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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction
Le 27 Mars 2014
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N4415AL4
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par Guy de Foresta, Avocat au Barreau de Lyon, Consultant auprès du cabinet Bignon, Lebray & Associés
Le 07 Octobre 2010
Il s'agit, ainsi, de réduire la dépendance du groupe envers les banques pour diminuer les frais financiers et peser davantage dans les négociations avec elles.
La convention organise une centralisation de la trésorerie à un degré plus ou moins poussé et intégré, selon les options retenues en matière, plus particulièrement, de rôle dévolu à la société centralisatrice dite aussi "société pivot", de gestion des comptes de chaque filiale, de nombre de banques intervenantes (cf. pour plus de détails, MM. Hallouin et Bouteillier, art. préc.).
Ces "pools de trésorerie" ou "prêts inter-groupe" sont expressément autorisés par les dispositions de l'article L. 511-7 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L6371DIS) qui permettent à une entreprise de "procéder à des opérations de trésorerie avec des sociétés ayant avec elle, directement ou indirectement, des liens de capital conférant à l'une des entreprises liées un pouvoir de contrôle effectif sur les autres".
Cette dérogation au monopole des établissements de crédit qui concerne des opérations variées (prêts, avances en compte courant, crédit cautionnement, mobilisation de créance...), quelles que soient leurs durées, nécessite une relation de capital entre les sociétés concernées avec "un pouvoir de contrôle effectif" de l'une d'elles.
Si aucun seuil précis de détention n'est requis, en revanche, une société échappant au contrôle effectif ne peut être partie à la convention.
Entre les sociétés parties, contrôlées et contrôlantes, la circulation des flux de trésorerie est déterminée librement, la société pivot pouvant être plus ou moins impliquée dans la gestion des flux de trésorerie.
Ces conventions sont, en principe, des conventions libres et ne sont considérées comme réglementées au sens des dispositions des articles L. 225-38 ([LXB=L5909AIP ]) et L. 225-86 (N° Lexbase : L5957AIH) du Code de commerce que si elles ne sont pas conclues à des conditions normales, compte tenu des montants en cause, des possibilités financières de la société prêteuse, et des taux pratiqués (CA Versailles, ch. com. réunies, 2 avril 2002, n° 00/03930, Société Clos du Prieuré c/ Me Souchon N° Lexbase : A3692A4I, Bull. CNCC septembre 1990, p. 289 ; et pour une opinion contraire, voir Lamy, Sociétés commerciales, éd. 2006, n° 2004).
Elles sont nécessairement le lieu où s'affrontent des intérêts distincts, voire opposés entre sociétés contrôlantes et sociétés contrôlées, partie emprunteuse et partie prêteuse, actionnaires majoritaires et actionnaires minoritaires, intérêt social et intérêt du groupe, holding de reprise et société cible...
C'est la raison pour laquelle tant leur fonctionnement sur la durée que leur mise en place initiale, à l'occasion d'opération de LBO particulièrement, doivent éviter de rompre les délicats équilibres à maintenir en permanence au sein d'un groupe.
Et ce, d'autant que les possibles déséquilibres sont susceptibles d'engager la responsabilité civile, voire pénale, de leurs auteurs selon des qualifications juridiques progressives allant du plus général vers le particulier : l'abus de majorité (I), l'abus de pouvoirs et de biens sociaux (II), l'interdiction de l'article L. 225-216 du Code de commerce (N° Lexbase : L8274GQI) (III).
I - Abus de majorité
C'est d'abord du fait des actionnaires majoritaires que pourront naître des déséquilibres dans une convention de trésorerie, pour autant qu'elle relèverait de décisions prises sans égard pour l'intérêt social et dans le but d'avantager les majoritaires au détriment des minoritaires (cf. Cass. com., 18 avril 1961, n° 59-11.394, Société des anciens Etablissements Picard et Durey-Sohy et autres c/ Paul Schumann et autres N° Lexbase : A2561AUE, Bull. civ., IV, n° 175 ; D. 1961, jurisp. p. 661, S. 1961, p. 257, note Dalsace).
Il a, en effet, été jugé que l'abus de majorité pouvait être le fait de décision des dirigeants sociaux, et non de la seule assemblée générale, lorsque ces derniers, par ailleurs, majoritaires, disposent du fait du contrôle effectif de la société (cf. affaire "Delattre-Levivier" analysée ci-après).
Tel serait manifestement le cas si, au vu de leur analyse globale et de leur succession, les flux de trésorerie profitaient aux majoritaires au détriment des minoritaires, sur la base de prélèvements excessifs du holding sur la trésorerie de la filiale, insuffisamment rémunérés par le premier (cf. pour des exemples concrets, Cass. com., 21 octobre 1974, n° 73-12.937, Leijbus dit Frydman, de Beaumais, Jullien, Richer, Nougue c/ Consorts Canthelou N° Lexbase : A6998AGB, RJ com. 1975, p. 387, note Chartier ; Cass. com., 12 novembre 1973, n° 72-12.881, Dame Grassion c/ Société Pierre Lacure et Cie, Consorts Lacure, Varaigne, Védrine N° Lexbase : A6935AGX, Bull. civ. IV, n° 322, p. 287 ; et Cass. com., 29 mai 1972, n° 71-11.739, SA Ets Pernot c/ Epoux Krucker, époux Guerry et époux Peltier N° Lexbase : A6784AGD, JCP éd. G 1973, II, n° 17337, note Guyon)
Pour autant que la société comporte des minoritaires, ceux-ci pourraient user de leur droit d'action à l'encontre des majoritaires et engager leur responsabilité civile tout en demandant l'annulation de l'acte abusif.
II - Abus de pouvoirs, abus de biens sociaux
A défaut de l'existence de minoritaires, susceptibles de demander réparation de leur préjudice d'actionnaires lésés, les mêmes types d'abus relatifs à une convention de trésorerie pourraient être qualifiés, dans la personne des dirigeants sociaux et/ou administrateurs, d'abus de pouvoirs ou d'abus de biens ou du crédit de la société, prévus et réprimés par les dispositions des articles L. 241-3 (N° Lexbase : L6408AI8) et L. 242-6 3° et 4° (N° Lexbase : L6420AIM) du Code de commerce.
Du fait de son caractère plus général, le seul délit d'abus de pouvoir n'est pas venu sanctionner, en jurisprudence, des abus relatifs à des opérations de trésorerie (alors qu'il a, en revanche, été retenu en cas de "fusion rapide", cf. note J. Paillusseau, citée ci-après), ces derniers étant habituellement qualifiés d'abus de bien sociaux.
Dans le contexte d'un groupe, il s'agira de savoir si "l'intérêt du groupe" peut être pris en compte pour rendre la décision conforme à "l'intérêt social" et éviter, ainsi, cette qualification pénale.
La jurisprudence de la Chambre criminelle de la Cour de Cassation a dégagé trois conditions cumulatives (cf. Cass. crim., 4 février 1985, n° 84-91.581, Rozenblum, Allouche N° Lexbase : A3881AGT, D. 1985, p. 478, note Ohl ; et Cass. crim., 13 février 1989, n° 88-81.218, Duval Victor N° Lexbase : A4183AGZ, Rev. Sociétés 1989, p. 692, note Bouloc) :
- les deux sociétés doivent appartenir au même groupe, ce qui suppose l'existence de liens structurels entre les sociétés membres du groupe et la mise en oeuvre d'une stratégie commune en vue de la réalisation d'un objectif commun (cf. Cass. crim., 23 avril 1991, n° 90-81.444, Broche Daniel N° Lexbase : A3369ACR, Bull. crim. n° 193 ; et Cass. crim., 24 juin 1991, n° 90-86.584, Sibaud Fernand N° Lexbase : A6917AYT, RJDA 11/91, n° 926) ;
- l'opération doit être dictée par un intérêt économique, social ou financier commun, apprécié au regard d'une politique élaborée pour l'ensemble du groupe (cf. Cass. crim., 2 juillet 1998, n° 97-81.268, Henri Didier N° Lexbase : A8968AGA, RJDA 1/ 99, n° 352) ;
- le concours financier ne doit pas être dépourvu de contrepartie ou rompre l'équilibre entre les engagements respectifs des diverses sociétés concernées, ni excéder les possibilités financières de celle qui en supporte la charge.
Des condamnations ont pu intervenir lorsque les trois critères n'ont pas été réunis.
A été condamné pour abus de biens sociaux le président de deux sociétés mère et filiale en raison d'avances de trésorerie consenties par la première à la seconde, dès lors que la société mère, soumise par la suite à une procédure de redressement judiciaire, avait accordé sans contrepartie une aide financière dépassant ses possibilités et donc contraire à son intérêt (Cass. crim., 18 janvier 1993, n° 92-80.153, Viel Jacques N° Lexbase : A2481AGY, RJDA 6/93 n° 515).
Dans l'affaire "SIFB-Delattre-Levivier" (Cass. crim., 10 juillet 1995, n° 94-82.665, Pendaries Jacques et autres N° Lexbase : A8822ABD, JCP éd. E 1996, II, 780 n° 6, p. 32 note J. Paillusseau ; et RJDA 1996, n° 5, p. 432, note H. Le Nabasque) où convergeait un ensemble de procédés pour transférer les fonds de la cible vers le holding (convention de trésorerie, convention d'assistance, convention de sous-location de locaux de la cible et gestion d'un compte bancaire suisse de la cible, et fusion), la qualification d'abus de biens et du crédit de la société cible a pu être retenue en ce qui concerne la convention de trésorerie, sur les bases suivantes : l'expert, ayant relevé la réalité d'un groupe de sociétés, (unité de direction et complémentarité d'activités) a, par contre, relevé que les sacrifices consentis par la cible :
- n'avaient pas été faits dans l'intérêt du groupe, mais seulement pour permettre au holding d'acquérir les actions de la cible ;
- qu'ils présentaient des risques trop importants compte tenu de la fragilité financière du holding, dont l'endettement dépassait 82 millions de francs (12 500 819 euros) en 1988 ;
- qu'ils avaient empêché la cible de procéder aux investissements nécessaires, qui ont considérablement diminué pendant cette période, et que les résultats s'en sont trouvés obérés ;
- qu'ils étaient dépourvus d'une contrepartie suffisante, les intérêts servis étant inférieurs au taux de base bancaire ainsi qu'aux intérêts versés par le holding à la banque.
III - L'interdiction pour une société d'avancer des fonds en vue de l'acquisition de ses propres actions
Sur la base d'un texte encore plus précis, qui a transposé en 1981 la deuxième Directive européenne du 13 décembre 1976 (Directive 77/91, du 13 décembre 1976, tendant à coordonner pour les rendre équivalentes les garanties qui sont exigées dans les Etats membres des sociétés au sens de l'article 58 deuxième alinéa du Traité, en vue de la protection des intérêts tant des associés que des tiers, en ce qui concerne la constitution de la société anonyme ainsi que le maintien et les modifications de son capital N° Lexbase : L9266AUQ), la mise en place d'une centralisation de trésorerie peut se heurter à l'interdiction générale formulée par les dispositions de l'article L. 225-216 du Code de commerce : "Une société ne peut avancer des fonds, accorder des prêts ou consentir une sûreté en vue de la souscription ou de l'achat de ses propres actions par un tiers".
La violation de ces dispositions impératives expose leurs auteurs dirigeants à une amende de 9 000 euros (cf. articles L. 248-1 N° Lexbase : L4009HB4 et L. 242-24, al. 3 N° Lexbase : L6438AIB du Code de commerce) et à l'annulation de la mesure accordée illicitement.
Le champ d'application de ces dispositions, réservées aux sociétés par actions, doit être bien précisé puisque le second alinéa de l'article L. 225-216 du Code de commerce précise qu'elles ne s'appliquent :
- ni aux opérations courantes des entreprises de crédit,
- ni aux opérations effectuées en vue de l'acquisition par les salariés d'actions de la société, d'une de ses filiales ou d'une société comprise dans le champ d'un plan d'épargne de groupe prévu à l'article L. 444-3 du Code du travail (N° Lexbase : L6526ACP).
