des héritiers, donataires ou légataires (Doc. adm. 7 G 255, n° 5 du 20 décembre 1996). Ce principe est applicable à tout héritier ou légataire, même s'il n'a pas obtenu la délivrance de son legs. Comme le confirme la décision récente, ce délai s'applique également à celui qui, après avoir effectué un acte d'addition d'hérédité comme une demande de délivrance de legs, renonce à la succession, cette renonciation devant être considérée comme nulle.
Les sommes versées à un tiers en exécution d'un contrat d'assurance de personnes en cas d'accident qui revêtent un caractère forfaitaire ne peuvent être exonérées d'impôt de solidarité sur la fortune par application des dispositions de l'article 885 K du CGI (N° Lexbase : L8811HLW).
1. Le principe posé par l'article 885 K du CGI
Cet article dispose que les rentes ou indemnités perçues en réparation de dommages corporels liés à un accident ou à une maladie sont exclues du patrimoine soumis à l'ISF. Cette exonération s'applique non seulement aux rentes et indemnités versées au titre de la responsabilité de l'auteur du dommage par celui-ci ou par un tiers, mais également à celles obtenues par la victime, en exécution d'un contrat d'assurance souscrit par elle-même ou pour son compte (Doc. adm. 7 S-345, n° 1 du 1er octobre 1999). Dans cette seconde hypothèse, l'administration considère que l'exonération est limitée aux seules indemnités versées à la victime. L'extension de cette exonération aux sommes perçues par les ayants droits de la victime ne serait pas conforme à l'intention du législateur.
2. Application
Pour l'application de ce texte, le juge distingue selon que l'indemnité présente un caractère forfaitaire ou indemnitaire. Dans le premier cas, c'est-à-dire lorsque la somme versée a été calculée en fonction d'éléments prédéterminés par les parties (par exemple, la rémunération du salarié, son âge et sa situation familiale), indépendamment du préjudice, le bénéfice de l'exonération ne peut être revendiquée (CA Douai, 6 mars 2006, n° 04-7731). En revanche, lorsque l'indemnité est véritablement proportionnelle au préjudice subi, l'exonération est applicable (CA Aix-en-Provence, 10 mars 2005, n° 00-3543). Au cas particulier examiné par la Cour de cassation le 6 novembre, une veuve invoquait le bénéfice de l'exonération pour le montant du capital qu'elle avait reçu à la suite du décès accidentel de son mari, en vertu d'un contrat d'assurance groupe souscrit par l'employeur de ce dernier. Cependant, le montant versé avait été déterminé sans appréciation d'un quelconque préjudice, en retenant uniquement la rémunération du défunt, son âge et sa situation familiale. Par suite, c'est à bon droit que la cour d'appel avait décidé que les sommes en cause devaient être incluses dans l'assiette de l'impôt de solidarité sur la fortune.
L'administration vient de publier l'instruction qui commente les principales modifications apportées par la loi du 23 juin 2006 en matière de successions et de libéralités (loi n° 2006-728 N° Lexbase : L0807HK4). Ces dispositions civiles avaient été prises en compte dans la loi de finances rectificative pour 2006 (loi n° 2006-1771 du 30 décembre 2006 N° Lexbase : L9270HTI). Est aujourd'hui, notamment, précisé le régime fiscal des donations-partages et des libéralités graduelles et résiduelles.
1. Les donations-partages
A. Donations-partages conjonctives
L'article 1076-1 du Code civil (N° Lexbase : L0229HP8) issu de la loi du 23 juin 2006 permet d'appeler à une donation-partage conjonctive, donation réalisée conjointement par deux époux, des enfants non communs. Il s'agit, donc, de donations-partages consenties au sein de familles recomposées. Cependant, l'époux qui n'est pas l'auteur de l'enfant ne peut être donateur des biens communs. L'article 778 bis du CGI (N° Lexbase : L3795HWH) tire les conséquences de cette règle en précisant que les donations-partages consenties en application de l'article 1076-I du Code civil sont soumises sur l'intégralité de la valeur du bien commun donné par l'auteur de l'enfant gratifié au tarif des droits de mutation en ligne directe. Le bien commun donné échappe ainsi, pour moitié, au tarif entre étranger qui aurait été exigible en cas d'allotissement de l'enfant par le conjoint de son auteur. Bien entendu, puisque la donation est effectuée par l'auteur de l'enfant, avec le simple consentement de son époux, il ne peut être revendiqué qu'un seul abattement de 150 000 euros.
B. Donations-partages transgénérationnelles
La donation-partage transgénérationnelle permet à un ascendant de partager ses biens au profit de descendants de différentes générations. Les deux difficultés à résoudre sur le plan fiscal concernaient l'exigibilité ou non de droits de mutation en "cascade" et l'abattement applicable aux donataires.
a) Absence d'exigibilité de droits en "cascade"
La crainte de l'exigibilité de droits en "cascade" dans l'hypothèse d'une donation faite en faveur de petits-enfants dont les parents ont consenti qu'ils soient allotis en leur lieu et place a été écartée par la loi. L'article 784 du CGI (N° Lexbase : L9250HZM) précise, en effet, qu'en cas de donation-partage au profit de descendants de degrés différents, les droits sont liquidés en fonction du lien de parenté existant entre le grand-parent et les descendants gratifiés. L'instruction du 22 novembre précise, sans ambiguïté, que "lorsque les enfants et les petits-enfants sont appelés ensemble à une donation-partage, chacun bénéficie, sur la part nette reçue, du tarif applicable en ligne directe".
b) Abattement applicable au donataire
Chaque donataire bénéficie de l'abattement lié à son degré de parenté. Ainsi, l'enfant peut revendiquer l'abattement porté par la loi "TEPA" à 150 000 euros et le petit-enfant, celui de 30 000 euros, prévu à l'article 790 B du CGI (N° Lexbase : L8236HLM). En conséquence, précise expressément l'instruction, les petits-enfants ne peuvent cumuler leur propre abattement avec celui de leur auteur, enfant du donateur, quand bien même leur auteur ne recueillerait rien dans la donation.
2. Les libéralités graduelles et résiduelles
Ces deux formes de libéralité, qui permettent une transmission successive entre un disposant et deux bénéficiaires successifs, respectivement le "grevé" et le "second gratifié" sont soumises à un régime fiscal unique.
