Lecture: 2 min
N6847BAT
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction
Le 27 Mars 2014
Et de la mesure au tempo, il n'y a qu'un pas ; celui qui nous permet d'annoncer que la Revue Lexbase de Droit Public, au rythme mensuel, devient Lexbase Hebdo - édition publique : chaque semaine, retrouvez un à deux articles de fonds suivi(s) d'un fil d'informations juridiques toujours plus complet et réactif. C'est, désormais, quatre hebdomadaires exhaustifs qui dresseront, au service des professionnels, l'ensemble de l'actualité juridique agrémentée de sources exclusives.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:276847
Lecture: 6 min
N6609BAZ
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Compte-rendu réalisé par Aurélie Serrano, SGR - Droit social
Le 07 Octobre 2010
1. Le contexte de la réforme
Ainsi que le relève Alain Sauret, la méthode adoptée pour parvenir à la loi de 2006 fait ressortir, notamment, la concurrence entre les différents ministères, mais aussi la lente évolution du projet, au gré des nombreuses consultations du Sénat et de l'Assemblée nationale. Au final, la fusion obtenue entre les différentes visions, au départ divergentes, donne un texte riche et cohérent. La loi de 2006 s'inscrit dans une démarche complémentaire de la loi "Fabius" (loi n° 2001-152 du 19 février 2001, sur l'épargne salariale N° Lexbase : L5167ARS). Alors que cette dernière visait à favoriser la mise en place de différents plans d'épargne, la loi de 2006 a pour but de multiplier les possibilités de mise en place de la participation, de l'intéressement, et de l'actionnariat salarié. La volonté du législateur, en instaurant la notion de dividende du travail, est, plus que jamais, d'associer les salariés aux résultats de l'entreprise, au même titre que les actionnaires eux-mêmes (sur ce sujet, lire Jean-Baptiste Lenhof, Réflexion sur les aspects de droit des sociétés de la nouvelle notion de "dividende social", Lexbase Hebdo n° 240 du 13 décembre 2006 - édition privée générale [LXB=N4132A9W ])
2. La notion de dividende du travail
Selon Alain Sauret, la définition de dividende du travail retenue par le législateur est une définition "fourre-tout" qui englobe tout ce que crée la loi, tout en excluant certaines dispositions de lois antérieures qui auraient pu venir s'y greffer. En réalité, la définition retenue participe, avant tout, d'une volonté politique d'imposer le vocable.
Sont, ainsi, qualifiés de dividendes du travail aux termes de l'article 1er de la loi :
- le supplément d'intéressement ou de participation, versé en application de l'article L. 444-12 du Code du travail (cf. 2.) ;
- les droits inscrits à un compte épargne-temps (CET) versés sur un plan d'épargne pour la retraite collectif (Perco) ou un plan d'épargne d'entreprise (PEE), dans les conditions et selon les modalités visées au second alinéa de l'article L. 443-2 du Code du travail et à l'article 163 A du Code général des impôts. Selon Alain Sauret, il est excessif de qualifier les droits qui peuvent être inscrits à un CET de dividendes du travail. Ces droits correspondent, en effet, à un salaire ou, au moins, à un temps monétarisable. On le voit bien, ici encore, la définition de dividendes du travail répond à la volonté politique de favoriser les dispositifs d'actionnariat salarié et d'étendre la participation et l'intéressement ;
- les attributions d'actions gratuites destinées à être versées sur un plan d'épargne d'entreprise (PEE), distribuées en application du troisième alinéa de l'article L. 443-6 du Code du travail ;
- la disponibilité immédiate des dividendes attachés aux actions détenues dans le cadre d'un fonds commun de placement d'entreprise dont plus du tiers de l'actif est composé de titres émis par l'entreprise, dans les conditions prévues au onzième alinéa de l'article L. 214-40 du Code monétaire et financier ;
- la réserve dérogatoire de participation, conformément aux dispositions de l'article L. 442-6 du Code du travail.
3. Le supplément d'intéressement et le supplément de participation
Selon Alain Sauret, le supplément d'intéressement mérite quelques commentaires. En effet, ce supplément, dont la nature juridique est assimilée à celle de l'intéressement triennal de base par référence à l'article L. 441-4 du Code du travail, doit être décidé au moment de la clôture de l'exercice. Dès lors, s'il répond au même caractère collectif que l'intéressement triennal classique, il est adopté en violation du principe aléatoire. Ce supplément se démarque donc, sur ce point, de l'intéressement triennal, qu'il a d'ailleurs pour vocation de venir compléter ou remplacer (sur ce sujet, lire Fabien Girard de Barros, Redistributions collectives et actionnariat : "l'important, c'est de participer", Lexbase Hebdo n° 235 du 8 novembre 2006 - édition lettre juridique N° Lexbase : N4922ALU).
.
Ainsi que le souligne Alain Sauret, l'appréciation de la date de clôture de l'exercice peut, également, susciter quelques difficultés d'interprétation. En effet, faut-il prendre en compte l'exercice clos au moment de la décision de mise en place d'un supplément ou au moment de l'entrée en vigueur de la loi sur l'actionnariat salarié du 30 décembre 2006 ? L'Acoss a penché en faveur de cette seconde option, ce qui rend le supplément possible immédiatement. En revanche, certains praticiens ou auteurs de doctrine ont retenu la première conception. Aujourd'hui, la discussion n'est pas tranchée mais la publication d'un questions-réponses aux alentours de la fin avril, de deux instructions fiscales ainsi que d'un décret et d'une circulaire dans le courant du mois de mai devraient permettre de clore la question.
En ce qui concerne le versement tant d'un supplément d'intéressement que d'un supplément de participation, la décision appartient au conseil d'administration ou au directoire ou, à défaut, au chef d'entreprise. Cette décision ayant une influence sur les dividendes distribués aux actionnaires, elle doit être soumise à l'assemblée générale. Le supplément pourra donc être décidé par un organe de direction et pourra être versé selon les modalités de répartition prévues par l'accord de base. Il est toutefois possible, tant pour le supplément d'intéressement que pour le supplément de participation, de conclure un accord prévoyant des modalités de répartition spécifique. Cette dernière option est, d'ailleurs, assez courante étant donné que la notion même de supplément n'obéit pas à la même logique que l'intéressement de base. La mise en place d'un versement égalitaire du supplément pourra spontanément être préférée à une répartition proportionnelle aux salaires.
Le supplément d'intéressement et le supplément de participation doivent respecter les plafonds individuels et collectifs mentionnés dans le premier cas aux sixième et huitième alinéas de l'article L. 441-2 du Code du travail et, dans le second cas, à l'article L. 442-6 du Code du travail.
Selon Alain Sauret, on peut se demander si la notion même de supplément ne va pas inciter les partenaires sociaux à être encore plus exigeants lors d'une future négociation d'un accord de participation ou d'intéressement. Pourtant, le supplément doit, rappelons-le, être clairement distingué de l'accord de participation ou d'intéressement de base. Il serait d'ailleurs logique de penser que le supplément puisse contribuer à pallier un accord aux termes duquel l'intéressement ou la participation serait nul. Toutefois, selon la Direction générale du travail, en désaccord sur ce point avec le ministère du Travail, il ne peut y avoir d'autonomie entre l'accord de base et le supplément et ce dernier ne peut être versé que si l'intéressement ou la participation de base existe.
4. L'intéressement de projet
L'article 4 de la loi du 30 décembre 2006 crée, également, une nouvelle catégorie d'intéressement par l'ajout d'un alinéa à l'article L. 441-1 du Code du travail (N° Lexbase : L7694HBL). Il s'agit de l'"intéressement de projet". Selon la nouvelle disposition, "dans les entreprises ou groupes disposant d'un accord d'intéressement et concourant avec d'autres entreprises à une activité caractérisée et coordonnée, un accord peut être conclu pour prévoir que tout ou partie des salariés bénéficie d'un intéressement de projet". Selon Alain Sauret, des incertitudes pourraient naître lors de l'application de l'intéressement de projet, notamment en ce qui concerne son objet et son périmètre. En effet, la mise en oeuvre de cet intéressement peut se faire au sein d'un même groupe ou dans les entreprises qui n'ont pas entre elles de lien financier. En outre, l'intéressement de projet peut viser les salariés d'une entreprise ou d'une partie d'entreprise, telle que l'établissement ou l'unité de travail.
