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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction
Le 27 Mars 2014
Ainsi donc, l'ordonnance n° 2005-893 est contraire à la Convention OIT n° 158, en ses articles 4 (motif valable de licenciement), 7 (possibilité de se défendre contre les allégations formulées), 9 (possibilité pour les juridictions d'examiner les motifs invoqués pour justifier le licenciement) et 2 (régime dérogatoire, notamment caractère raisonnable de la durée de deux ans dite de consolidation). Au premier abord, l'argumentation semble proprement juridique et la confirmation du jugement du conseil de prud'hommes de Longjumeau n'emporter que des motifs de validation sur le plan strict du droit. Pourtant, lorsque, d'après les juges, le CNE "prive le salarié de l'essentiel de ses droits en matière de licenciement", ce qui représente une "régression qui va à l'encontre des principes fondamentaux du droit du travail", l'oreille avertie décèle quelque motivation plus générale, ralliant à sa cause les grands principes fondamentaux. Enfin, lorsque la cour d'appel estime que "dans la lutte contre le chômage, la protection des salariés dans leur emploi semble être un moyen au moins aussi pertinent que les facilités données aux employeurs pour les licencier et qu'il est pour le moins paradoxal d'encourager les embauches en facilitant les licenciements", la seconde impression perdure : la motivation politico-économique tenterait-elle d'emporter l'adhésion, à défaut d'unanimité sur la motivation strictement juridique ? En effet, rappelons que le Conseil d'Etat avait jugé, le 19 octobre 2005, le CNE conforme à la Convention n° 158 de l'OIT. En outre, si la cour d'appel de Bordeaux a prononcé un arrêt identique à celui de la cour d'appel de Paris, le 27 juin dernier, le conseil de prud'hommes de Roubaix avait conclu à l'inverse, le 22 juin. Reste donc à la Cour de cassation de trancher définitivement le débat (la juridiction judiciaire étant définitivement compétente en la matière selon le Tribunal des conflits) ; ce qui ne devrait pas tarder puisque l'arrêt de Bordeaux a déjà fait l'objet d'un pourvoi.
Aux grands maux les grands remèdes, l'affaire semble se régler, mais dans un imbroglio qui ne peut être démenti, même au niveau international. Qu'on en juge : à la dysharmonie juridictionnelle s'ajoute la contrariété des instances internationales sur la question. Le CNE, condamné à disparaître sous la prééminence de l'OIT, était, il y a moins d'un mois, encensé par l'OCDE, qui regrettait qu'il ne soit réservé qu'aux entreprises de moins de vingt salariés et rappelait "qu'il demeure nécessaire, en France, de réformer les institutions et les pratiques rigides du marché du travail".
La dernière enquête menée par le ministère de l'Emploi montre qu'une embauche sur dix en CNE n'aurait pas eu lieu si ce contrat n'avait pas existé et que deux sur dix ont été anticipées. Ce dispositif aurait donc permis l'embauche de plus de 900 000 personnes. Or, le CNE aurait, depuis sa création, donné lieu à près de 800 litiges ! La tempête médiatico-judiciaire n'est-elle alors pas disproportionnée au regard de l'adhésion à ce type de contrat de la grande majorité des intéressés (en dehors de toute considération sur la nécessaire défense des principes généraux du droit du travail et de la protection des salariés) ?
Et puisque c'est là où il est le plus facile de mettre fin à un contrat de travail que les embauches sont les plus nombreuses, à en juger les faibles taux de chômage des pays appliquant ce type de contrat (en dehors de toute considération sur la précarité des marchés du travail concernés), ce succès des syndicats, plus que des salariés sur le plan médiatique, ne s'avèrerait-il pas une victoire à la Pyrrhus ? Surtout, lorsque de Hauts responsables syndicaux entendent, désormais, dialoguer et convaincre les magistrats ayant rendu cette décision rendue au nom du Peuple français ! "Encore une victoire comme celle là et [c'est le dialogue social en cours qui] serait complètement défait" ?
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Le 30 Septembre 2011
Un litige est né entre une entreprise en difficulté (société l'Industrielle du Ponant) et un établissement bancaire (la société Coopérative de Banque populaire Atlantique) à propos de l'admission au passif de l'entreprise de la créance de la banque.
A l'occasion de ce procès, la société industrielle a interjeté appel en désignant son adversaire par le nom de son enseigne ("la société Atlantique bail"). L'intimé a, alors, soulevé l'irrecevabilité de l'appel en ce qu'il n'indiquait pas correctement l'identité du défendeur.
La question se posait de connaître la nature de la sanction d'une erreur dans la désignation de l'adversaire en justice. La question peut avoir une incidence en pratique, tant il peut se révéler délicat d'identifier de façon claire son contradicteur.
La Cour de cassation a résolu cette difficulté en considérant que "la désignation de l'intimé, dans la déclaration d'appel, par une dénomination constituant en réalité une enseigne sous laquelle cette partie exerce son activité est un vice de forme". Cette décision est importante, car la nullité pour vice de forme n'est encourue qu'à condition que le défendeur démontre que la désignation erronée lui a causé un grief. Si le défendeur a eu la possibilité d'exercer normalement l'ensemble de ses droits procéduraux, il sera difficile, en pratique, d'établir le grief. Dès lors, une désignation visant uniquement l'enseigne de l'adversaire pourrait n'avoir aucune incidence sur la régularité de la procédure.
Cet arrêt a été rendu à propos d'un acte d'appel, mais la solution est facilement transposable à toute action en justice. Ainsi, on pourra considérer qu'une assignation désignant le défendeur par son enseigne s'expose à une simple nullité pour vice de forme, mais ne constitue pas une fin de non-recevoir.
II - Choix de la procédure qui confère sa force exécutoire à une transaction
Dans cet arrêt, les faits étaient relativement simples. Un établissement bancaire avait conclu une transaction avec un couple et avait, par la suite, saisi le président du tribunal de grande instance afin que ce juge donne la force exécutoire à cette transaction en application de l'article 1441-4 du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L1780ADB). Le président de la juridiction ayant fait droit à cette demande, le couple avait interjeté appel de la décision de justice.
Le problème de cet arrêt portait sur la recevabilité de l'appel. Plus précisément, il s'agissait de savoir si l'instance tendant à conférer à la transaction une force exécutoire suivait les règles de la procédure contentieuse, gracieuse ou de l'ordonnance sur requête.
Par des motifs erronés, les juges du second degré avaient déclaré l'appel irrecevable en se fondant sur les formalités réalisées par l'appelant dans leur déclaration. La Cour de cassation rétablit, dans un premier temps, l'exacte qualification de la procédure en affirmant que "l'ordonnance rendue en application de l'article 1441-4 du Nouveau Code de procédure civile est une ordonnance sur requête". Elle en tire, ensuite, une conséquence logique par motifs substitués à ceux de la cour d'appel en décidant que "l'ordonnance ayant fait droit à la requête, M. et Mme X pouvaient seulement en demander la rétractation".
La solution emporte la conviction. L'ordonnance sur requête est une décision juridictionnelle prise sans débat contradictoire. Si le juge ne fait pas droit à la demande, le requérant peut interjeter appel. En revanche, s'il est fait droit à la requête, celui dont les droits sont atteints par l'ordonnance doit en demander la rétractation devant le juge qui a pris la décision (NCPC, art. 496 N° Lexbase : L2741ADU).
III - Preuve : le silence ne vaut pas acquiescement
Deux époux étaient en conflit sur le montant de la prestation que devrait verser l'ex-mari à son ex-épouse. La dame fondait sa demande sur plusieurs faits qui n'étaient étayés par aucun élément de preuve. Elle arguait, d'une part, que son mari vivait avec une autre femme ; ce qui réduisait les charges de la vie quotidienne. Elle invoquait, d'autre part, que l'époux venait de se porter acquéreur d'un voilier d'une valeur de 300 000 euros, élément démontrant qu'il possédait un patrimoine important. De son côté, le mari n'avait contredit aucun de ces faits.
La cour d'appel avait tenu compte de ces différents moyens de fait pour déterminer la prestation compensatoire (un capital de 90 000 euros). Elle faisait, ainsi, implicitement application de la théorie dite du "fait constant", selon laquelle le fait affirmé par une partie et non démenti par l'autre peut être tenu pour vrai par le juge. La solution n'était pas totalement absurde, dans la mesure où les parties définissent l'objet du litige et peuvent ainsi limiter, dans une certaine mesure, le pouvoir d'investigation du juge. A l'évidence, l'objet et les faits du litige ne doivent pas être confondus, mais un accord des parties sur un élément factuel emporte la disparition du fait du champ de la contestation, ce qui peut influer indirectement sur l'objet du litige.
Une telle analyse a pourtant été censurée par la Cour de cassation qui affirme clairement que "le silence opposé à l'affirmation d'un fait ne vaut pas à lui seul reconnaissance de ce fait". L'arrêt est rendu au visa de l'article 1315 du Code civil (N° Lexbase : L1426ABG). Ainsi, la Haute juridiction analyse-t-elle logiquement cette question sous le prisme de la charge de la preuve. Le silence de l'adversaire n'emporte aucune dispense de preuve, ni aucune présomption. Tout au plus pourrait-on parler d'un allègement de la charge de la preuve. En effet, en affirmant que le silence ne vaut pas "à lui seul" reconnaissance d'un fait, la Cour de cassation sous-entend que ce silence pourrait valoir preuve, s'il était corroboré par un autre élément. Une telle solution ne pourrait s'appliquer, en toute hypothèse, que lorsque la preuve est libre. Dans les matières dominées par la preuve légale, le silence, même corroboré, ne peut prendre la valeur d'un acte sous seing privé.
IV - Preuve : vie privée c/ droits de la défense
Cet arrêt est important même s'il ne concerne qu'indirectement une question de procédure civile. Les faits portaient sur un litige relatif à la direction d'une société commerciale et à la validité de certains actes qui avaient été réalisés par une personne dont l'état de santé était susceptible de l'empêcher d'exercer ses fonctions. Au cours de cette instance, plusieurs pièces relatives à l'état de santé du dirigeant avaient été produites par d'autres parties. Ceux qui avaient divulgué ces pièces protégées par le secret médical furent poursuivis et condamnés par la cour d'appel pour atteinte à l'intimité de la vie privée. La cour d'appel avait ainsi décidé que, même obtenues sans fraude, les pièces en question ne pouvaient être révélées aux autres parties à la procédure sans constituer une violation du droit à l'intimité de la vie privée.
