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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction
Le 27 Mars 2014
Selon la Cour, c'est ce régime d'exonération discriminatoire qui emporte la contrariété du dispositif français au principe de libre circulation des capitaux promu et protégé par l'Union. En effet, implicitement, mais nécessairement, ce dispositif ne permet pas à certaines sociétés établies dans un autre Etat membre de fournir des éléments de preuve permettant d'établir l'identité de ses actionnaires personnes physiques, pour échapper à la taxation. Comme le laisse entendre, cette semaine, dans nos colonnes, Frédéric Dieu, Commissaire du Gouvernement près le Tribunal administratif de Nice, la présomption de fraude est, ici, irréfragable ; c'est en cela que le dispositif ne peut être maintenu en l'état.
Instauré dans le souci de pénaliser les montages mis en place afin d'éviter l'assujettissement à l'impôt sur les grandes fortunes (IGF), puis à l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF), au titre de la détention d'immeubles situés en France, en interposant une personne morale dont le siège était à l'étranger, c'est un énième dispositif de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales qui tombe. C'est non seulement la théorie des dominos qui s'applique, mais c'est la politique fiscale française de dissuasion qui est progressivement remise en cause.
Pour rester dans la métaphore géopolitique, la dissuasion consiste en la peur, dans les deux camps, de l'utilisation par l'autre d'une arme. Si c'était le cas, "l'agressé" répliquerait avec les mêmes armes et, en raison de la puissance et des effets de ces armes, les avantages d'être l'agresseur sont quasi nuls. La stabilité de cette configuration, où deux adversaires se dissuadent ainsi mutuellement, dépend avant tout de la capacité de l'agressé à frapper l'autre après avoir subi une première frappe. Du nucléaire à la fiscalité, il y a un pas que l'on peut franchir avec un brin de provocation, tant le contexte s'assimile à une "lutte", où, d'un côté, l'Etat souhaite conserver toute sa capacité régalienne de lever l'impôt et lutter contre l'évasion fiscale ; et, de l'autre, les contribuables rivalisent d'imagination pour établir des montages juridiques permettant la moindre taxation (démarche, au demeurant, validée, dans son principe, par le juge fiscal lui-même).
"La seule fin pour laquelle les hommes sont autorisés, individuellement ou collectivement, à intervenir dans la liberté d'action d'un de leurs semblables, est la protection de soi-même" écrivait John Stuart Mill dans Pour la liberté. La formule s'applique, également, à l'Etat percepteur. Il s'agit alors de repenser, dans le cadre communautaire, la dissuasion fiscale afin de prévenir l'évasion tout en instaurant confiance économique et consentement à l'impôt.
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par Vincent Téchené, SGR - Droit des affaires
Le 07 Octobre 2010
La question de la rémunération des dirigeants sociaux est un thème vaste et l'actualité en la matière se concentre, est-il besoin de le rappeler, autour de la loi "Tepa" (loi n° 2007-1223 du 21 août 2007, en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat N° Lexbase : L2417HY8, lire V. Téchené, L'encadrement des "parachutes dorés" par la loi en faveur du travail de l'emploi et du pouvoir d'achat, Lexbase Hebdo n° 272 du 13 septembre 2007 - édition privée générale N° Lexbase : N2768BCI) et des nombreuses questions qu'elle soulève. Pour rappel, ce texte vient modifier l'encadrement des "rémunérations différées" dans les sociétés dont les titres sont admis à la négociation sur un marché réglementé. L'article 17 de la loi ajoute cinq alinéas aux articles L. 225-42-1 (N° Lexbase : L4054HBR) et L. 225-90-1 (N° Lexbase : L3739HB4) du Code de commerce. Ces deux articles, introduits dans le code par la loi "Breton" (loi n° 2005-842 du 26 juillet 2005, pour la confiance et la modernisation de l'économie N° Lexbase : L5001HGC), soumettent à la procédure des conventions réglementées l'ensemble des rémunérations différées dont bénéficient les dirigeants des sociétés cotées. Mais, comme le relève Jean-Jacques Daigre, "l'affaire Forgeard" et les débats qui l'ont suivie pendant la campagne présidentielle ont montré les insuffisances de cet encadrement. C'est dans ce contexte que la loi du 21 août 2007 a été adoptée. Si elle ne pose pas l'interdiction générale des "parachutes dorés", elle les soumet à des conditions d'octroi plus restrictives, conditions qui s'articulent autour de deux axes :
- un renforcement de la transparence, qui passe, essentiellement, par un accroissement de la publicité à laquelle ils sont soumis ;
- et une justification des indemnités octroyées, qui, selon le Professeur Daigre, traduit l'exigence d'une forme de proportionnalité entre le résultat des fonctions de dirigeants et l'indemnité.
Ce texte soulève plusieurs questions relatives à son champ d'application, au régime mis en place, à la mise en oeuvre de cette réforme et au devenir de la jurisprudence antérieure.
A - Le champ d'application de la réforme
Il s'agit des dirigeants qui exercent une fonction de direction générale à titre individuel ou collectif (les directeurs généraux, directeurs généraux délégués dans les SA de type moniste, les membres du directoire dans les SA de type dualiste), auxquels a été ajouté le président, même s'il n'exerce pas de fonction de direction.
Le texte ne s'applique qu'aux dirigeants des sociétés françaises dont les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé. Comme le soulève Jean-Jacques Daigre, la limite territoriale impose donc, seulement, que la société ait son siège social en France, peu importe le lieu de cotation de la société.
Les engagements soumis à la nouvelle réglementation sont ceux pris par la société dirigée par l'intéressé ou par une société contrôlée par celle-ci ou encore par une société qui la contrôle. Dans ce cas, peu importe que la société contrôlée ou contrôlante qui prend l'engagement soit cotée ou non, et peu importe, également, qu'elle soit française ou étrangère.
Il convient de remarquer, à l'instar du Professeur Daigre, que l'engagement pris par une société soeur échappe à la réglementation. Il y a là un risque évident de fraude à la loi de faire peser un golden parachute sur une société soeur, afin de détourner les nouvelles contraintes qui pèsent sur les sociétés. La fraude étant difficile à prouver, il reste possible de prévoir un engagement de rémunération différée pris au bénéfice du dirigeant d'une société soeur.
S'agissant de la nature de l'engagement, le champ d'application du texte apparaît assez large puisqu'il prévoit que sont visés "les éléments de rémunération, indemnités et avantages". Toutefois, les nouveaux articles L. 225-42-1 et L. 225-90-1 du Code de commerce excluent expressément de la réforme les retraites chapeaux et les clauses de non-concurrence. Pour le Professeur Daigre, on voit bien se dessiner la tentation pratique de déguiser un parachute doré en clause de non-concurrence. Toutefois, le versement d'une indemnité de non-concurrence apparaît, lui aussi, justifié puisque, pour qu'il échappe à la condition de performance, l'activité reprise doit l'être dans une société concurrente et avec des fonctions similaires.
Les golden hello, c'est-à-dire les indemnités versées à un dirigeant lors de son entrée en fonction, n'entrent pas dans la lettre du texte ; la pratique des ponts d'or reste, donc, en dehors de toute réglementation spéciale.
Pour ce qui concerne les stock-options, il convient de remarquer, tout d'abord, qu'elles obéissent à une réglementation particulière (C. com., art. L. 225-177 N° Lexbase : L2678HW4 et s.) et, de prime abord, semblent donc exclus du champ d'application de la réforme introduite par la loi "Tepa". Il faut, toutefois, y porter une attention particulière. En effet, comme le soulève le Professeur Daigre, le plan peut prévoir que les options seront exercées par leurs bénéficiaires au moment de la cessation des fonctions. Dans ce cas, elles doivent être considérées comme des avantages différés et tombent, par conséquent, dans le champ d'application de la réforme introduite par la loi "Tepa". Si les stock-options sont donc, par principe, exclues du champ d'application du texte, il convient de vérifier au cas par cas leurs conditions d'octroi pour éviter leur annulation subséquente au non-respect de la nouvelle réglementation.
De prime abord, le texte laisse penser que seuls les engagements pris au moment de l'entrée en fonction des dirigeants sont concernés par le nouveau régime. Mais, d'une part, la nouvelle rédaction des articles L. 225-42-1 et L. 225-90-1 du Code de commerce précise que l'approbation de l'assemblée générale en application des articles L. 225-40 (N° Lexbase : L5911AIR) et L. 225-88 (N° Lexbase : L5959AIK) est requise à chaque renouvellement du mandat et, d'autre part, pour Jean-Jacques Daigre, les textes semblent postuler une interprétation large. Il serait d'autant plus facile de contourner le régime mis en place, en instituant une rémunération différée en cours de mandat. Il convient, dès lors, de considérer que les engagements pris au bénéfice des dirigeants pendant l'exercice de leurs mandats sont soumis, au même titre que ceux pris lors de l'entrée en fonction, au respect du régime institué par la loi "Tepa". Néanmoins, si la société s'engage à verser une indemnité postérieurement à la cessation des fonctions du dirigeant, le texte ne s'applique pas. Ce schéma est, en effet, concevable pour tenter de contourner le régime applicable aux parachutes dorés, mais pourrait tomber sous le coup d'une annulation pour fraude, en démontrant, notamment, que le contrat a été négocié antérieurement à la cessation des fonctions.
B - Le régime introduit par la réforme
Le texte pose une première condition de fond, qui est une véritable nouveauté, puisqu'il soumet l'octroi d'éléments de rémunération différée au respect de conditions liées aux performances du bénéficiaire, appréciées au regard de celles de la société qu'il dirige. Les critères de performance sont libres ; il faut seulement qu'ils soient mesurables. Toutefois, comme le soulève Jean-Jacques Daigre, les engagements pris en cours de mandat posent, une nouvelle fois, un problème, puisqu'il apparaît bien plus facile, dans de telles circonstances, de trouver des critères de performances justifiant le versement d'un golden parachute. En effet, les engagements pris la veille du départ du dirigeant sont soumis au respect des exigences issues de la loi "Tepa" et ne peuvent donc être effectivement versés que si la condition de performance posée lors de la date de l'engagement est réalisée le jour de la cessation des fonctions. Or, si la société s'engage la veille du départ du dirigeant, elle a toute latitude pour poser des critères de performance, qui seront remplis, avec certitude, le lendemain, c'est-à-dire le jour de la fin de son mandat. Dans de telles circonstances, le caractère aléatoire du versement de l'indemnité semble ainsi disparaître.
Ensuite, les textes ne précisent pas la nature de la sanction si les critères choisis par le conseil d'administration ou le conseil de surveillance ne conviennent pas, notamment, s'ils ne sont pas réellement quantifiables. Selon Jean-Jacques Daigre, il doit s'agir d'une nullité et, plus précisément, d'une nullité absolue, puisque le texte édicté dans l'intérêt du marché, relève de l'ordre public boursier.
L'article 17 de la loi "Tepa" prévoit, ensuite, des conditions de forme, liées à la transparence des engagements souscrits par la société. La loi "Breton" en avait déjà fait une convention réglementée ; la loi "Borloo" leur impose un régime particulier de convention réglementée. Le nouveau texte prévoit, notamment, que l'autorisation donnée par le conseil d'administration ou le conseil de surveillance, en application des articles L. 225-38 (N° Lexbase : L5909AIP) et L. 225-86 du Code de commerce (N° Lexbase : L5957AIH), est rendue publique selon des modalités et dans des délais fixés par décret en Conseil d'Etat. Cette publicité est très importante et, selon Jean-Jacques Daigre, il convient de prévoir un court délai de publicité car il s'agit de sociétés cotées. On peut, notamment, imaginer, selon lui, un délai de 5 jours comme en matière de franchissement de seuil.
S'agissant de la sanction du non-respect de ces conditions, on retrouve, ici, le droit commun des conventions réglementées :
- nullité pour défaut d'autorisation du conseil si la convention porte préjudice à la société (C. com., art. L. 225-42 N° Lexbase : L5913AIT et L. 225-90 N° Lexbase : L5961AIM) ;
- octroi de dommages-intérêts pour absence de décision de l'assemblée générale (C. com., art. L. 225-41 N° Lexbase : L5912AIS et L. 225-89 N° Lexbase : L5960AIL).
Concernant la vérification des conditions de performance, par le conseil d'administration ou le conseil de surveillance, la sanction est clairement fulminée par le texte : le versement est nul. Il convient, selon le Professeur Daigre, d'y adjoindre une probable responsabilité des administrateurs ou membres du conseil de surveillance. Il estime, en outre, que le terme "versement" est mal choisi, puisqu'il renvoie à la notion de numéraire, alors que le golden parachute peut se manifester, comme c'est souvent le cas, sous la forme d'avantages matériels (occupation d'un appartement, voiture, mise à disposition d'un secrétariat etc.). Dans ce cas la nullité du "versement" entraînera une restitution sous forme d'équivalent.
C - La mise en oeuvre de la réforme
Le texte est entré en vigueur le 22 août 2007. Les nouvelles dispositions s'appliquent donc aux engagements pris à compter de cette date.
Il est, également, prévu une mise en conformité des engagements antérieurs dans les 18 mois, soit jusqu'au 22 février 2009. Mais, là, se pose la question de savoir ce qu'il convient d'entendre par "engagements antérieurs". En effet, comme le relève Jean-Jacques Daigre, deux interprétations sont envisageables.
Il est possible de concevoir cette notion de façon stricte en partant du constat que la loi "Borloo" est venue ajouter aux dispositions introduites par la loi "Breton", laquelle avait prévu une application rétroactive. Si l'on fait une application combinée de ces deux textes, les engagements antérieurs seraient ceux conclus entre le 1er mai 2005 (application rétroactive de la loi n° 2005-842 aux engagements conlus à compter de cette date) et le 22 août 2007.
De façon plus large, il est possible de considérer que c'est tout le "stock" des engagements antérieurs qu'il convient de mettre en conformité dans le délai de 18 mois imparti. Cette conception a la faveur du Professeur Daigre, lequel allègue, notamment, au soutien de cette affirmation, que si la loi "Breton" a prévu expressément sa rétroactivité au 1er mai 2005, la loi "Borloo" s'est ajoutée aux textes créés par la loi "Breton ", les articles L. 225-42-1 et L. 225-90-1 du Code de commerce, mais ne s'est pas ajoutée à la loi "Breton", elle-même.
Enfin, s'agissant de la sanction encourue en cas d'absence de mise en conformité des engagements antérieurs, il convient de faire application de celles habituellement prévues, et rappelées précédemment, en matière de conventions réglementées.
D - Le nouveau régime applicable aux rémunérations différées face à la jurisprudence antérieure
Enfin, Jean-Jacques Daigre pose la question de savoir ce qu'il advient de la jurisprudence antérieure, laquelle soumettait l'octroi de compléments de retraites au respect de deux conditions (v., notamment, Cass. com., 3 mars 987, n° 84-15.726, Union de banques à Paris c/ M. Lebon, publié N° Lexbase : A3045AAZ ; Cass. com., 10 février 1998, n° 95-22.052, Société Sidergie c/ M. Marmonier, publié N° Lexbase : A2489AC8) :
- le complément de retraite doit être la contrepartie des services particuliers rendus à la société pendant l'exercice de ses fonctions par le dirigeant ;
- l'avantage accordé doit être proportionné à ces services et ne doit pas constituer une charge excessive pour la société.
Etant donné que le régime mis en place ne concerne que les sociétés cotées, la jurisprudence antérieure s'applique toujours aux compléments de retraite octroyés dans les sociétés non-cotées, mais aussi aux engagements exclus par la nouvelle réglementation. Elle s'appliquerait donc, notamment, aux engagements post-cessation des fonctions, qui, on l'a vu, peuvent être présentés comme un moyen de contourner les contraintes mise en places.
II - Les nouveautés en matière de contrôle des comptes
Comme le soulève Philippe Merle, en introduction de son intervention sur cette question, le commissariat aux comptes est sûrement la profession libérale qui a connu le plus d'évolution ces dernières années. Elle est même devenue une profession très réglementée. L'évolution législative et réglementaire a eu pour objet et pour effet d'accentuer l'indépendance des commissaires aux comptes et de mettre fin à l'autorégulation de la profession.
Le renforcement de l'indépendance, tout d'abord, apparaît comme un objectif prioritaire des pouvoirs publics, dans la réforme de la profession, entreprise dans la dernière décennie. En témoigne l'article 6 du Code de déontologie de la profession de commissaire aux comptes (N° Lexbase : L5594HDK), lequel prévoit que "le commissaire aux comptes évite toute situation de conflit d'intérêts. Tant à l'occasion qu'en dehors de l'exercice de sa mission, le commissaire aux comptes évite de se placer dans une situation qui compromettrait son indépendance à l'égard de la personne ou de l'entité dont il est appelé à certifier les comptes ou qui pourrait être perçue comme de nature à compromettre l'exercice impartial de cette mission". Ce texte interdit toute situation qui pourrait compromettre l'indépendance du commissaire aux comptes en réalité, mais aussi en apparence.
La volonté de renforcer leur indépendance se retrouve dans de nombreuses dispositions de la loi. Le législateur a, ainsi, séparé les activités d'audit et de conseil devant la crainte que les premières ne soient utilisées comme un produit d'appel pour vendre les secondes (C. com., art. L. 822-11 N° Lexbase : L2947HC7). Il a, dans le même esprit, imposé l'obligation de rotation (C. com., art. L. 822-14 N° Lexbase : L2950HCA), craignant que la vigilance du commissaire aux comptes ne s'amenuise avec le temps. Cette obligation a, pourtant, pour conséquence pratique de pénaliser les commissaires aux comptes individuels au profit des sociétés, dans la mesure où, au sein d'une personne moral, la rotation s'opère par un simple changement de personne chargée du contrôle légal des comptes.
Le renforcement de l'indépendance n'est pas la seule caractéristique de l'évolution récente du commissariat aux comptes. Elle s'est, en effet, accompagnée de ce que M. Merle appelle la fin de l'autorégulation de la profession. Celle-ci a débuté avec la loi "NRE" (loi n° 2001-420 du 15 mai 2001, relative aux nouvelles régulations économiques N° Lexbase : L8295ASZ), qui a eu pour effet d'unifier le statut et la mission des commissaires aux comptes et a, ensuite, continué avec la "LSF" (loi n° 2003-706 du 1er août 2003, de sécurité financière N° Lexbase : L3556BLB), dont le titre III apporte de nombreuses modifications à l'exercice de la profession. Elle se manifeste, tout d'abord, par la publication du Code de déontologie de la profession de commissaire aux comptes (institué par le décret n° 2005-1412 du 16 novembre 2005, portant approbation du Code de déontologie de la profession de commissaire aux comptes N° Lexbase : L2782HDE). Ce texte a, d'ailleurs, été très mal accueilli par les "Big four", qui ont intenté un recours devant le Conseil d'Etat. Ce dernier a rejeté leur demande et a validé le code, estimant que le texte ne constitue pas une atteinte au principe de libre prestation de services (CE Contentieux, 24 mars 2006, n° 288460 Société KPMG et autres N° Lexbase : A7837DNL). En effet, aux termes d'un attendu de principe, le Conseil d'Etat a jugé que "les dispositions du Code de déontologie ont pour objet, en renforçant l'indépendance des commissaires aux comptes, de garantir le bon fonctionnement du contrôle légal des comptes et d'assurer leur sincérité et leur régularité, dans l'intérêt de l'ensemble des parties prenantes, et, notamment, des salariés et des actionnaires ; [...] l'intérêt général qui s'attache à ce que les comptes donnent une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat des sociétés constitue une raison impérieuse, au sens donné à ce concept par la Cour de justice des Communautés européennes, justifiant des limitations à la libre prestation de services ; [...] contrairement à ce qui est soutenu, les mesures en cause, qui sont adaptées à l'objectif poursuivi, ne portent pas, au regard tant du contenu des obligations qu'elles édictent que de leur champ d'application, une atteinte excessive à la libre prestation de services".
La fin de l'autorégulation se manifeste, ensuite, par l'institution du Haut conseil au commissariat aux comptes dont la mission est double :
- la surveillance de la profession, avec le concours de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes (CNCC), notamment, en vérifiant le respect de l'indépendance et plus généralement des normes déontologiques ;
- l'intervention dans l'élaboration des normes applicables à la profession par la CNCC, puisqu'il émet un avis avant l'homologation par arrêté ministériel.
Philippe Merle remarque que le HCCC, s'imposant comme un acteur moteur de la profession, a effectué une véritable "montée en puissance", qui a eu pour effet d'accélérer la fin de l'autorégulation.
A - La fin de l'autorégulation de la profession de commissaire aux compotes : "la montée en puissance" du HCCC
Cette montée en puissance, le Professeur Merle l'illustre à travers deux exemples édifiants.
L'article L. 821-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L2940HCU) dispose que le Haut conseil est, notamment, chargé "d'émettre un avis sur les normes d'exercice professionnel élaborées par la Compagnie nationale des commissaires aux comptes avant leur homologation par arrêté du Garde des sceaux, ministre de la Justice". Son rôle dans le processus d'élaboration des normes apparaît, par conséquent, limité, contrairement à celui conféré à la CNCC qui semble en conserver la maîtrise. Mais, Philippe Merle relève que la liberté de création des normes est, en fait, extrêmement faible, contrairement à ce que pourrait laisser supposer le texte. Il relève, à ce sujet, deux contraintes importantes :
- les professionnels doivent s'inspirer des normes internationales élaborées par l'International auditing and assurance standards board (l'IFAC), afin d'éviter une déconnexion avec les normes internationales ;
- la CNCC doit respecter la "feuille de route" stricte et claire imposée par le HCCC dans sa délibération du 3 janvier 2006 (délibération HCCC n° 1, Normes d'exercice professionnel N° Lexbase : X5699ADG). Le Haut conseil a, en effet, posé des principes que doit impérativement respecter une norme d'exercice professionnel.
Ainsi, il énonce que "la norme doit être claire et compréhensible non seulement pour les commissaires aux comptes mais également pour les autres acteurs du monde économique et financier et les juridictions. A ce titre, il convient :
- de faire usage d'une terminologie précise et qui ne soit pas uniquement issue de la pratique ;
- de définir un plan suffisamment structuré qui évite les redondances ;
- d'éviter les commentaires qui affaiblissent les prescriptions de la norme et nuisent à sa clarté".
Et le Haut conseil de préciser la sanction du non-respect des principes ainsi édictés : il considère qu'il ne pourra pas émettre d'avis favorable à l'homologation.
Pour aider aux travaux préparatoires dans l'élaboration des normes, un groupe de concertation, composé de quatre commissaires aux comptes et quatre membres du HCCC, a été mis en place. Ceci semble porter ses fruits, puisque aujourd'hui 28 normes d'exercice de la profession de commissaire aux comptes ont été homologuées par arrêté ministériel. Comme le relève Philippe Merle, il est intéressant de constater que, désormais, ces normes, puisqu'elles font l'objet d'une homologation par arrêté ministériel, sont opposables aux tiers et au juge, améliorant ainsi la sécurité juridique.
Les avis rendus par le HCCC commencent à forger sa jurisprudence. D'un point de vue juridique, ils n'ont qu'une valeur indicative. Il ne faut, toutefois, pas sous-estimer l'importance qu'ils tirent de l'autorité morale dont jouit le HCCC.
Philippe Merle relève, d'ailleurs, un avis très important, rendu le 29 mars 2007 par le Haut conseil, dans lequel il était appelé à se prononcer sur l'existence, ou non, d'un réseau pluridisciplinaire.
Cet avis était très attendu car le HCCC était invité, pour la première fois, à se prononcer sur une telle question qui lui aurait permis de combler le vide existant, tant dans la loi que dans le Code de déontologie, sur la définition du réseau.
L'article 22 du Code de déontologie (N° Lexbase : L5573HDR) ne pose que des indices d'appartenance à un réseau, mais n'en donne aucune définition générale. Il dispose, en effet, que "constituent des indices de son appartenance à un tel réseau :
a) une direction ou une coordination communes au niveau national ou international ;
b) tout mécanisme conduisant à un partage des revenus ou des résultats ou à des transferts de rémunération ou de coûts en France ou à l'étranger ;
c) la possibilité de commissions versées en rétribution d'apports d'affaires ;
d) une dénomination ou un signe distinctif communs ;
e) une clientèle habituelle commune ;
f) l'édition ou l'usage de documents destinés au public présentant le réseau ou chacun de ses membres et faisant mention de compétences pluridisciplinaires ;
g) l'élaboration ou le développement d'outils techniques communs".
Ce texte soulève plusieurs questions. Ainsi, un seul indice suffit-il pour qualifier l'existence d'un réseau ou les critères sont-ils cumulatifs ? En outre, tous les indices doivent-ils être placés sur le même plan ou doit-on, au contraire, considérer qu'il existe une hiérarchie entre eux?
Pour Philippe Merle, tous les indices ne doivent pas, à l'évidence, être placés sur le même plan. Les indices "techniques" -f) et g) de l'article 22- ne sauraient se suffire, alors que ceux relatifs à la direction commune -a)-, au partage des revenus ou des résultats -b)- ou à la clientèle commune -e)- semblent donner une indication beaucoup plus forte sur l'existence d'une réseau.
L'avis du HCCC était donc vivement attendu et il a beaucoup déçu. En effet, non seulement, il n'a donné aucune définition générale du réseau pluridisciplinaire, mais, en plus, il a placé tous les indices sur le même plan, ne donnant aucune grille de lecture du texte.
Enfin, l'actualité en matière de contrôle légal des comptes ne pouvait être abordée sans s'attarder quelque peu sur la responsabilité des commissaires aux comptes.
B - La responsabilité des commissaires aux comptes
A titre liminaire, il convient de rappeler que les commissaires aux comptes encourent quatre sortes de responsabilité dans l'exercice de leurs fonctions : une responsabilité civile, une responsabilité pénale, une responsabilité administrative et une responsabilité disciplinaire.
S'agissant de la responsabilité civile, il existe, là, une particularité, puisqu'elle est calquée sur celle des administrateurs, soumise à une prescription triennale (C. com., art. L. 225-254 N° Lexbase : L6125AIP). Cette prescription court à compter du fait dommageable, qui ne peut être retardé que s'il y a dissimulation, laquelle est appréciée de manière très stricte, puisque, selon la Cour de cassation, la dissimulation implique la volonté du commissaire aux comptes de cacher les faits dont il a connaissance par la certification des comptes (Cass. com., 11 octobre 2005, n° 03-17.382, F-D N° Lexbase : A0205DL8).
Or, comme le relève le Professeur Merle, la preuve de l'élément intentionnel de la dissimulation apparaît particulièrement dure à rapporter.
Sur l'étendue du champ d'application de cette prescription, la Cour de cassation (Cass. com., 15 mai 2007, n° 05-14.283, Société Assurances générales de France (AGF ), FS-P+B N° Lexbase : A2441DWC) a récemment précisé qu'elle s'appliquait à l'occasion de toute mission légale de contrôle. Elle devait donc, en l'espèce, l'appliquer au contrôle de la comptabilité spéciale des fonds détenus par les mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises, prévu par l'article 58 du décret n° 85-1389 du 27 décembre 1985 (N° Lexbase : L7872BGN).
Doit-elle, pour autant, s'appliquer, non pas seulement, à toute mission légale de contrôle, mais, également, à toute mission de contrôle, de telle sorte que cela engloberait les missions contractuelles ? Force est de constater que cette règle a été déplacée et se trouve contenue, depuis l'ordonnance du 8 septembre 2005 (ordonnance n° 2005-1126 du 8 septembre 2005, relative au commissariat aux comptes N° Lexbase : L9911HBP), dans l'article L. 822-18 du Code de commerce (N° Lexbase : L2953HCD), qui dispose que "les actions en responsabilité contre les commissaires aux comptes se prescrivent dans les conditions prévues à l'article L. 225-254". Or, d'une part, ce texte se situe dans une section intitulée "De la responsabilité civile" et, d'autre part, "Ubi lex non distinguit, nec nos distinguere debemus". Par conséquent, pour le Professeur Merle, la prescription triennale doit s'appliquer à toute action en responsabilité civile exercée contre un commissaire aux comptes, quelle que soit la mission de contrôle.
Se pose, ensuite, la question de savoir sur qui pèse la responsabilité lorsque le titulaire du mandat est une société.
Selon une jurisprudence traditionnelle et ancienne (CA Paris, 1ère ch., sect. B , 4 avril 1991, n° 90-7102, M. Quaglia c/ M. Frette N° Lexbase : A8615A4T), lorsqu'une société de commissaires aux comptes commettait une faute, la personne morale, le mandataire social et la personne physique chargée du contrôle des comptes étaient solidairement responsables. Or, pour Philippe Merle, aucun texte ne permet de condamner la personne physique, alors que le mandat de contrôle des comptes appartient à la personne morale.
La cour d'appel de Rennes (CA Rennes, 1ère ch., sect. B., 16 septembre 2005, CNCC, Bull n° 139, § 103, note Ph. Merle) a, d'ailleurs, récemment rendu un arrêt qui rompt avec cette jurisprudence. Elle considère que lorsque le mandat a été confié à une société de commissaires aux comptes, chaque acte accompli par l'un des associés, actionnaires ou dirigeants de cette société ayant la qualité de commissaire aux comptes, l'est au nom et pour le compte de cette société, seule titulaire du mandat, de sorte que, en l'absence de faute détachable des fonctions commise par le commissaires aux comptes, seule la personne morale titulaire de la mission peut voir mise en cause sa responsabilité civile, conformément au droit commun. Un pourvoi en cassation a été formé contre cette décision et la réponse de la Cour de cassation est vivement attendue, Philippe Merle souhaitant que la position de la cour d'appel soit confirmée. En effet, selon lui, il résulte de la combinaison des articles L. 822-17 (N° Lexbase : L2952HCC) et L. 822-9 (N° Lexbase : L2655DHS) du Code de commerce que la responsabilité ne peut être que celle du commissaire aux comptes titulaire de la mission.