L'objectif de cette interdiction, qui s'applique aux achats et souscriptions effectués par des personnes étrangères à la société mais aussi à ses actionnaires (holding de contrôle), est d'éviter qu'une société n'engage son actif pour des opérations portant sur son capital.
Il s'agit de protéger le capital social, l'interdiction des avances étant le prolongement de l'interdiction pour une société de racheter ses propres actions.
Elles traduisent un principe fondamental du droit des sociétés selon lequel la responsabilité des actionnaires et associés n'est engagée qu'à hauteur de leurs apports en capital, ce qui implique que les créanciers de la société et les tiers n'ont pour gage que les actifs de la société.
Dans des opérations de LBO deux logiques s'affrontent nécessairement : celle de l'opération de rachat qui vise à permettre au holding de reprise de financer son acquisition grâce aux fonds provenant de la société cible et la logique de cette dernière, comme de toute autre société, qui vise à la protection de l'entreprise et de son patrimoine pour une bonne sauvegarde des intérêts qu'elle supporte, en particulier, créanciers, tiers, personnel, minoritaires... (cf. les développements à ce sujet dans la note de Paillusseau précitée, chapitre "Le conflit entre la logique des LBO et celle de la construction sociétaire").
Cela dit, en pratique, l'intérêt exclusif du holding actionnaire majoritaire et celui de la société d'exploitation qu'il détient, non seulement, ne sont pas antagonistes, mais convergent souvent au contraire, puisqu'au-delà de la seule phase de rachat, le majoritaire aura toujours intérêt, en termes strictement patrimoniaux, à disposer d'une société fortement valorisée et capable de distributions.
Les dispositions de l'article L. 225-216 du Code de commerce, comme celles de l'article L. 242-6 3° et 4°, sanctionnent pénalement les écarts trop marqués à cet équilibre délicat, qu'une entreprise doit s'efforcer d'assurer en permanence.
Et, de fait, des "avances", "prêts" et "sûretés" comportent le risque, en cas de défaillance de la société bénéficiaire des fonds, accordant une sûreté, d'exposer la société rachetée à supporter le poids de son acquisition.
Si ces fonds sont normalement remboursés et si les garanties ne sont pas mises en jeu, le risque disparaît et la société a pu, au contraire, dégager un produit financier en facturant à l'emprunteuse l'excédent de trésorerie mis à disposition, qu'une banque ne lui aurait pas rémunéré.
La voie normale et licite pour que la société holding finance ses dettes bancaires est la remontée de dividendes versés par la société cible, voire une réduction ou un amortissement régulier du capital social (cf. sur ce sujet, A. Viandier, L'article 217-9 et les rachats d'entreprise, JCP éd. E 1990, II, n° 15821 ; H. Le Nabasque, A propos de l'article 217-9 de la loi du 24 juillet 1966, JCP éd. E 1992, I, n° 107 ; Bull. CNCC 1993, n° 89, p.147 ; note J. Paillusseau préc.).
En pratique, et à l'occasion d'opération de LBO, domaine visé par les dispositions de l'article L. 225-216 qui vise "l'achat d'actions", la mise en place d'une convention de trésorerie pourra être susceptible de relever de la prohibition posée par cet article tout en s'inscrivant, néanmoins, dans une démarche licite et régulière de distribution de dividendes.
Prenons l'exemple classique d'une société holding de reprise constituée pour acquérir une société cible en deuxième partie de l'exercice social N de celle-ci, ayant eu recours à des emprunts bancaires, toutes les deux ayant exercé l'option pour l'intégration fiscale à compter de l'exercice N+1.
Bien souvent les remboursements d'emprunt arriveront à échéance dès l'exercice N, alors que les premiers dividendes ne pourront être mis en paiement qu'à compter de la seconde moitié de l'exercice N+1.
De plus, ces distributions en N+1 seront susceptibles d'entraîner une déperdition fiscale dans la mesure où la loi de finances pour 2006 (loi n° 2005-1719, du 30 décembre 2005, art. 112 N° Lexbase : L6429HET) a prévu que, désormais, la quote-part de frais et charges de 5 % sur dividende versés à l'intérieur du groupe (en application du régime fiscal des sociétés mères et filiales) ne serait plus neutralisée au niveau du résultat d'ensemble au cours du premier exercice d'appartenance au périmètre d'intégration, mais serait donc imposable au niveau du résultat d'ensemble pour ce premier exercice (et non plus, comme dans le régime antérieur à cette loi, lors de la sortie du groupe).
Certes, les acomptes sur dividendes prélevés sur le résultat de l'exercice N+1 et servis au cours de cet exercice échappent à cette imposition (CGI, art. 223 B N° Lexbase : L2659HNS).
Pour autant, et même indépendamment de ces considérations fiscales, les procédures d'acompte sur dividendes présentent une certaine lourdeur : nécessité d'établir un bilan intermédiaire, certifié par le commissaire aux comptes de la société, faisant apparaître un bénéfice distribuable au moins égal à celui des acomptes (C. com., art. L. 232-12, al. 2 N° Lexbase : L6292AIU).
Dans une telle situation et dans l'attente des premières remontées de dividendes en N+2, le recours à des avances de fonds accordées par la société cible contrôlée à la société holding contrôlante, dans le cadre de la convention de trésorerie mise en place au sein du groupe et relevant, par ailleurs, des objectifs d'optimisation de la trésorerie signalés plus haut, pourrait-il relever des avances de fonds proscrits par les dispositions de l'article L. 225-216 du Code de commerce ?
La réponse à cette question devrait passer par l'interprétation à donner aux termes "en vue", puisque l'interdiction vise les fonds avancés par la société "en vue de l'achat de ses propres actions".
L'élément intentionnel de l'infraction paraît fondamental dans ce texte, à l'instar de la "mauvaise foi" comme élément constitutif des délits d'abus des biens ou de crédit de la société et d'abus de pouvoir.
L'expression "en vue", impliquant un acte préalable à l'acquisition, certains auteurs avaient pu admettre la licéité d'opérations financières postérieures à l'acquisition, tout en réservant l'existence "d'accords préalables" ou le jeu d'une éventuelle fraude (cf. H. Le Nabasque, note préc.).
Il semble, à présent, admis que l'expression "en vue" ne signifie pas une antériorité chronologique de l'avance de fonds par rapport à l'achat des actions. En effet, la première question à régler dans le montage d'une opération complexe comme celle d'un LBO, qui forme un tout, est bien celle du financement, la date exacte de mise à disposition des fonds par la cible important peu, et il serait difficile d'admettre qu'un "prêt relais" puisse tourner la sanction légale (cf. Mémento F. Lefebvre, Sociétés commerciales, 2006, et note Paillusseau, préc.).
Ce qui doit primer c'est la véritable finalité de l'opération. Comme le souligne M. J. Paillusserau (cf. note préc.), "l'interprétation téléologique d'un texte a plus de sens que son interprétation littérale".
L'acquisition des actions est elle ou non la finalité réelle de l'avance des fonds ?
Même si la lettre du texte ne vise aucune exclusivité dans l'intention, il paraîtra difficile d'admettre, surtout dans un contexte pénal, que le lien de finalité puisse être distendu par trop d'éléments : postériorité de l'avance, intermédiation de la banque prêteuse, autres objectifs de la centralisation de trésorerie, réalité des dividendes...
Or, dans cet exemple, force est de constater que si l'avance de fonds participe certes au processus d'acquisition, le lien de finalité demeure bien indirect : l'opération de trésorerie autorisée par la convention, légitimée par ailleurs par ses propres objectifs d'optimisation, permet le remboursement des premières échéances bancaires, mais ce sont l'emprunt bancaire et les dividendes qui financent le rachat, l'avance de trésorerie ponctuelle devant être remboursée dès que possible par la première remontée de dividendes.
L'opération qui permet le rachat des actions, ce n'est pas tant la remontée de trésorerie, mais l'emprunt bancaire, celui-ci étant financé par la voie licite des distributions de dividendes. Ce n'est que leur possible décalage dans le temps qui conduira à une avance de trésorerie ponctuelle.
Dès lors qu'une distribution de dividendes régulière en prend rapidement le relais pour financer le remboursement des emprunts bancaires, pourra-t-on raisonnablement parler d'intention frauduleuse ?
Au-delà de l'élément matériel de l'avance de fonds, du prêt relais, visé par l'élément légal, certes constitué, l'intention réelle des dirigeants n'aura-t-elle pas tout simplement été d'éviter certaines contraintes fiscales et juridiques d'une remontée trop rapide des dividendes dont ils ont bien prévu, néanmoins, que c'est bien elle qui financerait l'acquisition ?
Lors de la mise en place et durant l'exécution d'une convention de trésorerie centralisée, les dirigeants et administrateurs, par ailleurs souvent actionnaires majoritaires, afin d'éviter de donner prise à une mise en cause de leur responsabilité civile voire pénale, devront s'attacher à faire application appliquer de manière adaptée à la situation de leur groupe des éléments pratiques suivants :
- fixation d'un taux d'intérêt de marché de préférence au moins égal au taux du prêt d'acquisition et au taux de base bancaire ;
- remontée des seuls excédents de trésorerie non nécessaires à l'exploitation courante et laissant à la société prêteuse les montants nécessaires au financement de ses besoins d'investissements et de développement ;
- remboursement rapide par voie de remontées de dividendes des avances consenties par une filiale dont les titres ont été acquis par la société emprunteuse ;
- existence de flux de trésorerie multilatéraux entre les différentes sociétés parties à la convention, non limités aux seules remontées vers la société contrôlante, par ailleurs endettée (même si c'est par la société contrôlante centralisatrice que doivent transiter tous les flux financiers) ;
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Réf. : Cass. com., 11 juillet 2006, n° 05-18.337, Autorité des marchés financiers, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A4628DQH), Cass. com., 11 juillet 2006, n° 05-18.528, M. Denis Emonard, FS-P+B+I+R (N° Lexbase : A5047DQY)
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N4457ALN
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Le 07 Octobre 2010
Une notification de griefs fût, alors, adressée par l'Autorité des marchés financiers (AMF) au dirigeant de la société C2D ainsi qu'à ses commissaires aux comptes, M. D., représentant la société CEAF, titulaire du mandat de commissaire aux comptes, et M. E., personne physique commissaire aux comptes qui avaient certifié les comptes de la société C2D pourtant inexacts.
Le 18 novembre 2004, la Commission des sanctions de l'AMF prononça une sanction pécuniaire à l'encontre du dirigeant de la société C2D ainsi qu'à l'encontre de messieurs D. et E. sur le fondement d'une violation des articles 2 et 3 du règlement COB n° 98-02 (N° Lexbase : L5552BH4), en vigueur à l'époque des faits, en énonçant que ces derniers avaient "à l'occasion de la publication et de la certification du bilan consolidé de C2D pour l'exercice 2000, trompé le public, surpris la confiance du marché et porté préjudice aux actionnaires" (6).
Les commissaires aux comptes formèrent alors un recours contre la décision de sanction devant la cour d'appel de Paris (7). Au soutien de leur recours, les commissaires aux comptes arguaient, en particulier, que la procédure de sanction devant l'AMF n'était pas applicable à leur encontre dans la mesure où les commissaires aux comptes ne sont pas des professionnels de marché visés aux a) et b) de l'article L. 621-15 II du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L6102HHH) qui détermine les personnes susceptibles d'être sanctionnées par l'AMF. M. D. contestait, en outre, la possibilité pour l'AMF de le sanctionner à titre personnel dès lors qu'il avait agi au nom de la société de commissaires aux comptes CEAF, seule titulaire du mandat.
La cour d'appel de Paris, dans un arrêt du 28 juin 2005, a annulé partiellement la décision de sanction rendue par l'AMF. Les juges ont, tout d'abord, rejeté le recours de M. E. en estimant que, contrairement à ce que prétendait le requérant, les commissaires aux comptes n'échappaient pas à la compétence de l'AMF en matière de procédure de sanction. La cour d'appel a, en revanche, fait droit à l'argumentation développée par M. D. en énonçant "qu'aucune sanction pécuniaire ne pouvait être, à titre personnel, prononcée à son encontre puisque le sujet de droit de la réglementation boursière, susceptible d'être concerné, ne pouvait être que le commissaire aux comptes, titulaire du mandat, soit la société CEAF, dont il est le préposé [....]", et a annulé, en conséquence, la sanction pécuniaire prononcée à l'encontre de M. D. (8).
