La lettre juridique n°250 du 1 mars 2007

La lettre juridique - Édition n°250

Éditorial

Droit au logement opposable : vers la création d'une garantie pour tous de ne jamais se retrouver sans toit

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N1090BAM

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par Anne-Laure Blouet Patin, Rédactrice en chef du pôle "Presse"

Le 27 Mars 2014


"Chacun de nous est responsable de tout devant tous"*. Tel était le credo du député Michel Piron, reprenant ainsi l'Aliocha de Dostoïevski, lors de l'examen en commission mixte paritaire du projet de loi sur le droit au logement opposable, le 22 février dernier. Selon le rapport de 2006 de la Fondation Abbé Pierre, le mal-logement recouvre cinq réalités : l'absence de logement, les difficultés d'accès à un logement, le manque de confort et l'insalubrité, les difficultés de maintien dans les lieux et la faible mobilité ou "l'assignation à résidence". En ce domaine, il est extrêmement difficile de se procurer des chiffres d'une parfaite fiabilité. On dispose, tout au plus, d'estimations ou d'approximations par recoupement. Toutefois, si l'on se réfère aux chiffres de ce rapport : 86 000 personnes seraient dépourvues de logement, parmi lesquelles on compte 16 000 enfants ; plus de 120 000 seraient accueillies dans des structures d'hébergement d'urgence et d'insertion ; au moins 200 000 personnes habiteraient chez des amis ou parents et plus de 2 millions seraient logées dans un habitat indécent ou suroccupé. Il aura fallu moins de deux mois, et une forte mobilisation associative, pour que l'Assemblée nationale et le Sénat adoptent, dans le cadre de la procédure d'urgence, un projet de loi instituant un droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale. Ce texte répond à des attentes fortes dans la mesure où, malgré une affirmation croissante dans le dispositif législatif français d'un droit au logement, puis d'un droit au logement décent, le nombre de "mal-logés" ne fait qu'augmenter. Aussi, l'article premier de la future loi dispose que "le droit à un logement décent et indépendant est garanti par l'Etat à toute personne qui, résidant sur le territoire français de façon régulière et dans des conditions de permanence définies par décret en Conseil d'Etat, n'est pas en mesure d'y accéder par ses propres moyens ou de s'y maintenir". Figurant dans le paquet des textes adoptés avant la fin des travaux parlementaires, la loi ne devrait pas tarder à être publiée, à moins d'une saisine du Conseil constitutionnel ce qui, à ce jour, n'est pas encore fait. Lexbase Hebdo - édition privée générale vous invite, cette semaine, à retrouver les observations de Marine Parmentier, Avocat au Barreau de Paris, Création d'un droit au logement opposable : premières observations sur le projet de loi.

* Dostoïevski

newsid:271090

Électoral

[Textes] Les limites d'une "bonne idée" en droit électoral

Réf. : Décret n° 2007-76 du 23 janvier 2007 (N° Lexbase : L1813HUP) ; Arrêté du 24 janvier 2007 (N° Lexbase : L1903HUZ) ; Décret n° 2007-136 du 1er février 2007 (N° Lexbase : L2865HUN)

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N0301BAE

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Le 07 Octobre 2010

En fin d'année dernière, le ministre de l'Intérieur a publiquement annoncé son souhait de voir les préoccupations écologiques mieux prises en compte dans les campagnes électorales pour l'impression des documents des candidats connus sous l'appellation, quelque peu désuète, de "propagande officielle" : les circulaires, ordinairement appelées "professions de foi", les bulletins de vote et les affiches électorales. Le souhait du ministre a été transposé dans le droit électoral par le décret n° 2007-76 du 23 janvier 2007 (1) relatif à l'utilisation de papier de qualité écologique pour les documents électoraux. Ce texte renvoie à un arrêté ministériel daté du 24 janvier 2007, pris en application de l'article R. 39 du Code électoral (2). Il a ensuite été étendu à l'élection présidentielle par le décret n° 2007-136 du 1er février 2007 (3).

Sous une apparence technique assez anodine, ces textes soulèvent d'intéressantes questions de droit. Ce n'est pas la première fois que le Code électoral encadre techniquement la présentation de tels documents par des normes reflétant le plus souvent des préoccupations de nature pécuniaire. Après 1972, ont été prises en charge exclusivement des qualités de papier ordinairement accessibles (4) et sans surcoût. Etaient, ainsi, prohibés les travaux de photogravure distingués de la stricte prestation d'impression. Avec le temps, ces normes techniques ont fini par se périmer. Elles ont été "simplifiées" successivement en 2001 (5), où l'on mentionne seulement l'usage du "papier blanc" et en 2006 (6), où une norme technique de référence a été rétablie (7). Le décret précité du 23 janvier 2007 prolonge ce mouvement en modifiant deux articles du Code électoral :

- l'article R. 39 (N° Lexbase : L3696HT3), règle d'application commune à plusieurs dispositions législatives concernant différentes catégories d'élections (8) ;

- l'article R. 160 (N° Lexbase : L3774HTX), son équivalent pour l'élection des sénateurs.

Ces dispositions s'appliquent de plein droit aux élections européennes (9) mais pas aux élections présidentielles. En effet, la modification des règles encadrant cette élection suppose une consultation préalable du Conseil constitutionnel (10). C'est chose faite avec le décret précité du 1er février 2007.

Le candidat, ou à défaut le prestataire subrogé dans ses droits à remboursement, doit présenter une attestation spécifique conforme aux nouveaux textes, dont le défaut fait obstacle au remboursement. Le décret du 1er février 2007 est assorti d'une restriction intéressante, qui se justifie par l'ampleur des prestations concernées : le candidat qui se trouverait dans l'impossibilité de se fournir en papier de qualité écologique peut se voir relevé de cette obligation par décision de la commission de contrôle propre à cette élection.

Ces dispositions interviennent dans le contexte spécifique du remboursement des frais d'impression de la "propagande officielle" par l'administration. Valent-elles en dehors de ce contexte ? Deux questions connexes peuvent se poser, l'une en partie réglée par la jurisprudence, l'autre entière.

* * *

Les documents imprimés pour le compte des candidats sont acheminés auprès des électeurs sous l'égide de commissions spéciales, dites "de propagande", constituées pour la circonstance, le plus souvent au niveau départemental (11). Des commissions équivalentes, bien que d'appellation différente, officient également pour l'élection présidentielle (12). Une de ces commissions peut-elle décider de ne pas acheminer des documents de propagande non conformes aux prescriptions techniques énoncés par l'article R. 39 précité ?

La jurisprudence se montre peu encline à une interprétation extensive des textes. Le Conseil constitutionnel considère que les pouvoirs d'une telle commission se bornent à refuser, le cas échéant, les circulaires et bulletins qui ne respecteraient pas les prescriptions du Code électoral et de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse (N° Lexbase : L7589AIW) relatives à la présentation matérielle des documents électoraux (13). Il n'appartient qu'au juge électoral de connaître des violations de la loi précitée par le contenu même des documents électoraux.

Qu'en est-il, alors, d'une prohibition de nature purement technique mais bien mentionnée dans le Code électoral ? Il existe, certes, une contradiction entre la préoccupation de faire respecter un certain nombre d'interdictions techniques, souvent légitimes, et la réticence du juge à déduire de leur méconnaissance une influence possible ou probable sur l'issue du scrutin. En clair, le juge électoral n'annulerait sans doute pas une élection au seul motif qu'une commission aurait adressé aux électeurs des documents non conformes aux prescriptions techniques du Code électoral. Il ferait prévaloir le principe de sincérité de l'expression des suffrages sur le respect de la règle formelle. Mais en cas de refus ? Le Conseil a déjà eu l'occasion de considérer que le non-acheminement de documents par une commission de propagande n'altérait pas la sincérité du scrutin (14).

A priori, cette prohibition doit s'interpréter de manière littérale, comme justifiant une sanction pécuniaire, à savoir le non-remboursement par l'administration des frais correspondants d'impression, mais nullement comme le fondement en droit d'une attribution supplémentaire des commissions de propagande.

* * *

Comment, par ailleurs, coordonner cette règle avec le dispositif plus général des comptes de campagne ? En effet, en vertu de l'article L. 52-12 du Code électoral (N° Lexbase : L8364DYG), les dépenses de propagande officielle n'ont pas le caractère de dépenses de campagne, ni de dépenses remboursables au sens de l'article L. 52-11-1 (N° Lexbase : L9646DNL). Cependant, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques considère, sans être démentie sur ce point par le juge, que le montant des dépenses de propagande officielle non remboursé par l'administration doit être retracé dans le compte de campagne du candidat. Les documents qu'elle diffuse à titre d'information et les modèles de comptes de campagne qu'elle édite, par exemple pour l'élection du Président de la République (15), sont dépourvus d'ambiguïté à cet égard.

Les situations envisagées correspondent en général à des quantités de documents excédant les limites réglementaires du remboursement, par exemple, un tirage d'affiches manifestement supérieur à celui nécessaire pour orner les quelques emplacements officiels d'affichage, un tirage supplémentaire de circulaires excédant nettement le nombre d'électeurs de la circonscription et diffusées comme tracts, etc.

En revanche, l'absence de tout droit à remboursement autorise-t-elle le candidat à considérer la dépense dont il reste redevable vis-à-vis de son imprimeur comme "engagée en vue de l'élection", donc à retracer dans son compte de campagne et, par voie de conséquence, susceptible d'être couverte par le remboursement forfaitaire des dépenses électorales ? En d'autres termes, celui qui n'est pas remboursé au titre de l'article R. 39 du Code électoral peut-il l'être au titre de l'article L. 52-11-1 qui encadre le droit au remboursement forfaitaire ?

A ce jour, la jurisprudence ne permet guère de répondre à cette question. Au surplus, la question se complique par l'existence d'un contentieux spécifique du remboursement forfaitaire en Conseil d'Etat (16) depuis que la Commission nationale des comptes de campagne dispose du droit de fixer le montant du remboursement forfaitaire versé par l'Etat aux candidats (17).

* * *

En conclusion, la difficulté résulte essentiellement d'une distinction opérée par le législateur dès 1990, initialement dans un souci de "simplification", pour ne pas toucher à des comportements ancrés dans les habitudes, mais qui ouvrait une faille dans le dispositif général. Le Conseil constitutionnel a proposé comme solution possible (18) de tout regrouper dans les dépenses retracées par le compte de campagne, ce qui conduirait à un remboursement unique. Cette proposition n'a pas été suivie d'effet. Elle a le trait caractéristique des simplifications du Code électoral, en réalité fort complexes à mettre en oeuvre. Il faudrait, en effet, modifier au moins une dizaine de dispositions législatives, certaines de valeur organique et adapter le dispositif à tout l'outre-mer.

