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N4045ALE
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction
Le 27 Mars 2014
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Réf. : Cass. civ. 1, 3 octobre 2006, n° 04-13.198, M. Christian Goupil, FS-P+B (N° Lexbase : A4944DRK)
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N4044ALD
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par Sébastien Tournaux, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
Le 07 Octobre 2010
Résumé
La conclusion d'un contrat de travail étant un acte engageant le patrimoine, le majeur sous curatelle renforcée ne peut embaucher un salarié sans l'assistance de son curateur ou, à défaut, sans l'autorisation supplétive du juge des tutelles. |
Décision
Cass. civ. 1, 3 octobre 2006, n° 04-13.198, M. Christian Goupil, FS-P+B (N° Lexbase : A4944DRK) Rejet (TGI Perpignan, 10 février 2004) Textes cités : C. civ., art. 508 (N° Lexbase : L3077ABL), 510 (N° Lexbase : L3082ABR) et 512 (N° Lexbase : L3088ABY) du Code civil Mots-clés : capacité ; validité du contrat de travail ; employeur sous curatelle renforcée. Liens base : |
Faits
1. Placé sous curatelle renforcée le 14 février 2000, M. Goupil souhaite embaucher une salariée. Devant le refus de son curateur de l'assister dans cette démarche, il saisit le juge des tutelles afin d'obtenir une autorisation supplétive, autorisation qui lui est refusée par ordonnance du 10 juillet 2003. 2. M. Goupil saisit le tribunal de grande instance de Perpignan afin de voir ce refus réformé. Les juges, statuant en dernier ressort, confirment la décision du juge des tutelles. M. Goupil se pourvoit en cassation. |
Solution
1. "S'agissant d'un acte engageant le patrimoine, le contrat de travail conclu par un majeur sous curatelle renforcée, en qualité d'employeur, constitue un acte pour lequel l'assistance du curateur est nécessaire". 2. Rejet. |
Commentaire
I - De la capacité de conclure un contrat de travail
L'article L. 121-1 du Code du travail (N° Lexbase : L5443ACL) soumet, faut-il le rappeler, le contrat de travail aux règles du droit commun des contrats. Or, parmi ces règles, figurent celles relatives à la validité des conventions (C. civ., art. 1108 et s. N° Lexbase : L1014AB8). Il faut, ainsi, pour pouvoir conclure un contrat de travail, avoir la capacité de contracter au sens des articles 488 et suivants du Code civil (N° Lexbase : L3042ABB). Bien entendu, ces règles concernent tant l'employeur que le salarié, même si les questions se posant à leurs égards sont parfois différentes. Ainsi, pour le salarié, des règles spéciales s'ajoutent aux règles générales du Code civil. Le droit commun des contrats interdit au mineur de conclure seul un contrat, mais il peut toujours être représenté par ses parents ou, le cas échéant, par son tuteur. Mais le droit du travail pose des conditions d'âge supplémentaires. Jusqu'à récemment, le mineur de moins de 16 ans ne pouvait conclure un contrat de travail que dans des situations bien spécifiques et très encadrées correspondant aux travaux légers pendant les périodes scolaires et au mannequinat. On se souviendra, néanmoins, que la loi sur l'égalité des chances a rapporté cette limite d'âge à 14 ans concernant les contrats d'apprentissage (loi n° 2006-396, 31 mars 2006, pour l'égalité des chances, art. 1 à 7 N° Lexbase : L9534HHL, et les obs. sur cette question de S. Martin-Cuenot, Le contrat d'apprentissage junior, Lexbase Hebdo n° 210 du 13 avril 2006 - édition sociale N° Lexbase : N6913AKA). La question de la minorité reste beaucoup plus théorique du côté de l'employeur, pour des raisons qui s'expliquent, au moins pour partie, du fait de l'incapacité globale du mineur en matière de droit commercial. Rappelons que le mineur, même émancipé, ne peut avoir le statut de commerçant (C. com., art. L. 121-2 N° Lexbase : L5550AIE). Une différence importante sépare encore les règles relatives à la capacité du salarié et de l'employeur. En effet, si le salarié est toujours une personne physique, l'employeur est souvent une personne morale, qu'il s'agisse d'une société, d'une fondation ou encore d'une association.
En dehors donc des rares hypothèses dans lesquelles l'employeur est un mineur, deux hypothèses d'incapacité peuvent théoriquement empêcher l'employeur d'avoir la capacité de conclure un contrat de travail. La première relève de l'incapacité de la personne morale. La jurisprudence reste le plus souvent assez souple en la matière puisqu'elle considère que l'entreprise en formation a la capacité de conclure un contrat de travail (Cass. soc., 28 novembre 1974, n° 73-40.680, Société industrielle de transports automobile SITA c/ Deswarte N° Lexbase : A9164AAN). En revanche, appliquant l'article L. 621-107.2° du Code de commerce, les juges ont pu décider que les contrats de travail conclus pendant la période suspecte précédant la mise en oeuvre d'une procédure collective devaient être annulés, à condition que "les obligations du débiteur excèdent notablement celles de l'autre partie" (v. en la matière les observations de G. Auzero, Nullité d'un contrat de travail conclu pendant la période suspecte, Lexbase Hebdo n° 127 du 30 juin 2004 - édition sociale N° Lexbase : N2099ABD) ; v. également, Ch. Radé, La nullité du contrat de travail conclu pendant la période suspecte et ses conséquences, Lexbase Hebdo n° 71 du 14 mai 2003 - édition sociale N° Lexbase : N7324AAI). La seconde hypothèse est celle de l'employeur personne physique soumis à une incapacité du majeur, c'est-à-dire au régime d'une tutelle ou d'une curatelle.
Pour le majeur sous tutelle, la règle est simple. Celui-ci devant être représenté "d'une manière continue dans les actes de la vie civile" (C. civ., art. 492 N° Lexbase : L3057ABT), seul le tuteur peut conclure pour lui un contrat de travail. En revanche, les choses se compliquent lorsque la mesure est une curatelle. En effet, l'incapable peut alors conclure lui-même tous les actes que pourrait conclure seul le tuteur d'un majeur sous tutelle, à condition toutefois que l'acte ne constitue pas une réception ou un emploi de capitaux (C. civ, art. 510 N° Lexbase : L3082ABR). Cela sans compter que le juge des tutelles peut, à l'ouverture de la curatelle, faire varier les pouvoirs de l'incapable, lui autorisant des actes supplémentaires ou, au contraire et comme en l'espèce, lui restreignant un peu plus son champ de compétence. Il s'agit alors d'une curatelle renforcée. L'arrêt commenté ne fournit aucune information sur l'étendue du renforcement de la curatelle. En revanche, il décide que, dans le cadre d'une telle mesure de renforcement, le contrat de travail ne fait pas partie des actes que l'incapable peut conclure sans l'assistance de son tuteur, et ce en raison de sa nature "d'acte engageant le patrimoine" du majeur protégé. Il semble que ce soit la première fois que la Cour de cassation ait l'occasion de se prononcer sur une telle hypothèse. Seule la cour d'appel de Dijon avait déjà statué sur des faits similaires (CA Dijon, 7 mai 1996, BICC 15 mars 1997, n° 229 ; RTD civ. 1997, p. 397, obs. J. Hauser). La cour avait alors conclu à la capacité du majeur sous curatelle renforcée de conclure un contrat de travail en tant qu'employeur. La première chambre civile apporte donc un désaveu à la cour de Dijon en la matière. Cette prise de position porte à s'interroger sur la qualification de l'engagement d'un employeur dans une relation de travail : est-ce un acte conservatoire, d'administration ou de disposition ? II - De l'engagement du patrimoine par le contrat de travail
Lorsque la curatelle n'a pas été aménagée par le juge, on considère que le majeur incapable peut effectuer seul tous les actes que le tuteur d'un majeur protégé pourrait accomplir sans l'assentiment du conseil de famille. On enseigne traditionnellement (V. F. Terré, D. Fenouillet, Les personnes, la famille, les incapacités, Dalloz, 7e éd., 2005, p. 1310) que la césure entre les actes autorisés et les actes nécessitant assistance se trouve entre les actes de disposition, d'une part, et les actes d'administration ou les actes conservatoires, d'autre part. Or, la détermination de la frontière entre ces différents types d'actes est parfois malaisée, en témoigne la question du contrat de travail. S'agit-il d'un acte d'administration, destiné seulement "à faire fructifier un bien sans en compromettre la valeur en capital " ou d'un acte qui " porte atteinte ou risque de porter atteinte à la valeur d'un bien considéré comme un capital" ? (sur la distinction entre les actes de différentes natures, v. F. Terré, Introduction générale au droit, Dalloz, 5ème éd., 2000, p. 301). La réponse instinctive que l'on est tenté d'apporter à cette question est la suivante : la conclusion d'un contrat de travail relève de la catégorie des actes d'administration puisqu'elle vise à développer et à accroître l'entreprise et sa capacité à produire des richesses. Seulement, ce raisonnement ne se tient qu'en présence d'une véritable entreprise. Que penser de la situation, comme celle qui avait fait l'objet de l'arrêt de la cour d'appel de Dijon (V. arrêt préc.), dans laquelle le majeur sous curatelle est une personne âgée qui souhaite embaucher un garde-malade ? Il ne s'agit là bien évidemment plus de faire fructifier une entreprise, d'ailleurs inexistante en l'occurrence. La première chambre civile de la Cour de cassation, devant l'inopérabilité de la distinction habituelle, se place donc sur un autre terrain, celui de l'engagement du patrimoine du majeur protégé.