Deux pourvois furent formés à l'encontre de cette décision, le premier (Cass. com., 11juillet 2006, n° 05-18.528) par M. E. sur le fondement d'une argumentation identique à celle qu'il avait développée en appel (à savoir, l'absence de pouvoir de sanction de l'AMF à l'égard des commissaires aux comptes) et le second (Cass. com., 11 juillet 2006, n° 05-18.337) par l'autorité de marché qui contestait l'impossibilité de prononcer une sanction à titre personnel à l'encontre de M. D., représentant de la société de commissaires aux comptes titulaire du mandat.
Le premier arrêt commenté rejette le pourvoi formé par M. E. et confirme la compétence de la commission des sanctions de l'AMF en cas de manquement à la bonne information du public commis par un commissaire aux comptes (I). Le second, en revanche, prononce la cassation partielle de la décision de la cour d'appel de Paris qui avait écarté la responsabilité personnelle de la personne physique agissant en qualité de représentant de la société de commissaires aux comptes titulaire du mandat, en affirmant un principe de cumul de responsabilités (II).
I - La confirmation de la compétence de la commission des sanctions de l'AMF en cas de manquement à la bonne information du public commis par un commissaire aux comptes
Pour la première fois, la compétence de la Commission des sanctions de l'AMF à l'encontre des commissaires aux comptes d'un émetteur en cas de manquement à la bonne information du public est affirmée par la Cour de cassation. Dans le premier de ces deux arrêts, la Cour énonce, en effet, qu'"il résulte de la combinaison des articles L. 621-14 (N° Lexbase : L8009HBA) et L. 621-15 du Code monétaire et financier et des articles 1er et 3 du règlement n° 98-07 de la commission des opérations de bourse, alors applicable, qu'une sanction pécuniaire peut être prononcée à l'encontre de toute personne ayant portée atteinte à la bonne information du public par la communication d'une information inexacte imprécise ou trompeuse ; que dès lors, c'est à bon droit que la Cour d'appel a retenue que M. X. n'était pas fondé à prétendre qu'il ne saurait en sa qualité de commissaire aux comptes, être poursuivi sur le fondement de ces textes [...]".
Cet arrêt s'inscrit dans le fil de la décision rendue en 1999 par la cour d'appel de Paris dans l'affaire "KPMG" qui avait rejeté le recours formé par une société de commissaires aux comptes qui soutenait que la COB n'était pas compétente pour prononcer une sanction pécuniaire à son encontre au titre d'un manquement à la bonne information du public. Dans cette affaire, la cour d'appel de Paris avait en effet indiqué que la COB n'avait pas excédé ses pouvoirs en sanctionnant une société de commissaires aux comptes au titre d'un manquement à la bonne information du public (9).
Cette solution, affirmée désormais au niveau de la Cour de cassation, si elle mérite d'être approuvée, n'était peut-être pas aussi évidente qu'il y parait à première vue. En effet, dans la mesure où le commissariat aux comptes est une profession réglementée, régie par des règles professionnelles qui lui sont propres (10) et soumise à ses propres instances disciplinaires (11), il pouvait être soutenu (et c'était bien l'argument des commissaires aux comptes poursuivis) que les commissaires aux comptes échappent, à ce titre, au pouvoir de sanction de l'autorité de marché.
Une telle argumentation repose, en réalité, sur une confusion entre le pouvoir de sanction disciplinaire et le pouvoir de sanction administrative (dont relève la communication ou la diffusion d'une fausse information) réunis au sein de l'AMF depuis la fusion entre le CMF et la COB en une autorité unique. En effet, s'il est vrai que le pouvoir de sanction disciplinaire de l'AMF prévu aux paragraphes a) et b) de l'article L. 621-15 II du Code monétaire et financier ne s'exerce qu'à l'encontre des professionnels de marché et des personnes physiques placées sous leur autorité et qu'il ne saurait être question d'étendre la compétence de l'AMF en matière de sanction disciplinaire à d'autres personnes, en revanche, le champ du pouvoir de sanction administrative de l'AMF est défini rationae materiae et non rationae personae. Ainsi, aux termes de l'article L. 621-15 II c), l'AMF est compétente pour sanctionner, au titre de son pouvoir de sanction administrative, "toute personne qui [...] s'est livrée ou a tenté de se livrer à une opération d'initié ou s'est livrée à une manipulation de cours, à la diffusion d'une fausse information, ou à tout autre manquement mentionné au premier alinéa du I de l'article L. 621-14 [...]" (souligné par nos soins).
S'agissant, en particulier, du manquement constitué par la communication d'une information inexacte, imprécise ou trompeuse, cette analyse est confirmée par l'article 3 du règlement COB n° 98-07 relatif à l'obligation d'information du public, applicable à l'époque des faits et aujourd'hui abrogé, également visé par la Cour de cassation dans les arrêts commentés, qui énonce que "constitue, pour toute personne, une atteinte à la bonne information du public la communication d'une information inexacte, imprécise ou trompeuse. Constitue également une atteinte à la bonne information du public sa diffusion faite sciemment", l'article 1er du règlement indiquant que "le terme personne' désigne une personne physique ou une personne morale".
Il convient de noter, à cet égard, que le principe affirmé par la Cour de cassation dans cette décision devrait s'appliquer à l'avenir malgré l'abrogation du règlement COB n° 98-07, dans la mesure où l'article 632-1 du règlement général de l'AMF , aujourd'hui applicable en matière de manquement à la bonne information du public, vise également "toute personne".
Ainsi, l'AMF était bien compétente pour prononcer une sanction pécuniaire, sur le fondement de son pouvoir de sanction administrative, à l'encontre des commissaires aux comptes de la société C2D qui avaient certifié des comptes inexacts dès lors qu'un manquement à l'obligation de communiquer une information exacte, précise et sincère était caractérisé, peu important par ailleurs que lesdits commissaires aux comptes échappent à son pouvoir de sanction disciplinaire.
II - L'affirmation du principe de cumul de la responsabilité de la société de commissaires aux comptes titulaire du mandat et de celle du commissaire aux comptes personne physique
L'intérêt du second arrêt commenté est d'affirmer nettement, en matière de manquement à la bonne information du public, le principe du cumul de la responsabilité de la société de commissaires aux comptes titulaire du mandat et de celle du commissaire aux comptes personne physique ayant agi en son nom.
La cour d'appel de Paris avait, en effet, annulé la sanction prononcée à titre personnel à l'encontre de M. D. en indiquant que "dans le cas où un mandat de commissaire aux comptes est confié à une société exerçant cette activité, chaque acte accompli par l'un des associés, actionnaires ou dirigeants, salariés ayant la qualité de commissaire aux comptes, l'est au nom et pour le compte de la société, seule titulaire du mandat, de sorte que les griefs articulés à l'encontre du requérant auraient dû l'être à l'égard de la société CEAF, en sa qualité de commissaire aux comptes de la société C2D [...]".
La responsabilité personnelle de M. D. devait-elle être écartée au seul motif qu'il avait agi pour le compte d'une société de commissaires aux comptes ?
Telle n'a pas été la solution retenue par la Cour de cassation qui casse la décision de la cour d'appel de Paris sur ce point pour violation de la loi en énonçant, dans un attendu de principe, au visa des articles L. 621-14 et L. 621-15 du Code monétaire et financier et des articles 1 et 3 du règlement COB n° 98-07 (N° Lexbase : L1720ASI), "[...] qu'il résulte de la combinaison de ces textes qu'une sanction pécuniaire peut être prononcée à l'encontre de toute personne physique ayant portée atteinte à la bonne information du public par la communication d'une information inexacte, imprécise ou trompeuse ; qu'il importe peu à cet égard que puisse également être sanctionnée à ce titre la personne morale au nom et pour le compte de laquelle cette personne physique a agi". Ainsi, le commissaire aux comptes personne physique peut voir sa responsabilité engagée devant la Commission des sanctions de l'AMF cumulativement ou alternativement avec la responsabilité de la société de commissaires aux comptes pour le compte de laquelle il a agi.
La solution adoptée par la Chambre commerciale de la Cour de cassation n'est pas surprenante. Elle présente une véritable cohérence par rapport aux solutions jurisprudentielles existantes. En effet, le principe de cumul de responsabilité en matière de sanction administrative devant le régulateur boursier avait déjà été affirmé s'agissant des dirigeants des émetteurs (12), la Cour de cassation étant, en outre, venue préciser que "le prononcé de sanctions pécuniaires [par l'autorité de marché] à l'encontre du dirigeant d'une personne morale n'est pas subordonné à la démonstration d'une faute séparable de ses fonctions dès lors que la Commission n'est pas saisie d'une action en responsabilité civile mais décide du bien-fondé d'une accusation en matière pénale au sens des dispositions de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L7558AIR)" (13).
La logique voulait que ces principes, dégagés à propos des dirigeants des émetteurs, soient transposés à la situation du commissaire aux comptes personne physique ayant agi pour le compte de la société de commissaires aux comptes. Les textes applicables prévoyant expressément que le manquement peut être caractérisé à l'encontre de toute personne, il était naturel de faire application du principe de cumul de responsabilité. Contrairement à ce que paraît penser un auteur (14), la jurisprudence, subordonnant à la démonstration d'une faute séparable le succès de l'action en responsabilité civile exercée à l'encontre du commissaire aux comptes personne physique qui a agi au nom et pour le compte de la personne morale titulaire du mandat de commissariat aux comptes (15), ne pouvait s'appliquer, en l'espèce, puisque précisément la procédure de sanction devant l'AMF ne constitue pas une action en responsabilité civile.
Tout au contraire, la procédure de sanction administrative devant l'AMF s'apparente, par son caractère répressif, à une accusation en matière pénale au sens des dispositions de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme (16), ce qui justifie que lui soient applicables des principes similaires à ceux qui régissent la matière pénale. Or, il existe bien un principe de cumul de la responsabilité pénale des personnes morales et des personnes physiques, énoncé à l'article 121-2 du Code pénal qui dispose que "la responsabilité pénale des personnes morales n'exclut pas celle des personnes physiques auteurs ou complices des mêmes faits [...]". La justification du cumul en matière de sanctions administratives prononcées par l'AMF est principalement la même que celle qui existe en matière pénale : afin d'assurer une répression efficace des infractions et des manquements, il convient d'éviter que la responsabilité de la personne morale ne constitue un écran permettant de masquer les responsabilités personnelles (17).
L'on peut, toutefois, s'interroger sur la portée exacte de cette décision. La Cour de cassation a-t-elle entendu affirmer un principe général de cumul de la responsabilité de la personne morale et de celle de la personne physique ayant agi pour son compte en matière de sanction administrative prononcée par l'AMF ou, à l'inverse, la solution ne vaut-elle que pour le cas particulier de la certification des comptes par une société de commissaires aux comptes ?
En effet, dans cet arrêt, la Cour de cassation censure une seconde fois la décision de la cour d'appel sur le fondement d'une violation des articles L. 225-218 (N° Lexbase : L6089AID) et L. 822-9 (N° Lexbase : L2655DHS) du Code de commerce applicables aux commissaires aux comptes en énonçant "[...] qu'en statuant ainsi, alors que le commissaire aux comptes certifiant les comptes au nom de la société de commissaires aux comptes dont il est membre agit en qualité d'associé, d'actionnaire ou de dirigeant de cette société et non en qualité de salarié de celle-ci, peu important qu'il soit lié à la société de commissaires aux comptes par un contrat de travail, la Cour d'appel a violé le texte susvisé" (souligné par nos soins).
Faut-il en déduire a contrario, hors le cas particulier des sociétés de commissaires aux comptes, pour lesquelles l'article L. 822-9 du Code de commerce prévoit expressément que "[...] les fonctions de commissaires aux comptes sont exercées, au nom de la société, par des commissaires aux comptes personnes physiques associés, actionnaires ou dirigeants de cette société", que le salarié qui aurait agi pour le compte de la personne morale employeur ne peut voir sa responsabilité engagée dans le cadre d'une procédure de sanction administrative devant l'AMF (18) ?