Guy Prunier
Chargé de mission au Conseil constitutionnel


(1) J.O. du 24 janvier 2007.
(2) J.O. du 25 janvier 2007.
(3) J.O. du 2 février 2007.
(4) A l'époque, papier blanc satiné, 56 g/m², Afnor II/1.
(5) Décret n° 2001-284 du 2 avril 2001 (J.O. du 4 avril 2001).
(6) Décret n° 2006-1244 du 11 octobre 2006 (N° Lexbase : L8856HSS, J.O. du 13 octobre 2006).
(7) Il s'agit du grammage du papier, désormais 60/80 g/m2.
(8) C. élect., art. L. 167 pour les élections législatives (N° Lexbase : L2539AAB), L. 216 pour les cantonales (N° Lexbase : L2571AAH), L. 242 pour les municipales (N° Lexbase : L2599AAI), L. 355 pour les régionales (N° Lexbase : L2721AAZ), etc.
(9) Décret n° 79-160 du 28 février 1979, art. 1er (N° Lexbase : L7460AI7).
(10) Loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962, art. 3-III (N° Lexbase : L5341AGW) et ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 (art. 46) (N° Lexbase : L0276AI3).
(11) C. élect., art. R. 31 (N° Lexbase : L3693HTX) et R. 32 (N° Lexbase : L3059AAK).
(12) Décret n° 2001-213 du 8 mars 2001, art. 19 (N° Lexbase : L1198AS8).
(13) Cons. const., décisions n° 97-2167, 23 octobre 1997, A.N., Hauts-de-Seine (1ère circ.) (N° Lexbase : A8374AC7) et n° 97-2149, 2 décembre 1997, A.N., Ariège (1ère circ.) (N° Lexbase : A7300DP3).
(14) Cons. const., décision n° 93-1342 du 15 juin 1993, A.N., Somme (2ème circ.) (N° Lexbase : A9982DTU).
(15) Modèle approuvé par décision du 4 mai 2006 et publié au J.O. du 25 mai 2006.
(16) CJA, art. R. 311-1 (N° Lexbase : L4207HBG).
(17) C. élect., art. L. 52-15 (N° Lexbase : L9649DNP).
(18) Cons. const., délibération du 15 mai 2003 (observations du Conseil constitutionnel relatives aux élections législatives des 9 et 16 juin 2002) J.O. du 21 mai 2003.

newsid:270301

Social général

[Jurisprudence] La collusion frauduleuse entre société cédante et société cessionnaire visant à évincer l'application de l'article L. 122-12 du Code du travail

Réf. : Cass. soc., 14 février 2007, n° 04-47.110, Société d'HLM Vaucluse Logement, FS-P+B (N° Lexbase : A2065DUZ)

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N1066BAQ

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par Sébastien Tournaux, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010


Par exception au principe classique d'effet relatif des conventions et à l'intuitu personae caractérisant le contrat de travail, le droit du travail a, depuis longtemps, protégé les salariés contre le changement de situation juridique de l'employeur. Ainsi, en cas de cession de société, le cessionnaire devra reprendre les contrats de travail des salariés en application de l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail (N° Lexbase : L5562ACY). Mais, les employeurs sont souvent tentés de contourner cette lourde mécanique, soit en invoquant l'inapplicabilité du texte à leur transfert, soit en mettant en oeuvre des techniques frauduleuses visant à en écarter l'application. C'est sans compter sur la vigilance des juges qui, comme dans un arrêt rendu par la Chambre sociale le 14 février 2007, veillent à l'application des critères du maintien des salariés à la suite du transfert de l'entreprise (1), mais surtout, sont très attentifs à l'égard de la fraude dont cédant et cessionnaire peuvent être à l'origine (2).
Résumé

La cession d'un ensemble immobilier comportant un service de gardiennage et d'entretien, auquel sont affectés des salariés, emporte le transfert au cessionnaire des contrats de travail en application de l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail.

La collusion frauduleuse entre le cédant et le cessionnaire, visant à entraver l'application de l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail, en imposant aux salariés transférés des modifications de leurs contrats de travail, constitue un trouble manifestement illicite emportant la compétence du juge des référés. Ce comportement frauduleux justifie, en outre, l'attribution de provisions à valoir sur l'indemnisation du préjudice subi par les salariés, le manquement à leurs obligations de la part des sociétés n'étant pas sérieusement contestable.

Décision

Cass. soc., 14 février 2007, n° 04-47.110, Société d'HLM Vaucluse Logement, FS-P+B (N° Lexbase : A2065DUZ)

Rejet (CA Montpellier, chambre sociale, 15 septembre 2004).

Texte concerné : C. trav., art. L. 122-12, al. 2 (N° Lexbase : L5562ACY)

Mots-clés : transfert d'entreprise ; licenciement ; modification du contrat de travail ; collusion frauduleuse entre le cédant et le cessionnaire ; trouble manifestement illicite.

Liens bases : ; ; .

Faits

1. La société SNI, qui exploitait un ensemble immobilier où étaient employés des salariés chargés du gardiennage et de l'entretien, cède l'ensemble à la société HLM Vaucluse logement. L'acte de cession prévoit la poursuite des contrats par l'acquéreur à compter du 1er décembre 2003. La société cessionnaire propose aux salariés de nouveaux contrats de travail le 11 décembre 2003, propositions que les salariés refusent au nom du maintien aux conditions antérieures de leurs contrats, prévu par l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail. Les salariés sont alors licenciés, le 9 janvier 2004, par la société cédante.

2. Les salariés saisissent en référé le conseil de prud'hommes de Montpellier afin d'obtenir la poursuite de leurs contrats de travail et, en appel, le paiement de provisions sur leurs indemnités. La cour d'appel de Montpellier, par un arrêt rendu le 15 septembre 2003, fait droit à leurs demandes. La société cédante et la société cessionnaire se pourvoient en cassation.

Solution

1. Rejet

2. Que "la cession ne portait pas seulement sur un ensemble immobilier, mais qu'elle emportait également reprise du service de gardiennage et d'entretien qui en relevait, ainsi que des contrats nécessaires à l'exploitation de la résidence, a pu en déduire le transfert d'un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels et incorporels permettant l'exercice d'une activité économique poursuivant un objectif propre".

3. Que "la société SNI, en notifiant des licenciements économiques après la date d'effet de la cession, et la société Vaucluse logement, en subordonnant la poursuite des contrats de travail à leur modification, avaient empêché l'application de l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail, la cour d'appel a pu en déduire que cette situation, qui n'avait pas cessé du seul fait de la reprise du personnel par la société cessionnaire, caractérisait un trouble manifestement illicite".

4. Que "les sociétés cédante et cessionnaire s'étaient entendues pour priver les salariés des droits qu'ils tenaient de l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail, et éviter ainsi la poursuite des contrats de travail aux conditions en vigueur au jour du transfert, a pu en déduire que l'obligation de ces sociétés de réparer le préjudice ainsi causé aux salariés par leur action commune n'était pas sérieusement contestable et allouer en conséquence des provisions aux salariés, à valoir sur l'indemnisation du préjudice subi".

Commentaire

1. Une application nouvelle de l'article L. 122-12, alinéa 2

L'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail (N° Lexbase : L5562ACY) prévoit que "s'il survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise". Ce principe est également imposé par les Directives communautaires (Directive n° 77/187/CEE du 14 février 1977 N° Lexbase : L4352GUQ, modifiée en 1998 ; Directive n° 98/50/CE du 29 juin 1998 N° Lexbase : L9988AUH).

Les conditions du maintien ont été progressivement élaborées par la Chambre sociale de la Cour de cassation. Ainsi, l'obligation de maintenir les contrats de travail par le nouvel employeur s'applique "à tout transfert d'une entité économique, conservant son identité et dont l'activité est poursuivie ou reprise" (Ass. plén., 16 mars 1990, n° 86-40.686, Mme Bodrero Sereu, publié N° Lexbase : A1771AGP ; D. 1990, p. 306, note A. Lyon-Caen). La Cour de cassation, dans l'espèce commentée, reprend donc une nouvelle fois la définition, désormais classique, de l'entité économique autonome afin de caractériser le transfert d'entreprise. Il s'agit toujours d'un "ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels et incorporels permettant l'exercice d'une activité économique poursuivant un objectif propre" (v., déjà, Cass. soc., 18 juillet 2000, n° 98-18.037, Société Perrier Vittel France c/ Comité d'établissement de la source Perrier de Vergèze et autre, publié N° Lexbase : A9152AG3 ; G. Couturier, L'article L. 122 -12 du Code du travail et les pratiques d'externalisation, Dr. Soc. 2000, p. 845 ; Cass. soc., 3 avril 2002, n° 00-40.299, F-P N° Lexbase : A4336AYA et les obs. de S. Koleck-Desautel, La Cour de cassation rappelle les conditions d'application de l'article L. 122-12, alinéa 2 du Code du travail, Lexbase Hebdo n° 20 du 25 avril 2002 - édition sociale N° Lexbase : N2669AA4).

La Cour de cassation n'avait, à notre connaissance, jamais eu à se prononcer quant au transfert d'un service de gardiennage et d'entretien attaché à un ensemble immobilier à vocation locative. La cession de cet ensemble par une société immobilière à une société HLM mettait-elle la société cessionnaire dans l'obligation de reprendre les salariés ?

Le transfert d'éléments corporels et incorporels est peu contestable. Les immeubles à louer, dans lesquels les salariés effectuaient leur prestation de travail, sont l'objet même de la cession. En outre, l'acte notarié formalisant la cession avait expressément prévu la reprise de différents contrats attachés à la gestion des immeubles, y compris des contrats de travail. Quant à l'existence d'un service organisé de personnes, il est constitué par la présence des 8 salariés concernés par l'affaire, dont la gestion des contrats de travail relevait du cédant avant la cession. Les propositions de modification de contrat de travail présentées aux salariés par le cessionnaire semblent attester de la vocation de la nouvelle société à organiser le travail de cet ensemble de personnes. Autrement dit, il s'agit bien de personnel spécialement affecté à l'ensemble immobilier et de moyens matériels d'exploitation propres (Cass. soc., 7 juillet 1998, n° 96-21.451, Caisse primaire d'assurance maladie de Paris et autres, publié N° Lexbase : A5565AC4 ; Dr. soc. 1998, p. 948, note A. Mazeaud). Enfin, l'exigence d'une activité économique poursuivant un objectif propre est, lui aussi, nécessairement assuré. Quoiqu'il s'agisse d'une société HLM, la vocation économique demeure.

Si cet arrêt est donc l'occasion d'effectuer un rappel quant à la notion d'entité économique autonome, il n'y avait pas là grande nouveauté dans l'utilisation des critères traditionnels déterminant le champ d'application de l'article L. 122-12, alinéa 2. La solution est certainement plus innovante en ce qui concerne les conséquences de l'application de ce texte, en particulier quant au rôle joué par la fraude entre cédant et cessionnaire de l'entreprise.

2. Le rôle attribué à la collusion frauduleuse entre cédant et cessionnaire

  • La fonction usuelle de la fraude en matière de transfert d'entreprise

Les employeurs ont souvent été tentés de contourner le régime parfois contraignant de l'article L. 122-12, alinéa 2. Or, la Cour de cassation se montre vigilante et fait une application régulière du principe Fraus omnia corrumpit.

Ainsi décide-t-elle que, si le licenciement prononcé avant la cession par l'entreprise cessionnaire n'est pas nécessairement illicite, qu'il soit fondé sur un motif économique (Cass. soc., 9 avril 2002, n° 00-41.958, F-D N° Lexbase : A4883AYI) ou sur un motif personnel (Cass. soc., 18 février 1988, n° 85-42.107, M. Cluzel c/ Epoux Lacoste et autre, publié N° Lexbase : A6752AAC), c'est à la condition que ce licenciement ne soit pas prononcé dans le but d'éluder l'application des dispositions relatives au maintien des contrats de travail par l'entreprise cessionnaire (Cass. soc., 9 octobre 1975, n° 74-40.792, Société Richaud Frères c/ SA Etablissement Thermal de Vichy, Romano, publié N° Lexbase : A8124CGY ; Cass. soc., 16 janvier 2001, n° 98-45.143, Société Paradis Thalassa c/ Mme M. Mascolo, publié N° Lexbase : A4418AR3).