Ce régime, précisé par l'article 791 bis du CGI (N° Lexbase : L3799HWM), reprend la doctrine administrative relative au "legs de residuo". Ainsi, le légataire ou donataire institué en premier est redevable des droits de mutation à titre gratuit sur l'actif qui lui est transmis dans les conditions de droit commun. Le légataire ou donataire institué en second n'est redevable d'aucun droit lors de la première donation. Au décès du premier légataire ou donataire, l'actif transmis est taxé en fonction du degré de parenté existant entre le testateur ou donateur et le second légataire ou donataire. Le régime fiscal applicable et la valeur imposable des biens transmis au second légataire ou donataire sont déterminés en se plaçant à la date du décès du premier gratifié. Les droits acquittés par le premier légataire ou donataire sont imputés sur les droits dus sur les mêmes biens par le second légataire ou donataire. L'instruction du 22 octobre apporte des précisions attendues sur les conditions de cette imputation et sur les conséquences du décès du donateur avant celui du premier donataire.
A. Conditions et mode de calcul de l'imputation
a) Imputation et prise en charge des droits par le donateur
Comme dans les autres formes de donation, nul doute que le donateur ne prévoit, puisque cela entraîne une économie de droits, la prise en charge par lui-même des droits de donation en application des dispositions de l'article 1712 du CGI (N° Lexbase : L3358HMC). Dans une telle hypothèse, l'administration admet expressément l'imputation, alors que le texte légal ne visait les droits acquittés par le premier donataire. Qui plus est, elle n'en tire aucune conclusion fâcheuse. En effet, il aurait pu être considéré, comme cela a été le cas en matière de présomption de l'article 751 du CGI (N° Lexbase : L4714HWI), que l'acceptation de l'imputation, malgré la prise des droits par le donateur, avait comme contrepartie la constatation d'une créance équivalente au montant des droits payés dans la succession du donateur (QE n° 3406 de M. Bertrand, réponse publiée au JOANQ du 27 septembre 1993 p. 3190 N° Lexbase : L6488BHR).
b) Détermination du montant des droits imputables
Le mode de calcul des droits imputables en cas de donation résiduelle dans laquelle le premier donataire, comme il lui est permis, aurait cédé une partie des biens reçus, s'avère favorable. En effet, alors que la doctrine applicable en matière de "legs de residuo" retenait, en cas de cession d'une partie des biens, une imputation proportionnelle, la doctrine nouvelle permet de procéder à une nouvelle liquidation dans laquelle les biens cédés sont imputés prioritairement sur les abattements.
Exemple :
Par donation en date du 1er octobre 2007, monsieur Henri, âgé de 65 ans transmet à son fils Paul trois appartements en pleine propriété (A, B, C), d'une valeur respective de 160 000 euros, 220 000 euros et 240 000 euros. Dans l'acte de donation, il est indiqué qu'au décès de Paul, les biens qui subsisteront seront transmis à sa soeur Marie.
I. Taxation de la donation consentie en 2007 :
Part taxable : 620 000
Abattement : 150 000
Part taxable nette : 470 000
Droits dus : 92 300
Réduction de droits 50 % (donateur âgé de moins de 70 ans) : 46 150
Droits nets dus : 46 150
II. Paul décède le 1er mars 2010. Les biens subsistants sont transmis à Marie. En effet, Paul a cédé, avant son décès, l'appartement A.
Les appartements B et C ont, à cette date, une valeur respective de 250 000 et de 270 000 euros.
Pour déterminer le montant des droits imputables sur la transmission au profit de Marie, la doctrine impose de liquider à nouveau les droits dus sur le bien cédé.
Nouvelle liquidation :
Part taxable : 160 000
Abattement : 150 000
Part taxable nette : 10 000
Droits dus : 620
Réduction 50 % (le donateur est encore en vie au jour du décès de Paul) : 310
Droits nets dus : 310
Le montant des droits payés en 2007 s'élevait à 46 150. Le montant des droits pouvant être imputés est donc de 45 840 (46 150-310).
Si le régime du "legs de residuo" avait été retenu, l'imputation proportionnelle aurait été de :
46 150 x 460 000 (valeur en 2007 des biens conservés) / 620 000 = 34 240.
B. Décès du donateur avant celui du premier donataire
Le décès du donateur avant celui du premier donataire était une des difficultés qui devait être résolue par l'instruction administrative. En effet, la loi précise sans ambiguïté que lors du décès du premier donataire, le second est soumis, dans l'hypothèse d'une donation graduelle ou résiduelle, aux droits de donation. L'instruction confirme ce point puisqu'elle précise qu'en cas de décès du donateur avant celui du premier gratifié, lors de la seconde transmission, il est admis que l'abattement applicable demeure celui existant en matière de mutation à titre gratuit entre vifs. Ainsi, en cas de décès du grand-père donateur, lorsque le second gratifié est un petit-enfant, ce dernier bénéficiera de l'abattement propre aux donations, de 30 000 euros, prévu à l'article 790 B du CGI, et non de celui de 1 500 euros prévu à l'article 788 du CGI (N° Lexbase : L9251HZN), concernant les mutations par décès. En revanche, dans l'instruction du 22 novembre, l'administration considère que les réductions de droits prévues par l'article 790 ne s'appliquent pas. La mutation est donc "hybride", mutation à titre gratuit entre vifs pour l'abattement, mutation qui n'a pas ce caractère pour les réductions de droits !
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Réf. : Cass. com., 13 novembre 2007, n° 05-13.248, M. Robert Meynet, administrateur judiciaire, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A5843DZG)
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par Florence Labasque, SGR - Droit commercial
Le 07 Octobre 2010
Par un arrêt du 13 janvier 2005, la cour d'appel de Grenoble, statuant sur renvoi après cassation (1), a déclaré irrecevable l'action que M. M. a exercée en tant que commissaire à l'exécution du plan de cession de M. B., tendant à l'annulation de paiements reçus de celui-ci par la banque pendant la période suspecte avant l'ouverture du premier redressement judiciaire de M. B., ayant donné lieu successivement à l'adoption d'un plan de continuation, puis à sa résolution, à une nouvelle procédure de redressement judiciaire et à l'adoption d'un plan de cession.