La question soulevée par cet arrêt était essentielle. Elle consistait à savoir si des pièces concernant la vie privée d'une partie, voire le secret médical, pouvaient être produites en justice pour les nécessités de la défense. Cette question relative à la force du principe du respect de l'intimité de la vie privée en procédure civile est d'autant plus intéressante qu'elle est très peu évoquée en jurisprudence, si l'on excepte le contentieux du licenciement et celui du divorce pour faute.
La Cour de cassation répond de façon nuancée à la question qui lui est posée. Au visa des articles 6 (N° Lexbase : L7558AIR) et 8 (N° Lexbase : L4798AQR) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, elle considère, d'abord, que "le fait d'interdire à une partie de faire la preuve d'un élément de fait essentiel pour le succès de ses prétentions" est contraire au principe d'égalité des armes résultant du droit au procès équitable. Elle retient, ensuite, que "toute atteinte à la vie privée n'est pas interdite, et qu'une telle atteinte peut être justifiée par l'exigence de la protection d'autres intérêts, dont celle des droits de la défense, si elle reste proportionnée au regard des intérêts antinomiques en présence". Elle retient, enfin, qu'en l'espèce, "la production de pièces relatives à la santé du dirigeant pouvait être justifiée, si elle restait proportionnée, par la défense des intérêts" de l'une des parties au procès.
Le raisonnement tenu par la Cour de cassation est édifiant. Tout d'abord, elle déduit de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, la protection des droits de la défense. De surcroît, elle reconnaît implicitement l'existence d'un droit de prouver, protégé par le principe de l'égalité des armes. Ensuite, en visant deux stipulations de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (les articles 6 et 8), elle place sur le même plan le droit au respect de la vie privée (art. 8) et le droit à la preuve qui dépend indirectement du droit au procès équitable (art. 6). Enfin, elle réalise un arbitrage entre ces deux droits en faisant appel au raisonnement de la Cour européenne des droits de l'Homme. Ainsi, la production d'un moyen de preuve portant atteinte à la vie privée d'un individu ne peut être admise en justice que si elle est justifiée et proportionnée à la protection d'autres intérêts.
En définitive, la vie privée reçoit, en procédure civile, une protection toute relative s'il l'on considère que cet arrêt admet largement la révélation en justice d'un fait privé lorsque cette révélation est rendue nécessaire par l'exercice des droits de la défense. Cet arrêt est à mettre en relation avec les solutions applicables au contentieux familial, lesquelles visent à admettre largement la production de preuves relatives à la vie privée sous la seule réserve du respect de la loyauté probatoire (cf. notamment C. civ., art. 259-1 N° Lexbase : L2825DZN).
V - Preuve : vie privée du salarié et mesures d'instruction in futurum
Le respect de la vie privée des salariés dans le contentieux prud'homal est toujours aussi sensible, malgré les clarifications apportées par la jurisprudence "Nikon" dans ce domaine (2).
En l'espèce, un employé utilisait son ordinateur professionnel pour entretenir une correspondance électronique avec deux personnes étrangères à l'entreprise en vue de la constitution d'une société concurrente à celle de son employeur. L'employeur en question, qui suspectait des actes de concurrence déloyale, demanda au juge, sur le fondement de l'article 145 du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L2260AD3), qu'il autorise un huissier à prendre connaissance et à enregistrer les messages électroniques échangés par le salarié déloyal et ses comparses.
Les mesures d'instruction furent ordonnées par le juge de première instance, mais l'ordonnance fut rétractée par la cour d'appel au motif qu'elle portait atteinte à une liberté fondamentale. Les juges du second degré semblaient ainsi appliquer scrupuleusement la jurisprudence "Nikon", qui interdit à l'employeur de prendre connaissance des courriers électroniques privés ou personnels de leurs salariés.
Telle n'est pourtant pas la solution retenue par la Cour de cassation. Celle-ci censure l'arrêt d'appel au motif que "le respect de la vie personnelle du salarié ne constitue pas en lui-même un obstacle à l'application des dispositions de l'article 145 du nouveau code de procédure civile dès lors que le juge constate que les mesures qu'il ordonne procèdent d'un motif légitime et sont nécessaires à la protection des droits de la partie qui les a sollicitées". La Cour de cassation constate, ensuite, que la mesure d'instruction était légitimée par les doutes de l'employeur sur la loyauté de son employé, et que l'huissier avait agi en présence du salarié. Elle en déduit que la cour d'appel ne pouvait interdire cette mesure.
L'arrêt est intéressant en ce qu'il revient partiellement sur le droit au respect de la vie privée (ou personnelle) du salarié ; droit qui avait été consacré avec vigueur par la Chambre sociale. Mais la Haute juridiction ne sacrifie pas le principe du respect de la vie privée sur l'autel du droit à la preuve. Elle n'admet qu'il soit porté atteinte audit principe que dans un cadre étroitement délimité : l'autorisation du juge, l'existence du motif légitime, la recherche de la preuve par un huissier et la présence de l'intéressé.
Il n'en reste pas moins que le droit à la vie privée subit une nouvelle atteinte en procédure civile ; une atteinte qui est rendue nécessaire par la recherche de la vérité.
Etienne Vergès, agrégé des facultés de droit, Professeur à l'Université de Grenoble II
(1) Sur cet arrêt lire, également, Ch. Radé, La recherche de la vérité plus forte que le respect de la vie privée, Lexbase Hebdo n° 262 du 31 mai 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N1969BBK).
(2) Cass. soc., 2 octobre 2001, n° 99-42.942, Société Nikon France c/ M. Frédéric Onof, publié (N° Lexbase : A1200AWD), Bull. civ. V, n° 291 ; D. 2001, p. 3148, note P.-Y. Gautier ; D. 2002, somm., p. 2296, obs. C. Caron ; JCP éd. E, 2001, 1918.
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Réf. : CA Paris, 18ème ch., sect. E, 6 juillet 2007, n° 06/06992, Monsieur Le Procureur de la République près le tribunal de grande instance d'Evry c/ Mademoiselle Linde de Wee (N° Lexbase : A1564DX9)
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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen
Le 07 Octobre 2010
Résumé
L'ordonnance n° 2005-893, créant le contrat nouvelles embauches, est contraire à la Convention OIT n° 158, en ses articles 4 (motif valable de licenciement), 7 (possibilité de se défendre contre les allégations formulées), 9 (possibilité pour les juridictions d'examiner les motifs invoqués pour justifier le licenciement) et 2 (régime dérogatoire, notamment caractère raisonnable de la durée de 2 ans dite de consolidation). |
Le contrat nouvelles embauches n'en finit pas d'alimenter les polémiques et prises de position, deux ans après sa création, qui avait été marquée, déjà, par une forte mobilisation doctrinale (1). Lexbase Hebdo - édition sociale avait, d'ailleurs, largement rendu compte et elle-même participé à ces débats (2). Le contrat nouvelles embauches constituait la mesure phare des différents dispositifs mis en place par la loi du 26 juillet 2005 (art. 1-1°) (loi n° 2005-846 du 26 juillet 2005, habilitant le Gouvernement à prendre, par ordonnance, des mesures d'urgence pour l'emploi N° Lexbase : L8804G9X), puis mis en oeuvre par le pouvoir réglementaire par l'ordonnance n° 2005-893 du 2 août 2005 (v. aussi décret n° 2005-894 du 2 août 2005 relatif à l'allocation forfaitaire N° Lexbase : L0749HBD).
Destiné aux PME, ce contrat de travail sans limitation de durée déroge, pendant une période de deux ans, aux règles de rupture et comporte, en contrepartie, un régime indemnitaire spécifique, garantissant au salarié, pendant cette période, une indemnité en cas de rupture à l'initiative de l'employeur supérieure à celle résultant de l'application des règles de l'article L. 122-9 du Code du travail (N° Lexbase : L5559ACU). La polémique est née du caractère dérogatoire au droit commun des contrats de travail du contrat nouvelles embauches, posant un problème de compatibilité de l'ordonnance n° 2005-893 avec la Convention n° 158 de l'organisation internationale du travail (OIT).
1. Organisation juridique de la rupture du contrat nouvelles embauches
1.1. Régime spécial de la rupture du contrat nouvelles embauches
Le régime du licenciement n'est pas applicable au contrat nouvelles embauches pendant les deux premières années. Les articles L. 122-14-8 (N° Lexbase : L5573ACE), L. 122-14-12 (N° Lexbase : L5576ACI), L. 122-14-13 (N° Lexbase : L3219HW7), L. 321-1-2 (N° Lexbase : L8923G7M) et L. 321-14 (N° Lexbase : L9592GQC) du Code du travail ne s'appliquent pas. Hormis les cas de procédure disciplinaire, de pratique discriminatoire ou d'atteinte aux salariés bénéficiaires de protection d'ordre public (exemple : les représentants du personnel), l'employeur ne peut, en principe, être sanctionné qu'en cas de volonté de nuire, de légèreté blâmable ou d'abus dans l'exercice du droit de résiliation (Circ. min., n° CIV/06/06, du 8 mars 2006, Contrat nouvelles embauches N° Lexbase : L3915HIT).
Lorsqu'il est à l'initiative de la rupture, sauf faute grave, l'employeur verse au salarié régi par un contrat nouvelles embauches, jusqu'à l'expiration du préavis, outre les sommes restant dues au titre des salaires et de l'indemnité de congés payés, une indemnité égale à 8 % du montant total de la rémunération brute due au salarié depuis la conclusion du contrat. Le régime fiscal et social de cette indemnité est celui applicable à l'indemnité de l'article L. 122-9 du Code du travail (ordonnance n° 2005-893 du 2 août 2005, art. 2-3°).
1.2. Régime de la rupture de son contrat pendant la période de consolidation
Le Conseil d'Etat (CE Contentieux, 19 octobre 2005, n° 283471, Confédération Générale du travail et autres N° Lexbase : A9977DKQ) a admis que le salarié régi par un contrat nouvelles embauches puisse contester la rupture de son contrat pendant la période de consolidation : l'ordonnance n° 2005-893 n'a pas exclu que le licenciement puisse être contesté devant un juge, afin que celui-ci puisse vérifier que la rupture n'a pas un caractère abusif et n'est pas intervenue en méconnaissance des dispositions relatives à la procédure disciplinaire et de celles prohibant les mesures discriminatoires.