De la même manière, si l'entreprise cessionnaire peut tout à fait imposer des changements dans les conditions de travail des salariés (Cass. soc., 9 novembre 1977, n° 76-40.133, SA Clinique de Baumont la Chataigneraie c/ Dlle Dioudonnat, publié N° Lexbase : A8503AHE) ou convenir avec ses salariés des modifications de leurs contrats de travail, c'est toujours sous la réserve que ces modifications ne soient pas opérées en fraude de l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail (v. Cass. soc., 17 septembre 2003, n° 01-43.687, Société Cegetel-SFR c/ M. Pascal Aiguier, publié N° Lexbase : A5412C9C ; et les obs. de Ch. Radé, Modification dans la situation juridique de l'employeur et modification du contrat de travail, Lexbase Hebdo n° 87 du 25 septembre 2003 - édition sociale N° Lexbase : N8856AAA).

  • L'importance de la fraude en l'espèce

La question de la collusion frauduleuse entre cédant et cessionnaire était déterminante afin de savoir s'il existait un trouble manifestement illicite et si l'obligation dont les salariés réclamaient l'exécution n'était pas sérieusement contestable. En effet, la compétence du juge des référés en matière prud'homale est suspendue à l'existence d'un trouble manifestement illicite par l'article R. 513-31, alinéa 2, du Code du travail (N° Lexbase : L0634ADT). De même, l'attribution de provisions sur indemnisation, réclamée par les salariés, est soumise par le même texte au caractère non sérieusement contestable de l'obligation dont l'exécution est exigée.

En caractérisant la collusion frauduleuse, les juges décident que les dispositions de l'article L. 122-12 du Code du travail n'ont pas été respectées. La proposition de modification des contrats de travail par la société cessionnaire et le licenciement prononcés par la société cédante, actes qui auraient pu être licites, s'avèrent alors faire obstruction à l'application de ce texte par l'effet de la fraude des sociétés. Les salariés peuvent donc en réclamer l'exécution.

La reconnaissance du caractère non sérieusement contestable de l'existence de l'obligation ne surprend guère puisque, comme nous l'avons vu, le transfert d'une entité économique autonome était avéré et que le licenciement prononcé à l'encontre des salariés, à la suite de leur refus de voir leurs contrats de travail modifiés, fait obstacle au maintien effectif du contrat de travail. De la même manière, la qualification de trouble manifestement illicite paraît logique, le juge usant souvent de celle-ci lorsque le salarié se trouve privé de son emploi alors qu'il était en droit d'exiger le maintien de sa relation de travail (v., à titre d'exemple, le trouble manifestement illicite constitué par le licenciement d'une salariée enceinte, Cass. soc., 16 juillet 1997, n° 95-42.095, Mme Ferrère c/ Association aide et protection de l'enfance, publié N° Lexbase : A3675ABQ ou d'un salarié sur le fondement d'une discrimination syndicale, Cass. soc., 19 octobre 1999, n° 97-43.088, Société Clinique La Lauranne, société à responsabilité limitée c/ Mme Annie Fremont et autres, inédit N° Lexbase : A2426AYI).

Il est, toutefois, à noter qu'il semble que ce soit la première fois que la Cour de cassation qualifie la fraude à l'article L. 122-12, alinéa 2, de trouble manifestement illicite.

  • La relativisation de la fraude en l'espèce

Si la solution selon laquelle la collusion frauduleuse pouvait rendre les propositions de modification du contrat de travail illicites n'est pas nouvelle, on a pu s'interroger sur les hypothèses dans lesquelles une telle fraude pourrait être relevée par le juge (v. Ch. Radé, Modification dans la situation juridique de l'employeur et modification du contrat de travail, préc.). Il faudrait alors "que les parties aient planifié la modification du contrat et que cette modification soit d'une telle importance qu'elle constitue, en quelque sorte, un masque pour une embauche réalisée à des conditions totalement différentes de celles que connaissait le salarié avant le transfert".

Quoique la situation n'ait probablement pas l'occasion de se renouveler souvent, il semblait bien, dans cette affaire, que l'on se trouvait dans une pure hypothèse de collusion. Les deux sociétés s'étaient accordées pour transférer les contrats par la voie de l'acte de cession. L'ancien employeur n'avait pas procédé à des licenciements avant la date du transfert des contrats, il avait donc bien l'intention de transférer les contrats. Le nouvel employeur propose des modifications de contrat refusées par les salariés. C'est alors que, plus d'un mois après le transfert des contrats, la société cédante prononce le licenciement pour motif économique des salariés, comme si, finalement, ceux-ci n'avaient jamais été transférés. En bref, les sociétés s'étaient entendues pour considérer que les salariés étaient transférés sous la condition résolutoire d'une acceptation par les salariés de diverses modifications de leurs contrats de travail.

Si le raisonnement est donc logique, on peut néanmoins se demander s'il était nécessaire de faire appel à la notion de fraude dans cette affaire. En effet, le juge a déjà eu l'occasion de considérer que le licenciement prononcé par la société cédante postérieurement à la cession doit être dépourvu de tout effet (Cass. soc., 6 novembre 2001, n° 99-44.616, F-D N° Lexbase : A0735AXI). Si le licenciement avait été dépourvu de tout effet, les contrats de travail auraient donc dû continuer de s'exécuter et les conséquences indemnitaires pour les salariés auraient été identiques. A moins qu'il ne s'agisse là, pour la Chambre sociale, d'une volonté d'insérer une dimension moralisatrice, le mécanisme de la collusion frauduleuse ayant pour effet de faire supporter aux deux auteurs de la fraude l'indemnisation due, et non seulement à la société ayant prononcé le licenciement.

newsid:271066

Procédure civile

[Questions à...] Prescription applicable au recouvrement des émoluments de l'avoué : questions à Christian Boyer, avoué, à propos de l'arrêt d'Assemblée plénière du 12 janvier 2007

Réf. : Ass. plén., 12 janvier 2007, n° 05-11.816, M. Elie Burki c/ Société civile professionnelle (SCP) Junillon-Wicky, P+B+R+I (N° Lexbase : A5715DTT)

Lecture: 4 min

N1073BAY

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Le 07 Octobre 2010

Le 12 janvier dernier, la Cour de cassation, réunie en Assemblée plénière, rendait un arrêt, non dénué d'intérêt, portant sur le délai de prescription applicable au recouvrement des émoluments de l'avoué. La question de droit posée était la suivante : le délai de prescription de l'action exercée par l'avoué en remboursement de ses frais sur l'adversaire de son client condamné aux dépens, est-il le délai de deux ans prévu à l'article 2273 du Code civil (N° Lexbase : L2560ABG) ou celui de trente ans résultant de la prescription de droit commun de l'article 2262 (N° Lexbase : L2548ABY) du même code ? A cette question les Hauts magistrats ont apporté une réponse très claire et sans appel : "l'action des avoués en recouvrement des dépens se prescrit par deux ans à compter du jugement des procès sans qu'il y ait lieu de distinguer selon qu'elle est exercée par l'avoué à l'encontre de son mandant ou de l'adversaire condamné aux dépens". Pour faire le point sur cette décision, qui peut paraître contestable, Lexbase Hebdo - édition privée générale a rencontré Maître Christian Boyer, avoué près la cour d'appel de Toulouse. Lexbase : Pouvez-nous rappeler brièvement ce que recouvre le terme "dépens" ?

Christian Boyer : Le terme dépens n'est pas précisément défini par le Nouveau Code de procédure civile qui se contente de les énumérer : droits, taxes, redevances ou émoluments,  frais de traduction des actes, indemnités des témoins,  rémunération des techniciens, émoluments des officiers publics ou ministériels,  débours tarifés,  rémunération des avocats, etc. (NCPC, art 695 N° Lexbase : L4893GUR). On peut considérer qu'il s'agit de l'ensemble des frais obligatoires et tarifés occasionnés par un procès.

En ce qui concerne l'avoué à la cour, il s'agit des débours qu'il a engagés et de l'émolument tarifé qui constitue sa rémunération.

Lexbase : Jusqu'à un récent revirement, en date du 17 mai 2001 (Cass. civ. 2, 17 mai 2001, n° 98-12.637 N° Lexbase : A4653ATI), la thèse retenue par la jurisprudence de la Cour de cassation opérait une distinction pour la prescription de l'action en recouvrement, selon qu'elle était dirigée contre le client de l'avoué ou contre la partie adverse. Quel était le fondement de cette position ?

Christian Boyer : Cette position traditionnelle paraissait portée par deux éléments de texte. 

D'une part, l'article 2273 du Code civil pose un régime d'exception à la prescription classique. Comme tout régime d'exception, il doit s'interpréter de façon restrictive. La créance de l'avoué sur son client est régie par les règles du mandat ad litem édictées par le même Code civil. L'application de la prescription biennale à l'encontre du seul mandant avait donc une cohérence juridique. 

D'autre part, le droit de recouvrement direct de l'avoué à l'encontre de la partie adverse est prévu par l'article 699 du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L2975ADK), aux termes duquel "les avocats et les avoués peuvent, dans les matières où leur ministère est obligatoire, demander que la condamnation aux dépens soit assortie à leur profit du droit de recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont ils ont fait l'avance sans avoir reçu provision". Il s'agit d'un droit résultant d'une demande judiciaire et d'une décision de justice. Ceci justifiait l'application d'un délai de prescription identique à toute décision de justice.

Lexbase : Quel a été l'impact, dans ce domaine, de l'arrêt du 17 mai 2001 rendu par la Cour de cassation ?

Christian Boyer : Il en est résulté une grande confusion face à une décision difficilement justifiable, puis, également, une accélération sensible des recouvrements de frais par les avoués à la cour. Ils ne peuvent plus patienter comme cela était fréquemment le cas, notamment en matière de liquidation-partage ou de régime matrimonial dans lesquels il était fréquent d'attendre l'issue des opérations pour éviter à une partie de faire l'avance sur des sommes non encore débloquées.

Lexbase : Quelles sont les critiques et les thèses en faveur de ce revirement ?

Christian Boyer : En faveur de ce revirement, il ne peut être avancé beaucoup d'arguments : l'unification du délai de recouvrement des frais et dépens de l'avoué, faisant primer la nature de la créance sur son fondement juridique paraît, vous en conviendrez, bien court.

Les critiques sont, au contraire, très nombreuses. L'Assemblée plénière paraît avoir souhaité "protéger" le débiteur, au mépris de la règle de droit, et en méconnaissant totalement les conséquences pratiques et juridiques de son arrêt.

On peut se demander si la Cour de cassation n'a pas sciemment ignoré les termes de l'article 2274 du Code civil (N° Lexbase : L2561ABH), qui prévoit l'interruption de la prescription lorsqu'il y a eu "compte arrêté, cédule ou obligation". Un état de frais exécutoire n'arrête-t-il pas le cours de la prescription ?

Par ailleurs, hormis la mauvaise analyse de la combinaison des textes que nous avons évoqués précédemment, il faut considérer que l'avoué n'a aucune obligation de poursuivre la partie adverse condamnée aux dépens. Il peut parfaitement solliciter de son mandant le paiement de ses frais. Ce même mandant pourra, ensuite, pendant trente ans poursuivre le débiteur en se fondant sur l'arrêt de la cour d'appel prononçant condamnation à son profit.

La Cour de cassation crée donc un double régime, qui ne profitera finalement qu'à quelques débiteurs de mauvaise foi. Jusque là on pouvait penser, au vu des arrêts prononcés en matière d'application du tarif des avoués (généralement défavorables aux avoués...), qu'il s'agissait d'erreurs d'appréciation de juges professionnels dans une matière, il est vrai, très technique. Une telle décision crée inévitablement d'autres interrogations ...