Des auteurs avaient déjà fait remarquer, à l'occasion de l'arrêt de la cour d'appel de Dijon (V. F. Terré, D. Fenouillet, préc., spéc. note n° 5 ; J. Hauser, préc.), que la qualification du contrat de travail d'acte d'administration opérée par les juges à cette occasion s'avérait hasardeuse. Le contrat de travail, par sa durée et par les droits accordés au salarié en application du droit du travail, emporte des conséquences qui peuvent s'avérer être particulièrement lourdes. On pourrait comparer cette situation à celle de l'entrepreneur individuel qui, décidant d'embaucher un salarié, passe au statut d'employeur. Quoique celles-ci soient le plus souvent justifiées, ce changement de statut génère de nombreuses charges nouvelles pour l'employeur. La conclusion d'un contrat de travail est un acte important d'un point de vue patrimonial, et par lequel le majeur protégé peut être amené à s'appauvrir. Ce doit donc logiquement être un acte réfléchi pour lequel l'assistance du curateur paraît bienvenue. Le contrat de travail qui avait déjà été conclu sans l'accord ni du curateur, ni du juge des tutelles, tombera sous le coup d'une nullité relative (C. civ., art. 510-1 N° Lexbase : L3084ABT) avec toutes les difficultés inhérentes à la nullité du contrat de travail... Restent alors au moins deux questions en suspens. Tout d'abord, la solution aurait-elle été la même si la curatelle n'avait pas été renforcée par le juge des tutelles ? Il est difficile de répondre à cette question puisque l'on ne sait pas dans quelles mesures le juge des tutelles avait aggravé l'incapacité du majeur. Ensuite, la distinction entre le majeur protégé employant un salarié dans le cadre des "services à la personne" et le majeur protégé dirigeant une véritable entreprise doit-elle conduire à des nuances ? Il est en tout cas certain que, si le patrimoine du majeur sous curatelle est, dans les deux cas, engagé, seul le premier d'entre eux le mènera nécessairement à s'appauvrir, ce qui requiert alors une attention accrue du curateur. |
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Réf. : CAA Bordeaux, 1ère ch., 31 août 2006, n° 04BX00807, Société arboricole et fruitière de l'Agenais (N° Lexbase : A9451DQ4)
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N4113ALW
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Le 07 Octobre 2010
I. Par deux avis en date du 3 décembre 2001 (1) et du 12 juin 2002 (2), le Conseil d'Etat a estimé que les plans de prévention des risques naturels prévisibles constituaient des "documents d'urbanisme" et des "dispositions d'urbanisme"
1) La notion de document d'urbanisme
C'est par un avis du 7 janvier 1997 que le Conseil d'Etat a défini cette notion. Selon le Conseil, "l'expression document d'urbanisme' utilisée par les auteurs de l'article L. 600-3 [4] [...] doit être entendue comme désignant les documents élaborés à l'initiative d'une collectivité publique et ayant pour objet de déterminer les prévisions et règles touchant à l'affectation des sols, opposables aux personnes publiques ou privées". Ainsi, "il n'est pas tant tenu compte du but en vue duquel le document est institué que de sa portée quant aux décisions qui doivent être prises sur son fondement. Dès lors que le document détermine si une autorisation d'occuper le sol doit ou non être délivrée dans la zone qu'il définit, il est un document d'urbanisme quel que soit [...] le but qu'il poursuit : organisation de l'espace, protection ou prévention contre les dangers" (5). Par la suite, le Conseil d'Etat a reconnu le caractère de document d'urbanisme à des documents qui comportent un rapport et des plans et ont pour objet et pour effet de déterminer des zones à l'intérieur desquelles s'appliquent des contraintes d'urbanisme (6).
2) La portée de ces avis
a. Par le premier avis du 3 décembre 2001, Le Conseil d'Etat a donc estimé que les dispositions de l'article R. 600-1 du Code de l'urbanisme étaient applicables aux plans de prévention des risques naturels prévisibles. En effet, selon le Conseil, "les plans de prévention des risques naturels prévisibles, documents comportant une note de présentation et des plans graphiques établis par l'autorité administrative, ont pour objet et pour effet de délimiter des zones exposées à des risques naturels à l'intérieur desquelles s'appliquent des contraintes d'urbanisme importantes [...] ces contraintes s'imposent directement aux personnes publiques ainsi qu'aux personnes privées et peuvent notamment fonder l'octroi ou le refus d'une autorisation d'occupation ou d'utilisation du sol". Les dispositions de l'article R. 600-1 du Code de l'urbanisme prévoyant une obligation de notification des recours dirigés contre un document d'urbanisme ou une décision relative à l'occupation des sols à l'auteur de l'acte et éventuellement à son bénéficiaire, il incombe désormais à toute personne qui souhaite contester la légalité d'un plan de prévention des risques naturels prévisibles ou d'une décision touchant à l'affectation des sols prise en application de ce plan, de notifier le recours exercé devant le juge administratif à l'auteur du plan ou de la décision. Cette contrainte est importante, d'une part, parce que la règle de notification prévue par les dispositions de l'article R. 600-1 du Code de l'urbanisme n'a pas à être mentionnée sur l'acte attaqué et ne peut être régularisée après l'expiration du délai de quinze jours à compter du dépôt du recours, d'autre part, parce que cette règle issue du Code de l'urbanisme doit être connue du requérant qui attaque un acte pris en vertu d'un autre code.
Par cet avis, le Conseil d'Etat a, également, indiqué qu'un document d'urbanisme n'était pas nécessairement un document prévu par le Code de l'urbanisme. En effet, pour la première fois, le Conseil d'Etat a estimé qu'un document prévu par le Code de l'environnement pouvait être qualifié de document d'urbanisme. Ainsi, et contrairement à ce qu'avait préconisé le commissaire du Gouvernement, le Conseil d'Etat ne s'arrête pas à la nature du texte dans lequel est insérée la définition du document qu'il doit apprécier mais il s'attache uniquement au contenu et aux effets de ce document pour déterminer s'il s'agit ou non d'un document d'urbanisme.
b. Par le second avis du 12 juin 2002, après avoir rappelé que les plans de prévention des risques naturels prévisibles ont "pour objet et pour effet de délimiter des zones exposées à des risques naturels à l'intérieur desquelles s'appliquent des contraintes d'urbanisme importantes s'imposant directement aux personnes publiques et aux personnes privées", le Conseil d'Etat a estimé que "le règlement de ces plans [...] comprend des prescriptions pouvant notamment fonder l'octroi ou le refus d'une autorisation d'occupation ou d'utilisation du sol" et qu'ainsi, "alors même que ces plans valent servitudes d'utilité publique lorsqu'ils sont approuvés en application des dispositions de l'article L. 562-4 précité du Code de l'environnement [N° Lexbase : L3016ANZ], les dispositions de leur règlement relatives à l'occupation ou à l'utilisation du sol, qu'elles soient ou non incorporées au plan local d'urbanisme, constituent des dispositions d'urbanisme au sens de l'article L. 600-2, et sont donc, dans cette mesure et sous réserve du respect des conditions fixées par l'article L. 600-2 précité, inopposables au pétitionnaire bénéficiaire de l'annulation d'un précédent refus de permis de construire".
Les dispositions de ce dernier article prévoient, en effet, que lorsqu'un refus opposé à une demande d'autorisation relative à l'occupation ou à l'utilisation du sol a été annulé par le juge, l'autorité compétente pour statuer sur cette demande ne peut opposer un nouveau refus qui serait fondé sur des dispositions d'urbanisme intervenues postérieurement à la date de la décision annulée. Il s'agit ainsi de limiter l'instabilité des normes en matière d'aménagement et d'urbanisme et d'améliorer la sécurité juridique des titulaires d'autorisation. Contrairement à ce que pensait la doctrine, la stabilisation prévue par l'article L. 600-2 du Code de l'urbanisme concerne désormais les servitudes d'utilité publique appliquées au permis de construire lorsqu'elles ont été édictées entre la décision de refus illégale et la nouvelle décision faisant suite à la confirmation par le pétitionnaire (7).
Par cet avis, le Conseil d'Etat estime donc qu'un document d'urbanisme n'est pas nécessairement un document comportant des servitudes d'urbanisme. Autrement dit, un document qualifié de servitude d'utilité publique, et non de servitude d'urbanisme, peut fort bien être qualifié de document d'urbanisme. Par ailleurs, si la jurisprudence estimait jusqu'alors que, pour être opposables aux demandes d'autorisation individuelles d'occupation et d'utilisation du sol, les servitudes d'utilité publique devaient être préalablement annexées au plan local d'urbanisme (8), la solution rendue par le Conseil d'Etat dans son avis du 12 juin 2002 s'écarte de cette règle en cas d'annulation d'une demande d'autorisation d'occupation ou d'utilisation du sol puisque, dans un tel cas, les servitudes d'utilité publique sont inopposables aux demandeurs même si elles avaient bien été annexées au plan local d'urbanisme.