En matière de responsabilité pénale, le Professeur Merle relève le peu de condamnations de commissaires aux comptes par les juridictions répressives, avançant le chiffre d'environ 35 par an. Deux arrêts, rendus le 31 janvier 2007 par la Chambre criminelle de la Cour de cassation, dans la même affaire (Cass. crim., 31 janvier 2007, n° 05-85.886, F-P+F N° Lexbase : A7895DTL, n° 06-81.258, F-P+F N° Lexbase : A7941DTB), ont, toutefois, inquiété les membres de la profession.
La Cour a considéré, en substance, que l'expert comptable, en attestant de la conformité et de la sincérité de comptes dont le caractère fictif ne pouvait lui échapper, et le commissaire aux comptes, en certifiant en connaissance de cause et sur plusieurs exercices lesdits comptes, ont sciemment fourni à l'auteur principal les moyens lui permettant de réitérer l'escroquerie à la TVA et sont, donc, déclarés coupables de complicité d'escroquerie.
La seule certification de comptes inexacts par le commissaire aux comptes présume qu'il a commis une faute. Cette solution n'est pas satisfaisante pour Philippe Merle, puisqu'elle fait bien peser sur le commissaire aux comptes une présomption de mauvaise foi contra legem, le commissaire aux comptes devant rapporter la preuve qu'il n'a commis aucune faute pour ne pas voir engagée sa responsabilité pénale.
La responsabilité administrative des commissaires aux comptes ressort de la possibilité pour l'Autorité des marchés financiers de prononcer des sanctions à leur encontre. Cette possibilité a été validée dans un important arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 11 juillet 2006 (Cass. com., 11 juillet 2006, n° 05-18 .337, Autorité des marchés financiers, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A4628DQH).
Selon le Professeur Merle, une affaire récente retient l'attention. Le 5 juillet 2007, la commission des sanctions de l'AMF a retenu la responsabilité du commissaire aux comptes en charge des marges arrière, mais a absout les commissaires aux comptes chargés de certifier les comptes consolidés, dans la mesure où ils n'étaient pas en charge personnellement de l'audit et du contrôle des postes litigieux afférent aux marges arrière (décision AMF, 5 juillet 2007, à l'égard des sociétés Marionnaud parfumeries, KPMG SA, Cofirec et de MM. Marcel et Gérald Frydman, ainsi que de MM. Yves Gouhir et Gérard Caro N° Lexbase : L0835HYL). Or, Philippe Merle se pose la question de savoir si cette solution ne remettrait pas en cause le principe selon lequel le co-commissariat aux comptes a une valeur collégiale. D'ailleurs, la notification des griefs faisait valoir qu'en leur qualité de co-commissaires aux comptes, ils étaient solidairement responsables des conséquences de l'insuffisance des diligences professionnelles qu'aurait accomplies l'autre commissaire aux comptes, qui était plus particulièrement chargé d'analyser les marges arrière.
Enfin, en matière de responsabilité disciplinaire des commissaires aux comptes, une seule décision récente, reprenant une solution classique qui ne souffre d'aucune critique, est à relever. Il s'agit de l'arrêt rendu le 10 juillet 2007 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation (Cass. com., 10 juillet 2007, n° 06-13.423, F-P+B N° Lexbase : A2986DXU). La Haute juridiction retient que le manquement d'une société de commissaires aux comptes à ses obligations déontologiques d'indépendance justifie le relèvement du commissaire aux comptes de ses fonctions.
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Réf. : Délibération Halde n° 2007-272 du 22 octobre 2007, Marc Diot (N° Lexbase : X9865ADQ)
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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
Le 07 Octobre 2010
Résumé
Un accord collectif ne peut réserver aux salariés non nationaux de l'entreprise le bénéfice de primes d'expatriation et de dépaysement. |
1. Affaire du "Synchrotron" et justification des différences salariales entre salariés nationaux et non-nationaux
Afin de favoriser le recrutement de chercheurs étrangers de haut niveau, le Synchrotron, consortium européen de recherche, avait mis en place, par la voie conventionnelle, une politique de rémunération attractive réservant aux seuls salariés non nationaux de l'entreprise le bénéfice d'une prime d'expatriation et de dépaysement (article 50 de la convention collective d'entreprise en date du 18 juin 1993).
De nombreux chercheurs français, se considérant comme victimes d'une discrimination fondée sur la nationalité, ont protesté contre ces dispositions, faisant valoir qu'en dépit des apparences, ils ne se trouvaient pas dans une situation réellement différente de nombreux chercheurs étrangers, embauchés par l'entreprise, mais qui résidaient déjà en France au moment de leur embauche.
Certainement soucieux de régler la question de manière définitive et négociée, les partenaires sociaux ont modifié les critères conventionnels d'attribution de cette prime, par un accord signé en octobre 2001, pour ne plus viser qu'un critère plus neutre de résidence, tout en maintenant le bénéfice de la prime pour les salariés en ayant effectivement bénéficié antérieurement.
Pour étayer son raisonnement, un ingénieur français, décidé à faire plier l'entreprise, avait saisi le conseil de prud'hommes de Grenoble en se fondant, notamment, sur un arrêt rendu en 2002 par la Chambre sociale de la Cour de cassation, qui semblait condamner toute possibilité de justifier une différence de traitement par le seul critère de la nationalité des salariés (1).
L'argumentation développée avait convaincu la cour d'appel de Grenoble qui avait fait droit à ses demandes, considérant "qu'aucune autre condition objective d'attribution que la nationalité étrangère n'est stipulée dans la convention d'entreprise en ce qui concerne l'indemnité d'expatriation au profit des ressortissants non-français des pays des parties contractantes et qu'ainsi, le fait que la prime d'expatriation bénéficie à un ressortissant étranger déjà installé en France au moment de son recrutement, interdit à la société ESRF de prétendre sérieusement que le but poursuivi par l'instauration de cette prime vise à favoriser la circulation et le séjour des nationaux des Etats des parties contractantes" (2).
Cet arrêt fut cassé le 16 novembre 2005, la Chambre sociale de la Cour de cassation considérant, au contraire, que l'inégalité salariale dénoncée "vise non seulement à compenser les inconvénients résultant de l'installation d'un individu et de sa famille en pays étranger, mais aussi à faciliter l'embauche des salariés ressortissants non français des parties contractantes afin de contribuer à la création d'un pôle d'excellence scientifique international [et] qu'ainsi l'avantage conféré aux salariés étrangers reposait sur une raison objective, étrangère à toute discrimination en raison de la nationalité" (3).
Dans la mesure où la cassation était prononcée sans renvoi, le salarié concerné, M. D., décidait alors d'agir devant la Cour européenne des droits de l'Homme, puis de ressaisir le conseil de prud'hommes de Grenoble d'une demande analogue, mais portant sur une période différente de l'objet de sa première action.
C'est dans le cadre de ce nouveau litige, et dans l'attente du nouvel arrêt de la cour de Grenoble, que ce même salarié a saisi la Halde. Comme la cour d'appel de Grenoble dans sa précédente décision du 3 novembre 2003, la Halde considère cette différence de traitement comme non justifiée et a demandé à être entendue lors de l'audience d'appel, comme le lui permettent, désormais, ses statuts modifiés en ce sens par la loi du 31 mars 2006 sur l'égalité des chances (article 13) (loi n° 2006-396 du 31 mars 2006, pour l'égalité des chances N° Lexbase : L9534HHL).
Le moins que l'on puisse dire est que l'argumentation développée par la Halde, qui reprend, d'ailleurs, les motifs retenus avant elle par la cour d'appel de Grenoble, n'emporte pas pleinement l'adhésion dans la mesure où celle-ci ne discute, à aucun moment, les arguments développés par la Cour de cassation dans sa décision de 2005 pour justifier les différences de traitement.
Revenant, dans son rapport annuel, sur cette solution, la Cour de cassation avait précisé qu'"il est apparu à la Chambre sociale, comme d'ailleurs au conseil de prud'homme ayant statué en premier ressort, qu'en réalité la formulation de la condition mise à l'octroi d'une prime d'expatriation procédait davantage d'une terminologie maladroite que d'une véritable discrimination fondée sur la nationalité. En effet, les termes des accords internationaux et des statuts de la société du synchrotron faisaient clairement apparaître que la seule finalité de l'octroi de cette prime d'expatriation était de compenser les inconvénients résultant de l'installation d'un individu et de sa famille en pays étranger et de faciliter l'embauche des salariés ressortissants non français des parties contractantes afin de contribuer à la création d'un pôle d'excellence scientifique international, ce qui constituait une raison objective étrangère à toute discrimination en raison de la nationalité" (4).
Il est, dès lors, pour le moins regrettable que la Halde n'ait pas souhaité entrer dans cette discussion pour s'en tenir à une posture classique consistant à réputer, de manière quasiment irréfragable, comme illicite toute différence de traitement fondée sur un critère de nationalité, sans rechercher si cette différence de nationalité ne révélait pas, en réalité, une différence de situation entre les parties. Or, le fait de vouloir faire venir en France, ou de vouloir inciter des chercheurs étrangers déjà installés à demeurer sur le sol français, semble a priori légitime, à tout le moins suffisant pour être discuté comme une justification possible.
Il est, également, étonnant de voir la Halde opposer l'arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 9 novembre 2005 et la décision précédente rendue dans l'affaire de l'"Institut Goethe" en 2002, où la Cour avait, il est vrai, adopté une position plus rigide sur les justifications admises aux différences de traitement fondées sur un critère de nationalité (5).
La mise en perspective de ces deux décisions, et ce afin de créer un sentiment de contradiction au sein de la jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation, est toutefois discutable car, contrairement à ce que semble sous-entendre la Halde, les cas de figure n'étaient pas comparables. Dans l'arrêt rendu en 2002, en effet, l'employeur ne fournissait aucune explication à la différence de traitement, si ce n'est l'existence de la règle elle-même. Or, dans l'affaire du "Synchrotron", la situation était bien différente dans la mesure où la différence dénoncée était justifiée par des impératifs de gestion du personnel et, singulièrement, par la nécessité d'inciter les chercheurs étrangers, dont la valeur sur le "marché" pouvait être considérable, à demeurer sur le sol français et à renforcer les équipes de recherche existantes.
2. L'influence de la Halde dans le débat relatif à la justification des différences de traitement impliquant la nationalité des salariés
Restent à déterminer quelles peuvent être les conséquences de l'intervention de la Halde dans cette affaire. A court terme, la Halde fait ici application du pouvoir que lui confère l'article 13 de la loi du 30 décembre 2004 (loi n° 2004-1486 du 30 décembre 2004, portant création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité N° Lexbase : L5199GU4), tel qu'il résulte de la loi sur l'égalité des chances du 31 mars 2006, pour intervenir au procès dans l'affaire opposant M. D. au Synchrotron. Si, d'aventure, la Halde le décidait, elle pourrait, également, engager soit la procédure de transaction contre l'entreprise, coupable à ses yeux de discrimination, soit poursuivre directement celle-ci devant les juridictions répressives.
Compte tenu de la position adoptée dans cette affaire par la Chambre sociale de la Cour de cassation, il est plus que vraisemblable que l'entreprise refuserait toute transaction et irait, le cas échéant, défendre ses droits en cas de citation directe devant le tribunal correctionnel.
Compte tenu de l'implication de la Halde dans cette affaire et de la possible "criminalisation" du débat, une intervention préventive de l'Assemblée plénière de la Cour de cassation, à tout le moins d'une Chambre mixte réunissant les conseillers des Chambres sociale et criminelle, serait opportune pour lever toute ambiguïté sur la légitimité de ces pratiques.
Cette affaire démontre, s'il en était besoin, que le recours au principe de non-discrimination, et plus largement au principe "à travail égal, salaire égal", n'est pas de nature à garantir la paix dans les entreprises. Comme dans d'autres affaires (6), la négociation collective semble mieux adaptée pour discuter de la légitimité des politiques d'individualisation des rémunérations. Dans cette affaire, d'ailleurs, les partenaires sociaux avaient certainement eu la sagesse de modifier des critères d'attribution des primes, ne faisant plus référence au critère controversé de la nationalité, au profit de celui, plus neutre, de la résidence. L'accord réservait, il est vrai, le maintien des droits acquis des salariés ayant préalablement bénéficié de ces primes, attribuées selon le critère de la nationalité, et ce afin de compenser le préjudice résultant de leur suppression éventuelle par application du nouvel accord, conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation d'ailleurs (7).
Mais, on fera observer, ici, que le seul désir de compenser le préjudice résultant de la modification des critères d'attribution des primes ne saurait justifier le maintien de critères si ceux-ci devaient être considérés comme discriminatoires, et contribuent, d'ailleurs, à alimenter le contentieux, comme le démontre la poursuite des actions en justice dans l'entreprise.
Face à l'insécurité grandissante qui se fait jour en matière de justification des différences de traitement, il nous semble qu'une initiative d'ampleur nationale devrait être prise. Le meilleur moyen de régler de manière plus prévisible pourrait être, alors, de provoquer la négociation d'un accord national interprofessionnel, sur la question de l'égalité salariale, accord qui préciserait les critères pouvant conduire à opérer des différences de traitement entre des salariés ayant un même travail, ou un travail de valeur égale. Cet accord pourrait, alors, jeter les bases d'une nouvelle loi sur l'égalité salariale, conformément à la procédure souhaitée par le Parlement depuis l'adoption de la loi de modernisation du dialogue social votée en janvier 2007 (8). Il est grand temps que la démocratie sociale progresse !
Délibération de la Halde
Délibération Halde n° 2007-272 du 22 octobre 2007, Marc Diot (N° Lexbase : X9865ADQ) La Halde considère que l'article 50 de la convention collective de l'entreprise ESRF du 18 juin 1993 est discriminatoire en ce qu'il réserve, sans justification objective valable, aux salariés non-français de l'entreprise une prime de déménagement et de dépaysement, et demande à être entendue dans la nouvelle affaire opposant M. D. à l'entreprise lors de l'audience de la cour d'appel de Grenoble en date du 31 octobre 2007. |
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Réf. : Cass. civ. 3, 24 octobre 2007, n° 06-17.295, Société Lloyd's France, venant aux droits de la société Lloyd's de Londres, FS-P+B (N° Lexbase : A8492DY8)
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par David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit
Le 07 Octobre 2010
En l'espèce, l'assureur d'une société civile immobilière, qui avait fait réaliser une chambre froide, subrogé dans les droits de son assurée, a demandé la garantie du maître d'oeuvre et de son assureur. Ce dernier reprochait aux juges du fond d'avoir déclaré l'action recevable alors que, selon le pourvoi, l'action directe de la victime ou de l'assureur subrogé dans les droits de la victime, qui trouve son fondement dans le droit de la victime à la réparation de son préjudice, se prescrit par le même délai que son action de droit commun contre le responsable, si bien que la cour d'appel, qui avait relevé que l'action de l'assureur contre l'assuré responsable était prescrite, ne pouvait dans le même temps déclarer recevable et non prescrite l'action directe exercée par l'assureur subrogé dans les droits de la victime contre l'assureur du responsable. L'argument reposait, en somme, sur la connexité, et donc la dépendance, existant entre l'action directe et l'action en responsabilité évoquée plus haut. Le pourvoi est, cependant, rejeté, la Cour de cassation affirmant, en effet, que "le maître de l'ouvrage, dans les droits et actions duquel [l'assureur] était subrogé, pouvait actionner directement l'assureur de responsabilité des constructeurs, cette action directe n'étant pas subordonnée à la mise en cause de l'assuré", si bien que "la cour d'appel en a exactement déduit que l'action directe de l'assureur subrogé dans les droits de la victime était recevable".
La solution, fondée sur l'autonomie de l'action directe par rapport à l'action en responsabilité, autonomie qui implique qu'il ne soit pas nécessaire pour la victime de mettre en cause l'assuré responsable, confirme l'orientation prise par la jurisprudence depuis deux arrêts de la première chambre civile de la Cour de cassation des 29 février et 7 novembre 2000 (3), confirmée par la suite (4), orientation qu'une partie de la doctrine appelait d'ailleurs de ses voeux (5). Alors, en effet, que le premier des deux arrêts avait admis que l'assuré responsable pouvait être mise en cause soit par la victime, soit par l'assureur lui-même, le second avait nettement affirmé que "la recevabilité de l'action directe n'est pas subordonnée à l'appel en la cause de l'assuré par la victime". La solution doit être prouvée : comme on l'a justement fait remarquer, ne pas admettre la possibilité de pouvoir discuter la responsabilité du présumé responsable en son absence aurait conduit à considérer que les intérêts du tiers lésé n'ont pas la priorité, alors même que c'était cet argument qui avait présidé à la reconnaissance de l'action directe par la Cour de cassation.
(1) Cass. civ., 13 décembre 1938, DP 1939, 1, 33, note M. Picard.
(2) Voir, not., Cass. civ. 1, 11 octobre 1994, n° 92-15.347, Société Lilloise d'assurances et de réassurances c/ Caisse nationale de prévoyance de la SNCF et autres (N° Lexbase : A7009AB9), RGAT 1994, p. 1212, note J. Beauchard.
(3) Cass. civ. 1, 29 février 2000, n° 97-11.811, Compagnie Eagle Star c/ Mme Amina X, ès qualités de représentant légal des biens de son fils (N° Lexbase : A5145AWH), RDimm. 2000, p. 363, obs. G. Durry, RGDA 2000, p. 581, obs. J. Kullmann, Resp. civ. et assur. 2000, n° 12, chr. H. Groutel ; Cass. civ. 1, 7 novembre 2000, n° 97-22.582, Société Thomson CSF c/ Compagnie Préservatrice Foncière assurances et autre (N° Lexbase : A7747AHE), JCP éd. G, 2001, II, 10456, note J. Bigot.
(4) Cass. civ. 3, 15 mai 2002, n° 00-18.541, Société Gestion immobilière Rhône-Alpes Geira c/ Syndicat des copropriétaires de l'ensemble immobilier Les Hameaux de Val-d'Isère, FS-P+B (N° Lexbase : A6580AYD), Bull. civ. III, n° 98.
(5) G. Courtieu, La mise en cause de l'assuré pour l'exercice de l'action directe : un archaïsme, Resp. civ. et assur. 1995, Chron. 14.
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Réf. : Cass. civ. 3, 10 octobre 2007, n° 06-16.223, M. Marc René Boursin, FS-P+B (N° Lexbase : A7345DYP)
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par Marine Parmentier, Avocat à la cour d'appel de Paris
Le 07 Octobre 2010
Le prêt n'ayant pas été obtenu, les vendeurs ont assigné les acquéreurs et l'agent immobilier pour voir constater et juger que les acquéreurs étaient responsables de la défaillance de la condition et que l'acompte serait conservé en réparation du préjudice subi par les vendeurs du fait de la non réalisation de la vente.
L'agent immobilier a, par ailleurs, sollicité la condamnation des acquéreurs à lui payer des dommages-intérêts.
Le premier moyen du pourvoi concernait le litige opposant les vendeurs aux acquéreurs. Les acquéreurs, pour ne pas dédommager les vendeurs, critiquaient le fait que la lettre recommandée, qui devait leur être envoyée conformément à l'article L. 271-1 du Code de la construction et de l'habitation (N° Lexbase : L1988HPC), ne comportait pas un rappel des termes de l'article L. 271-1 précité. Selon eux, le seul fait que le compromis, annexé au courrier recommandé, fasse référence aux dispositions en question, ne suffirait pas à protéger l'acquéreur et à l'informer pleinement de sa capacité de rétractation.
Ce moyen est rejeté par la Cour de cassation qui rappelle que la promesse de vente comportait un paragraphe complet mentionnant expressément les conditions et les délais de rétractation bénéficiant aux acquéreurs, que cet acte leur avait été adressé dans les délais légaux (sept jours) et qu'il était accompagné d'une lettre en recommandé avec demande d'avis de réception leur rappelant leur faculté de rétractation.
Le second moyen du pourvoi a trait à la responsabilité délictuelle des acquéreurs à l'égard de l'agent immobilier. Pour s'opposer à l'indemnisation de l'agent immobilier, les acquéreurs soutenaient qu'aucune somme d'argent n'est due, à quelque titre que ce soit, à l'agent immobilier avant que l'opération pour laquelle il a reçu un mandat écrit ait été effectivement conclue et constatée dans un seul acte contenant l'engagement des parties.
Selon eux, lorsque l'engagement des parties contient une clause de dédit ou une condition suspensive, l'opération ne peut être regardée comme effectivement conclue, pour l'application du troisième alinéa de l'article 6 de la loi du 2 janvier 1970 (N° Lexbase : L7548AIE), s'il y a dédit, ou tant que la faculté de dédit subsiste, ou tant que la condition suspensive n'est pas réalisée.
Les acquéreurs tentaient de faire application d'une jurisprudence devenue classique en matière de rémunération de l'agent immobilier (voir, notamment, Cass. civ. 3, 19 mai 1999, n° 97-14.529, Mme Zanetta c/ Epoux Jolly et autres N° Lexbase : A5180AWR, Bull. civ. III, n° 120). En application de cette jurisprudence, à défaut de réalisation effective de l'opération, et même en présence d'une faute de son mandant, aucune rémunération ne peut être versée à quelque titre que ce soit à l'agent immobilier.
Or, en invoquant cette solution, les acquéreurs ont confondu le droit à rémunération de l'agent immobilier (droit découlant du mandat conclu entre l'agent immobilier et le vendeur ou l'acquéreur) encadré par les dispositions de la loi "Hoguet" et son droit à indemnisation sur le fondement de l'article 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ) lorsque la responsabilité délictuelle du vendeur ou de l'acquéreur -donc de celui qui ne l'aura pas mandaté- est engagée à son égard (ce qui suppose que soit rapportée la preuve de l'existence d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité).
En l'espèce, l'agent immobilier ne demandait pas le paiement de sa commission (laquelle n'aurait pu être demandée qu'aux vendeurs qui étaient ses mandants), mais la condamnation des acquéreurs à des dommages intérêts en réparation du préjudice subi.
C'est ce que souligne l'arrêt commenté. La Cour de cassation rappelle que l'immeuble a été finalement vendu à d'autres acquéreurs par l'intermédiaire d'une autre agence immobilière et que l'agent immobilier a été privé de la réalisation de la vente par la faute des acquéreurs.
En conséquence, la cour d'appel, qui ne s'est pas fondée sur les dispositions de la loi du 2 janvier 1970, a pu en déduire que les acquéreurs devaient être condamnés à des dommages-intérêts dont elle a souverainement fixé le montant.
Cette solution fait une exacte application des principes encadrant les règles de responsabilité civile délictuelle. Elle n'est donc pas en rupture avec la jurisprudence classique régissant le droit à commission de l'agent immobilier due en application du mandat.
La solution aurait pu être différente si les acquéreurs avaient été les mandants de l'agent immobilier...
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Réf. : CJCE, 11 octobre 2007, aff. C-451/05, Européenne et Luxembourgeoise d'investissements SA (ELISA) c/ Directeur général des impôts (N° Lexbase : A7180DYL)
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par Frédéric Dieu, Commissaire du Gouvernement près le tribunal administratif de Nice (1ère ch.)
Le 07 Octobre 2010
En bref, la taxe de 3 % sur la valeur vénale des immeubles possédés par certaines personnes morales constitue une restriction à la libre circulation des capitaux en ce qu'elle a en particulier pour effet de dissuader certaines de ces personnes d'effectuer des investissements immobiliers en France. Or, selon la Cour, cette restriction n'est pas justifiée par l'objectif de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales assigné à cette taxe dans la mesure où elle ne permet nullement aux personnes morales en cause de combattre la présomption de fraude qui leur est appliquée en fournissant à l'administration fiscale française les informations que celle-ci demande aux autres personnes morales.
Cette décision de la CJCE, qui était certes attendue, risque ce faisant de vider de sa substance le dispositif de la taxe de 3 % sur la valeur vénale des immeubles en permettant à la plupart des personnes morales établies dans un Etat membre de l'Union de revendiquer avec succès leur exonération. Cette imposition devrait, donc, désormais n'être plus que résiduelle et concerner les personnes morales "communautaires" n'ayant pas fourni les informations demandées et les personnes morales "non communautaires" établies dans un pays qui n'est pas lié à la France par une convention d'assistance administrative ou une convention comportant une clause d'égalité de traitement (encore appelée clause de non-discrimination).
I. Le dispositif de la taxe de 3 % sur la valeur vénale des immeubles est intrinsèquement discriminatoire
A. Origines et champ d'application d'un dispositif qui souffre de nombreuses exonérations
1) Origines et champ d'application de la taxe sur la valeur vénale des immeubles
a. L'histoire mouvementée de la taxe sur la valeur vénale des immeubles
La taxe sur la valeur vénale des immeubles est issue de la loi de finances pour 1983 (loi n° 82-1126 du 29 décembre 1982, art. 4 N° Lexbase : L1095G83, JO 30 décembre 1982). Dans un souci de pénaliser les montages mis en place afin d'éviter l'assujettissement à l'impôt sur les grandes fortunes (IGF) au titre de la détention d'immeubles situés en France, en interposant une personne morale dont le siège était à l'étranger, l'article 4 de la loi, issu d'un amendement de la Commission des finances de l'Assemblée nationale, a prévu l'assujettissement, à la taxe présentée ci-dessus, des personnes morales ayant leur siège hors de France et possédant, directement ou par personne interposée, un ou plusieurs immeubles situés en France, ou titulaires de droits réels portant sur ces immeubles. Ce dispositif, codifié aux articles 990 D (N° Lexbase : L9272HLY) à 990 G du CGI, a été aménagé à deux reprises par le législateur à la suite de décisions de la Cour de cassation.
En raison du dernier aménagement opéré par le Parlement, qui a pris effet au 1er janvier 1993, le fait que la personne morale ait son siège en France ou à l'étranger est devenu indifférent pour apprécier si celle-ci doit, ou non, être soumise à la taxe. Aux termes de l'article 990 D, premier alinéa du CGI, "les personnes morales qui, directement ou par personne interposée, possèdent un ou plusieurs immeubles situés en France ou sont titulaires de droits réels portant sur ces biens", sont redevables de la taxe annuelle de 3 % (2).
La réforme de 1993 a, donc, essentiellement consisté à étendre le champ d'application du dispositif aux sociétés françaises, afin de faire échec à la jurisprudence de la Cour de cassation, qui le considérait comme discriminatoire dans la mesure où il ne visait que les sociétés étrangères. Toutefois, corrélativement à l'extension du champ d'application de la taxe aux sociétés françaises, la loi de finances pour 1993 a élargi les cas d'exonération, de telle sorte que, dans la pratique, les sociétés françaises ne sont normalement pas concernées par cette taxe. De manière globale, la taxe de 3 % ne s'applique, en simplifiant, qu'aux sociétés situées dans des pays n'ayant pas conclu avec la France de convention fiscale, ou bien aux sociétés pour lesquelles l'anonymat des associés est préservé (3).
L'esprit du dispositif est cependant resté identique : il s'agit pour l'administration fiscale de dissuader l'acquisition de biens ou de droits immobiliers situés en France, par l'interposition de personnes morales qui sont des sociétés de façade établies, notamment, dans des paradis fiscaux (4). Dans une telle hypothèse, il est, en effet, quasiment impossible à l'administration fiscale de connaître l'identité des associés afin de les soumettre soit à l'impôt de solidarité sur la fortune, soit aux droits de mutation dus lors de la cession de droits sociaux, à titre gratuit ou onéreux. Les autorités fiscales françaises se heurtent, en effet, à des difficultés lorsqu'elles vérifient par recoupement les déclarations remplies par les personnes morales concernant, en particulier, l'identité et les participations de leurs actionnaires et les déclarations à l'impôt sur la fortune des personnes physiques résidant en France, qui sont tenues de déclarer toutes les participations qu'elles détiennent dans des sociétés établies en France ou à l'étranger, telles que les holdings 1929 (holdings relevant de la loi du 31 juillet 1929, sur le régime fiscal des sociétés de participations). Dans ces circonstances, des personnes physiques peuvent réussir à se dissimuler derrière des personnes morales pour éviter de payer l'impôt sur la fortune qu'elles devraient normalement acquitter sur leurs immeubles si elles les détenaient en leur nom propre. Pour cette raison, "la taxe de 3 % agit comme un substitut forfaitaire à ces impôts, ainsi qu'à l'impôt sur les plus-values éventuellement réalisées lors de la cession des titres" (B. Gouthière).
b) Le champ d'application et les modalités d'imposition de la taxe sur la valeur vénale des immeubles en font un impôt assimilable à l'impôt sur la fortune
La taxe sur la valeur vénale des immeubles, au taux de 3 %, s'applique, aujourd'hui, aux "personnes morales qui, directement ou par personne interposée, possèdent un ou plusieurs immeubles situés en France ou sont titulaires de droits réels portant sur ces biens" (CGI, art. 990 D). Ajoutons que la durée de l'action de reprise de l'administration peut être de dix ans et que le législateur a instauré un mécanisme de solidarité entre le redevable de la taxe et toutes les personnes morales interposées, y compris la personne morale directement détentrice des immeubles ou droits immobiliers.
La taxe concerne, ainsi, les personnes qui possèdent directement ou par personnes interposées des immeubles situés en France ou des droits réels sur de tels immeubles.
Le deuxième alinéa de l'article 990 D précise qu'est réputée posséder des biens ou droits immobiliers en France par personne interposée, et donc entrer dans le champ d'application de la taxe de 3 %, toute personne morale qui détient une participation, quelles qu'en soient la forme et la quotité, dans une personne morale qui est propriétaire d'immeubles situés en France ou de droits réels portant sur de tels immeubles ou détentrice d'une participation dans une troisième personne morale, qui est elle-même soit propriétaire d'immeubles ou de droits immobiliers, soit interposée dans la chaîne des participations. Ces dispositions sont applicables quel que soit le nombre de personnes morales interposées.