M. M., en qualité de commissaire à l'exécution du plan, puis de mandataire ad hoc, s'est, alors, pourvu en cassation. Dans un unique moyen, il fait valoir, notamment, que "l'action en nullité des actes passés pendant la période suspecte a pour effet de reconstituer l'actif du débiteur ; qu'en raison du principe de l'unité du patrimoine du débiteur, l'ouverture d'une seconde procédure de redressement judiciaire ne faisant pas obstacle à l'exercice de l'action pour les actes passés avant l'ouverture de la première procédure, la cour d'appel a violé les articles L. 620-1 (N° Lexbase : L6851AIL) et L. 621-110 du Code de commerce (N° Lexbase : L6962AIP)". En outre, il invoque également une violation des articles L. 621-68 (N° Lexbase : L6920AI7) et L. 621-110 du Code de commerce, arguant de ce que "le commissaire à l'exécution du plan de cession, désigné dans la nouvelle procédure de redressement judiciaire ouverte à l'encontre du même débiteur, [trouve] dans les pouvoirs qui lui sont dévolus par la loi en vue de la défense de l'intérêt collectif des créanciers, qualité pour poursuivre les actions reprises ou engagées aux mêmes fins avant la résolution du plan de continuation adopté dans la première procédure, par l'administrateur, le représentant des créanciers ou le commissaire à l'exécution du plan".
Toutefois, il n'obtient pas davantage gain de cause devant la Cour suprême. En effet, celle-ci, affirmant que "le commissaire à l'exécution du plan de cession, nommé après la résolution d'un précédent plan de redressement, n'a pas qualité pour engager une action en nullité des paiements ou des actes faits durant la période suspecte antérieure à l'ouverture de la procédure initiale", approuve la cour d'appel, "abstraction faite des motifs surabondants critiqués par le moyen, [d'avoir] déclaré irrecevable l'action exercée par M. M. en tant que commissaire à l'exécution du plan de cession de M. B., tendant à l'annulation de paiements effectués pendant la période suspecte ayant précédé l'ouverture de la procédure du premier redressement judiciaire de ce dernier".
Rappelons, tout d'abord, que l'annulation d'actes ou paiements passés en période suspecte -c'est-à-dire avant l'ouverture de la procédure collective, alors que le débiteur était déjà en cessation des paiements- "a pour effet de reconstituer l'actif du débiteur" (C. com., art. L. 621-110) (2). La période suspecte peut se définir comme la "période qui, s'étendant de la date de la cessation des paiements jusqu'au jugement qui ouvre une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire d'une entreprise, fait peser un soupçon de fraude sur les actes accomplis, pendant sa durée, par le débiteur, au point que ceux-ci doivent ou peuvent, selon les cas, être déclarés nuls" (3).
Ces nullités peuvent donc être obligatoires ou facultatives. En effet, l'article L. 621-107 du Code de commerce (N° Lexbase : L6959AIL) énonce les cas de nullités de droit, dès lors que l'acte ou le paiement en cause a été passé en période suspecte (4). Il s'agit de :
- tous les actes à titre gratuit translatifs de propriété mobilière ou immobilière ;
- tout contrat commutatif dans lequel les obligations du débiteur excèdent notablement celles de l'autre partie ;
- tout paiement, quel qu'en ait été le mode, pour dettes non échues au jour du paiement ;
- tout paiement pour dettes échues, fait autrement qu'en espèces, effets de commerce, virements, bordereaux de cession visés par la loi n° 81-1 du 2 janvier 1981 facilitant le crédit aux entreprises (N° Lexbase : L0197G8S) ou tout autre mode de paiement communément admis dans les relations d'affaires ;
- tout dépôt et toute consignation de sommes effectués en application de l'article 2075-1 du Code civil (N° Lexbase : L2313ABB), à défaut d'une décision de justice ayant acquis force de chose jugée ;
- toute hypothèque conventionnelle, toute hypothèque judiciaire ainsi que l'hypothèque légale des époux et tout droit de nantissement constitués sur les biens du débiteur pour dettes antérieurement contractées ; et, enfin,
- toute mesure conservatoire, à moins que l'inscription ou l'acte de saisie ne soit antérieur à la date de cessation de paiement.
L'article L. 621-108 du même code (N° Lexbase : L6960AIM) prévoit, quant à lui, des cas de nullités facultatives (5). Il énonce, ainsi, que "les paiements pour dettes échues effectués après la date de cessation des paiements et les actes à titre onéreux accomplis après cette même date peuvent être annulés si ceux qui ont traité avec le débiteur ont eu connaissance de la cessation des paiements".
Si les conditions de fond semblent être réunies pour exercer une action en nullité de la période suspecte, qui peut alors engager une telle action ? L'article L. 621-110 du Code de commerce désigne comme titulaires de l'action en nullité l'administrateur, le représentant des créanciers, le liquidateur et le commissaire à l'exécution du plan (6).
Le commissaire à l'exécution du plan peut donc exercer l'action en nullité d'actes ou de paiements passés pendant la période suspecte ayant précédé la procédure de redressement judiciaire. Mais, et c'était là notre cas d'espèce, peut-il exercer cette action pour des actes ou paiements accomplis au cours de la période suspecte ayant précédé l'ouverture de la première procédure collective, laquelle, à la suite de la résolution du plan, a été suivie d'une seconde procédure collective dans laquelle il a de nouveau été désigné commissaire à l'exécution du plan ? La Haute juridiction répond par la négative.
Les titulaires de l'action en nullité sont donc strictement définis. La Cour de cassation, respectant la lettre de l'article L. 621-110 du Code de commerce, a déjà eu l'occasion de préciser que "seuls ont qualité pour demander, par voie d'action ou d'exception, la nullité d'actes accomplis en période suspecte par le débiteur soumis à une procédure collective, les mandataires de justice désignés dans cette procédure collective" (7). C'est ainsi, par exemple, que le créancier (8), ou encore la caution du débiteur (9), s'est vu refuser la qualité pour exercer l'action en nullité.
Si seuls ont qualité, pour demander la nullité d'actes accomplis en période suspecte par le débiteur soumis à une procédure collective, les mandataires de justice désignés dans cette procédure, reste alors à vérifier que le mandataire a bel et bien qualité pour engager l'action en nullité de la période suspecte concernée en présence de procédures consécutives. L'on sait, maintenant, que le commissaire à l'exécution du plan de cession, nommé après la résolution d'un précédent plan de redressement, n'a pas qualité pour engager une action en nullité des paiements ou des actes faits durant la période suspecte antérieure à l'ouverture de la procédure initiale. Il a également été précisé que le liquidateur judiciaire n'a pas qualité pour contester la validité d'un acte passé par le débiteur au cours de la période suspecte relative à la procédure de redressement judiciaire (10).
Notons, enfin, que, depuis la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises (N° Lexbase : L5150HGT), l'article L. 632-4 nouveau du Code de commerce (N° Lexbase : L4037HB7) dresse la liste suivante des titulaires de l'action en nullité : l'administrateur, le mandataire judiciaire, le commissaire à l'exécution du plan, le liquidateur et le ministère public (11). Le commissaire à l'exécution du plan devra donc continuer à être vigilant quant à sa qualité avant d'exercer une action en nullité de la période suspecte.