II. L'assimilation des plans de prévention des risques naturels à des documents d'urbanisme est contestable dans la mesure où l'objet des seconds est plus global que celui des premiers
1) Les documents d'urbanisme sont des documents à vocation générale qui concernent tous les aspects de l'aménagement
Rappelons à cet égard que le droit de l'urbanisme est défini comme "l'ensemble des normes qui gouvernent l'occupation de l'espace urbain [et] disent quelles formes d'activité immobilière sur un terrain donné sont interdites, limitées, encadrées" (9). Le droit de l'urbanisme est donc le droit commun de l'espace urbain. Par ailleurs, les documents d'urbanisme ont une dimension globalisante et qualitative, ce qui signifie que, sur un même territoire, les orientations et les servitudes qu'ils déterminent constituent l'expression d'une stratégie d'aménagement qui a vocation à synthétiser et concilier des intérêts et des objectifs a priori contradictoires (10).
Ainsi, dans les territoires auxquels ils s'appliquent, les documents d'urbanisme doivent prévenir non seulement les risques naturels prévisibles mais aussi les risques technologiques. En outre, ils doivent préserver les activités agricoles, protéger les espaces forestiers, les sites et les paysages et prévoir suffisamment d'espaces constructibles pour les activités économiques et d'intérêt général. Leur principale fonction est donc "d'arbitrer entre les différentes possibilités d'occuper ou d'utiliser le sol pour aboutir à un aménagement de l'espace équilibré" (11). Il s'agit donc de concevoir un projet urbain en déterminant plusieurs zonages ordinaires et spécifiques dont la combinaison est le reflet de la complexité d'aménagement des villes actuelles (12). Le zonage prévu par les documents d'urbanisme est donc complexe, multifonctionnel et multisectoriel.
2) Les plans de prévention des risques naturels traitent, en revanche, d'un aspect particulier et sectoriel de l'aménagement de l'espace
Comme leur nom l'indique, le seul objet des plans de prévention des risques naturels prévisibles est la prévention de tels risques, leur statut de servitudes d'utilité publique affectant l'utilisation des sols leur permettant de faire prévaloir cet impératif sur toute autre considération, notamment, lors de la délivrance des permis de construire. Du fait de leur caractère "monofonctionnel", les plans de prévention des risques naturels prévisibles n'ont pas vocation à se substituer au document de planification urbaine mais à le compléter en énonçant des prescriptions destinées à satisfaire un seul objectif.
C'est pourquoi le zonage réalisé dans le cadre de ces plans correspond, au regard des besoins d'aménagement de l'espace, à un découpage accessoire et de superposition, découpage ciblé et limité à la gestion des risques naturels. Ce zonage spécifique et binaire (zones exposées à des risques naturels d'un côté/zones non exposées à tels risques de l'autre) ne constitue donc pas une vision et un aménagement globaux de l'espace urbain. Le document unidimensionnel qu'est le plan de prévention des risques naturels prévisibles ne comprend donc aucune règle d'urbanisme au sens habituel de ce terme.
III. Les plans prévention des risques naturels prévisibles, bien que qualifiés de documents d'urbanisme, ne contiennent ni règles ni servitudes d'urbanisme
1) La distinction entre servitudes d'urbanisme et servitudes d'utilité publique
Alors que les servitudes d'urbanisme résultent du Code de l'urbanisme et sont en particulier régies par le principe de non-indemnisation posé à l'article L. 160-5 de ce code (N° Lexbase : L7364ACQ), les servitudes d'utilité publique affectent l'utilisation du sol (13) mais résultent de législations (monuments historiques, sites, littoral) et de codes (Code de l'environnement pour les plans de prévention des risques naturels) spécifiques. En outre et surtout, les servitudes d'utilité publique, contrairement aux servitudes d'urbanisme, ouvrent droit à indemnisation, sauf disposition législative spécifique, des dommages anormaux et spéciaux subis par les propriétaires des terrains concernés (14). La cour administrative d'appel de Nancy a ainsi eu l'occasion de juger que les servitudes instituées en application d'un plan de prévention des risques naturels prévisibles ne constituaient pas des servitudes d'urbanisme tout en estimant que ces servitudes, dans la mesure où elles poursuivaient, comme le plan dont elles étaient issues, un but de sécurité des populations face aux risques majeurs, répondaient ainsi à d'impérieuses considérations environnementales et de sécurité de sorte que le législateur devait être regardé comme ayant entendu exclure toute indemnisation (15). L'arrêt laisse cependant ouverte la possibilité d'une telle indemnisation lorsque la mise en oeuvre de cette servitude environnementale a apporté au propriétaire une charge spéciale et exorbitante des charges normales, hors de proportion avec l'objectif d'intérêt général poursuivi.
2) L'absence de règles d'urbanisme au sein des plans de prévention des risques naturels prévisibles
Les plans de prévention des risques naturels prévisibles, quand bien même ils sont qualifiés de documents d'urbanisme, ne semblent pas contenir de règles d'urbanisme à proprement parler mais seulement des "contraintes susceptibles d'affecter l'utilisation de l'espace" (16). Autrement dit, s'ils sont des documents d'urbanisme au sens des dispositions des articles R. 600-1 et L. 600-2 du Code de l'urbanisme, les plans de prévention des risques naturels prévisibles ne comportent pas pour autant de règles d'urbanisme. Il semble donc que l'assimilation effectuée par la jurisprudence soit limitée et circonscrite à l'application de certaines règles de procédure instituées par le Code de l'urbanisme. En bref, d'un point de vue strictement juridique et normatif, les plans de prévention des risques naturels prévisibles contiennent des règles distinctes de celles du droit de l'urbanisme, dont la vocation est moins large et qui appartiennent à la catégorie des servitudes administratives affectant l'utilisation des sols mais non instituées par le Code de l'urbanisme.
Sur la deuxième partie de cet article "l'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux, en assimilant les plans de prévention des risques naturels prévisibles à des plans locaux d'urbanisme, s'inscrit dans la logique très contestable des avis rendus par le Conseil d'Etat tout en laissant ouverte la question de la qualification des servitudes instituées en application de ces plans", voir (N° Lexbase : N4114ALX).
Frédéric Dieu
Commissaire du Gouvernement près le Tribunal administratif de Nice (1ère ch.)
(1) CE Avis 3 décembre 2001, n° 236910, SCI des 2 et 4 rue de la Poissonnerie et a. (N° Lexbase : A7503AX8) : BJDU 1/2002, p. 54 conclusions contraires Fombeur ; AJDA 2002 p. 177 note Jacquot, RDI 2002 p. 36 observations Durry ; RFDA 2002 p. 982 note Chauvin.
(2) CE Avis 12 juin 2002, n° 244634, Préfet de la Charente-Maritime (N° Lexbase : A9288AYN) : BJDU 3/2002 p. 220 conclusions Boissard ; AJDA 2002 p. 1080 note Lebreton ; Dalloz 2002 IR 2779, Construction-Urbanisme 2002 n° 10 comm. n° 251 observations Benoît-Cattin ; RDI 2002 p. 427 observations Derepas ; Environnement 2002 n° 8-9 p. 17 note Trouilly ; CE 7 juillet 2000, n° 200949, Secrétaire d'Etat au logement (N° Lexbase : A9439AGP) : BJDU 4/2000 p. 266, conclusions Touvet.
(3) CE Avis 17 janvier 1997, n° 183072, Association de défense du site de l'environnement de Galluis (N° Lexbase : A8251ADX), au Recueil p. 22, BJDU 1/1997 p. 97 conclusions Bonichot.
(4) Article désormais transféré à l'article R. 600-1 du Code de l'urbanisme.
(5) J.-C. Bonichot, observations sous CE Avis 12 juin 2002 précité.
(6) CE 7 juillet 2000, Secrétaire d'Etat au logement précité, BJDU 4/2000 p. 266 conclusions Touvet.
(7) Cf. Patrick Hocreitère, L'annulation du refus illégal du permis de construire, DA mars 1994 p. 1 : "La stabilisation de l'article L. 600-2 [...] ne concerna pas les servitudes d'utilité publique qui peuvent être appliquées au permis de construire même si elles ont été édictées entre la décision de refus illégale et la nouvelle décision faisant suite à la confirmation par le pétitionnaire".
(8) Sous peine, dans le cas contraire, d'être inopposables aux demandeurs d'autorisations d'utilisation ou d'occupation du sol : CE 8 février 1985, Association Etoile sportive du Blanc-Mesnil, DA 1985 n° 173.
(9) J.-B. Auby et H. Périnet-Marquet, Droit de l'urbanisme et de la construction, Domat Montchrestien, 3ème édition, n° 353, p. 122.
(10) Cf. à cet égard : N. Lusson-Lerousseau, La divisibilité des documents d'urbanisme, AFDUH 3/1999 p. 100.
(11) H. Jacquot, note sous CE Avis 3 décembre 2001, SCI des 2 et 4 rue de la Poissonnerie et a., AJDA 2002 p. 179.
(12) Selon J.-B. Auby et H. Périnet-Marquet, "les documents d'urbanisme [...] donnent à la règle une formulation spatiale, c'est-à-dire que les règles qu'ils fixent sont modulées, différenciées en fonction des zones à qui on veut donner des affectations différentes ou dont on veut influencer l'évolution différemment", Droit de l'urbanisme et de la construction, n° 488, p. 184.