Mais, la rupture abusive de période de consolidation produit-elle, pour autant, les conséquences d'un licenciement abusif, les dommages et intérêts se calculant conformément à l'article L. 122-14-5 du Code du travail (N° Lexbase : L5570ACB) ? La réponse positive donnée par le conseil de prud'hommes de Longjumeau (CPH Longjumeau, sec. Activités diverses, 20 février 2006, RG n° 05/00974, M. Philippe Peyroux c/ SARL ACG N° Lexbase : A5066DTS) (3) s'explique par la condition d'ancienneté de deux ans, non remplie en l'espèce (mais l'article L. 122-14-5 a une vocation résiduelle : il s'adresse aux salariés et employeurs qui ne remplissent pas les conditions posées par l'article L. 122-14-4, c'est-à-dire, l'entreprise et les licenciements opérés par les employeurs qui occupent habituellement moins de 11 salariés ; les salariés qui ne peuvent se prévaloir d'une ancienneté de deux ans). Or, l'ordonnance n° 2005-893 exclut expressément, pendant les deux premières années courant à compter de la date de la conclusion, les articles L. 122-4 (N° Lexbase : L5554ACP) à L. 122-11 (N° Lexbase : L5561ACX), L. 122-13 (N° Lexbase : L5564AC3) à L. 122-14-14 (N° Lexbase : L5474ACQ) et L. 321-1 (N° Lexbase : L8921G7K) à L. 321-17 (N° Lexbase : L4211HWU) du Code du travail.
2. Question de la compatibilité de l'ordonnance n° 2005-893 avec la Convention n° 158 de l'OIT
2.1. Incompatibilité de l'ordonnance n° 2005-893 avec la Convention n° 158 de l'OIT
Le conseil de prud'hommes de Longjumeau avait écarté l'application de l'ordonnance n° 2005-893 en raison de son incompatibilité avec la Convention n° 158 de l'OIT (CPH Longjumeau, sec. Activités diverses, 28 avril 2006, préc.). L'ordonnance n° 2005-893 étant contraire à la Convention n° 158 de l'OIT, elle est privée d'effet juridique. Le contrat nouvelles embauches pris sur le fondement d'un texte non valable s'analyse en contrat à durée indéterminée de droit commun, soumis à toutes les dispositions du Code du travail. En effet, les termes de l'ordonnance n° 2005-893 sont contraires à la Convention n° 158 de l'OIT, qui impose l'existence d'une procédure contradictoire préalable au licenciement, d'un motif valable de licenciement et d'un recours effectif devant les juridictions pour contrôler l'existence de ce motif valable.
De plus, les juges du fond ont pu décider que l'appréciation judiciaire de la conformité de l'ordonnance n° 2005-893 à la convention n° 158 de l'OIT relève de la compétence du juge judiciaire : il n'y a donc pas question préjudicielle qui doit être soumise à l'examen du juge administratif (CA Paris, 18ème ch., sect. E, 20 octobre 2006, n° 06/06992, M. le Procureur de la République près le tribunal de grande instance d'Evry c/ Mlle De Wee et M. Samzum N° Lexbase : A0480DSL) (4).
Par l'arrêt rapporté, la cour d'appel de Paris relève que l'ordonnance n° 2005-893 est contraire à la Convention OIT n° 158, en quatre de ses dispositions :
1- La Convention OIT n° 158 prévoit, en son article 4, qu'un travailleur ne devra pas être licencié sans qu'il existe un motif valable de licenciement lié à l'aptitude ou à la conduite du travailleur ou fondé sur les nécessités du fonctionnement de l'entreprise. L'ordonnance n° 2005-893 rentre en conflit avec la Convention OIT n° 158, selon la cour d'appel, parce que le "contrat de travail appartient à cette catégorie de contrat dans lequel le salarié se trouve dans une situation de dépendance économique vis-à-vis de son cocontractant [...] le CNE ne contient aucune précision sur les causes permettant la résiliation lorsqu'une des parties doit être protégée". La cour d'appel fait reposer son argumentation sur une décision rendue par le Conseil constitutionnel le 9 novembre 1999 (décision n° 99-419 DC du 9 novembre 1999 N° Lexbase : A8783ACB).
2- En application de l'article 7 de la Convention OIT n° 158, un travailleur ne devra pas être licencié pour des motifs liés à sa conduite ou à son travail avant qu'on ne lui ait offert la possibilité de se défendre contre les allégations formulées, à moins que l'on ne puisse pas raisonnablement attendre de l'employeur qu'il lui offre cette possibilité. Là aussi, pour des motifs plutôt confus, la cour d'appel décide que l'ordonnance n° 2005-893 "déroge expressément à l'unité du droit du licenciement posé par la Convention OIT 158" (art. 7). Or, comme le rappelle le Conseil d'Etat (CE, 19 octobre 2005, préc.), les licenciements prononcés pour motifs disciplinaires restent soumis au droit commun et le régime du CNE n'y déroge pas. On croit comprendre que le CNE institue un double régime de la rupture du contrat de travail : droit commun pour le licenciement disciplinaire ; dérogatoire pour les autres cas, lorsque le salarié est régi par un CNE. Or, la cour d'appel paraît entendre que l'article 7 de la Convention OIT n° 158 n'ouvre pas la possibilité d'un tel double régime pour la rupture du contrat. Il faut pourtant admettre que l'article 7 de la Convention OIT n° 158 ne prévoit pas, expressis verbis, l'interdiction d'un double régime de rupture du contrat.
3- Selon l'article 9 de la Convention OIT n° 158, les juridictions devront être habilités à examiner les motifs invoqués pour justifier le licenciement ainsi que les autres circonstances du cas et à décider si le licenciement était justifié. Afin que le salarié n'ait pas à supporter seul la charge de prouver que le licenciement n'était pas justifié, la charge de prouver l'existence d'un motif valable de licenciement devra incomber à l'employeur et les juridictions devront être habilitées à former leur conviction quant aux motifs du licenciement au vu des éléments de preuve fournis par les parties et selon des procédures conformes à la législation et à la pratique nationales. En cas de licenciement motivé par les nécessités du fonctionnement de l'entreprise, les juridictions devront être habilitées à déterminer si le licenciement est intervenu véritablement pour ces motifs. Selon la cour d'appel de Paris, la "théorie de la motivation implicite se heurte à la contradiction insurmontable de demander à un juge d'apprécier le bien-fondé d'un licenciement sans qu'il puisse exiger de l'employeur qu'il rapporte la preuve de son motif". La cour d'appel en déduit que l'ordonnance n° 2005-893 est, sur ce point, en contradiction avec la Convention OIT n° 158.
L'argument est assez pertinent, mais n'est pas poussé au bout de la logique défendue par le droit international (Convention OIT n° 158) comme le droit national : certes, la charge de la preuve appartient à l'employeur. L'article 9 de la Convention OIT n° 158 mentionne effectivement ce principe. Mais, ce même article 9 admet, également, que les juridictions devront être habilitées à former leur conviction quant aux motifs du licenciement au vu des éléments de preuve fournis par les parties. C'est dire qu'in fine, si l'employeur est dispensé de motiver la décision de rupture du CNE, il n'est pas dispensé, devant le juge, d'emporter sa conviction sur la légitimité de la décision de rupture du contrat de travail nouvelles embauches, en application du principe général de l'abus de droit (CE, 19 octobre 2005, préc.). Le Conseil d'Etat a avancé une position exactement inverse à celle de la cour d'appel de Paris (arrêt rapporté).
4 - Enfin, la cour d'appel de Paris se prononce, par l'arrêt rapporté, sur le caractère raisonnable de la durée de deux ans instituée par le CNE (pendant laquelle le salarié est régi par un régime dérogatoire, notamment au droit commun du licenciement). L'article 2 de la Convention OIT n° 158 organise un certain nombre de dérogations possibles (5), la question étant de savoir si la durée de deux ans, dite de consolidation, prévue par l'ordonnance n° 2005-893, est couverte par cet article 2. La cour d'appel ne le pense pas : la dérogation au droit commun instituée par la Convention n° 158 vise les travailleurs effectuant une période d'essai ou n'ayant pas la période d'ancienneté requise, à condition que la durée de celle-ci soit fixée d'avance et qu'elle soit raisonnable. Or, pour la cour d'appel de Paris, la période dite de consolidation ne répond pas à cette exigence de "période raisonnable" : parce qu'"aucune législation de pays européens comparables à la France n'a retenue un délai aussi long durant lequel les salariés sont privés de leurs droits fondamentaux en matière de rupture du contrat de travail" ; et parce que "dans la lutte contre le chômage, la protection des salariés dans leur emploi semble être un moyen aussi pertinent que les facilités données aux employeurs pour les licencier et qu'il est pour le moins paradoxal d'encourager les embauches en facilitant les licenciements". L'argument, qui n'est évidemment pas juridique mais politique, pose la question de la pertinence des aides juridiques accordées par le législateur au profit des employeurs, au titre des politiques publiques de l'emploi (6).
2.2. Conformité de l'ordonnance n° 2005-893 à la Convention n° 158 de l'OIT
La conformité du contrat nouvelles embauches au droit international avait été reconnue par le Conseil d'Etat dès 2005 (CE Contentieux, 19 octobre 2005, n° 283471, Confédération générale du Travail et autres N° Lexbase : A9977DKQ) (7). Les objectifs poursuivis par le législateur justifient que la priorité donnée à l'emploi prime sur l'application du Code du travail et du droit social européen /international, précision étant faite que le domaine de la dérogation reste limité et encadré. De plus, pour le Conseil d'Etat, il ne résulte ni du principe de liberté énoncé à l'article 4 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen (N° Lexbase : L1368A9K), ni d'aucun autre principe ou règle de valeur constitutionnelle, que la faculté pour l'employeur de mettre fin au contrat nouvelles embauches devrait être subordonnée à l'obligation d'en énoncer préalablement les motifs et d'en prévoir les modalités de réparation.
Le Conseil d'Etat a précisé que demeurent, en revanche, applicables au contrat nouvelles embauches, les articles L. 122-40 (N° Lexbase : L5578ACL) à L. 122-44 (N° Lexbase : L5582ACQ) relatifs à la discipline et l'article L. 122-45 (N° Lexbase : L3114HI8) prohibant les mesures discriminatoires. Aussi, l'ordonnance n° 2005-893 n'a pas exclu que le licenciement puisse être contesté devant un juge, afin que celui-ci puisse vérifier que la rupture n'a pas un caractère abusif et n'est pas intervenue en méconnaissance des dispositions relatives à la procédure disciplinaire et de celles prohibant les mesures discriminatoires. D'où la conclusion tirée par les juges administratifs : les règles de rupture du contrat nouvelles embauches pendant les deux premières années suivant la date de sa conclusion ne dérogent pas aux stipulations des article 8-1, 9 et 10 de la Convention OIT n° 158.