Bernard-Olivier Becker
Avocat à la Cour
Bredin Prat
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Réf. : Circulaire du 3 juillet 2006 relative aux conditions d'application du nouveau régime des aides des collectivités territoriales aux entreprises issu de la loi du 13 août 2004 et du décret du 27 mai 2005, NOR MCTB0600060C (N° Lexbase : L9071HSR)
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Le 07 Octobre 2010
La loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales confirme cette compétence de la région et l'étend aux prestations de service. Mais, si certains appelaient même à confier une véritable exclusivité aux régions sur toutes formes d'interventions en faveur des entreprises, et non sur certaines aides, la région n'est pas devenue le "chef de file" escompté. Il existe des moyens pour les autres collectivités territoriales de la contourner puisque la région ne fait que "coordonner sur son territoire les actions de développement économique" (loi n° 2004-809 du 13 août 2004, relative aux libertés et responsabilités locales, art. 1er N° Lexbase : L0835GT4).
La circulaire du 3 juillet 2006 a pour objectif d'apporter un certain nombre de précisions quant à cette dernière réforme. Elle présente les conditions d'application de la nouvelle réglementation issue du droit communautaire et de la loi du 13 août 2004 (I) et rappelle les obligations et les nouvelles possibilités liées à l'attribution des aides (II).
I. Une présentation des conditions d'application de la nouvelle réglementation des aides
La circulaire détaille en premier lieu le nouveau rôle de la région en matière d'aides locales (A) tout en clarifiant, en second lieu, les responsabilités de chacun, Etat et collectivités territoriales, encourues notamment au regard du droit communautaire (B).
A. La précision du rôle de la région
La circulaire rappelle que la compétence de la région en matière d'aide n'est pas totale, la région ne définit pas ou ne met pas en oeuvre, elle coordonne simplement sur son territoire la politique d'aide (6). A ce titre et pour que l'Etat puisse notamment remplir ces obligations au regard du droit communautaire (7), la région rédige un rapport recensant tous les régimes d'aides existants et les aides individuelles accordées.
Le rapport doit, notamment, évaluer "les conséquences économiques et sociales" des aides (CGCT, art. L. 1511-1, al. 3 N° Lexbase : L1817GUT) ce qui, dans la loi, représentait une disposition assez vague. Tout en précisant leur caractère indicatif, la circulaire donne alors quelques éléments de méthodologie touchant à cette évaluation. Elle souligne que les régions peuvent s'appuyer sur leurs dispositifs de comptabilité analytique pour définir, en amont, des objectifs, des critères quantifiés et des indicateurs de performance sachant qu'il faudrait privilégier ceux pouvant être renseignés annuellement et ceux pouvant être agrégés malgré la diversité des situations économiques et sociales des régions ou des politiques économiques menées dans les différents niveaux de collectivités. La circulaire mentionne, également, que pour permettre de faire le lien avec les politiques d'Etat, il est intéressant pour le rapport de faire ressortir les principales données disponibles sur un plan financier (8), sur un plan physique (9) et sur un plan socio-économique (10).
Toujours au titre de son rôle de coordination et en cas d'atteinte à son équilibre économique, la région est également susceptible d'organiser, de sa propre initiative ou sur saisine du représentant de l'Etat, une concertation locale sur ce déséquilibre (CGCT, art. L. 1511-1, dernier alinéa). Le législateur ne précise pas la nature ou la gravité des déséquilibres économiques susceptibles de créer cette concertation, la circulaire considère alors que sont avant tout concernées les situations de suppression ou de mise en danger de l'activité économique en fonction du nombre d'emplois touchés et non un déséquilibre économique d'ordre structurel dû, par exemple, à une disparité géographique. Il est à noter que cette faculté d'organisation d'un débat régional doit s'apprécier avant tout localement (11) dans une perspective d'identification préalable et concertée des moyens pouvant contribuer à la résolution des problèmes rencontrés (12).
B. La clarification des responsabilités encourues au regard du droit communautaire
Avant 2002, les collectivités locales n'avaient pas à appliquer directement les textes communautaires lors de la mise en oeuvre des dispositifs des aides directes, il suffisait de respecter le droit national (CGCT) pour satisfaire aux exigences du droit communautaire. Depuis la loi du 27 février 2002, c'est la région qui crée, par délibération, les différents régimes d'aides et qui précise les modalités de leur mise en oeuvre, il n'y a plus de définition par décret en Conseil d'Etat. Cet élargissement du champ de compétence fait que les collectivités locales doivent désormais s'assurer de la compatibilité avec le droit communautaire au moment de l'élaboration des délibérations instituant les régimes d'aide. La circulaire rappelle ainsi les conditions de conformité avec le droit communautaire : l'aide individuelle ou le régime d'aides spécifiques peut d'abord entrer dans des régimes notifiés et approuvés par la Commission européenne (13). Il peut aussi s'inscrire dans le cadre de l'application d'un règlement d'exemption de la Commission (14). Enfin, si l'aide en question ne rentre dans aucun des deux premiers cas, l'aide devra être notifiée de manière spécifique à la Commission et approuvée par celle-ci préalablement à sa mise ne oeuvre (15).
Si ce sont les collectivités territoriales ou leurs groupements qui mettent en oeuvre les aides ou les régimes d'aides, c'est l'Etat qui est responsable de la procédure de notification à la Commission européenne (CGCT, art. L. 1511-1-1, al. 1er N° Lexbase : L9257HD9). S'il y a absence de notification ou incompatibilité de l'aide avec le droit commun, les instances communautaires (Commission européenne et CJCE) peuvent enjoindre l'Etat de procéder, dans des délais fixes, à la récupération des aides mais ce sont les collectivités territoriales ou leurs groupements qui procèdent réellement à cette récupération, le représentant de l'Etat n'intervenant qu'à défaut (CGCT, art. L. 1511-1-1 al. 2nd). La circulaire précise qu'il incombe à l'ordonnateur de la collectivité territoriale ou de son groupement d'émettre le titre de recette nécessaire. A défaut, et après mise en demeure d'un mois, le représentant émet d'office l'état nécessaire au recouvrement qu'il adresse alors, en son nom, au comptable public pour prise en charge et à la collectivité pour inscription budgétaire et comptable. Les conséquences financières de la condamnation de l'Etat pour exécution tardive ou incomplète étant à la charge des collectivités territoriales au titre des dépenses obligatoires (CGCT, art. L. 1511-1-1, al. 1er).
Dans le cas du contrôle des règles des cumuls d'aide, la circulaire préconise l'instauration d'une procédure de déclaration préalable de l'entreprise des aides reçues et sollicitées. Celle-ci nécessitant de distinguer, pour chaque aide, la base juridique communautaire sur laquelle se fonde l'aide.
II. Le rappel des obligations et des nouvelles possibilités liées à l'attribution des aides
Tout en appliquant la nouvelle distinction et les nouvelles dénominations, la circulaire dresse une typologie des aides existantes et nouvelles tout en rappelant les obligations pesant sur les collectivités concernant les aides de droit commun (anciennes "aides directes") (A) et tout en soulignant les nouvelles possibilités offertes aux collectivités concernant les aides à l'immobilier d'entreprise (anciennes "aides indirectes") (B).
A. La présentation des obligations pesant sur les collectivités concernant les aides de droit commun
Le régime de ces aides a été modifié par la loi du 13 août 2004 en ce qui concerne, non seulement, la dénomination de ces aides, mais aussi, leur nature et les compétences des différents niveaux de collectivités territoriales pour les mettre en oeuvre. Le législateur simplifie considérablement les règles de compétences puisqu'il supprime purement et simplement les qualifications "directes" et "indirectes" du vocabulaire légal des aides locales. Cette distinction a été supprimée, d'une part, en raison des difficultés d'interprétation et de l'insécurité juridique existante et, d'autre part, de l'absence de pertinence de la distinction au regard des règles du droit communautaire.
La circulaire présente une typologie des aides de droit commun : subventions, bonifications d'intérêt, prêts et avances remboursables à taux nul ou à des conditions plus favorables que celles du taux moyen des obligations (16) auxquels la loi du 13 août 2004 rajoute, sans donner de définition précise, les aides qui prennent la forme de prestations de service (17). La circulaire rappelle aussi le principe de libre détermination du conseil régional des catégories "d'aides directes". Il n'y a plus de limitations, pour les aides prenant la forme de subventions, aux régimes de la prime régionale à l'emploi (PRE) et de la prime régionale à la création d'entreprises (PRCE) (18).
Un rappel est, également, effectué sur les dispositions que les collectivités doivent impérativement respecter comme, par exemple, la définition du régime des aides lors des délibérations ou la nécessité de respecter l'objectif de "création ou d'extension d'activités économiques" pour chaque nouveau régime d'aide.
Enfin, la circulaire évoque la particularité du contrôle de légalité sur les délibérations des collectivités qui interviennent dans le cadre de l'article L. 1511-2 du CGCT (N° Lexbase : L7908HBI). Sur le fond, la légalité doit s'apprécier, non seulement, au regard du droit interne, mais aussi, au regard du droit communautaire. Au regard du droit interne, le contrôle peut porter sur le respect des formes d'aides prévues ou le respect de la répartition des compétences entre les différents niveaux de collectivités territoriales (par exemple, aide octroyée avec absence de convention avec la région). Au regard du droit communautaire, certaines obligations communautaires ont été introduites dans le droit national (CGCT, art. L. 1511-1-1) et permettent de déclarer illégales, par exemple, les aides n'ayant pas respecté les règles édictées par les règlements d'exemption. De façon générale, le contrôle de légalité peut s'exercer sur les délibérations en contradiction avec l'obligation de notification des aides et régimes d'aides prévue à l'article 88 § 3 du Traité CE .
B. L'élargissement des modalités d'intervention des collectivités concernant les aides à l'immobilier d'entreprise
La circulaire détaille les modalités d'intervention des collectivités concernant les aides à l'immobilier d'entreprise. Le législateur prévoit, désormais, que les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent attribuer des aides sous forme de subventions, de rabais sur le prix de vente, de location ou de location-vente de terrains nus ou aménagés ou de bâtiments neufs ou rénovés (CGCT, art. L. 1511-3 N° Lexbase : L1820GUX). Il n'y a plus de référence à la catégorie des "aides indirectes" et notamment à la possibilité d'accorder des "aides indirectes libres".
Les principales modifications soulignées par la circulaire portent d'abord sur les modalités et formes d'attribution des aides et sur la nature des dépenses éligibles. En effet, les modalités d'attribution sont élargies puisque, désormais, les collectivités peuvent aider directement l'entreprise (ou un maître d'ouvrage) sans obligatoirement louer ou vendre un bien dont elles sont propriétaires. En revanche, l'aide implique obligatoirement l'établissement d'une convention entre la collectivité et l'entreprise (19). Cette convention constitue le support des engagements pris par l'entreprise en contrepartie de l'aide.
Concernant la typologie des aides à l'immobilier, s'ajoutent, désormais, aux rabais accordés sur les prix de vente ou de location de bâtiments, les aides qui prennent la forme de subventions aux entreprises pour la location, l'acquisition ou la construction de bâtiments sous leur propre maîtrise d'ouvrage. La circulaire précise également la mention faite, dans le nouvel article L. 1511-3, aux aides pouvant prendre la forme de rabais sur le prix de location-vente.
La circulaire distingue, enfin, le nouveau régime réglementaire des aides à l'immobilier issu du décret n° 2005-584 du 27 mai 2005, relatif aux aides à l'investissement immobilier et à la location d'immeubles accordées aux entreprises par les collectivités territoriales et leurs groupements (N° Lexbase : L5773G9P). Le nouvel article L. 1511-3 prévoit, notamment, que le montant des aides que les collectivités et leurs groupements peuvent attribuer pour l'achat ou la location de terrains ou de bâtiments, est calculé par référence aux conditions du marché selon des règles de plafond et de zone (20).