(13) Ce sont en effet des limitations administratives à l'exercice du droit de propriété et à l'usage des sols.
(14) CE 14 mars 1986, n° 40310, Commune de Gap-Rommette (N° Lexbase : A4681AMC), au Recueil p. 74.
(15) CAA Nancy 10 avril 2003, n° 97NC02711, Société Le Nid (N° Lexbase : A7430B93) : RDI 2003 p. 248 note Y. J. ; AJDA 2003 p. 1619 note Cassin.
(16) S. Traoré, La nature juridique des plans de prévention, AJDA 2003 p. 2185.
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Réf. : CE Contentieux, 27 septembre 2006, n° 260050, Société Janfin (N° Lexbase : A3224DRT) et CJCE, 12 septembre 2006, C-196/04, Cadbury Schweppes plc, Cadbury Schweppes Overseas Ltd (N° Lexbase : A9641DQ7)
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N4074ALH
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par Jean-Marc Priol, Avocat au Barreau des Hauts-de-Seine, Landwell & Associés
Le 07 Octobre 2010
Il est à noter enfin que "l'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité [...]" et "si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé de la rectification".
Les rehaussements notifiés selon la procédure de l'abus de droit sont assortis d'une majoration de 80 % (CGI, art. 1729 b N° Lexbase : L1716HNU).
Les dispositions de l'article 1754 V 1 du CGI (N° Lexbase : L1746HNY) précisent en outre qu'en cas d'abus de droit, l'intérêt de retard et la majoration prévue à l'article 1729 du CGI sont dus par toutes les parties à l'acte ou à la convention qui sont solidairement tenues à leur paiement.
On notera, enfin, que la procédure de répression des abus de droit n'est pas applicable aux termes de l'article L. 64 B du LPF (N° Lexbase : L8182AER), lorsque le contribuable, préalablement à la conclusion d'un contrat ou d'une convention, a consulté par écrit l'administration centrale en lui fournissant tous les éléments utiles pour apprécier la portée véritable de ses opérations et que l'administration n'a pas répondu dans un délai de six mois à compter de la demande.
3. Le cas d'espèce examiné par les magistrats du Palais-Royal concernait une société qui après avoir acquis, en fin d'année 1994, des titres de diverses sociétés puis perçu les dividendes y afférents, avait cédé quelques jours après les titres ainsi acquis, faisant ressortir des moins-values pour un montant égal à celui des dividendes encaissés hors avoirs fiscaux, ces derniers ayant permis à la société de régler la totalité de l'impôt sur les sociétés dont elle se déclarait redevable au titre de l'exercice clos en 1994.
4. Le Conseil d'Etat dans sa décision a considéré que l'utilisation par une société, en paiement de l'impôt sur les sociétés, d'avoirs fiscaux résultant d'opérations d'achat et de revente de titres à proximité de la date de détachement du coupon, n'était pas susceptible d'être critiquée par l'administration à l'appui de la procédure de répression des abus de droit prévue à l'article L. 64 du LPF dans la mesure où "cette utilisation ne déguise ni la réalisation, ni le transfert de bénéfices ou de revenus" (LPF, art. L. 64 b).
En revanche, selon le Haut conseil, il appartient à l'administration, "lorsque se révèle une fraude commise en vue d'obtenir l'application de dispositions de droit public, d'y faire échec même dans le cas où cette fraude revêt la forme d'un acte de droit privé".
Selon toujours le Haut conseil, ce principe est applicable en matière fiscale, dès lors que le litige n'entre pas dans le champ d'application des dispositions de l'article L. 64 du LPF, en sorte que l'administration peut écarter comme ne lui étant pas opposables les actes qui "ont un caractère fictif" ou qui "recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, n'ont pu être inspirés par aucun motif autre que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées eu égard à sa situation et à ses activités réelles".
5. Le Conseil d'Etat juge donc que les principes généraux du droit de "fictivité" et de "fraude à la loi" se substituent à l'article L. 64 du LPF, lorsque les conditions d'application de ce dernier font défaut.
La répression de l'abus de droit sans texte est, par conséquent, rendue possible par application de ces principes généraux, dès lors que les dispositions de l'article L. 64 du LPF ne peuvent être utilisées.
Elle reprend donc, dans sa décision, suivant en cela les conclusions de son commissaire du Gouvernement, les deux cas d'abus de droit constitués par la "fictivité" et la "fraude à la loi", en tant que principes généraux du droit constituant une base légale distincte de celle de l'article L. 64 du LPF.
Il doit être rappelé que la notion fiscale d'abus de droit visée par l'article L. 64 du LPF recouvre, en effet, outre le cas de "fictivité" expressément visé par le texte (CE, 23 février 1979, n° 06688, Gamon N° Lexbase : A5806B8K ; CAA Bordeaux, 2 février 2006, n° 02BX01398, M. Philippe Simon N° Lexbase : A6539DNI) et par extension de la jurisprudence du Haut conseil, l'hypothèse de "la fraude à la loi" (CE, 10 juin 1981, n° 19079, Ministre du Budget c/ xxxxx N° Lexbase : A7572AKN : RJF 9/81, n° 787).
Selon le commissaire du Gouvernement, la lettre du texte "montre [...] que le législateur a voulu inscrire les redressements couverts par ces dispositions dans le cadre d'une procédure spéciale : il n'a [...] aucunement entendu laisser le choix à l'administration de poursuivre le redressement soit sur le fondement de l'article L. 64, soit sur celui de la théorie jurisprudentielle de l'abus de droit".
On notera que l'article L. 64 du LPF revêt "un caractère mixte" étant "à la fois un article de procédure d'imposition et un article d'assiette".
Il vise les infractions de "fictivité" et de "fraude à la loi", devant bénéficier spécifiquement d'une procédure protectrice (par la saisine du Comité consultatif pour la répression des abus de droit), voulue par le législateur, afférentes à la détermination de l'assiette non seulement de l'impôt sur le revenu et de l'impôt sur les sociétés, des droits d'enregistrement et des taxes sur le chiffre d'affaires, mais aussi, par extension législative, de l'impôt de solidarité sur la fortune (LPF, art. L. 64 A) et de la taxe professionnelle (LPF, art. L. 64 B).
Il s'ensuit que le texte n'écarte que les actes visant à minorer l'assiette de l'impôt excluant, notamment, les taxes locales autres que la taxe professionnelle, la taxe sur les salaires (CAA Nancy, 20 mai 1998, n° 94NC01609, SA Desoss N° Lexbase : A0103AX4) et les questions afférentes au moyen de paiement de l'impôt comme au cas d'espèce.
La question risque de se poser également dans l'avenir pour les crédits d'impôts ainsi que, d'une manière plus générale, le cas échéant, pour le recouvrement de l'impôt.
S'agissant de l'avoir fiscal, dès lors que celui-ci se trouve inclus dans l'assiette de l'impôt avec les dividendes auxquels il se trouve attaché, la question se posait de savoir si son utilisation par le contribuable relevait de l'assiette ou d'un moyen de paiement de l'impôt.
Mais, dans la mesure où il était constaté qu'il ne participait pas à la réduction de l'assiette, mais tout au contraire, à son accroissement, l'administration ne pouvait se placer sur le terrain de l'article L. 64 du LPF ; et il lui appartenait d'apprécier l'utilisation qui en était faite au regard du principe de "fictivité" et de "la fraude à la loi".
6. Il sera observé, incidemment, que bien que la question au fond n'ait pas été tranchée par le Haut conseil parce que le ministre n'avait pas soulevé à titre subsidiaire le moyen tiré de "la fraude à la loi", le commissaire du Gouvernement a jugé utile d'émettre l'avis qu'au cas d'espèce les infractions de "fictivité" et de "fraude à la loi" ne se trouvaient pas constituées.
En ce qui concerne la "fictivité", celle-ci n'est pas, selon lui, constituée en l'absence de montage artificiel au sens "d'une construction juridique traduisant un minimum de complexité" dans la mesure où le contribuable s'est livré à "une pratique usuelle" d'achat de titres suivie de la perception de dividendes et d'avoirs fiscaux attachés à ces derniers et de vente de ces mêmes titres nonobstant le "délai très court dans lequel ces opérations se sont déroulées".
En ce qui concerne "la fraude à la loi", celle-ci n'est pas, également, à son sens, constituée dans la mesure où il "n'y a pas eu création artificielle d'un avoir fiscal, mais seulement changement de bénéficiaire [...] remplissant les conditions légales", étant observé qu'il ne voit pas en quoi l'opération "constitue un détournement de la finalité du dispositif, de la raison d'être de l'avoir fiscal [traduisant] cet excès d'habilité, pour reprendre l'expression du Professeur Cozian".
En conséquence, sur ce dernier point, l'élément intentionnel (l'intention de l'auteur de l'acte) et l'élément objectif (l'usage anormal ou excessif d'un droit) ne se trouvaient pas constitués.