Au regard de ses origines comme de son champ d'application, la taxe sur la valeur vénale des immeubles est étroitement liée à l'impôt de solidarité sur la fortune. En effet, la taxe litigieuse a été introduite dans le but de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales en matière d'impôt sur les grandes fortunes puis d'impôt de solidarité sur la fortune. Elle vise à inciter les personnes morales qui possèdent des immeubles en France ou sont titulaires d'autres droits réels sur ces biens, mais qui n'ont pas leur domicile fiscal en France, à fournir des informations relatives à l'identité de leurs actionnaires et, par ce moyen, à dissuader les personnes physiques de se dissimuler derrière ces personnes morales pour échapper à l'impôt de solidarité sur la fortune. L'existence de l'impôt de solidarité sur la fortune et la volonté d'assurer sa perception correcte et complète sont ainsi la raison d'être de la taxe litigieuse. Dans ses conclusions sous l'arrêt du 11 octobre 2007, l'avocat général J. Mazak précisait ainsi que la taxe sur la valeur vénale des immeubles pouvait "être considérée, en fait, comme une sorte de compensation forfaitaire pour les recettes perdues par l'Etat français en matière d'impôt de solidarité sur la fortune du fait de la fraude et de l'évasion fiscales", l'Etat français, en percevant la taxe litigieuse, compensant "dans une certaine mesure, la perte subie en matière d'impôt de solidarité sur la fortune" et espérant, "par ce moyen, dissuader les personnes physiques de mettre en oeuvre des stratégies de fraude et d'évasion fiscales". Surtout, de manière beaucoup plus concrète, la taxe en cause frappe un élément du patrimoine des personnes morales disposant d'immeubles en France et elle constitue, donc, une taxe perçue sur un élément de la fortune, à savoir les actifs immobiliers (5). Or, un impôt sur le capital ou sur la fortune frappe précisément la simple détention d'un ou plusieurs biens (6).
Rien d'étonnant, donc, à ce que dans son arrêt du 12 octobre 2007, la CJCE ait considéré que la taxe sur la valeur vénale des immeubles constituait une "taxe perçue sur des éléments de la fortune" au sens de l'article 1er § 2 de la Directive 77/799 (7) (N° Lexbase : L9296AUT) et donc une taxe de nature analogue à celle des impôts visés au § 3 du même article (8) (point n° 37 de l'arrêt).
2) Un dispositif qui comprend de nombreuses exonérations
Si certaines inconnues subsistent quant à la détermination du champ d'application de la taxe (9), les contentieux la concernant se concentrent, aujourd'hui, autour de ses modalités d'exonération.
Les dispositions de l'article 990 E du CGI (N° Lexbase : L5508HWW) prévoient, en effet, que la taxe n'est pas applicable aux personnes morales dont le siège est situé dans un pays ou territoire ayant conclu avec la France une convention fiscale comportant une clause d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales (CGI, art. 990 E, 2°) et aux personnes morales qui ont leur siège de direction effective en France ou qui, en vertu d'un Traité, doivent bénéficier du même traitement que les personnes morales ayant leur siège en France (CGI, art. 990 E, 3°).
Les personnes morales dont le siège est situé dans un pays ou territoire ayant conclu avec la France une convention fiscale comportant une clause d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales (art. 990 E, 2°), dès lors qu'elles souhaitent bénéficier de l'exonération subordonnée à l'existence d'une convention fiscale comportant une clause d'assistance administrative, doivent fournir annuellement à l'administration fiscale une liste de renseignements dont, notamment, certaines informations relatives aux biens immobiliers possédés en France et aux modalités de répartition du capital social (10). Cette déclaration doit être souscrite sans erreur ou omission par toute personne morale, maillon de l'éventuelle chaîne de participations (11).
Quant aux sociétés qui veulent bénéficier de l'exonération subordonnée à l'existence d'une clause de non-discrimination, elles doivent soit communiquer chaque année à l'administration certains renseignements similaires à ceux susmentionnés, soit s'engager à procéder à une telle communication à la demande de l'administration fiscale (12). Cet engagement doit être souscrit dans les deux mois de la date d'acquisition des biens immobiliers.
Or, alors qu'une société ayant en France son siège de direction effective est exonérée de cette taxe, les personnes morales étrangères sont dans une situation moins favorable. Au regard de ces conditions d'exonération, de nombreuses sociétés implantées au sein de l'Union européenne ont initié des contentieux fondés sur les dispositions du droit communautaire protégeant la liberté d'établissement et la liberté de circulation des capitaux. La Chambre commerciale de la Cour de cassation a, en particulier, posé à la CJCE la question de savoir si le mécanisme qui subordonne l'exonération de la taxe de 3 % à des conditions différentes selon que la personne morale a son siège de direction effective en France ou dans un autre pays de la Communauté était compatible avec le droit communautaire (13).
B. Le caractère discriminatoire du dispositif de la taxe de 3 % au regard du droit communautaire
1) Un dispositif discriminatoire dans son principe même
Ce survol rapide du dispositif de la taxe de 3 % sur la valeur vénale des immeubles possédés par certaines personnes morales met immédiatement en relief le caractère potentiellement discriminatoire qui peut être le sien dans certaines circonstances. En effet, alors que dans la pratique les sociétés françaises ne sont, normalement, pas concernées par la taxe de 3 % sur la valeur vénale de ces immeubles (sous réserve des conditions tenant à l'anonymat des associés), les sociétés étrangères placées au regard de la disposition des biens ou droits immobiliers en cause, dans la même situation que les sociétés françaises exonérées, n'échapperont à la taxe, pour autant que leur Etat de siège soit lié à la France par une convention fiscale. L'exonération de la taxe de 3 % au bénéfice des sociétés étrangères ainsi conditionnée par le lieu de situation du siège de ces sociétés, selon que celui-ci permet ou non d'invoquer utilement une convention fiscale, repose directement sur le critère du siège social, et présente de ce fait un caractère potentiellement discriminatoire. Or, dès lors qu'une société étrangère placée dans la même situation qu'une société française exonérée ou qu'une autre société communautaire bénéficiant des effets d'une convention fiscale, et ne pouvant invoquer utilement le bénéfice d'une convention pour échapper à la taxe, est une société communautaire, il en résulte nécessairement une atteinte au principe communautaire de non-discrimination.
Précisons, à cet égard, que l'existence d'une identité de situation et, donc, d'une discrimination potentielle doit être appréciée, en matière fiscale, au regard du fait générateur de l'impôt. Or, le fait générateur est considéré comme la seule détention par la société en cause, fût-ce par interposition d'une autre personne morale mais non d'une personne physique, d'immeubles situés en France au 1er janvier de l'année d'imposition.
Malgré la réforme intervenue en 1993, qui place les sociétés françaises dans le champ d'application de la taxe de 3 %, seules les personnes morales qui ont leur siège hors de France sont effectivement concernées par cette imposition. En effet, il suffit, pour les personnes morales dont le siège est situé en France, de déposer chaque année une déclaration n° 2746, ou de prendre l'engagement de communiquer à l'administration, sur sa demande, les renseignements contenus dans cette déclaration afin d'échapper à la taxe. Pour les personnes morales dont le siège est situé à l'étranger, la communication de ces renseignements est insuffisante, puisque le bénéfice de l'exonération nécessite, en outre, que l'Etat du siège soit lié à la France par une convention fiscale comportant soit une clause d'égalité de traitement (ou de non-discrimination), soit une clause d'assistance administrative : les personnes morales n'ayant pas leur siège de direction en France sont, ainsi, soumises à une condition supplémentaire, à savoir l'existence d'une convention conclue entre la France et leur Etat de rattachement. Les sociétés étrangères, et notamment communautaires, se trouvent ainsi potentiellement placées dans une situation moins favorable que les sociétés françaises ou les autres sociétés communautaires bénéficiant d'une convention fiscale, malgré l'identité de leur situation au regard du fait générateur de la taxe : la possession d'un immeuble ou de droits immobiliers en France au 1er janvier de l'année considérée.
Dans son arrêt du 11 octobre 2007, la CJCE relève, ainsi, qu'à défaut d'une convention d'assistance administrative ou d'une convention comportant une clause de non-discrimination, "une personne morale qui n'a pas son siège de direction en France se trouve privée de la possibilité de demander utilement l'exonération de la taxe litigieuse en vertu des articles 990 D et 990 E, points 2 et 3, du CGI. Or, compte tenu du fait qu'il appartient aux seuls Etats concernés de décider de s'engager par voie conventionnelle, il s'avère que la condition liée à l'existence d'une convention d'assistance administrative ou d'un Traité est susceptible d'entraîner de facto, pour cette catégorie de personnes morales, un régime permanent de non-exonération de la taxe litigieuse" (point n° 76). En d'autres termes, contrairement aux personnes morales "communautaires" dont l'Etat de rattachement est lié à la France par une convention d'assistance administrative ou une convention fiscale comportant une clause de non-discrimination et qui, donc, peuvent justifier de l'inapplicabilité de la taxe à leur situation, les personnes morales "communautaires" dont l'Etat de rattachement n'est pas lié à la France par l'une ou l'autre de ces conventions ne peuvent jamais justifier de l'inapplicabilité de la taxe à leur situation : au contraire, l'applicabilité de la taxe est en quelque sorte présumée (il y a une présomption d'imposabilité) et l'imposition est systématique. L'on se trouve, ainsi, face à une situation dans laquelle le contribuable n'a aucun moyen pour faire valoir ses droits et pour, en particulier, apporter la preuve qu'il n'entre pas dans le champ d'application de l'impôt auquel l'administration veut le soumettre. La seule différence est qu'ici le contribuable n'est pas de la même nationalité que l'administration fiscale et qu'une relation inter-étatique s'interpose, fait écran, entre lui et cette administration.
2) Un dispositif discriminatoire en l'espèce
Dans l'affaire jugée par la CJCE, la société Européenne et Luxembourgeoise d'investissements (Elisa) était une société holding de droit luxembourgeois, relevant de la loi du 31 juillet 1929 sur le régime fiscal des sociétés de participations (14). La société possédait indirectement des immeubles sur le territoire français et était donc soumise aux dispositions de l'article 990 D du CGI imposant une taxe sur la valeur vénale des immeubles possédés en France par des personnes morales. La société Elisa n'avait pas acquitté les taxes correspondantes et l'administration des impôts avait procédé à leur recouvrement. Sa réclamation ayant été rejetée, Elisa avait fait assigner le directeur général des impôts devant le tribunal de grande instance de Paris afin d'obtenir la décharge des taxes litigieuses. Le TGI avait, toutefois, refusé de faire droit à sa demande.
Une société holding luxembourgeoise de la loi de 1929 ne peut, en effet, au regard des dispositions conventionnelles bilatérales entre la France et le Luxembourg, bénéficier ni de l'exonération prévue au 2° de l'article 990 E du CGI, ni de celle figurant au 3° de cet article. Il en est ainsi, s'agissant de l'article 990 E-2°, car une telle société est exclue du champ de la convention fiscale France-Luxembourg du 1er avril 1958 (N° Lexbase : L6716BH9) complétée par un échange de lettres du 8 septembre 1970 entre les Gouvernements des deux Etats (15). En ce qui concerne, par ailleurs, l'article 990 E-3°, l'exonération qu'il prévoit n'est pas applicable aux sociétés luxembourgeoises, car la convention fiscale entre les deux Etats ne contient pas de clause de non-discrimination selon la nationalité. Cette exclusion a été confirmée par la cour d'appel de Paris, qui a également jugé que les articles 990 D et suivants du CGI ne sont pas contraires à l'article 43 du Traité CE , relatif à la liberté d'établissement (16).
Dans son application aux sociétés du Luxembourg, le dispositif de l'article 990 E du CGI n'est donc pas conforme au droit communautaire puisque, alors même que ces sociétés se trouvent dans une situation identique à celle des sociétés françaises ou des sociétés "communautaires" dont l'Etat de rattachement a conclu avec la France une convention d'assistance administrative ou une convention fiscale comportant une clause de non-discrimination, le caractère identique de cette situation étant apprécié au regard du fait générateur de l'impôt qui est la détention d'immeubles situés en France au 1er janvier de l'année d'imposition, les sociétés luxembourgeoises ne peuvent échapper à l'impôt en produisant les renseignements exigés des sociétés françaises ou des sociétés "communautaires" dont l'Etat de rattachement a conclu avec la France une convention d'assistance administrative ou une convention fiscale comportant une clause de non-discrimination.
La CJCE en conclut, ainsi, que "les exigences prévues par la réglementation nationale en cause au principal pour bénéficier de l'exonération de la taxe litigieuse rendent l'investissement immobilier en France moins attrayant pour les sociétés non-résidentes, telles que les sociétés holding de droit luxembourgeois" (point n° 77).
II. Un dispositif contraire au principe de liberté de circulation des capitaux et disproportionné au regard du but en vue duquel il a été élaboré
A. Le dispositif de la taxe de 3 % sur la valeur vénale des immeubles, s'il n'est pas contraire au principe de liberté d'établissement, méconnaît le principe de liberté de circulation des capitaux
1) L'absence de contrariété au principe de liberté d'établissement
Définie à l'article 43 (ex-52), "disposition fondamentale du Traité", la liberté d'établissement emporte pour les ressortissants d'un Etat membre, sur le territoire d'un autre Etat membre "l'accès aux activités non salariées et leur exercice, ainsi que la constitution et la gestion d'entreprises dans les conditions définies par la législation du pays d'établissement pour ses propres ressortissants". L'article précise que "la suppression des restrictions à la liberté d'établissement s'entend aux restrictions à la création d'agences, de succursales ou de filiales par les ressortissants d'un Etat membre établis sur le territoire d'un autre Etat membre" : selon la jurisprudence communautaire, constituent une discrimination incompatible avec le Traité des avantages fiscaux prévus en matière d'impôts sur les sociétés et sur la fortune au profit des sociétés résidentes d'un Etat membre par la législation nationale ou les conventions fiscales entre cet Etat membre et des Etats tiers, et non étendus aux établissements stables dans cet Etat membre de sociétés résidentes des autres Etats membres (17). Dans un arrêt du 27 juillet 2005 (18), le Conseil d'Etat a cependant jugé que les dispositions de l'article 52 du Traité CE (devenu, après modification, article 43 CE), qui posent le principe de la liberté d'établissement des ressortissants d'un Etat membre dans un autre Etat membre, n'étaient pas applicables à des impositions ne relevant pas de l'exercice d'une activité non salariée ou de la gestion d'une entreprise.
Le principe de liberté d'établissement peut-il être utilement invoqué par les sociétés communautaires ayant leur siège social dans des Etats n'ayant pas conclu avec la France une convention d'assistance administrative ou une convention fiscale comportant une clause de non-discrimination afin de faire obstacle à l'application à leur encontre des dispositions de l'article 990 D du CGI ? A cette question, la cour d'appel de Paris a répondu par la négative dès 2002 en relevant que, dans la mesure où le Traité instituant la Communauté européenne garantissait la liberté d'établissement des ressortissants d'un Etat sur le territoire d'un autre Etat, une société qui n'avait pas son siège social (au sens de direction effective, bien entendu) en France mais au Luxembourg ne pouvait se prévaloir d'une violation de la liberté d'établissement par les articles 990 D et suivants du CGI (19).
Ce raisonnement n'a pas été véritablement confirmé par la CJCE dans l'arrêt du 11 octobre 2007. En effet, même si la notion d'établissement, au sens du Traité, est une notion très large et implique, notamment, la possibilité pour un ressortissant communautaire de participer, de façon stable et continue, à la vie économique d'un Etat membre autre que son Etat d'origine, et d'en tirer profit (20), il n'en reste pas moins que, pour que les dispositions relatives au droit d'établissement puissent s'appliquer, il est en principe nécessaire qu'une présence permanente dans l'Etat membre d'accueil soit assurée et, en cas d'acquisition et de possession des biens immobiliers, que la gestion de ces biens soit active (21).
Or, dans l'arrêt du 11 octobre 2007, la CJCE a relevé que si la société requérante au principal possédait des biens immobiliers en France, rien ne permettait d'établir qu'elle possédait ces biens "dans le cadre de l'exercice de ses activités ou encore qu'elle gér[ait] elle-même son patrimoine immobilier" (point n° 65). C'est dire qu'une société communautaire ayant son siège social dans un Etat n'ayant pas conclu avec la France une convention d'assistance administrative ou une convention fiscale comportant une clause de non-discrimination et gérant elle-même son patrimoine immobilier pourrait invoquer utilement la violation de la liberté d'établissement afin de faire obstacle à l'application à son encontre des dispositions de l'article 990 D du CGI. L'on voit, donc, que le principe de liberté d'établissement n'est pas, en principe, inapplicable aux personnes morales assujetties à la taxe de 3 % sur la valeur vénale des immeubles. La CJCE a, ainsi, pu juger que le droit d'acquérir, d'exploiter et d'aliéner des biens immobiliers sur le territoire d'un autre Etat membre constituait le complément nécessaire de la liberté d'établissement (22).
Pour autant, c'est bien en se plaçant sur le terrain de la liberté de circulation des capitaux que les sociétés en cause pourront échapper à cette taxe ou, du moins, auront la possibilité de faire valoir leurs arguments devant l'administration fiscale française.
2) La contrariété au principe de liberté de circulation des capitaux
Le principe de libre circulation des capitaux tel qu'il est issu de l'actuel article 56-1 CE (23) concerne, désormais, non seulement les mouvements de capitaux entre Etats membres mais aussi les mouvements de capitaux entre Etats membres et pays tiers. En cela, cet article présente une différence essentielle par rapport aux articles 3 § c et 7 A § 2 du Traité qui ne concernent que les mouvements de capitaux entre Etats membres (24). Or, si le Traité ne définit pas les notions de mouvements de capitaux et de paiements, il est constant que la Directive 88/361 du 24 juin 1988 (N° Lexbase : L9795AUC), ensemble avec la nomenclature qui lui est annexée, a une valeur indicative pour définir la notion de mouvements de capitaux (25).
Il ressort en particulier du point II A de cette annexe que constituent des mouvements de capitaux "les investissements immobiliers effectués sur le territoire national par des non-résidents". A cet égard, les notes explicatives figurant dans la Directive définissent les investissements immobiliers comme "les achats de propriétés bâties et non bâties par des personnes privées à des fins lucratives ou personnelles".
Ainsi, la CJCE a confronté le principe de libre circulation des capitaux aux investissements immobiliers consistant en l'acquisition d'habitations secondaires dans les Etats membres (26). Nous pouvons, donc, en conclure que les mesures ayant pour effet de dissuader certaines catégories de personnes morales communautaires d'acquérir un bien immobilier dans un Etat membre de l'UE sont, dans la mesure où elles ne s'appliquent pas à d'autres personnes morales communautaires d'une nationalité différente mais placées dans la même situation (au regard du fait générateur de l'impôt : détention d'immeubles en France au 1er janvier de l'année d'imposition), sont donc contraires au principe de libre circulation des capitaux issu des stipulations de l'article 56-1 CE.
En l'espèce, la CJCE, après avoir relevé que la société Elisa, en tant que société holding de droit luxembourgeois, avait procédé à des achats de biens immeubles en France, a considéré "qu'un tel investissement transfrontalier constitu[ait] un mouvement de capitaux au sens de ladite nomenclature" (27). Or, il est bien évident que la soumission à la taxe de 3 % est de nature à dissuader la personne morale ayant son siège social dans un Etat n'ayant pas conclu avec la France une convention d'assistance administrative ou une convention fiscale comportant une clause de non-discrimination d'effectuer un investissement immobilier en France alors même que cette dissuasion n'existe pas pour les personnes morales ayant leur siège dans un Etat ayant conclu avec la France une convention d'assistance administrative ou une convention fiscale comportant une clause de non-discrimination. Le dispositif des articles 990 D et suivants du CGI méconnaît, ainsi, le principe de liberté de circulation des capitaux.
B. Un dispositif disproportionné au regard du but en vue duquel il a été élaboré
1) L'objectif de la Directive 77/799 et ses rapports avec les conventions d'assistance administrative bilatérales
La Directive 77/799 a été adoptée pour lutter contre la fraude et l'évasion fiscales. Elle établit un mécanisme de coopération renforcée entre les administrations fiscales des Etats membres et facilite l'échange d'informations qui peuvent être utiles pour l'établissement correct des impôts sur le revenu et sur la fortune. Ce faisant, elle vise à garantir l'existence d'un niveau minimal d'harmonisation quant à l'assistance et à la coopération administratives entre tous les Etats membres.
Les dispositions de l'article 11 de la Directive, relatives aux rapports entre celle-ci et les autres instruments juridiques prévoyant des "obligations plus larges quant à l'échange d'informations", ont en particulier pour objet de clarifier les effets juridiques des conventions bilatérales ayant le même objet que la Directive. La Directive 77/799 s'est en effet ajoutée à un réseau de conventions bilatérales (ou multilatérales) déjà existantes prévoyant une coopération administrative dans le domaine fiscal et elle n'avait pas pour objectif de limiter des obligations ou des possibilités existantes en matière d'assistance mutuelle mais au contraire de créer de telles obligations ou possibilités (28).
Les dispositions de l'article 11 de la Directive 77/799 permettent, ainsi, aux Etats membres de maintenir ou de conclure des accords bilatéraux ayant le même objet que la Directive et, donc, de maintenir ou d'établir une forme de coopération allant au-delà de celle prévue par la Directive. Une convention fiscale bilatérale ne peut, donc, s'appliquer que si elle comporte, quant à l'échange d'informations, des obligations plus larges que celles imposées par la Directive. Le principe selon lequel une convention fiscale bilatérale ne peut être appliquée que dans la mesure où elle ne limite en aucune manière l'applicabilité de la Directive 77/799, y compris son application aux holdings 1929, est confirmée par la jurisprudence de la Cour, selon laquelle les Etats membres ne peuvent exciper d'une convention fiscale bilatérale aux fins d'échapper aux obligations qui leur incombent en vertu du Traité (29). Il ne serait, donc, pas possible, par exemple, d'exclure certains contribuables du champ d'application de la Directive par application d'une convention fiscale bilatérale.
Dans l'affaire jugée par la CJCE le 11 octobre 2007, les stipulations de l'article 22 § 1 de la convention du 1er avril 1958 conclue entre la France et le Luxembourg prévoyaient que les autorités administratives des deux Etats concernés pouvaient soit d'office, soit sur demande, échanger, sous condition de réciprocité, les renseignements que les législations fiscales nationales permettaient d'obtenir dans le cadre de la pratique administrative normale pour une application régulière de cette convention. Cet échange de renseignements ne concernait cependant pas les sociétés holding de droit luxembourgeois. Les stipulations en cause ne pouvaient, donc, être considérées, en ce qui concernait les holdings 1929, comme imposant une obligation plus large que les dispositions de la Directive, dont le champ d'application ne comportait pas de telles exclusions. Conformément aux principes gouvernant les rapports entre la Directive et les conventions bilatérales tels qu'il figurent à l'article 11 de celle-ci, les stipulations de la convention franco-luxembourgeoise, qui prévoyaient en principe une assistance administrative mais excluaient notamment les holdings 1929, ne pouvaient être applicables en l'espèce.
Pour autant, les dispositions de l'article 8 § 1 de la Directive 77/799 prévoient que cette dernière n'impose pas l'obligation de faire effectuer des recherches ou de transmettre des informations lorsque la législation ou la pratique administrative de l'Etat membre qui devrait fournir les informations n'autorisent l'autorité compétente ni à effectuer ces recherches ni à recueillir ou à utiliser ces informations pour les propres besoins de cet Etat. Dans un tel cas, en effet, il n'y a aucune asymétrie d'information entre l'Etat membre qui demande des renseignements et celui qui est censé les lui fournir et il est bien évident qu'un Etat membre ne peut demander à un autre Etat membre de lui fournir des renseignements dont il ne dispose pas pour la bonne et simple raison qu'il n'a pas à les recueillir. L'assistance administrative est ici vidée de son contenu et donc sans objet et la Directive 77/799 ne peut alors être méconnue puisqu'elle vise, non pas à obliger les Etats membres à recueillir et échanger des informations sur tous les contribuables, mais à les inciter à échanger les informations dont ils disposent sur tel ou tel contribuable. En d'autres termes, la Directive ne vise pas le recueil d'informations mais la transmission des informations disponibles.
Or, dans ses observations en défense, le Gouvernement français a pu faire valoir que la législation luxembourgeoise pertinente se bornait à exiger que les sociétés holding de droit luxembourgeois fournissent des informations au sujet de leur statut légal et prévoyait qu'aucun renseignement ne pouvait leur être demandé à des fins de taxation. La CJCE n'a pas remis en cause la pertinence de cet argument mais a confié sa vérification à la juridiction de renvoi. A supposer, donc, que l'argument avancé par le Gouvernement français soit pertinent, la situation des sociétés holding de droit luxembourgeois, pour ce qui est de l'assistance mutuelle des Etats membres dans le domaine des impôts directs et indirects, relèverait effectivement de l'article 8 § 1 de la Directive 77/799 (point n° 52 de l'arrêt). De même, les stipulations de la convention du 1er avril 1958, dont il résulte que les parties contractantes ont exclu du système d'informations prévu par cette convention les sociétés holding 1929, ne feraient que refléter l'état de la législation luxembourgeoise en la matière, de sorte que cette convention relèverait également, pour ce qui est de son champ d'application restreint, de l'article 8 § 1 de la Directive 77/799 (point n° 54 de l'arrêt).
Au total, la CJCE a ainsi dit pour droit que "la Directive 77/799 et, en particulier, son article 8, paragraphe 1, ne s'opposent pas à ce que deux Etats membres soient liés par une convention internationale, tendant à éviter les doubles impositions et à établir des règles d'assistance administrative réciproque en matière d'impôts sur le revenu et la fortune, qui exclut de son champ d'application, pour un Etat membre, une catégorie de contribuables soumis à un impôt relevant de ladite Directive, pour autant que la législation ou la pratique administrative de l'Etat membre devant fournir les informations n'autorisent pas l'autorité compétente à recueillir ou à utiliser ces informations pour les propres besoins dudit Etat membre, ce qu'il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier" (point n° 55 de l'arrêt).
2) Si la taxe sur la valeur vénale des immeubles constitue effectivement un dispositif destiné à lutter contre la fraude et l'évasion fiscales, ce dispositif est cependant excessivement contraignant et discriminatoire au regard de cet objectif
Parmi les raisons impérieuses d'intérêt public susceptibles de justifier une restriction à l'exercice de libertés fondamentales (30) figurent la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales (31) et l'efficacité des contrôles fiscaux (32). La fraude fiscale constitue une raison impérieuse d'intérêt général qui peut justifier une restriction à une liberté de circulation (33). Toutefois, la restriction en cause doit être appropriée à l'objectif poursuivi et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif visé (34). En ce qui concerne la taxe sur la valeur vénale des immeubles, ces justifications coïncident dans la mesure où ce dispositif vise à assurer la collecte des informations nécessaires à la perception de l'impôt sur la fortune et, par ce moyen, à lutter contre la fraude et l'évasion fiscales en ce qui concerne cette taxe.
Selon la Cour, un Etat membre ne peut appliquer que des mesures qui lui permettent de contrôler, de façon claire et précise, les contribuables soumis à une taxe donnée et le montant dû par eux (35). Plus généralement, une restriction à une liberté garantie par le Traité ne peut être justifiée sur la base de la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales que si la législation en question a pour objet spécifique d'exclure d'un avantage fiscal les montages purement artificiels ayant pour but de contourner la législation nationale (36).
Nous l'avons vu, il ne fait pas de doute que la taxe de 3 % sur la valeur vénale des immeubles a pour but de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales. La CJCE a, cependant, été amenée à examiner si ce dispositif n'était pas excessif et disproportionné par rapport au but en vue duquel il avait été élaboré et, donc, s'il n'existait pas d'autres moyens plus respectueux des libertés communautaires (et en particulier de la liberté de circulation des capitaux) susceptibles de remplir le même office et d'atteindre le même but. La question se posait également de savoir si la Directive 77/99 suffisait, en l'absence d'obligations d'échanges d'informations issues d'une convention fiscale bilatérale, à atteindre ce but et concrètement à permettre à l'administration fiscale française de disposer des renseignements nécessaires éviter toute élision de la taxe par une personne morale établie à l'étranger. La Cour a, de manière assez prévisible, apporté une réponse affirmative à cette question. En effet, elle avait déjà eu l'occasion de juger, au sujet d'Etats membres pratiquant le secret bancaire qui invoquaient l'inefficacité de la Directive, que l'impossibilité pour un Etat membre de solliciter la collaboration des autorités fiscales d'un autre Etat membre ne pouvait justifier le refus d'un avantage fiscal, ce même si les dispositions de l'article 8 de la Directive sont dépourvues de caractère contraignant en ce qu'elles n'obligent pas les autorités fiscales des Etats membres à collaborer lorsque leurs lois ou leurs pratiques administratives n'autorisent pas les autorités compétentes à effectuer des recherches ou à recueillir ou à utiliser des informations pour les propres besoins de ces Etats. La raison de cette sévérité est simple : selon la Cour, rien n'empêche les autorités fiscales concernées d'exiger de l'intéressé les preuves qu'elles jugent nécessaires et, le cas échéant, de refuser l'avantage fiscal, y compris une exonération, si ces preuves ne sont pas fournies (37).
Autrement dit, l'on ne peut pas, et l'on ne doit pas, exclure a priori la possibilité que le contribuable soit en mesure de fournir les pièces justificatives pertinentes permettant aux autorités fiscales de l'Etat membre d'imposition de vérifier, de façon claire et précise, qu'il ne tente pas d'éviter ou d'éluder le paiement de taxes (38). Ainsi, pour revenir au cas d'espèce, même si les autorités françaises ne pouvaient se fonder sur des stipulations d'une convention bilatérale franco-luxembourgeoise pour exiger des autorités luxembourgeoises la transmission d'informations relatives à la situation des holdings 1929, l'impossibilité de recueillir de tels renseignements sur ce fondement ne pouvait justifier le refus catégorique et systématique d'accorder un avantage fiscal pour les investissements effectués par des investisseurs provenant de cet Etat membre. En effet, lorsque des holdings 1929 sollicitent l'exonération de la taxe litigieuse, les autorités fiscales françaises ont toujours la possibilité de leur demander (à ces holdings) les éléments de preuve qu'elles estiment nécessaires pour assurer pleinement la transparence de leurs droits de propriété et de la structure de leur actionnariat (39). Les autorités françaises pourraient, par exemple, demander des preuves officielles appropriées pour percer le voile de l'anonymat derrière lequel certaines personnes physiques tentent de dissimuler leurs droits de propriété, étant précisé que les exigences relatives aux pièces justificatives demandées ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre le but d'information recherché (40).