S'agissant de la rénovation de bâtiment, les collectivités ne peuvent accorder un montant supérieur à la différence entre le prix de revient après rénovation et le prix correspondant aux conditions du marché. S'agissant des aides à l'immobilier en direction des entreprises industrielles dans les zones concernées par la prime d'aménagement du territoire, le décret augmente les taux plafonds dans les DOM pour les grandes entreprises et les PME. Le plafond est également plus favorable à certains secteurs industriels comme l'automobile et la construction navale. Les taux plafonds des aides publiques accordées pour des investissements portant sur des projets supérieurs à 50 millions d'euros sont affectés de coefficients de pondération dégressifs selon l'échelle suivante (21).
S'agissant des aides à l'immobilier en direction des entreprises du secteur tertiaire dans les zones concernées par la prime d'aménagement du territoire, le décret intègre les dispositions du Règlement CE n° 70/2001 de la Commission du 12 janvier 2001 sur les aides aux petites et moyennes entreprises (N° Lexbase : L1557DPD). Il exclut donc du champ des aides les secteurs de l'industrie charbonnière, du transport et des services financiers. Il autorise, désormais, les aides à la location (22). Enfin, le décret reprend le nouveau régime d'aides aux entreprises agro-alimentaires, qui s'applique en dehors de tout zonage. Les montants prévus vont de 40 à 50 % de la valeur vénale du bien.
Christophe De Bernardinis
Maître de conférences à l'université de Metz
(1) CGCT, art. L. 1511-2 réécrit par la loi du 27 février 2002 et avant la loi du 13 août 2004 (N° Lexbase : L8412AAS).
(2) Cf. ancien article L. 1511-2 du CGCT (N° Lexbase : L4285C9L) selon lequel toute aide directe attribuée par une collectivité locale de rang inférieur ne pouvait intervenir qu'en complément d'une aide accordée par la région.
(3) CGCT, art. L. 1511-3 ancien (N° Lexbase : L8413AAT) qui énonçait les "reventes ou locations de bâtiments", les "prises en charge de commissions de garanties d'emprunt", il s'agissait des aides indirectes non réglementées comme les prestations de service, les ventes de terrains à des conditions avantageuses ou encore la mise à disposition de matériels et d'équipements publics.
(4) CE, 18 novembre 1991, n° 73398, Département des Alpes-Maritimes contre Association "Agriculture 06" (N° Lexbase : A0090ARR) et CE, 6 novembre 1995, n° 145955, Commune de Villenave d'Ornon contre M. Pujol N° Lexbase : A6599ANQ).
(5) Les catégories d'aides directes étant déterminées par délibération du conseil régional.
(6) Compétence qu'elle exerce, d'une part, dans le respect des compétences des autres collectivités et, d'autre part, sous réserve des responsabilités de l'Etat en la matière.
(7) CGCT, art. L. 1511-1 al. 3, cela permet à la Commission européenne de s'assurer que ces décisions sont effectivement respectées et facilite la coopération avec les Etats membres aux fins de l'examen permanent.
(8) Budgets alloués par grands domaines, secteur économique ou type d'entreprise ; montants d'aides par type d'emploi ou d'entreprises...
(9) Nombre et nature des entreprises, nature et objet des aides...
(10) Nombre d'emplois créés par secteur, entreprise, territoire...
(11) Ce qui nécessite une définition souple laissant une marge d'appréciation aux acteurs locaux.
(12) Notamment, dans une perspective d'intervention de l'Etat qui pourrait être sollicitée au titre de la solidarité nationale.
(13) Cf. circulaire n° 5132/SG du Premier ministre du 26 janvier 2006 sur l'application au plan local des règles communautaires de concurrence relatives aux aides publiques aux entreprises (N° Lexbase : L5433HGC).
(14) A ce jour, sept Règlements ont été pris par la Commission européenne concernant, par exemple, les aides "de minimis", les aides d'Etat en faveur des PME ou encore les aides à l'emploi.
(15) Les procédures de notification des aides à la Commission sont exposées dans les Règlements (CE) n° 659/1999 du Conseil du 22 mars 1999 (N° Lexbase : L4215AUN) et (CE) n° 794/2004 de la Commission du 21 avril 2004 (N° Lexbase : L4610HD4).
(16) CGCT, art. L. 1511-2 issu de la loi du 27 février 2002, précité.
(17) La circulaire désigne, notamment, à cet égard, les aides au conseil, au marketing ou à la promotion commerciale pour une entreprise particulière.
(18) Les dispositions réglementaires concernant ces deux dispositifs sont abrogées, mais ces dispositifs peuvent continuer d'être mis en oeuvre puisque toujours approuvés par la Commission européenne.
(19) L'article L. 1511-3 du CGCT précise en outre que ces aides donnent lieu à l'établissement d'une convention et sont versées soit directement à l'entreprise bénéficiaire, soit au maître d'ouvrage, public ou privé, qui en fait alors bénéficier intégralement l'entreprise.
(20) Ce sont ces plafonds que le décret du 27 mai 2005 détermine (CGCT, art. R. 1511-4 N° Lexbase : L1987G9H à R.1511-23).
(21) Jusqu'à 50 millions d'euros : 1 ; Tranche comprise entre 50 et 100 millions d'euros : 0,5 ; Tranche supérieure à 100 millions d'euros : 0,34.
(22) Par ailleurs, au-delà d'un montant de 140 000 euros, les aides à l'investissement sont déplafonnées, dans la limite de 4,5 % ou 15 % des coûts éligibles.
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Le 07 Octobre 2010
La tâche était, donc, périlleuse. Gageons qu'une éventuelle future codification du droit des cultes permettra de clarifier l'ensemble du droit existant en la matière. D'ici-là, la commission s'est, notamment, attachée à renforcer les possibilités d'intervention des collectivités territoriales en facilitant la construction de nouveaux édifices du culte (1) et en garantissant l'affectation des biens cultuels (2).
1. Faciliter la construction de nouveaux édifices du culte
Dans une ordonnance du 25 août 2005, le juge des référés du Conseil d'Etat, après avoir rappelé que la liberté de culte est une liberté fondamentale, souligne que cette liberté ne se limite pas au droit de tout individu d'exprimer les convictions religieuses de son choix dans le respect de l'ordre public, mais qu'elle a également pour composante la libre disposition des biens nécessaires à l'exercice d'un culte (CE référé, 25 août 2005, n° 284307, Commune de Massat N° Lexbase : A2824DL8). Le droit à l'édification des édifices cultuels apparaît, ainsi, désormais, comme le corollaire de la liberté d'exercice du culte. Parallèlement, et bien avant la décision rendue par le Conseil d'Etat, la Cour européenne des droits de l'homme veille à ce que les Etats ne privent pas le groupement des ressources vitales sans lesquelles il ne pourrait assurer le service religieux ou la survie de l'église (CEDH, 14 décembre 2000, req. 26308/95, Institut de Prêtres français et autres c/ Turquie N° Lexbase : A7072AWT).
Dans ce contexte, la question de l'immobilier cultuel a retenu toute l'attention de la Commission. En effet, "la reconfiguration du paysage religieux tel que décrit dans les considérations générales de ce rapport induit des besoins spécifiques en matière d'équipement cultuel". Si toutes les religions sont concernées, l'accent doit, cependant, être mis sur les religions nouvellement implantées.
A. Les marges de manoeuvre du législateur pour faciliter la construction des lieux de culte
Le problème à résoudre ici est celui de la portée constitutionnelle de l'article 2 de la loi de 1905, qui dispose que la République ne reconnaît, ne salarie et ne subventionne aucun culte.
Il convient de remarquer, tout d'abord, que le Conseil constitutionnel n'a jamais consacré le caractère de règle constitutionnelle de la loi de 1905. Pourtant, l'occasion s'est présentée à deux reprises. Ainsi, dans sa décision du 23 novembre 1977 (décision n°77-87 DC du 23 novembre 1977 N° Lexbase : A7958ACQ), la Haute juridiction consacre la liberté de conscience en tant que principe fondamental reconnu par les lois de la République en se référant à l'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (N° Lexbase : L1357A97) et au Préambule de la Constitution de 1946 (N° Lexbase : L6821BH4), sans indiquer, pour autant, à quelle(s) loi(s) il le rattachait. S'il ne l'a pas fait, alors que le lien avec l'article 1er de la loi de 1905 était évident, "c'est sans nul doute pour éviter de constitutionnaliser explicitement une disposition de la loi de 1905 afin de ne pas avoir à le faire pour d'autres", selon les termes mêmes du rapport "Machelon".
Quant à la seconde occasion, elle a été donnée au Conseil constitutionnel plus récemment. En effet, dans une décision du 19 novembre 2004, celui-ci a dû apprécier l'éventuelle contrariété à la Constitution de l'article II-70 du Traité établissant une Constitution pour l'Europe, largement inspiré de l'article 9 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et du citoyen (Cons. const., décision n° 2004-505 DC du 19 novembre 2004, Traité établissant une Constitution pour l'Europe N° Lexbase : A9156DDH). La laïcité constitutionnelle y a été sommairement définie comme la soumission à la loi commune. Une nouvelle fois, cependant, aucune référence à la loi de 1905 comme source formelle aussi bien de la laïcité que de la liberté de religion n'a été retenue par les juges suprêmes.
Cette thèse du caractère non constitutionnel de la loi de 1905 a également été adoptée par le Conseil d'Etat. Dans une décision du 16 mars 2005, les juges du Palais-Royal soutiennent, en effet, que "le principe constitutionnel de laïcité qui [...] implique la neutralité de l'Etat et des collectivités territoriales de la République et le traitement égal des différents cultes, n'interdit pas, par lui-même, l'octroi dans l'intérêt général et dans les conditions définies par la loi de certaines subventions à des activités ou des équipements dépendant des cultes" (CE 9° et 10° s-s-r., 16 mars 2005, n° 265560, Ministre de l'Outre-mer c/ gouvernement de la Polynésie française N° Lexbase : A2829DHA). Or, comme le souligne la Commission, si cette décision ne précise pas dans quelle mesure des activités purement cultuelles pourraient présenter un tel caractère d'intérêt général, elle contribue à légitimer la thèse selon laquelle l'interdiction de subventionner les cultes ne revêt pas, par elle-même, une dimension constitutionnelle.
Par ailleurs, de même qu'il n'est pas un principe constitutionnel, l'interdiction de subventionner les cultes ne semble pas davantage être un principe fondamental reconnu par les lois de la République. "En effet, il paraît difficile de considérer qu'indépendamment de ce principe de laïcité, l'article 2 ait accédé au rang de principe fondamental reconnu par les lois de la République compte tenu des incertitudes qui entourent tant la notion de non subventionnement' que celle de non-reconnaissance' et de la fréquence avec laquelle ces dispositions ont été contredites".
Il est, ainsi, difficile de définir avec précision quelles sont les activités cultuelles concernées par l'interdiction de subventionner les cultes. En effet, se pose alors la délicate question de la frontière entre ce qui est cultuel et ce qui est culturel. Le Conseil d'Etat a, ainsi, jugé que certaines activités commémoratives publiques, même à caractère religieux, peuvent recevoir un financement public (voir, par exemple, CE Contentieux, 25 novembre 1988, n° 65932, Dubois N° Lexbase : A7861APT). La nature des subventions prohibées est également difficile à saisir, de même que la multiplicité de ses dérogations, prévues par le texte même de la loi de 1905, comme la possibilité de financement des activités d'aumônerie, l'affectation au culte de bâtiments publics, l'entretien des bâtiments cultuels monuments historiques, et autres exonérations d'impôts.
B. Les solutions préconisées
Plusieurs solutions ont été envisagées par la Commission :
- perfectionner les instruments existants : en levant, tout d'abord, l'incertitude sur le sort réservé aux édifices cultuels au terme des baux emphytéotiques administratifs. Utilisés pour aider à la construction de lieux de culte à partir des années 30, le recours aux baux emphytéotiques soulève, en effet, deux problèmes majeurs. Le premier découle du faible montant des loyers accordés, pouvant conduire à regarder de tels contrats comme des subventions indirectes au culte, prohibées par l'article 2 de la loi de 1905. En effet, toute location à un prix inférieur à la valeur réelle de la transaction équivaut, aux yeux de la jurisprudence, à l'attribution d'un avantage financier. Et si l'article L. 1311-2 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L7343HIS) prévoit, désormais, que des baux emphytéotiques administratifs peuvent être conclus en vue de l'affectation à une association cultuelle d'un édifice ouvert au public, le texte ne réserve à l'heure actuelle cette possibilité qu'aux seules associations de la loi de 1905. C'est pourquoi la commission propose qu'elle soit étendue à toute association à vocation cultuelle et souhaite modifier l'article L. 1311-2 du Code général des collectivités territoriales afin de permettre à toute association de conclure un bail emphytéotique administratif en vue de la construction d'un édifice du culte ouvert au public. Enfin, pour faire face au second problème, résidant dans le fait que les cultes qui ont recours aux baux emphytéotiques administratifs n'ont pas de garantie sur le sort réservé à l'édifice du culte dont ils ont l'usage à l'issue du bail, la commission préconise la création d'un bail emphytéotique administratif avec option d'achat.