Lexbase : L'arrêt d'Assemblée Plénière du 12 janvier dernier a été rendu contre l'avis du Premier avocat général, lequel préconisait un retour à la jurisprudence antérieure. Ce faisant la Haute juridiction semble maintenir le cap de son revirement. En tant que praticien directement concerné, quel regard critique portez-vous sur cet arrêt ?

Christian Boyer : Comme je viens de vous l'indiquer, un regard déçu et vigilant. Les avoués vont devoir solliciter le paiement de leurs frais plus rapidement, obtenir un état de frais exécutoire, avec toutes les formalités et diligences que cela exige, notamment, des greffiers en chef et magistrats taxateurs, de façon plus rapide et systématique.

Ils seront, ensuite, obligés d'engager très vite une exécution forcée à bref délai, afin d'interrompre le délai de prescription selon les modalités de l'article 2274 du Code civil.

Le coût des actes relatifs à cette exécution sera à la charge du débiteur. La Cour de cassation aura ainsi démontré qu'une décision peut avoir en pratique les effets exactement inverses aux buts (non juridiques) qu'elle poursuivait. Ce n'est, nous le savons tous, pas un cas unique, mais cela ne saurait constituer une consolation pour quiconque.

Propos recueillis par Anne-Laure Blouet Patin
Rédactrice en chef du pôle Presse

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Immobilier et urbanisme

[Textes] Création d'un droit au logement opposable : premières observations sur le projet de loi

Réf. : Projet de loi instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale

Lecture: 11 min

N1139BAG

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par Marine Parmentier, Avocat à la cour d'appel de Paris

Le 07 Octobre 2010

Il aura fallu moins de deux mois pour que l'Assemblée nationale et le Sénat adoptent, dans le cadre de la procédure d'urgence, un projet de loi instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale. Ce texte répond à des attentes fortes dans la mesure où, malgré une affirmation croissante dans le dispositif législatif français d'un droit au logement, puis d'un droit au logement décent, le nombre de "mal-logés" ne fait qu'augmenter. Depuis plusieurs années, le Haut comité pour le logement des personnes défavorisées préconisait de rendre opposable le droit au logement (voir notamment le rapport pour l'année 2003). Tel est donc l'objet du projet de loi adopté le 22 février 2007. Le droit au logement opposable est garanti par l'Etat aux personnes résidant sur le territoire français de façon régulière et stable n'étant pas en mesure d'accéder par leurs propres moyens à un logement indépendant et décent.

Avant de présenter plus en avant les dispositions du projet de loi, il convient de rappeler quand et comment a été reconnu en France le droit au logement.

I - Sur l'émergence d'un droit au logement : du droit à l'habitat au droit au logement décent

Au carrefour de nombreux autres droits fondamentaux, tels que le droit au travail, le droit à la santé, le droit à une vie familiale, le droit au logement a été reconnu et maintes fois réaffirmé depuis le début des années 1980.

- Du droit à l'habitat au droit au logement : A l'origine, la loi du 22 juin 1982, dite "Quillot", érigeait, en son article 1er, le droit à l'habitat en droit fondamental. L'habitat est une notion plus large que le logement : elle recouvre l'ensemble des conditions d'habitation, de logement.

Puis, la loi du 6 juillet 1989, tendant à améliorer les rapports locatifs (loi n° 89-462 N° Lexbase : L8461AGH), a consacré le droit au logement en faisant un droit fondamental et impliquant "la liberté de choix pour toute personne de son mode d'habitation grâce au maintien et au développement d'un secteur locatif et d'un secteur d'accession à la propriété ouverts à toutes les catégories sociales".

Le droit au logement (notion plus ciblée que l'"habitat" puisqu'elle vise le local à usage d'habitation) est ainsi né et implique, outre le droit de disposer d'un logement, le droit de choisir son mode d'habitation.

Le droit au logement est alors assuré par un droit au maintien dans les lieux du locataire (voir J. Lafond et F. Lafond, Les baux d'habitation, Litec, 6ème éd. 2005, p. 8).

Le droit au logement est conçu comme le droit du locataire, d'une part, de pouvoir bénéficier d'un logement et, d'autre part, de ne pas se voir priver, sans raisons légitimes, dudit logement : ainsi, aux termes du bail, le bailleur ne pourra donner congé au locataire que pour des motifs limitativement énumérés ; le locataire est, en principe, protégé contre une éviction du logement pendant la durée du bail ; bien plus, certaines catégories de personnes ne peuvent être congédiées...

C'est dans la droite ligne de ce premier texte qu'a été adoptée la loi du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions (loi n° 98-657 N° Lexbase : L9130AGA).

Il résulte, notamment, de ce dernier texte que "la lutte contre les exclusions est un impératif national fondé sur le respect de l'égale dignité de tous les êtres humains et une priorité de l'ensemble des politiques publiques de la nation. La présente loi tend à garantir sur l'ensemble du territoire l'accès effectif de tous aux droits fondamentaux dans les domaines de l'emploi, du logement, de la protection de la santé, de la justice, de l'éducation, de la formation et de la culture, de la protection de la famille et de l'enfance. L'Etat, les collectivités territoriales, les établissements publics dont les centres communaux et intercommunaux d'action sociale, les organismes de sécurité sociale ainsi que les institutions sociales et médico-sociales participent à la mise en oeuvre de ces principes. Ils poursuivent une politique destinée à connaître, à prévenir et à supprimer toutes les situations pouvant engendrer des exclusions".

Ce dispositif implique, néanmoins, que le locataire ait pu avoir accès à un logement...

Tel était l'objet principal de la loi du 31 mai 1990, dite loi Besson (loi n° 90-449 N° Lexbase : L2054A4T), visant à la mise en oeuvre du droit au logement.

Ainsi, "garantir le droit au logement constitue un devoir de solidarité pour l'ensemble de la nation" (art. 1er).

Dès lors, toute personne ou famille éprouvant des difficultés particulières, en raison, notamment, de l'inadaptation de ses ressources ou de ses conditions d'existence, a droit à une aide de la collectivité, dans les conditions fixées par la présente loi, pour accéder à un logement décent et indépendant ou s'y maintenir.

La loi "Besson" érigeait, donc, le droit au logement en véritable droit de créance sur l'Etat et mettait en place un dispositif de nature à permettre l'élaboration d'un plan départemental d'action pour le logement des personnes défavorisées.

- Du droit au logement au droit de disposer d'un logement décent : Dans sa décision du 19 janvier 1995, le Conseil constitutionnel avait considéré que "la possibilité de disposer d'un logement décent est un objectif à valeur constitutionnelle" (décision n° 94-359 DC du 19 janvier 1995 N° Lexbase : A8323ACA).

C'est dans ces circonstances que la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains du 13 décembre 2000 (loi n° 2000-1208 N° Lexbase : L9087ARY) a instauré l'obligation pour le bailleur de délivrer au preneur, s'il s'agit de son habitation principale, un logement décent (C. civ., art. 1719 N° Lexbase : L1841ABS).

La Cour de cassation a déjà eu l'occasion de préciser que la délivrance d'un logement décent au locataire impose son alimentation en eau courante (Cass. civ. 3, 15 décembre 2004, n° 02-20.614, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A4661DED).

Toutefois, ce dispositif législatif impliquait, parallèlement, un réel engagement de l'Etat dans la construction de logements nouveaux et donc, d'une manière plus générale, par une politique volontariste du logement.

Le Haut comité pour le logement des personnes défavorisées indiquait, dans son 9ème rapport, avoir constaté que "la mise en oeuvre du droit butait sur des obstacles qui dépassent le cadre des outils spécifiques mis en place depuis une quinzaine d'années :
parce que les difficultés économiques et sociales que rencontrent les populations défavorisées ne sont pas les seules causes d'un mal logement qui résulte en grande partie du dysfonctionnement des marchés du logement et du manque de logements sociaux ;
parce que les actions nécessaires renvoient à une multiplicité d'acteurs et mettent en jeu les différents niveaux de puissance publique, ne permettant à aucune autorité politique de piloter efficacement les interventions ;
parce que ce système ne permet pas au citoyen de disposer de voies de recours efficaces".

Il était donc proposé de renforcer le droit au logement pour garantir l'efficacité des dispositifs issus de la loi "Besson".

Naissait, donc, l'idée de rendre opposable le droit au logement, ce qui impliquait de désigner une autorité politique responsable, de la doter de tous les moyens nécessaires pour s'acquitter de son obligation et d'établir des voies de recours amiables et contentieuses.

II - Sur l'efficacité du droit au logement conditionnée par son opposabilité

Le droit au logement tend donc à devenir une obligation de résultat incombant à l'Etat.

Le nouvel article L. 300-1 du Code de la construction et de l'habitation disposerait donc que "le droit à un logement décent et indépendant, mentionné à l'article 1er de la loi n° 90-449 du 31 mai 1990 visant à la mise en oeuvre du droit au logement, est garanti par l'Etat à toute personne qui, résidant sur le territoire français de façon régulière et dans des conditions de permanence définies par décret en Conseil d'Etat, n'est pas en mesure d'y accéder par ses propres moyens ou de s'y maintenir".

Le droit à un logement décent et indépendant serait donc garanti par l'Etat à toute personne résidant sur le territoire français de façon régulière et dans des conditions de permanence qui seront définies par voie de décret.

De même, toute personne accueillie dans une structure d'hébergement d'urgence doit pouvoir y demeurer, dès lors qu'elle le souhaite, jusqu'à ce qu'une orientation lui soit proposée. Cette orientation est effectuée vers une structure d'hébergement stable ou de soins, ou vers un logement, adaptés à sa situation. Il est à noter qu'il est fait une distinction importante entre l'hébergement (qui évoque une situation temporaire), et le logement.

Avant le 1er janvier 2008, il devrait être créé auprès du représentant de l'Etat dans le département, une commission de médiation présidée par une personnalité qualifiée qu'il désigne.

Ces commissions de médiation existaient déjà (CCH, art. L. 441-2-3 N° Lexbase : L2010HP7). Leur mode de saisine a été élargi.

La commission de médiation pourrait être saisie par toute personne qui, satisfaisant aux conditions réglementaires d'accès à un logement locatif social, n'a reçu aucune proposition adaptée en réponse à sa demande de logement dans le délai fixé en application de l'article L. 441-1-4 (N° Lexbase : L2007HPZ).

Elle peut être saisie sans condition de délai lorsque le demandeur, de bonne foi, est dépourvu de logement, menacé d'expulsion sans relogement, hébergé ou logé temporairement dans un établissement ou un logement de transition, logé dans des locaux impropres à l'habitation ou présentant un caractère insalubre ou dangereux. Elle peut également être saisie, sans condition de délai, lorsque le demandeur est logé dans des locaux manifestement suroccupés ou ne présentant pas le caractère d'un logement décent, s'il a, au moins, un enfant mineur, s'il présente un handicap ou s'il a au moins une personne à charge présentant un tel handicap.

Le demandeur peut être assisté (et non représenté) par une association dont l'un des objets est l'insertion ou le logement des personnes défavorisées ou une association de défense des personnes en situation d'exclusion et agréée par le représentant de l'Etat dans le département.

Dans un délai qui sera fixé par décret, la commission de médiation désignera les demandeurs qu'elle reconnaît prioritaires et auxquels un logement doit être attribué en urgence.

Elle détermine pour chaque demandeur, en tenant compte de ses besoins et de ses capacités, les caractéristiques de ce logement. Elle notifie par écrit au demandeur sa décision qui doit être motivée. Elle peut faire toute proposition d'orientation des demandes qu'elle ne juge pas prioritaires.