Seules les entreprises qui sont déjà couvertes par un accord "classique" d'intéressement peuvent mettre en oeuvre un intéressement de projet. Ce dernier obéit donc à toutes les caractéristiques de l'accord d'intéressement telles que prévues par l'article L. 441-1 du Code du travail : caractère pluriannuel, collectif et aléatoire, respect des délais de signature et de dépôt... Mais, attention, cela ne signifie pas qu'il faille confondre l'intéressement de projet avec le supplément d'intéressement.
L'accord d'intéressement de projet peut être négocié dans deux cadres différents. Si le projet n'implique que tout ou partie des salariés d'une même entreprise ou d'un même groupe, dans cette hypothèse, l'accord devra être négocié dans les mêmes conditions qu'un accord d'intéressement de droit commun, c'est-à-dire conformément à l'article L. 441-1 du Code du travail. En revanche, si le projet implique des salariés d'entreprises qui ne constituent pas un groupe, l'accord devra être négocié dans les mêmes conditions que celui instituant un plan d'épargne interentreprises (PEI) (C. trav., art. L. 443-1-1 N° Lexbase : L8388ASH).
Toutefois, pour Alain Sauret, la règle de la majorité des deux tiers devra être entendue uniquement des salariés entrant dans le champ d'application du projet.
De plus, le législateur a prévu une période spécifique de calcul de l'intéressement de projet puisque celle-ci peut être liée à la durée du projet. Toutefois, la durée de l'accord ne pourra pas excéder 3 ans. Il faut veiller, cependant, à ne pas conclure un accord d'une durée trop courte, ce qui pourrait compromettre le respect du principe aléatoire.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:276609
Réf. : Loi n° 2007-211, 19 février 2007, instituant la fiducie (N° Lexbase : L4511HUM)
Lecture: 17 min
N6592BAE
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 07 Octobre 2010
Sans doute, cette frilosité apparente tient-elle au caractère profondément dérogatoire de la notion (I) ainsi qu'à son utilité limitée, alors que des mécanismes de substitution ont été mis en place, de longue date, pour compenser son absence en droit français. Ainsi, nous attacherons-nous, en dehors des aspects civilistes (5) ou fiscaux du texte, qui seront, ou ont déjà été développés à d'autres occasions, à mesurer sa portée en droit des affaires (II) afin de déterminer si le contrat en cause peut être appelé à se substituer à certaines opérations du droit commercial, voire, à la constitution de certaines sociétés.
I - Une notion profondément dérogatoire au regard du droit commun
Affirmer que la fiducie est utile (A) semble relever du truisme, mais encore faut-il souligner que son introduction tardive dans l'ordre juridique se justifie par un ensemble de données historiques et pratiques qui sont encore susceptibles d'expliquer les limitations (B) récemment imposées par le législateur.
A - De l'utilité de la fiducie : une opération particulière
On ne saurait évoquer une définition de la fiducie sans en revenir à la thèse de référence sur la question que l'on doit à C. Witz, qui y voyait "l'acte juridique par lequel une personne, le fiduciaire, rendue titulaire d'un droit patrimonial, voit l'exercice de ce droit limité par une série d'obligations, parmi lesquelles figure généralement celle de transférer le droit au bout d'une certaine période soit au fiduciant, soit à un tiers bénéficiaire" (6). La notion, dans la présentation qui en a été parfois faite, a semblé, un temps, dans le cadre de la communication gouvernementale, s'écarter de ce modèle théorique. Celle-ci a, en effet, été décrite comme "un contrat par lequel une personne le constituant transfère la propriété de biens ou de droits à une autre personne le fiduciaire et lui donne mission de les gérer dans un but déterminé, au profit d'un ou de plusieurs bénéficiaires" (7). La conception de la fiducie est ainsi apparue, un bref instant, éloignée de l'axe vers lequel la doctrine l'avait orienté. Ainsi, alors que de nombreux auteurs doutaient de la réalité (au sens du droit commun) du transfert de propriété du bien au fiduciaire, le Gouvernement semblait opérer le choix inverse.
Le texte sur la fiducie n'en est pas moins revenu à davantage d'orthodoxie. Un bref examen du texte instituant un mécanisme comparable au Luxembourg ainsi que des différents projets élaborés en droit interne démontrent, incontestablement, l'embarras du législateur devant la constitution d'une "propriété ad tempus" (8). Ainsi, au Luxembourg, le règlement grand-ducal dispose en son article 2 que "le fiduciaire sera rendu titulaire de droits patrimoniaux", alors que le projet de loi précédent (un de ceux qui n'a jamais abouti) se proposait d'introduire dans le Code civil la disposition selon laquelle "le constituant transfère tout ou partie de ses biens et droits", sans mentionner expressément la propriété. D'où l'affirmation d'éminents auteurs selon laquelle la propriété transférée n'est pas la propriété ordinaire (9), mais une propriété fiduciaire qu'on a pu décrire de la façon suivante : "ce n'est pas une propriété-actif' (le fiduciaire ne reçoit rien à l'actif de son patrimoine), mais seulement une propriété-fonction' (il reçoit les pouvoirs aptes à assurer sa mission)" (10).
C'est cet ensemble d'idées qui est réunie dans le texte finalement voté et qui est combiné dans le Code civil, notamment, aux articles 2011 et 2012. Le premier de ces textes dispose que "la fiducie est l'opération par laquelle un ou plusieurs constituants transfèrent des biens, des droits ou des sûretés, ou un ensemble de biens, de droits ou de sûretés, présents ou futurs, à un ou plusieurs fiduciaires qui, les tenant séparés de leur patrimoine propre, agissent dans un but déterminé au profit d'un ou plusieurs bénéficiaires". Aux termes du second, "la fiducie est établie par la loi ou par contrat. Elle doit être expresse".
Ainsi la fiducie répond-elle, en premier lieu, au terme ambigu "d'opération", ce qui suppose l'existence d'un dessein plus vaste que celui que déterminerait un simple contrat. La fiducie pourrait être imaginée, de la sorte, comme le maillon d'un enchaînement d'actes juridiques supposant des motivations économiques complexes.
La fiducie opère, en deuxième lieu, transfert de "biens, de droits ou de sûretés" et non explicitement de propriété. Se trouve, ainsi, consacrée l'idée de l'existence d'une "propriété fonction", ce que confirme, d'ailleurs, la fin de l'article 2011 qui établit que le ou les fiduciaires tiennent les biens, droits ou sûretés transférés "séparés de leur patrimoine propre". Ceci suppose, en référence à la théorie du patrimoine, qu'ils n'en sont pas propriétaires (11), au sens traditionnel du terme, car ce ne sont pas leurs biens qu'ils gèrent mais ceux du constituant (dit "fiduciant", auparavant).
La fiducie, en troisième lieu, impose au fiduciaire d'agir dans un but déterminé, ce qui attache à la notion certaines caractéristiques du mandat, qui l'éloignent encore de la propriété traditionnelle.
A ce stade, surgit l'interrogation de l'utilisation de cette opération dans le cadre du droit des affaires comme une alternative au recours à des mécanismes voisins. Sans qu'on puisse véritablement évoquer de régime commun, il apparaît, en effet, que la fiducie emprunte certains traits à des formes sociales contractuelles, telle que la société en participation et que, par ailleurs, l'affectation patrimoniale spécifique des biens permet d'envisager la mise en place de montages sécurisés en dehors de tout cadre sociétaire.
Au-delà de cette approche intuitive, l'examen des limites, apportées par le législateur à l'emploi de la fiducie, ne saurait que conforter l'idée qu'il s'agit bien d'une "opération" d'une nature particulière, qui ne saurait qu'être rattachée au droit des affaires, et en aucun cas au droit commun.
B - Les limitations de la fiducie : une opération de droit spécial
Dans le régime proposé par le Gouvernement, le choix a été de faire du principe de liberté contractuelle, le substratum de ce contrat et ce principe n'aura, sans doute, pas été sans effet quant à la limitation du mécanisme. En effet, on ne saurait que poser des limitations à l'utilisation d'un outil juridique susceptible de donner aux parties la faculté d'organiser leur relation fiduciaire sans encadrement par l'ordre public et, notamment, de ne pas contrôler la destination des biens et des droits transférés.
Sur ce point, d'ailleurs, l'histoire attachée à l'évolution de la fiducie éclaire bien les enjeux économiques qui y sont attachés. Ainsi, il apparaît que si les rédacteurs du Code civil n'ont pas souhaité pérenniser cette institution, c'était en raison des aspects négatifs que l'opération emportait au plan social. En effet, la pratique, dans l'ancien droit, des substitutions fidéicommissaires, qui contraignaient l'héritier ou le légataire à conserver les biens transmis et à les transférer à son décès à un tiers désigné, avait pour objet de rendre les biens inaliénables pendant des générations successives. Comme elles permettaient de concentrer le patrimoine au sein de familles aristocratiques, elles furent prohibées par une loi du 14 novembre 1792 (12). Plus près de nous, l'institution du trust anglo-saxon a joué lui, en quelque sorte, un rôle de repoussoir quant à l'éventuelle transposition d'un mécanisme ressenti, de ce côté de la Manche, comme un montage caractérisé par son opacité.