7. Le Haut conseil entend par fraude appliquée à la matière fiscale celle "commise en vue d'obtenir l'application de dispositions de droit public, [....] même dans le cas où cette fraude revêt la forme d'un acte de droit privé" reprenant ainsi un considérant de principe tiré de son avis de section du 9 octobre 1992 (CE, 9 octobre 1992, n° 137342, M. Abihilali N° Lexbase : A7982AR3 ; cf. également, CE, 20 janvier 1989, n° 102993, Commission nationale de la communication et des libertés c/ Société "La Cinq" N° Lexbase : A1562AQW).
On rapprochera de cette définition celle antérieurement donnée pour l'abus de droit auquel la fraude se confond, défini comme "l'usage d'un droit avec une fin contraire à celle définie par le législateur" (Traité de droit civil de MM. Colin, Capitant, et de La Morandière, 1953, T. II, P. 237)
Le Professeur R. Odent, dans son cours de droit administratif (p. 1921), rappelait en ce sens que "les administrés peuvent violer l'esprit de la loi si, à seule fin d'obtenir les avantages attachés à une situation qui, en vertu d'un texte, y ouvre droit, ils se placent dans cette situation et en revendiquent le bénéfice tout en refusant d'accepter la contrepartie que le législateur avait en vue lorsqu'il a prévu les avantages correspondants".
La Cour de cassation, très tôt, s'était positionnée sur le sujet en considérant que l'administration pouvait procéder à la requalification d'un acte lorsque sa "substance [...] aussi bien que ses conséquences nécessaires et immédiates protestent contre la qualification que les contractants lui ont donnée, et qu'il ressort de l'économie de ses dispositions qu'elles ont été combinées en vue de dissimuler une autre nature de contrat qu'on voulait soustraire au droit déterminé par la loi fiscale" (Cass. civ., 20 août 1867 : D.P. 1867, 1, 337).
Elle le justifiait par le fait que "l'administration a le droit et le devoir de rechercher et de constater le véritable caractère des stipulations contenues dans les contrats pour arriver à asseoir, d'une manière conforme à la loi, les droits dus par les parties contractantes à raison des contrats".
La Cour de cassation a ultérieurement confirmé sa jurisprudence en ce sens (C. cass., 19 avril 1932) faisant ainsi une application sans texte de la "fictivité" ou de "la fraude à la loi" adoptée ensuite par le Conseil d'Etat en matière d'impôt sur le revenu et d'impôt sur les sociétés (CE, 15 février 1923 : DP 1923, 3, 9 ; CE, 23 décembre 1935 : Rec. Lebon, p. 1220 ; CE, 12 décembre 1930 : Rec. Lebon, p. 1063 ; CE, 25 avril 1938 : Rec. Lebon, p. 165), avant l'intervention d'un texte spécifique le 13 janvier 1941 autorisant l'administration à "écarter un acte juridique quelconque visant à dissimuler un revenu ou un bénéfice et [à] restituer à l'opération son véritable caractère" à l'origine de l'article L. 64 du LPF, dans sa version ultime. Le Conseil d'Etat interprétait ledit texte littéralement en considérant que l'abus de droit ne pouvait être opposé au contribuable par l'administration si l'acte ou l'opération critiqué ne soulevait aucune "fictivité" (CE, 23 février 1979, n° 06688, Gamon, déjà cité), interprétant ainsi d'une manière très restrictive lesdites dispositions avant d'opérer un revirement prétorien de jurisprudence par un arrêt du 10 juin 1981 (CE, 10 juin 1981, n° 19079, Ministre du Budget c/ xxxxx, déjà cité) intégrant la notion de "fraude à la loi" suivi, en cela, par la Cour de cassation qui a fait siennes de la définition de l'abus de droit ainsi retenue (Cass. com., 19 avril 1988, n° 86-19.079, Madame Dozinel N° Lexbase : A7796AAY : RJF 2/89, n° 259).
8. La question se pose de savoir pourquoi le Haut conseil dans sa décision du 27 septembre 2006 a amorcé une telle évolution alors que sa jurisprudence depuis des décennies n'a jamais saisi les occasions qui lui ont été données dans plusieurs affaires d'envisager la répression de l'abus de droit sans texte (CE, 5 novembre 1955, n° 22322, Sieur B. : Dr. Fisc. 1956, n° 1, p. 5 ; CE, 25 février 1966, n° 64228 : Dr. fisc. 1966, n° 12, com. 330).
En effet, il convient de rappeler que, lorsqu'il s'est agi de savoir si la procédure de répression de l'abus de droit était applicable aux impôts locaux et plus particulièrement à la taxe professionnelle, sur le fondement du texte de l'article L. 64 du LPF, le Haut conseil a répondu par la négative, sans aller plus avant, notamment sur le terrain de "la fraude à loi" (CE Contentieux, 10 juin 1992, n° 90466, Société à responsabilité limitée Gournac-Thomas N° Lexbase : A6935ARB) ; cette jurisprudence ayant conduit le législateur par sécurité à adopter un texte (LPF, art. L. 64 B issue de la loi n° 2003-1312 du 30 décembre 2003 N° Lexbase : L6330DME).
Pour le commissaire du Gouvernement Laurent Olléon, l'interprétation à donner à cette situation ne permet pas de prétendre que le Haut conseil, se soit réellement positionné sur la possibilité d'une application de la répression de l'abus de droit sans texte nonobstant une partie de la doctrine considérant que le texte est la "seule source de pouvoirs de l'administration en pareille matière" ou que "le concept de l'abus de droit [étant] devenu, à partir de 1941, un concept purement législatif", ce dernier interdisait à l'administration de se placer sur le terrain de "la fraude" à la loi hors du champ d'application d'un texte.
Au contraire, le commissaire du Gouvernement Laurent Olléon observe dans ces conclusions qu'une autre partie de la doctrine animée par le Professeur M. Cozian rappelle qu'historiquement le support légal faisait défaut et que l'intervention du texte de 1941 qui avait placé hors de son champ d'application les droits d'enregistrement n'avait pas empêché le juge de l'impôt de faire application de l'abus de droit en cette matière.
En ce sens, il rappelle "que si l'article L. 64 du LPF et les textes qui l'ont précédé définissent le champ d'application de la procédure spéciale, ils ne disent mot de ce qui demeure en dehors de ce champ, et ne traduisent nullement la volonté du législateur d'interdire à l'administration de réprimer d'éventuels abus de droit hors du champ d'application de ces dispositions" faisant ainsi échos à la règle rappelée par le Professeur M. Cozian selon laquelle "l'incidence d'une loi spéciale nouvelle sur le droit antérieur" doit être appréciée à la lumière du principe specialia generalibus derogant.
Mais c'est probablement l'évolution récente de la jurisprudence communautaire qui, comme le souligne dans ses conclusions le commissaire du Gouvernement Laurent Olléon, "commande fortement la position" que le Haut conseil doit prendre aujourd'hui et ce plus particulièrement au regard de l'arrêt "Halifax Plc.", du 21 février 2006 rendu par la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE, 21 février 2006, aff. C-255/02, Halifax plc c/ Commissioners of Customs & Excise N° Lexbase : A0045DNY).
La Cour de justice a, en effet, en matière de taxe sur le chiffre d'affaires, dit pour droit, après avoir rappelé que, si au sens de la sixième Directive "des opérations [...] constituent des livraisons de biens ou des prestations de services et une activité économique au sens de la sixième Directive dès lors qu'elles satisfont aux critères objectifs sur lesquels sont fondées lesdites notions, même lorsqu'elles sont effectuées dans le seul but d'obtenir un avantage fiscal, sans autre objectif économique", cette même Directive "doit être interprétée en ce sens qu'elle s'oppose au droit de l'assujetti de déduire la taxe sur la valeur ajoutée acquittée en amont lorsque les opérations fondant ce droit sont constitutives d'une pratique abusive".
La Cour de justice souligne dans son arrêt que "la constatation de l'existence d'une pratique abusive exige, d'une part, que les opérations en cause, malgré l'application formelle des conditions prévues par les dispositions pertinentes de la sixième Directive et de la législation nationale transposant cette Directive, aient pour résultat l'obtention d'un avantage fiscal dont l'octroi serait contraire à l'objectif de ces dispositions" et que "d'autre part, il doit également résulter d'un ensemble d'éléments objectifs que les opérations en cause ont pour but essentiel l'obtention d'un avantage fiscal".
Elle a conclu que "lorsque l'existence d'une pratique abusive a été constatée, les opérations impliquées doivent être redéfinies de manière à rétablir la situation telle qu'elle aurait existé en l'absence des opérations constitutives de cette pratique abusive".