La commission de médiation transmet au représentant de l'Etat dans le département la liste des demandeurs auxquels doit être attribué en urgence un logement.

Le demandeur qui a été reconnu par la commission de médiation comme prioritaire et comme devant être logé d'urgence et qui n'a pas reçu, dans un délai fixé par décret, une offre de logement tenant compte de ses besoins et de ses capacités peut introduire un recours devant la juridiction administrative tendant à ce que soit ordonné son logement ou son relogement.

Le recours sera ouvert contre l'Etat.

Il s'agit alors d'une action en déclaration de droit, ce qui est différent d'un recours en indemnité ou d'un recours pour excès de pouvoir.

Le demandeur peut être assisté (et non représenté) par une association dont l'un des objets est l'insertion ou le logement des personnes défavorisées ou une association de défense des personnes en situation d'exclusion et agréée par le représentant de l'Etat dans le département.

Ce recours est ouvert à compter du 1er décembre 2008 pour les cinq catégories de personnes les plus prioritaires :
- personnes dépourvues de logement ;
- personnes menacées d'expulsion sans relogement ;
- personnes hébergées temporairement ;
- personnes logées dans des locaux impropres à l'habitation ou présentant un caractère insalubre ou dangereux ;
- ménages avec enfants mineurs ne disposant pas d'un logement décent ou en sur-occupation ;
- personnes handicapées ou vivant avec une personne handicapée.

A compter du 1er janvier 2012, le recours sera ouvert pour les autres personnes éligibles au logement social qui n'ont pas reçu de réponse à leur demande de logement après un délai anormalement long.

En l'absence de commission de médiation dans le département, le demandeur peut exercer le recours juridictionnel si, après avoir saisi le représentant de l'Etat dans le département, il n'a pas reçu une offre tenant compte de ses besoins et de ses capacités dans un délai fixé par voie réglementaire.

Le syndicat de la juridiction administrative (SJA) n'a donc pas été entendu sur ce point puisqu'il contestait la possibilité de saisine directe du juge administratif dans les départements non dotés d'une commission départementale de médiation. Selon le SJA, la loi du 29 juillet 1998 impose la création d'une telle commission dans tous les départements : il appartiendrait donc aux préfets d'assurer l'application de cette loi sur l'ensemble du territoire.

Le président du tribunal administratif ou le magistrat qu'il désigne statue en urgence, dans un délai de deux mois à compter de sa saisine. Sauf renvoi à une formation collégiale, l'audience se déroule sans conclusions du commissaire du Gouvernement.

Ici encore, les observations du syndicat de la juridiction administrative n'ont pas été prises en compte : ce dernier critiquait le recours à un juge unique sans commissaire du Gouvernement pour une procédure de fond.

Le président du tribunal administratif ou le magistrat qu'il désigne, lorsqu'il constate que la demande a été reconnue comme prioritaire par la commission de médiation et doit être satisfaite d'urgence et que n'a pas été offert au demandeur un logement tenant compte de ses besoins et de ses capacités, ordonne le logement ou le relogement de celui-ci par l'Etat et peut assortir son injonction d'une astreinte.

Il est difficile de comprendre comment, sans création massive de nouveaux logements, le juge administratif pourra ordonner le logement ou le relogement par l'Etat : si des solutions n'ont pu être mises en oeuvre préalablement par la commission de médiation et/ou par le Préfet, quelles solutions s'offriront au juge administratif ? Ce recours sera-t-il suivi d'effet ? La menace d'une astreinte est-elle réellement contraignante ? D'autant que le produit de l'astreinte est versé par l'Etat à un fonds d'aménagement urbain... Ce fonds, institué dans chaque région, pourra ainsi subventionner toute action foncière ou immobilière en faveur du logement locatif social.

Il est, toutefois, surprenant qu'une partie au moins du produit de l'astreinte ne soit pas versé au demandeur : cela revient à mettre en place un mécanisme où l'Etat finance, par le produit d'astreinte résultant de sa carence à proposer une solution de logement ou de relogement de personnes prioritaires, la construction de logements sociaux...

Avant le 1er octobre 2010, le Conseil économique et social doit remettre au Président de la République et au Parlement un rapport d'évaluation relatif à la mise en oeuvre du chapitre Ier de la loi.

Il est, également, institué un comité de suivi de la mise en oeuvre du droit au logement opposable qui remet un rapport annuel au Président de la République, au Premier ministre et au Parlement. Le premier rapport devrait être remis le 1er octobre 2007.

Si le projet de loi met l'accent sur la médiation qui sera un préalable incontournable du recours à la voie contentieuse (excepté dans les régions où une commission de médiation n'aurait pas été créée, malgré l'obligation légale mise à la charge des régions...), il n'en demeure pas mois que l'une des réelles nouveautés instituées par ce texte est le recours devant le juge administratif en cas d'avis favorable de la commission de médiation non suivi d'effet dans un délai raisonnable.

Il est regrettable que les personnes en situation précaire ne puissent se faire représenter par des associations (seul un mécanisme d'assistance étant prévu), et que l'astreinte qui peut être ordonnée par le juge administratif ne leur bénéficie pas en partie, ce qui leur aurait peut être permis de s'acquitter ne serait-ce que temporairement du paiement d'un loyer.

Il est également indispensable que l'Etat garantisse la création de nouveaux logements sociaux permettant d'accueillir les sans-abris ou les "mal-logés".

Au-delà de ces mesures, le projet de loi prévoit donc de nouvelles dispositions pour accroître l'offre de logements.

Espérons que ces dispositions ne demeureront pas lettre morte...

newsid:271139

Marchés publics

[Jurisprudence] Le pouvoir de modulation des pénalités de retard du juge du contrat administratif

Réf. : CAA Paris, plénière, 23 juin 2006, n° 02PA03759, SARL Serbois (N° Lexbase : A4283DR3)

Lecture: 7 min

N0300BAD

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par Sophie Rimeu, Conseiller au tribunal administratif de Paris

Le 07 Octobre 2010


Jusqu'à présent, le juge administratif, saisi d'un litige relatif aux pénalités infligées par une personne publique à son cocontractant, se bornait à vérifier la réalité du retard, l'imputabilité de celui-ci et l'application des clauses contractuelles. Avec l'apport de l'arrêt "SARL Serbois", son rôle n'est plus limité par les stipulations contractuelles, puisqu'il peut en quelque sorte, quand il est saisi d'une demande en ce sens, les écarter, afin d'éviter un déséquilibre manifeste entre les parties au contrat.
1. La nature des pénalités de retard dans les marchés publics

Dans les marchés publics, les pénalités qui sanctionnent les éventuels retards du cocontractant de l'administration ont un caractère forfaitaire : leur montant ne dépend pas du préjudice que ce retard fait subir à la personne publique, mais uniquement du nombre de jours de retard par rapport aux délais d'exécution prévus par le contrat et du montant de la pénalité journalière fixé par les stipulations contractuelles. De ce fait, le maître d'ouvrage ne pourra pas invoquer un préjudice supérieur au montant de la pénalité fixée contractuellement pour réclamer également des dommages et intérêts au titre de ce retard (CE, 28 mars 1945, Clauzier, au recueil p. 69) et inversement, le cocontractant ne pourra pas s'exonérer de la pénalité en invoquant l'absence de preuve d'un préjudice effectif (CE, 23 mai 1930, Compagnie électrique de la Loire, au recueil p. 549). Pour que la clause relative aux pénalités de retard s'applique, il suffit qu'un retard imputable au cocontractant soit constaté.

Outre cette fonction de réparation forfaitaire du préjudice occasionné par le retard, ces pénalités ont également une fonction dissuasive. Leur montant, souvent élevé, vise à inciter le cocontractant à respecter les délais d'exécution des prestations qui lui sont confiées. Cette fonction dissuasive des pénalités témoigne du déséquilibre qui peut exister dans les marchés passés entre une personne publique et une société. En effet, même si les pénalités sont purement contractuelles puisque ni le Code des marchés publics ni aucun autre texte législatif ou réglementaire ne les prévoit, c'est un fait que les contrats des personnes publiques sont généralement rédigés et imposés par elles à leurs cocontractants.

Les pénalités de retard sont prévues par les cahiers des clauses administratives générales applicables aux marchés de travaux (CCAG-Travaux, art. 20-1 N° Lexbase : L6921G8T, qui fixe le montant de la pénalité par jour de retard à 1/3 000 du montant de l'ensemble du marché ou de la tranche), aux marchés de prestations intellectuelles et marchés industriels (CCAG-Prestations intellectuelles, art. 16-1 N° Lexbase : L6861G8M et CCAG-Marchés industriels, art. 26 N° Lexbase : L6755G8P, qui fixent le même taux mais une base de calcul différente puisque l'assiette est constituée des prestations en retard et non du volume du marché) et aux marchés de fournitures courantes et services (CCAG-Fournitures courantes et services, art 11-1 N° Lexbase : L6798G8B, avec une base de calcul identique à celle prévue par le CCAG-Prestations intellectuelles et le CCAG -Marchés industriels, mais avec un taux plus élevé égal à 1/1 000 par jour de retard).

Les cahiers des clauses administratives particulières peuvent déroger à ces clauses générales en fixant des taux plus ou moins élevés et surtout en supprimant toute exigence de mise en demeure préalable. L'exigence de mise en demeure préalable semble a priori naturelle s'agissant d'une sanction et il a d'ailleurs été jugé que, sauf clause contractuelle contraire, une mise en demeure préalable est obligatoire avant l'application de pénalités de retard (CE, 10 juin 1953, n° 2284, Commune de Saint-Denis-en-Val, au recueil p. 276). Toutefois, l'article 20-1 du CCAG-Travaux et l'article 16-1 du CCAG-Prestations intellectuelles dispensent eux même de mise en demeure l'application de pénalités pour les retards d'exécution (voir, cependant, CAA Paris, 23 novembre 2004, n° 00PA01338, Société Bâti renov N° Lexbase : A8274DE8, Contrats et marchés publics 2005, n° 84 et 86, obs. F. Llorens, qui juge que l'article 20-1 du CCAG-Travaux ne dispense pas de la mise en demeure préalable au motif qu'il indique seulement que "les pénalités sont encourues du simple fait de la constatation du retard par le maître d'oeuvre").

Ce caractère purement contractuel des pénalités de retard s'exprime aussi dans le fait que la personne publique puisse renoncer aux pénalités de retard (CE, 28 octobre 1953, Société comptoir des textiles bruts et manufacturés, aux tables p. 721, RDP 1954, p. 198). Toutefois, cette possibilité de renonciation est critiquée par la Cour des comptes (Cour des comptes, 2 mai 1996, SDIS de l'Eure, au recueil p. 51, revue du trésor 1996, p. 739).

Cette nature contractuelle et forfaitaire des pénalités de retard dans les marchés publics explique que le juge du contrat a, jusqu'alors, toujours refusé d'intervenir dans le montant de ces pénalités.

2. Le pouvoir du juge du contrat

De la même façon, pour ce qui est des contrats relevant du droit privé, le Code civil de 1804 avait prévu l'existence des clauses pénales mais avait interdit au juge judiciaire d'augmenter ou de modérer le montant des pénalités forfaitaires résultant des clauses pénales prévues par le contrat.