Pour autant, la réception de la fiducie en droit interne apparaît inéluctable, ainsi qu'en atteste l'édiction par la Commission européenne de règles de best practice, le 2 mai 2003. Dans celles-ci, figure un contrat-type de trust, destiné à favoriser les concentrations d'entreprises soumises au contrôle communautaire, ce contrat-type permettant de réaliser les cessions d'actifs exigées par la Commission.
La fiducie en était-elle, pour autant, un outil indispensable que le droit interne aurait ignoré à tort ? C'est oublier que de nombreux mécanismes civilistes permettent, déjà, de remplir les fonctions de la fiducie au profit des particuliers et que l'extension de son champ d'application aux personnes physiques aurait risqué de provoquer des recoupements avec des institutions voisines.
Ainsi, M. Xavier de Roux devait-il souligner, lors de son rapport à l'Assemblée nationale, que "de nombreuses techniques combinées permettent de retrouver certains avantages de la fiducie. On citera à cet égard les donations-partages, les donations ou legs de résidence, l'usufruit successif, les donations sous conditions suspensives ou encore les rentes viagères. Surtout, la consécration récente du mandat posthume, à l'article 812 du Code civil (N° Lexbase : L9905HN8), ainsi que des libéralités graduelles et résiduelles, respectivement aux articles 1048 (N° Lexbase : L0208HPE) et 1049 (N° Lexbase : L0209HPG) du même code, par la loi du 23 juin 2006, portant réforme des successions et des libéralités [loi n° 2006-728 du 23 juin 2006, portant réforme des successions et des libéralités N° Lexbase : L0807HK4], rend moins attractive encore la fiducie à fin de transmission" (13).
Ce contexte particulier et, notamment, le caractère récent des réformes introduites en matière de droit des successions et des libéralités, explique l'économie du texte, et qu'il ait été jugé inutile pour les personnes physiques. Il est, également, apparu dangereux en tant qu'il offrait la faculté d'ouvrir aux particuliers la possibilité de dissimuler une partie de leur patrimoine, d'en figer la transmissibilité et, plus largement, de faire naître des situations dans lesquelles la constitution d'une fiducie risquerait d'entrer en conflit avec un ensemble de règles d'ordre public de protection. Diverses considérations fiscales ont, enfin, définitivement scellé son champ d'application aux seules entités collectives. C'est pourquoi, la fiducie se trouve restreinte de façon drastique, répondant de façon minimaliste aux contraintes imposées par la commission et, notamment, ne pourra, pour l'instant, bénéficier exclusivement qu'aux personnes morales.
Ainsi, la première limitation d'importance concerne l'impossibilité de recourir à la fiducie si le "contrat procède d'une intention libérale au profit du bénéficiaire", aux termes de l'article 2013 nouveau du Code civil. On le voit, le nouveau texte s'ancre résolument dans la tradition juridique française avec le rejet de mécanismes comparables à la fidéicommission et frappe, en conséquence, les contrats animés d'une intention libérale de nullité.
La deuxième limitation majeure, qui ressort de l'article 2014 du Code civil, prévoit que seules les personnes morales soumises de plein droit à l'impôt sur les sociétés peuvent être constituants, ce qui exclut toutes les petites entités relevant d'un régime optionnel. Le texte précise, au surplus, que les droits du constituant, ainsi créés, ne sont transmissibles à titre gratuit ou cessibles à titre onéreux qu'à des personnes morales également soumises au même régime d'imposition.
Enfin, la troisième limitation, posée à l'article 2015, consiste à restreindre la qualité de fiduciaires aux seuls établissements de crédit mentionnés à l'article L. 511-1 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L9477DYN), les institutions et services énumérés à l'article L. 518-1 du même code (N° Lexbase : L9329HDU), les entreprises d'investissement mentionnées à l'article L. 531-4 du même code (N° Lexbase : L4175APC) ainsi que les entreprises d'assurance régies par l'article L. 310-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L0312AAS).
C'est ainsi que le domaine de la fiducie se trouve strictement cantonné aux relations financières et ne permet que de constituer une relation triangulaire destinée à unir -principalement- les sociétés et les banques. Dans ce cadre, on peut difficilement imaginer que l'opération renvoie, comme dans la théorie, à toutes les manifestations traditionnelles de la fiducie. Au titre de ces dernières, émergent, notamment, ses applications les plus courantes : d'une part, celle de la fiducie-sûreté qui permet de remettre entre les mains du créancier-constituant les biens faisant office de garantie, le créancier pouvant, en cas de défaillance, transférer les biens situés dans le patrimoine d'affectation vers son patrimoine personnel. Elle renvoie, d'autre part, à la situation de fiducie-gestion qui permet à des personnes capables d'être déchargées de la gestion de leur patrimoine en l'attribuant à une personne de confiance (14). C'est pourquoi, ce rôle traditionnel doit être apprécié en considération exclusive des potentialités qu'il offre en droit des affaires.
II - Les applications de la fiducie
Indépendamment des autres dispositions de la loi qui régissent, notamment, la publicité ainsi que l'opposabilité du contrat de fiducie aux tiers (et qu'il n'est pas lieu de développer dans cette brève étude), il apparaît que l'opération est susceptible de remplir deux catégories de fonctions : d'une part, substituer le régime d'un contrat nommé à des pratiques sui generis (A) et, d'autre part, offrir une alternative à la constitution de certains types de sociétés (B).
A - La substitution de la fiducie au portage
La première application de la fiducie qui vient à l'esprit, compte tenu des limitations du texte, consiste à utiliser ce contrat pour réaliser des conventions de portage. Le portage s'entend, en effet, d'une convention par laquelle une personne, le porteur, devient propriétaire des droits sociaux, le cédant s'engageant à les lui racheter à un montant déterminé, généralement majoré. Or, la conclusion de ces accords est complexe, puisqu'elle impose qu'y soient adjointes des promesses croisées de vente et d'achat pour que l'opération soit sécurisée. Pis encore, la qualification juridique de ces opérations est longtemps restée incertaine lorsqu'on a tenté de les rattacher à des contrats nommés tel le prêt, et avec la même incertitude lorsqu'on les a analysés comme de pures prises de participation.
En pratique, en cas de lacune du contrat de portage, l'absence d'encadrement juridique d'un mécanisme laisse encore les parties à la merci de la qualification judiciaire, cette dernière s'appuyant sur l'objet de la convention pour déterminer le régime applicable à l'opération. Sans doute, dans un régime de liberté contractuelle, doit-on considérer, comme le fait d'ailleurs le juge, que le contrat de portage est valide en principe mais, s'agissant de la sécurité juridique, l'utilisation aux mêmes fins de l'opération de fiducie peut paraître -il est vrai, pour l'instant, au seul plan théorique- largement préférable.
On sait, en effet, que le portage peut être réalisé pour des raisons diverses et que la diversité de ces raisons peut éventuellement conduire à orienter la qualification judiciaire. En l'espèce, on considère, en général, que l'opération répond à trois types de préoccupations : mettre à part un bloc de titres en vue de son reclassement futur, dissimuler l'identité de l'acquéreur réel en faisant porter des titres que le porteur s'engage à céder de nouveau au moment opportun (portage-acquisition) ou offrir une garantie à l'organisme financier, qui a financé l'acquisition, les titres correspondant au financement (portage-sûreté). D'autres finalités peuvent, certes, être poursuivies mais il apparaît qu'en pratique, ces trois types de motivations sont déterminantes.
Ainsi, si l'on s'en tient à ce champ d'application limité du portage, il apparaît immédiatement que dans deux de ces fonctions, le recours à la fiducie pourrait s'imposer.