Il ne faut pas négliger qu'en contrepartie de cette liberté laissée à l'employeur, l'article 2 de l'ordonnance n° 2005-893 prévoit, en cas de rupture du contrat nouvelles embauches à l'initiative de l'employeur au cours des deux premières années d'exécution du contrat, sauf faute grave ou lourde du salarié, une contribution à la charge de l'employeur qui a pour objet de financer les actions d'accompagnement renforcé du salarié en vue de son retour à l'emploi. Cette contribution est recouvrée par le régime d'assurance chômage (Circulaire Unedic, n° 05-18, du 14 octobre 2005, Rupture du contrat nouvelles embauches N° Lexbase : L1679HDK).
Le Conseil constitutionnel avait statué dans le même sens (Cons. const., décision n° 2005-521 DC, du 22 juillet 2005, Loi habilitant le Gouvernement à prendre, par ordonnance, des mesures d'urgence pour l'emploi N° Lexbase : A1642DKZ) (8). Les auteurs de la saisine avançaient que la loi habilitant le Gouvernement à prendre, par ordonnance, des mesures d'urgence pour l'emploi porterait une atteinte disproportionnée à l'économie des accords collectifs en cours ainsi qu'à la Convention n° 158 de l'OIT concernant la cessation de la relation de travail à l'initiative de l'employeur. Le grief n'a pas été retenu par le Conseil constitutionnel, selon lequel les dispositions en cause ne sont ni par elles-mêmes, ni par les conséquences qui en découlent, contraires à une règle ou à un principe de valeur constitutionnelle.
Décision
CA Paris, 18ème ch., sect. E, 6 juillet 2007, n° 06/06992, Monsieur Le Procureur de la République près le tribunal de grande instance d'Evry c/ Mademoiselle Linde de Wee (N° Lexbase : A1564DX9) Textes visés : Ordonnance 2 août 2005, n° 2005-893, relative au contrat de travail " nouvelles embauches " (N° Lexbase : L0758HBP) ; Convention OIT n° 158. Mots-clefs : contrat nouvelles embauches ; régime de la rupture les deux premières années ; dérogation droit international (oui). Lien bases : |
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Le 07 Octobre 2010
Faits :
Le 23 septembre 2003, la société Educaffix a signé avec l'Université Joseph Fourier, l'Institut National Polytechnique de Grenoble, l'Université Pierre Mendés France et l'IUFM de l'Académie de Grenoble ("l'Organisme") un contrat de cession portant sur le logiciel "Baghera".
La société Educaffix envisageait de développer un logiciel, dénommé "Educaxion", à partir du logiciel "Baghera". Mais, la société n'a pu exploiter le logiciel "Educaxion" ainsi développé car il intégrait le logiciel "JATLite", sous licence "GNU", dont les droits appartenaient à l'Université de Standford. En effet, le logiciel "Baghera" livré par l'Organisme était composé d'un soubassement (le programme "JATLite"), ainsi que d'une couche intermédiaire et d'une couche supérieure.
Conscient de ce problème, l'Organisme a proposé, le 27 octobre 2003, de remplacer le programme "JATLite", estimant le temps de travail à 5 semaines. La société Educaffix n'a pas donné suite à cette proposition.
Par acte du 24 octobre 2005, la société Educaffix décidait, cependant, d'assigner l'Organisme aux fins de voir constater la nullité pour dol du contrat de cession, la société estimant que l'Organisme lui a caché que le logiciel "Baghera" intégrait une partie du programme "JATLite". Elle demandait, également, au tribunal de prononcer la résolution du contrat aux torts de l'Organisme puisque l'exploitation du logiciel "Baghera" implique nécessairement la commission d'acte de contrefaçon du programme "JATLite".
Décision :
Concernant la demande de nullité du contrat pour dol, le tribunal de grande instance constate, notamment, que le contrat de cession établit clairement que seul le logiciel "Baghera", à savoir les couches intermédiaire et supérieure des fichiers constituant le système contenu dans le CDRom livré à la société Educaffix, est l'objet du contrat et est cédé par l'Organisme. Il estime que la société Educaffix avait pleinement connaissance de ce que contenait le CDRom livré et de ce que le contrat ne portait pas sur la couche inférieure du système (le programme "JATLite").
Le tribunal considère, par conséquent, que les conditions de l'article 1116 du Code civil (N° Lexbase : L1204AB9) ne sont pas réunies, l'Organisme n'ayant commis aucun dol par réticence à l'égard de la société Educaffix. Il déboute, dès lors, cette dernière de sa demande.
Concernant la demande de résolution du contrat de cession, le tribunal estime que les parties auraient dû solliciter une licence "GNU" auprès de l'Université de Standford ou remplacer le programme "JATLite".
Le tribunal constate qu'aucune licence n'a été demandée et que le remplacement du programme "JATLite" n'a pas été réalisé parce que la société Educaffix n'a pas donné suite à la proposition de remplacement faite par l'Organisme. Il constate, également, que ce dernier a sous-estimé le temps de travail nécessaire au remplacement (5 semaines au lieu des 10 à 15 estimées par le rapport d'expertise).
Ainsi, le tribunal prononce la résolution du contrat de cession aux torts partagés de chacune des parties, l'exploitation du logiciel "Baghera" étant dépendante du remplacement du programme "JATLite".
Commentaire :
Dans ce jugement du 28 mars 2007, le tribunal de grande instance de Paris consacre, pour la première fois, le caractère opposable de la licence "GNU GPL" en affirmant que le logiciel "Baghera" "a la particularité de dépendre de la licence GNU qui permet une utilisation libre du logiciel mais requiert une licence si le travail basé sur le programme ne peut être identifié comme raisonnablement indépendant et doit être considéré comme dérivé du programme JATLite".
En l'espèce, le tribunal estime que le logiciel "Baghera" est bien un dérivé du programme "JATLite". En ne le redistribuant pas sous licence "GNU GPL", l'Organisme a donc commis une faute qui justifie que la résolution du contrat soit prononcée aux torts partagés des parties.
Rappelons que la licence "GNU GPL", pour GNU General Public Licence, fixe les conditions juridiques de distribution des logiciels libres du projet "GNU". Cette licence garantit à l'utilisateur du logiciel libre le droit d'exécuter le logiciel, pour n'importe quel usage ; d'étudier le fonctionnement d'un programme et de l'adapter à ses besoins, ce qui passe par l'accès aux codes sources ; de redistribuer des copies ; d'améliorer le programme et de rendre publiques les modifications afin que l'ensemble de la communauté en bénéficie.
Quiconque accepte les conditions de la licence "GNU GPL" peut modifier le logiciel, l'étudier et le redistribuer dans sa version d'origine ou dans une version dérivée. A noter que cette licence permet une redistribution à des fins commerciales, à la différence des autres licences qui l'interdisent expressément. Cependant, ce droit de redistribution n'est garanti à l'utilisateur que dans la mesure où il fournit le code source de la version qu'il a modifiée et que si cette nouvelle version est également distribuée sous licence "GNU GPL".
II - Internet
Contenu :
Le décret adopté le 9 mai 2007 précise les mentions légales que toute personne immatriculée au RCS doit faire apparaître sur ses papiers d'affaires (factures, documents publicitaires...) ainsi que sur son site.
Ainsi, au titre de l'article 29 du décret, toute personne immatriculée doit indiquer sur son site internet :
- la mention RCS suivie du nom de la ville où se trouve le greffe ;
- le numéro unique d'identification de l'entreprise ;
- le lieu du siège social ;
- pour les sociétés commerciales dont le siège est à l'étranger, le lieu du siège social, la mention de son état de liquidation, la dénomination, la forme juridique et le numéro d'immatriculation dans l'Etat où elle a son siège, s'il en existe un.
Le décret dispose que le non-respect de ces obligations est puni de l'amende prévue pour les contraventions de la 4ème classe, soit un maximum de 750 euros (3 750 euros pour les personnes morales).
Commentaire :
Ce décret renforce l'obligation d'information des internautes notamment mise à la charge des éditeurs de sites internet par la loi pour la confiance dans l'économie numérique, "LCEN", du 21 juin 2004 (loi n° 2004-575 N° Lexbase : L2600DZC).
Aux termes de la "LCEN", l'éditeur d'un site internet, personne physique, doit indiquer son nom, prénom, domicile, numéro de téléphone et, le cas échéant, leur numéro d'inscription au RCS (ou au répertoire des métiers).
Quant aux éditeurs de sites internet, personnes morales, ils doivent préciser leur dénomination ou raison sociale, siège social, numéro de téléphone, et, le cas échéant, leur numéro d'inscription au RCS (ou au répertoire des métiers), capital social et adresse de siège social.
En outre, tout éditeur doit indiquer le nom du directeur ou codirecteur de la publication (ou du responsable de la rédaction), ainsi que les nom, dénomination ou raison sociale et numéro de téléphone de son hébergeur.
Rappelons que ces obligations ne concernent que les éditeurs professionnels. En effet, la "LCEN" permet aux éditeurs non professionnels de préserver leur anonymat. La seule obligation de ces derniers consiste à indiquer les coordonnées de l'hébergeur.
Enfin, pour les sites de commerce électronique, la "LCEN" impose, également, aux éditeurs de fournir des informations supplémentaires, telles que, notamment, leur adresse de courrier électronique ou encore, le cas échéant, leur numéro d'identification TVA.
C'est donc en complément de ce dispositif existant que le décret du 9 mai dernier a été adopté. Il vient, en effet, ajouter des mentions supplémentaires à la liste des mentions obligatoires que les éditeurs professionnels doivent faire figurer sur tout site internet. Par conséquent, nous vous conseillons de vous assurer que votre site internet est bien conforme aux prescriptions de la "LCEN" et de ce décret.
Enfin, nous attirons votre attention sur le fait que ce décret instaure un régime de sanctions différencié en fonction des mentions légales manquantes. Alors que le non-respect des mentions prévues par la "LCEN" est puni d'un an d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende (375 000 euros pour les personnes morales), celui des mentions prévues par le décret est sanctionné par une amende de 750 euros (3 750 euros pour les personnes morales).
Faits :
Le 23 août 2000, Mme Y est licenciée par la société Laville-Aragon pour faute grave. Elle saisit le conseil de prud'hommes en contestant la faute grave et en faisant état d'un harcèlement sexuel.
Pour prouver les faits de harcèlement sexuel dont elle se dit victime de la part de son employeur, Mme Y se prévaut, notamment, des SMS que ce dernier lui a envoyés et qui sont enregistrés sur son téléphone portable.
L'affaire est portée devant la cour d'appel, puis devant la Cour de cassation qui, par une décision du 20 avril 2005, casse l'arrêt d'appel et renvoie les parties devant la cour d'appel d'Agen (Cass. soc., 20 avril 2005, n° 03-41.916, F-D N° Lexbase : A9673DHQ).