Le deuxième moyen mis en place afin de perfectionner les instruments existants serait de généraliser les garanties d'emprunt à tout le territoire. L'article L. 2252-4 du Code général des collectivités territoriales prévoit, en effet, qu'une commune peut garantir les emprunts contractés pour financer, dans les agglomérations en voie de développement, la construction, par des groupements locaux ou par des associations cultuelles, d'édifices répondant à des besoins collectifs de caractère religieux (N° Lexbase : L8879AA4). Par ailleurs, l'article L. 3231-5 de ce même code dispose que les départements peuvent garantir les emprunts contractés pour financer, dans les agglomérations en voie de développement, la construction, par des groupements locaux ou par des associations cultuelles, d'édifices répondant à des besoins collectifs de caractère religieux (N° Lexbase : L9393AA7). La commission propose, ainsi, la suppression des termes "dans les agglomérations en voie de développement" de ces deux articles et préconise, par ailleurs, l'introduction d'un dispositif similaire pour les régions. Elle propose, enfin, de prévoir la possibilité pour les collectivités territoriales d'octroyer des avances remboursables aux associations prenant en charge la construction d'édifice du culte.
- autoriser formellement l'aide directe à la construction de lieux de culte : en modifiant, tout d'abord, la loi de 1905. La commission propose d'insérer un nouvel article dans son titre III, "Les édifices du culte", ou d'étendre à la construction des édifices affectés au culte public la dérogation pour les "réparations", prévue à l'article 19 dernier alinéa du titre IV, "Des associations pour l'exercice des cultes".
En insérant, ensuite, dans le Code général des collectivités territoriales la possibilité, pour les communes et leurs groupements, d'accorder des aides à la construction de lieux de culte. La commission estime qu'il faudrait, au moins dans un premier temps, réserver cette possibilité aux communes et à leurs groupements, qui ont toujours été le cadre naturel des relations quotidiennes entre les pouvoirs publics et les cultes.
Quelle que soit la solution retenue, il est à noter que l'octroi d'aides à la construction d'édifices du culte ne serait qu'une faculté, la légalité des subventions étant subordonnée à l'existence d'un intérêt général. Par ailleurs, la commission précise que cette règle ne sera pas soumise à un quelconque constat de carence en matière d'équipement cultuel, en effet, "une politique ainsi conçue risquerait de heurter le principe constitutionnel de laïcité qui suppose que la République traite également tous les cultes".
Enfin, elle estime qu'il ne serait pas opportun de fixer dans la loi un pourcentage maximal pour les aides directes à la construction des lieux de culte, notamment, du fait de la difficulté de tracer une frontière entre aides directes et indirectes.
- engager une réflexion sur la mise en oeuvre du droit de l'urbanisme : la commission, après avoir remarqué que les maires s'abritent souvent derrière des règles d'urbanisme pour empêcher l'ouverture de lieux de cultes, les communes faisant, par exemple, usage de leur droit de préemption pour empêcher une association cultuelle d'acquérir un terrain, et précisé l'illégalité de telles pratiques, souligne le fait que le Code de l'urbanisme ne prévoit pas d'espaces particuliers susceptibles d'accueillir des édifices à vocation cultuelle. La jurisprudence peut, cependant, apporter certains éclaircissements. Les juges semblent, en effet, adopter une interprétation souple des documents d'urbanisme. Ainsi, le Conseil d'Etat a jugé qu'une mosquée était compatible avec une zone résidentielle (CE Contentieux, 3 février 1992, n° 118855, Mme Girod et autres N° Lexbase : A5484ARK), ou encore qu'un édifice du culte pouvait être regardé comme une installation d'intérêt général (CE Contentieux, 25 septembre 1996, n° 109753, Syndicat des copropriétaires de l'immeuble 75-77 rue Dutot à Paris N° Lexbase : A0710APY), voire un équipement public (CE Contentieux, 12 février 1988, n° 38765, Association des résidents des quartiers Portugal-Italie N° Lexbase : A7558APM). Suivant cette ligne, la commission préconise que les maires prévoient des espaces réservés aux lieux de culte dans leurs documents d'urbanisme. Cette incitation pourrait, d'abord, s'effectuer par voie de circulaire, avant d'envisager des modifications du Code de l'urbanisme. Ainsi, "dès à présent, l'attention des préfets devrait être attirée sur les difficultés rencontrées par certains cultes pour s'implanter sur le territoire de certaines communes, afin de les inviter, en cas d'échec de la concertation, à saisir le juge administratif de manière systématique dans le cadre du déféré préfectoral".
A noter, enfin, que si la commission reconnaît que, dans certains cas, le refus des maires d'accorder un permis de construire peut s'apparenter à une discrimination au sens de l'article 432-7 du Code pénal (N° Lexbase : L0476DZN), elle estime, cependant, qu'il n'est pas nécessaire de créer des procédures particulières, comme celles existant en matière d'atteinte à la liberté d'accès et à l'égalité des candidats dans les marchés publics.
2. Garantir l'affectation des biens cultuels
Il existe aujourd'hui deux moyens de garantir l'affectation des biens cultuels : la propriété privée et le régime d'affectation légale, ce dernier concernant uniquement les édifices bâtis avant 1905 et qui étaient, à cette date, propriété des pouvoirs publics. Or, selon les termes de la loi de 1905, le régime de la domanialité publique ne s'applique qu'aux édifices cultuels, "propriété de l'Etat, des départements ou des communes", excluant ainsi tous les édifices appartenant à une association ou à un groupement privé et tous ceux construits après 1905. Ceci met en exergue une lacune majeure : lorsque les constructions récentes deviennent propriété de la commune à l'issue d'un bail emphytéotique, elles ne bénéficient ni du régime de protection légale conféré par la loi de 1905, ni de la protection que peut conférer la propriété privée.
A. Les édifices appartenant à une personne privée
La propriété privée des édifices du culte n'est pas si courante. En effet, les édifices bâtis avant 1905 aux frais des fidèles sur un terrain communal sont devenus propriétés des communes, conformément à l'article 552 du Code civil, selon lequel la propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous (N° Lexbase : L3131ABL). Ils bénéficient, ainsi, du régime d'affectation légale.
En revanche, tous les édifices qui, en 1905, n'appartenaient pas à une personne publique ont été attribués aux associations cultuelles (il convient, ici, de noter que la procédure d'attribution n'a concerné que les cultes protestants et israélites). Or, l'article 9 de la loi de 1905 prévoit qu'en cas de dissolution d'une association, les biens qui lui auront été dévolus en exécution des articles 4 et 8 seront attribués par décret en Conseil d'Etat, ce qui entraîne la constitution de volumineux dossiers. C'est pourquoi la commission préconise de substituer aux mots "par décret en Conseil d'Etat" ceux "par l'association". En effet, les biens attribués seraient alors régis par le seul droit civil, y compris en cas de contentieux.
Enfin, les édifices construits après 1905 appartiennent à ceux qui les ont financés et construits. La commission recommande, à cet égard, que les articles 13 et 19 de la loi de 1905 soient mis en cohérence. En effet, alors que l'article 19 autorise les collectivités publiques à participer aux réparations des édifices du culte, et ce quel que soit leur propriétaire, l'article 13 prévoit la possibilité pour les collectivités publiques propriétaires de participer à l'entretien et à la réparation. La commission estime, dès lors, opportun de préciser quel type de dépenses relatives à l'entretien, à la conservation ou à la réparation des édifices peut être pris en charge par les collectivités publiques.
Elle considère, par ailleurs, que la qualité du propriétaire de l'édifice ne devrait pas avoir d'incidence sur la possibilité pour une commune de participer à certaines de ses réparations et préconise, ainsi, que cette possibilité soit inscrite dans le Code général des collectivités territoriales.
B. Les édifices du culte bénéficiant du régime d'affectation légale
Les édifices du culte bénéficiant du régime d'affectation légale sont les édifices appartenant, en 1905, à une personne publique. La principale difficulté résulte de la dissociation entre l'affectataire domanial et le propriétaire, notamment, concernant l'usage de l'édifice. L'état du droit vient, cependant, d'être clarifié. En effet, l'article L. 2124-31 du Code de la propriété publique dispose, désormais, que "la visite des parties d'édifices affectés au culte, notamment celles où sont exposés des objets mobiliers classés ou inscrits, justifie des modalités particulières d'organisation, leur accès est subordonné à l'accord de l'affectataire. Il en va de même en cas d'utilisation de ces édifices pour des activités compatibles avec l'affectation cultuelle. L'accord précise les conditions et les modalités de cet accès ou de cette utilisation. Cet accès ou cette utilisation donne lieu, le cas échéant, au versement d'une redevance domaniale dont le produit peut être partagé entre la collectivité propriétaire et l'affectataire" . L'ajout de cet article ayant permis de clarifier une situation juridique incertaine, la commission ne préconise pas de nouvelles réformes.
En revanche, concernant l'excessive lourdeur des procédures de désaffectation des biens cultuels, elle recommande la légalisation du décret n° 70-220 du 17 mars 1970 déconcentrant la procédure amiable de désaffectation des édifices du culte.
C. Les édifices du culte appartenant à une collectivité publique qui ne bénéficient pas du régime d'affectation légale
Les édifices du culte acquis par une collectivité publique après 1905 ne bénéficient pas du régime d'affectation légale (en ce sens, voir CE Contentieux, 19 octobre 1990, n° 90346, Association Saint-Pie V et Saint-Pie X de l'Orléanais N° Lexbase : A5703AQB). Sont, ainsi, concernés les édifices construits sur un terrain mis à disposition par la commune grâce à un bail emphytéotique administratif : à l'issue du bail, l'édifice réintègre le domaine privé de la commune. La commission propose, ici, une modification législative permettant de garantir la continuité de l'affectation cultuelle de ces lieux de culte en complétant le Code de la propriété publique par une disposition prévoyant que les baux emphytéotiques administratifs puissent faire l'objet d'un renouvellement automatique le temps de la durée de l'affectation cultuelle. Surtout, elle préconise la création d'un bail emphytéotique spécifique avec option d'achat.