D'une part, s'agissant du portage destiné à neutraliser un bloc de titres, un corollaire peut être fait avec la fiducie-gestion, qui était évoquée plus avant, avec l'avantage incontestable que présente la fiducie sur le portage dans l'hypothèse d'une procédure collective frappant le cessionnaire : les titres étant détenus dans le cadre d'un patrimoine d'affectation, ils ne sauraient constituer la garantie des autres débiteurs. En effet, l'article 2024 du Code civil dispose, désormais, que l'ouverture d'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire au profit du fiduciaire n'affecte pas le patrimoine fiduciaire. L'article 2025 dispose, par ailleurs, que le patrimoine fiduciaire ne peut être saisi que par les titulaires de créances nées de la conservation ou de la gestion de ce patrimoine. On pourrait rétorquer que le rôle du fiduciaire se trouve, dans cette situation, réduit à une attitude passive, difficilement comparable à une gestion active, telle qu'a pu la décrire la doctrine. C'est, cependant, sans envisager la liberté contractuelle quasi-absolue qui caractérise le contenu du contrat de fiducie contemporain et la volonté du législateur, largement révélée par les travaux préparatoires (et matérialisée par le caractère laconique du texte) de ne pas enchâsser le contenu du contrat de fiducie dans un ordre public trop strict. Dans un contexte où l'opération est limitée au domaine financier, il suffit de cette restriction au champ d'application de la convention pour justifier, les conventions étant conclues entre personnes particulièrement avisées, d'une quasi-absence de protection.
D'autre part, et c'est là la seconde application du contrat de fiducie, l'opération de portage-sûreté semble, également, pouvoir être réalisée dans le cadre d'une relation entre constituant et fiduciaire. C'est d'ailleurs l'application qui, sans doute, trouvera le plus rapidement des applications.
En revanche, le recours au mécanisme de la fiducie pour réaliser des opérations de portage-acquisition, qui sont motivées essentiellement par la recherche d'une certaine discrétion, semble exclu, en raison de la confidentialité qui est censée entourer ces opérations. En effet, la nouvelle loi comporte de nombreuses dispositions en matière de publicité, dispositions qui tendent à garantir de la façon la plus complète, la connaissance de la fiducie par les tiers.
A ce titre, l'article 2018 du Code civil prévoit que le contrat de fiducie détermine, à peine de nullité : les biens, droits et sûretés transférés, la durée du transfert (qui n'excèdera jamais 33 ans), les identités du ou des constituants, du ou des fiduciaires et des bénéficiaires. La mission du ou des fiduciaires devra être précisée. Les conditions relatives au contenu étant remplies, l'article 2019 impose, ensuite, l'enregistrement du contrat de fiducie et de ses avenants dans le mois qui suit la conclusion du contrat au service des impôts, le troisième alinéa du même article ajoutant que la transmission des droits résultant du contrat de fiducie (soit son dénouement) doit, à peine de nullité, donner lieu aux mêmes formalités. Pour ce faire, il sera créé, en vertu de l'article 2020, un registre national des fiducies selon des modalités précisées par décret en Conseil d'Etat. On se persuadera, donc, qu'au regard de ces dispositions, les opérations de portage-acquisition se dérouleront encore dans le cadre des contrats de portage innommés dénués de régime spécifique.
Deux remarques méritent, ici, d'être opérées. D'une part, si les mécanismes de portage devaient, désormais, essentiellement être mis en oeuvre sous le régime de la fiducie, le contrat de portage, en lui-même, risquerait de subir un certain discrédit dès lors, qu'en pratique, il ne présenterait qu'un seul intérêt : masquer l'identité de l'acquéreur de titres à l'égard de tiers. D'autre part, et ce point a été évoqué expressément lors des travaux préparatoires, le transfert des titres, comme d'ailleurs le transfert exclusif de droit de vote, ne peut être que d'une portée limitée et, notamment, ne présenter d'utilité que pour les sociétés non cotées. En effet, dans l'appréciation de l'action de concert, l'article L. 233-9, I, 6° du Code de commerce (N° Lexbase : L3892HBR) assimile, aux actions ou aux droits de vote possédés par la personne tenue à l'information prévue au I de l'article L. 233-7, "les actions ou les droits de vote possédés par un tiers avec lequel cette personne a conclu un accord de cession temporaire portant sur ces actions ou droits de vote".
Le portage ne peut, de la sorte, permettre à une personne de s'affranchir des obligations déclaratives en matière de franchissement de seuils lorsque les titres détenus sont représentatifs du capital d'une société admise à la négociation sur un marché d'instruments financiers. Sur ce point, la situation visée par le texte s'adapte indistinctement à la situation du portage comme à celle de la fiducie.
B - La substitution de la fiducie aux pools bancaires
Reste à s'interroger sur l'alternative que la fiducie offre, eu égard à la nécessité devant laquelle sont parfois confrontées les banques, de constituer des sociétés afin de sécuriser la constitution de pools bancaires, dont l'objectif est de répartir le risque présenté par un emprunteur entre différents établissements de crédit (15). Dans ce cadre, l'administration des crédits est confiée à un établissement, chef de file du consortium, dans des conditions qui n'appellent pas, selon la formule d'un auteur, le recours à "une figure contractuelle déterminée" (16). La syndication (selon le terme consacré) semble, ainsi, pouvoir reposer sur un encadrement par le seul contrat, ce que la jurisprudence confirme en s'appuyant sur le fait que le consortium, dépourvu d'organe d'expression collective (17), ne peut être considéré (18) comme étant doté de la personnalité morale.
Reste que la sécurité juridique impose d'encadrer ces pratiques, la jurisprudence (19) retenant deux qualifications pour les pools bancaires, précisant qu'il s'agit, en principe, de sociétés créées de fait (20), mais que, par exception, et à la condition que ses membres en aient convenu, le groupement "peut" être qualifié de société en participation.
Or, ce rattachement apparaît davantage être le fruit de la recherche d'un régime (unique puisque les sociétés créées de fait et les sociétés en participation sont soumises aux mêmes règles de fonctionnement et de liquidation) susceptible d'être appliqué à un type d'opération particulier qu'une qualification véritable, celle qui traditionnellement vise à rattacher une convention innomée à un contrat nommé. Il est vrai, par ailleurs, que la société en participation procède davantage du contrat que de la société. Ainsi, l'article 1871 du Code civil (N° Lexbase : L2069ABA) prévoit que "les associés peuvent convenir que la société ne sera pas immatriculée", et que, dans ce cas, ils conviennent librement de l'objet, du fonctionnement et des conditions de la société en participation, sous réserve du respect des dispositions d'ordre public. Sur ce plan, tout le moins, la constitution d'une société sur le fondement de mécanismes contractuels permet de répondre aux préoccupations de souplesse, de facilité de constitution et de légèreté de gestion qu'offre une structure dépourvue de la personnalité morale. Ces avantages ont, toutefois, pour pendant un certain nombre d'inconvénients qui tiennent précisément au fonctionnement contractuel et opaque d'une entité collective à laquelle sont affectés des biens communs.
C'est ainsi, qu'aux termes de l'article 1872 (N° Lexbase : L2071ABC), chaque associé reste propriétaire, à l'égard des tiers, des biens qu'il met à la disposition de la société, alors que l'article 1872-1 (N° Lexbase : L2072ABD) prévoit, lui, que chaque associé contracte en son nom personnel et est seul engagé à l'égard des tiers. Ce régime conduit, ainsi, à des distorsions inévitables puisque le gérant de la société use des biens des associés -sauf exception- comme de ses biens propres aux yeux des tiers, alors qu'il n'en est pas propriétaire. Le problème se pose, plus particulièrement, lorsque le gérant excède ses pouvoirs de gestion (21). Pis encore, puisque le juge subordonne l'existence d'une société à la réunion de ses éléments constitutifs, on peut envisager que le régime, au demeurant insuffisamment protecteur, soit au surplus écarté, au profit, éventuellement, de celui de l'indivision en application de l'article 1872 du Code civil (22). Le risque le plus important demeure, enfin, que le chef de file, gérant de la société en participation connaisse une défaillance, les biens de la société constituant un gage apparent pour les créanciers.
La situation d'un pool bancaire organisé en fiducie pose, en revanche, largement moins de problèmes que sa constitution sous forme d'une société en participation. D'une part, en raison de l'existence d'un patrimoine d'affectation identifié au plan comptable et faisant l'objet d'une publicité, à la fois à la constitution et à la sortie de la fiducie. D'autre part, en raison de la détermination précise et spécifiée à l'acte des pouvoirs du gérant, complétés par la disposition explicite de la loi qui établit, en son article 2026, que le fiduciaire est responsable, sur son patrimoine propre, des fautes qu'il commet dans l'exercice de sa mission.
Jean-Baptiste Lenhof
Maître de conférences à l'ENS - Cachan Antenne de Bretagne
Membre du centre de droit financier de l'Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne)
(1) Proposition de loi, présentée par le sénateur Philippe Marini.
(2) Compte rendu intégral de la séance du 7 février 2007 devant l'Assemblée nationale.