Or, aucune des dispositions relatives à la taxe sur la valeur vénale des immeubles ne permet aux personnes morales qui sont exclues du champ d'application d'une convention fiscale prévoyant une assistance administrative et ne peuvent bénéficier d'une clause de non-discrimination, mais qui investissent dans des immeubles situés en France, de fournir des pièces justificatives pour établir l'identité de leurs actionnaires et toute autre information que les autorités fiscales françaises estiment nécessaires. Ces personnes morales se voient, donc, à une sorte de présomption de fraude qu'elles n'ont même pas la possibilité de combattre : en d'autres termes, il est fait obstacle, en toutes circonstances, à ce qu'elles prouvent qu'elles ne poursuivent pas un objectif frauduleux (point n° 99 de l'arrêt).
Ainsi, malgré l'engagement qui pourrait être pris par la société en cause de communiquer ces renseignements à l'administration fiscale française, l'exonération de la taxe de 3 % lui serait refusée au motif que l'Etat dont elle a la nationalité n'est pas liée à la France par une convention fiscale comportant une clause permettant d'invoquer le bénéfice de l'une des exonérations prévues aux articles 990-E 2° ou 3° du CGI. La condition de proportionnalité fait ici clairement défaut, puisque malgré la communication des renseignements permettant à l'administration fiscale d'assurer l'assujettissement des personnes concernées aux impôts auxquels la taxe de 3 % se substitue, l'exonération sera néanmoins refusée du seul fait de la localisation du siège de la société. Cette situation est d'autant plus absurde que la taxe de 3 % sera ici pleinement appliquée, alors même qu'il ressortirait des informations transmises spontanément par la société, que ses associées ne sont redevables d'aucune imposition en France.
Or, rien n'empêcherait les autorités fiscales concernées d'exiger du contribuable les preuves qu'elles jugent nécessaires pour l'établissement correct des impôts et taxes concernés et, le cas échéant, de refuser l'exonération demandée si ces preuves ne sont pas fournies (41). Ainsi, il ne saurait être exclu a priori que l'assujetti soit en mesure de fournir les pièces justificatives pertinentes permettant aux autorités fiscales de l'Etat membre d'imposition de vérifier, de façon claire et précise, qu'il ne tente pas d'éviter ou d'éluder le paiement de taxes (42) (point n° 96 de l'arrêt). Pour revenir au cas d'espèce, lorsque des sociétés holding de droit luxembourgeois sollicitent l'exonération de la taxe litigieuse, "les autorités fiscales françaises peuvent demander à ces sociétés de fournir les éléments de preuve qu'elles estiment nécessaires pour que soit pleinement assurée la transparence des droits de propriété et de la structure de l'actionnariat de ces dernières, et ce indépendamment de l'existence d'une convention d'assistance administrative ou d'un Traité prévoyant une clause de non-discrimination en matière fiscale" (point n° 98 de l'arrêt).
Selon la CJCE, il appartenait, donc, au Gouvernement français de prévoir une telle demande d'informations et, ce faisant, d'adopter des mesures moins restrictives pour atteindre l'objectif consistant à assurer des contrôles fiscaux efficaces et à lutter contre la fraude et l'évasion fiscales. La différence de traitement, prévue par la législation nationale en cause, entre les personnes morales résidentes et non résidentes n'est donc pas proportionnée à l'objectif poursuivi. Les dispositions de l'article 8 de la Directive 77/799 et leur interprétation par la jurisprudence la CJCE révèlent, ainsi, que les objectifs de lutte contre l'évasion fiscale et d'efficacité des contrôles fiscaux sont atteints par l'application de cette Directive même s'ils ne peuvent l'être par des stipulations de conventions bilatérales.
Conclusion
La solution retenue par la Cour de justice permettra, désormais, en principe d'obtenir le remboursement de la taxe de 3 %, dès lors que d'autres sociétés communautaires échappent à cette imposition au seul motif que leur siège est situé dans un Etat lié à la France par une convention fiscale comportant l'une des clauses visées aux articles 990-E, 2° et 3°.
Quel est, donc, l'avenir de cette taxe ? Il semble, d'abord, qu'à défaut d'une modification législative, l'administration fiscale française aura l'obligation d'adresser des demandes de renseignements à toutes les personnes morales détenant des immeubles en France mais étant rattachées à un Etat n'ayant pas conclu avec la France une convention d'assistance d'administration ou une convention comportant une clause de non-discrimination ou ayant conclu de telles conventions excluant les sociétés en cause de leur bénéfice. L'on pourrait, donc, imaginer que le législateur français modifie les dispositions des articles 990 E 2° et 3° afin de prévoir cet échange de renseignements (43).
Les personnes morales relevant d'un Etat n'ayant pas conclu avec la France une convention d'assistance d'administration ou une convention comportant une clause de non-discrimination devraient, donc, rentrer dans le droit commun du dispositif de la taxe vénale, ce qui signifie que c'est seulement lorsque ces personnes morales n'auront pas, ou pas totalement, satisfait à la demande d'informations qui leur aura été adressée par l'administration fiscale française (44) que cette dernière sera en droit, après leur avoir adressé une mise en demeure de le faire dans un délai de 30 jours, de les taxer d'office sur le fondement des dispositions de l'article L. 66-4° du LPF (N° Lexbase : L7601HEA).
Au contraire, si les personnes morales en cause satisfont à cette demande, elles seront exonérées de la taxe. Soulignons, toutefois, que ce nouveau dispositif, pour être conforme à la solution rendue par la CJCE, peut se borner à ne s'appliquer qu'aux personnes morales établies dans un Etat membre, à l'exclusion des personnes morales non communautaires. Autrement dit, la discrimination relevée et condamnée par la CJCE pourra continuer de frapper ces dernières. La vocation unificatrice d'une solution fondée sur le principe communautaire de non-discrimination et en particulier sur la non-discrimination en matière de libre circulation des capitaux trouvera, donc, ses limites puisqu'elle ne mettra pas fin à la discrimination dont sont potentiellement victimes les personnes morales non communautaires détenant des immeubles en France mais étant rattachées à un Etat n'ayant pas conclu avec la France une convention d'assistance d'administration ou une convention comportant une clause de non-discrimination. Ainsi, la suppression d'une discrimination entre personnes morales communautaires sera à l'origine d'une nouvelle discrimination entre ces personnes morales et les personnes morales établies dans des pays non membres de l'Union européenne. Il y aura, donc, un simple déplacement, à l'extérieur des frontières de l'Union, de la discrimination.
Or, l'on ne voit pas ce qui empêcherait l'administration fiscale française d'adresser également aux personnes morales de ces pays la demande d'informations qu'elles auront, désormais, l'obligation d'adresser aux personnes morales communautaires détenant des immeubles en France mais étant rattachées à un Etat n'ayant pas conclu avec la France une convention d'assistance d'administration ou une convention comportant une clause de non-discrimination.
En tout état de cause, l'on peut considérer que la taxe de 3 % sur la valeur vénale des immeubles détenus par des personnes morales a vécu. En effet, la possibilité qui sera offerte à la plupart d'entre elles d'apporter la preuve du caractère inapplicable de la taxe à leur situation devrait rendre l'application de cette taxe assez rare et en tout cas subsidiaire ou résiduelle.
(1) CJCE, 4ème chambre, 11 octobre 1987, aff. C-451/05, Société Elisa : JCP éd. G du 24 octobre 2007, act. 502.
(2) Cf. sur les caractéristiques de celle-ci, B. Gouthière, Les impôts dans les affaires internationales, Francis Lefebvre, 6ème éd., 2004, n° 2337 s. ; J. Schmidt et E. Kornprobst, Fiscalité immobilière, Litec, 8ème édition, 2004, n° 622 s.
(3) Cf. QE n° 10272 de M. Périssol Pierre-André, réponse publiée au JOAN, 9 mai 1994, p. 2329 (N° Lexbase : L6051HZ7).
(4) Il s'agit, donc, d'éviter que des biens immobiliers importants situés en France et normalement soumis à l'impôt sur la fortune soient transférés au nom d'une personne morale étrangère, et concrètement d'une société-écran, de manière à éluder cet impôt : cf. en ce sens les déclarations du Président de la Commission des finances de l'Assemblée nationale (JOAN, débats du 27 octobre 1982 p. 6395).
(5) CJCE, 12 avril 1994, aff. C-1/93, Halliburton Services BV c/ Staatssecretaris van Financiën (N° Lexbase : A9651AUY), Rec. p. I-1137, point 22. Dans cette affaire, la Cour a considéré que la Directive 77/799 était applicable aux taxes sur l'aliénation de biens immeubles. Une telle taxe est due par l'acquéreur à l'occasion de l'acquisition d'un bien immeuble. Elle ne frappe pas la détention d'un tel bien ou les revenus qu'il peut procurer à son propriétaire.
(6) V. J. Grosclaude, Impôt sur la fortune genèse et problématique, Jurisclasseur Impôt sur la fortune, Fasc. 15, n° 8. Cf. aussi CJCE, 5 juillet 2005, aff. C-376 /03, D. c/ Inspecteur van de Belastingdienst/Particulieren/Ondernemingen buitenland te Heerlen (N° Lexbase : A9934DIR) : DF 2005, n° 30-35, p. 1301 ; RJF 2005, n° 1143 ; LPA 2005, p. 14 (extraits), note Th. Georgopoulos.
(7) L'article 1er, paragraphe 2, indique que "[s]ont considérés comme impôts sur le revenu et sur la fortune, quel que soit le système de perception, les impôts perçus sur le revenu total, sur la fortune totale ou sur des éléments du revenu ou de la fortune, y compris les impôts sur les gains provenant de l'aliénation de biens mobiliers ou immobiliers, les impôts sur le montant des salaires payés par les entreprises, ainsi que les impôts sur les plus-values". Etant donné l'usage des termes "y compris", la liste présentée n'est pas censée être exhaustive.
(8) Aux termes de l'article 3 de la Directive : "Les impôts actuels visés au paragraphe 2 sont notamment les suivants : [...] en France : impôt sur le revenu, impôt sur les sociétés, taxe professionnelle, taxe foncière sur les propriétés bâties, taxe foncière sur les propriétés non bâties". La taxe sur la valeur vénale des immeubles n'est donc pas visée par cet article. Il résulte cependant de l'article 1er, paragraphe 4, qui indique que "[l]e paragraphe 1 est également applicable aux impôts de nature identique ou analogue qui viendraient s'ajouter aux impôts visés au paragraphe 3 ou à les remplacer", que la liste, figurant à l'article 1er, paragraphe 3, des impôts nationaux entrant dans le champ d'application de la Directive n'est pas censée non plus être exhaustive.
(9) Ainsi, l'administration a pu considérer que cette taxe est applicable aux trusts irrévocables (DF 2006, étude n° 64) alors que la doctrine administrative avait déjà par le passé précisé que le trust n'était pas une personne morale (BOI 7 G-14-70).
(10) L'exonération est subordonnée au dépôt chaque année, avant le 16 mai de l'année considérée, d'une déclaration n° 2746 comportant les renseignements suivants : lieu de situation, consistance et valeur vénale des immeubles et droits immobiliers possédés en France, directement ou par l'intermédiaire d'une ou plusieurs personnes morales interposées, au 1er janvier de l'année ; identité et adresse de leurs actionnaires, associés ou autres membres à la même date ; nombre des actions et parts détenues par chacun d'eux.
(11) Cass. com., 31 janvier 2006, n° 02-20.387, Société Mediterranean and Pacific Luxembourg finance company c/ Chef des services fiscaux, FS-P+B (N° Lexbase : A8371DMY).
(12) Le bénéfice de l'exonération prévue par l'article 990-E-3° du CGI, nécessite l'existence d'une convention fiscale conclue entre la France et l'Etat du siège de la société, comportant une clause de non-discrimination selon la nationalité présentant les caractéristiques suivantes : elle doit être applicable aux nationaux, et non aux seules personnes physiques ; les nationaux doivent être expressément définis dans la convention comme incluant les personnes morales ; la clause de non-discrimination doit viser expressément les impôts de toute nature ou dénomination. La personne morale qui entend bénéficier de l'exonération doit communiquer chaque année à l'administration fiscale les mêmes renseignements qu'en ce qui concerne l'exonération en matière de convention d'assistance administrative, ou prendre l'engagement de communiquer de tels renseignements, ainsi que la justification de la résidence fiscale de ses actionnaires, associés, ou autres membres.
(13) Cass. com., 13 décembre 2005, n° 02-10.359, Société Elisa (Européenne et luxembourgeoise d'investissements SA), FS-P+B (N° Lexbase : A9787DL3) : RJF 2006 n° 645.
(14) En vertu de cette loi, des exonérations d'impôt sur le revenu des sociétés sont accordées aux holdings fournissant certains services financiers et à forte intensité en capital à des entreprises apparentées ou non au sein d'un groupe multinational. Les holdings 1929 exonérées sont des sociétés qui se consacrent exclusivement à la détention de participations, à la gestion d'investissements collectifs, à l'octroi de prêts et à la cession de licences à des entreprises liées au sein d'un même groupe. Précisons que la Commission européenne, par décision du 19 juillet 2006, a demandé l'abrogation du régime fiscal préférentiel accordé par le Luxembourg aux sociétés de participations financières, ce régime enfreignant selon elle les règles du Traité régissant les aides d'Etat. Le Luxembourg a ainsi modifié sa législation par une loi de décembre 2006.
(15) Sur la non-application de l'article 990 E-2° aux sociétés holdings luxembourgeoises, cf. QE n° 19854 de M. de Cuttoli, réponse publiée au JO Sénat, 14 mai 1992, p. 1224 (N° Lexbase : L3356HZC).
(16) CA Paris, 4 juillet 2002, n° 2001-02344, SA Mediterranean and pacific Luxembourg finance company (N° Lexbase : A1814AZ9) : DF 2003 n° 27 ; RJF 11/2003 n° 1323.
(17) Cf. CJCE, 28 janvier 1986, C-270/83, Commission c/ France (N° Lexbase : A8319AUN), point 13 : RJF 1986, n° 1020. Cf. aussi CJCE, 8 mars 2001, aff. C-397/98, 410 /98, Metallgesellschaft Ltd et autres, Hoechst AG et Hoechst Ltd (410/98) c/ Commissioners of Inland Revenue et HM Attorney General (N° Lexbase : A8088AY9), point 41 : Rec. I p. 1 727 ; RJF 2001, n° 734.
(18) CE 9° et 10° s-s-r., 27 juillet 2005, n° 244671, MINEFI c/ Mme Cohen (N° Lexbase : A1284DKR) ; CE 9° et 10° s-s-r., 27 juillet 2005, n° 253224, MINEFI c/ M. et Mme Ferrarese (N° Lexbase : A1296DK9).
(19) CA Paris, 4 juillet 2002, précité.
(20) CJCE, 14 septembre 2006, aff. C-386/04, Centro di Musicologia Walter Stauffer (N° Lexbase : A9708DQM) : Rec. p. I, 8203, point 17.
(21) Même arrêt, point 19.
(22) CJCE, 1er juin 1999, aff. C-302/97, Konle (N° Lexbase : A1746AWL), point 22 ; CJCE 5 mars 2002, aff. C-515/99, 519/99 à 524/99 et C-526/99 à 540/99, Reisch et autres (N° Lexbase : A0847AYZ) : Rec. I-2157, points 29 et 30.
(23) Aux termes de cet article figurant au chapitre 4 du Traité : "Dans le cadre des dispositions du présent chapitre, toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les Etats membres et entre les Etats membres et les pays tiers sont interdites".
(24) Ajoutons que le principe de libre circulation des capitaux est énoncé à deux reprises dans la première partie du Traité CE consacré aux "Principes". L'article 3 § c précise que pour atteindre les fins qui lui sont assignées, l'action de la Communauté comporte un marché intérieur caractérisé par l'abolition entre les Etats membres des obstacles à la libre circulation des capitaux. L'article 7 A § 2 définit le marché intérieur comme un espace sans frontières intérieures dans lequel la libre circulation des capitaux est assurée dans le respect des dispositions du Traité CE.
(25) CJCE, 16 mars 1999, aff. C-222/97, Trummer et Mayer (N° Lexbase : A0500AWG) : Rec. p. I-1661, points 20 et 21. Cf., plus récemment, CJCE, 25 janvier 2007, aff. C-370 /05, Festersen (N° Lexbase : A6348DTB), non encore publié au Recueil, point 23.
(26) CJCE, 1er juin 1999, aff. C-302/97, Klaus Konle c/ Republik Osterreich (N° Lexbase : A1746AWL) : Rec. I, p. 3 099.
(27) Cf., à cet égard, CJCE 5 juillet 2005, aff. C-376/03, D. (N° Lexbase : A9934DIR) : Rec. p. I, 5821, point 24.
(28) Cf. troisième considérant de la Directive 77/799, qui indique que "la collaboration entre administrations, sur la base d'accords bilatéraux, est également incapable de faire face aux formes nouvelles de fraude et d'évasion fiscales, qui prennent de plus en plus un caractère multinational". La nécessité d'une telle Directive découlait du fait que toutes les relations bilatérales entre tous les Etats membres n'étaient pas couvertes par des accords bilatéraux concernant la coopération administrative. De même, la portée et l'importance des obligations en matière de coopération administrative sont susceptibles de différer d'un accord bilatéral à l'autre.
(29) CJCE, 14 décembre 2006, aff. C-170/05, Denkavit Internationaal et Denkavit France (N° Lexbase : A8816DSC) : Rec. p. I, 11949, point 53.
(30) CJCE, 4 mars 2004, aff. C-334/02, Commission c/ France (N° Lexbase : A4317DBI) : Rec. p. I, 2229, point 27. Voir aussi conclusions de l'Avocat général Léger dans l'affaire "Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas", CJCE, 12 septembre 2006, aff. C-196 /04, point 85 (N° Lexbase : A9641DQ7).
(31) CJCE, 16 juillet 1998, aff. C-264/96 (N° Lexbase : A0410AW4) : Rec. p. I, 4695, point 26 ; CJCE, 8 mars 2001, aff. C-397/98 et C-410/98, Metallgesellschaft e.a. (N° Lexbase : A8088AY9) : Rec. p. I, 1727, point 57 ; CJCE 21 novembre 2002, aff. C-436 /00, X et Y (N° Lexbase : A0406A78) : Rec. p. I, 10829, point 61) ; CJCE 12 décembre 2002, aff. C-324/00, Lankhorst-Hohorst (N° Lexbase : A0411A7D) : Rec. p. I,11779, point 37) ; CJCE 13 décembre 2005, aff. C-446/03, Marks & Spencer (N° Lexbase : A9386DL9) : Rec. I p. 10837, point 57.
(32) CJCE, 15 mai 1997, aff. C-250/95, Futura Participations et Singer (N° Lexbase : A0119AWC) : Rec. I p. 2471, point 31.
(33) CJCE, 14 septembre 2006, Centro di Musicologia Walter Stauffer, précitée, point 32 ; CJCE 30 janvier 2007, aff. C-150/04, Commission/Danemark (N° Lexbase : A6977DTL), non encore publié au Recueil, point 51.
(34) CJCE, 14 septembre 2006, Centro di Musicologia Walter Stauffer, précitée, point 32 ; CJCE, 30 janvier 2007, Commission c/ Danemark, précitée, point 46 ; CJCE, 5 juillet 2007, aff. C-522/04, Commission c/ Belgique (N° Lexbase : A0042DXT), non encore publié au Recueil, point 47.
(35) CJCE, 8 juillet 1999, aff. C-254/97, Baxter e.a. (N° Lexbase : A0511AWT) : Rec. p. I, 4809, point 18) ; CJCE 10 mars 2005, aff. C-39/04, Laboratoires Fournier (N° Lexbase : A2728DHI) : Rec. I p. 2057, point 24.
(36) CJCE, 16 juillet 1998, précitée, point 26 ; CJCE, 12 décembre 2002, Lankhorst-Hohorst, précitée, point 37 ; CJCE, 11 mars 2004, aff. C-9/02, de Lasteyrie du Saillant (N° Lexbase : A5001DBT) : Rec. p. I, 2409, point 50. Cf. aussi CJCE, 12 septembre 2006, Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas, précitée à la note 28, point 51 : les "montages purement artificiels" sont ceux qui ne reflètent pas la réalité économique ; dans le cas de la liberté d'établissement, la Cour a estimé que la réalité économique présupposait une implantation réelle de la société concernée dans l'Etat d'accueil et l'exercice d'une activité économique effective dans celui-ci (Ibidem, point 54).
(37) CJCE 28 janvier 1992, aff. C-204/90, Bachmann (N° Lexbase : A9890AUT) : Rec. I p. 249, point 20 ; CJCE 28 janvier 1992, aff. C-300/90, Commission c/ Belgique (N° Lexbase : A9599AU3) : Rec. p. I, 305, point 13 ; CJCE, 4 mars 2004, Commission c/ France, précitée, point 32 ; CJCE, 30 janvier 2007, Commission c/ Danemark, précitée, point 54.
(38) Arrêts précités Laboratoires Fournier, point 25, et Baxter e.a., points 19 et 20.
(39) Arrêt précité, Centro di Musicilogia Walter Stauffer, point 48.
(40) Conclusions de l'avocat général Poiares Maduro dans l'affaire "Marks & Spencer" précitée, point 81.
(41) Arrêt précité, "Commission c/ Danemark", point 54.
(42) Arrêts précités, "Baxter e.a.", points 19 et 20, et "Laboratoires Fournier", point 25.
(43) Rappelons qu'aux termes de ces articles, la taxe n'est pas applicable "2° Aux personnes morales qui, ayant leur siège dans un pays ou territoire ayant conclu avec la France une convention d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales, déclarent chaque année, au plus tard le 15 mai, au lieu fixé par l'arrêté prévu à l'article 990 F, la situation, la consistance et la valeur des immeubles possédés au 1er janvier, l'identité et l'adresse de leurs associés à la même date ainsi que le nombre des actions ou parts détenues par chacun d'eux ; 3º Aux personnes morales qui ont leur siège de direction effective en France et aux autres personnes morales qui, en vertu d'un Traité, ne doivent pas être soumises à une imposition plus lourde, lorsqu'elles communiquent chaque année, ou prennent et respectent l'engagement de communiquer à l'administration fiscale, sur sa demande, la situation et la consistance des immeubles possédés au 1er janvier, l'identité et l'adresse de leurs actionnaires, associés ou autres membres, le nombre des actions, parts ou autres droits détenus par chacun d'eux et la justification de leur résidence fiscale. L'engagement est pris à la date de l'acquisition par la personne morale du bien ou droit immobilier ou de la participation visés à l'article 990 D ou, pour les biens, droits ou participations déjà possédés au 1er janvier 1993, au plus tard le 15 mai 1993".
(44) Demande d'information qui portera sur la situation et la consistance des immeubles possédés au 1er janvier, l'identité et l'adresse de leurs actionnaires, associés ou autres membres, le nombre des actions, parts ou autres droits détenus par chacun d'eux et la justification de leur résidence fiscale.
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par Stéphanie Martin-Cuenot, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
Le 07 Octobre 2010
Résumé
La clause d'un contrat garantissant au salarié la stabilité de son emploi pendant une période de 5 ans est licite et doit donc recevoir application dès lors qu'aucune faute n'a été commise par l'intéressé. |
1. Conditions de validité des clauses de garantie d'emploi
Le principe de résiliation unilatérale du contrat de travail à durée indéterminée n'est pas d'ordre public absolu. L'employeur peut, en effet, parfaitement décider de garantir, à un ou plusieurs de ses salariés, la stabilité de leur emploi. Cet engagement de l'employeur peut être tacite ou, encore, résulter d'une clause insérée dans le contrat de travail, voire de la convention collective.
Ces clauses prennent la forme d'un engagement de l'employeur, pour une durée déterminée, de ne pas user de sa faculté de résiliation unilatérale du contrat de travail.
L'employeur ne peut donc plus, une fois qu'il est lié par une telle clause, rompre le contrat de travail du salarié, sauf si la clause comporte une exception et prévoit sa mise à l'écart en cas de faute du salarié.
Il a ainsi été jugé qu'un motif économique (Cass. soc., 30 mai 2000, n° 97-43.191, Société civile d'exploitation agricole (SCEA) du Domaine du Fesq c/ M. Alain Esman, inédit N° Lexbase : A6979AHX), ou encore l'adhésion du salarié à une convention de conversion (Cass. soc., 11 juillet 2000, n° 98-41.169, M. Dreyfuss c/ Société Construction Jean Bernard et autres, publié N° Lexbase : A9173AGT), ne permettait pas à l'employeur de licencier.
Ces clauses, bien que restreignant la faculté de résiliation unilatérale de l'employeur, sont valables. Elles sont conformes à l'ordre public social.
Force est de constater que la clause par laquelle l'employeur s'interdit de licencier son salarié pendant une certaine durée est plus favorable au salarié que le droit du licenciement qui devrait trouver à s'appliquer, notamment, dans un contexte économique difficile.
Toutes les clauses ne sont, toutefois, pas valables. Toutes ne peuvent pas, en outre, recevoir la qualification de clauses de garantie d'emploi.
Pour être qualifiée de clause de garantie d'emploi, la clause doit garantir l'emploi du salarié et non seulement se contenter de prévoir une indemnité de rupture spéciale si la rupture survient avant une certaine date (Cass. soc., 18 juin 2003, n° 01-42.298, F-D N° Lexbase : A8581C8C). La clause de garantie d'emploi se distingue, ainsi, de la clause destinée à indemniser la rupture survenue avant une certaine date.
Une fois qualifiée de clause de garantie d'emploi, la clause doit, encore, remplir certaines conditions.
Elle doit, en premier lieu, avoir une cause licite. Aucun problème ne se pose lorsque la clause a été insérée dans le contrat de travail pour maintenir un salarié dans son emploi dans un contexte économique difficile ou, encore, pour s'assurer la fidélité d'une main d'oeuvre rare et/ou particulièrement qualifiée.
Cette clause ne doit, en second lieu, pas être excessive. Tel serait le cas d'une clause qui interdirait à l'employeur de licencier le salarié quelle que soit la cause de ce licenciement, ou qui prévoirait une indemnité de rupture particulièrement importante.
Les clauses de garantie d'emploi, malgré leur caractère plus favorable au salarié que le droit du licenciement, ne doivent, en effet, pas totalement priver l'employeur de sa faculté de rompre le contrat de travail. Pour cette raison, elles trouvent, en principe, leur limite dans la faute grave, voire dans la faute lourde du salarié.
L'employeur ne peut, enfin, s'engager que pour une durée déterminée. Le cas échéant, la clause ferait échec au principe de résiliation unilatérale du contrat de travail à durée déterminée, principe d'ordre public. Elle serait donc illicite.
Lorsque la clause insérée ou ajoutée au contrat de travail d'un salarié respecte ces conditions, elle est parfaitement valable et l'employeur est tenu d'en faire application. Le cas échéant, il est tenu d'indemniser le salarié.
C'est ce principe qu'a rappelé la Haute juridiction à l'employeur qui contestait la décision de la cour d'appel qui l'avait condamné à verser au salarié des dommages et intérêts pour violation de la clause de garantie d'emploi.
Dans cette espèce, l'employeur avait, par voie d'avenant, introduit dans le contrat de travail d'une de ses salariées, une clause de garantie d'emploi par laquelle il s'interdisait, sauf faute lourde de cette dernière, de rompre le contrat de travail pendant 5 ans. Quelques mois plus tard, l'entreprise avait cédé ses actions et la salariée avait été licenciée pour faute lourde. Contestant cette rupture, cette dernière avait saisi la juridiction prud'homale de demandes d'indemnités au titre de la rupture de son contrat de travail. La cour d'appel avait condamné l'employeur à lui verser des dommages et intérêts pour violation de la clause de garantie d'emploi, ce que contestait l'employeur.
La Cour de cassation confirme la position prise par les juges du second degré. Elle considère, en effet, que la clause de garantie d'emploi, qui garantissait à la salariée la stabilité de son emploi, était licite et devait recevoir application dès lors qu'aucune faute n'avait été commise par l'intéressée. Partant, le contrat de travail ne pouvait être rompu au cours de la période de garantie d'emploi, ce qui permettait à la salariée d'obtenir le versement de l'indemnité de préavis. Elle rappelle, enfin, qu'une telle clause, simplement destinée à garantir à la salariée le maintien de son emploi dans un contexte économique difficile, ne constitue pas une clause pénale.
L'employeur, malgré la cession d'actions intervenue, était donc tenu par la clause de garantie d'emploi qui avait été ajoutée au contrat de travail de la salariée.
2. Une solution parfaitement logique
Comme nous l'avons vu, une clause de garantie d'emploi remplissant les conditions de validité préalablement énoncées ne peut être écartée, et ce même si l'employeur considère que l'indemnité versée au salarié est manifestement excessive. Seule la faute de la salariée, lorsqu'elle a été prévue par l'employeur comme limite à la clause de garantie d'emploi, est susceptible de libérer ce dernier.
Dans l'espèce commentée, le bénéfice de la clause était limité par la faute lourde de la salariée, mais aucune faute n'ayant été relevée à son encontre, l'employeur ne pouvait que la conserver à son service pendant toute sa durée ou l'indemniser.