Dans une décision du 5 avril 2006, la cour d'appel décide que le licenciement de Mme Y ne repose pas sur une faute grave et déclare établi le harcèlement sexuel de cette dernière.
La société Laville-Aragon conteste cette décision et se pourvoit en cassation. Elle affirme, notamment, que l'enregistrement et la reconstitution d'une conversation ainsi que la retranscription de messages effectués à l'insu de leur auteur constituent des procédés déloyaux. Elle estime que les SMS reçus par Mme Y ne sont pas une preuve recevable en justice.
Décision :
Dans cette décision du 23 mai 2007, la Cour de cassation considère que la personne destinataire de SMS peut s'en prévaloir pour prouver les faits de harcèlement sexuel dont elle est victime.
La Cour reconnaît, tout d'abord, que l'enregistrement d'une conversation téléphonique privée effectuée à l'insu de l'auteur des propos invoqués est bien un procédé déloyal rendant irrecevable en justice la preuve ainsi obtenue.
Mais, elle estime que l'utilisation par le destinataire des SMS à titre de preuve de ces propos est parfaitement recevable dans la mesure où l'auteur des SMS ne peut ignorer que ces derniers sont enregistrés par le téléphone portable du destinataire. Ainsi, l'auteur des SMS ne peut invoquer la déloyauté du mode de preuve, les messages n'ayant pas été enregistrés à son insu.
La Cour de cassation rejette donc le pourvoi formé par la société Laville-Aragon.
Commentaire :
Cet arrêt est intéressant en ce qu'il précise qu'un simple SMS peut constituer une preuve admissible en justice.
En effet, le recours à un tel message n'est pas un procédé déloyal puisque l'émetteur a parfaitement conscience que le message est non seulement reçu par le destinataire, mais également enregistré sur le téléphone portable de ce dernier. Cette connaissance rend, dès lors, impossible tout raisonnement relatif à une utilisation à l'insu de l'auteur du message.
La décision de la Cour de cassation respecte donc le principe de la loyauté des preuves.
Faits :
La société Datacep employait M. X en qualité de responsable marketing et recrutement. La société soupçonnait ce dernier d'entretenir avec deux personnes étrangères à l'entreprise des relations constitutives de manoeuvres déloyales tendant à la constitution d'une société concurrente.
La société a obtenu du président du tribunal de grande instance, sur requête, une ordonnance autorisant un huissier de justice à accéder aux données contenues dans l'ordinateur, mis par elle à la disposition de M. X, et à prendre connaissance, pour en enregistrer la teneur, des messages électroniques échangés entre le salarié et les deux personnes étrangères à la société.
M. X a fait appel de cette ordonnance.
Dans un arrêt du 18 mai 2005, la cour d'appel de Douai a rétracté l'ordonnance et annulé le procès-verbal dressé par l'huissier. Elle a considéré que la mesure d'instruction ordonnée avait pour effet de donner à l'employeur connaissance de messages personnels émis et reçus par le salarié. Elle en a déduit que cette mesure portait atteinte à une liberté fondamentale et n'était donc pas légalement admissible.
La société Datacep se pourvoit en cassation.
Décision :
Par un arrêt du 23 mai 2007, la Cour de cassation casse l'arrêt d'appel au visa des articles 145 du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L2260AD3), 9 du Code civil (N° Lexbase : L3304ABY) et L. 120-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5441ACI) et affirme, dans un attendu de principe, que "le respect de la vie personnelle du salarié ne constitue pas en lui-même un obstacle à l'application des dispositions de l'article 145 du Nouveau Code de procédure civile dès lors que le juge constate que les mesures qu'il ordonne procèdent d'un motif légitime et sont nécessaires à la protection des droits de la partie qui les a sollicités".
L'employeur ayant des motifs légitimes de suspecter des actes de concurrence déloyale, il pouvait valablement demander en justice le droit de prendre connaissance des messages électroniques de son salarié.
Commentaire :
Dans cet arrêt, la Cour de cassation vient compléter les précédentes décisions "Nikon" (Cass. soc., 2 octobre 2001, n° 99-42.942, Société Nikon France c/ M. Frédéric Onof, publié N° Lexbase : A1200AWD) et "Cathnet" (Cass. soc., 17 mai 2005, n° 03-40.017, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A2997DIT) relatives à la possibilité pour un employeur de prendre connaissance du contenu d'e-mails échangés par un salarié, dans la limite du respect de la vie privée des salariés et du secret des correspondances.
En effet, l'arrêt "Nikon", rendu par la Cour de cassation le 2 octobre 2001, affirme que "le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l'intimité de sa vie privée ; [...] celle-ci implique en particulier le respect des correspondances". L'employeur ne peut donc pas prendre connaissance des messages personnels émis et reçus par son salarié au moyen de l'ordinateur mis à sa disposition sans violer cette liberté fondamentale.
L'arrêt "Cathnet" du 17 mai 2005 a, cependant, ajouté que, sauf risque ou événement particulier, l'employeur ne peut ouvrir des fichiers identifiés comme personnels qu'en présence du salarié concerné. Ainsi, dès lors que les fichiers ne sont pas identifiés comme étant personnels par le salarié, ces derniers sont présumés avoir un caractère professionnel et l'employeur peut y avoir accès hors la présence du salarié (Cass. soc., 18 octobre 2006, n° 04-47.400, FS-P+B N° Lexbase : A9616DRL).
Cette nouvelle décision de la Cour de cassation du 23 mai dernier permet de préciser les décisions antérieures en constatant que le droit au respect de la vie personnelle du salarié ne fait pas obstacle à la possibilité pour un employeur de recourir aux dispositions de l'article 145 du Nouveau Code de procédure civile selon lequel, "s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve des faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé". Un employeur peut donc demander au président du TGI d'ordonner à un huissier d'accéder aux données contenues dans l'ordinateur du salarié, l'huissier devant agir en présence du salarié dès lors que ces données peuvent avoir un caractère personnel.
Faits :
Axa a assigné Google Inc. et Google France (les "sociétés Google") devant le tribunal de grande instance de Paris pour les faire condamner au titre de leur activité liée aux "adwords".
Axa a constaté, au cours de l'année 2003, que l'utilisation du mot clé "axa" sur des versions étrangères de Google (Google.ca, Google.de et Google.co.uk) permettaient d'afficher des liens commerciaux renvoyant vers des sites étrangers, concurrents de Axa et contrefaisant ses marques. C'est dans ces circonstances que Axa a engagé contre les sociétés Google une procédure pour contrefaçon, atteinte à la renommé de sa marque, concurrence déloyale et parasitaire et publicité trompeuse.
Le juge de la mise en état du TGI de Paris a considéré qu'il était compétent pour statuer sur ce litige en application du critère de l'accessibilité du site Internet à partir du territoire français.
Les sociétés Google ont interjeté appel de cette ordonnance au motif qu'aucun dommage résultant des liens commerciaux ne se trouvait rattaché au territoire français.
Par conséquent, les sociétés Google soutenaient que le TGI était territorialement incompétent.
Décision :
Par un arrêt du 6 juin 2007, la cour d'appel juge que le TGI de Paris était territorialement incompétent pour connaître des prétentions émises par Axa à l'encontre de Google Inc.
Tout d'abord, la cour rejette le critère de l'accessibilité car il conduirait à "institutionnaliser le forum shopping", pratique consistant à saisir le juge qui risque d'accueillir le plus favorablement ses prétentions. Elle pose, au contraire, comme critère de compétence rationae loci, la caractérisation "d'un lien suffisant, substantiel ou significatif, entre ces faits ou actes et le dommage allégué".
La cour constate aussi que les liens commerciaux apparaissaient sur des versions étrangères (Canada, Royaume-Uni et Allemagne) du moteur de recherche Google et les sites vers lesquels ces liens renvoyaient étaient essentiellement rédigés en langues anglaise et allemande.
Enfin, la cour considère que Axa n'apporte nullement la preuve d'un préjudice subi alors que, seul, un préjudice subi sur le territoire français aurait été en mesure d'être réparé par Google Inc.
En outre, la cour d'appel juge que la société Google Inc. est la seule propriétaire des sites litigieux et de la technologie Adwords, de sorte qu'il n'existe aucun lien de connexité entre Google Inc. et Google France de nature à permettre à Axa d'attraire Google Inc. devant une juridiction française sur le fondement de l'article 42, alinéa 2, du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L2654ADN).
Commentaire :
Par cet arrêt, la cour d'appel de Paris refuse de retenir la compétence des juges français pour connaître d'un litige portant sur le contenu d'un site internet étranger, prenant en compte le risque du "forum shopping".
Cette décision est contraire à une jurisprudence constante développée par la Cour de cassation (Cass. civ. 1, 9 décembre 2003, n° 01-03.225, FS-P+B N° Lexbase : A4178DAY ; Cass. com., 11 janvier 2005, n° 02-18.381, FS-P+B+I+R N° Lexbase : A9994DEU ; Cass. com., 20 mars 2007, n° 04-19.679, F-P+B N° Lexbase : A7901DU8) selon laquelle le juge français est compétent dès lors que le site internet litigieux est accessible en France.
Cependant, elle permet à la cour d'appel de Paris de confirmer sa précédente décision du 26 avril 2006, selon laquelle "sauf à vouloir conférer systématiquement, dès lors que les faits ou actes incriminés ont eu pour support technique le réseau internet, une compétence territoriale aux juridictions françaises, il convient de rechercher et de caractériser, dans chaque cas particulier, un lien suffisant, substantiel ou significatif, entre ces faits et le dommage allégué" (CA Paris, 4ème ch., sect. A, 26 avril 2006, n° 05/05038, M. Fernand S. et autres c/ SARL Acet N° Lexbase : A7221DP7).
Marc d'Haultfoeuille
Avocat associé
Département Communication Média & Technologies
Cabinet Clifford Chance
(1) Sur cet arrêt lire, également, Ch. Radé, La recherche de la vérité plus forte que le respect de la vie privée, Lexbase Hebdo n° 262 du 31 mai 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N1969BBK).
(2) Cf. note (1).
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Réf. : Circulaire CIPD, n° 0700057/C, du 4 mai 2007, relative à l'application de l'article 5 de loi n° 2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance (N° Lexbase : L9019HXC)
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par Nicolas Wismer, Collaborateur juridique à des associations de collectivités territoriales, Chargé d'enseignement en droit public à l'IEP de Lyon
Le 07 Octobre 2010
A. Genèse
1. Un amendement sénatorial. La création du FIPD est issue d'un amendement sénatorial en commission de lois, lors de la première lecture. Elle est justifiée par trois objectifs : la lisibilité des financements des actions de prévention de la délinquance ; l'efficacité des actions menées localement ; le ciblage des actions. Même sans financement supplémentaire, le FIPD permettrait une meilleure utilisation de crédits existants, auparavant dispersés.