(3) A. Bureau, Le contrat de fiducie : étude de droit comparé Allemagne, France, Luxembourg, Juripole de Lorraine : "D'origine romaine, la fiducia se présentait sous la forme d'un pacte (pactum fiduciae) adjoint à un transfert temporaire de propriété. On la retrouve dans notre Ancien Droit, où elle se manifestait timidement sous la forme des substitutions fidéicommissaires, lesquelles obligeaient l'héritier ou le légataire à conserver les biens transmis et à les retransférer à son décès à un tiers désigné d'avance".
(4) V. M.-E. Mathieu, Vers un contrat de fiducie dans le Code civil ? (aspects de droit civil de la proposition de loi sur la fiducie), Lexbase Hebdo n° 160, du 24 mars 2005 - édition affaires (N° Lexbase : N2228AID).
(5) M.-E. Mathieu, préc..
(6) Cl. Witz, La fiducie en droit privé français, Economica, Paris 1981, p. 15.
(7) Présentation du texte à l'assemblée par M. Breton.
(8) Pour un bref exposé, v. A. Bureau, op. cit..
(9) M. Grimaldi, La fiducie : réflexions sur l'institution et sur l'avant projet qui la consacre, Defrénois 1991, art. 35085, spéc. n° 6 et s..
(10) A. Bénabent, La fiducie (Analyse d'un projet de loi lacunaire), JCP éd. N., 1993, I.
(11) Aubry et Rau, Cours de droit civil français : "l'universalité juridique [des] droits réels et des droits personnels proprement dits [d'une personne] en tant qu'on envisage les objets sur lesquels ils portent sous le rapport de leur valeur pécuniaire, c'est à dire comme des biens".
(12) V. Cl. Witz, op. cit., p. 42, n° 44.
(13) Rapport n° 3655, déposé le 1er février 2007 par M. Xavier de Roux.
(14) M.-E. Mathieu, op. cit..
(15) Il s'agit, en fait, d'une opération de clientèle déterminée (en ce sens, T. Bonneau, Droit Bancaire, Montchrestien, 2ème éd., n° 777) qui, portant sur un crédit trop important ne peut être accordé que par un consortium (v. J.-L. Rives-Lange et M. Contamine-Raynaud, Droit bancaire, Dalloz, 6ème éd., n° 388) et dont l'organisation est indéfiniment variable (v. J. Devèze, A. Couret, G. Hirigoyen, Lamy droit du financement, n° 2561).
(16) J.-J. Daigre, Bull. Joly, 1997, § 140, n ° 2, sous Cass. com., 17 décembre 1996, n° 94-19.489, Mme Pascual-Homont c/ Crédit fécampois et autres (N° Lexbase : A6183AWW).
(17) Sur les arrêts de principe, Req., 23 février 1891, D., p. 91, 1, 337, S. 92.1.73, n. Meynal ; Cass. civ. 2, 28 janvier 1954, n° 54-07.081, Comité d'entreprise des Forges et Aciéries de la Marine et d'Homécourt c/ Ray, publié (N° Lexbase : A2624CKE), Bull. civ. II, n° 32, D., 1954, 2, p. 217, n. Levasseur ; v. F. Terré,Y. Lequette, Les grands arrêts de la jurisprudence civile, Dalloz, 9ème éd., n° 14-15 ; adde, Cass. soc., 23 janvier 1990, n° 86-14.947, Société Bendix Electronics c/ Fédération des travailleurs de la métallurgie CGT et autres (N° Lexbase : A9721AAB), Rev. sociétés, 1990, p. 144, n. R. Vatinet ; Cass. soc., 17 avril 1991, n° 89-17.993, Syndicat CFDT Métaux Fos et autres c/ Société Solmer et autres (N° Lexbase : A4641ABI), JCP éd. G, 1992, II, n° 21856, J.-B. Blaise.
(18) Cass. com., 17 décembre 1996, préc..
(19) T. com. Paris, 12 octobre 1984, 1ère espèce, D., 1984, somm. p. 131, obs. M. Vasseur, confirmé par CA Paris, 5 mai 1987, D. 1989, somm., p. 323, obs. M. Vasseur et CA Paris, 17 décembre 1987, RD bancaire et bourse 1994, p.11.
(20) J.-P. Dom, JCP Banque et crédit, traité, fasc. 151, n° 14 ; contra, J. Valanssan et L. Desmorieux, Société en participation et société créée de fait, Traité de droit des sociétés, GLN Joly, éd. 1996, n° 108, au motif que, comme dans la société en participation seuls ceux qui se sont engagés envers les tiers sont obligés, à l'image du fonctionnement des "pools".
(21) J.- P. Storck, JCP éd. E., 2001 p. 1677, sous Cass. com. 27 mars 2001, n° 98-22.828, Société financière immobilière(SFI) c/ Crédit industriel et commercial (CIC) de Paris, FS-P (N° Lexbase : A0939ATX). Sur le même arrêt, J.-B. Lenhof, La notion d'intérêt social à l'épreuve de l'absence de personnalité morale des sociétés gérant des "pools" bancaires, Les petites affiches, n° 215, 29 octobre 2001, pp. 7-11.
(22) C. civ., art. 1872 : "A l'égard des tiers, chaque associé reste propriétaire des biens qu'il met à la disposition de la société.
Sont réputés indivis entre les associés les biens acquis par emploi ou remploi de deniers indivis pendant la durée de la société et ceux qui se trouvaient indivis avant d'être mis à la disposition de la société.
Il en est de même de ceux que les associés auraient convenu de mettre en indivision.
Il peut en outre être convenu que l'un des associés est, à l'égard des tiers, propriétaire de tout ou partie des biens qu'il acquiert en vue de la réalisation de l'objet social".
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:276592
Réf. : Cass. soc., 24 janvier 2007, n° 05-40.639, Mme Sylvie Negri, F-D (N° Lexbase : A6849DTT)
Lecture: 6 min
N6681BAP
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 07 Octobre 2010
Cass. soc., 24 janvier 2007, n° 05-40.639, Mme Sylvie Negri, F-D (N° Lexbase : A6849DTT)
L'employeur ne peut refuser la demande d'une salariée de se voir attribuer en mutation l'un des postes disponibles, celle-ci ayant été contrainte de changer son domicile pour des raisons familiales sérieuses, alors, de surcroît, que la décision de l'employeur informé depuis plusieurs mois de cette situation, de maintenir son affectation initiale, portait atteinte de façon disproportionnée à la liberté de choix du domicile de la salariée et était exclusive de la bonne foi contractuelle. |
Commentaire
1. Une solution inédite en apparence classique
C'est à une situation inédite qu'était, ici, confrontée la Cour de cassation. Une salariée, en congé parental d'éducation, avait demandé à son employeur que lui soit attribué un poste disponible dans un établissement situé dans une autre ville où son conjoint avait été entre temps muté, et où elle avait, d'ailleurs, été contrainte de déménager. L'employeur s'y était opposé et avait fini par licencier la salariée pour faute grave dans la mesure où celle-ci avait refusé de réintégrer son poste d'origine.
La cour d'appel avait, semble-t-il logiquement, donné raison à l'employeur, après avoir considéré que ce dernier n'avait nulle obligation de proposer une mutation à la salariée. Selon la Cour, en effet, "l'obligation de bonne foi du contrat de travail n'impliquait pas, nonobstant les contraintes familiales de l'intéressée, l'obligation pour la société Omnium de gestion et de financement de proposer à Mme X. les postes disponibles sur la région d'Avignon", "la décision de licenciement pour faute grave qui se réfère à un abandon de poste caractérisé ne saurait être considérée comme illégitime au motif que l'employeur ne justifie d'aucun élément objectif propre à l'empêcher de proposer ces postes disponibles à Mme X.".
Cette position était conforme à la jurisprudence antérieure. Certes, certains motifs familiaux parfaitement légitimes peuvent expliquer qu'un salarié résiste au pouvoir de direction de l'employeur, mais la prise en compte de ces motifs pouvait éventuellement conduire à requalifier l'acte d'insubordination de faute grave en simple faute sérieuse (1), mais certainement pas à considérer l'employeur comme fautif, sauf abus caractérisé dans l'exercice de son pouvoir de direction (2), ce qui ne semblait pas être le cas en l'espèce.