(1) Cass. com., 18 février 2003, n° 00-14.353, M. Robert Meynet c/ Mme Marie-France Bulard, F-D (N° Lexbase : A1820A7K).
(2) Sur les effets de l'action en nullité de la période suspecte, voir .
(3) G. Cornu, Vocabulaire juridique, PUF 2000.
(4) Voir .
(5) Voir .
(6) Pour une critique de la qualité pour agir attribuée au commissaire à l'exécution du plan, V. P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz Action 2006/2007, n° 652-11.
(7) Cass. com., 25 novembre 1997, n° 95-18.692, M Clermont et autre c/ URSSAF du Puy-de-Dôme et autre, publié (N° Lexbase : A1978ACA) ; Cass. com., 25 février 2004, n° 01-17.599, M. Bernard Touitou c/ Banque nationale de Paris Paribas, F-D (N° Lexbase : A3987DBB).
(8) Cass. com., 6 mai 1997, n° 94-16.133, Société nouvelle des Etablissements Rochias c/ Société Lyonnaise de banque, publié (N° Lexbase : A1518AC9).
(9) Cass. com., 25 février 2004, n° 01-17.599, précité.
(10) CA Paris, 3ème ch., sect. A, 3 juillet 2007, n° 06/11053, M. Thierry Guyot et autres c/ Maître François Cognet (N° Lexbase : A7764DXT).
(11) Sur les dispositions applicables après le 1er janvier 2006 aux nullités de la période suspecte, voir .
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Réf. : Cass. soc., 13 novembre 2007, n° 06-41.717, Société Air France, F-D (N° Lexbase : A6023DZ4)
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par Sébastien Tournaux, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
Le 07 Octobre 2010
Résumé
La situation résultant du retrait d'une habilitation par l'autorité publique, en raison du comportement du salarié titulaire de l'habilitation, ne constitue pas, en soi, un cas de force majeure. |
1. Les conditions de la rupture du contrat de travail pour force majeure
Quoiqu'il ne s'agisse pas d'un mode de rupture expressément prévu par le Code du travail pour le contrat de travail à durée indéterminée, contrairement au contrat de travail à durée déterminée (1), la survenance d'un cas de force majeure permet, à certaines conditions, de rompre le contrat de travail.
C'est là une illustration du caractère relatif de l'autonomie du droit du travail. Si le licenciement et la démission sont les deux modes classiques de rupture du contrat, cela n'exclut pas que soient utilisés des modes de rupture issus du droit commun des contrats. Ainsi, à côté de la résiliation judiciaire et de la rupture amiable du contrat de travail, subsiste la faculté de reconnaître la rupture du contrat de travail pour force majeure.
Mais, à l'instar des deux autres modes de rupture civilistes évoqués, la rupture du contrat pour force majeure est enserrée dans des conditions extrêmement strictes, si bien qu'en pratique, l'invocation de ce motif suffit rarement à justifier la rupture.
Traditionnellement, un évènement constitue un cas de force majeure à condition qu'il réunisse trois caractéristiques. Cet évènement doit avoir été irrésistible, imprévisible et extérieur.
S'agissant du critère d'imprévisibilité, la Chambre sociale de la Cour de cassation exige, en général, que l'employeur n'ait pas été informé du risque suffisamment à l'avance ou qu'il n'ait pu être en mesure de le prévoir. Ainsi des inondations (2) ou des gelées tardives (3) ne constituent-elles pas des évènements imprévisibles aux yeux des juges. Le critère d'irrésistibilité n'est pas envisagé d'une façon plus souple puisque, par exemple, un incendie dans l'entreprise ne sera pas considéré comme revêtant cette caractéristique lorsque l'employeur n'avait pas respecté les mesures de protection (4). Enfin, le critère d'extériorité est, lui aussi, très strict. La jurisprudence a ainsi pu décider, par exemple, que la décision d'expropriation d'un fonds de commerce de l'employeur n'est pas un fait extérieur pouvant constituer un cas de force majeure (5).
A ces critères classiques que l'on trouve, d'ailleurs, dans la notion civiliste de force majeure, la Chambre sociale ajoute un élément temporel. En effet, il faut que l'évènement constituant la force majeure ne constitue pas une impossibilité seulement temporaire d'exécuter le contrat de travail. Si cette impossibilité est seulement temporaire, elle justifiera une suspension du contrat, mais pas sa rupture (6).
La Cour de cassation a, parfois, estimé que le fait du prince puisse constituer, pour l'employeur, un cas de force majeure.
La Cour de cassation définit habituellement le fait du prince comme un acte de la puissance publique qui vient rendre impossible, pour l'un ou l'autre des contractants, l'exécution du contrat de travail (7). Mais la décision de l'autorité publique ne suffit pas, à elle seule, à caractériser la force majeure. Encore faut-il qu'elle remplisse les critères décrits précédemment. Spécialement, c'est souvent le caractère d'imprévisibilité qui fait défaut afin d'assimiler le fait du prince à la force majeure.
C'est ainsi que la Chambre sociale juge traditionnellement que l'employeur ne peut invoquer le fait du prince pour rompre le contrat de travail lorsque la décision de l'autorité publique a été conditionnée par le comportement du salarié. L'employeur ayant connaissance de ces agissements, il était en mesure de prévoir que l'autorité administrative puisse prendre une telle décision (8). C'est, à peu de chose près, la teneur de la décision commentée.
Une salariée d'Air France accède, pour l'exercice de ses fonctions, à une zone d'embarquement. Cet accès est soumis à la délivrance d'une habilitation et d'un titre de circulation par le préfet. Placée sous contrôle judiciaire, la salariée se voit retirer ces autorisations, d'abord provisoirement, puis de manière définitive. Air France notifie, alors, à la salariée la résiliation de son contrat de travail. Le juge des référés saisi considère cette rupture comme constituant un licenciement irrégulier, refusant l'argumentation de la société fondée sur l'existence d'un fait du prince et, donc, d'un cas de force majeure.
La Chambre sociale de la Cour de cassation approuve les juges du fond en précisant que "la situation résultant du retrait d'une habilitation par l'autorité publique en raison du comportement du salarié titulaire de l'habilitation ne constitue pas, en soi, un cas de force majeure".
C'est donc l'interférence du comportement du salarié dans la survenance du fait du prince qui lui ôte les caractéristiques de la force majeure.