2. La réécriture par le Gouvernement. Le Gouvernement a présenté un amendement de réécriture de l'ensemble de l'article. Le dispositif se trouve mis en cohérence avec l'ensemble du texte qui a confié au maire la coordination et la mise en oeuvre de la prévention de la délinquance, sans transfert de compétence ni prééminence sur les partenaires. Le maire se doit de respecter les compétences du représentant de l'Etat, des autres collectivités publiques, des établissements et des organismes intéressés. La mission de l'Etat est maintenue pour définir les grandes orientations ou des lignes directrices de la politique de prévention.
La loi prévoit, ainsi, que les actions de prévention conduites par les collectivités territoriales ne doivent pas être incompatibles avec le plan départemental de prévention de la délinquance. Si le plan départemental de prévention de la délinquance, arrêté par le représentant de l'Etat dans chaque département, existait déjà en application de circulaires, il acquiert, aujourd'hui, un fondement législatif (4).
3. Une dynamique étatique. Les associations d'élus ont fait remarquer qu'il y avait un paradoxe à, d'une part, affirmer le rôle de pilote du maire dans ce domaine et, d'autre part, à le soumettre à un examen de compatibilité. Les services de l'Etat craignaient que certains maires ne suivent pas la dynamique et refusent de s'approprier cette nouvelle mission.
Ces dispositions expriment le souci de la cohérence de la politique de prévention de la délinquance tout en laissant aux maires l'adaptation aux particularités de leur territoire. Le principe de libre administration des collectivités territoriales s'oppose à ce que l'Etat contraigne une commune à engager des actions de prévention de la délinquance contre son gré mais la contractualisation qu'implique l'obtention des crédits du FIPD implique que les initiatives locales s'inscrivent dans les orientations du représentant de l'Etat (5).
B. Financement
1. Les contraintes de la LOLF. L'article 7 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) (N° Lexbase : L1295AXA) dispose que les crédits sont spécialisés par programme ou par dotation et non plus par chapitre. Afin de préserver ce financement, de le "sanctuariser", une disposition législative ordinaire ne suffit pas : un programme doit regrouper les crédits intéressés afin qu'ils soient fongibles.
Au moment de la discussion du texte, les parlementaires ont rappelé (5) que la plupart des crédits d'intervention consacrés à la prévention de la délinquance figurent dans le programme "équité sociale et territoriale et soutien" de la mission "ville et logement", doté de 384 millions d'euros. La plus grande partie de la dotation est déléguée à l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances (ANCSEC) (7) et doit servir, notamment, à financer les contrats urbains de cohésion sociale (CUCS) (8), dont l'axe prioritaire de prévention de la délinquance.
2. L'ANCSEC, autorité de gestion. Le Gouvernement a, ainsi, décidé d'adosser le FIPD à l'ANCSEC qui est l'autorité de gestion et dont les préfets sont les délégués territoriaux. Cette solution permet de faire le lien entre politique de la ville et prévention de la délinquance. Les moyens du FIPD pourront servir à financer des actions dans le cadre des plans départementaux de prévention de la délinquance et des contrats urbains de cohésion sociale. Le CUCS est ciblé sur les quartiers prioritaires de la politique de la ville, le Fonds peut financer des actions réalisées par les communes non concernées par le CUCS mais par le plan départemental de prévention de la délinquance.
3. La dotation du Fonds. Le FIPD est doté de deux manières. D'abord, par le versement de 25 millions d'euros par l'ANCSEC, qui elle-même est alimentée par deux sources : d'une part, par les fonds qui étaient affectés au Fonds d'action et de soutien pour l'intégration et la lutte contre les discriminations (FASILD), et d'autre part, par des fonds provenant de la DIV, la délégation interministérielle à la ville et au développement social urbain.
Ensuite, le Fonds est alimenté par le prélèvement d'une certaine somme sur le produit des amendes forfaitaires de police de la circulation.
4. L'affectation du produit des amendes. L'article L. 2334-24 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L9030AAP) dispose que le produit des amendes de police relatives à la circulation est réparti par le comité des finances locales entre les communes et les établissements publics intéressés "en vue de financer les opérations destinées à améliorer les transports en commun et la circulation".
Par dérogation, le produit des amendes perçu par le système de contrôle-radar automatisé est affecté au budget de l'Etat, mais son éventuel surplus est affecté aux collectivités territoriales dans les conditions de l'article L. 2334-24 du CGCT (9). Explications : la loi de finances pour 2006 (10) affecte une fraction de ce produit, égale à 60 %, et limitée à 140 millions d'euros, au compte d'affectation spéciale "contrôle et sanction automatisée des infractions au code de la route" ; une autre fraction, égale à 40 % et limitée à 100 millions d'euros, est affectée à l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) ; si le produit total dépasse 240 millions d'euros, ce surplus est affecté aux collectivités territoriales. Le Gouvernement a indiqué que ce solde s'élèverait à 100 millions d'euros pour 2006.
La loi de finance rectificative pour 2006 (11), affecte directement (12) à l'ANCSEC, 50 millions d'euros, en provenance du solde excédentaire du produit des contrôles-radars automatisés normalement destinés aux collectivités territoriales (13).
5. Une "sanctuarisation" relative. Lors de la discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2006, des parlementaires ont pu relever que l'amélioration de la politique de prévention de la délinquance reste, finalement, financée par les collectivités territoriales. Ils se sont également interrogés à propos de la pertinence de couvrir les besoins du FIPD par une partie du produit des amendes générées par les radars et une partie de celui des amendes forfaitaires alors qu'ils devraient être affectés à l'amélioration de la sécurité routière (14). Tel était le sens de la création du compte d'affectation spéciale et de l'affectation à l'AFITF, comme de la répartition par les conseils généraux du produit des amendes forfaitaires de police entre les communes (15). L'association Transports, Développement, Intermodalité, Environnement (TDIE) vient de rappeler qu'il manquera, à compter de 2008, un milliard d'euros par an à l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) pour financer l'ensemble des investissements qui lui sont confiés par l'Etat dans le domaine des déplacements (16).
L'alimentation du fonds à partir de recettes éminemment conjoncturelles, malgré la volonté de "sanctuarisation", pose, également, la question du montant dans les années futures (17). Le versement de crédits aux collectivités, par le biais de financements contractuels, rend délicate leur utilisation pour financer des embauches (éducateurs spécialisés, de correspondant de nuit, d'agents de médiation et de prévention...). Le Gouvernement a su reprendre l'initiative parlementaire afin d'en faire un instrument de cohérence. Les collectivités ne peuvent attendre un effort financier supplémentaire pas plus qu'elles ne peuvent considérer que la loi de finances rectificative leur supprime des crédits : ils retourneront aux collectivités mais dans le cadre des conventions et orientations déterminées. Notons, enfin, que le prélèvement se limite à la seule année 2006.
II. Les principes d'utilisation et d'emploi des crédits
Les critères de répartition du FIPD ont été approuvés par le comité interministériel de prévention de la délinquance le 22 mars 2007. Les orientations pour l'emploi de ces crédits ont également été fixées. La circulaire du 4 mai 2007 du secrétaire général du comité interministériel de prévention de la délinquance explicite les principes d'utilisation et d'emploi des crédits du FIPD en prenant en compte les dispositions du décret en Conseil d'Etat, qui en détermine les conditions d'application et dont la publication est intervenue postérieurement (18).
A. Critères de répartition
1. Deux répartitions. La part des crédits du FIPD provenant du Fonds d'intervention pour les villes (FIV) et délégués à l'ANCSEC (19) a déjà été répartie selon les critères habituels de la politique de la ville : ils servent à financer des actions de prévention de la délinquance dans le cadre des contrats urbains de cohésion sociale et sont ciblés sur les quartiers prioritaires de la politique de la ville. Les critères de la géographie prioritaires se réfèrent à des indicateurs de précarité sociale, d'autres indicateurs, notamment, sur les champs de l'éducation, de la santé, du logement peuvent, le cas échéant, être utilisés pour affiner ou compléter cette analyse, ainsi que des éléments plus qualitatifs tels que l'analyse de la place du quartier, de sa fonction dans le système urbain (20). Les priorités sont identiques à celles de 2006 (21)
2. Deux enveloppes pour la dotation nationale. Les 50 millions d'euros sont répartis en deux enveloppes. La première constitue une réserve nationale de 5 %, soit 2,5 millions d'euros, pour financer en cours d'année des actions spécifiques ou abonder certaines. La seconde, de 47,5 millions d'euros, est répartie entre les départements selon le peuplement par rapport à la population française (30 %) et selon la proportion dans trois données statistiques (70 %) : faits constatés, délinquance de voie publique et part des mineurs dans les mis en cause.
B. Utilisation et emploi des crédits
1. Développement et renouvellement des politiques locales de prévention de la délinquance.
Le financement n'est pas conditionné pas un zonage mais par l'intensité des problèmes. Les services de l'Etat peuvent également conduire des actions financées par le FIDP. Les mesures trop générales sont à éviter pour privilégier des actions au profit des personnes et des familles dont le comportement est préjudiciable pour autrui et eux-mêmes. Les techniques de prévention de malveillance, comme la vidéosurveillance, sont à privilégier. Le FIPD peut financer des études ou dépenses d'ingénierie en complément d'autres financements. Des actions de prévention sont exposées dans les circulaires du 12 avril et du 4 décembre 2006 (22).
Application des dispositions de la loi du 5 mars 2007. Cette loi contient des mesures nouvelles de prévention définies et animées par le maire, dans le respect des priorités définies par le préfet. Le FIPD permet, auprès des personnes et familles dont les difficultés ont un impact sur la tranquillité publique : des mesures d'accompagnement parental (23) ; des mesures de lutte contre l'absentéisme scolaire (24) ; mesures préconisées par les groupes de travail territoriaux ou thématiques au sein des conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (25).
La loi n° 2007-297 impose la compatibilité des actions de prévention avec le plan départemental de prévention de la délinquance. Le financement du FIPD impose le respect des priorités de l'Etat. La prévention ne doit pas relever d'une conception trop étroite ou exclusive.
Action partenariale et évaluation. Le financement du FIPD est complémentaire de celui des partenaires locaux, sans exclure une part majoritaire. Ce financement peut valoriser des actions expérimentées et efficaces mais ne se substitue pas au financement des missions habituelles des administrations.