De manière assez surprenante, cet arrêt est cassé pour manque de base légale, au visa des articles 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L4798AQR) et de l'article L. 120-4 du Code du travail (N° Lexbase : L0571AZ8), la Chambre sociale de la Cour de cassation ayant considéré qu'en donnant raison à l'employeur, "sans expliquer les raisons objectives qui s'opposaient à ce que l'un des postes disponibles dans la région d'Avignon soit proposé à la salariée, contrainte de changer son domicile pour des raisons familiales sérieuses, alors, de surcroît, que la décision de l'employeur informé depuis plusieurs mois de cette situation, de maintenir son affectation à Valenciennes, portait atteinte de façon disproportionnée à la liberté de choix du domicile de la salariée et était exclusive de la bonne foi contractuelle, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision".
La formule contenue dans l'arrêt mérite toute attention.
Il convient, tout d'abord, de relever que l'arrêt est cassé pour manque de base légale, et non pour violation de la loi. Ce qui est donc reproché aux juges du fond est, par conséquent, non pas d'avoir donné raison à l'employeur, mais de l'avoir fait sans s'expliquer "sur les raisons objectives qui s'opposaient à ce que l'un des postes disponibles dans la région d'Avignon soit proposé à la salariée, contrainte de changer son domicile pour des raisons familiales sérieuses", et sans avoir mis en évidence la bonne foi de l'employeur.
Il convient, également, de bien mesurer la portée du double visa des articles 8 de la CESDH et L. 120-4 du Code du travail. Le visa de l'article 8 de la CESDH n'est, ici, pas une surprise dans la mesure où ce texte a été visé à de nombreuses reprises par la Chambre sociale de la Cour de cassation, généralement en ce qu'il protège la vie privée du salarié, mais également lorsqu'il protège le droit au domicile, comme cela avait été jugé dans l'arrêt "Spileers" pour paralyser les clauses de mobilité assorties d'une obligation de résidence (3). C'est d'ailleurs, ici, de nouveau le droit au domicile qui est visé, la salariée ayant été "contrainte" de suivre son conjoint, muté pendant la durée de son congé parental d'éducation.
Le visa de l'article L. 120-4 du Code du travail et de l'obligation de bonne foi de l'employeur ne saurait, également, surprendre. On sait, en effet, que la Cour de cassation a rendu, en 2005, deux décisions importantes, dont l'une concernait la mobilité géographique du salarié, pour rappeler que la bonne foi de l'employeur qui met en oeuvre la clause de mobilité doit logiquement être présumée, le salarié pouvant établir que la clause a été mise en oeuvre dans des conditions exclusives de la bonne foi contractuelle (4). Or, en l'espèce, un poste était semble-t-il disponible, l'employeur connaissait la situation familiale de la salariée et n'avait a priori aucune raison de s'y opposer.
2. Une solution affirmant implicitement le droit au regroupement familial
Le visa de l'article 8 de la CESDH aurait pu permettre à la Cour de cassation de dégager le droit à une vie familiale (5), et ce conformément à une jurisprudence désormais bien établie de la Cour européenne des droits de l'Homme, il est vrai étrangère aux relations de travail (6).
Cette absence de référence au droit à la vie familiale est décevante, même s'il est vrai que la Cour de cassation est tenue par les moyens du pourvoi qui ne développaient peut-être pas pareille argumentation.
La Cour demeure donc dans le cadre de sa jurisprudence classique relative à la mobilité professionnelle, et au contrôle exercé sur l'exercice du pouvoir de direction de l'employeur, sans aller jusqu'à dégager l'existence d'un nouveau droit fondamental qui lui aurait permis de faire application de l'article L. 120-2 du Code du travail et de l'exigence de nécessité et de proportionnalité des atteintes.
Il ne faut, par ailleurs, pas mésestimer le poids des données factuelles dans cette affaire ; il pourrait donc bien ne s'agir que d'un arrêt "d'espèce", ce qui expliquerait l'absence de publication au bulletin. La Cour de cassation a, en effet, pris la peine de relever que l'employeur avait été informé depuis plusieurs mois de cette situation, et avait pourtant décidé de maintenir son affectation à Valenciennes. Or, ce qui est reproché à la cour d'appel, c'est d'avoir donné raison à l'employeur, au nom de la souveraineté du pouvoir de direction, sans examiner les motifs objectifs qui pouvaient justifier le refus. L'examen de la jurisprudence montre, d'ailleurs, que lorsque l'employeur fait des efforts pour atténuer l'impact personnel ou familial d'une mutation, les juges lui donnent raison (7).
L'affirmation d'un droit au rapprochement familial, fondé sur l'article 8 de la CESDH, apparaît, toutefois, certainement comme une prochaine étape possible de l'évolution jurisprudentielle. On se rappellera, ainsi, qu'en 1992, l'obligation de bonne foi qui pèse sur l'employeur, sur le fondement de l'article 1134, alinéa 3, du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC), avait permis de dégager une nouvelle obligation positive à la charge de l'employeur, celle d'adapter les salariés aux évolutions de leur emploi (8), avant que la loi ne consacre l'obligation d'adaptation au coeur même de la définition du motif économique du licenciement.
On le constate de nouveau, la bonne foi n'a pas fini de livrer tous ses secrets !
Christophe Radé
Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
Décision
Cass. soc., 24 janvier 2007, n° 05-40.639, Mme Sylvie Negri, F-D (N° Lexbase : A6849DTT) Cassation (CA Douai, chambre sociale, 17 décembre 2004) Textes visés : article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L4798AQR) ; C. trav., art. L. 120-4 (N° Lexbase : L0571AZ8). Mots-clefs : bonne foi ; droit au domicile ; emploi disponible ; bonne foi de l'employeur. Lien bases : |
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:276681
Réf. : Ass. plén., 2 mars 2007, n° 06-15.267, M. Henri Dailler c/ Caisse régionale de crédit agricole mutuel de la Touraine et du Poitou, P+B+R+I (N° Lexbase : A4358DUX)
Lecture: 5 min
N6716BAY
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 07 Octobre 2010
Les juges du fond les déboutent, cependant, en considérant que les clauses du contrat étaient claires et sans ambiguïté, et que, dès lors, il ne pouvait être soutenu que le banquier devait une information supplémentaire à son adhérent (2). Plus exactement, et sur renvoi après cassation (3), parce qu'en présence d'une clause claire et précise des contrats d'assurance, l'emprunteur et son conjoint ne pouvaient ignorer que l'assurance de groupe ne couvrait que l'invalidité totale et définitive et ne s'appliquait pas à la seule inaptitude à la profession d'agriculteur. Egalement, parce que la banque n'ayant pas l'obligation de conseiller la souscription d'une assurance complémentaire, elle n'avait pas manqué à son obligation d'information et de conseil (4).
Pour être classique, la référence à une très large obligation "d'information et de conseil" se conciliait mal avec l'effort de systématisation dernièrement entrepris par la Cour de cassation pour distinguer, entre l'information et le conseil, un nouveau devoir de mise en garde (5). Aussi, une telle référence pouvait difficilement prospérer. Pour la Haute assemblée, "le banquier, qui propose à son client auquel il consent un prêt, d'adhérer au contrat d'assurance de groupe qu'il a souscrit à l'effet de garantir, en cas de survenance de divers risques, l'exécution de tout ou partie de ses engagements, est tenu de l'éclairer sur l'adéquation des risques couverts à sa situation personnelle d'emprunteur, la remise de la notice ne suffisant pas à satisfaire à cette obligation".
Deux enseignements de nature à bouleverser les solutions établies sont à tirer de l'arrêt du 2 mars 2007. Le premier, c'est que la remise d'une notice, même claire, n'est pas suffisante. Le second, c'est que le banquier est tenu d'éclairer l'emprunteur sur l'adéquation des risques couverts à sa situation personnelle d'emprunteur.
Quoique destinée à connaître un grand retentissement, cette dernière obligation d'éclairer n'est pas vraiment une surprise. La sanction du banquier "pour n'avoir pas suffisamment éclairé l'assuré" a, en effet, auparavant, pu être envisagée (6). La nécessité de faire en sorte que l'emprunteur adhérent à une assurance de groupe puisse prendre "une décision éclairée" quant aux risques couverts, a aussi déjà été posée par un arrêt annonciateur (7).
Dans l'éventail des diverses obligations s'imposant désormais au banquier, la distinction peut sans doute paraître très ténue. Elle n'est cependant pas insurmontable. Il est, en effet, permis de penser qu'éclairer c'est informer, mettre en garde c'est alerter, et conseiller c'est orienter. Mais si l'obligation d'éclairer relève manifestement de l'information, elle va plus loin que celle-ci, du moins quand elle est strictement entendue. Elle suppose encore que le banquier s'assure que l'information qu'il a délivrée a été bien comprise, afin que l'emprunteur puisse prendre son assurance en toute connaissance de cause. Il s'agit donc d'une information renforcée qui doit, selon nous, être située entre l'information stricto sensu et la mise en garde, mais ne doit pas être assimilée à celle-ci (8). Même si, d'un point de vue pratique, on peut certainement penser que cela revient au même, car mettre en pleine lumière le risque peut aussi permettre d'alerter l'emprunteur, d'un point de vue sémantique, éclairer n'est pas alerter.