La violation par l'employeur d'une clause de garantie d'emploi emporte l'allocation, au profit du salarié, de dommages et intérêts destinés à réparer le préjudice résultant de la violation de la clause. Ces dommages et intérêts s'ajoutent aux sommes éventuellement perçues par le salarié licencié sans cause réelle et sérieuse. La jurisprudence considère, dans ce cas, que le licenciement, intervenu en violation d'une clause de garantie d'emploi, est sans cause réelle et sérieuse et que l'employeur est tenu de verser cumulativement l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et l'indemnité destinée à compenser le préjudice résultant de la violation de la clause de garantie d'emploi (Cass. soc., 27 octobre 1998, n° 95-43.308, M. Schroeder c/ Groupement d'intérêt économique Services pour la Caisse des dépôts et consignations, publié N° Lexbase : A5717ACQ). Seul le revenu de remplacement versé par les Assedic n'est pas cumulable avec les dommages et intérêts versés en contrepartie de la violation de la clause de garantie d'emploi (Ass. plén., 13 décembre 2002, n° 00-17.143, M. Michel Brocard c/ Assedic de l'Ain et des Deux Savoies, P N° Lexbase : A4092A4C).
Ce préjudice est apprécié souverainement par les juges du fond.
Néanmoins, la jurisprudence la plus récente, calquée sur l'indemnisation du contrat de travail à durée déterminée rompu avant terme, considère que, dans une telle hypothèse, il y a lieu d'indemniser le salarié du solde des salaires restant dus jusqu'au terme de la période de garantie (Cass. soc., 27 octobre 1998, n° 95-43.308, préc.). Cette indemnisation est fondée sur le principe de réparation intégrale du préjudice, lequel trouve son fondement dans les articles 1134 (N° Lexbase : L1234ABC) et 1149 (N° Lexbase : L1250ABW) du Code civil. L'indemnité n'est donc pas réductible, ce qui n'aurait pas été le cas si elle avait été considérée comme une clause pénale.
La clause pénale est la clause dans laquelle les parties à une convention prévoient de sanctionner l'inexécution ou la mauvaise exécution par l'un des cocontractants de son obligation. La sanction est destinée à réparer la perte ou le manque à gagner de l'autre partie. Lorsque cette sanction est prévue au contrat, elle peut être réduite par le juge sur le fondement de l'article 1152 du Code civil (N° Lexbase : L1253ABZ).
Une clause de garantie d'emploi ne peut être assimilée à une clause pénale. Elle peut encore moins recevoir cette qualification. Il existe, en effet, une différence d'objet entre elles qui impose de les distinguer.
Une clause de garantie d'emploi n'a pas pour objet de sanctionner l'inexécution par l'employeur de l'interdiction qu'il s'est fait de rompre le contrat de travail qui le lie à son salarié. Son objet est de préserver le salarié de la perte de son emploi dans un contexte économique rendant difficile son reclassement professionnel, comme le rappelle la Cour de cassation dans la décision commentée.
La sanction n'est, ainsi, que la conséquence de l'inobservation par l'employeur de la garantie qu'il avait accordée au salarié, elle n'est pas l'objet même de la clause. Aucune assimilation n'est donc possible.
Décision
Cass. soc., 23 octobre 2007, n° 06-42.994, Société de distribution du Beauvaisis (SDB) Auchan, FS-P+B (N° Lexbase : A8582DYI) Rejet (CA Amiens, 5ème ch. soc., sect. A) Texte concerné : néant. Mots-clefs : clause de garantie d'emploi ; licéité ; absence de faute commise par le salarié ; application de la clause ; qualification ; objet ; durée déterminée ; clause pénale. Liens bases : ; . |
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Le 21 Octobre 2014
Que ceux qui reprochent particulièrement aux universitaires d'être théoriciens ne soient pas trop déçus. Dans un domaine d'ordinaire plutôt "pratico-pratique", celui des déchéances, la Cour de cassation vient de s'illustrer par l'adoption d'une décision conceptuelle. Elle dépasse, même, largement le champ d'application des déchéances puisqu'elle concerne aussi le thème -plus souvent théorique cette fois- des exclusions de risque. Non pas qu'il faille s'étonner, en 2007, de voir abordée la question de la nature juridique des déchéances en assurance : dès 1936, Besson disait de ce concept : "Mais, comme il arrive souvent, ce sont les notions les plus usuelles qui sont les plus imprécises : on les emploie couramment, souvent à tort, sans en connaître exactement le contenu et les caractères. Il nous semble que c'est le cas de la notion de déchéance" (1). Or, n'ayant alors guère été entendu par le législateur qui n'a pas pris le soin de définir davantage la déchéance, c'est la doctrine, à l'époque comme par la suite, qui a, seule, dégagé les principales caractéristiques de ce type de clause.
En jurisprudence, chacun le sait, le contentieux relatif aux déchéances en droit des assurances consiste, surtout, à vérifier que la déchéance a bien fait l'objet d'une clause insérée dans le contrat d'assurance lui-même dont l'assuré a pu avoir connaissance (2), ou bien que la preuve demandée est rapportée (3), ou bien, encore, que les litiges portent sur la satisfaction des conditions de validité de ces clauses qualifiées par l'assureur de déchéance (4).
Enfin, depuis l'introduction de l'article 10 de la loi du 31 décembre 1989 (loi n° 89-1009, renforçant les garanties offertes aux personnes assurées contre certains risques [LXB= L5011E4D]) dans l'article L. 113-2, alinéa 9, du Code des assurances (N° Lexbase : L0061AAI), la jurisprudence contrôle la réalité du préjudice subi par l'assureur. Mais, ces aspects relevant de l'appréciation souveraine des juges du fond, la Cour de cassation dispose d'un terrain d'intervention assez réduit. Il ne lui reste donc que le délicat problème de la nature juridique des clauses de déchéance, ainsi que celui de leur coexistence dans le temps, notamment, avec les exclusions de risque. Vaste programme alors, si l'on peut se permettre une telle expression, d'autant que le problème n'est pas récent et a suscité, au moins pour le champ d'application des exclusions de risque, de multiples décisions cherchant à établir une scission, une frontière ferme et fiable avec les conditions de garantie, sans guère y parvenir. C'est dire l'ampleur de la tâche à laquelle l'arrêt du 17 octobre 2007 s'attaquait à partir de circonstances plutôt banales.
Pendant plusieurs années, des époux constatent, dans leur appartement, des infiltrations provenant de celui situé juste au-dessus. Ils assignent donc la propriétaire, son assureur, le syndicat des copropriétaires de l'immeuble et son propre assureur. D'ailleurs, ils procèdent ainsi, également, à l'encontre de la société ayant effectué, dans le passé, des travaux destinés à faire cesser le désordre dont ils avaient déjà souffert et dont l'efficacité n'avait pas excédé deux années. Mais cet aspect est sans influence sur la question juridique relative à la déchéance. L'important est de savoir que la propriétaire appelle en garantie son assureur. On déduit de la lecture des faits sommaires que l'assureur a dû refuser de s'exécuter, au motif que le contrat d'assurance comportait un article 57 s'analysant en une clause de déchéance. Si la cour d'appel de Paris, par un arrêt en date du 14 septembre 2005, avait donné gain de cause à l'assureur, la Haute juridiction casse la décision. Elle considère que les manquements constatés de la part de l'assuré étaient antérieurs au sinistre ; par conséquent, en qualifiant cette disposition de clause de déchéance, la cour d'appel a violé l'article L. 113-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L0060AAH).
Quelles que puissent être les réactions, cette décision est la bienvenue tant pour la part d'éclaircissement qu'elle apporte au regard de la notion de déchéance (I), que pour celle concernant les exclusions de risque (II), même si toutes les difficultés relatives à ces dernières ne sont pas résolues, loin s'en faut.
I - Approbation de la décision au regard de la notion de déchéance
L'arrêt du 17 octobre 2007 constitue une avancée indubitable au moins pour deux raisons. D'une part, les assureurs sont parfois tentés, sous couvert de l'appellation de déchéance, d'insérer dans les contrats d'assurance des clauses destinées à sanctionner certains comportements, si ce n'est déviants du moins inopportuns de la part de leurs assurés. Or, en cédant, il y a des années, à la pression des assureurs désireux de pouvoir insérer des sanctions privées, en quelque sorte, à l'encontre de leurs cocontractants, le législateur a entendu que ces déchéances soient ni nombreuses, ni fréquentes. Son intention était d'éviter les comportements trop laxistes ou volontairement ignorants des assureurs, et non de permettre la prolifération, au détour de chaque page du contrat d'assurance, de dispositions sanctionnant la "moindre peccadille" de l'assuré.
D'autre part, depuis la nouvelle rédaction de l'article L. 113-9 du Code des assurances (N° Lexbase : L0065AAN), issue de la loi du 31 décembre 1989, les hésitations étaient encore plus vives sur la nature exacte d'une clause de déchéance. En effet, on se souvient que le législateur a appelé déchéance une sanction qui ne mérite pas une telle qualification (5). En outre, des interrogations avaient pu être émises, un temps, pour savoir si la déchéance pouvait réprouver aussi des comportements antérieurs au sinistre. La doctrine s'était majoritairement prononcée en faveur d'une conception plutôt restrictive. La notion de déchéance ne doit pas servir à sanctionner n'importe quelle exception opposable par l'assureur à la mise en oeuvre de sa garantie (6). La déchéance est donc une sanction appliquée en cas de manquement de l'assuré postérieur au sinistre. Si la doctrine en était depuis longtemps convaincue, une piqûre de rappel jurisprudentielle du plus haut niveau ne pouvait pas faire de mal, si l'on veut bien nous pardonner cette formule triviale.
Même de manière indirecte, c'est donc cette conception qui vient d'être renforcée par l'arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation en date du 17 octobre 2007, en reprochant d'avoir analysé les manquements de l'assuré comme constitutifs d'une déchéance alors que ceux-ci étaient antérieurs au sinistre. L'arrêt comporte divers moyens d'un intérêt réduit ; seul le cinquième et dernier retient l'attention, mais cette dernière doit donc être soutenue. Sans doute fera-t-on observer qu'il s'agit d'un arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation et non de la deuxième chambre chargée, aujourd'hui, du contentieux du droit des assurances. Mais les circonstances factuelles, qui justifient que l'affaire ait été dévolue à cette chambre, ne doivent pas occulter toute portée à la présente décision, d'autant plus qu'une large publicité lui a été réservée. Il présente, au moins, l'avantage d'être une décision précise dans des circonstances de fait limpides, si l'on ose dire, dans un dossier concernant un dégât des eaux. Car, outre qu'il exclut la qualification de déchéance, l'arrêt se prononce en faveur de celle d'exclusion de risque.
II - Approbation de la décision au regard de la notion d'exclusion de risque
En visant l'article L. 113-1 du Code des assurances, la Cour de cassation précise, tout de suite, sa pensée. Car si ce texte prévoit, dans la première partie de son énoncé, la prise en charge par l'assureur des pertes et dommages occasionnés par des cas fortuits ou par la faute de l'assuré, il contient aussi, dans sa seconde partie, des restrictions. En d'autres termes, là se situe l'assise juridique des exclusions de risque. Si le laconisme de ce membre de phrase n'a jamais échappé à personne, il a le mérite de ne pas laisser la moindre place pour la notion de déchéance. L'emploi même du terme n'y figure pas. Toute assimilation et confusion sont donc impossibles.
Certes, des liens unissent les exclusions de risque et les déchéances ; il est de nature formelle : l'article L. 112-4 in fine du Code des assurances (N° Lexbase : L0055AAB) impose que l'une comme l'autre de ces clauses soit rédigée en caractères très apparents. Par ailleurs, la conséquence de chacune de ces notions est l'absence de prise en charge par l'assureur. Cependant, au risque de proférer des évidences, il convient de rappeler qu'elles n'ont pas le même objet. Les exclusions de risque visent à extraire du champ d'application de la garantie de l'assureur certaines circonstances, certains aspects. Elles ne constituent en rien une sanction pour l'assuré, mais une simple délimitation du risque que l'assureur accepte de prendre en charge. Les déchéances, au contraire, représentent une peine pour l'assuré. Par conséquent, l'arrêt prend le soin de bien isoler les deux notions l'une de l'autre.
Cependant, il ne faudrait pas comprendre que l'exclusion de risque se limite aux circonstances, comportements, dispositions contractuelles antérieurs à la survenance du sinistre et les déchéances à ceux qui lui sont postérieurs. Si le domaine de ces dernières est précisément encadré, circonscrit, tel n'est pas le cas des premières. En l'espèce, la disposition pouvait s'analyser en une exclusion de risque, sans qu'il faille en tirer automatiquement davantage d'enseignements. Notamment, reste entier, ou presque, le problème de droit le plus délicat à trancher : celui du tracé du domaine des exclusions de risque et des conditions de garantie ; mais à chaque jour suffit sa peine.
Véronique Nicolas, Professeur de droit privé de la Faculté de droit de Nantes, Membre de l'IRDP
Chacun sait qu'en matière d'accidents de la circulation, l'assureur est tenu de diverses obligations dont celle, majeure, de proposer une offre d'indemnisation à la victime. Pour éviter toutes pratiques dilatoires, le législateur a imposé des délais stricts à l'assureur. Ces différentes dispositions sont rassemblées au sein des articles L. 211-8 et suivants du Code des assurances (N° Lexbase : L0269AA9). Ainsi, la sanction de l'article L. 211-9 du Code des assurances (N° Lexbase : L6229DIK), modifiée par la loi n° 2003-706 du 1er août 2003, dite de sécurité financière (N° Lexbase : L3556BLB), en cas de non-respect par l'assureur de cette obligation d'offre dans les trois mois de la demande d'indemnisation ou des cinq mois suivant la consolidation de l'état de la personne, est le doublement du taux de l'intérêt légal selon les termes de l'article L. 211-13 du Code des assurances (N° Lexbase : L0274AAE) (7). D'aucuns pourraient nous objecter que ces aspects sont bien connus, que des décisions sur ce point ont été rendues (8). Toutefois, elles ne sont pas si nombreuses à parvenir au stade de la Cour de cassation, preuve que le législateur a été entendu et a su se faire respecter par les assureurs. Par conséquent, les arrêts portant sur ce thème -bien que la loi commence à être ancienne- suscitent toujours l'intérêt.
Or, justement, un arrêt relatif à la mise en oeuvre de la procédure d'offre d'indemnisation de l'assureur à la victime d'un accident de la circulation mérite un commentaire en raison de son orientation. Pour aller droit au but, un constat s'impose : le souci d'indemnisation effective de la victime et la sévérité à l'égard de l'assureur prédominent toujours. Cet arrêt émane de la Chambre criminelle de la Cour de cassation. Il date du 18 septembre 2007. S'il rappelle les exigences précises de cette partie du Code des assurances, son apport essentiel réside dans la levée d'interrogations relatives au mode de calcul devant être retenu pour déterminer le montant de la sanction. Au lieu de prendre pour base de référence l'indemnité, après déduction des créances de l'employeur et des organismes sociaux, l'assiette doit comprendre la totalité des sommes versées et destinées à indemniser les ayants droit de la victime. L'objectif, on l'a bien compris, est à la fois de réserver à la victime ou ses ayants droit le sort le plus favorable possible, tout comme de ne faire preuve d'aucune mansuétude à l'égard de l'assureur.
Ce mouvement dans le sens de la sévérité doit être souligné, car il a pu être vaguement redouté, même si la crainte n'était guère fondée, après l'arrêt "Safty" rendu par la Cour de cassation, qu'ait lieu un infléchissement de la rigueur de celle-ci. Rappelons que, dans cette affaire, la transaction prévue par l'article L. 211-14 du Code des assurances (N° Lexbase : L0275AAG), avait été considérée par la victime comme ne méritant pas une telle qualification parce que les sommes accordées avaient été modiques et, surtout, que des concessions réciproques n'avaient pas eu lieu, conformément à l'exigence posée par l'article 2044 du Code civil (N° Lexbase : L2289ABE), fournissant une définition de la transaction. La cour d'appel d'Aix-en-Provence avait, sur ce fondement, condamné l'assureur, la MACIF, ce qui n'avait pas manqué d'inquiéter tout particulièrement les assureurs mutualistes craignant une évolution de la jurisprudence. Celle-ci aurait créé une énorme insécurité juridique en admettant la remise en cause des transactions passées depuis tant d'années (9). Elle aurait ouvert une brèche -pour ne pas dire la boîte de Pandore- dans laquelle les avocats se seraient précipités.
Mais au risque de sacrifier à l'équité dans le cas présent, la Cour de cassation, avec sagesse, a décidé que le droit spécial applicable au droit des accidents de la circulation exclut toute transposition à l'identique du droit commun des obligations et, notamment, de la notion de transaction de l'article 2044 du Code civil, avec sa principale condition : l'existence de concessions réciproques de la part de chacune des parties (10). En d'autres termes, il y a transaction et transaction... Une fois encore, il apparaît difficile au passage de ne pas relever la maladresse du législateur, alors même que cette loi n'a pas été écrite, comme tant d'autres -dans la précipitation. Pourtant, le choix de l'emploi d'un autre vocable en matière d'accident de la circulation pour éviter l'assimilation logique avec le droit commun, eut été de bon aloi. Au-delà de cette incise inévitable, la Cour de cassation, pour renforcer la portée de l'affaire "Safty", a décidé d'en assurer la plus large publicité possible afin de retirer tout doute. "La loi du 5 juillet 1985 (N° Lexbase : L7887AG9) instituant un régime d'indemnisation en faveur des victimes d'accident de la circulation, d'ordre public, dérogatoire au droit commun, qualifie de transaction la convention qui se forme lors de l'acceptation par la victime de l'offre de l'assureur et que cette transaction ne peut être remise en cause à raison de l'absence de concessions réciproques". Voilà, tout au mieux, un vaste contentieux potentiel qui était clos en majeure partie. Pour autant, la Cour de cassation n'a pas desserré l'étau entourant le reste de la législation protectrice des victimes d'accidents de la circulation, comme le prouve, également, un autre arrêt, cette fois de la deuxième chambre civile, en date du 11 octobre dernier.
En effet, le même constat qui vient d'être effectué s'impose à la lecture de cet arrêt. Une femme est victime d'un accident de la circulation provoqué par un homme assuré auprès de la société GAN. Logiquement, elle les assigne tous deux. Constatons que seuls sont reproduits la quatrième branche du premier moyen et le second moyen. Or, la quatrième branche étant sans lien direct avec l'objet du présent commentaire, elle ne sera pas abordée ici, même si elle présente un intérêt indubitable pour savoir ce que l'expression de préjudice professionnel recouvre. Qu'il soit permis d'ouvrir une parenthèse pour signaler, tout de même, que l'arrêt se penche sur la question de la place que peut, ou non, occuper l'indemnité de licenciement pour évaluer la perte de gains professionnels d'une victime. Mais c'est le second moyen, relatif à l'offre d'indemnisation de l'assureur, qui atteste de la convergence de vue avec l'arrêt précédemment étudié du 18 septembre 2007.
En l'espèce, n'était pas discutée par les parties l'existence d'un retard pris par l'assureur pour effectuer son offre d'indemnisation à la victime et la mise en oeuvre de l'article L. 211-13 du Code des assurances dans une telle circonstance. L'assureur reprochait à la cour d'appel de l'avoir condamné à payer une indemnité augmentée de la sanction de l'article L. 211-9 du Code des assurances, alors qu'il avait bien effectué une offre. Comment le prononcé de la sanction est-il donc possible ? La raison est que l'assureur n'avait pas exécuté son obligation envers la victime elle-même, mais qu'il était passé par l'intermédiaire de son assureur. Néanmoins, la Cour de cassation ne désarme pas. Elle applique le formalisme dans sa rigueur la plus absolue et décide que l'assureur de la victime n'ayant pas été expressément mandaté par celle-ci pour la représenter, l'offre n'avait pas été présentée à celle-ci selon les termes de l'article L. 211-9 du Code des assurances.
A priori, l'arrêt pourrait être taxé d'excès de formalisme, rappelant des méthodes bien connues du droit du travail relatives au respect des règles de mise en oeuvre du processus présidant au licenciement. Toutefois, à bien y réfléchir, autoriser l'assureur de responsabilité à effectuer l'offre à l'assureur de la victime pourrait présenter deux inconvénients, eu égard aux objectifs de la loi du 5 juillet 1985, dont il est inutile de rappeler qu'elle est intitulée loi tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation. Le premier consisterait dans le ralentissement de l'indemnisation, fut-il léger ou court. Et le constat ou le reproche ne s'adresse pas aux assureurs en tant que tels, mais à tout intermédiaire en général. Le second, plus improbable sans qu'il soit possible de l'exclure totalement, pourrait résider dans le risque de voir les assureurs s'accorder sur les sommes à verser à la victime dans un sens plutôt réducteur. Pour autant, une telle possibilité n'est pas exclue par une disposition d'ordre publique puisque la Cour de cassation en admet le principe en suggérant que tout mandat donné par la victime à son assureur n'est pas interdit. Gageons que la suggestion donnera à réfléchir aux assureurs.
Véronique Nicolas, Professeur de droit privé de la Faculté de droit de Nantes, Membre de l'IRDP
Qualification du contrat d'assurance et sociologie juridique (ou la normalisation est-elle soluble dans l'assurance ?) : Cass. civ. 1, 2 octobre 2007, n° 06-19.521, Association française de normalisation (AFNOR), F-P+B (N° Lexbase : A6601DY7)
Quelle mouche a donc piqué la juridiction de proximité de Toulouse pour suivre (au moins sur le principe) un consommateur dans son argumentation réclamant l'exécution d'un contrat d'assurance prétendu dont l'AFNOR serait débiteur ? Quelles que soient les raisons ayant pu animer ce juge de proximité, elles fournissent l'occasion à la Cour de cassation, opérant ici une censure logique, de rappeler, dans cet arrêt destiné au Bulletin civil, les limites de l'assurance. Pour le commentateur, elle constitue une opportunité de se pencher sur la délimitation du périmètre du contrat d'assurance et de prolonger l'analyse de pure technique juridique par des réflexions de sociologie juridique appliquée à l'assurance.
C'est bien, en effet, du sujet de droit profane que germe, ici, l'idée que l'assurance serait là, à ses côtés, pour le protéger en cas de problème affectant un bien de consommation dont il vient de faire l'acquisition. En l'espèce, l'intéressé a "acquis le 18 janvier 2001 un téléviseur de marque Grundig pour le prix de 3 205 francs, garanti cinq ans [...] tombé en panne le 20 novembre 2003, [à propos duquel il] a 'sollicité l'exécution du contrat d'assurances auprès des services de l'Association française de normalisation (AFNOR)'". D'emblée le juriste songe que l'intéressé a confondu garantie commerciale, normalisation et assurance. Dans une réaction tout aussi immédiate on s'interrogera sur le point de savoir pourquoi l'acheteur insatisfait n'a pas orienté son action sur le terrain du droit de la vente, par une mise en oeuvre de la "garantie commerciale" de 5 ans accompagnant la vente de ce produit ou, éventuellement, par une action judiciaire assise sur le fondement de la nouvelle garantie légale insérée dans le Code de la consommation par une ordonnance du 17 février 2005 (ordonnance n° 2005-136, relative à la garantie de la conformité du bien au contrat due par le vendeur au consommateur N° Lexbase : L9672G7D) (11) ou, si, comme en l'espèce le délai de prescription de 2 ans depuis la vente est expirée, par le jeu des actions traditionnelles, qu'il s'agisse de la garantie des vices cachés (à exercer dans les deux ans à compter de la découverte du vice depuis la nouvelle rédaction de l'article 1648 du Code civil N° Lexbase : L8779G8N issue de cette même ordonnance) ou qu'il s'agisse d'une erreur sur les qualités substantielles de la chose. Faute de s'expliquer pourquoi l'acquéreur n'avait pas cherché à mettre en oeuvre, devant le juge, cette garantie conventionnelle (qualifiée par le législateur de "garantie commerciale" pour bien la distinguer de la "garantie légale") pourtant mise en avant par cette même ordonnance (12), on voit la problématique "rouler" sur le terrain du droit des assurances.
Le consommateur a obtenu d'une juridiction de proximité la délivrance d'une injonction de faire à l'encontre de l'AFNOR, puis, par suite, un jugement par défaut (ou réputé contradictoire ?) au cours duquel il "a sollicité le remplacement du téléviseur ou sa réparation avec une nouvelle garantie de cinq ans". C'est donc plaider l'existence d'un contrat d'assurance dont l'obligation s'exécute au moyen d'une obligation de faire (remplacement ou réparation en nature), à l'instar du contrat d'assistance (13). L'analyse pourrait, selon nous, légitimement s'examiner à l'égard du vendeur, en s'interrogeant sur le point de savoir si la garantie commerciale, par lui proposée, ne mérite pas d'être (re)qualifiée en contrat d'assurance (14). Mais que vaut une telle demande portée à l'encontre d'un organisme de certification telle l'AFNOR ? Suggérer qu'un tel organisme certificateur garantit les biens certifiés a-t-il un sens ?
La qualification en contrat d'assurance exige que soient caractérisés, dans la relation contractuelle examinée, trois critères : un risque, une prime, une prestation (15). Or, où est la relation contractuelle qui unirait l'AFNOR à l'utilisateur de la chose marquée du sceau "NF" ? En quoi l'AFNOR assumerait-elle, moyennant perception d'une prime, l'obligation d'exécuter une prestation en cas de survenance d'un événement aléatoire ?
La juridiction de proximité a visiblement ignoré ces difficultés, condamnant l'AFNOR (non comparante après avoir négligé l'injonction de faire, attitude qui n'est peut-être pas étrangère à la sanction...) à payer la somme de 495,46 euros, qui lui permettra, coefficient de vétusté déduit, de remplacer cet objet à l'identique, avec la garantie souhaité". C'est tenir le certificateur pour un assureur de chose, sans d'ailleurs s'en justifier.
La Cour de cassation censure fort logiquement, rappelant que l'objet de l'activité de l'AFNOR, association d'utilité publique, consiste à "élaborer les référentiels demandés par les acteurs économiques pour faciliter leur développement stratégique et commercial, et d'attester de la conformité aux normes par l'apposition d'une marque nationale, ce qui ne constitue nullement une assurance l'engageant en cas de panne du produit". Dès lors, "aucun contrat d'assurance ne [liant] les parties entre elles, la juridiction de proximité a violé" l'article 12 du NCPC (N° Lexbase : L2043ADZ), à la fois dans ses alinéas 1 et 2. Le juge, réputé connaître le droit (jura novit curia !), ici des assurances, doit trancher les litiges conformément aux règles de droit qui lui sont applicables et il n'a pas, dans un jugement réputé contradictoire, à laisser se déployer un raisonnement erroné soulevé par le demandeur et non contredit par un défendeur non comparaissant, puisque le NCPC lui fait obligation de restituer aux faits et actes litigieux leur exacte qualification !
Or, il est bien difficile de contredire l'analyse selon laquelle la certification d'une conformité à une norme n'emporte pas garantie directe de cette conformité à l'égard de l'acquéreur. Ainsi que le rappelle la Cour de cassation, l'AFNOR n'entretient aucun lien contractuel avec les usagers des produits dont elle "assure" la conformité à une norme. La certification de l'AFNOR ne constitue ni une assurance pour compte de qui il appartiendra (au sens de l'article L. 112-1 du Code des assurances) que souscrirait le vendeur, ni une assurance de responsabilité du vendeur. La solution se comprend aisément, ne serait-ce que d'un point de vue pragmatique : tenir l'AFNOR pour un assureur de fait conduirait à dégager de sa responsabilité le vendeur de ce produit certifié et précipiterait la "faillite" d'un tel organisme. L'analyse serait redoutable, car le fait que l'AFNOR soit une association, ne répondant à aucune des exigences du droit des activités d'assurance, ne satisfaisant ni aux formes sociales admises (cf., C. assur., art. L. 322-1 N° Lexbase : L7573HB4) ni à l'exigence d'agrément (16) (cf., C. assur., art. L. 321-1 N° Lexbase : L7573HB4), déboucherait sur l'hypothèse d'un contrat d'assurance nul (pour incapacité de "l'assureur" non-professionnel). Or, tant les textes (cf., C. assur., art. L. 310-2 N° Lexbase : L3006HI8 in fine), que la jurisprudence, conduisent à cette hypothèse, originale, d'une nécessité pour l'assureur incapable de devoir s'exécuter d'un contrat nul (17), cette nullité n'étant "pas opposable, lorsqu'ils sont de bonne foi, aux assurés, aux souscripteurs et aux bénéficiaires".
Mais une telle analyse serait "assurément" dénaturante de la normalisation. Comme la Cour de cassation l'a déjà dit à propos de l'AFNOR, la normalisation constitue simplement l'expression des règles de l'art et de sécurité minimum s'imposant à l'ensemble des professionnels. Dès lors, le respect de la norme ne saurait constituer une cause exonératoire de la responsabilité du professionnel (18). La solution a, d'ailleurs, été, sur le terrain de la responsabilité du fait des produits défectueux, expressément consacrée par l'article 1386-10 du Code civil (N° Lexbase : L1503ABB) (19), même s'il est d'autres textes qui nous semble induire que le respect de la norme peut atténuer la responsabilité d'un professionnel (20). Ces solutions postulent que la normalisation est un élément d'information du consommateur, et non un élément que celui-ci peut directement mettre en oeuvre, a fortiori une assurance.
L'approbation de l'arrêt, sur le strict terrain du droit, doit être prolongée d'une réflexion beaucoup plus dubitative sur le terrain de la sociologie juridique, tant à l'égard des justiciables qui voient de l'assurance partout qu'à l'égard des juges de proximité qui cèdent, dans le but de protéger le consommateur et celui de sanctionner un professionnel qui n'a pas daigné se présenter à eux, à une utilisation fantaisiste du droit....
Sébastien Beaugendre, Maître de conférences à la Faculté de droit de Nantes, membre de l'IRDP (institut de recherche en droit privé)
Après que la Cour de cassation a précisé les obligations de l'assureur garant de la livraison en matière de construction de maison individuelle sur plan, au sens de l'article L. 231-6 du Code de la construction et de l'habitation (N° Lexbase : L6830HCX), par un arrêt remarqué du 12 septembre 2007 (21), cette garantie de livraison est à nouveau à l'honneur dans cet arrêt du 26 septembre 2007. Elle apporte, cette fois, une contribution notable aux limites de l'obligation d'information du banquier quant au contrat d'assurance qui, tantôt conditionne le prêt, tantôt en est un "satellite".