Cet arrêt a donc inspiré la décision du Conseil d'Etat, étant observé que la Cour de justice avait déjà formulé, hors du champ fiscal, la condamnation de "l'usage abusif des dispositions du droit communautaire" (CJCE, 14 décembre 2000, aff. C-110/99, Emsland-Stärke GmbH c/ Hauptzollamt Hamburg-Jonas N° Lexbase : A1844AW9). Un auteur, dans ces mêmes colonnes, le Professeur Yolande Sérandour, il y a quelques mois, commentant l'arrêt "Halifax plc." (voir Y. Sérandour, Abus de droit et TVA, Lexbase Hebdo n° 205, du 9 mars 2006 - édition fiscale N° Lexbase : N5453AK8 et N° Lexbase : N5994AK9 ; L'abus de droit selon la CJCE, à propos de l'arrêt Halifax, Dr. fisc. 2006, n° 16, p. 846) avait d'une manière prémonitoire posé la question de "l'éventuelle extension de cette jurisprudence communautaire à la fiscalité directe". Elle rappelait que, si tel devait être le cas, le Conseil d'Etat devrait exiger de "l'administration qu'elle désigne précisément les auteurs de l'abus de droit et qu'elle caractérise l'abus par les deux critères posés par le juge communautaire". Elle poursuivait encore en observant que le respect de la philosophie de l'arrêt "Halifax plc." devrait conduire le juge de l'impôt français à rechercher précisément "le contenu et la signification réels des opérations en cause, la distinction française entre mensonge juridique et mensonge économique important peu". Ce même juge ira-t-il jusqu'à remettre en cause l'approche de "la conception française de l'abus de droit par fraude [qui] se caractérise par le but exclusivement fiscal" au profit de celle "du but essentiellement fiscal" retenue par la Cour de justice ! La décision "Janfin" et les conclusions éclairées du commissaire du Gouvernement n'apportent aucune réponse à ces questions qui mettent en opposition la conception communautaire de l'abus de droit dégagée par l'arrêt "Halifax plc." et la conception française de cette même notion.
Sur le même sujet on notera, également, l'intervention, cette même année, après l'arrêt "Halifax plc.", d'un autre arrêt de la Cour de justice, le 12 septembre 2006, l'arrêt "Cadbury Schweppes plc.", aux termes duquel la Cour a dit pour droit que les articles 43 CE (liberté d'établissement) et 48 CE (liberté d'exercer une activité) doivent être interprétés en ce sens qu'ils "s'opposent à l'incorporation, dans l'assiette imposable d'une société résidente établie dans un Etat membre, des bénéfices réalisés par une société étrangère contrôlée dans un autre Etat membre lorsque ces bénéfices y sont soumis à un niveau d'imposition inférieur à celui applicable dans le premier Etat, à moins qu'une telle incorporation ne concerne que les montages purement artificiels destinés à éluder l'impôt national normalement dû". Il s'ensuit selon la Cour de justice que l'application d'une telle mesure d'imposition "doit par conséquent être écartée lorsqu'il s'avère, sur la base d'éléments objectifs et vérifiables par des tiers, que, nonobstant l'existence de motivations de nature fiscale, ladite société contrôlée est réellement implantée dans l'Etat membre d'accueil et y exerce des activités économiques effectives".
On y trouvera là les éléments de réflexion sur le contenu et la signification des opérations en cause devant ou non conduire à la répression des abus de droit.
C'est dans ce contexte jurisprudentiel et fourni qu'intervient la décision "Janfin" du Conseil d'Etat, lequel, il y a à peine un peu plus d'an, avait abordé le sujet de la conformité de l'article L. 64 du LPF au Traité communautaire et notamment à la liberté d'établissement de l'article 43 (CE, 18 mai 2005, n° 267087, Société Sagal N° Lexbase : A3517DI4 : Procédures 2005, comm. 245, note J.-L. Pierre ; voir également Procédures 2006 déc. commentaires J.-L. Pierre à paraître sur l'arrêt "Janfin").
En effet, était posée au Haut conseil la question de savoir si les dispositions de l'article L. 64 du LPF étaient de nature à restreindre l'exercice de la liberté d'établissement, en exerçant un effet dissuasif à l'égard des contribuables qui souhaitent s'installer dans un autre Etat membre de la Communauté européenne, notamment, lorsque ce projet d'établissement est inspiré par un motif fiscal.
Il a apporté une réponse négative, en rappelant au préalable que les dispositions en question étaient strictement limitées, "aux cas où l'administration apporte la preuve que l'acte par lequel un contribuable s'établit à l'étranger revêt un caractère fictif ou simulé, ou bien, à défaut, n'a pu être inspiré par aucun motif autre que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé cet acte, aurait normalement supportées eu égard à sa situation et à ses activités réelles".
Il s'ensuivait, par conséquent, pour le Haut conseil "qu'eu égard à l'objectif ainsi poursuivi, qui consiste spécifiquement à exclure du bénéfice de dispositions fiscales favorables les montages purement artificiels dont le seul objet est de contourner la législation fiscale française, ainsi qu'aux conditions de leur mise en oeuvre, les dispositions précitées de l'article L. 64 du Livre des procédures fiscales ne peuvent être regardées comme apportant une restriction à la liberté d'établissement incompatible avec les stipulations susmentionnées du Traité instituant la Communauté européenne".
9. Reste à savoir maintenant la manière dont vont coexister les deux procédures de répression de l'abus de droit, la première fondée sur l'article L. 64 du LPF et, la seconde hors du champ d'application de ce texte.
On notera au préalable l'observation du commissaire du Gouvernement Laurent Olléon au sujet de la décision de 1981, sur les conditions d'application des dispositions de l'article L. 64 du LPF, envisageant non seulement le cas de "fictivité", mais également celui de "fraude à la loi" qui selon lui s'écarte fortement "de la lettre du texte", ne visant que le seul cas de "fictivité".
Est-ce à dire que la nouvelle jurisprudence du Conseil d'Etat serait susceptible d'évoluer dans le sens d'un revirement revenant sur la lettre du texte.
En effet, il rappelle que les dispositions de l'article L. 64 du LPF doivent être interprétées strictement dans la mesure "où la mise en oeuvre de la pénalité de 80 %" (CGI, art. 1729) revêt le caractère "d'une punition tendant à empêcher la réitération des agissements qu'elle vise"(CE, Ass., 8 avril 1998, n° 192539, Sté Distribution de Chaleur de Meudon et Orléans SDMO N° Lexbase : A7848ASH : RJF 1998, n° 593, concl. Goulard, p. 378).
Cette hypothèse semble difficilement envisageable car elle conduirait l'administration à appliquer le principe général de "fraude à la loi" à des redressements qui perdraient le bénéfice de la garantie constituée par la faculté de saisir le Comité consultatif pour la répression des abus de droit.
Il s'agit là de l'application du principe d'interprétation stricte des textes à caractère pénal dès lors qu'effectivement la pénalité de 80 % prévue à l'article 1729 du CGI se trouve automatiquement applicable en cas d'abus de droit au sens de l'article L. 64 du LPF (voir CE, avis, 31 mars 1995, n° 164008, SARL Auto-Industrie Meric N° Lexbase : A3250ANP).
Sur ce dernier point, s'agissant de son éventuelle application hors du champ d'application du texte sur l'abus de droit, le commissaire du Gouvernement l'écarte, en mettant en avant la spécificité de la procédure tenant à l'application des principes de "fictivité" et de "fraude à la loi", distincte de celle du texte de l'article L. 64 du LPF et hors champ d'application de ce dernier précisant que la majoration de 80 % propre à l'abus de droit (CGI, 1729 b) ne peut trouver à s'appliquer en l'absence d'automaticité liée à l'existence d'un texte.
Il s'ensuit que les pénalités pour manoeuvres frauduleuses de 80 % (CGI, art. 1729 b) caractérisées par la création d'une apparence de nature à égarer l'administration dans l'exercice de son pouvoir de contrôle tout comme celles pour "manquement délibéré" (CGI, art. 1729 a) caractérisées par la dissimulation volontaire, seront susceptibles d'être infligées par l'administration sans aucune obligation spécifique, "seul le comportement fautif d'une fraude à la loi" justifiant l'application des pénalités.
Il s'ensuit que, suivant la nouvelle jurisprudence du Conseil d'Etat, l'administration qui entendra fonder ses rehaussements sur "la fraude à la loi", faute de pouvoir se positionner son redressement dans le champ d'application de la répression de l'abus de droit de l'article L. 64 du LPF, se trouvera placée de facto dans le champ d'application de la procédure de rectification contradictoire visée à l'article L. 55 du LPF (N° Lexbase : L5587G4P), supportant ainsi pleinement la charge de la preuve qui sera insusceptible de basculer sur la tête du contribuable. En effet, dans cette hypothèse en l'absence de saisine du Comité consultatif pour la répression des abus de droit soit à l'initiative de l'administration soit à celle du contribuable, le risque d'un renversement de la charge de la preuve sur la tête de ce dernier, en cas d'avis défavorable du Comité, ne sera pas couru.
Toutefois, le risque peut être grand pour l'administration de se placer hors du champ d'application du texte de l'article L. 64 du LPF en procédant soit à des redressements qui seraient qualifiés "d'abus de droit rampant" (CE, 17 novembre 1986, n° 30465, Paugam et Ministre du Budget N° Lexbase : A4499AML : RJF 1/87 n° 78 ; CE Contentieux, 21 juillet 1989, n° 59970, Ministre du Budget c/ Bendjador N° Lexbase : A0784AQ4 : RJF 8-9/89 n° 998 ; Cass. com., 19 septembre 2006, n° 04-17.843, F-D N° Lexbase : A2976DRN), soit à des redressements qui seraient fondés sur le principe de "fraude à la loi", mais qui s'avéreraient a posteriori entrer dans le champ d'application de l'article L. 64 du LPF. Dans cette dernière hypothèse, l'administration ne pourra ultérieurement opérer devant le juge de l'impôt une substitution de base légale dans la mesure où ne s'étant pas située dans le champ d'application du texte elle a privé le contribuable d'une garantie essentielle. En revanche, dans l'hypothèse inverse, où se situant par erreur dans le champ d'application du texte sur l'abus de droit, il s'avérerait qu'au regard des faits de l'espèce, elle ne pouvait s'y placer et que son redressement ne pouvait qu'être envisagé hors du champ d'application du texte de l'article L. 64 du LPF (sous le principe de "la fraude à la loi"), l'administration devrait pouvoir, valablement, devant le juge de l'impôt, demander à opérer une substitution de base légale sans qu'aucune atteinte aux principes fondamentaux ou garanties du contribuable ne lui soient opposée en l'absence de dispositions spécifiques afférentes à la saisine de commissions ou d'un comité.