Cette nouvelle obligation prétorienne va dans le sens des obligations récemment posées par le législateur, ou en voie de l'être. En effet, depuis la loi nº 2005-1564 du 15 décembre 2005 (N° Lexbase : L5277HDS), les obligations des intermédiaires en assurance -ce qui devrait concerner le banquier qui propose à son client emprunteur d'adhérer à l'assurance groupe qu'il a souscrite- ont été définies. Ainsi, avant la conclusion de tout contrat, doit-il "préciser les exigences et les besoins du souscripteur éventuel ainsi que les raisons qui motivent le conseil fourni quant à un produit d'assurance déterminé. Ces précisions, qui reposent en particulier sur les éléments d'information communiqués par le souscripteur éventuel, sont adaptées à la complexité du contrat d'assurance proposé" (9). S'agissant d'un contrat destiné à une personne physique, des dispositions plus complètes pourraient encore être, avec l'article 27 du projet de loi en faveur des consommateurs du 14 novembre 2006, prochainement introduites dans le Code des assurances (10). Ainsi devraient, notamment, être précisées "les raisons qui motivent le conseil fourni quant à un contrat déterminé" ; ces précisions devant reposer en particulier sur les éléments d'information communiqués par la personne physique concernant sa situation financière et ses objectifs, et être adaptées à la complexité du contrat proposé. Le professionnel devrait tenir compte, aussi, des connaissances du client et de son expérience en matière financière ainsi que de tous autres éléments que celui-ci a portés à sa connaissance. Le cas échéant, le mettre en garde préalablement à la conclusion du contrat lorsqu'il ne donne pas les informations nécessaires.
Quoi qu'il en soit, l'obligation d'éclairer son client sur l'adéquation des risques couverts à sa situation personnelle d'emprunteur suppose déjà, pour le banquier, plusieurs actes positifs de sa part. Elle l'oblige à mettre préalablement en perspective l'exacte couverture des risques découlant de l'assurance qu'il propose, puis de comparer celle-ci aux besoins spécifiques que réclame la situation personnelle de son client. Elle le contraint, ensuite, à expliquer cette analyse à son client, et ce, en toute hypothèse. Peu importe que l'assurance groupe et la situation personnelle lui apparaissent adéquates ou pas. Elle doit le conduire, enfin, à vérifier que tout cela a été bien compris, surtout s'agissant des conséquences pouvant résulter des risques qui ne seraient pas couverts.
Avec l'obligation d'éclairer, la Haute assemblée ajoute une nouvelle nuance sur la palette des obligations du banquier. Ce faisant, elle a moins cherché à écarter les qualifications existantes -information, conseil, et mise en garde- qu'à les repositionner. Loin de troubler celles-ci, cette fine retouche, qui naturellement est à la disposition du juge pour d'autres contentieux que ceux touchant à l'assurance de groupe, peut paraître alors parfaitement lumineuse. Au vrai, par les incertitudes qu'elle générait, y compris pour le banquier, la référence à une très vague obligation "d'information et de conseil" n'était pas, comme toute catégorie fourre-tout, exempte de critique. D'aucuns pourront sans doute trouver cette nouvelle obligation d'éclairer excessivement subtile. Elle démontre simplement, en réalité, combien l'art de juger est délicat.
Richard Routier
Professeur à l'Université de Clermont-Ferrand 1
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:276716
Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 28 février 2007, n° 284565, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ Mme Persicot (N° Lexbase : A4284DU9)
Lecture: 9 min
N6819BAS
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 07 Octobre 2010
Puis, en 1981 et en 1988, le Conseil d'Etat (CE Contentieux, 10 juin 1981, n° 19079, Ministre du Budget c/ X N° Lexbase : A7572AKN) et la Cour de cassation (Cass. com., 19 avril 1988, n° 86-19.079, Madame Dozinel c/ Directeur Général des Impôts (2) N° Lexbase : A7796AAY) vont, alors, étendre le champ d'application de l'article L. 64 du LPF aux actes inspirés par aucun motif autre que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales (V. pour une illustration relative à une participation d'une société française au capital d'une holding luxembourgeoise bénéficiant du régime de la loi de 1929 : CE 3° et 8° s-s-r., 18 février 2004, n° 247729, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ Société Pléiade N° Lexbase : A3599DBW).
Cette extension prétorienne n'ira pas sans interrogations de la doctrine et des praticiens : l'excès d'habilité fiscale est sanctionné, mais la frontière avec l'optimisation fiscale reste ténue.
Assortie de garanties légales, tels que le visa du supérieur hiérarchique, la possibilité de saisine du Comité consultatif de répression des abus de droit (CCRAD) (3), le rescrit (LPF art. L. 64 B N° Lexbase : L8182AER) ; ou jurisprudentielles, telle que l'interdiction de pratiquer des abus de droit "rampant" (4) (CE Contentieux, 21 juillet 1989, n° 59970, Ministre du Budget c/ Bendjador N° Lexbase : A0784AQ4), les sanctions de l'abus de droit sont redoutables : outre le rappel d'impôt éludé assorti de l'intérêt de retard, une majoration de 80 % est alors encourue.
En septembre 2006, une importante décision de la Haute juridiction administrative a ravivé les débats doctrinaux quant à la répression de la fraude à la loi (1) et a précisé la grille de lecture suivie pour la première fois, en droit fiscal international, dans l'arrêt "Bank of Scotland" (CE 3° et 8° s-s-r., 29 décembre 2006, n° 283314, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ Société Bank of Scotland N° Lexbase : A3666DTX) et en droit interne dans la présente décision "Persicot" (2) (CE 9° et 10° s-s-r., 28 février 2007, n° 284565, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ Mme Persicot).
1. La répression de la fraude à la loi sans texte : l'arrêt "Janfin"
L'arrêt "Janfin" marque une évolution novatrice quant à la répression de la fraude à la loi sans texte (B) après avoir rappelé que l'imputation d'un avoir fiscal ne relève pas du champ d'application de l'article L. 64 du LPF (A).
1.1. Imputation d'un avoir fiscal : l'impossible répression de l'abus de droit sur la base de l'article L. 64 du LPF
La société anonyme des petits-enfants de Maurice Schlumberger, aux droits de laquelle est venue la société Janfin, a acquis des titres de sociétés qu'elle a revendus après avoir perçu des dividendes. Ces cessions ont fait apparaître des moins-values pour un montant équivalent à celui des dividendes encaissés hors avoir fiscal. Ces avoirs fiscaux ont permis à la société d'acquitter la totalité de l'impôt sur les sociétés dont elle était redevable. L'administration fiscale, invoquant l'abus de droit, a remis en cause l'utilisation des avoirs fiscaux utilisés comme moyens de liquidation de l'impôt (CAA Paris, 7 juillet 2003, n° 01PA03752, SARL Janfin N° Lexbase : A4929C9G ; CE Contentieux, 27 septembre 2006, n° 260050, Société Janfin N° Lexbase : A3224DRT).
Or, le champ d'application de l'article L. 64 du LPF est restrictif quant aux impôts visés par cette procédure, à telle enseigne que le législateur est intervenu pour l'étendre à l'impôt de solidarité sur la fortune et, à compter du 1er janvier 2004 (5), à la taxe professionnelle. En d'autres termes, la procédure de répression des abus de droit ne vise pas l'ensemble des impositions telles que les taxes sur les salaires, par exemple, ou autres réjouissances fiscales.
L'administration fiscale était-elle, alors, en droit de l'invoquer quant à la liquidation de l'impôt ? La difficulté portait sur la double nature de l'avoir fiscal : à la fois moyen de paiement et revenu selon l'article 158 bis du CGI, alors en vigueur (N° Lexbase : L2608HL8). La société ayant comptabilisé régulièrement les avoirs fiscaux perçus, l'administration fiscale se plaçait nécessairement sur le terrain de la liquidation de l'impôt. Elle s'est alors vue opposer, par la Haute juridiction, l'impossibilité de se prévaloir du régime de l'article L. 64 du LPF : "l'administration ne peut faire usage des pouvoirs qu'elle tient de ces dispositions lorsqu'elle entend contester l'utilisation comme moyen de paiement de l'impôt dû d'un avoir fiscal, laquelle ne déguise ni la réalisation, ni le transfert de bénéfices ou de revenus". On notera, par ailleurs, que si le Conseil d'Etat assimile, dans cette décision, l'avoir fiscal à un moyen de paiement, une partie de la doctrine souligne que son imputation relève plus sûrement de la liquidation de l'impôt sur les sociétés (Y. Benard, Dissuasion à l'anglaise : la double clef de la fraude à la loi, RJF décembre 2006 p. 1083 et s. ; CE 3° et 8° s-s-r., 13 avril 2005, n° 252165, SA Kodak N° Lexbase : A8416DH8).