Le commentaire de cette décision du 12 septembre dans la précédente chronique nous avait permis de rappeler les liens qu'entretient cette garantie de livraison (22) avec l'assurance-construction, singulièrement la "dommages-ouvrage", et les hypothèses de concours entre garant de la livraison et assureur dommages-ouvrage, ce dernier en supportant la charge définitive.
L'arrêt du 26 septembre 2007 s'inscrit dans ce contexte puisque le garant avait ici, afin de se ménager la possibilité d'un tel recours contre l'assureur dommages-ouvrage, conditionné sa garantie à la conclusion d'une telle assurance par le maître de l'ouvrage. La difficulté, pour le couple maître de l'ouvrage, est née du fait qu'ils ont conclu avec le constructeur de maison individuelle, "depuis lors en liquidation judiciaire, un contrat [...] prévoyant la souscription, pour leur compte, [...] d'une assurance 'dommages-ouvrage' et d'une garantie de remboursement ou de livraison ; que la société BG construction et rénovation a transmis aux époux E. une attestation de garantie de livraison prévoyant l'obtention de l'assurance 'dommages-ouvrage' comme condition suspensive de son entrée en vigueur". Or, "le garant a refusé sa garantie au motif que l'assurance 'dommages-ouvrage' n'avait pas été souscrite". La "faillite" du constructeur, mandataire pour ce qui avait trait à la conclusion de la garantie de livraison conditionnée à la présence d'une assurance dommages-ouvrage, condamnait toute tentative d'action efficace des mandants contre leur mandataire, qui nous semblait être pourtant le débiteur "naturel" d'une obligation d'information et de conseil. Aussi, ont-ils choisi de diriger leur action contre le banquier ayant financé l'opération immobilière, lui reprochant d'avoir manqué à son obligation d'information et de conseil, laquelle, selon eux, impliquait la charge pour le prêteur professionnel "de vérifier la réalisation des conditions suspensives auxquelles était subordonnée la garantie de livraison, [en application des] articles L. 231-10 du Code de la construction et de l'habitation et 1147 du Code civil (N° Lexbase : L1248ABT)". Voilà qui pose donc la question de savoir si l'obligation de conseil et d'information du banquier implique la vérification de l'efficacité des garanties ou des assurances assortissant l'opération financée.
On se souvient que, sur le terrain des assurances emprunteurs, l'Assemblée Plénière a, dans une décision justement remarquée du 2 mars 2007 (23), posé que "le banquier, qui propose à son client auquel il consent un prêt, d'adhérer au contrat d'assurance de groupe qu'il a souscrit à l'effet de garantir, en cas de survenance de divers risques, l'exécution de tout ou partie de ses engagements, est tenu de l'éclairer sur l'adéquation des risques couverts à sa situation personnelle d'emprunteur, la remise de la notice ne suffisant pas à satisfaire à cette obligation". Ce renforcement notable de la responsabilité du banquier, tenu d'une obligation de conseil adaptée à la situation personnelle de l'emprunteur, a, dans un arrêt postérieur rendu le 14 juin 2007 (24), été encore accentué, l'arrêt retenant que "le banquier, qui mentionne dans l'offre de prêt que celui-ci sera garanti par un contrat d'assurance souscrit par l'emprunteur auprès d'un assureur choisi par ce dernier, est tenu de vérifier qu'il a été satisfait à cette condition ou, à tout le moins, de l'éclairer sur les risques d'un défaut d'assurance". L'obligation de mise en garde (des conséquences d'un défaut d'assurance) est envisagée comme une obligation alternative à une obligation plus poussée de vérification qu'une assurance a bien été conclue, sorte d'obligation de "vigilance". La solution nous semble se justifier dès lors que cette assurance constitue, comme le souligne cet arrêt, une "condition" au sens strict du terme. Il est logique que le banquier se soucie de savoir si la condition est bien réalisée, car c'est alors la formation même du contrat de prêt qui se trouve subordonnée à la présence d'une telle garantie. De surcroît, le particularisme de l'assurance de groupe, où le banquier est tout à la fois souscripteur et bénéficiaire de l'assurance, explique qu'on attende de lui une implication accrue à l'égard de celui qui adhère au contrat d'assurance conclu par ce banquier. Est-ce à dire que le raisonnement vaille pour toute assurance "satellite" d'un prêt ?
De l'assurance groupe garantissant le prêt à la souscription d'une assurance dommages-ouvrage érigée en condition de la garantie de livraison assortie au contrat de construction financé par un prêt, il n'est qu'un pas. Un pas que la Cour de cassation se refuse à franchir, en énonçant, dans cet arrêt du 26 septembre 2007, que "le prêteur n'était pas tenu d'une obligation excédant le contrôle formel de l'existence de l'attestation de garantie de livraison, a pu en déduire que la Banque patrimoine et immobilier n'avait pas commis de faute, le banquier prêteur n'étant pas tenu de vérifier les conditions de la délivrance de l'attestation de garantie de livraison, ni de conseiller les maîtres de l'ouvrage sur la vérification de ces conditions".
La solution doit mériter entière approbation car elle nous semble dictée par les dispositions de l'article L. 231-10 du Code de la construction et de l'habitation, aux termes duquel "aucun prêteur ne peut émettre une offre de prêt sans avoir vérifié que le contrat comporte celles des énonciations mentionnées à l'article L. 231-2 (N° Lexbase : L7277AB7) qui doivent y figurer au moment où l'acte lui est transmis et ne peut débloquer les fonds s'il n'a pas communication de l'attestation de garantie de livraison". Certes, le texte ne précise pas l'intensité de cette "vérification", et il est exact que, parmi les énonciations mentionnées à l'article L. 231-2, figurent notamment : "j) La référence de l'assurance de dommages souscrite par le maître de l'ouvrage, en application de l'article L. 242-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L6693G9R) ; k) Les justifications des garanties de remboursement et de livraison apportées par le constructeur, les attestations de ces garanties étant établies par le garant et annexées au contrat". En outre, la jurisprudence a bien précisé "que l'article L. 231-10 du Code de la construction et de l'habitation, n'exclut dans aucune de ses dispositions de sanctionner, sur le fondement des règles du droit commun de la responsabilité civile, le manquement imputé" (25) au prêteur, de sorte que toute évolution jurisprudentielle sur le terrain (général) de l'obligation d'information ou de conseil du banquier (singulièrement quant à l'assurance) est susceptible de s'appliquer sur le terrain de l'article L. 231-10.
Néanmoins, la limitation à un contrôle formel ne surprendra pas. La jurisprudence s'était déjà engagée sur cette voie, retenant que le prêteur n'a pas à vérifier "l'authenticité des documents produits" (26), ni à s'assurer "de leur véracité" (27). L'arrêt du 26 septembre 2007 achève ce mouvement en posant expressément que "le prêteur n'[est] pas tenu d'une obligation excédant le contrôle formel de l'existence de l'attestation de garantie de livraison" et qu'il n'est "pas tenu de vérifier les conditions de la délivrance de l'attestation de garantie de livraison, ni de conseiller les maîtres de l'ouvrage sur la vérification de ces conditions" : donc, ni vérification que les conditions suspensives propres à la garantie de livraison sont réalisées, ni obligation de mise en garde de l'emprunteur quant à la formation effective de cette garantie de livraison. On concédera que l'analyse est nettement en retrait de celle développée à propos des assurances groupe. Mais on se gardera d'exagérer les différences et, réflexion faite, on peut se demander si cet enseignement ne mérite pas d'être généralisé, y compris aux assurances de groupe, bien que, y a-t-on dit, le rôle du "prêteur-souscripteur-bénéficiaire" nous semble justifier un rôle accru du banquier. Bref, il est légitime de s'interroger sur les limites de l'obligation d'information du banquier en matière d'assurance, car il est bon que les diligences attendues du prêteur ne confinent pas à l'excès. Il serait ainsi déraisonnable d'attendre de lui qu'il s'assure de la licéité du contrat d'assurance conclu (28). Cette vérification doit incomber au seul assureur. De même, le banquier, qui finance la construction d'une maison individuelle sur plan, n'a-t-il pas à se substituer au garant de la livraison, auquel il incombe seul de vérifier que les conditions qu'il a insérées sont réalisées. Conseil ou information ne se confondent pas dans une substitution propre à déboucher sur une véritable dilution !
La question de savoir si l'obligation de conseil et d'information du banquier implique la vérification de l'efficacité des garanties ou des assurances assortissant l'opération financée nous semble donc appeler une réponse nuancée. Si le banquier est, par exemple, tenu de respecter une exigence de proportionnalité à l'égard de la caution personne physique (29), ce qui nous semble être une obligation de nature à garantir l'efficacité de la sûreté ; si le banquier doit vérifier que l'assurance assortissant son prêt est en adéquation avec les besoins assurantiels de son emprunteur, le cas échéant en conseillant la souscription d'une assurance complémentaire, élément de nature à garantir l'efficacité de cette assurance ; en revanche, il nous semble que le banquier n'a pas à endosser le rôle et la responsabilité propres au "concepteur" du contrat, qu'il soit assureur ou garant de la livraison d'une maison individuelle....
Sébastien Beaugendre, Maître de conférences à la Faculté de droit de Nantes, membre de l'IRDP (institut de recherche en droit privé)
(1) A. Bessson, La notion de déchéance en matière d'assurance, RGAT 1936, p. 225 et p. 473 ; Traité de droit des assurances : le contrat d'assurance, LGDJ 2002, voir : "le sinistre" par V. Nicolas, spéc. n° 1380, p. 1006.
(2) Cass. civ. 1, 21 juin 1989, n° 86-19.230, Consorts Miquel c/ La Mutuelle du Mans (N° Lexbase : A9747AAA), Bull. civ. I, n° 247, p. 165 ; RGAT 1989, n° 3, p. 530, note J. Kullmann ; Cass. civ. 1, 26 février 1980, n° 78-15824, Les Lloyd's de Londres et autres c/ Dame E. et autres (N° Lexbase : A0418CKP), Bull. civ. I, n° 64 ; D. 1981, I.R.175, obs. Berr et Groutel.
(3) Cass. civ. 1, 27 avril 1994, n° 92-10.484, Epoux Guezouli c/ Mutuelle assurance des commerçants et industriels de France (Macif) (N° Lexbase : A3854ACQ), Bull. civ. I, n° 151; RGAT 1994, p. 781, note J. Kullmann ; Cass. civ., 29 juillet 1939, RGAT 1939, p. 1015.
(4) Cass. civ. 2, 30 juin 2004, n° 03-14.254, M. Vincent Le Roux c/ Caisse nationale de prévoyance assurances (CNP), F-P+B (N° Lexbase : A9113DCI), Bull. civ. II, n° 335, p. 282 ; Cass. civ., 29 juillet 1939, précité.
(5) Traité de droit des assurances : le contrat d'assurance (sous la dir. de J. Bigot), LGDJ 2002, voir : "le sinistre" par V. Nicolas, n° 1397, p. 1014 ; Y. Lambert-Faivre, Droit des assurances, Dalloz, 12ème éd. 2005, par L. Leveneur, n° 338 et s, p. 272 et s..
(6) A. Bessson, La notion de déchéance en matière d'assurance, RGAT 1936, p. 225 et p. 473 ; B. Beignier, Droit du contrat d'assurance, PUF, 1999, n° 198, p. 292 ; A. Favre-Rochex et G. Courtieu, Le droit des assurances obligatoires, LGDJ, Coll. Droit des affaires, 2000, n° 2-89, p. 89 ; Y. Lambert-Faivre, Droit des assurances, Dalloz, 12ème éd. 2005, par L. Leveneur, n° 487, p. 363 ; Lamy assurances, Le contrat d'assurance par J. Kullmann, n° 666, p. 279.
(7) Traité de droit des assurances : le contrat d'assurance (sous la dir. de J. Bigot), LGDJ, 2002, voir : V. Nicolas, "Les limites de la dette de l'assureur", n° 1609 et s., p. 1121 et s..
(8) V. Nicolas, Pour l'assuré comme pour l'assureur : faut-il toujours payer ses dettes ?, Petites affiches, 29 mars 2006, numéro spécial, n° 63, p. 33 et s. ; Cass. civ. 2, 9 octobre 2003, n° 02-15.412, Mutuelle des motards c/ M. Gérard Poulain, FS-P+B (N° Lexbase : A7217C98), Bull. civ. II, n° 292 ; RGDA 2004, n° 1, p. 91, note J. Landel ; D. 2004, p. 371, note Poulet ; Cass. civ. 2, 24 février 2000, n° 98-10775, Mlle Filippi c/ M. Couronne et autre (N° Lexbase : A7998CI3), Bull. civ. II, n° 29 ; Cass. civ. 2, 23 septembre 1999, n° 97-21741, M. Bayon c/ Compagnie L'Equité et autres (N° Lexbase : A7328CIA), Bull. civ. II, n° 138 ; JCP éd. G, 2000, I, 243, n° 30 et s..
(9) CA Aix-en-Provence, 10ème ch., 14 avril 2004, n° 01/18944, Madame Annick Gillaux, veuve Safty c/ MACIF Provence Méditerranée (N° Lexbase : A7696DCZ).
(10) Cass. civ. 2, 16 novembre 2006, n° 05-18.631, Société Mutuelle assurance des commerçants et industriels de France et des cadres et salariés de l'industrie et du commerce (MACIF), FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A3238DSQ), Bull. civ. II, n° 320, p. 296, JCP éd. G., 21 février 2007, n° 8/9, II, 10032, p. 31-35, obs. Luc Mayaux ; Gaz. Pal. 14-15 mars 2007, note Sardin ; RCA 2006, repère 12 par H. Groutel ; RLDC 2007/36, n° 2439, note Baugard.
(11) C. consom., art. L. 211-1 et s.(N° Lexbase : L9679G8Y).
(12) L'ordonnance du 17 février 2005 a introduit dans notre Code de la consommation deux articles relatifs à la garantie commerciale : l'article L. 211-15 (N° Lexbase : L9658G89) exige que "la garantie commerciale offerte à l'acheteur pren(ne) la forme d'un écrit mis à la disposition de celui-ci" et que "cet écrit précise le contenu de la garantie, les éléments nécessaires à sa mise en oeuvre, sa durée, son étendue territoriale ainsi que le nom et l'adresse du garant. Il mentionne que, indépendamment de la garantie ainsi consentie, le vendeur reste tenu des défauts de conformité du bien au contrat et des vices rédhibitoires dans les conditions prévues aux articles 1641 à 1649 du Code civil. Il reproduit intégralement et de façon apparente les articles L. 211-4, L. 211-5 et L. 211-12 du présent code ainsi que l'article 1641 et le premier alinéa de l'article 1648 du Code civil. En cas de non-respect de ces dispositions, la garantie demeure valable. L'acheteur est en droit de s'en prévaloir". L'article L. 211-16 (N° Lexbase : L1559HIL) prévoit que "lorsque l'acheteur demande au vendeur, pendant le cours de la garantie contractuelle qui lui a été consentie, une remise en état couverte par la garantie, toute période d'immobilisation d'au moins sept jours vient s'ajouter à la durée de la garantie qui restait à courir. Cette période court à compter de la demande d'intervention de l'acheteur ou de la mise à disposition pour réparation du bien en cause, si cette mise à disposition est postérieure à la demande d'intervention".
(13) Là-dessus, cf. notre thèse, S. Beaugendre, Contrat d'assistance et activité d'assurance, LGDJ, Bibl. Droit privé, tome 338. Adde, à propos de l'éventuelle qualification d'un contrat de maintenance en contrat d'assurance, V. Nicolas, Essai d'une nouvelle analyse du contrat d'assurance, LGDJ, Bibl. Droit privé, tome 267.
(14) Sur cette éventualité d'une requalification d'une garantie commerciale, contrat par lequel un garant accepte la prise en charge d'un risque aléatoire (la survenance d'un dysfonctionnement plus large qu'un vice caché ou qu'un défaut de conformité) moyennant paiement préalable d'une somme, soit incluse dans le prix de vente soit distincte, en contrat d'assurance (d'assistance plus précisément), cf. S. Beaugendre, op. cit..
(15) Là-dessus, cf., notamment, Y. Lambert-Faivre et L. Leveneur, Droit des assurances, Précis Dalloz, 12ème éd., 2005, n° 33.
(16) Sur cette exigence, cf., notamment, V. Nicolas, Société et mutuelle d'assurance, Rép. Sociétés Dalloz, janvier 2006, spéc. n° 110 et s., p. 20 et s..
(17) Là-dessus, cf. nos obs. sous art. L. 322-2-2 (N° Lexbase : L6253DIG) in Code des assurances Litec.
(18) Là-dessus, cf. F.-X. Testu et J.-H. Moitry, La responsabilité du fait des produits défectueux, Commentaire de la loi n° 98-389 du 19 mai 1998, Dalloz Affaires 1998, suppl. au n° 125.
(19) "Le producteur peut être responsable du défaut alors même que le produit a été fabriqué dans le respect des règles de l'art ou de normes existantes ou qu'il a fait l'objet d'une autorisation administrative".
(20) Nous songeons particulièrement à l'article 17 du Règlement "Rome II" du 11 juillet 2007 (Règlement (CE) n° 864/2007 du Parlement européen et du Conseil, sur la loi applicable aux obligations non contractuelles N° Lexbase : L1110HYR), qui, s'agissant de responsabilité civile internationale, sous un intitulé "Règles de sécurité et de comportement", énonce la règle suivante : "Pour évaluer le comportement de la personne dont la responsabilité est invoquée, il est tenu compte, en tant qu'élément de fait et pour autant que de besoin des règles de sécurité et de comportement en vigueur au lieu et au jour de la survenance du fait qui a entraîné la responsabilité".
(21) Cf. nos obs., sous Cass. civ., 12 septembre 2007, n° 06-10.246, M. Denis, Gérald Pinkas, FS-P+B+I (N° Lexbase : A2105DYM), Chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences, Lexbase Hebdo n° 275 du 4 octobre 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N5826BCR).
(22) On rappellera que le contrat qui lie le constructeur au maître de l'ouvrage doit comporter une liste d'énonciations parmi lesquelles : "la référence de l'assurance de dommages souscrite par le maître de l'ouvrage, en application de l'article L. 242-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L6693G9R)" (CCH, art. L. 231-2, j N° Lexbase : L7277AB7) et "les justifications des garanties de remboursement et de livraison apportées par le constructeur, les attestations de ces garanties étant établies par le garant et annexées au contrat" (CCH, art. L 231-2, k). Cette garantie de livraison est détaillée à l'article L. 231-6 du même code (N° Lexbase : L6830HCX), lequel définit la qualité de ces garants potentiels ainsi que l'objet et le régime de cette garantie : "S'agissant des personnes habilitées à garantir ce risque financier, la loi a réservé cette qualité aux établissements de crédit et aux entreprises d'assurances agrées à cet effet. S'agissant de l'objet de cette garantie, il est tourné, en premier lieu, vers la couverture, depuis l'ouverture du chantier et jusqu'à réception des travaux [...] pour dénoncer les vices apparents ou, si des réserves ont été formulées, lorsque celles-ci ont été levées" (CCH, art. L. 231-6 IV N° Lexbase : L6830HCX), des risques d'inexécution ou de mauvaise exécution des travaux prévus au contrat, à prix et délais convenus. On notera, ici, que l'inexécution des travaux est prise en charge, alors que dans une assurance dommages-ouvrage, la non-réalisation de l'ouvrage n'est pas couverte. Comme indiqué à l'article L. 231-6 I du Code de la construction et de l'habitation, le risque se traduit par la nécessité, pour le garant, en cas de défaillance du constructeur, de prendre à sa charge "a) Le coût des dépassements du prix convenu dès lors qu'ils sont nécessaires à l'achèvement de la construction, la garantie apportée à ce titre pouvant être assortie d'une franchise n'excédant pas 5 % du prix convenu ; b) Les conséquences du fait du constructeur ayant abouti à un paiement anticipé ou à un supplément de prix ; c) Les pénalités forfaitaires prévues au contrat en cas de retard de livraison excédant trente jours, le montant et le seuil minimum de ces pénalités étant fixés par décret". En outre, l'alinéa suivant de ce même article (art. L. 231-6-II) fait peser sur le garant des obligations de faire consistant, en cas de non-respect des délais de livraison ou lorsque les travaux nécessaires à la levée des réserves formulées à la réception ne sont pas réalisés, à mettre en demeure le constructeur soit de livrer l'immeuble, soit d'exécuter les travaux, puis, quinze jours après une mise en demeure restée infructueuse, le garant doit désigner sous sa responsabilité la personne qui terminera les travaux.
(23) Ass. plén., 2 mars 2007, n° 06-15.267, M. Henri Dailler c/ Caisse régionale de crédit agricole mutuel de la Touraine et du Poitou, P+B+R+I (N° Lexbase : A4358DUX), V. Nicolas Chronique en droit des assurances, Lexbase Hebdo n° 255 du 5 avril 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N6221BAN) ; R. Routier, Le devoir du banquier d'éclairer son client : concept obscur ou parfaitement lumineux ?, Lexbase Hebdo n° 256 - édition privée générale du 19 avril 2007 (N° Lexbase : N6716BAY) ; A. Gourio, Renforcement de l'obligation d'information du banquier prêteur auprès de son client adhérant au contrat d'assurance de groupe, JCP éd. G, 2007, n° 10098.
(24) Cass. civ. 2, 14 juin 2007, n° 03-19.229, M. Mohamed Marzouk, FS-P+B (N° Lexbase : A7822DWM).
(25) Cass. com., 29 octobre 2003, n° 00-17.533, M. Jules Martinetti c/ Caisse d'aide sociale de l'Education nationale, FS-P (N° Lexbase : A9873C9K), Bull. civ. IV, n° 156 p. 175 ; Revue de droit immobilier, mars-avril 2004, n° 2, p. 185-187, note Daniel Tomasin.
(26) Cass. civ. 3, 12 février 2003, n° 01-12.086, M. Jean-Michel Greiner c/ Société générale, FS-P+B (N° Lexbase : A0081A77), Constr-Urb 2003, n° 123, obs. D. Sizaire.
(27) Cass. civ. 3, 9 novembre 2005, n° 04-17.061, M. Kamel Haddouche c/ Caisse d'épargne des pays du Hainaut, FS-P+B (N° Lexbase : A5182DLI), Constr.-Urb 2005, n° 265, obs. D. Sizaire.
(28) En revanche, la jurisprudence a considéré que le banquier doit attirer l'attention de l'assuré sur les exclusions de risque (Cass. civ. 1, 26 novembre 1991, n° 89-11.337, Société HLM CARPI c/ Epoux Solito N° Lexbase : A7948C3R, RGAT 1992, p. 148, obs. J. Kullmann) ou sur les conséquences d'une fausse déclaration (Cass. civ. 1, 14 octobre 1997, n° 95-14.337, M. Gérald Huntz c/ Caisse d'épargne et de prévoyance du Languedoc Roussillon N° Lexbase : A2633CTP, RGDA 1997, p. 1069, note J. Kullmann).
(29) Cf. L. 341-4 du Code de la consommation (N° Lexbase : L8753A7C), issu de la loi "Dutreil" du 1er août 2003 (loi n° 2003-721, pour l'initiative économique N° Lexbase : L3557BLC), selon lequel "un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation".
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Réf. : Cass. civ. 2, 25 octobre 2007, n° 06-21.392, Mme Henriette Sarian, FS-P+B+R (N° Lexbase : A8550DYC)
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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen
Le 07 Octobre 2010
1. Faciliter la réparation des victimes de l'amiante
Les travaux parlementaires ont montré toute l'ampleur de la catastrophe sanitaire liée à l'utilisation de l'amiante pendant des décennies (1). Le législateur est intervenu en 2001 en mettant en place un dispositif spécifique de réparation du préjudice (Fiva). La Cour de cassation s'est, également, attachée à faciliter la réparation.
1.1. Lien de causalité et opposabilité de la décision de la CPAM
La question de la présomption d'imputabilité a été réglée par le législateur, s'agissant des victimes de l'amiante. Le législateur distingue deux hypothèses : la présomption d'imputabilité joue si la CPAM a rendu une décision de reconnaissance ou si la maladie dont souffre la victime figure sur une liste. La présomption d'imputabilité ne joue pas dans les autres cas, et la victime doit, alors, saisir la commission d'examen des circonstances de l'exposition à l'amiante (Cecea).
Pour faciliter la réparation du préjudice lié à l'amiante, le législateur a fixé comme règle que vaut justification de l'exposition à l'amiante, la reconnaissance d'une maladie professionnelle occasionnée par l'amiante au titre de la législation française de Sécurité sociale ou d'un régime assimilé ou de la législation applicable aux pensions civiles et militaires d'invalidité, ainsi que le fait d'être atteint d'une maladie provoquée par l'amiante et figurant sur la liste établie par arrêté des ministres chargés du Travail et de la Sécurité sociale (deuxième phrase du quatrième alinéa du III de l'article 53 de la loi du 23 décembre 2000).
De plus, lorsque la maladie, en conséquence de laquelle est présentée la demande d'indemnisation, figure sur la liste établie en application de la deuxième phrase du quatrième alinéa du III de l'article 53 de la loi du 23 décembre 2000, le demandeur est dispensé de produire les documents établissant l'exposition à l'amiante et présente, seulement, un certificat médical attestant cette maladie (décret du 23 octobre 2001, art. 15-I, al. 2).
De même, l'article 15-III du décret du 23 octobre 2001 précise que, par dérogation aux dispositions ci-dessus, lorsque l'origine professionnelle de la maladie a été reconnue, le demandeur joint seulement au formulaire la décision de la CPAM ou de l'organisation spéciale de Sécurité sociale.
Dans le même sens, l'article 17 du décret du 23 octobre 2001 prévoit la transmission du dossier à la Cecea quand le lien entre la maladie et l'exposition à l'amiante n'est pas présumé établi en application de la deuxième phrase du quatrième alinéa du III de l'article 53 de la loi du 23 décembre 2000.
En l'espèce, l'arrêt rapporté rentre bien dans le cadre de cette première hypothèse, puisque, par décision ultérieure du 9 mai 2003, la CPAM a accepté de prendre en charge le décès de la victime au titre du risque professionnel et d'allouer à Mme S. une rente de conjoint survivant. La Cour de cassation en déduit que cette décision est bien opposable au Fiva. Elle s'impose au Fiva : la victime n'a pas à établir un lien de causalité entre l'exposition à l'amiante dans le cadre de son activité professionnelle et la maladie contractée.
L'avis de la Cecea n'est, dès lors, plus requis (Cass. civ. 2, 21 décembre 2006, n° 06-13.056, précité) (2).
Une commission d'examen des circonstances de l'exposition à l'amiante est chargée d'examiner les dossiers de demande d'indemnisation dans les cas autres que ceux prévus à la deuxième phrase du quatrième alinéa du III de l'article 53 de la loi du 23 décembre 2000 (décret du 23 octobre 2001, art. 7). Or, il faut rappeler que le législateur a décidé que vaut justification de l'exposition à l'amiante la reconnaissance d'une maladie professionnelle occasionnée par l'amiante au titre de la législation française de Sécurité sociale (ou d'un régime assimilé ou de la législation applicable aux pensions civiles et militaires d'invalidité), ainsi que le fait d'être atteint d'une maladie provoquée par l'amiante et figurant sur la liste établie par arrêté des ministres chargés du Travail et de la Sécurité sociale (loi du 23 décembre 2000, art. 53-III, al. 4).
Aussi, dès lors que la reconnaissance d'une maladie professionnelle due à l'amiante établit le lien de causalité entre la maladie et l'exposition à l'amiante, la Cecea n'a pas compétence pour statuer sur l'imputabilité de la maladie à l'exposition à l'amiante (Cass. civ. 2, 21 décembre 2006, n° 06-13.545, Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (Fiva), FS-P+B+R+I N° Lexbase : A1197DTI) (3). Il résulte du rapprochement de l'article 53 III, alinéa 4, deuxième phrase de la loi du 23 décembre 2000 et de l'article 17 du décret du 23 octobre 2001, que la reconnaissance d'une maladie professionnelle occasionnée par l'amiante au titre de la législation française de Sécurité sociale établit, par présomption, le lien de causalité entre la maladie et l'exposition à l'amiante.
Dans un tel cas, la Cecea n'a pas compétence pour donner un avis sur l'imputabilité de la maladie à l'exposition à l'amiante. Par conséquent, la cour d'appel a exactement déduit que Mme S., ayant formé une demande d'indemnisation au titre d'une maladie reconnue comme maladie professionnelle occasionnée par l'exposition à l'amiante par la caisse primaire de Sécurité sociale, était en droit d'obtenir du sans autre justification du lien ainsi présumé entre la maladie et l'exposition à l'amiante, la réparation intégrale du préjudice subi du fait de la maladie et du décès de son mari.
1.2. Droit au juge
La Cour de cassation a précisé la compétence juridictionnelle applicable à l'action en indemnisation des préjudices trouvant leur source dans la contamination par l'amiante, intentée après un refus de l'offre du Fiva (Cass. civ. 2, 4 juillet 2007, n° 06-20.040, FS-P+B N° Lexbase : A0941DX7) (4). Selon la Cour suprême, dès lors que l'offre formulée par le Fiva n'a pas été acceptée, la victime ou ses ayants droit disposent du droit d'agir en justice pour obtenir l'indemnisation des préjudices trouvant leur source dans la contamination par l'amiante. L'action doit, alors, être intentée devant la cour d'appel dans le ressort de laquelle se trouve le domicile du demandeur. En conséquence, l'action ayant été engagée après le décès de leur auteur, demandeurs en réparation des préjudices nés de l'exposition à l'amiante d'une seule et même personne, et l'un des ayants droit était domicilié dans le ressort de la cour d'appel saisie, la cour d'appel a violé la loi du 23 décembre 2000 et le décret du 23 octobre 2001.
La Cour suprême s'est prononcée dans un arrêt du 15 mars 2007 (Cass. civ. 2, 15 mars 2007, n° 06-16.991, F-P+B N° Lexbase : A7027DUS) sur la question du refus de l'offre d'indemnisation formulée par le Fiva et de la procédure devant les juges d'appel (5).