2. L'interférence du comportement du salarié dans la qualification de force majeure
Ce n'est pas la première fois que la Cour de cassation s'interroge sur l'existence d'un fait du prince permettant d'obtenir la résiliation du contrat de travail pour force majeure, alors même que le fait du prince trouverait son origine dans un comportement du salarié. Ainsi, par exemple, a-t-elle déjà décidé, à la fin des années 80, que ne constituait pas un cas de force majeure le retrait de l'agrément d'une bibliothécaire, dès lors que cet agrément était soumis à une appréciation du comportement et de la conduite de celle-ci (9).
En l'espèce, si la situation dans laquelle se trouve l'employeur justifie probablement qu'un licenciement soit rendu nécessaire, on peut, cependant, douter que la qualification de force majeure ait été adéquate.
Seul le critère d'extériorité de la force majeure semblait indubitablement être caractérisé en l'espèce. La réunion des critères d'imprévisibilité et d'irrésistibilité était probablement plus discutable.
S'agissant de l'imprévisibilité, tout dépend, finalement, du fait de savoir si l'employeur avait connaissance des agissements de la salariée ayant mené à son placement sous contrôle judiciaire. Si ce comportement avait été porté à sa connaissance, l'employeur ne pouvait arguer du caractère imprévisible du retrait des autorisations.
Il demeure, cependant, difficile de répondre à cette question au vu des faits retranscrits dans l'arrêt. Il n'est fait état, à aucun moment, de la connaissance ou non de l'employeur de ces éléments.
S'agissant de l'irrésistibilité, le doute est, également, permis. Deux situations semblent s'opposer.
La première situation consisterait à considérer que le comportement de la salariée ayant donné lieu au retrait de l'autorisation s'était produit dans le cadre de l'exécution de son contrat de travail. Une qualification fautive sur le plan du droit du travail était alors envisageable, un licenciement disciplinaire pouvant être prononcé. Dans ces conditions, le fait du prince n'aurait pas revêtu un caractère irrésistible pour l'employeur qui aurait parfaitement pu licencier la salariée.
La seconde situation serait constituée de l'hypothèse selon laquelle le placement sous contrôle judiciaire de la salariée aurait été prononcé au vu de comportements tenus hors de l'exécution du contrat de travail. Dans cette situation, la réponse est probablement plus délicate. A priori, le prononcé d'un licenciement disciplinaire ne peut intervenir en se fondant sur des faits n'étant pas directement en rapport avec l'exécution du contrat de travail. Dans l'impossibilité de licencier la salariée, le critère d'irrésistibilité réapparaîtrait.
Il ne faut, néanmoins, pas oublier que la Cour de cassation a parfois accepté de reconnaître la qualification de faute grave dans des situations relativement similaires, comme celle, par exemple, du retrait de permis de conduire pour un chauffeur routier, retrait prononcé pour conduite en état d'alcoolémie hors de son temps de travail (10).
Dans ces conditions, il était possible de considérer qu'un tel retrait d'autorisation puisse être constitutif d'une faute disciplinaire justifiant un licenciement, si bien que le retrait de l'autorisation n'aurait pas pu être qualifié d'évènement irrésistible pour l'employeur. Cependant, il s'agirait alors là d'une extension du champ des comportements intervenant hors du champ de la vie professionnelle pouvant justifier l'existence d'une faute.
Cette décision confirme donc, si cela était encore nécessaire, le carcan extrêmement étroit dans lequel est enserrée la force majeure en droit du travail.
Mais il ne faut pas s'y tromper. Ce sont moins les critères intrinsèques de la force majeure qui s'opposent à son utilisation pour rompre le contrat de travail que la volonté de mettre en avant l'autonomie du droit du licenciement et la faculté qu'avait l'employeur, dans cette affaire, de rompre le contrat de travail sans passer par le canal du droit commun (11).
Décision
Cass. soc., 13 novembre 2007, n° 06-41.717, Société Air France, F-D (N° Lexbase : A6023DZ4) Rejet (CA Saint-Denis de la Réunion, chambre sociale, 21 février 2006) Textes visés : néant Mots-clés : licenciement ; fait du prince ; force majeure (non). Liens bases : ; . |
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Réf. : Cass. soc., 14 novembre 2007, n° 05-21.239, Mme Lydia Araudeau, FS-P+B (N° Lexbase : A5847DZL)
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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
Le 07 Octobre 2010
Résumé
La recevabilité de l'action engagée par un créancier d'un débiteur en procédure collective contre un tiers dépend seulement du point de savoir s'il justifie d'un préjudice spécial et distinct de celui évoqué par les autres créanciers. Le préjudice résultant, à la suite de la cession d'une filiale, de la perte de leur emploi ainsi que de la diminution de leur droit à participation dans la société employeur et de la perte d'une chance de bénéficier des dispositions du plan social du groupe, constitue, pour les salariés, un préjudice particulier et distinct de celui éprouvé par l'ensemble des créanciers de la procédure collective. |
1. L'action en responsabilité contre les tiers lors d'une procédure collective
Jusqu'à la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005, de sauvegarde des entreprises (N° Lexbase : L5150HGT), qui n'était pas applicable en l'espèce compte tenu de la date des faits, l'article L. 621-39 du Code de commerce (N° Lexbase : L6891AI3) disposait que, "sans préjudice des droits reconnus aux contrôleurs, le représentant des créanciers désignés par le tribunal a seul qualité pour agir au nom et dans l'intérêt des créanciers". Faute de précision supplémentaire, on avait pu s'interroger, postérieurement à l'adoption de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985 (N° Lexbase : L7852AGW), sur le fait de savoir s'il existait réellement un intérêt commun aux créanciers, d'autant plus que la masse avait été supprimée et, avec elle, la notion "d'intérêt collectif de la masse".
Dans un important arrêt rendu le 16 mars 1993, la Cour de cassation allait, cependant, juger que seul le représentant des créanciers, dont les attributions sont ensuite dévolues au liquidateur, a qualité pour agir au nom et dans l'intérêt des créanciers et que, tenant de la loi le pouvoir de représenter l'ensemble de ceux-ci pour la défense de leur intérêt collectif, il n'a pas à indiquer au nom de quels créanciers il se présente dès lors qu'il ne peut légalement agir que dans l'intérêt de tous et non dans l'intérêt personnel d'un créancier ou d'un groupe de créanciers (Cass. com., 16 mars 1993, n° 90-20.188, Société Electro Bail, publié N° Lexbase : A6328ABY ; Bull. civ. IV, n° 106 ; D. 1993, p. 583, note F. Derrida) (1).