Le régime juridique des clauses pénales des contrats de droit privé et celui des pénalités de retard des contrats de droit public est devenu différent à partir de la loi n° 75-597 du 9 juillet 1975 qui a ajouté un second alinéa à l'article 1152 du Code civil (N° Lexbase : L1253ABZ) et a permis au juge judiciaire de moduler le montant des pénalités. L'article 1152 du Code civil prévoit, en effet, depuis cette loi : "Lorsque la convention porte que celui qui manquera de l'exécuter payera une certaine somme à titre de dommages et intérêts, il ne peut être alloué à l'autre partie une somme plus forte, ni moindre. Néanmoins, le juge peut, même d'office, modérer ou augmenter la peine qui avait été convenue, si elle est manifestement excessive ou dérisoire. Toute stipulation contraire sera réputée non écrite".

Par une décision du 13 mai 1987 (CE, 13 mai 1987, n° 35374, Société Citra-France et autres N° Lexbase : A3720APH, aux Tables p. 821), le Conseil d'Etat a refusé d'appliquer ces dispositions du Code civil aux marchés publics et cette jurisprudence a été ensuite plusieurs fois confirmée (voir, notamment, CE 13 mars 1991, n° 80848, Entreprise Labaudinière N° Lexbase : A1290AR9, RDP 1992, p. 1537 et CAA Marseille, 19 octobre 2004, n° 04MA00728, SAS Group 4 sécurité N° Lexbase : A9939DTB, Contrats et marchés publics 2005, n° 44 obs. F. Llorens).

Pourtant, par son arrêt du 23 juin 2006 "SARL Serbois", rendu en formation plénière, la cour administrative d'appel de Paris a jugé que le juge du contrat pouvait, dans certaines circonstances, modérer ou augmenter le montant des pénalités de retard prévues par les marchés publics. Pour adopter cette solution, la Cour ne s'est cependant pas fondée sur les dispositions de l'article 1152 du Code civil. Elle ne s'est pas non plus référée explicitement, comme le fait parfois le juge administratif, aux principes dont s'inspirent cet article 1152. Elle a simplement fait une application implicite de ces principes en affirmant : "lorsque l'application des stipulations d'un contrat administratif prévoyant des pénalités de retard fait apparaître un montant de pénalités manifestement excessif ou dérisoire, le juge du contrat, saisi de conclusions en ce sens, peut modérer ou augmenter les pénalités qui avaient été convenues entre les parties".

Cette évolution jurisprudentielle se justifie, ainsi que l'a souligné le commissaire du Gouvernement Pascal Trouilly, par la nécessité de rétablir l'équilibre dans des relations contractuelles parfois très déséquilibrées. En effet, l'application des clauses relatives aux pénalités de retard peut parfois conduire à une situation où le montant des pénalités excède le prix du marché (CE, 14 juin 1944, Sekoulounos, au recueil, p. 144) : dans un tel cas, le cocontractant, qui exécute des travaux ou des prestations pour la personne publique, travaille en pure perte puisqu'à l'issue du contrat c'est lui qui sera débiteur de l'administration.

Le tribunal administratif de Nice a, d'ailleurs, très récemment, fait application de la jurisprudence de la cour administrative d'appel de Paris à un cas d'espèce où le cocontractant de l'administration devait faire face à un montant de pénalités de retard égal à trois fois le prix du marché (TA Nice, 22 décembre 2006, n° 0302716, Société coopérative SEGC TOPO c/ SIVOM de Villefranche-sur-Mer N° Lexbase : A9983DTW).

La modulation des pénalités de retard, telle que l'a admise la cour administrative d'appel de Paris est toutefois soumise à deux conditions : la première limite un tel pouvoir aux cas où le montant des pénalités est manifestement excessif ou dérisoire. Cet encadrement du pouvoir du juge administratif, identique sur ce point à celui du juge judiciaire, doit permettre de garantir le caractère forfaitaire des pénalités de retard, même s'il est évident, comme le dit le commissaire du Gouvernement Trouilly, que le caractère manifestement excessif ou dérisoire du montant des pénalités sera apprécié, non seulement au regard du montant du marché, mais également au regard de la gravité de la faute commise par le cocontractant de l'administration et selon l'étendue du préjudice subi par la personne publique. La seconde condition a trait au fait que cette modulation des pénalités doit être demandée au juge du contrat. Celui-ci n'a pas le pouvoir du juge judiciaire d'effectuer cette modulation d'office.

Pour autant, l'arrêt de la cour administrative de Paris se situe bien dans une tendance jurisprudentielle qui tend à accorder au juge du contrat une place de plus en plus importante dans les relations contractuelles de droit public. Cette évolution traduit la volonté d'éviter que le simple jeu des clauses contractuelles puisse conduire à un déséquilibre disproportionné entre les parties. Dans l'arrêt "SARL Serbois" qui nous intéresse, il s'agissait de protéger le cocontractant et d'éviter en quelque sorte que la personne publique puisse bénéficier d'une somme d'argent qu'elle ne mérite pas. Dans un arrêt récent, également très commenté, la cour administrative de Versailles a accepté, quant à elle, d'exercer un contrôle sur des clauses contractuelles et d'écarter le cas échéant leur application, au regard du principe selon lequel une personne de droit public ne peut être condamnée à verser une somme qu'elle ne doit pas et de son pouvoir de résiliation pour motif d'intérêt général (CAA Versailles, plénière, 7 mars 2006, n° 04VE01381, Commune de Draveil c/ Société Via Net Works France N° Lexbase : A8309DN3).

Finalement, si le nouveau pouvoir de modulation des pénalités de retard offert au juge du contrat entame un peu le principe de la liberté contractuelle, la jurisprudence de la cour administrative d'appel de Paris ne surprend pas au regard de la place qu'occupent aujourd'hui tant le principe d'équité que le recours au juge.

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Contrats et obligations

[Jurisprudence] Obligation essentielle et clause limitative de responsabilité

Réf. : Cass. com., 13 février 2007, n° 05-17.407, Société Faurecia sièges d'automobiles, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A1894DUP)

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N0986BAR

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Le 07 Octobre 2010

C'est peu dire que l'efficacité des clauses restreignant la responsabilité ou limitant les obligations du débiteur en matière contractuelle (1), à l'origine d'une littérature doctrinale abondante (2), fait l'objet d'un vif contentieux. La question n'est certes pas nouvelle. Il reste que le rythme des décisions importantes rendues en la matière par la Cour de cassation a paru s'accélérer ces dernières années, et tout particulièrement depuis quelques mois. Un arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 13 février dernier, promis à une très large diffusion puisque reproduit sur le site internet de la Cour, à paraître au Bulletin et devant figurer dans son Rapport annuel, vient encore accentuer cette tendance. En l'espèce, une société avait, pour les besoins de son activité, conclu avec un professionnel non seulement une série de contrats de licences, de maintenance et de formation en matière informatique, mais aussi, et surtout, un contrat aux termes duquel devait lui être livré, l'année suivante, un logiciel adapté à ses attentes. Or, la version du logiciel choisie n'ayant pas été livrée, le créancier a cessé de régler les redevances dues au titre des premiers contrats ainsi qu'au titre de l'installation d'une solution provisoire qui lui avait été proposée en attendant la livraison définitive du logiciel. Assigné en paiement par une société à laquelle son débiteur avait cédé ces redevances, le créancier a appelé celui-ci en garantie qui, en défense, a invoqué la clause limitative de responsabilité prévue au contrat. Et les juges du fond, pour limiter les sommes dues par le débiteur à la garantie de la condamnation du créancier, ont précisément fait application de ladite clause en faisant valoir que le créancier ne démontrait pas que le débiteur avait commis une faute lourde. La Cour de cassation, sous le visa de l'article 1131 du Code civil (N° Lexbase : L1231AB9), casse l'arrêt de la cour d'appel au motif que la livraison du logiciel, "objectif final" des contrats conclus entre les parties, n'était finalement jamais intervenue, et ce sans que le débiteur puisse justifier d'un cas de force majeure, si bien qu'était caractérisé "un manquement à une obligation essentielle de nature à faire échec à l'application de la clause limitative de réparation".

Il convient, d'abord, de remarquer que la Cour de cassation n'a pas entendu se placer sur le terrain, qui était celui des juges du fond, d'une éventuelle faute lourde pouvant ou non être reprochée au débiteur. Sans doute, les clauses limitatives ou exclusives de responsabilité sont-elles, tout à fait classiquement, privées d'efficacité non seulement en cas de dol du débiteur conformément à la règle de l'article 1150 du Code civil (N° Lexbase : L1251ABX), qui dispose que "le débiteur n'est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qu'on a pu prévoir lors du contrat, lorsque ce n'est point par son dol que l'obligation n'est point exécutée", mais encore en cas de faute lourde du débiteur, la jurisprudence ayant, depuis longtemps déjà, fait une interprétation extensive de ce texte, assimilant, précisément, au dol de l'article 1150, la faute lourde.

Et l'on n'ignore pas, sur ce terrain précisément, que, à côté de l'appréciation subjective de la faute lourde caractérisée par un comportement d'une extrême gravité, confinant au dol et dénotant l'inaptitude du débiteur de l'obligation à l'accomplissement de la mission contractuelle qu'il avait acceptée (3), certaines décisions n'ont pas hésité à procéder à une appréciation plus objective de la faute lourde, cette dernière étant alors déduite non pas de la gravité du comportement du débiteur, mais de l'importance de l'obligation inexécutée, en l'occurrence essentielle ou fondamentale (4). La solution était, cependant, pour le moins critiquable dans la mesure où, comme on l'a justement dit, "le critère de la faute lourde ne se trouve pas dans l'importance pour le créancier de l'obligation inexécutée mais dans le comportement du débiteur" (5), ne serait-ce que parce que, d'un point de vue logique, la gravité de la faute commise ne saurait dépendre, précisément, de l'importance de l'obligation.

Toujours est-il qu'il n'est finalement pas étonnant que la Chambre commerciale, dans l'arrêt du 13 février dernier, ne se soit pas engagée dans cette voie et n'ait donc pas entendu déduire du manquement à l'obligation essentielle du débiteur une faute lourde, dans la mesure où la jurisprudence la plus récente paraissait avoir condamné cette orientation.

Ainsi avait-t-on pu déduire de deux arrêts du 22 avril 2005 rendus en Chambre mixte (6), qui avaient décidé que l'existence d'une faute lourde imputable au transporteur, en l'occurrence la société Chronopost, ne pouvait résulter du seul retard de livraison dans un cas, du fait que le transporteur ne pouvait fournir d'éclaircissements sur la cause du retard dans l'autre, et ce alors que l'inexécution de son obligation, jugée essentielle, était établie, que, d'une manière générale, et donc pas seulement dans le cas des contrats de transport rapide, le manquement à une obligation essentielle ne saurait suffire à caractériser la faute lourde (7). La Chambre commerciale de la Cour de cassation devait d'ailleurs, par la suite, nettement affirmer que la faute lourde "ne saurait résulter du manquement à une obligation contractuelle, fût-elle essentielle, mais doit se déduire de la gravité du comportement du débiteur" (8).

Aussi bien comprend-on, ensuite, la faute lourde du débiteur ne pouvant, ici, être subjectivement retenue en l'absence de preuve d'un comportement grave susceptible de lui être imputé, que la Cour de cassation ait cherché à neutraliser la clause limitative de responsabilité en se fondant directement sur le constat du manquement à une obligation essentielle, faisant ainsi l'économie d'un détour par la faute lourde, même entendue objectivement. En posant, sous le visa de l'article 1131 du Code civil, que les clauses limitatives de responsabilité sont privées d'efficacité en cas de manquement par le débiteur à une obligation essentielle, la Cour confirme la vigueur de la solution qu'elle avait retenue dans le premier arrêt "Chronopost" de la Chambre commerciale du 22 octobre 1996 (9).