Fany Lalanne
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Réf. : Cass. soc., 17 octobre 2006, n° 05-40.393, M. Olivier Leleu c/ Société France Télécom, F-P+B (N° Lexbase : A9701DRQ)
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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
Le 07 Octobre 2010
Résumé
Constitue des éléments objectifs de nature à justifier une différence de classification et de rémunération la procédure de promotions internes soumise à une procédure conventionnelle de reconnaissance des compétences par un jury indépendant. Constitue une discrimination syndicale le fait de prendre en considération les activités syndicales d'un salarié lors d'une évaluation professionnelle. |
Décision
Cass. soc., 17 octobre 2006, n° 05-40.393, M. Olivier Leleu c/ Société France Télécom, F-P+B (N° Lexbase : A9701DRQ) Cassation partielle (cour d'appel de Grenoble, 17 novembre 2004) Textes concernés et visés : principe à travail égal salaire égal ; C. trav., art. L. 412-2 (N° Lexbase : L6327ACC) Mots-clés : principe "à travail égal, salaire égal" ; différence de rémunération ; justification ; procédure de promotion interne ; principe de non-discrimination syndicale ; éléments constitutifs ; prise en compte directe des activités syndicales lors des évaluations professionnelles. Lien base : |
Faits
1. M. Leleu a été engagé par la société France Télécom, le 14 mai 1998, en qualité d'opérateur technique, niveau II-I de la classification interne de l'entreprise. S'estimant l'objet de discrimination, il a saisi la juridiction prud'homale. Les juges du fond l'ont débouté de sa demande de rappels de salaires fondée sur une violation du principe "à travail égal, salaire égal". 2. Pour débouter le salarié de sa demande de dommages-intérêts pour discrimination syndicale, la cour d'appel constate que "son supérieur hiérarchique a mentionné lors de son entretien professionnel annuel, le 31 mars 2004 : 'M. Leleu n'est pas motivé pour la vente de par ses nombreuses activités syndicales. Sa présence irrégulière ne permet pas un management correct et une implication satisfaisante de sa part'". La cour d'appel retient qu'il s'agit d'une recherche d'explication objective des performances insuffisantes de l'intéressé et que ce dernier ne justifie pas qu'il ait été entravé dans l'exercice de ses fonctions syndicales, ni qu'il ait subi du fait de son engagement des mesures discriminatoires en matière de rémunération ou de promotion. |
Solution
1. La cour d'appel, qui a constaté que les promotions internes étaient, en application d'un accord d'entreprise, soumises à une procédure de reconnaissance des compétences par un jury indépendant et que le salarié, qui n'avait pas été admis par le jury en 2000, n'avait, ensuite, plus fait acte de candidature, a caractérisé l'existence d'éléments objectifs de nature à justifier la différence de classification et de rémunération constatée pour la période antérieure à 2002. Pour la période postérieure elle a relevé, sans inverser la charge de la preuve, que le salarié ne produisait aucun élément susceptible d'établir une inégalité de rémunération. Rejet du premier moyen. 2. Vu l'article L. 412-2 du Code du travail, il est interdit à l'employeur de prendre en considération l'exercice d'une activité syndicale dans l'évaluation du salarié. Toute mesure contraire est abusive et donne lieu à dommages-intérêts. Pour débouter le salarié de sa demande de dommages-intérêts, la cour d'appel, "après avoir constaté que son supérieur hiérarchique a mentionné lors de son entretien professionnel annuel le 31 mars 2004 : 'M. Leleu n'est pas motivé pour la vente de par ses nombreuses activités syndicales. Sa présence irrégulière ne permet pas un management correct et une implication satisfaisante de sa part', retient qu'il s'agit d'une recherche d'explication objective des performances insuffisantes de l'intéressé et que ce dernier ne justifie pas qu'il ait été entravé dans l'exercice de ses fonctions syndicales ni qu'il ait subi du fait de son engagement des mesures discriminatoires en matière de rémunération ou de promotion". En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé. |
Commentaire
I - Nouvelle illustration d'une différence de rémunération justifiée 1. La gestion des carrières dans l'entreprise Depuis quelques mois, la Cour de cassation a consacré une grande partie de ses efforts à préciser à quelles conditions deux salariés réalisant un même travail pouvaient valablement percevoir une rémunération différente. La Cour de cassation a marqué son attachement à ce que les règles mises en place soient connues des salariés et soient de nature à assurer le respect du principe d'égalité (ainsi, pour un concours destiné à récompenser les meilleurs vendeurs : Cass. soc., 18 janvier 2000, n° 98-44.745, Société Renault France automobiles c/ M. Fleury et a. N° Lexbase : A4952AGI ; pour les dispositions d'un plan social : Cass. soc., 10 juillet 2001, n° 99-40.987, Mme Vieillard c/ Association Irmep l'Essor et a., publié N° Lexbase : A1731AUN). Ces règles doivent, par ailleurs, être pertinentes, eu égard aux objectifs poursuivis. La Cour de cassation a, ainsi, admis la prise en compte de "parcours professionnels spécifiques" (Cass. soc., 3 mai 2006, n° 03-42.920, Caisse régionale d'assurance maladie d'Ile-de-France (CRAMIF) c/ Mme Catherine Lefebvre, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A2459DPR, et nos obs., L'égalité salariale n'est pas l'identité salariale, Lexbase Hebdo n° 214 du 10 mai 2006 - édition sociale N° Lexbase : N8019AK9 ; Cass. soc., 21 juin 2006, n° 05-41.774, Caisse régionale d'assurance maladie d'Ile-de-France (CRAMIF), F-D N° Lexbase : A0047DQS ; Cass. soc., 12 juillet 2006, n° 05-44.404, inédit [LXB=A4681DQG ] ; Cass. soc., 26 septembre 2006, n° 05-43.565, Caisse d'allocations familiales des Hauts-de-Seine (CAF), F-D N° Lexbase : A3607DRZ). Cette prise en compte des "carrières" par les conventions collectives s'inscrit, d'ailleurs, parfaitement dans la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes qui a admis, dernièrement, comme suffisants les arguments tirés de l'ancienneté du salarié et de ses mérites individuels, sans qu'il soit nécessaire de devoir se justifier de manière plus fine sur la pertinence même de ses critères lorsqu'ils conduisent, pourtant, statistiquement, les hommes à percevoir des rémunérations supérieures à celles des femmes (CJCE, 3 octobre 2006, aff. C-17/05, B. F. Cadman c/ Health & Safety Executive N° Lexbase : A3687DRY ; lire notre chron., L'ancienneté et la performance individuelle comme justifications valables d'une inégalité salariale, Lexbase Hebdo n° 232 du 19 octobre 2006 - édition sociale N° Lexbase : N4111ALT). 2. Validation du système d'évaluation des salariés en l'espèce Dans cette affaire, un salarié contestait un écart de rémunération consécutif à sa non-promotion au sein de l'entreprise. La cour d'appel lui avait opposé l'existence d'une procédure conventionnelle confiant à un jury indépendant le soin de statuer sur les mérites individuels des candidats, ainsi que le fait que le salarié, non promu une première fois, n'avait pas ultérieurement représenté sa candidature. Par ailleurs, le salarié ne rapportait pas la preuve de faits laissant supposer qu'il avait été victime d'un traitement inégalitaire en matière salariale. Cette motivation, qui a conduit au rejet des prétentions du salarié sur ce point, a convaincu la Cour de cassation qui donne, également, tort au salarié. Cette solution nous semble parfaitement justifiée. L'accord d'entreprise avait, en effet, mis en place une procédure de gestion des carrières présentant toutes les garanties d'objectivité et d'impartialité nécessaires, de telle sorte que les salariés se trouvaient effectivement placés dans une véritable situation d'égalité. Le jury avait, ensuite, tenu compte des mérites individuels des salariés pour en promouvoir certains, et pas d'autres, et il n'y a rien à redire à tout cela car il est sain, dans l'entreprise, comme ailleurs, que les talents soient récompensés, dès lors que ces récompenses sont justifiées et accordées dans des conditions de transparence suffisantes. II - Nouvelle illustration d'un comportement antisyndical bien naïf 1. Le principe de non-discrimination syndicale L'article L. 412-2 du Code du travail dispose, dans son alinéa premier, qu'"il est interdit à tout employeur de prendre en considération l'appartenance à un syndicat ou l'exercice d'une activité syndicale pour arrêter ses décisions en ce qui concerne notamment l'embauchage, la conduite et la répartition du travail, la formation professionnelle, l'avancement, la rémunération et l'octroi d'avantages sociaux, les mesures de discipline et de congédiement". L'application de ces dispositions fait, tout d'abord, difficulté, sur le plan probatoire. Interprétant son droit national à la lumière de la Directive du Conseil, du 15 décembre 1997, relative à la charge de la preuve dans les cas de discrimination fondée sur le sexe (Directive 97/80/CE N° Lexbase : L8292AUN), la Cour de cassation a soulagé le travail probatoire de la victime et considéré "qu'il appartient au salarié syndicaliste qui se prétend lésé par une mesure discriminatoire de soumettre au juge les éléments de fait susceptibles de caractériser une atteinte au principe d'égalité de traitement et qu'il incombe à l'employeur, s'il conteste le caractère discriminatoire du traitement réservé au syndicaliste, d'établir que la disparité de situation constatée est justifiée par des éléments objectifs, étrangers à toute discrimination fondée sur l'appartenance à un syndicat" (Cass. soc., 28 mars 2000, n° 97-45.258, M Fluchère et autres c/ Société nationale des chemins de fer français (SNCF), publié N° Lexbase : A6368AGX). La liste des comportements tombant sous la qualificiation de discriminations syndicales est longue, et cet arrêt en fournit une nouvelle illustration. 2. Une discrimination risquée Dans cette affaire, le chef de service du salarié avait eu l'imprudence de justifier une évaluation professionnelle en expliquant le manque de motivation du salarié "par ses nombreuses activités syndicales [...] sa présence irrégulière [qui ne permettait] pas un management correct et une implication satisfaisante de sa part". On demeurera saisi, à la lecture de cet arrêt, par la naïveté de cet employeur qui avait laissé traîner dans le dossier du salarié pareille provocation. S'il est, en effet, loisible à l'employeur de penser qu'un salarié ferait mieux de passer plus de temps à travailler et moins de temps avec les autres membres de la section syndicale, il lui est totalement interdit de l'écrire, ou même simplement de le dire. Seuls comptent, en effet, la piètre qualité du travail fourni ou l'insuffisance des résultats, quelle qu'en soit la cause. Que le manque d'investissement du salarié résulte de son engagement syndical constitue, alors, une explication, mais ne doit jamais apparaître comme la justification de la mesure. Certes, d'aucun trouvera sans doute le distinguo bien artificiel, mais il faudra s'en convaincre. Dans de nombreuses hypothèses, on sait, en effet, que l'effort d'objectivation de certaines décisions "litigieuses" relève parfois d'un pur exercice rhétorique, destiné à soustraire l'employeur à l'ire du juge. |
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Réf. : Cass. soc., 18 octobre 2006, n° 04-48.612, M. Joseph Mimoun c/ Société Axa conseil, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A9633DR9)
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N4510ALM
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Le 07 Octobre 2010
Résumé
Investi par la loi du pouvoir de direction et de contrôle des salariés placés sous sa subordination juridique, l'employeur est tenu de garantir ceux-ci à raison des actes ou faits qu'ils passent ou accomplissent en exécution du contrat de travail. Il en résulte que l'employeur doit rembourser les frais engagés par un salarié poursuivi pénalement par un client pour assurer sa défense. |
Décision
Cass. soc., 18 octobre 2006, n° 04-48.612, M. Joseph Mimoun c/ Société Axa conseil, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A9633DR9) Cassation partielle sans renvoi (cour d'appel de Paris, 21ème ch., sect. A, 20 octobre 2004, n° 02/33639 N° Lexbase : A5997DET) Textes visés : C. civ., art. 1135 (N° Lexbase : L1235ABD) ; C. trav., art. L. 121-1 (N° Lexbase : L5443ACL) Mots-clés : contrat de travail ; obligation de l'employeur ; équité ; frais professionnels ; frais de défense lors d'un procès pénal. Liens base : ; |
Faits