Ainsi, en vertu de l'article L. 621-39 du Code de commerce, le représentant des créanciers disposait d'un monopole (2) pour agir en responsabilité contre un tiers dont la faute aurait causé un préjudice à l'ensemble des créanciers. S'il a été quelque peu écorné par la loi du 26 juillet 2005, ce monopole n'a pas été remis en cause par cette réforme. En effet, il résulte, désormais, de l'article L. 622-20, alinéa1er, du Code de commerce (N° Lexbase : L3879HBB), que "le mandataire judiciaire désigné par le tribunal a seul qualité pour agir au nom et dans l'intérêt collectif des créanciers [...]" (3).
Soucieuse de préserver le monopole ainsi reconnu au représentant des créanciers, la jurisprudence a, très tôt, interdit l'exercice ut singuli par un créancier d'une action en réparation d'un préjudice collectif, même en cas de carence du mandataire (Cass. com., 3 juin 1997, n° 95-15.681, M. Cousin Laferriere et autre c/ Société générale et autres N° Lexbase : A1898ACB ; Bull. civ. IV, n° 163 ; D. 1997, p. 517, note F. Derrida). En revanche, et on l'aura compris, le créancier d'un débiteur en procédure collective peut agir en responsabilité contre un tiers dès lors qu'il peut faire état d'un préjudice personnel.
Il n'a jamais été véritablement contesté que le monopole accordé par l'article L. 621-39 du Code de commerce au représentant des créanciers n'interdit pas à un créancier d'exercer individuellement une action en responsabilité tendant à réparer une préjudice personnel dont il souffre et qui serait distinct de celui des autres créanciers (v., par ex., Cass. com., 11 octobre 1994, n° 90-16.309, Compagnie La France c/ Société Sodelec et autre, publié N° Lexbase : A6306AB8).
C'est ce que confirme la Cour de cassation dans l'arrêt sous examen, en affirmant que "la recevabilité de l'action engagée par un créancier d'un débiteur en procédure collective contre un tiers dépend seulement du point de savoir s'il justifie d'un préjudice spécial et distinct de celui évoqué par les autres créanciers". En d'autres termes, ce qui importe c'est la nature du préjudice subi et non les fautes commises par le tiers en cause.
En l'espèce, pour déclarer irrecevable l'action individuelle des salariés, les juges du fond avaient retenu que les fautes alléguées contre la société Bull SA étaient des fautes de caractère général dans la gestion de la filiale et, qu'à les supposer établies, elles étaient à l'origine du préjudice de tous les créanciers de la société Act MF et ne caractérisaient donc pas des fautes particulières et distinctes à l'origine du préjudice des seuls salariés de la société BEA. Un tel raisonnement, exclusivement fondé sur les fautes commises par le tiers, ne pouvait prospérer car, il faut le rappeler, la recevabilité de l'action individuelle des créanciers ne peut dépendre que de la nature du préjudice.
2. L'existence d'un préjudice spécial et distinct de celui évoqué par les autres créanciers
Au-delà de la diversité des termes employés (préjudice "spécial et distinct", préjudice "individuel" ou "personnel"), il convient de distinguer ce type de préjudice du préjudice collectif. Ainsi que le relèvent des auteurs autorisés, "est considéré comme tel tout préjudice subi par un créancier qui n'est pas d'une autre nature, qui n'est pas distinct de celui des autres créanciers, ce qui est le cas par hypothèse des principaux préjudices inhérents à la procédure collective : perte des intérêts, retard ou défaut de paiement définitif, interdiction d'agir [...]" (F. Pérochon et R. Bonhomme, Entreprises en difficulté - Instruments de crédit et de paiement, LGDJ, 7ème éd., 2006, p. 173).
La caractérisation d'un préjudice distinct de celui éprouvé par l'ensemble des autres créanciers de la procédure collective peut, de manière évidente, présenter des difficultés dans un certain nombre d'hypothèses. Cela étant, et il faut le répéter, s'agissant de la recevabilité de l'action individuelle des créanciers, la nature des fautes commises par le tiers importe peu. En outre, le fait que de nombreux créanciers évoquent un préjudice identique ne saurait enlever à celui-ci sa nature de préjudice distinct. L'arrêt rapporté le démontre fort bien puisque, en l'espèce, 334 salariés avaient saisi le tribunal de grande instance de demandes en dommages et intérêts.
Pour bien mesurer la nature des préjudices dont faisaient état les salariés en l'espèce, il importe de retracer brièvement les circonstances de l'affaire. En l'espèce, la société Bull SA avait cédé à la société Act manufacturing (Act MF) une branche d'activité de sa filiale, la société BEA, dont elle détenait 99,99 % des actions. Deux ans après la cession, la société Act MF avait été placée en redressement judiciaire puis en liquidation judiciaire, ce qui avait entraîné le licenciement des 630 salariés de la société. Consécutivement à leur licenciement, 334 d'entre eux ont saisi la juridiction compétente de demandes en dommages et intérêts fondées sur les préjudices moraux et financiers qu'ils disaient avoir subis du fait de leur licenciement, en raison de fautes commises, selon eux, par la société Bull SA vis-à-vis de sa filiale.
Nous ne reviendrons pas sur les raisons qui ont pu conduire les juges du fond à rejeter cette demande, ni sur la censure de cette décision par la Cour de cassation au visa de l'article L. 621-39 du Code de commerce et de l'article 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ). Il importe, en revanche, de s'arrêter sur les préjudices subis par les salariés. Ainsi que le souligne la Chambre sociale, "les salariés invoquaient le préjudice résultant, à la suite de la cession de la filiale, de la perte de leur emploi ainsi que de la diminution de leur droit à participation dans la société BEA et de la perte d'une chance de bénéficier des dispositions du plan social du groupe Bull".
On s'accordera, avec la Cour de cassation, pour considérer que le préjudice en cause constituait un préjudice particulier et distinct de celui éprouvé par l'ensemble des créanciers de la procédure collective de la société Act MF. En conséquence, l'action en responsabilité exercée contre la société Bull SA ne pouvait qu'être déclarée recevable.
Cela étant admis, il n'est pas certain que les salariés requérants obtiendront réparation de leur préjudice car, s'agissant d'une classique action en responsabilité, encore conviendra-t-il de caractériser la faute de la société poursuivie. La cession d'une branche d'activité ne constituant pas, en soi, une faute, la cour d'appel de renvoi devra sans doute s'attacher, sinon aux raisons, du moins aux circonstances de cette cession.