Mais la question se pose de savoir, si le principe général "des droits de la défense" ne pourrait pas être opposé, comme il l'a été fait en matière de taxe professionnelle (CE, 5 juin 2002, n° 219840, M. Simoens N° Lexbase : A8663AYI : RJF 8-9/02, n° 934) et de taxe foncière (CE, 29 juin 2005, n° 271893, Société Sud-Ouest Bail N° Lexbase : A0248DKE : RJF 10/05, n° 1038) sur la possibilité pour le contribuable de présenter ses observations nonobstant l'inapplication de la procédure de redressement contradictoire, dans l'hypothèse où le contribuable souhaiterait saisir pour avis, tout comme l'administration d'ailleurs, le Comité consultatif pour la répression des abus de droit.
10. La reconnaissance par le Conseil d'Etat de l'existence de deux fondements à l'abus de droit, le premier d'ordre textuel et d'interprétation jurisprudentielle et, le second relevant des principes généraux du droit de la "fictivité" et de "la fraude à la loi", peut, un instant donné, semer la confusion dans les esprits dans leur manière de coexister laquelle appellera, probablement dans l'avenir, de la part du Haut conseil des précisions sur leur portée respective en droit interne dans le cadre de l'évolution de la jurisprudence communautaire dont l'arrêt "Sagal" s'était fait l'écho "en faisant tomber", comme le précise le Commissaire Laurent Olléon dans ses conclusions, "sous le coup des dispositions de l'article L. 64 du LPF les montages purement artificiels". Reste maintenant à la Cour de cassation à se prononcer sur le sujet dans le même sens, elle, qui ironie du sort s'était déjà, il y a plus d'un siècle, prononcée la première sur le principe de "la fraude à la loi" sans texte.
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Le 07 Octobre 2010
Le contentieux de la déclaration des créances fiscales et sociales est toujours important, si l'on en juge par son volume devant la Cour de cassation, partie évidemment émergeante de l'iceberg. Il est toujours question de l'obligation de déclaration en deux temps de certaines de ces créances. Ce mécanisme pouvait apparaître avantageux pour le créancier, qui n'est pas en mesure de déterminer exactement, au jour de la déclaration de créance, ce qui lui est dû, alors que l'expérience a, au contraire, démontré la dangerosité du dispositif légal. Tous les organismes sociaux ne sont pas concernés par le dispositif, qui ne s'applique qu'aux créanciers visés par le texte de l'article L. 621-43, alinéa 3, du Code de commerce (N° Lexbase : L6895AI9), c'est-à-dire les organismes de prévoyance et de sécurité sociale ainsi que les créances recouvrées par les organismes visés à l'article L. 351-21 du Code du travail (N° Lexbase : L1521DPZ) et qui recouvrent ce type de créances. Ces créanciers doivent pouvoir se délivrer à eux-mêmes des titres exécutoires (1), ce qui autorise la contrariété à la règle de l'arrêt des poursuites individuelles. Il a été jugé qu'il en allait ainsi pour les Assedic, organismes visés à l'article L. 351-21 du Code du travail (2). Le présent arrêt l'admet également pour une URSSAF. Tel n'est pas le cas, en revanche, de la Caisse nationale des entrepreneurs de travaux publics, qui n'est pas un organisme de prévoyance et de sécurité sociale, puisqu'elle ne couvre pas les risques décès, accident ou chômage, qui sont précisément visés par ces textes, et n'a pour objet que la collecte des parts de salaires correspondantes aux congés payés payables aux salariés des entreprises du secteur (3). Tel n'est pas davantage le cas des Caisses de congés payés du bâtiment (4) ni de l'Union Générale de Retraite des Cadres (5).
En l'espèce, l'URSSAF de Roubaix-Tourcoing avait déclaré au passif de son débiteur en liquidation judiciaire une créance à titre définitif, que le juge-commissaire avait admise dans les conditions de la déclaration. La cour d'appel de Douai devait confirmer l'ordonnance attaquée, en considérant que le créancier pouvait valablement déclarer sa créance à titre définitif, sans avoir besoin de délivrer une contrainte. Le liquidateur, au fait de la question, a formé un pourvoi. La question centrale qui se posait devant la Cour de cassation était de savoir si une URSSAF pouvait déclarer une créance à titre définitif, dans le délai classique de deux mois qui court à compter de la publication au Bodacc, alors que cette créance n'était pas couverte par un titre exécutoire. La Cour de cassation va y répondre, en cassant, sans surprise, l'arrêt de la cour d'appel de Douai en ces termes : "en statuant ainsi, alors qu'à défaut d'avoir fait l'objet d'un titre exécutoire au moment de sa déclaration, la créance de l'URSSAF ne pouvait être admise qu'à titre provisionnel pour son montant déclaré, son établissement définitif devant, à peine de forclusion, être effectué dans le délai prévu à l'article L. 621-103 du Code de commerce dans sa rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises (N° Lexbase : L6955AIG), la cour d'appel a violé le texte susvisé".
Les créanciers fiscaux et sociaux, qui ont le droit de se délivrer à eux-mêmes des titres exécutoires, conservent ce droit, même après le jugement d'ouverture, pour leurs créances antérieures soumises à déclaration au passif. Il s'agit d'une véritable dérogation à la règle de l'interdiction et de l'arrêt des poursuites individuelles posée par l'article L. 621-40-I du Code de commerce (N° Lexbase : L6892AI4). Ce "cadeau" doit être exactement compris. Non seulement le créancier fiscal ou social peut, mais encore il doit se délivrer le titre exécutoire, par le mécanisme connu sous le vocable de "privilège du préalable". C'est une condition de validité de la déclaration de créance à titre définitif, qui contraste avec le principe énoncé par l'article L. 621-43, alinéa 3, du Code de commerce qui commence par énoncer que "la déclaration des créances doit être faite alors même qu'elles ne sont pas établies par un titre".
Le créancier fiscal et social doit donc soigneusement distinguer, au moment de la déclaration de créance, entre deux types de créances : celles couvertes par un titre exécutoire et les autres. Pour les premières, il doit procéder à une déclaration de créance à titre définitif dans les délais classiques, c'est-à-dire dans les deux mois de la publication au Bodacc du jugement d'ouverture. Il dispose, pour ce type de créance, de la possibilité d'être relevé de forclusion, dans les conditions classiques. Pour les secondes, il ne peut procéder à une déclaration de créance à titre définitif. Il doit commencer par déclarer à titre provisionnel sa créance, dans les délais classiques de déclaration des créances. Il déclarera le maximum de ce qui est susceptible de lui être dû, car la hauteur de la déclaration de créance à titre provisionnel sera, sauf relevé de forclusion, un plafond pour la déclaration de créance à titre définitif (6). Ensuite, si cela n'est pas déjà le cas, le créancier devra liquider ses créances. Une fois le calcul établi, il devra délivrer le titre, qui, en matière de créance de cotisations sociales, prend le nom de contrainte. Enfin, il procédera à la déclaration de sa créance à titre définitif, dans le délai de l'article L. 621-103 du Code de commerce, c'est-à-dire le délai imparti au représentant des créanciers ou au liquidateur pour vérifier les créances.
Le créancier fiscal ou social dispose toutefois de deux techniques pour augmenter le délai de déclaration de créance à titre définitif : il peut solliciter l'allongement du délai de l'article L. 621-103, en application de l'article 72, alinéa 2, du décret du 27 décembre 1985, dans la rédaction que lui a donnée le décret du 21 octobre 1994 (N° Lexbase : L5367A4K), comme l'admet, d'une manière critiquable à notre sens, la Cour de cassation (7) ; il peut, aussi, solliciter un relevé de forclusion, qui est autonome par rapport à celui prévu en droit commun, réglementé par l'article 68 du décret du 27 décembre 1985, issu du décret du 21 octobre 1994 (N° Lexbase : L5360A4B).
Pour avoir, en l'espèce, déclaré à titre définitif une créance non couverte par une contrainte, l'URSSAF a encouru l'extinction de sa créance.
Qu'en aurait-il été sous l'empire de la loi de sauvegarde des entreprises ?
Ce qui n'a pas changé : le mécanisme de déclaration en deux temps -déclaration à titre provisionnel des créances non couvertes par un titre exécutoire et déclaration à titre définitif après délivrance du titre exécutoire- a été conservé. Il a, aujourd'hui, son siège à l'article L. 622-24, alinéa 3, du Code de commerce (N° Lexbase : L3744HBB). La déclaration à titre définitif doit intervenir dans le délai de vérification des créances, aujourd'hui posé par l'article L. 624-1, alinéa 1, du même code (N° Lexbase : L3757HBR).