M. Mimoun, exerçant les fonctions d'agent producteur salarié pour la compagnie d'assurances Axa, a fait l'objet d'une plainte en faux en écriture déposée par un client auquel la compagnie avait refusé la prise en charge d'un sinistre. Mis en examen, le salarié a bénéficié au final d'une décision de non-lieu. Son employeur ayant refusé de l'assister et de prendre en charge les frais exposés pour sa défense dans cette procédure pénale, il a saisi le conseil de prud'hommes qui lui a alloué une certaine somme à titre de dommages-intérêts comprenant le remboursement des frais qu'il avait engagés pour la procédure pénale. Pour débouter M. Mimoun de ses demandes, l'arrêt infirmatif attaqué a énoncé que la responsabilité pénale est une responsabilité personnelle, que la société Axa conseil s'est tenue informée du déroulement de la procédure dont elle ne pouvait aucunement avoir la maîtrise et a soutenu moralement son salarié, l'assurant, par ailleurs, de sa confiance en le maintenant dans ses fonctions. En outre, les juges d'appel ont relevé qu'il n'est justifié d'aucune obligation légale ou découlant du contrat de travail à la charge de l'employeur de fournir aide et assistance à son salarié, en cas de poursuites pénales exercées à son encontre, même pour des faits commis dans le cadre de ses fonctions et, par conséquent, d'un manquement de la société Axa conseil à ses devoirs de loyauté et de coopération associés à l'exigence de bonne foi. |
Solution
"Vu les articles 1135 du Code civil et L. 121-1 du Code du travail" "Attendu que selon le premier de ces textes, les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que l'équité, l'usage ou la loi donnent à l'obligation d'après sa nature" "Qu'en statuant ainsi alors qu'investi par la loi du pouvoir de direction et de contrôle des salariés placés sous sa subordination juridique, l'employeur est tenu de garantir ceux-ci à raison des actes ou faits qu'ils passent ou accomplissent en exécution du contrat de travail et qu'il résultait de ses constatations que le salarié avait dû assurer sa défense à un contentieux pénal dont l'objet était lié à l'exercice de ses fonctions, la cour d'appel a violé les textes susvisés". |
Commentaire I - L'obligation pour l'employeur d'assurer la protection juridique de ses salariés 1. Une manifestation de l'interprétation créatrice du juge Alors même que le juge ne se reconnaît pas le pouvoir de réécrire le contrat au nom de l'équité, il n'est plus aujourd'hui à démontrer qu'il puise de plus en plus dans celle-ci le pouvoir d'adjoindre au contrat des conséquences que les parties n'avaient pas voulues ou, à tout le moins, pas envisagées (v., en ce sens, F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Droit civil, Les obligations, Dalloz, 9e éd., 2005, § 442 ). Loin de violer la loi, le juge ne fait ainsi que se conformer aux textes et, plus précisément, à l'article 1135 du Code civil qui dispose que les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que l'équité, les usages ou la loi donnent à l'obligation d'après sa nature (v., sur cet article, l'important ouvrage de Ph. Jacques, Regards sur l'article 1135 du Code civil, thèse Paris XII, 2003). Dans cette perspective, l'équité ne doit plus être comprise comme un simple rappel de l'exigence de bonne foi. Ainsi que l'indiquent, à très juste titre, les auteurs précités, "alors que la bonne foi agit en quelque sorte de l'intérieur en veillant à une exécution loyale de la part de chaque contractant, l'équité le fait de l'extérieur en se plaçant à un point de vue plus élevé, celui de la justice et en concourant à définir ce qui est dû" (F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, op. et loc. cit.). On l'aura donc compris, les juges ne sauraient se borner à relever que le contrat est silencieux sur la question qui est l'objet du litige. Usant des préceptes dictés par l'article 1135 du Code civil, ils se doivent, au moyen d'une interprétation créatrice du contrat, de combler les lacunes du contrat en prenant précisément appui sur les suites que lui attachent "l'équité, l'usage ou la loi". Pour revenir à l'espèce considérée, on admettra, avec les juges du fond, que ni la loi, ni le contrat de travail du salarié, ne mettent à la charge de l'employeur l'obligation de fournir aide et assistance à son salarié en cas de poursuites pénales exercées à son encontre pour des faits commis dans le cadre de ses fonctions. Les juges ne pouvaient, cependant, s'arrêter là et il leur appartenait, encore, de se demander, en prenant appui sur l'équité, si une telle obligation ne pouvait être mise à la charge de l'employeur. 2. Une conséquence du pouvoir de direction de l'employeur S'inspirant du sentiment de justice et prenant appui sur l'équité, la jurisprudence a su attacher à de nombreux contrats des suites diverses, que les parties n'avaient pas envisagées. Il convient, évidemment, de faire mention, ici, des obligations de sécurité et d'information dont on connaît le succès en jurisprudence. Le droit du travail n'a pas échappé à cette évolution et la "découverte" de l'obligation contractuelle de sécurité de l'employeur par la Cour de cassation, dans les fameux arrêts du 28 février 2002, en constitue la meilleure illustration (v., par exemple, Cass. soc., 28 février 2002, n° 99-21.255, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A0773AYB, Dr. soc. 2002, p. 445, obs. A. Lyon-Caen ; sur cette obligation, v. en dernier lieu, Ch. Radé, Harcèlement moral et responsabilités au sein de l'entreprise : l'obscur éclaircissement, Dr. soc. 2006, p. 826 (1)). L'arrêt du 18 octobre 2006 marque l'avènement d'une nouvelle obligation à la charge de l'employeur : celle d'assurer la protection juridique de ses salariés lorsqu'ils sont poursuivis au pénal pour des faits commis dans l'exercice de leurs fonctions (2). Expressément fondée sur l'article 1135 du Code civil, cette obligation est exprimée par la Cour de cassation dans les termes suivants : "investi par la loi du pouvoir de direction et de contrôle des salariés placés sous sa subordination juridique, l'employeur est tenu de garantir ceux-ci à raison des actes ou faits qu'ils passent ou accomplissent en exécution du contrat de travail". La Chambre sociale signifie, ainsi, que la garantie à laquelle est tenu l'employeur est, au fond, la contrepartie du pouvoir de direction et de contrôle que l'employeur exerce sur ses salariés en vertu du lien de subordination juridique. C'est donc bien l'équité ou, pour le dire autrement, le sentiment de justice, qui motive la solution retenue. Tenus d'exécuter les directives l'employeur et soumis à son pouvoir de contrôle, les salariés sont en droit d'obtenir la prise en charge, par celui-ci, des frais générés par la défense à un contentieux pénal dont l'objet est lié à l'exercice de leurs fonctions. On peut, également, avancer que c'est parce que le salarié agit pour le compte et dans l'intérêt de l'employeur, qu'il est équitable que ce dernier vienne garantir les actes qu'il passe ou accomplit en exécution du contrat de travail. Cette considération permet, ici, d'expliquer que l'employeur soit tenu de rembourser les frais engagés par le salarié pour sa défense à un contentieux pénal dont l'objet est lié à l'exercice de ses fonctions. Relevons qu'elle est, également, de nature à justifier que les salariés bénéficient d'une certaine immunité civile, ainsi que le juge avec constance la Cour de cassation depuis le fameux arrêt "Costedoat" (Ass. plén, 25 février 2000, n ° 97-17.378, M. Costedoat c/ M. Girard et autres N° Lexbase : A8154AG4, D. 2000, p. 673, note Ph. Brun, RTD civ. 2000, p. 582, note P. Jourdain). II - Les limites de l'obligation mise à la charge de l'employeur 1. Les faits et actes couverts par la garantie de l'employeur Ainsi que l'affirme la Cour de cassation dans l'arrêt commenté, l'employeur est tenu de garantir ses salariés à raison des actes ou faits qu'ils passent ou accomplissent en exécution du contrat de travail. Elle en déduit que l'employeur doit rembourser au salarié les frais qu'il a engagés pour assurer sa défense à un contentieux pénal dont l'objet est lié à l'exercice de ses fonctions. Si cette solution doit être approuvée dans son principe et quant à sa mise en oeuvre dans le litige considéré, on doit encore s'interroger sur sa portée. Il va, tout d'abord, de soi que cette garantie est due lorsque l'acte ou le fait du salarié relève de l'accomplissement même de ses fonctions. En revanche, et de manière tout aussi évidente, le salarié ne saurait prétendre à aucune garantie de son employeur pour les actes ou faits qui n'ont aucun rapport avec à ses fonctions. Bien plus, on peut penser qu'il en ira, également, ainsi, dans toutes les hypothèses où le salarié n'a pas agi en vue de remplir ses fonctions, alors même que son acte ne leur est pas totalement étranger. En d'autres termes, et pour reprendre une notion bien connue de la responsabilité civile, les cas d'abus de fonctions excluent toute garantie de l'employeur (sur cette notion, complexe dans sa mise en oeuvre, v. par ex., J. Flour, J.-L. Aubert, E. Savaux, Droit civil, Les obligations, 2. Le fait juridique, A. Colin, 11e éd., 2005, §§ 216 et s.). Parce que le salarié n'agit plus dans ces hypothèses pour le compte et dans l'intérêt de son employeur, il ne saurait être admis que, sous couvert de l'équité, on mette à la charge de l'employeur la garantie de ses actes ou faits. La conclusion est la même si l'on retient, dans le droit fil de l'arrêt commenté, que le salarié qui commet un abus de fonctions, échappe par définition au pouvoir de direction et de contrôle de son employeur. Au-delà de ces hypothèses, on peut encore se demander si l'obligation pour l'employeur d'assurer la protection juridique de ses salariés subsiste lorsque, dans l'accomplissement même de leurs fonctions, les salariés commettent une faute d'une gravité exceptionnelle. Notons que la Cour de cassation n'invite, dans l'arrêt du 18 octobre 2006, à aucune distinction de cette sorte, celle-ci se bornant à limiter la garantie de l'employeur aux actes ou faits accomplis par les salariés dans le cadre de leurs fonctions. Ne peut-on, néanmoins, considérer qu'il serait inéquitable de faire peser sur l'employeur l'obligation précitée lorsque le préposé se rend coupable, dans le cadre de ses fonctions, d'une infraction intentionnelle (3) ? Et de façon plus générale, ne faut-il pas avancer que la garantie de l'employeur doit être exclue chaque fois que le salarié se rend coupable d'une faute intentionnelle, que celle-ci donne lieu à des poursuites pénales ou civiles (4). On nous rétorquera qu'était en cause, en l'espèce, l'infraction de faux dont on sait qu'elle est intentionnelle, ce qui n'a nullement empêché la Cour de cassation d'obliger l'employeur à garantir les frais de défense du salarié poursuivi. Il convient, cependant, de relever que le juge d'instruction avait, en l'espèce, rendu une ordonnance de non-lieu. La question de savoir si la garantie mise à la charge de l'employeur doit s'appliquer lorsque le salarié se rend coupable d'une faute intentionnelle reste donc posée. 2. Les frais mis à la charge de l'employeur Il se déduit de l'arrêt considéré que l'employeur doit rembourser au salarié les frais que celui-ci a engagés pour assurer sa défense lors d'un contentieux pénal dont l'objet est lié à l'exercice de ses fonctions (5). Bien que la Cour de cassation ne se prononce pas sur cette question, on peut légitimement considérer que la solution retenue devrait, également, valoir dans les mêmes conditions, pour les frais de défense engagés par un salarié lors d'un procès civil. De ce point de vue, l'arrêt commenté peut être rapproché d'une précédente décision en date du 10 novembre 2004, dans laquelle la Cour de cassation a décidé, également au visa de l'article 1135 du Code civil, que l'employeur doit rembourser au salarié les frais professionnels sans qu'ils puissent être imputés sur sa rémunération (6). Partant, peut-on considérer que les frais de défense du salarié poursuivi pénalement pour des faits relatifs à l'exercice de ses fonctions doivent être qualifiés de frais professionnels ? Ainsi que l'a rappelé la Cour de cassation dans l'arrêt précité, relèvent de cette qualification les frais qu'un salarié justifie avoir exposés pour les besoins de son activité professionnelle et dans l'intérêt de l'employeur. Encore que la déduction ne soit pas dénuée de tout caractère audacieux, on peut avancer que les frais de défense du salarié sont bien des frais professionnels (7). On relèvera, à ce propos, que dans un arrêt rendu le même jour que celui présentement commenté, la Cour de cassation a approuvé une cour d'appel qui, après avoir constaté qu'un salarié avait à sa disposition un téléphone portable pour les besoins de son travail dont l'abonnement était payé par l'employeur, a décidé qu'il appartenait à ce dernier de prendre en charge les frais afférents au délai de résiliation prévus par l'opérateur (Cass. soc., 18 octobre 2006, n° 03-48.370, FS-P+B N° Lexbase : A9583DRD). Conforme à une conception moderne et modérée de l'équité, l'arrêt sous examen doit être approuvé. Il n'en demeure pas moins que, ainsi que nous l'avons vu, il laisse en suspens un certain nombre de questions que la Cour de cassation sera, sans aucun doute, amenée à trancher si l'on considère qu'en retenant cette solution, et non sans quelque exagération, celle-ci a peut-être ouvert la boîte de Pandore...
Gilles Auzero
(1) Bien que les arrêts de 2002 ne comportent pas de référence textuelle précise, il nous semble que l'article 1135 du Code civil n'est pas étranger à l'avènement de cette obligation. |
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Le 07 Octobre 2010
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