Décision
Cass. soc., 14 novembre 2007, n° 05-21.239, Mme Lydia Araudeau, FS-P+B (N° Lexbase : A5847DZL) Cassation partielle (CA Angers, 1ère chambre civile, sect. B, 5 octobre 2005) Textes visés : C. com., art. L. 621-39, dans sa rédaction applicable (N° Lexbase : L6891AI3) ; C. civ., art. 1382 (N° Lexbase : L1488ABQ). Mots-clefs : redressement et liquidation judiciaires ; action en responsabilité des créanciers ; conditions de recevabilité ; préjudice spécial et distinct. Liens bases : ; . |
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Réf. : Cass. soc., 14 novembre 2007, n° 05-45.895, FS-D (N° Lexbase : A5853DZS) ; Cass. soc., 13 novembre 2007, 3 arrêts, n° 06-41.512, F-D (N° Lexbase : A6022DZ3) ; n° 06-41.800, F-D (N° Lexbase : A6025DZ8) et n° 06-42.296, F-D (N° Lexbase : A6028DZB)
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par Stéphanie Martin-Cuenot, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
Le 07 Octobre 2010
Résumés
Pourvoi n° 06-41.512 : il résulte de l'article L. 122-12 du Code du travail (N° Lexbase : L5562ACY) que les contrats de travail en cours sont maintenus entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise en cas de transfert d'une entité économique autonome qui conserve son identité et qui poursuit la même activité ou une activité similaire. Pourvoi n° 05-45.895 : lorsque les conditions d'application de l'article L. 122-12 sont réunies, la poursuite des contrats de travail avec le cessionnaire s'opère de plein droit et s'impose tant aux employeurs successifs qu'aux salariés. Pourvoi n° 06-41.800 : la perte d'autonomie de l'entité économique après le transfert n'empêche pas ce dernier de relever de l'article L. 122-12 du Code du travail. Pourvoi n° 06-42.296 : en application de l'article 1er de l'accord du 29 mars 1990 étendu, relatif à la garantie d'emploi et à la continuité du contrat de travail du personnel en cas de changement de prestataire constituant l'annexe VII de la convention collective nationale des personnels des entreprises de propreté du 1er juillet 1994 , les dispositions s'appliquent aux employeurs et aux salariés des entreprises et établissements exerçant une activité relevant des activités classées sous le numéro de code APE 8708, qui sont appelés à se succéder lors d'un changement de prestataire pour des travaux effectués dans les mêmes locaux, à la suite de la cessation du contrat commercial ou du marché public. |
1. Conditions du maintien des contrats de travail
L'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail dispose que "s'il survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise".
Plusieurs conditions entourent donc le transfert des contrats de travail. La jurisprudence, sous l'influence du droit communautaire, a évolué, faisant de l'objet du transfert l'élément déterminant.
Pour la jurisprudence, il faut, pour que l'article L. 122-12 du Code du travail trouve à s'appliquer, qu'il y ait transfert d'un "ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels ou incorporels permettant l'exercice d'une activité économique qui poursuit un objectif propre" (Cass. soc., 7 juillet 1998, n° 96-21.451, Caisse primaire d'assurance maladie de Paris et autres N° Lexbase : A5565AC4 ; RJS 1998, n° 1346).
Il est, ainsi, nécessaire que le transfert d'activité s'accompagne du transfert des moyens de production nécessaires à l'exercice autonome de l'activité et, singulièrement, d'actifs corporels ou incorporels permettant l'exercice d'une activité autonome.
Tel n'était pas le cas dans la décision commentée en date du 13 novembre 2007 (pourvoi n° 06-41.512).
Dans cette espèce, une société de confection avait vu son bail résilié par le bailleur et avait conclu, avec le nouveau locataire, une société de vente de chaussures, une convention en vertu de laquelle ce dernier s'engageait à reprendre le salarié de l'ancien locataire. Le salarié avait été licencié. Contestant ce licenciement, il avait saisi la juridiction prud'homale de demandes d'indemnités, prétendant avoir été privé du bénéfice de l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail.
Bien que la cour d'appel ait fait droit aux demandes du salarié, la Cour de cassation ne l'entend pas de la même façon. Elle rappelle, en effet, que, dans la mesure où l'activité exercée par le nouveau locataire n'était pas la même que celle qu'exerçait l'ancien, il y avait lieu d'exclure l'application de l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail.
Les conditions d'application de l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail interdisent d'en faire application à la simple perte d'un marché, en l'absence de transfert d'un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels ou incorporels permettant l'exercice d'une activité autonome.
Les dispositions de l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail étant d'ordre public social, il est néanmoins possible de les améliorer, voire de prévoir leur application lorsqu'elle n'est pas imposée par la loi.
La convention collective nationale des personnels des entreprises de propreté du 1er juillet 1994 prévoit un transfert des contrats de travail aux employeurs et aux salariés des entreprises et établissements exerçant une activité relevant des activités classées sous le code APE 8708, qui sont appelés à se succéder lors d'un changement de prestataire pour des travaux effectués dans les même locaux à la suite de la cessation du contrat commercial ou du marché public.
Cette disposition signifie qu'en cas de changement de prestataire, le nouveau prestataire est tenu de reprendre les salariés de l'ancien prestataire lorsque l'activité continue à s'exercer dans les mêmes locaux.
Ceci implique a contrario que, si les locaux sont différents, le nouveau prestataire n'est tenu à aucune reprise. Tel était le cas dans la décision du 13 novembre 2007 (pourvoi n° 06-42.296), décision dans laquelle un supermarché avait mis fin au contrat de nettoyage qu'il avait avec une société. Le nouveau prestataire avait refusé de reprendre les salariées de l'ancien prestataire en se fondant sur le fait que les travaux ne devaient pas être effectués dans les mêmes locaux, mais dans de nouveaux.
La Cour de cassation donne raison au nouveau prestataire en se fondant sur la lettre de la convention collective qui précise bien que les travaux doivent être effectués dans "les mêmes locaux".
Si on comprend aisément cette application stricte des dispositions conventionnelles, les faits de l'espèce laissent penser à une injustice, le nettoyage devant, en effet, se faire pour la même enseigne mais dans des locaux neufs situés à quelques mètres des anciens...
L'exclusion des salariés du transfert de leur contrat de travail n'est pas anodine, au regard des effets de l'application de l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail.