Pour déclarer irrecevables certaines pièces versées aux débats et les débouter de leur demande d'indemnisation du préjudice économique, les juges du fond avaient décidé que les pièces sont produites, pour la première fois, devant la cour d'appel et n'ont pas été produites lors de l'introduction de la demande ou lors de l'instruction de celle-ci, malgré les courriers du Fonds. Ces pièces devaient être produites pendant le processus d'évaluation de la demande par le Fonds et doivent donc être déclarées irrecevables, en application des articles 53 de la loi du 23 décembre 2000, 15, 26 et 28 du décret du 23 octobre 2001.
La Cour de cassation casse cette décision au visa des articles 53-IV de la loi du 23 décembre 2000 et 15 du décret du 23 octobre 2001. En effet, lorsque l'offre formulée par le Fiva n'a pas été acceptée, la victime ou ses ayants droit sont recevables à saisir la cour d'appel de toute demande d'indemnisation d'un chef de préjudice trouvant sa source dans la contamination par l'amiante, en produisant toutes pièces justificatives, quand bien même celles-ci n'auraient pas été soumises antérieurement à l'appréciation du Fonds dans le cadre de l'instruction de cette offre.
2. Préserver les intérêts du Fiva
La Cour de cassation a voulu éviter le piège d'une jurisprudence exclusivement centrée sur les intérêts des victimes de l'amiante, et a rendu un certain nombre de décisions favorables au Fiva.
2.1. Enjeux financiers et organisationnels
Deux éléments peuvent contribuer à expliquer la recherche, par la Cour de cassation, d'une jurisprudence équilibrée, compromis entre les intérêts des victimes et ceux du Fiva : des considérations financières (explosion des dépenses prises en charge par le appelant une plus grande rigueur dans les demandes de prise en charge, et un contrôle judiciaire des conditions de prise en charge par le Fiva) ; la nécessité de ne pas décourager, non plus, les victimes qui refusent la proposition de prise en charge du Fiva et saisissent les juridictions (au risque d'engorger les juridictions).
Selon le sixième rapport d'activité du le nombre de demandes d'indemnisation des personnes exposées à l'amiante a augmenté de juin 2006 à mai 2007. Cette période est marquée par la poursuite de l'augmentation du nombre de demandes d'indemnisation. Le Fiva relève une augmentation de 32 % de nouveaux demandeurs d'indemnisation et 25 % de nouveaux ayants droit de plus par rapport à la période précédente (juin 2005/mai 2006), aboutissant à 22 681 demandes d'indemnisation reçues, au total, sur la période.
Les dépenses d'indemnisation, qui s'élèvent, depuis la création du à 1,43 milliard d'euros, se sont accrues sur la période considérée de plus de 45 millions d'euros (375,3 millions d'euros contre 330,2 sur la période précédente).
2.2. Une jurisprudence équilibrée
De l'examen de la jurisprudence récente relative à l'amiante, il ressort que la Cour de cassation, à plusieurs reprises, a répondu aux arguments du Fiva contre ceux des victimes, dans un souci d'équilibre ou d'application de la règle de droit
La Cour de cassation, dans un arrêt du 13 septembre 2007, a apporté des précisions de procédure concernant les actions formées contre le Fiva (Cass. civ. 2, 13 septembre 2007, n° 06-20.337, FS-P+B N° Lexbase : A4342DYH). En l'espèce, M. A. a été reconnu atteint d'une maladie professionnelle due à l'exposition à l'amiante et a demandé l'indemnisation de ses préjudices au Fiva. Refusant l'offre de ce dernier, il a saisi une cour d'appel d'une action contre cette décision. Pour déclarer recevables certaines des pièces déposées par M. A., l'arrêt retient qu'aucun texte ne prescrit leur dépôt lors du recours sous peine d'irrecevabilité et que la cour d'appel ne peut ajouter à la loi, pour en déduire que la victime est recevable à déposer des pièces complémentaires tout au long de la procédure devant la cour d'appel. La Cour de cassation casse cet arrêt au visa des articles 27 et 28 du décret n° 2001-963 du 23 octobre 2001, au motif que, lorsque la déclaration formée par le demandeur exerçant devant la cour d'appel une action contre le Fiva ne contient pas l'exposé des motifs invoqués, le demandeur doit déposer cet exposé dans le mois qui suit le dépôt de la déclaration, à peine d'irrecevabilité de la demande et que les pièces et documents produits par le demandeur sont remis au greffe de cette cour en même temps que la déclaration ou l'exposé des motifs. Par suite, en conclut la Cour, en statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses propres constatations que ces pièces, qui n'étaient pas jointes à la déclaration du 5 janvier 2006, avaient été remises postérieurement à l'expiration du délai d'un mois suivant celle-ci, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Dès lors qu'il n'existe aucun lien de causalité entre le décès du salarié d'une maladie occasionnée par l'amiante et le préjudice prétendument supporté par son petit-fils, né 8 ans après son décès, ce dernier ne peut se voir indemnisé par le Fiva (Cass. civ. 2, 24 mai 2006, n° 05-18.663, FS-P+B N° Lexbase : A7651DP3).
Dans cette affaire, un salarié, atteint d'un mésothéliome pleural diagnostiqué le 5 novembre 1985, est décédé des suites de cette pathologie le 26 août 1986, à l'âge de 71 ans. La CPAM de Marseille a reconnu le caractère professionnel de cette pathologie et l'imputabilité du décès à cette maladie. Le 5 décembre 2003, ses ayants droit ont saisi le Fiva d'une demande d'indemnisation. Celui-ci leur a proposé, le 14 juin 2004, une offre définitive d'indemnisation, en rejetant la demande de réparation du préjudice souffert par le fils mineur, Xavier, né le 3 mai 1994, plus de 8 ans après le décès de son grand-père.
Les ayants droit ont, alors, saisi la cour d'appel d'une demande de réévaluation de l'offre faite par le Fiva. Pour allouer, du chef du préjudice personnel des ayants droit, la somme de 5 000 euros à l'enfant mineur, les juges retiennent qu'il y a lieu de tenir compte du fait que ceux-ci ont vu leur époux, père, ou grand-père, décéder d'une longue maladie au pronostic fatal, après de graves souffrances physiques et morales. Cette analyse ne convainc pas la Haute juridiction. Il n'existe aucun lien de causalité entre le décès du salarié et le préjudice prétendument souffert par son petit-fils né 8 ans après son décès.
Décision
Cass. civ. 2, 25 octobre 2007, n° 06-21.392, Mme Henriette Sarian, FS-P+B+R (N° Lexbase : A8550DYC) Cassation (CA Aix-en-Provence, 14ème chambre, 11 octobre 2006) Textes visés : Loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000, de financement de la Sécurité sociale pour 2001, art. 53-III alinéa 4 (N° Lexbase : L5178AR9) ; Décret n° 2001-963 du 23 octobre 2001, relatif au fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante institué par l'article 53 de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 de financement de la Sécurité sociale pour 2001, art. 15 III (N° Lexbase : L9812ATL). Mots-clefs : maladies professionnelles ; amiante ; fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante ; lien entre la maladie et l'exposition à l'amiante ; offre d'indemnisation. Lien bases : |
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Réf. : Décret n° 2007-1542 du 26 octobre 2007, relatif à la mise à disposition des fonctionnaires de l'Etat (N° Lexbase : L7822HYD)
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par Fany Lalanne, SGR - Droit public
Le 07 Octobre 2010
Plusieurs moyens sont, ainsi, offerts aux fonctionnaires afin de leur permettre de changer de poste : la mutation, la mise à disposition, le détachement, la position hors cadres et la disponibilité. Avec la mise à disposition, le fonctionnaire reste dans son corps d'origine. Il est réputé occuper son emploi et continue de percevoir sa rémunération, mais il effectue son service dans une autre administration que son administration d'origine. La mise à disposition ne peut avoir lieu qu'en cas de nécessité de service, avec l'accord du fonctionnaire. Elle peut durer trois ans, renouvelables. A son terme, si l'agent ne peut pas retrouver ses fonctions antérieures, il est réaffecté dans l'un des emplois correspondant à son grade. Régie par les articles 41 et suivants de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984, portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat (N° Lexbase : L7077AG9), la mise à disposition des fonctionnaires de l'Etat est précisée par le décret n° 85-986 du 16 septembre 1985, relatif au régime particulier de certaines positions des fonctionnaires de l'Etat et à certaines modalités de cessation définitive de fonctions (N° Lexbase : L1022G8D). C'est précisément ce texte qu'est venu modifier le décret n° 2007-1542 du 26 octobre 2007, paru au Journal officiel du 28 octobre dernier.
Le nouveau texte assure aux fonctionnaires de l'Etat davantage de facilité pour exercer des fonctions dans une autre administration que celle d'origine. La mise à disposition se trouve, ainsi, élargie et est, désormais, possible vers les collectivités territoriales et les hôpitaux, vers les organismes parapublics ou, encore, vers les Etats étrangers. Le décret précise, par ailleurs, la procédure de mise à disposition. A noter, également, que les administrations et les établissements publics administratifs de l'Etat peuvent, si les besoins du service le justifient, bénéficier de la mise à disposition de personnels de droit privé.
Le texte n'étonnera guère. Il constitue, en effet, la suite logique de la loi n° 2007-148 du 2 février 2007, de modernisation de la fonction publique, qui prévoyait déjà de nouvelles dispositions dans le déroulement des carrières des fonctionnaires. Une rénovation jugée indispensable par le ministère du Budget pour "simplifier des changements de fonctions jugés encore trop longs et complexes dans la fonction publique". En effet, pour pouvoir changer d'emploi, le fonctionnaire devait souvent préalablement changer de corps. La nouvelle MAD (mise à disposition) permet d'en assouplir les conditions (I) en offrant au fonctionnaire souhaitant changer de fonctions la faculté de ne pas changer de corps et, donc, de statut et d'en spécifier les règles particulières (II), notamment, et surtout, celles applicables aux personnels de droit privé mis à disposition de l'Etat et de ses établissements publics.
I - Les nouvelles conditions de la mise à disposition des fonctionnaires de l'Etat
A - Principes généraux
Le nouveau texte permet, tout d'abord, de rationaliser la procédure de mise à disposition des fonctionnaires de l'Etat.
Ainsi, son article 1er prévoit que la mise à disposition est prononcée par arrêté du ministre dont relève le fonctionnaire, après accord de l'intéressé et du ou des organismes d'accueil, dans les conditions définies par la convention de mise à disposition. Toutefois, lorsque la mise à disposition s'opère entre deux ou plusieurs services déconcentrés de l'Etat relevant d'un même échelon territorial, et qu'elle s'applique à un agent n'entrant pas dans les exceptions prévues aux articles 32 et 33 du décret n° 2004-374 du 29 avril 2004, relatif aux pouvoirs des préfets, à l'organisation et à l'action des services de l'Etat dans les régions et départements (N° Lexbase : L1781DYM) (1), elle est prononcée par arrêté du préfet compétent. Par ailleurs, si l'agent mis à disposition relève d'un établissement public de l'Etat, la décision revient à l'autorité investie du pouvoir de nomination dans l'établissement. L'arrêté doit indiquer le ou les organismes auprès desquels le fonctionnaire accomplit son service et la quotité du temps de travail qu'il effectue au sein de chacun d'eux.
L'article 2 du décret rapporté prévoit, par ailleurs, que la convention de mise à disposition conclue entre l'administration d'origine et l'organisme d'accueil définit la nature des activités exercées par le fonctionnaire mis à disposition, ses conditions d'emploi, les modalités du contrôle et de l'évaluation de ces activités. Elle peut porter sur la mise à disposition d'un ou de plusieurs agents.
Mais surtout, l'innovation majeure apportée par le nouveau décret réside dans l'élargissement du champ de la mise à disposition. En effet, si, jusqu'à présent, la mobilité existait entre administrations, elle est, désormais, possible vers les collectivités territoriales et les hôpitaux (seul le détachement était possible auparavant) ; les organismes concourant à une politique de la puissance publique (caisses de Sécurité sociale, organismes parapublics...) ; et, les Etats étrangers.
De même, le décret rend possible une mise à disposition simultanée auprès de plusieurs organismes. Comme le souligne le ministère du Budget, "cette innovation permettra de mieux répondre à la problématique des services dans les zones rurales : une mairie et un bureau de poste, chacun considéré isolément, n'aurait pas recruté un agent pour un mi-temps alors que la MAD permettra à un agent de partager son temps de travail entre la mairie et La Poste".
L'organisme d'accueil rembourse à l'administration d'origine la rémunération du fonctionnaire mis à disposition, ainsi que les cotisations et contributions afférentes. En cas de pluralité d'organismes d'accueil, ce remboursement est dû au prorata de la quotité de travail dans chaque organisme.
Les modalités de remboursement de la charge de rémunération par le ou les organismes d'accueil sont précisées par la convention de mise à disposition. Enfin, la convention de mise à disposition et, le cas échéant, ses avenants sont avant leur signature transmis au fonctionnaire intéressé dans des conditions lui permettant d'exprimer son accord sur la nature des activités qui lui sont confiées et sur ses conditions d'emploi.
A noter, également, qu'en cas de pluralité d'organismes d'accueil, une convention est passée entre l'administration d'origine et chacun de ceux-ci.
Enfin, l'article 3 du décret rapporté souligne que les rapports annuels mentionnés à l'article 43 bis de la loi du 11 janvier 1984 (2) précisent, dans le champ de compétence de chaque comité technique paritaire ministériel ou comité technique paritaire d'établissement public, le nombre d'agents mis à disposition de l'administration en cause, leurs administrations et organismes d'origine, le nombre de fonctionnaires de cette administration mis à disposition d'autres organismes et administrations, ainsi que la quotité de temps de travail représentée par ces mises à disposition.
B - Durée et cessation de la mise à disposition des fonctionnaires
La durée de la mise à disposition est fixée dans l'arrêté la prononçant. Elle est prononcée pour une durée maximale de trois ans et peut être renouvelée par périodes ne pouvant excéder cette durée.
Lorsqu'un fonctionnaire est mis à disposition d'une administration de l'Etat ou de l'un de ses établissements publics pour y effectuer la totalité de son service et qu'il y exerce des fonctions que son grade lui donne vocation à remplir, l'administration d'accueil, si elle dispose d'un corps correspondant, est tenue de lui proposer un détachement au sein de ce corps au terme d'une durée qui ne peut excéder trois ans. Le fonctionnaire qui accepte cette proposition bénéficie alors d'une priorité pour continuer, en position de détachement, à exercer les mêmes fonctions.
En vue de l'intégration dans le corps d'accueil à l'issue du détachement, la durée de service effectuée par l'agent pendant sa mise à disposition est prise en compte dans le calcul de l'ancienneté requise.
Enfin, la mise à disposition peut prendre fin avant le terme prévu par arrêté du ministre ou décision de l'autorité dont relève le fonctionnaire, sur demande de l'administration d'origine, de l'organisme d'accueil ou du fonctionnaire, sous réserve le cas échéant des règles de préavis prévues dans la convention de mise à disposition. S'il y a pluralité d'organismes d'accueil, la fin de la mise à disposition peut s'appliquer vis-à-vis d'une partie seulement d'entre eux. Dans ce cas, les autres organismes d'accueil en sont informés.
A noter qu'en cas de faute disciplinaire, il peut être mis fin sans préavis à la mise à disposition par accord entre l'administration d'origine et l'organisme d'accueil.
Lorsque cesse la mise à disposition, le fonctionnaire qui ne peut être affecté aux fonctions qu'il exerçait précédemment dans son service d'origine reçoit une affectation dans l'un des emplois que son grade lui donne vocation à occuper.
II - Les règles particulières applicables aux fonctionnaires mis à disposition
A - Principes généraux
Sur ces points, le décret rapporté n'innove guère. Il revient, conformément à son article 7, à l'administration ou l'organisme d'accueil de fixer les conditions de travail des personnels mis à sa disposition.
De même, l'administration d'accueil prend à l'égard des fonctionnaires mis à sa disposition les décisions relatives aux congés annuels et aux congés de maladie. En cas de pluralité d'administrations d'accueil, la convention de mise à disposition précise laquelle prend les décisions relatives à ces congés après information des autres administrations d'accueil. Toutefois, si le fonctionnaire est mis à disposition pour une quotité de temps de travail égale ou inférieure au mi-temps, les décisions reviennent systématiquement à l'administration d'origine de l'agent.
Par ailleurs, le même article précise que, sans préjudice d'un éventuel complément de rémunération dûment justifié, le fonctionnaire mis à disposition peut être indemnisé par le ou les organismes d'accueil des frais et sujétions auxquels il s'expose dans l'exercice de ses fonctions suivant les règles en vigueur dans ces organismes. Il revient à l'organisme d'accueil de supporter les dépenses occasionnées par les actions de formation dont il fait bénéficier l'agent.
Quant à l'administration d'origine, il lui appartient de prendre, à l'égard des fonctionnaires qu'elle a mis à disposition, les décisions relatives aux congés prévus aux 3° à 10° de l'article 34 (3) et à l'article 40 bis de la loi du 11 janvier 1984 (4), ainsi que celles relatives au bénéfice du droit individuel à la formation, après avis du ou des organismes d'accueil. Il en va de même des décisions d'aménagement de durée de travail.
Elle prend, également, toujours, en charge la rémunération, l'indemnité forfaitaire et l'allocation de formation versées à l'agent au titre du congé de formation professionnelle ou des actions relevant du droit individuel à la formation.
Enfin, l'autorité compétente au sein de l'administration d'origine exerce le pouvoir disciplinaire à l'encontre du fonctionnaire mis à disposition, le cas échéant sur saisine du ou de l'un des organismes d'accueil.
Le fonctionnaire mis à disposition est soumis au contrôle du corps d'inspection de son administration d'origine.
Un rapport sur la manière de servir du fonctionnaire mis à disposition est établi par son supérieur hiérarchique ou par le responsable sous l'autorité duquel il est placé au sein de chaque organisme d'accueil. Ce rapport, rédigé après un entretien individuel, est transmis au fonctionnaire, qui peut y porter ses observations, et à l'administration d'origine qui assure son évaluation et exerce à son égard le pouvoir de notation en application du décret n° 2002-682 du 29 avril 2002, relatif aux conditions générales d'évaluation, de notation et d'avancement des fonctionnaires de l'Etat (N° Lexbase : L0969G8E).
Dans le cas où la notation du fonctionnaire mis à disposition est effectuée par l'inspection dont il relève, l'organisme d'accueil adresse à cette dernière un état des tâches et missions attribuées au fonctionnaire intéressé ainsi que le compte-rendu de l'entretien individuel.
Enfin, au titre des fonctions exercées dans le cadre de leur mise à disposition, les agents sont soumis aux dispositions de l'article 87 de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993, relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques (N° Lexbase : L8653AGL) (5).
B - Règles particulières applicables aux personnels de droit privé mis à disposition de l'Etat et de ses établissements publics
La dernière disposition notable apportée par le nouveau texte est la faculté, offerte aux entreprises, de mettre à disposition des salariés de droit privé au profit de l'administration, lorsqu'ils détiennent une qualification technique spécialisée dont l'administration a besoin pour la conduite d'un projet.
Ils pourront intervenir pour la durée limitée d'un projet ou d'une mission nécessitant les qualifications techniques spécialisées.
L'administration pourra, ainsi, rapidement disposer de compétences spécifiques, avec la garantie d'un encadrement déontologique strict prévu par le décret.
Ainsi, l'article 13 du décret rapportée dispose que les administrations et les établissements publics administratifs de l'Etat peuvent, lorsque les besoins du service le justifient, bénéficier de la mise à disposition de personnels de droit privé :
1° pour l'exercice d'une fonction requérant des qualifications techniques spécialisées détenues par des salariés de droit privé employés par des organismes mentionnés au 4° de l'article 42 de la loi du 11 janvier 1984 (organismes contribuant à la mise en oeuvre d'une politique de l'Etat, des collectivités territoriales ou de leurs établissements publics administratifs, pour l'exercice des seules missions de service public confiées à ces organismes) ;
2° ou pour la réalisation d'une mission ou d'un projet déterminé qui ne pourrait être mené à bien sans les qualifications techniques spécialisées détenues par un salarié de droit privé.
Dans la première hypothèse, la mise à disposition s'applique pour une durée maximale de trois ans et est renouvelable par périodes ne pouvant excéder cette durée. Dans la seconde, elle s'applique pour la durée du projet ou de la mission sans pouvoir excéder quatre ans.
Le ministère du Budget, des Comptes publics et de la Fonction publique précise, à cet égard, qu'"ici encore, on souhaite faire primer une logique de compétence, avec comme objectif la qualité et la réactivité du service public".
Ainsi, par exemple, un spécialiste de la lutte contre la fraude à la caisse primaire d'assurance maladie de Paris pourra, désormais, travailler au ministère du Budget, des Comptes publics et de la Fonction publique pour mettre son expérience au service de la nouvelle politique de lutte contre la fraude engagée par le ministère. De même, dans l'hypothèse d'une direction départementale de l'agriculture devant mettre en place un projet de dépollution de l'eau sur la durée d'une année, dans des conditions locales particulières, et d'un spécialiste du sujet employé à proximité dans un laboratoire privé, intéressé par le projet mais ne voulant pas démissionner de son entreprise pour un projet de courte durée, le décret lui permettra de travailler pour le service public pour la durée du projet avec la garantie de retourner dans son entreprise une fois le projet achevé.
A noter que la mise à disposition est subordonnée à la signature d'une convention de mise à disposition, conclue entre l'administration d'accueil et l'employeur du salarié intéressé, qui doit recevoir l'accord de celui-ci. Cette convention prévoit les modalités du remboursement par l'Etat ou l'établissement public des rémunérations, charges sociales, frais professionnels et avantages en nature des intéressés et de la passation d'une convention avec leurs employeurs.
La mise à disposition peut prendre fin à la demande d'une des parties selon les modalités définies dans la convention.
Enfin, les règles déontologiques qui s'imposent aux fonctionnaires sont opposables aux personnels mis à disposition. Il ne peut leur être confié de fonctions susceptibles de les exposer aux sanctions prévues aux articles 432-12 (N° Lexbase : L7146ALA) et 432-13 (N° Lexbase : L1876AMG) du Code pénal.
De même, ils sont tenus de se conformer aux instructions de leur supérieur hiérarchique dans les conditions définies à l'égard des fonctionnaires à l'article 28 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, c'est-à-dire sauf dans le cas où l'ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public.
Pour conclure, un fonctionnaire, volontaire pour exercer de nouvelles fonctions et jugé compétent pour les remplir, ne pourra plus voir son recrutement remis en cause pour des raisons statutaires. Cette réforme s'inscrit, ainsi, dans une perspective globale de rénovation de la fonction publique traduisant la volonté marquée du Président de la République et du Gouvernement de valoriser, dans les parcours professionnels, les compétences et l'investissement personnel.
Gageons, à l'instar du ministère du Budget, des comptes publics et de la fonction publique, que le nouveau dispositif soutienne effectivement l'idée d'une prise en compte des compétences au-delà de la seule logique des corps pour répondre à une réelle demande de mobilité.
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Le 07 Octobre 2010
I - Internet
Faits :
En l'espèce, il était reproché à Raymond P. et Pascal P. d'avoir participé, sur le territoire français, en 2005 et 2006, à la tenue d'une maison de jeux de hasard où le public était librement admis, par la mise en place et l'exploitation du site www.poker770.com.
Il était reproché à Patrick P. la complicité par aide et assistance de Raymond P. et Pascal P. du fait de les avoir aidés sciemment par la signature d'un contrat de licence de marques avec le Groupe P. International, dont le siège social est situé en Belgique. Ce contrat autorisait l'utilisation du nom P., favorisait la mise en place, l'exploitation et le succès du site et prévoyait le paiement de redevances d'utilisation de la marque P..
Une enquête a été diligentée sur le site internet www.poker770.com afin de définir s'il s'agissait d'un site illicite de jeux de hasard en ligne et d'en rechercher les créateurs, propriétaires et hébergeurs.
Dans les faits, le site internet www.poker770.com n'avait pas été déclaré auprès du ministère de l'Intérieur et avait été créé par la société Mandarin Data Processing en 2005, dont le siège social était situé à Belize. Cette société avait pour objet de développer, commercialiser et d'administrer des casinos en ligne pour son compte et le compte de tiers.
Le juge a considéré que le site était un jeu de hasard ouvert au public, par lequel les joueurs pouvaient miser de l'argent par carte de crédit ou transfert bancaire et que le site était en français et accessible en France.
Raymond P. et Pascal P. estimaient que le tribunal correctionnel de Nanterre n'était pas compétent au motif qu'aucun critère de compétence ne pouvait être retenu et que la loi pénale ne pouvait s'appliquer car le site incriminé n'était pas une maison de jeux.
Enfin, les prévenus détenteurs de la marque faisaient valoir qu'ils avaient demandé au titulaire du site la mise en place d'un filtre pour empêcher les paiements effectués au moyen de cartes bancaires françaises.
Décision :
Le tribunal a retenu sa compétence dans la mesure où le site www.poker770.com était rédigé en français et accessible en France.
Par ailleurs, le tribunal a constaté une infraction à l'article 1er de la loi du 12 juillet 1983 (loi n° 83-628, relative aux jeux de hasard N° Lexbase : L0919HUL), dans la mesure où le site www.poker770.com était accessible aux internautes français, qu'il s'agissait d'une maison de jeux de hasard et que la salle de poker était accessible au public de manière continue.
Le tribunal a, également, énoncé que le contrat de licence de marque signé par les prévenus permettait au site illicite, mis en place par les prévenus, d'être connu et accessible de manière continue aux joueurs et que le filtre installé, pour ne pas accepter les cartes bancaires françaises et suisses, était inopérant. Cette démarche non vérifiable marquait ainsi l'intention délictueuse des co-prévenus.
En conséquence, le tribunal a condamné Raymond P., Pascal P. et Patrick P. à douze mois d'emprisonnement avec sursis, ainsi qu'au paiement d'une amende de 40 000 euros, et le Groupe P. International, au paiement d'une amende de 150 000 euros.
Commentaire :
Le tribunal a appliqué, d'une part, l'article 113-2 du Code pénal (N° Lexbase : L2123AML), selon lequel il suffit, pour que la loi s'applique, qu'un élément constitutif de l'infraction soit accompli en France et, d'autre part, l'article 1er de la loi du 12 juillet 1983 prévoyant que la tenue de maisons de jeux, y compris sur internet, est interdite.
Le tribunal a reconnu sa compétence et a appliqué la loi française dans la mesure où le site était rédigé en français et accessible aux internautes situés en France, quelle que soit leur nationalité. Le tribunal a précisé que "pour avoir la certitude d'échapper à l'application de la loi pénale française, l'organisateur d'une loterie payant en ligne implantée à l'étranger doit exclure du jeu les internautes français, mais encore tous ceux qui peuvent jouer du territoire français, quelle que soit leur nationalité".
Par ailleurs, le tribunal a rappelé que la loi du 12 juillet 1983 réprime le délit de participation à la tenue d'une maison de jeux de hasard. L'article 1 de la loi énonce, en effet, que :
- le fait de participer à la tenue d'une maison de jeux de hasard où le public est librement admis, même lorsque cette admission est subordonnée à la présentation d'un affilié, est puni de trois ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende (225 000 euros d'amende pour une personne morale) ;
- le fait de faire de la publicité, par quelque moyen que ce soit, en faveur d'une maison de jeux de hasard non autorisée est puni de 30 000 euros d'amende (150 000 euros d'amende pour une personne morale), le tribunal pouvant porter le montant de l'amende au quadruple du montant des dépenses publicitaires consacrées à l'opération illégale.
En l'espèce, le tribunal a appliqué cette interdiction à un site internet bien que l'article 1er de la loi du 12 juillet 1983 ne prévoie rien au sujet des sites internet offrant de tels services.
Il est à noter que ce jugement a fait l'objet d'un appel.
II - Propriété intellectuelle
Contenu :
La loi de lutte contre la contrefaçon transpose la Directive 2004/48/CE du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle (N° Lexbase : L2091DY4).
Elle instaure une procédure de poursuite des contrefacteurs identique à tous les droits de propriété intellectuelle, qu'il s'agisse du droit d'auteur, y compris sur les logiciels, du droit du producteur de bases de données, du droit des marques ou de tout autre droit de propriété industrielle. Cette harmonisation touche aussi bien la procédure de saisie-contrefaçon que la procédure au fond.
Par ailleurs, elle crée un système de droit d'information permettant d'obtenir des renseignements sur les réseaux de contrefaçon. En particulier, elle permet de contraindre sous astreinte toute personne de bonne ou mauvaise foi en possession de marchandises contrefaisantes à fournir des informations sur leur prix ou leur provenance. Les contrefacteurs peuvent, de plus, être condamnés à livrer des informations sur les circuits commerciaux.
En outre, les sanctions à l'égard des contrefacteurs sont renforcées. Ainsi, l'indemnisation des titulaires de droits victimes de contrefaçon est révisée. Le calcul des dommages et intérêts est basé sur l'intégralité du préjudice économique et moral subi, ce qui inclut les profits réalisés par le contrefacteur.
Toutefois, si la partie lésée le demande, le juge peut décider d'allouer une somme forfaitaire calculée sur le montant des redevances dont le contrefacteur aurait dû s'acquitter.
Le juge peut aussi ordonner que le contrefacteur prenne à sa charge la mise à l'écart des marchandises contrefaisantes des circuits commerciaux ou la publication de la décision, y compris par voie électronique.
Enfin, il est prévu que le contentieux de la propriété intellectuelle sera confié à certains tribunaux spécialisés dont la liste sera arrêtée par décret en Conseil d'Etat.
Commentaire :
Cette nouvelle loi ne modifie ni la durée de protection, ni les modes d'acquisition et de perte des droits de propriété intellectuelle. Elle ne tend qu'à renforcer les mesures de lutte contre la contrefaçon. Ainsi, elle introduit des dispositions relatives à l'obtention d'informations, au renforcement des sanctions et à la simplification des procédures.