Le FIPD peut soutenir des actions de prévention de niveau départemental avec le conseil général, ou de niveau interdépartemental avec le conseil régional (travailleurs sociaux ou domaine des transports). Des projets de telle ampleur peuvent mobiliser des crédits réservés du FIPD.
L'emploi du FIPD doit produire des résultats perceptibles sur la délinquance et les conditions de sécurité. Les conventions avec les bénéficiaires du FIPD doivent prévoir des indicateurs et l'évaluation intervient dans le trimestre suivant l'année d'attribution. L'évaluation est essentielle pour le rapport du préfet au conseil département de prévention, adressé ensuite au secrétaire général du comité interministériel de prévention de la délinquance, ainsi qu'au directeur général de l'ANCSE. Ce rapport contient également le programme prévisionnel pour déterminer l'enveloppe de crédits.
2. Dynamique nouvelle des dispositifs locaux de prévention
Les financements du FIPD doivent permettre de rénover et renforcer les dispositifs locaux.
Renforcer les plans d'action contractuels. Les possibilités du FIPD seront intégrées dans les contrats locaux de sécurité de nouvelle génération. Les moyens financiers nouveaux doivent permettre l'extension et l'expérimentation des interventions. Les CUCS sans CLS sont pareillement éligibles.
CLSPD et CDPD : cadres de concertation rénovés. Les conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD) constituent le cadre de concertation entre autorités signataires des CLS. Ils rassemblent, au niveau communal ou intercommunal, les interlocuteurs intéressés par l'emploi du FIPD (26). Ils sont le cadre naturel de concertation avec le préfet pour lui permettre, en amont, de présenter le dispositif, en aval, de collecter l'évaluation des actions. Hors la conclusion d'un CLS, le CLSPD peut mener des actions ponctuelles éligibles au FIPD sous réserve de compatibilité avec le plan départemental de prévention de la délinquance.
Les conseils départementaux de prévention de la délinquance, d'aide aux victimes et de lutte contre la drogue, les dérives sectaires et les violences faites aux femmes (27) (CDPD) constituent un cadre de concertation au niveau départemental entre l'Etat, les élus et les représentants des principaux organismes sociaux et associatifs. L'enjeu financier structure et intensifie leur activité. Leur consultation est obligatoire avant transmission au secrétariat du CIPD et au directeur de l'ANCSEC du rapport d'évaluation et du programme prévisionnel du préfet.
(1) Loi n° 2007-297, du 5 mars 2007, relative à la prévention de la délinquance (N° Lexbase : L6035HU3, JORF du 7 mars 2007, page 4297).
(2) Circulaire CIPD, n° 0700057/C du 4 mai 2007 relative à l'application de l'article 5 de loi n° 2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance.
(3) Décret n° 2007-1048, du 26 juin 2007, pris pour l'application de l'article 5 de la loi n° 2007-297 du 5 mars 2007 et relatif au fonds interministériel pour la prévention de la délinquance (N° Lexbase : L7930HXY, publié au JO du 28 juin 2007).
(4) CGCT, art. L. 2215-2 (N° Lexbase : L8593HW8) tel que modifié par la loi n° 2007-297.
(5) Nous rejoindrons l'idée avancée par certains auteurs, selon lesquels la décentralisation reste inscrite dans le jeu de la centralisation (Christophe Chabrot, La centralisation territoriale, fondement et continuités en Droit public français. Thèse de doctorat ss dir. D. Rousseau, Université de Montpellier, 1997, 553 pages).
(6) Rapport n° 3436 fait par M. Philippe Houillon, député, au nom de la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République sur le projet de loi adopté par le Sénat (n° 3338), relatif à la prévention de la délinquance, Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 15 novembre 2006.
(7) L'ANCSEC a été créée par la loi n° 2006-396 du 31 mars 2006 pour l'égalité des chances (N° Lexbase : L9534HHL, JORF du 2 avril 2006, page 4950).
(8) Les Contrats urbains de cohésion sociale (CUCS) succèdent en 2007 aux contrats de ville comme cadre du projet de territoire développé au bénéfice des quartiers en difficulté pour la période 2007-2012. La circulaire du 24 mai 2006 a posé les principes et le calendrier de la mise en oeuvre des CUCS (N° Lexbase : L3052HKA).
(9) Loi n° 2005-1719 du 30 décembre 2005 de finances pour 2006, art. 49 (N° Lexbase : L6429HET, JORF du 31 décembre 2005, page 20597).
(10) Loi de finances pour 2006, art. 49 et 62.
(11) Loi n° 2006-1771 du 30 décembre 2006 de finances rectificative pour 2006 (N° Lexbase : L9270HTI, JORF n° 303 du 31 décembre 2006, page 20228).
(12) On peut s'interroger sur le respect, par un tel dispositif, des grands principes budgétaires : unité, universalité et non-contraction. Plutôt que d'affecter une taxe à une agence, il aurait été plus "orthodoxe" de laisser le produit des amendes dans les recettes du budget général, quitte à ouvrir une ligne budgétaire d'un montant de 50 millions d'euros du montant envisagé.
(13) Loi de finances rectificative pour 2006, art. 15-I : "Par dérogation à l'article L. 2334-24 du Code général des collectivités territoriales, un montant de 50 millions d'euros au titre du produit des amendes forfaitaires de la police de la circulation est affecté pour la seule année 2006 à l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances créée par la loi n° 2006-396 du 31 mars 2006 pour l'égalité des chances, afin de financer la réalisation d'actions de prévention de la délinquance dans les conditions définies à l'article L. 2215-2 du Code général des collectivités territoriales".
(14) Ass. nat., première séance du jeudi 7 décembre 2006.
(15) Notons que les collectivités ne sont pas désarmées puisqu'elles ont pris l'initiative d'instaurer une redevance d'occupation pour les radars automatisés installés par l'Etat sur leur domaine public (CAA Versailles, ord. 24 mai 2007, n° 07VE00746, Département de l'Essonne).
(16) TDIE est co-présidée par Philippe Duron, co-président délégué, ancien député du Calvados et président du conseil régional de Basse Normandie et par Michel Bouvard, co-président, député de la Savoie, vice-président du conseil général et président du Conseil supérieur du service public ferroviaire (Source : Maire info, 12 juin 2007).
(17) Il serait paradoxal d'espérer un financement constant de la prévention de la délinquance par un maintien de la délinquance routière !
(18) Notons le paradoxe d'une circulaire qui présente des dispositions réglementaires avant publication du règlement. Une telle situation ne manque pas de soulever le caractère réglementaire d'une telle circulaire et sa possible annulation pour incompétence de son signataire qui ne possède pas de pouvoir réglementaire général (CE ass. 29 janvier 1954, n° 7134, Notre-Dame du Kreisker N° Lexbase : A1297AWX).
(19) Soit 23 600 000 euros.
(20) Cf. http://www.ville.gouv.fr/infos/dossiers/cucs.html.
(21) Circulaire du 24 mai 2006 relative à l'élaboration des Contrats Urbains de Cohésion Sociale (CUCS), préc.
(22) Circulaire NOR INT 0600110C du 4 décembre 2006 et circulaire NOR INT 060043C du 12 avril 2006.
(23) Loi n° 2007-297, du 5 mars 2007, relative à la prévention de la délinquance, art. 9.
(24) Loi n° 2007-297, du 5 mars 2007, relative à la prévention de la délinquance, art. 12.
(25) Loi n° 2007-297, du 5 mars 2007, relative à la prévention de la délinquance, art. 1.
(26) La loi du 5 mars 2007 a rendu obligatoire la constitution d'un CLSPD dans les communes de plus de 10 000 habitants et dans les communes comprenant une zone urbaine sensible (ZUS).
(27) Au niveau départemental, des conseils départementaux de prévention de la délinquance, d'aide aux victimes et de lutte contre la drogue, les dérives sectaires et les violences faites aux femmes concourent à la mise en oeuvre des politiques publiques dans ces domaines (décret n° 2006-665 du 7 juin 2006 N° Lexbase : L9564HI3, JORF du 8 juin 2006, page 8636).
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Réf. : Cass. mixte, 29 juin 2007, deux arrêts, n° 05-21.104, Epoux X. c/ Société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Centre-Est (CRCAMCE) (N° Lexbase : A9645DW7) et n° 06-11.673, Mme Régine X., épouse Y. c/ Société Union bancaire du Nord (UBN) (N° Lexbase : A9646DW8)
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par Richard Routier, Professeur à l'Université de Clermont-Ferrand 1
Le 07 Octobre 2010
Dans les deux affaires, le banquier a eu la faveur des juges du second degré. Ces derniers sont, cependant, censurés pour n'avoir pas précisé si l'emprunteur était "non averti et, dans l'affirmative, si, conformément au devoir de mise en garde auquel elle était tenue à son égard lors de la conclusion du contrat, la [banque] justifiait avoir satisfait à cette obligation à raison des capacités financières de l'emprunteur et des risques de l'endettement né de l'octroi des prêts".
Plusieurs observations d'importance peuvent, dès lors, être faites.
Il résulte, d'abord, de ces arrêts du 29 juin 2007, que le caractère "profane" disparaît au profit de celui de "non averti". La différence n'est pas que de vocabulaire. La notion de profane est souvent opposée à celle de professionnel. Or, ainsi qu'il a déjà été observé (7), un professionnel n'est pas forcément averti. Cela permet à la Chambre mixte d'opérer une déconnexion radicale entre les qualités de "professionnel" et de "non averti". Cela est particulièrement évident dans la première espèce où l'agriculteur emprunteur, qui est manifestement un professionnel, pouvait, néanmoins, être non averti.
On remarquera, au passage, que l'attendu de la Chambre mixte est en quelque sorte "le négatif" de celui de la première chambre civile qui avait déjà modifié sa formulation en énonçant que, si le risque est élevé, à la limite de ce qui est raisonnable, le banquier doit vérifier si les emprunteurs sont avertis et, dans la négative, les alerter sur l'importance de ce risque (8).
Est, ensuite, précisé le moment où est dû le devoir de mise en garde : c'est celui de la conclusion du contrat. Il ne pouvait à la vérité en aller autrement car, naturellement, c'est à la formation du contrat, avant que le consentement de l'emprunteur ne soit donné, qu'un tel devoir présente une utilité.