Il n'y avait pas, par conséquent, à attendre de la Haute juridiction une lecture extensive du champ d'application de l'article L. 64 du LPF sur ce point.
1.2. La possibilité de réprimer la fraude à la loi fiscale sans texte
En invoquant un principe général du droit, la fraude à la loi, le Conseil d'Etat énonce que l'opposabilité aux tiers et à l'administration fiscale d'un acte de droit privé, tant qu'il n'a pas été déclaré nul par le juge judiciaire, peut être écartée par l'administration fiscale qui peut y faire échec, même sans texte, lorsqu'il apparaît que cet acte est une fraude à la loi.
En d'autres termes, hors du champ d'application de l'article L. 64 du LPF, l'administration fiscale peut également réprimer la fraude à la loi fiscale si l'acte est fictif ou si l'acte, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par son auteur, n'a pu être inspiré par aucun motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé cet acte, et aurait normalement supportées eu égard à sa situation et à ses activités réelles.
En somme, la fraude corrompt tout et le Conseil d'Etat a visiblement été inspiré par la décision "Halifax" de la CJCE (CJCE, 21 février 2006, aff. C-255/02, Halifax plc c/ Commissioners of Customs & Excise N° Lexbase : A0045DNY).
2. L'application du principe de répression de la fraude à la loi fiscale sans texte
L'application du principe de répression de la fraude à la loi fiscale sans texte trouve une première application positive en droit fiscal international (A) et une première application négative en droit fiscal interne (B)
2.1. Première application positive en droit fiscal international : "Bank of Scotland"
La première application de la jurisprudence "Janfin", tenant en la répression d'un abus de droit sans texte, a été effectuée par le Conseil d'Etat quant à un cas de treaty shopping (CE 3° et 8° s-s-r., 29 décembre 2006, n° 283314, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ Société Bank of Scotland, précité) censurant l'arrêt rendu par la cour administrative d'appel de Paris (CAA Paris, 5ème ch., 23 mai 2005, n° 01PA04068, Société Bank of Scotland N° Lexbase : A8342DIS).
Cette décision a été rendue dans le cadre des clauses anti-abus insérées dans les conventions fiscales internationales conclues entre les Etats contractants. Des personnes n'ayant pas la qualité de résidents d'un des Etats contractants, "et ne pouvant légalement prétendre aux avantages du Traité, peuvent être cependant tentées d'y accéder, notamment en ayant recours à l'interposition de personnes résidentes, pour leur part, de l'un des Etats conventionnés" (B. Castagnède, Précis de fiscalité internationale, PUF, collection Fiscalité, 1ère édition, 2002, p. 245).
Au cas d'espèce, l'administration fiscale entendait remettre en cause une convention relative à des droits sociaux démembrés : ce montage permettait à une société résidente fiscale britannique, la société Bank of Scotland, d'acquérir, pendant trois ans, l'usufruit d'actions à dividendes prioritaires sans droit de vote émises par la filiale française d'une société américaine. Il s'agissait, pour les différents acteurs de ce montage, d'obtenir le bénéfice des stipulations plus favorables de la Convention franco-britannique -une retenue à la source au taux de 15 % et le remboursement de l'avoir fiscal- et de contourner celles de la Convention franco-américaine.
Le Conseil d'Etat, abondant dans le sens de l'administration fiscale qui y avait vu, non pas un contrat de cession de titres, mais un prêt, va alors estimer que ce montage est caractéristique d'un treaty shopping constitué dans le but, pour le bénéficiaire effectif des dividendes versés par la société française, d'obtenir un avantage fiscal auquel il n'aurait pas pu prétendre.
Pour la Haute juridiction administrative, l'administration fiscale pouvait, sous contrôle du juge et sans recourir à la procédure de l'article L. 64 du LPF, requalifier le contrat : le Conseil d'Etat applique, alors, les critères issus de la jurisprudence "Janfin" en relevant que le contrat avait été conclu "dans l'unique but d'obtenir abusivement le bénéfice des clauses favorables de la convention fiscale franco-britannique".
2.2. Première application négative en droit fiscal interne : "Persicot"
La décision "Persicot" a trait à une société anonyme à prépondérance immobilière, la SA Peco créée en 1960, dont les titres sont cédés à la société civile particulière PLC.
Compte tenu des dispositions de l'article 150 A bis du CGI alors applicables (N° Lexbase : L2330HLU), ces cessions d'actions relevaient, alors, du champ d'application de l'imposition des plus-values des particuliers : le temps ayant fait son oeuvre, lesdites cessions ont été exonérées (CGI, art. 150 M [LXB=L2373HLH ]).
Puis, après approbation d'une assemblée générale extraordinaire de la société anonyme, cette dernière rachète les actions à la société civile moyennant l'attribution d'immeubles et de droits immobiliers.
L'administration a, alors, remis en cause ces opérations car, selon elle, les associés ont cédé les titres de la société civile PLC en vue d'échapper à l'imposition, au titre de l'impôt sur le revenu, du boni de cession qui aurait été constaté dans l'hypothèse d'un rachat direct des actions par la SA Peco.
Le Conseil d'Etat, pour écarter la thèse de l'administration fiscale, va s'appuyer sur les faits qui jouent un rôle de premier plan quant à la solution applicable en matière d'abus de droit.
Ainsi, la Haute juridiction soulignera que la société civile PLC, cessionnaire des actions de la SA Peco, avait été constituée en 1977, soit quatre ans avant le transfert contesté par l'administration fiscale des actions. Or, le facteur temps est bien souvent déterminant en matière d'abus de droit.
De plus, l'objet statutaire de la société civile était de détenir et gérer des valeurs mobilières et des biens : le juge prend soin, alors, de souligner que cet objet statutaire correspondait bien à l'objet réel.
Le Conseil d'Etat conclut, alors, à l'absence d'abus de droit : le contribuable n'est jamais dans l'obligation de choisir le mode d'imposition le plus élevé (CE Contentieux, 20 mars 1989, n° 56087, Société "Mallet Matériaux" N° Lexbase : A0709AQC) et ce dernier avait pris soin d'alléguer, devant les juridictions, notamment des motifs successoraux justifiant le recours à ces opérations juridiques.
Il n'y avait donc pas, au cas d'espèce, de montage purement artificiel.
On remarquera que l'administration fiscale, usant d'une logique dont elle a le secret, n'a pas hésité à écarter certains actes pour abus de droit tout en s'appuyant sur ces derniers pour prétendre déterminer la date du fait générateur de l'imposition opposable, selon elle, aux contribuables !
L'abus de droit n'a pas fini de nous surprendre...
Frédéric Dal Vecchio
Juriste-Fiscaliste
Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles Saint-Quentin en Yvelines
Doctorant en Droit
Membre du Laboratoire de recherches CERAP (Université Paris XIII)
(1) La transmission à titre gratuit d'un immeuble à un non-parent entraîne l'application d'une taxation au taux de 60 % d'où le recours à de fausses ventes déguisant une donation...
(2) En 1984, la Cour de cassation exigeait le cumul des critères : fictivité de l'acte et but exclusivement fiscal. La Haute juridiction judiciaire abandonne cette jurisprudence en 1988 et s'aligne, alors, sur celle adoptée depuis 1981 par le Conseil d'Etat.
(3) L'avis favorable aux poursuites rendu par le CCRAD renverse la charge de la preuve au détriment du contribuable.
(4) L'abus de droit "rampant" consiste, pour l'administration fiscale, à se placer implicitement sur le terrain de l'abus de droit sans permettre au contribuable de se prévaloir des garanties procédurales spécifiques à cette procédure.
(5) Le sort des "optimisateurs" fiscaux en matière de taxe professionnelle n'était, pour autant, guère enviable avant le 1er janvier 2004 : certes, ils ne pouvaient être poursuivis pour abus de droit. Mais, cela ne signifie pas qu'ils pouvaient se livrer à n'importe quelle turpitude fiscale : la majoration pour manoeuvre frauduleuse au taux de 80 % leur était applicable mais avec de moindres garanties procédurales...
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:276819