2. Effets de l'application de l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail
Lorsque les conditions d'application de l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail sont réunies, les contrats de travail sont maintenus, les salariés n'ont aucune démarche à faire et le nouvel employeur n'a pas à leur notifier le transfert de leur contrat. Les salariés, comme l'employeur, ne peuvent s'opposer à ce transfert. L'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail est une disposition d'ordre public à laquelle les salariés ne peuvent renoncer et à laquelle l'employeur ne peut déroger, à moins que cela ne soit dans un sens favorable aux salariés.
Ainsi, un employeur ne peut aucunement écarter un salarié du champ d'application de l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail et un salarié ne peut renoncer, par avance, au droit de s'en prévaloir.
Un salarié qui ne souhaite par travailler pour le nouvel employeur n'aura pas d'autre alternative que de donner sa démission. Le refus du salarié de se rendre à son nouveau poste de travail rend la rupture imputable à ce dernier (Cass. soc., 26 septembre 1990, n° 87-41.092, Mme Mercier et autre c/ Société V Distribution, publié N° Lexbase : A9055AAM).
C'est ce principe que rappelle la Cour de cassation dans la décision du 14 novembre 2007 (pourvoi n° 05-45.895). A la cour d'appel qui avait condamné l'employeur au versement d'indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse au profit de salariés qui avaient refusé de se rendre aux entretiens et sur leur nouveau lieu de travail, elle rappelle que l'application de l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail s'impose tant aux employeurs successifs qu'aux salariés.
Le contrat transféré se poursuit, en principe, aux mêmes conditions que celles qui avaient été fixées avec le cédant, les salariés conservent la même ancienneté, la même qualification, la même rémunération et les mêmes avantages (Cass. soc., 24 janvier 1990, n° 86-41.497, Société Nouvelle Micromécanique pyrénéenne c/ M. Abadie et autres, publié N° Lexbase : A8736AAS), voire leur mandat.
Rien n'empêche, toutefois, le cessionnaire de modifier certains éléments du contrat de travail (Cass. soc., 17 septembre 2003, n° 01-43.687, FS-P+B N° Lexbase : A5412C9C).
Dans une telle hypothèse, c'est le régime des modifications du contrat de travail qui trouve à s'appliquer. La modification pourra être légitimement refusée par le salarié s'il s'agit d'une véritable modification de son contrat de travail. Le refus du salarié devra être considéré comme abusif lorsque la modification doit être considérée comme un simple changement des conditions de travail.
C'est ce principe que rappelle, également, la Cour de cassation dans l'une des décisions commentées. A la cour d'appel qui avait cru pouvoir voir dans l'affectation des salariés sur de nouveaux lieux de travail une modification du contrat impossible à imposer aux salariés sans leur accord, elle rappelle que le fait d'affecter un salarié à un poste situé dans le même secteur géographique que le précédent, n'entraîne pas une modification du contrat de travail. Les salariés ne pouvaient donc, pour ce motif, refuser le changement qui leur était proposé.
Si le contrat de travail se poursuit aux mêmes conditions, les mandats que pouvaient avoir les salariés dans l'entreprise sont, en principe, maintenus.
La jurisprudence, reprenant sur ce point les dispositions légales (C. trav., art. L. 412-16, al. 4, notamment N° Lexbase : L6336ACN), pose toutefois une condition à cette continuité.
Elle considère, en effet, que le mandat des représentants du personnel qui ont fait l'objet du transfert subsiste lorsque cette entreprise conserve son autonomie juridique. Ce principe s'applique, qu'il s'agisse des délégués du personnel, des membres du comité d'entreprise ou des délégués syndicaux (Cass. soc., 24 mai 2006, n° 05-60.244, F-P+B N° Lexbase : A7688DPG).
C'est cette règle dont la Cour de cassation a fait application dans la décision du 13 novembre 2007 (pourvoi n° 06-41.800). Après avoir relevé qu'au jour du transfert, la branche d'activité cédée constituait une entité économique autonome et que les modifications ensuite apportées dans son fonctionnement par la société cessionnaire n'avaient pas affecté son identité à la date du changement d'employeur, elle rappelle que "nonobstant la perte d'autonomie de l'entité après transfert, le transfert du mandat relevait de l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail". Ce qui signifie que, seule importe pour la poursuite des mandats, qu'au moment du transfert l'entreprise ait conservé son autonomie juridique. Sa situation postérieure à ce transfert ne peut et ne doit pas être prise en considération pour décider du sort des mandats de représentation dont sont en charge certains salariés.
On peut être surpris que la Haute juridiction fasse, dans cette décision, référence à l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail et non à l'article L. 412-16, alinéa 4, du même code, mais il s'agit d'une substitution traditionnelle, tout autant que l'ensemble des principes rappelés dans ces différentes décisions, ce dont il convient de se féliciter. Un peu de stabilité en la matière ne saurait, en effet, être dénoncée...
Décisions
Cass. soc., 14 novembre 2007, n° 05-45.895, Société Sefico Berger, FS-D (N° Lexbase : A5853DZS) Cassation (CA Versailles, 6ème chambre, 18 octobre 2005) Textes visés : C. trav., art. L. 122-12, al. 2 (N° Lexbase : L5562ACY) ; C. trav., art. L. 122-9 (N° Lexbase : L5559ACU) ; C. trav., art. L. 121-1 (N° Lexbase : L5443ACL). Cass. soc., 13 novembre 2007, n° 06-41.512, Société San Marina, F-D (N° Lexbase : A6022DZ3) Cassation (CA Grenoble, chambre sociale, 25 janvier 2006) Textes visés : C. trav., art. L. 122-12, al. 2, interprété à la lumière de la Directive n° 98/50/CE du 29 juin 1998 (N° Lexbase : L9988AUH). Cass. soc., 13 novembre 2007, n° 06-41.800, M. Jean-Claude Lenfant, F-D (N° Lexbase : A6025DZ8) Rejet (CA Caen, 1ère chambre civile, 17 janvier 2006) Texte concerné : C. trav., art. L. 122-12, al. 2. Cass. soc., 13 novembre 2007, n° 06-42.296, Société L'Eclat 2000, F-D (N° Lexbase : A6028DZB) Cassation (CA Dijon, chambre sociale, 2 mars 2006) Textes visés : article 1er de l'accord du 29 mars 1990 étendu, relatif à la garantie d'emploi et à la continuité du contrat de travail du personnel en cas de changement de prestataire constituant l'annexe VII de la convention collective nationale des personnels des entreprises de propreté du 1er juillet 1994 . Mots-clefs : transfert des contrats de travail ; employeurs successifs ; identité de l'activité ; secteur géographique identique ; poursuite des contrats de travail ; transfert conventionnel ; sort des mandats en cours ; changement du lieu de travail. Lien base : |
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