Le texte élargit la notion de contrefacteur en introduisant une nouvelle mesure permettant de contraindre toute personne trouvée en possession d'objets contrefaisants à fournir des informations précises sur ces objets, afin de lutter contre les réseaux de contrefaçon. Les informations recherchées se trouvent, notamment, dans des documents comptables et financiers. Cette disposition s'applique, également, aux commerçants en ligne.
Auparavant, la notion de contrefacteur ne visait que les personnes fabriquant ou distribuant de mauvaise foi des marchandises contrefaisantes.
En outre, la loi nouvelle renforce les sanctions à l'égard des contrefacteurs. Le juge doit prendre en compte les dommages subis par le titulaire et les profits engendrés par les actes de contrefaçon ou, si la victime le demande, allouer une somme équivalente à celle qui aurait été perçue si le contrefacteur avait obtenu une licence. Ces modes de calcul imposeront néanmoins à la victime de divulguer des éléments susceptibles de constituer des secrets commerciaux, tels que le prix d'une licence sur un droit de propriété intellectuelle.
Enfin, la procédure au fond et celle de saisie-contrefaçon sont simplifiées et étendues à tous les droits de propriété intellectuelle, notamment le droit sui generis des producteurs de bases de données pour lequel il n'existait aucune procédure en référé.
Il est, désormais, possible de demander au juge d'autoriser le titulaire à procéder à une saisie au domicile du contrefacteur par un huissier de justice des éléments lui permettant de prouver la contrefaçon. Cette autorisation peut être assortie de la constitution de garanties, telles que la consignation des éléments saisis.
Par ailleurs, les procédures judiciaires sont ouvertes aux titulaires d'une licence exclusive portant sur un droit de propriété intellectuelle (notamment, droit d'auteur, droit des bases de données, droit de la propriété industrielle) sauf stipulation contraire. Le licencié peut ainsi agir en cas de silence du titulaire après mise en demeure et être en mesure de demander directement réparation de son préjudice au contrefacteur.
Cette loi ne constitue qu'un élément de l'arsenal juridique de lutte contre la contrefaçon. En effet, une Directive européenne relative aux mesures pénales (n° COD/2005/0127) est en cours de préparation. Elle tend à harmoniser les peines encourues par les contrefacteurs.
Faits :
Le 24 mars 2002, la Fédération française d'athlétisme (FFA) a organisé un séminaire au cours duquel M. P. a fait un exposé. La société TEC, représentée par M. B. en sa qualité de gérant, a été contactée par la FFA pour procéder à l'enregistrement vidéo de l'exposé de M. P. et pour réaliser une partie du montage de la vidéo. La FFA a, ensuite, commercialisé cette vidéo via son site internet.
La société TEC et M. B. ont alors saisi le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris pour obtenir la cessation de la diffusion de l'enregistrement.
Le juge des référés a rejeté cette demande par une ordonnance en date du 18 décembre 2006. Il a, en effet, considéré que les demandeurs ne démontraient pas avec suffisamment d'évidence l'existence des droits de réalisateur ou d'auteur dont ils demandaient la protection pour permettre de prononcer une telle interdiction en référé.
La société TEC et M. B. ont interjeté appel de cette ordonnance devant la cour d'appel de Paris.
Se considérant "comme réalisateurs du film et donc présumés co-auteurs par la loi", ils soutenaient que la FFA avait violé leur droit d'auteur et, plus précisément, leur droit de reproduction. A ce titre, ils souhaitaient, notamment, faire interdire à la FFA la commercialisation de la vidéo litigieuse et obtenir le versement d'une provision de 5 000 euros à valoir sur le dommage définitif.
La FFA soutenait, en revanche, qu'il existait une contestation sérieuse quant à l'existence des droits de producteur de la société TEC et de M. B. et, en outre, qu'il n'existait aucun dommage imminent ou trouble manifestement illicite de nature à permettre à la cour d'appel de prononcer des mesures de référé.
Décision :
Dans son arrêt du 13 juin 2007, la cour d'appel de Paris confirme l'ordonnance rendue par le juge des référés et condamne solidairement M. B. et la société TEC au titre de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L2976ADL).
La cour d'appel relève, dans un premier temps, que la société TEC n'a pas pris l'initiative de l'enregistrement de la vidéo litigieuse puisqu'elle a agi pour le compte de la FFA.
Elle étudie, ensuite, le contrat liant la FFA à la société TEC, matérialisé en l'espèce par un fax en date du 7 juin 2001 signé par M. B.. Cet accord précise que la mission dévolue à la société TEC se limite à la prise d'images d'un conférencier devant un tableau avec un montage partiel de ces images. Ainsi, selon la cour d'appel, "cette simple prestation technique ne permet pas d'attribuer à la société TEC un rôle dans la conception, la direction ou la réalisation de l'enregistrement".
Par conséquent, la cour d'appel considère que les appelants n'ont pas établi "avec l'évidence qui s'impose au juge des référés, les droits de réalisateur ou d'auteur dont ils demandent la protection".
Commentaire :
L'article 956 du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L3268ADE) dispose que le premier président de la cour d'appel peut, dans tous les cas d'urgence, ordonner en référé, toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse.
Or, en l'espèce, la cour d'appel a considéré qu'il y avait une contestation sérieuse quant à l'existence de droits d'auteur ou de réalisateur au profit de la société TEC et de M. B..
En effet, l'article L. 113-7 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3343AD8) dispose "qu'ont la qualité d'auteur d'une oeuvre audiovisuelle la ou les personnes physiques qui réalisent la création intellectuelle de cette oeuvre". Le réalisateur est présumé, sauf preuve contraire, coauteur d'une oeuvre audiovisuelle. Selon l'article L. 122-4 (N° Lexbase : L3360ADS) du code précité, toute reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur, en l'espèce le réalisateur, est illicite.
Cependant, la cour d'appel relève que la tâche dévolue à la société TEC consistait en un simple enregistrement vidéo de l'exposé n'impliquant aucun procédé créatif et en un montage partiel de la vidéo pour lequel elle a requis l'aide de la FFA qui lui fournissait des directives. En outre, la vidéo a été produite à l'initiative de la FFA.
La cour d'appel en a déduit que la société TEC et M. B. n'avaient eu aucun rôle "dans la conception, la direction ou la réalisation de l'enregistrement" de sorte qu'ils n'ont pas établi "avec l'évidence qui s'impose au juge des référés, les droits de réalisateur ou d'auteur dont ils demandent la protection".
Par conséquent, il y avait, en l'espèce, une contestation sérieuse sur la qualité d'auteur ou de réalisateur de la société TEC et de M. B., qui ne pouvait être tranchée que par un juge du fond. Dans une décision du 15 mars 1988 ("Peraner c/ Flammarion"), le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris avait déjà jugé que la contestation sur l'auteur d'une photographie relève de la seule compétence du juge du fond.
Marc d'Haultfoeuille
Avocat associé
Département Communication Média & Technologies
Cabinet Clifford Chance
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Le 07 Octobre 2010
8h45
Accueil des participants - Service du petit-déjeuner
9h00
Le nouveau "bouclier fiscal", par Judith Sebillote-Legris
- Modifications apportées par la loi TEPA
- Conditions d'application du "bouclier fiscal"
- Comment optimiser l"application du nouveau dispositif
10h00
ISF : les nouvelles dispositions, par Eric Ginter
- Abattement de 30 % sur la résidence principale
- Dons aux organismes d'intérêt général
- Réduction d'ISF en cas d'investissement dans les PME
- Stratégies d'optimisation
11h00
Questions des participants - Débats
11h30
Clôture de la matinée
Date :
Mercredi 5 décembre 2007, de 8h45 à 11h30
Lieu :
Grand Hôtel InterContinental Opéra
2, rue Scribe - 75009 Paris
Inscriptions :
Laure Flemal
Tél. : 08 25 08 08 00 / Fax : 01 76 73 48 13 / E-mail : matineesdebats@lamy.fr
Responsable : Lise-Marie Labbé
E-mail : lmlabbe@wolters-kluwer.fr
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Réf. : Cass. soc., 23 octobre 2007, n° 06-40.950, Syndicat professionnel l'Union des opticiens (UDO), FS-P+B (N° Lexbase : A8560DYP)
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N9845BCM
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par Sébastien Tournaux, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
Le 07 Octobre 2010
Résumé
L'employeur qui se contente de faire bénéficier d'un stage de trois jours des salariées embauchées dans l'entreprise respectivement depuis 12 et 24 ans manque à son obligation d'adaptation des salariés à leur poste de travail. Ce manquement constitue une exécution défectueuse du contrat de travail entraînant un préjudice distinct de celui découlant de sa rupture. |
1. Un préjudice classique matérialisé dans le licenciement pour motif économique
Si l'arrêt commenté rappelle que le manquement de l'employeur à son devoir d'adaptation du salarié à son poste de travail peut lui causer un préjudice résultant de la rupture du contrat de travail, c'est probablement parce que c'est bien dans le cadre du licenciement pour motif économique que s'est développée cette obligation.
C'est la jurisprudence qui, la première, s'était penchée sur cette question. A travers le célèbre arrêt "Expovit", rendu en 1992, elle institua une obligation, à la charge de l'employeur, d'adapter les salariés à l'évolution de leur emploi (2). La solution fut souvent confirmée par la Chambre sociale de la Cour de cassation (3), jusqu'à ce que le législateur ne prenne la mesure de l'importance que revêtait la formation des salariés et n'institue cette obligation, de manière générale, à l'article L. 930-1 du Code du travail (N° Lexbase : L8835G7D) (4).
Comme l'avait très justement révélé la Cour de cassation en 1992, l'obligation d'adaptation est de nature contractuelle, elle participe de l'idée selon laquelle le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi (5).
Il s'agit, donc, d'une obligation accessoire aux obligations principales du contrat de travail. Outre que l'employeur doit fournir un travail à son salarié et le rémunérer pour cette tâche, il doit s'assurer, selon la formule consacrée, que le salarié demeure adapté à son poste de travail et doit veiller au maintien de ses capacités à occuper un emploi.
Cette obligation d'adaptation se traduit principalement par le devoir, pour l'employeur, de faire des efforts de formation et d'adaptation du salarié sans lesquels son reclassement, dans le cadre d'un licenciement pour motif économique, peut s'avérer difficile, voire impossible. Cela passe, évidemment, par la mise à disposition du salarié de différentes formations sous forme de stages ou d'apprentissages théoriques. De la même manière, une période d'adaptation doit être laissée au salarié après la mise en place d'un nouveau logiciel (6).
L'obligation n'est pourtant pas sans limites (7). On ne saurait, ainsi, exiger de l'employeur qu'il pallie les carences de la formation initiale du salarié (8). Dans le même ordre d'idées, il ne peut être reproché à l'employeur de ne pas avoir fait suivre à son salarié une formation d'une trop longue durée, par exemple une formation s'étalant sur trois années (9).
Jusqu'à présent, le manquement à l'obligation d'adaptation ne donnait lieu qu'à une sanction unique. Le préjudice subi par le salarié se matérialisait toujours dans l'intervention d'un licenciement pour motif économique. A la suite de difficultés économiques ou de mutations technologiques, le salarié n'était plus adapté à son emploi et l'employeur prononçait son licenciement.
La Cour de cassation a toujours estimé que le licenciement était, dès lors, dépourvu de cause réelle et sérieuse. En effet, si l'employeur avait exécuté son obligation d'adaptation, un reclassement du salarié aurait été envisageable. Sachant qu'un licenciement pour motif économique est considéré comme étant dépourvu de cause réelle et sérieuse (10) si l'employeur s'est prononcé sans avoir suffisamment recherché si le reclassement du salarié était envisageable, le salarié percevait donc les indemnités afférentes à ce type de rupture du contrat de travail.
Si l'existence de ce préjudice est, bien entendu, confirmée dans l'arrêt commenté, la Cour de cassation se prononce en faveur de l'existence d'un autre préjudice subi par le salarié du fait de la mauvaise exécution de l'obligation d'adaptation par l'employeur. La réparation de ce nouveau préjudice est, pour le moins, innovante.
2. Un préjudice nouveau lié au défaut de formation reçu par le salarié
La cour d'appel avait décidé d'allouer des dommages-intérêts pour violation de l'obligation de formation des deux salariées concernées dans cette affaire, indemnisation distincte de celle perçue en raison de l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement.
La Cour de cassation rejette le pourvoi formé contre cette décision. Elle estime, en effet, qu'à côté du préjudice subi du fait du licenciement, les salariées ont subi un préjudice distinct résultant du manquement de l'employeur dans l'exécution du contrat de travail.
Quelle est donc la nature exacte de ce préjudice ? Comme celui relatif au licenciement, il s'agit, bien entendu, d'un préjudice matériel. Si ces salariées ont perdu leur emploi de manière injustifiée, elles vont, également, connaître des difficultés pour retrouver un nouvel emploi. L'une était restée 12 années au service de l'entreprise, l'autre 24 ans. Durant ces périodes, il ne leur avait été permis d'effectuer qu'un stage de 3 jours. Sur un marché du travail pour le moins volatile et pour lequel les facultés d'adaptation des salariés sont un critère déterminant dans la recherche d'un emploi, l'absence d'évolution de leurs connaissances leur était très probablement préjudiciable.
Si la Cour de cassation ne reprend pas expressément les termes de la cour d'appel qui voyait, dans les manquements de l'employeur, une violation de "l'obligation de formation", c'est bien cela qui cause implicitement le préjudice. Les salariées ne seront pas suffisamment formées, pas suffisamment armées pour affronter le marché de l'emploi, et ce déficit de formation est, en partie, dû aux manquements contractuels de l'employeur.
Bien que l'obligation d'adaptation ne soit plus totalement une obligation contractuelle, accessoire et implicite, mais bien une obligation légale imposée par le Code du travail, la solution rendue par la Cour semble s'inscrire dans une parfaite logique contractuelle.
En effet, le défaut d'exécution ou l'exécution imparfaite d'une obligation contractuelle donne lieu à indemnisation, comme le prévoit l'article 1147 du Code civil (N° Lexbase : L1248ABT). Il existe donc un préjudice propre à cette inexécution, indépendamment de tout licenciement économique ultérieur.
Cette logique contractuelle justifie, également, l'existence de deux sanctions différentes pour l'employeur. En effet, seuls la responsabilité pénale et, dans le même esprit, le droit disciplinaire en droit du travail, imposent l'unicité de la sanction, si bien qu'un même fait ne peut, dans ces domaines, donner lieu à deux sanctions différentes. Mais, outre que l'indemnisation du préjudice ne s'analyse pas comme une véritable sanction, mais plutôt comme une réparation, il n'existe aucune règle limitant l'indemnisation à la réparation d'un seul préjudice en matière de responsabilité civile, qu'elle soit contractuelle ou délictuelle. Par le jeu de cette qualification contractuelle, il n'y avait donc pas d'objection à ce que deux préjudices distincts, subis par les salariées, soient réparés par l'employeur.
Quant à l'argument qui consisterait à dire que l'obligation n'est pas contractuelle mais légale, il paraît inopérant car il impliquerait d'exclure du champ contractuel toute obligation imposée par la loi, dans le cadre d'un contrat. Ainsi, si le législateur prescrit que le contrat de travail doit s'exécuter de bonne foi, l'obligation demeure une obligation contractuelle et en suit le régime. L'existence de deux préjudices distincts n'était donc pas techniquement contestable.
Par la reconnaissance logique de ce préjudice, la Chambre sociale de la Cour de cassation élargit notablement le champ de l'obligation d'adaptation des salariés à leur emploi. Cette obligation n'aura plus seulement pour objet d'empêcher des employeurs peu scrupuleux de licencier un salarié en raison d'évolutions de l'entreprise sans avoir fait le moindre effort pour permettre à ce salarié d'évoluer avec elle.
En effet, les deux préjudices identifiés par les juges étant distincts, on pourrait parfaitement imaginer, demain, des recours effectués devant le juge prud'homal par des salariés qui, n'ayant pas subi de licenciement pour motif économique, reprocheraient à leur employeur un manquement à l'obligation d'adaptation en raison de l'absence de formation pendant la durée de leur contrat de travail. Cette évolution parait conforme à l'évolution du droit du travail et du marché de l'emploi dans lesquels la qualité de la formation des salariés est, sans cesse, mise en avant. Cela s'inscrit, d'ailleurs, dans le cadre de l'apparition d'un véritable droit individuel à la formation (Dif), tel que l'a prévu la loi du 4 mai 2004.
Cependant, selon ce texte, l'accès aux formations individuelles doit s'opérer à la demande du salarié, demande qui doit être acceptée par l'employeur (11). Avec l'arrêt commenté, on peut se demander si la Cour de cassation ne souhaite pas aller plus loin. Ce ne serait plus au salarié de prendre l'initiative et de demander à bénéficier de son droit à la formation, mais bien à l'employeur de proposer, de lui-même, en exécution de son obligation contractuelle d'adaptation de ses salariés, des formations durant l'exécution du contrat de travail.
Deux conceptions sont, alors, envisageables. Soit l'on considère que réapparaît, ici, le hiatus entre les sources de l'obligation, l'obligation de formation d'origine légale ne s'imposant que sur demande du salarié, l'obligation contractuelle s'imposant d'elle-même à l'employeur. Si l'on suit cette interprétation, il faut alors considérer que la décision de la Cour de cassation est mal fondée et qu'elle aurait dû s'assurer que les salariées avaient fait des demandes de formation qui ont été refusées. Soit l'on estime que la Cour de cassation, en étendant le champ de l'obligation d'adaptation, ajoute à l'obligation légale de fournir des formations au salarié qui le demande, une autre obligation, contractuelle cette fois, et qui imposerait à l'employeur de prendre les devants face à des salariés ne prenant pas cette initiative. Si la rédaction de l'arrêt, reprenant exactement les termes du Code du travail, permet de pencher vers la première proposition, la logique et le respect des termes du Code poussent plutôt à prendre parti pour la seconde.
Quoiqu'il en soit, que l'une ou l'autre de ces interprétations soit retenue, il faut conclure à l'accroissement de la vigueur de l'obligation de formation et d'adaptation des salariés à leur emploi, accroissement qui emporte, insidieusement, le renforcement du droit à la formation des salariés.
Décision
Cass. soc., 23 octobre 2007, n° 06-40.950, Syndicat professionnel l'Union des opticiens (UDO), FS-P+B (N° Lexbase : A8560DYP) Rejet (CA Paris, 21ème ch., sect. C, 15 décembre 2005) Texte concerné : C. trav., art. L. 930-1 (N° Lexbase : L8835G7D) Mots-clés : obligation de formation ; obligation d'adaptation des salariés à leurs emplois ; manquement à l'exécution du contrat de travail. Lien bases : |
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Réf. : Cass. soc., 23 octobre 2007, n° 06-45.289, Mme Blandine Benoist, FS-P+B (N° Lexbase : A8603DYB)
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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
Le 07 Octobre 2010
Résumé
L'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail est applicable en cas de transfert d'une entité économique autonome qui conserve son identité et dont l'activité est poursuivie ou reprise. Constitue une entité économique autonome un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels ou incorporels permettant l'exercice d'une activité économique autonome qui poursuit un objectif propre. En ne recherchant pas, ainsi qu'elle y était invitée, si une commune n'avait pas repris, en vue de la poursuite de l'activité dont était auparavant chargée une association, l'ensemble des moyens en locaux et en matériel éducatif et sportif mis à la disposition de cette association et nécessaires à l'exercice de l'activité, la cour d'appel saisie du litige a privé sa décision de base légale. La seule reprise par une collectivité publique d'une activité auparavant exercée par une personne morale de droit privé, avec des moyens mis à sa disposition, ne peut suffire à constituer une modification dans l'identité de l'entité reprise. |
1. Le transfert d'une entité économique
Depuis 1990, et la décision rapportée ne fait pas exception à la règle, la Cour de cassation reproduit, dans tous ses arrêts concernant l'application de l'article L. 122-12, alinéa 2, le même attendu de principe. Ce texte est applicable "en cas de transfert d'une entité économique autonome qui conserve sont identité et dont l'activité est poursuivie ou reprise".
La notion "d'entité économique" n'est définie ni par la loi, ni par la jurisprudence. La Directive 2001/23/CE du 12 mars 2001 (N° Lexbase : L8084AUX), dont la Chambre sociale rappelle qu'elle doit éclairer l'interprétation de l'article L. 122-12, alinéa 2, apporte, toutefois, en la matière, d'utiles précisions. S'inspirant de la jurisprudence communautaire, la Directive précise que l'entité économique doit être entendue "comme un ensemble organisé de moyens, en vue de la poursuite d'une activité économique, que celle-ci soit essentielle ou accessoire". Ce faisant, la Directive confirme l'orientation de la jurisprudence française qui distingue l'entité économique de la simple "activité économique" et qui affirme que l'existence d'une entité économique suppose, outre l'activité, des moyens propres, corporels ou incorporels, permettant de poursuivre cette activité (sur l'ensemble de la question, v., notamment, J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, Droit du travail, Précis Dalloz, 23ème éd., 2006, pp. 416 et s.).
C'est cette position que la Cour de cassation rappelle dans la présente affaire, en affirmant que "constitue une entité économique autonome un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels ou incorporels permettant l'exercice d'une activité économique qui poursuit un objectif propre".
Dans la majorité des hypothèses, l'existence d'une entité économique ne sera reconnue que lorsque le transfert de l'activité s'accompagne d'un transfert d'actifs significatifs, qu'ils soient corporels ou incorporels. Il appartient donc au juge de vérifier si un tel transfert a eu lieu. Par suite, et ainsi que le souligne la Cour de cassation en l'espèce, la cour d'appel saisie du litige aurait dû rechercher "si la commune de Tours n'avait pas repris, en vue de la poursuite de l'activité dont était auparavant chargée l'association Acces, l'ensemble des moyens en locaux et en matériel éducatif et sportif mis à la disposition de cette association et nécessaires à l'exercice de l'activité". On pourra s'étonner que les juges d'appel n'aient pas procédé à une telle recherche, tant celle-ci s'avérait nécessaire au regard de la jurisprudence la plus classique de la Cour de cassation en la matière. Il faut, cependant, prêter attention aux faits de l'affaire qui sortaient quelque peu de l'ordinaire.
Pour aller à l'essentiel, il convient de relever que l'association Acces Tours était chargée de la gestion, dans les locaux mis à sa disposition par la ville de Tours, de huit foyers assurant des activités de crèche, d'accueil périscolaire et de loisirs sans hébergement. Placée en liquidation judiciaire au mois de mai 2002, l'association a cessé toute activité à la fin du mois de juin 2002. Le liquidateur judiciaire a soumis, le 9 juillet 2002, au comité d'entreprise, un plan de sauvegarde de l'emploi et est intervenu auprès de la commune pour qu'elle favorise le reclassement du personnel. Il a, ensuite, notifié aux salariés de l'association des licenciements pour motif économique, le 13 juillet 2002. Etaient, notamment, concernées Mme B., affectée comme secrétaire au foyer Courteline et Mme T., employée en qualité d'animatrice au foyer Gentiana. La gestion des foyers ayant été assurée directement par la commune à partir de la fin du mois de juin 2002 et jusqu'au mois de septembre suivant, les deux salariées en question ont vainement demandé le maintien de leur emploi.
A partir du mois de septembre 2002, la gestion des foyers a été répartie entre trois associations chargées par la commune de leur gestion, dont l'association Courteline pour le foyer du même nom et l'association Fédération Léo Lagrange pour d'autres foyers, dont le foyer Gentiana. Soutenant que leur contrat de travail aurait dû se poursuivre avec la commune, puis avec les associations gestionnaires, Mmes B. et T. ont saisi le juge prud'homal de demandes en dommages-intérêts.
Pour comprendre la décision des juges du fond, il nous paraît essentiel de retenir que la commune n'avait directement assuré la gestion des foyers de l'association Acces Tours que de manière tout à fait transitoire et pour une brève période, allant de juin à septembre 2002. Sans doute, cet argument n'est-il pas évoqué par la cour d'appel qui a retenu, pour juger que l'entité économique exploitée par l'association Acces Tours n'avait pas été transférée, que la commune n'avait pas acquis des biens de l'association ou des éléments d'exploitation et qu'aucune cession d'unité de production n'a été ordonnée à l'occasion de la procédure collective. Par suite, le maintien de l'activité de la commune s'apparentait à une gestion d'affaires et une mise à disposition gratuite ne pouvait s'assimiler à un transfert d'éléments corporels au sens de la jurisprudence.
Il faut, d'un point de vue juridique, approuver la Cour de cassation pour avoir refusé d'entrer dans une telle logique. A notre sens, en effet, admettre le raisonnement de la cour d'appel aurait conduit, peu ou prou, à écarter l'application de l'article L. 122-12, alinéa 2, en l'absence de lien de droit entre les employeurs successifs. Or, on le sait, une telle exigence est écartée par la Cour de cassation depuis 1990 (Ass. plén., 16 mars 1990, n° 89-45.730, Procureur général près la Cour de Cassation c/ M. Appart et autres, publié N° Lexbase : A9499AA3 ; Dr. soc. 1990, p. 399, concl. H. Dontenwille, obs. G. Couturier et X. Prétot). Seul importe le fait de savoir si la poursuite de l'activité s'est accompagnée de la reprise de moyens d'exploitation nécessaires à l'exercice de l'activité. Parfaitement justifiée d'un point de vue juridique, la solution peut, néanmoins, conduire à un résultat concret pour le moins curieux. Car, à supposer que soit constaté que la commune avait repris "l'ensemble des moyens en locaux et en matériel éducatif et sportif" mis à la disposition de l'association, il faut en conclure que les contrats de travail ont été transférés à la commune, alors même que la poursuite de l'activité par cette dernière a duré moins de trois mois (1).
Conséquence éventuelle d'autant plus étrange que, dans le même temps, la Cour de cassation approuve les juges du fond d'avoir décidé que l'entité économique, dont l'association Acces Tours assurait auparavant la gestion, avait perdu son identité, en considérant qu'à partir du mois de septembre 2002 et dans le cadre d'une redéfinition des missions dévolues aux associations mandatées par la commune et d'une réorganisation de l'ensemble des services antérieurement confiés à l'association Acces Tours, décidées par la ville de Tours, la gestion des foyers avait été répartie entre plusieurs opérateurs intervenant sur des secteurs différents, en exécution de marchés publics distincts. En d'autres termes, s'il y avait lieu à transfert des contrats de travail en application de l'article L. 122-12, alinéa 2, ce n'était qu'à l'égard de la commune, qui n'avait, pourtant, poursuivi l'activité que pendant deux mois (2).
2. Le maintien de l'identité de l'entité économique transférée
Ce n'est pas parce qu'il y a transfert d'une entité économique autonome que l'article L. 122-12, alinéa 2, trouve à s'appliquer et que les contrats de travail doivent être maintenus. Il faut, encore, que l'entité transférée conserve son identité. Une telle exigence est respectée lorsqu'il y a une certaine similarité entre l'avant et l'après. Par suite, le repreneur qui continue la même activité économique, mais en modifiant les méthodes de production, en utilisant un autre matériel (3) ou, encore, en travaillant dans de nouveaux locaux, n'a pas à reprendre les salariés affectés à l'activité transférée, faute, pour cette dernière, d'avoir conservé son identité.
De manière plus particulière, on sait que la Cour de cassation a, durant de nombreuses années, considéré que l'entité économique perdait son identité lorsqu'elle passait du secteur public au secteur privé, ou inversement. Elle a abandonné cette jurisprudence en 2002, en affirmant "que la seule circonstance que le cessionnaire soit un établissement à caractère administratif lié à son personnel par des rapports de droit public ne peut suffire à caractériser une modification dans l'identité de l'entité économique transférée" (Cass. soc., 25 juin 2002, n° 01-43.467, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A0029AZ4 ; Bull. civ. V, n° 209 ; Dr. soc. 2002, p. 1013, obs. A. Mazeaud) (4).
C'est cette solution que vient, en l'espèce, reprendre la Chambre sociale, en affirmant que "la seule reprise par une collectivité publique d'une activité auparavant exercée par une personne morale de droit privé, avec des moyens mis à sa disposition, ne peut suffire à constituer une modification dans l'identité de l'entité reprise".
Pour écarter l'application de l'article L. 122-12, alinéa 2, la cour d'appel avait, en l'espèce, retenu que l'entité dont cette dernière avait poursuivi l'activité n'avait pas conservé son identité dès lors que l'intervention ponctuelle de la ville de Tours n'était destinée qu'à assurer la continuité du service public, mis en péril par la grève du personnel d'Acces, et que l'activité ainsi poursuivie se confondait avec l'ensemble des missions de service public de la ville et ne pouvait que perdre son identité propre à l'intérieur de l'ensemble des services publics gérés par la ville.
Cette argumentation n'était guère convaincante et certainement insuffisante à justifier une éventuelle perte de l'identité de l'activité reprise par la commune. On peut, tout au contraire, supposer que cette identité avait été belle et bien conservée. A dire vrai, il y a tout lieu de penser que la cour d'appel avait souhaité tenir compte des motivations de la commune. Il n'en reste pas moins que celle-ci ne pouvait, en aucune façon, être prise en compte pour écarter l'application de l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail. Par suite, et là encore, la solution retenue par la Cour de cassation doit être approuvée. Mais, et il convient de le relever pour conclure, la rigueur de celle-ci n'est guère de nature à inciter une commune à maintenir l'activité d'une association qui a disparu dans l'attente d'une solution de rechange.
Décision
Cass. soc., 23 octobre 2007, n° 06-45.289, Mme Blandine Benoist, FS-P+B (N° Lexbase : A8603DYB) Cassation partielle (CA Orléans, audience solennelle, 7 septembre 2006) Textes visés : C. trav., art. L. 122-12 (N° Lexbase : L5562ACY) interprété à la lumière de la Directive 2001/23/CE du 12 mars 2001 (N° Lexbase : L8084AUX). Mots-clefs : modification dans la situation juridique de l'employeur ; transfert des contrats de travail ; entité économique autonome ; maintien de l'identité ; passage du secteur privé au secteur public. Lien bases : |
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