On se souvient, en effet, que la Cour avait fait valoir, pour exercer sa censure pour violation de l'article 1131 du Code civil, que l'application de la clause limitant la réparation du débiteur au coût du transport en cas d'inexécution, en réduisant excessivement la sanction de l'inexécution de l'obligation essentielle de célérité et de fiabilité souscrite par la société Chronopost, contredisait la portée de l'engagement du transporteur et, du même coup, privait de cause l'obligation de l'expéditeur. On a, ainsi, pu dire que l'élimination de la clause litigieuse était justifiée "parce que son insertion dans le contrat est incompatible avec l'obligation de ponctualité souscrite par la société de transport et fait dégénérer cette obligation essentielle dans l'esprit des contractants en une simple illusion pour le créancier" (10). Le fait que, par la suite, la Cour ait décidé que la suppression de la clause limitative de réparation litigieuse conduisait à l'application du droit commun des transports et que, en l'occurrence, en matière de contrat de transport rapide, la réglementation du contrat-type messagerie devait, ici, s'appliquer et, finalement, limiter, sauf faute lourde, la réparation due par le débiteur en cas d'inexécution à un plafond qui correspondait à la limitation conventionnelle qui avait été écartée (11), ne signifiait pas que la solution de 1996 avait perdu sa raison d'être. Bien au contraire, reprise par un arrêt de la Chambre commerciale du 17 juillet 2001 (12), certes non publié au Bulletin, elle a, à nouveau, été réaffirmée par un arrêt de la même Chambre commerciale du 30 mai 2006, lui très largement diffusé, cassant, sous le visa de l'article 1131 du Code civil, un arrêt de cour d'appel qui avait débouté un créancier qui contestait la clause limitative de responsabilité qui lui était opposée "sans rechercher si la clause limitative d'indemnisation dont se prévalait [le débiteur], qui n'était pas prévue par un contrat-type établi par décret, ne devait pas être réputée non écrite par l'effet d'un manquement du transporteur à une obligation essentielle" (13).

L'arrêt du 13 février 2007 conforte encore cette position : dans l'hypothèse dans laquelle aucune réglementation spéciale ne trouverait à s'appliquer, l'inexécution par le débiteur d'une obligation essentielle doit conduire à écarter le jeu d'une clause limitative -ou exclusive- de responsabilité, et ce sur le fondement de l'article 1131 du Code civil. La solution mérite selon nous, après d'autres (14), d'être approuvée : il est, en effet, des cas dans lesquels une clause du contrat, en l'occurrence une clause limitative ou exclusive de responsabilité, rend illusoire ou dérisoire la contrepartie convenue, si bien qu'il est légitime, en se fondant sur la cause, de réputer la clause litigieuse non écrite afin de rétablir l'existence de ladite contrepartie.

Fondamentalement, la solution est justifiée par l'idée selon laquelle la liberté contractuelle doit logiquement venir buter sur l'obligation essentielle ou, si l'on préfère, la norme fondamentale du contrat (15). Cette notion, à laquelle Pothier fait allusion dans son Traité des obligations (16), constitue une sorte de "minimum contractuel" (17) intangible, autrement dit que l'on ne peut réduire et auquel on ne peut porter atteinte. Comme on l'a fait observer, "le contenu normal d'un contrat peut être fortement allégé, mais seulement jusqu'à un certain point, le point à partir duquel l'engagement est vide de toute substance" (18). La Cour de cassation avait, ainsi, déjà pu décider que la clause figurant sur le billet d'accès limitant les obligations d'un exploitant d'un parc de stationnement devait être écartée au seul motif qu'il "avait manqué à son obligation essentielle de mettre à la disposition de l'utilisateur la jouissance paisible d'un emplacement pour lui permettre de laisser sa voiture en stationnement" (19). C'est cette solution, appliquée au cas d'une clause limitant les obligations du débiteur, que la jurisprudence, à partir de l'arrêt "Chronopost" du 22 octobre 1996, a finalement étendu aux clauses limitatives de responsabilité.

Comme on l'a dit plus haut, il n'y a pas lieu de s'étonner de ce qu'elle ait visé, dans l'arrêt "Chronopost" comme dans l'arrêt de la Chambre commerciale du 13 février dernier, l'article 1131 du Code civil au soutien de la cassation, sans pour autant, il est vrai, employer le mot "cause", dans la mesure où, par hypothèse, faire dégénérer, par l'application d'une stipulation contractuelle, l'obligation essentielle du débiteur en une illusion pour le créancier ou, à tout le moins, réduire de façon manifestement excessive la responsabilité encourue par le débiteur en cas d'inexécution au point que la contrepartie à l'engagement du créancier devienne dérisoire, conduit à priver de cause l'obligation de celui-ci. Le lien qu'entretient l'obligation essentielle ou fondamentale avec la notion de cause avait, au demeurant, déjà été relevé par la doctrine (20), et certains avaient même déjà fait valoir que "la notion d'obligation fondamentale [est l']expression de la théorie de la cause" (21).

David Bakouche
Professeur agrégé des Facultés de droit


(1) Au sens strict, les clauses relatives aux obligations du débiteur, en l'occurrence les clauses qui limitent les obligations du débiteur, se distinguent des clauses relatives à la responsabilité que sont les clauses exclusives ou simplement limitatives de responsabilité. En pratique, cependant, la distinction n'est pas toujours évidente, d'autant que, fondamentalement, la clause qui affecte le contenu des obligations assumées par le débiteur a nécessairement une incidence sur le régime de la responsabilité contractuelle : ainsi a-t-on justement pu faire remarquer que "stipuler qu'un débiteur ne doit pas telle prestation ou qu'il n'est pas responsable si elle n'est pas fournie revient souvent au même". En ce sens : A. Bénabent, Droit civil, Les obligations, Domat-Montchrestien, 9ème éd., n° 422.
(2) P. Durand, Des conventions d'irresponsabilité, Paris, 1931 ; P. Robino, Les conventions d'irresponsabilité dans la jurisprudence contemporaine, RTDCiv. 1951, p. 1 ; B. Starck, Observations sur le régime juridique des clauses de non-responsabilité ou limitative de responsabilité, D. 1974, Chron., p. 157 ; Ph. Delebecque, Les clauses allégeant les obligations dans les contrats, thèse Aix, 1981 ; Ph. Delebecque et D. Mazeaud, Les clauses de responsabilité : clauses de non-responsabilité, clauses limitatives de réparation, clauses pénales, in Les sanctions de l'inexécution des obligations contractuelles, Etudes de droit comparé, LGDJ, 2001.
(3) Cass. com., 26 février 1985, n° 83-10.811, Société Anonyme Soditrans c/ Société Anonyme Groupe des Assurances Nationales GAN Incendie Accidents et autres (N° Lexbase : A2391AAS), RTDCiv. 1986, p. 773, obs. J. Huet ; Cass. com., 5 janvier 1988, n° 86-14.735, Assurances générales de France et autres (N° Lexbase : A0022AA3), Bull. civ. IV, n° 8 ; Cass. com., 3 avril 1990, n° 88-14.871, Ateliers et chantiers de la Manche (ACM) et autres c/ société Océanique de pêche et d''armement (SOPAR) et autres (N° Lexbase : A3713AHY), Bull. civ. IV, n° 108 ; Cass. com., 17 novembre 1992, n° 91-12.223, Société Allemand et Cie c/ Compagnie Le Continent (N° Lexbase : A4821AB8), Bull. civ. IV, n° 366.
(4) Cass. civ. 1, 18 janvier 1984, n° 82-15.103, Centre départemental du Loto (N° Lexbase : A0333AAL), Bull. civ. I, n° 27, JCP éd. G, 1985, II, 20372, note J. Mouly, RTDCiv. 1984, p. 727, obs. J. Huet ; Cass. com., 9 mai 1990, n° 88-17.687, Société Office d'annonces c/ M. Leroux (N° Lexbase : A3982AHX), Bull. civ. IV, n° 142, RTDCiv. 1990, p. 666, obs. P. Jourdain ; Cass. civ. 1, 30 novembre 2004, n° 01-13.110, Société France Télécom c/ M. Bernard Brousse, F-P+B (N° Lexbase : A1143DE3), Bull. civ. I, n° 295 ; comp. Cass. civ. 1, 2 décembre 1997, n° 95-21.907, Union des Assurances de Paris (UAP) et autre c/ Monsieur Baudin (N° Lexbase : A0795ACG), Bull. civ. I, n° 349, D. 1998, Somm. p. 200, obs. D. Mazeaud, pour le cas du non-respect d'une clause constituant une "condition substantielle" du contrat, bien que l'obligation transgressée n'ait pas été essentielle.
(5) Ch. Larroumet, Droit civil, Les obligations, Le contrat, Economica, 2003, n° 625.
(6) Cass. mixte, 22 avril 2005, deux arrêts, n° 02-18.326, Chronopost SA c/ KA France SARL (N° Lexbase : A0025DIR) et n° 03-14.112, SCPA Dubosc et Landowski c/ Chronopost SA (N° Lexbase : A0026DIS), Bull. civ. n° 4, D. 2005, p. 1864, note J.-P. Tosi, JCP éd. G, 2005, II, 10066, note G. Loiseau, RDC 2005, p. 673, obs. D. Mazeaud, ibid. p. 753, obs. Ph. Delebecque, RTDCiv. 2005, p. 604, obs. P. Jourdain.
(7) Sur la portée générale à donner à ces arrêts, voir not. P. Jourdain, obs. préc.
(8) Cass. com., 21 février 2006, n° 04-20.139, Société Chronopost, venant aux droits de la société SFMI c/ Société Etablissements Banchereau, F-P+B (N° Lexbase : A1807DNA) et nos obs., La Chambre commerciale de la Cour de cassation confirme le recul de l'objectivation de la faute lourde, Lexbase Hebdo n° 206 du 16 mars 2006 - édition affaires (N° Lexbase : N5618AKB), et Cass. com., 13 juin 2006, n° 05-12.619, Société Chronopost, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A9281DPG).
(9) Cass. com., 22 octobre 1996, n° 93-18.632, Société Banchereau c/ Société Chronopost (N° Lexbase : A2343ABE), Les grands arrêts de la jurisprudence civile, Dalloz, 11ème éd. par F. Terré et Y. Lequette, p. 77 et s., et les références citées.
(10) D. Mazeaud, Rép. Defrénois 1997, art. 36516, p. 333.
(11) Cass. com., 9 juillet 2002, n° 99-12.554, Société Chronopost c/ Société Banchereau, FP-P (N° Lexbase : A0766AZE), Bull. civ. IV, n° 121, D. 2002, Somm. p. 2836, obs. Ph. Delebecque, D. 2003, Somm. p. 457, obs. D. Mazeaud.
(12) Cass. com., 17 juillet 2001, n° 98-15.678, Société Securinfor c/ Société AC Timer (N° Lexbase : A2026AUL), JCP éd. G, 2002, I, 148, n° 17, obs. G. Loiseau.
(13) Cass. com., 30 mai 2006, n° 04-14.974, Société JMB International c/ Société Chronopost, F-P+B+I+R (N° Lexbase : A7228DPE).
(14) Voir not., en dernier lieu, J. Ghestin, Cause de l'engagement et validité du contrat, LGDJ, 2006, n° 265 et s.
(15) Ph. Delebecque, Les clauses allégeant les obligations dans les contrats, th. préc. ; Ph. Jestaz, L'obligation et la sanction : à la recherche de l'obligation fondamentale, Mél. Raynaud, Dalloz-Sirey, 1985, p. 273 ; R. Sefton-Green, La notion d'obligation fondamentale : comparaisons franco-anglaises, th. Paris I, 1997 ; M.-E. Ancel, La prestation caractéristique du contrat, th. Paris I, 2000.
(16) Pothier, Traité des obligations, 1ère partie, n° 6 et s.
(17) P. Durand, Des conventions d'irresponsabilité, th. préc., n° 85 et s.
(18) Ph. Delebecque, op. cit., n° 173.
(19) Cass. civ. 1, 23 février 1994, n° 92-11.378, Société montpelliéraine des transports urbains c/ Mme Broquerie et autres (N° Lexbase : A6058AHT), Bull. civ. I, n° 76, D. 1994, p. 214, note N. Dion, JCP éd. G, 1994, I, 3809, obs. G. Viney, RTDCiv. 1994, p. 616, obs. P. Jourdain.
(20) Ph. Delebecque, op. cit., n° 159 à 177, et, du même auteur, D. 1997, Somm. p. 175.
(21) D. Mazeaud, obs. préc..