Le périmètre de l'obligation est aussi plus précisément circonscrit. Le banquier est tenu d'un devoir de mise en garde au regard "des capacités financières de l'emprunteur et des risques de l'endettement né de l'octroi des prêts". Ces deux conditions, cumulatives, méritent quelques explications. Si les capacités financières comprennent certainement la capacité de remboursement, et donc les revenus, la situation patrimoniale est plus problématique. Dans l'espèce ayant donné lieu au premier arrêt, l'état du patrimoine de l'agriculteur, d'une valeur dépassant pourtant le montant total des emprunts, n'a pas permis au banquier de s'exonérer de son obligation. Cela peut se comprendre s'agissant, en l'espèce, d'un cheptel, qui, s'il devait être réalisé pour désintéresser le banquier, ne serait pas sans conséquence pour l'activité de l'exploitation. Mais la solution devrait pouvoir être modulée selon la nature du patrimoine et sa liquidité. On peut raisonnablement penser que, si le patrimoine de l'emprunteur comporte d'importantes liquidités, permettant largement de faire face à ses engagements, le devoir de mise en garde du banquier pourrait être différent.
La deuxième condition relative aux "risques de l'endettement né de l'octroi des prêts" cantonne le devoir du banquier au seul accroissement des risques résultant des concours qu'il se propose d'octroyer. Cette solution est à la fois logique et juste. Une mise en garde du banquier ne peut se concevoir, dans le silence des parties, que pour les risques qu'il contribue à créer. Par ailleurs, si d'aventure l'emprunteur venait à cacher au banquier d'autres concours, ce dernier ne pourrait évidemment pas être responsable d'une absence de mise en garde, que la seule situation connue du banquier pouvait parfaitement justifier.
La Chambre mixte vient, enfin, mettre à la charge du banquier la preuve du bon accomplissement du devoir. Cette position était assez prévisible, car en énonçant qu'il appartient au banquier de justifier avoir satisfait à son obligation, la Haute juridiction ne fait que reprendre une solution déjà posée pour les autres professionnels. Il est, en effet, désormais classique que c'est aux professionnels -dont le banquier (9)-, légalement ou contractuellement tenus d'une obligation particulière d'information, qu'il revient de rapporter la preuve de l'exécution de leur obligation (10) ; cette preuve pouvant être rapportée par tous moyens (11). Conséquemment, le devoir de mise en garde, qui peut être vu comme une information qualifiée, ou, à tout le moins, qui relève de l'information lato sensu, pouvait difficilement suivre un sort différent.
La clarification apportée ici par la Chambre mixte à la jurisprudence du devoir de mise en garde marque incontestablement une grande étape. Sans doute, d'autres décisions seront-elles nécessaires pour régler, ci et là, certaines situations qui ne se sont pas encore présentées au juge. C'est le cas, par exemple, de l'articulation de cette nouvelle obligation avec l'article 1415 du Code civil (N° Lexbase : L1546ABU) (12). Mais, si l'on fait abstraction des quelques cas particuliers dont l'issue est encore incertaine, il est permis de penser qu'avec les arrêts du 29 juin 2007, le régime du devoir de mise en garde du banquier, à l'égard de l'emprunteur, est désormais bien établi.
(1) Cass. civ. 1, 12 juillet 2005, trois arrêts, n° 03-10.770, M. Franck Guigan c/ Crédit lyonnais, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A9139DIC), n° 02-13.155, M. Joël Seydoux c/ Société BNP Paribas, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A0277DKH) et n° 03-10.921, M. Simon Jauleski c/ Société BNP Paribas, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A9140DID), D. 2005, AJ p. 2276, obs. X. Delpech, Jur. p. 3094, note B. Parance, et 2006, Pan. p. 167, obs. D-R. Martin et H. Synvet ; Banque, n° 673, octobre 2005, p. 94, note J.-L. Guillot, M. Boccara Segal ; JCP éd. G, 2005, II, 10140, note A. Gourio, et éd. E, 2005, p. 1359, note D Legeais ; Banque et droit 2005, n° 104, p. 80, obs. T. Bonneau, RLDC 2005, n° 21, p. 15, note S. Piedelièvre, RD bancaire et fin., septembre-octobre 2005, p. 20, obs. D. Legeais, et novembre-décembre, p. 14, obs. F.-J. Crédot et Y. Gérard ; Resp. civ. et assur. n° 10/2005, p. 22 ; BRDA 2005, n° 20, p. 11 ; Dr. et patr., 2005, n° 143, p. 98, obs. J.-P. Mattout et A. Prüm, et 2006, n° 145, p. 123, obs. L. Aynes et P. Dupichot ; RTD com. 2005, p. 829, obs. D. Legeais.
(2) Cass. com., 3 mai 2006, n° 02-11.211, M. Gilbert Joffre c/ Banque française commerciale Océan Indien (BFCOI), FP-P+B+I+R (N° Lexbase : A2447DPC), Bull. civ. IV, n° 102 ; D. 2006, p. 1618, note J. François ; Gaz. Pal., 28-29 juin 2006, p. 5, note S. Piedelièvre ; RD bancaire et fin., 2006, n° 4, p. 12, note F.-J. Crédot, T. Samin ; Cass. com., 3 mai 2006, n° 04-15.517, Crédit lyonnais c/ M. Jean Pouth, FP-P+B+I+R (N° Lexbase : A2486DPR), Bull. civ. IV, n° 101, D. 2006, p. 1445, note X. Delpech ; Gaz. Pal. 28-29 juin 2006, p. 5, note S. Piedelièvre ; JCP éd. E, 2006, p. 996, note D. Legeais ; D. 2006, Jur. p. 1618, obs. J. François ; Cass. com., 3 mai 2006, n° 04-19.315, Mme Eliane Daviot, épouse Mainguy c/ Société Natiocrédibail, FP-P+B+I+R (N° Lexbase : A2499DPA), Bull. civ. IV, n° 103, Gaz. Pal., 28-29 juin 2006, p. 5, note S. Piedelièvre ; RLDC juillet -août 2006, p. 36, note G. Marraud des Grottes. D. Chemin-Bomben, Devoir de mise en garde du banquier : un arrêt ça va trois... bonjour les débats !, Rev. Lamy dr. aff., septembre 2006, p. 34.
(3) Cass. mixte, 29 juin 2007, deux arrêts, n° 05-21.104 et n° 06-11.673, cités en référence.
(4) Cass. civ. 1, 2 novembre 2005, n° 03-17.443, Mme Angèle Kuntzmann c/ Société Cetelem, F-P+B (N° Lexbase : A3277DLX), Bull. civ. I n° 397, lire nos obs., Nouveau contour de l'obligation du prêteur de mettre en garde l'emprunteur profane, Lexbase Hebdo n° 194 du 15 décembre 2005 - édition affaires (N° Lexbase : N1885AKZ) - Cass. civ. 1, 21 février 2006, n° 02-19.066, Claude Levrai c/ Crédit lyonnais, F-P+B (N° Lexbase : A1696DN7), Bull. civ. I, n° 91, JCP éd. E 2006, p. 611, note D. Legeais, et p. 1850, obs. J. Stoufflet ; RTD com. 2006, p. 462, obs. D. Legeais ; Rev. Lamy dr. aff. 2006/5, n° 256 ; D. 2006, Jur. p. 1618, obs. J. François ; RD imm. 2006, p. 294, obs. H. Heugas-Darraspen ; Banque et droit 2006, n° 108, p. 62, obs. T. Bonneau - Cass. civ. 1, 13 février 2007, n° 04-17.287, Mme Françoise Guilhem, épouse Dulcy, F-P+B (N° Lexbase : A2058DUR).
(5) Cass. mixte, 29 juin 2007, n° 05-21.104, préc..
(6) Cass. mixte, 29 juin 2007, n° 06-11.673, préc..
(7) R. Routier, "Consécration et problématique de l'obligation de mise en garde de l'emprunteur profane", in Le devoir de mise en garde du banquier, Université de Clermont-Ferrand I, 29 mars 2007 ; RD bancaire et fin. novembre-décembre 2007 (à paraître), spéc. n° 8.
(8) Cass. civ. 1, 21 février 2006, n° 02-19.066, préc..
(9) Cass. civ. 1, 6 novembre 2001, n° 98-20.518, M. André Jaume c/ Caisse nationale de prévoyance, FS-P (N° Lexbase : A0594AXB), Bull. civ. I, n° 271.
(10) Cass. civ. 1, 25 février 1997, n° 94-19.685, M. Hédreul c/ M. Cousin et autres (N° Lexbase : A0061ACA), Bull. civ. I, n° 75 ; D. 1997, Somm. p. 319, obs. M. Penneau ; Gaz. Pal., 1997, 1, p. 274, rapp. P. Sargos, note J. Guigue ; JCP éd. G, 1997, I 4025, n° 7 obs. G. Viney ; LPA 16 juillet 1997, n° 85, p. 17, note A. Dorsner-Dolivet ; Contrats concur. consom. 5/1997, p. 4, note L. Leveneur ; RTD civ. 1997, p. 434, note P. Jourdain ; Rev. Lamy droit des aff. 1998, n° 6, p. 3, note Y. Chartier ; Defrénois 1997, p. 751, obs. J-L. Aubert (médecins) - Cass. civ. 1, 29 avril 1997, n° 94-21.217, M. X c/ Mme Y (N° Lexbase : A0136ACZ), Bull. civ. I, n° 132 ; JCP éd. G, 1997, II 22948, note R. Martin ; LPA 15 août 1997, n° 98, p. 15, note M.-H. et V. Maleville (avocat) - Cass. civ. 1, 9 décembre 1997, n° 95-16.923, Monsieur Dumin c/ Société d'Assurances Crédit Mutuel et autre (N° Lexbase : A0574ACA), Bull. civ. I n° 356 ; Cass. civ. 2, 8 avril 2004, n° 03-11.485, M. Patrice Abadie c/ Société Axa assurances, FS-P+B (N° Lexbase : A8469DBB), Bull. civ. II n° 163, Dr et patr., juillet-août 2004, p. 95, obs. P. Chauvel (assureur).
(11) Cass. civ. 1, 14 octobre 1997, n° 95-19.609, Consorts X c/ Mme Y (N° Lexbase : A0710ACB), Bull. civ. I, n° 278, JCP éd. G, 1997, II 22942, rapp. P. Sargos, et I 4068, n° 6, obs. G. Viney ; RTD civ. 1998, p. 100, obs. J. Mestre ; LPA 13 mars 1998, n° 31, p. 18, note Y. Dagorne-Labbé - Cass. civ. 1, 4 janvier 2005, n° 02-11.339, M. Chérif Bouchemoua c/ Mme Michèle Guedj-Saal, F-P+B (N° Lexbase : A8632DEG), Bull. civ. I, n° 6 ; RTD civ. 2005, p. 381, note J. Mestre, B. Fages.
(12) Sur cette question : R. Routier, "Consécration et problématique de l'obligation de mise en garde de l'emprunteur profane", in Le devoir de mise en garde du banquier, Université de Clermont-Ferrand I, 29 mars 2007 préc., spéc. n° 17 s.
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