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Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Justifications des inégalités salariales et date d'embauche des salariés

Réf. : Cass. soc., 21 février 2007, n° 05-43.136, Association patronage de l'Institut régional des jeunes sourds et aveugles de Marseille, Irsam Les Hirondelles, FS-P+B (N° Lexbase : A2978DUT)

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N1031BAG

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010


Dans un arrêt en date du 21 février 2007, la Chambre sociale de la Cour de cassation confirme de manière explicite sa jurisprudence antérieure concernant la justification des atteintes conventionnelles au principe "à travail égal, salaire égal", fondées sur la différence de date d'embauche des salariés. Si, en principe, la seule circonstance que les salariés aient été engagés avant ou après l'entrée en vigueur d'un accord collectif ne saurait suffire à justifier des différences de traitement entre eux (1), il en va différemment si cet accord collectif a pour objet de compenser un préjudice subi par les salariés présents dans l'entreprise lors de son entrée en vigueur (2).
Résumé

Au regard du respect du principe "à travail égal, salaire égal", la seule circonstance que les salariés aient été engagés avant ou après l'entrée en vigueur d'un accord collectif ne saurait suffire à justifier des différences de traitement entre eux, pour autant que cet accord collectif n'a pas pour objet de compenser un préjudice subi par les salariés présents dans l'entreprise lors de son entrée en vigueur.

Décision

Cass. soc., 21 février 2007, n° 05-43.136, Association patronage de l'Institut régional des jeunes sourds et aveugles de Marseille, Irsam Les Hirondelles, FS-P+B (N° Lexbase : A2978DUT)

Rejet (CA Aix-en-Provence, 28 avril 2005)

Principe concerné : principe "à travail égal, salaire égal"

Mots-clef : rémunération ; principe "à travail égal, salaire égal" ; différence de traitement ; justification ; date d'embauche ; compensation d'un préjudice.

Lien base :

Faits

1. Mme France Chabalier a été engagée par l'association patronage de l'Institut des jeunes sourds et aveugles de Marseille (Irsam Les Hirondelles), le 15 octobre 1991, en tant que surveillante de nuit.

2. Elle a saisi la juridiction prud'homale de demandes de reconnaissance de sa qualification et, en conséquence, de paiement d'un rappel de salaire ainsi que de dommages-intérêts pour "mauvaise application" de l'avenant n° 250 du 11 juillet 1994 à la convention collective nationale des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966 .

Solution

1. "Au regard du respect du principe 'à travail égal, salaire égal', la seule circonstance que les salariés aient été engagés avant ou après l'entrée en vigueur d'un accord collectif ne saurait suffire à justifier des différences de traitement entre eux, pour autant que cet accord collectif n'a pas pour objet de compenser un préjudice subi par les salariés présents dans l'entreprise lors de son entrée en vigueur".

2. "La cour d'appel a constaté qu'un salarié engagé après le 11 juillet 1994, date d'entrée en vigueur de l'avenant n° 250 à la convention collective nationale du 15 mars 1966, exerçant les mêmes fonctions que Mme Chabalier et bénéficiant de la même ancienneté dans le poste, obtenait un coefficient supérieur à celui de la salariée, engagée avant cette date, sans qu'aucune justification ne soit donnée à cette différence de traitement autre que l'application de l'avenant n° 250, d'où il résulte que la salariée doit bénéficier, en application du principe 'à travail égal, salaire égal', du coefficient attribué aux salariés engagés après la date d'entrée en vigueur de l'avenant n° 250 et placés dans une situation identique".

3. "Le moyen n'est pas fondé". "Par ces motifs : rejette le pourvoi ; condamne l'Irsam aux dépens ; vu l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L2976ADL), rejette la demande".

Commentaire

1. L'indifférence de la date d'embauche

  • Les principes de la jurisprudence "Ponsolle"

L'arrêt "Ponsolle" (Cass. soc., 29 octobre 1996, n° 92-43.680, Société Delzongle c/ Mme Ponsolle, publié N° Lexbase : A9564AAH), qui a fixé les termes de la jurisprudence relative au principe "à travail égal, salaire égal", avait pris la peine de préciser que le droit des salariés à une même rémunération ne valait que pour autant qu'ils se trouvaient dans une situation identique, et les solutions rendues depuis ont permis de mieux cerner cette notion.

  • Les seuils conventionnels et la réponse jurisprudentielle

De nombreuses conventions collectives réservent certains avantages aux salariés en poste au jour de son entrée en vigueur, créant ainsi une différence de traitement avec les nouveaux embauchés, comme c'était le cas dans cette affaire et de nombreux contentieux.

La cour d'appel de Paris avait déjà eu l'occasion d'affirmer très clairement que, "en tout état de cause, la disparité de situation suivant que les salariés occupaient ou non leurs fonctions à compter d'une date donnée n'est pas de nature à justifier une différence de traitement entre salariés effectuant un même travail ou un travail de valeur égale".

Dans deux décisions non publiées rendues en 2003 (Cass. soc., 4 mars 2003, n° 01-46.219, Union départementale des associations familiales (Udaf) de l'Yonne c/ M. Pascal Felut, FS-D N° Lexbase : A3779A74 ; Cass. soc., 4 mars 2003, n° 01-46.220, Union départementale des associations familiales (Udaf) de l'Yonne c/ M. Michel Durak, FS-D N° Lexbase : A3780A77), la Chambre sociale de la Cour de cassation avait retenu une analyse comparable en rejetant le pourvoi dirigé contre une cour d'appel qui avait condamné un employeur, après avoir "constaté qu'en fonction de la seule date de leur engagement, les salariés qui se trouvaient dans la même situation et qui exerçaient la même fonction ne percevaient pas la même rémunération", la Cour ayant d'ailleurs indiqué, à cette occasion, que la juridiction avait ainsi "légalement justifié sa décision".

  • La confirmation du rejet d'une logique de justification purement formelle

Cet arrêt rendu le 21 février 2007 confirme donc cette jurisprudence, de la manière la plus explicite qui soit, en affirmant que "la seule circonstance que les salariés aient été engagés avant ou après l'entrée en vigueur d'un accord collectif ne saurait suffire à justifier des différences de traitement entre eux". La Cour de cassation entend, par conséquent, s'éloigner d'une logique purement formelle où des arguments exclusivement juridiques seraient de nature à justifier une différence de traitement.

Cette solution s'inscrit donc dans la même perspective que la modification de la jurisprudence "EDF/GDF" (Cass. soc., 5 mai 1998, n° 96-13.498, Conseil supérieur consultatif des comités mixtes à la production et c/ Electricité de France (EDF) et autres, publié N° Lexbase : A2677AC7), concernant le rattachement des salariés à des accords d'établissements distincts. On se rappellera, en effet, que la Cour de cassation, tout en confirmant la solution admise en 1999, avait précisé que la justification était admise "compte tenu de leurs caractéristiques", suggérant ainsi que la seule existence d'accords collectifs distincts pourrait ne pas suffire à justifier une différence de traitement, à défaut d'autres éléments tenant aux spécificités de l'établissement.

Cette exigence d'éléments concrets, tangibles, susceptibles de justifier une différence de rémunération, nous semble bienvenue. La mise en oeuvre du principe d'égalité salariale vise, en effet, à rétablir l'égalité réelle entre les salariés placés dans une même situation professionnelle : il paraîtrait, dès lors, contraire à l'objectif même poursuivi par la jurisprudence d'admettre des justifications purement formelles et détachées de toute analyse des situations concrètes dans lesquelles sont placés les salariés.

2. La différence fondée sur la volonté de compenser un préjudice subi par les salariés présents dans l'entreprise lors de son entrée en vigueur

  • Les justifications révélées par la différence de date d'embauche

Si la seule considération de la date d'embauche ne saurait suffire à justifier une différence de traitement, d'autres éléments révélés par la date d'embauche peuvent être valablement pris en compte.

C'est, en premier lieu, à l'ancienneté des salariés que l'on pensera et qui constitue un élément classique de justification. Cette différence est admise depuis l'arrêt "Ponsolle" lui-même, pour autant qu'elle n'ait pas déjà été prise en compte par le versement d'une prime spécifique.

La Cour de cassation a, également, pris en compte l'application de l'article L. 132-8 du Code du travail (N° Lexbase : L5688ACN) qui garantit aux salariés le maintien des avantages individuels acquis lorsque l'accord d'entreprise est mis en cause à la suite de la fusion de leur entreprise.

  • La volonté de garantir le maintien du niveau de rémunération des salariés

D'autres justifications ont, par la suite, été admises, comme la volonté d'éviter la baisse de rémunération consécutive à l'abaissement de la durée légale ou conventionnelle de travail applicable dans l'entreprise, de compenser sur le plan individuel l'éventuelle réduction de la rémunération liée à la modification de la structure collective de la rémunération ou à la redéfinition des attributions des salariés.

  • La confirmation de la jurisprudence antérieure

C'est bien dans le cadre de cette jurisprudence que s'inscrit cet arrêt où la Chambre sociale de la Cour de cassation affirme, après avoir posé le principe selon lequel "la seule circonstance que les salariés aient été engagés avant ou après l'entrée en vigueur d'un accord collectif ne saurait suffire à justifier des différences de traitement entre eux" qu'il en va différemment lorsque "cet accord collectif [...] a [...] pour objet de compenser un préjudice subi par les salariés présents dans l'entreprise lors de son entrée en vigueur". Ce préjudice constitue, bien entendu, une perte ou un manque à gagner salarial, comme cela a été déjà admis à l'occasion de la réduction de la durée du travail ou de l'abandon de modes de rémunération au rendement.

  • Portée de la formule

Il ne faudrait, toutefois, pas se méprendre sur la portée de la formule et penser que, désormais, seule la volonté de compenser un préjudice salarial serait de nature à justifier la différence de traitement introduite par une convention collective entre salariés selon leur date d'embauche. L'ancienneté dans l'entreprise, qui dépend par nature de la date d'embauche, continuera de justifier une différence de traitement, pour l'essentiel, d'ailleurs, par le biais de l'attribution de primes ou d'avantages salariaux.

  • Valeur de la jurisprudence

Il n'y a rien à redire à tout cela. Certes, l'employeur n'est plus véritablement le seul juge de la rémunération versée à ses salariés, mais la liste des justifications admises est longue. L'application du principe "à travail égal, salaire égal", vise d'ailleurs moins à limiter les facultés d'individualisation de rémunération qu'à contraindre l'employeur à plus de transparence et d'objectivité. Pourra-t-on s'en plaindre ?

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