Ce qui a changé : le décret du 28 décembre 2005 (N° Lexbase : L3297HET) n'a pas repris la possibilité d'allongement du délai de vérification des créances. En outre, le décret n'a pas davantage repris le relevé de forclusion spécifique prévu pour la déclaration de créance à titre définitif. Ainsi, les deux possibilités pour le créancier de jouer sur le délai de déclaration de créance à titre définitif ont-elles été supprimées. Mais la sanction ne sera plus la même : la créance non déclarée à titre provisionnel, puis à titre définitif, ne sera plus éteinte : elle sera seulement inopposable à la procédure collective (8).
La détermination exacte de la mission des organes d'une procédure collective et de la durée de leurs fonctions ne sont pas toujours chose aisée. La jurisprudence est pléthorique sur la question de la durée de la mission du commissaire à l'exécution du plan de cession. Un certain nombre de décisions concerne également la question de la détermination exacte de la mission du représentant des créanciers après arrêté du plan. La coordination de ces deux difficultés est au centre de l'arrêt rapporté.
En l'espèce, des sociétés coopératives sont placées en redressement judiciaire. Cette procédure est, ensuite, étendue à d'autres sociétés du groupe sur le fondement de la confusion des patrimoines. Un plan de cession est arrêté. Par jugement ultérieur, le tribunal étend la procédure collective à sept autres sociétés. Il rejette l'offre de reprise de ces sociétés. M. L.-P. est désigné commissaire à l'exécution du plan et M. B. est maintenu dans ses fonctions de représentant des créanciers. Le 24 février 1999, le tribunal proroge la mission de M. L.-P. pour une durée de quatre ans courant à compter du 21 juin 1998. Le 21 décembre 1999, le tribunal, saisi conjointement par le commissaire à l'exécution du plan et la Selarl JS nommée en remplacement de M. B. aux fonctions de représentant des créanciers, assigne un dirigeant en paiement des dettes sociales. Par requête du 20 novembre 2002, la Selarl JS, agissant es qualités de représentant des créanciers et de commissaire à l'exécution du plan de certaines sociétés, saisit le tribunal de la procédure collective aux fins de voir désigner Me L.-P. en qualité de mandataire chargé de poursuivre l'instance en comblement de passif. Les juges du fond font droit à la requête. Le dirigeant dont la responsabilité était recherchée forme alors un pourvoi en cassation et la question posée à la Cour de cassation est de savoir si un représentant des créanciers, après arrêté d'un plan de cession, peut présenter une requête tendant à la désignation d'un mandataire ad hoc chargé de poursuivre l'instance en comblement de passif à la suite de la fin de la mission du commissaire à l'exécution du plan.
La Cour de cassation, censurant la cour d'appel, au visa des articles L. 621-67, alinéa 2 (N° Lexbase : L6919AI4), et L. 621-68 du Code de commerce (N° Lexbase : L6920AI7) et de l'article 90 du décret du 27 décembre 1985 (N° Lexbase : L5392A4H), décide que la cour d'appel a violé les textes susvisés car "la Selarl, prise en sa qualité de représentant des créanciers, ne demeurait en fonction que pour la vérification des créances". La Cour de cassation en déduit donc que le représentant des créanciers ne peut présenter une requête tendant à la désignation d'un mandataire ad hoc pour poursuivre la mission du commissaire à l'exécution du plan.
La solution n'est guère surprenante. Depuis la loi du 10 juin 1994 (loi n° 94-475 N° Lexbase : L9127AG7), une distinction s'impose selon que le plan de cession fixe ou non la durée de la mission du commissaire à l'exécution du plan. En l'absence de fixation de la durée du plan par le tribunal, la mission du commissaire à l'exécution du plan dure jusqu'à la clôture de la procédure (9). Lorsque le tribunal fixe la durée de la mission du commissaire à l'exécution du plan, la durée de la mission du commissaire à l'exécution du plan sera donc au moins égale à celle fixée dans le jugement. Elle sera allongée, si cette durée expire avant le complet paiement du prix de cession (10).
Lorsque la durée de la mission du commissaire à l'exécution du plan est proche de son terme, il est possible d'obtenir une prorogation. C'est ce qu'il avait fait en l'espèce. Lorsque la durée de la mission prorogée approche de son terme, il appartient au commissaire à l'exécution du plan, maintenu en fonction, et cela, ainsi qu'a eu logiquement à le préciser la jurisprudence, avant expiration de la durée de sa mission (11), de demander la nomination d'un mandataire ad hoc pour poursuivre la ou les instances encore en cours à laquelle ou auxquelles il est partie. L'intérêt de l'arrêt commenté est de préciser que cette demande ne peut être présentée par le représentant des créanciers.
Pour justifier la possibilité du représentant des créanciers de présenter la demande de nomination du mandataire ad hoc, cet organe entendait se prévaloir de la lettre de l'article 90 du décret du 27 décembre 1985, qui n'exclut pas le représentant des créanciers. Effectivement, ce texte ne précise pas les personnes ayant qualité pour saisir le tribunal à cette fin, se contentant d'indiquer que "les instances auxquelles est partie l'administrateur ou le représentant des créanciers et qui ne sont pas terminées lorsque la mission de ces derniers a pris fin, sont poursuivies par le commissaire à l'exécution du plan ou si celui-ci n'est plus en fonction, par un mandataire de justice désigné spécialement à cet effet par le tribunal devant lequel s'est déroulée la procédure de redressement judiciaire". Etait-ce suffisant pour admettre la qualité à agir du représentant des créanciers ? La règle "ubi lex" qui était sous-entendue dans l'argumentaire du représentant des créanciers ne pouvait, en réalité, lui être d'aucun secours. Pourquoi ? Tout simplement parce que l'article L. 621-67, alinéa 2, du Code de commerce dispose que "le représentant des créanciers demeure en fonction pendant le temps nécessaire à la vérification des créances". Ainsi, après l'arrêté du plan de continuation ou de cession -ce texte étant commun aux deux types de plan-, le représentant des créanciers termine les opérations de vérification du passif. Il perd, en revanche, sa qualité de défenseur de l'intérêt collectif des créanciers. De façon plus générale, toutes les actions qui lui appartenaient avant l'arrêté du plan, sous la seule réserve de la vérification du passif, sont transmises au commissaire à l'exécution du plan, ainsi que cela résulte de l'article L. 621-68, alinéa 2. Il est donc incontestable que le représentant des créanciers est sans qualité à présenter une demande tendant à la désignation d'un mandataire ad hoc pour poursuivre une instance en comblement de passif. C'est ainsi qu'il a été jugé, par exemple, qu'après le plan, le représentant des créanciers ne peut plus agir en rapport d'un effet de commerce (12), poursuivre une action en nullité de la période suspecte (13), agir en comblement de passif (14), en faillite personnelle (15) ou en responsabilité contre un tiers, auquel il est reproché d'avoir contribué à la diminution de l'actif ou à l'augmentation du passif (16).
Ainsi, logiquement, en l'espèce, la Cour de cassation a-t-elle censuré la cour d'appel de Bourges d'avoir admis la possibilité pour le représentant des créanciers de demander la nomination d'un mandataire ad hoc pour poursuivre une action tendant à obtenir la condamnation d'un dirigeant à combler le passif.
Pareille problématique n'aura plus court avec la loi de sauvegarde des entreprises, qui ne connaît plus de commissaire à l'exécution du plan de cession, mais après arrêté d'un plan de cession sans plan de redressement partiel, un liquidateur, qui au demeurant engagera la procédure de responsabilité pour insuffisance d'actif et la terminera. Voilà qui a le mérite de la simplicité.
Heureux dirigeant en tous cas, en l'espèce. La procédure vient au secours de ceux avertis auxquels la forme peut être secourable lorsque le dossier au fond n'est pas nécessairement des plus défendables. La procédure, c'est la forme et la forme est l'ennemi juré de l'arbitraire, fut-ce au prix d'une injustice. C'est aussi cela la démocratie...
S'il fallait opérer un classement parmi les arguments développés par les cautions pour tenter d'échapper aux griffes du créancier à l'occasion de la procédure collective ouverte contre le débiteur principal, arriveraient vraisemblablement en tête, d'une part, le moyen de défense tenant à la décharge de la caution sur le fondement de l'article 2037 du Code civil (N° Lexbase : L2282AB7) (devenu l'article 2314 N° Lexbase : L1373HIP), et, d'autre part, le défaut de pouvoir du signataire de la déclaration de créance. L'arrêt rendu le 26 septembre 2006 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation ici rapporté intéresse précisément ces deux questions.
En l'espèce, la société de crédit Géfiservices avait accordé à une entreprise des prêts destinés à financer un stock de véhicules automobiles. Ces prêts avaient été, d'une part, garantis par un cautionnement et, d'autre part, par un droit de rétention portant sur des cartes grises de véhicules. A la suite du prononcé du redressement puis de la liquidation judiciaires du débiteur principal, le créancier avait poursuivi la caution et obtenu gain de cause devant les juges du fond. Sur le pourvoi diligenté par la caution, la Cour cassa l'arrêt d'appel pour plusieurs motifs : la décharge de la caution sur le fondement de l'article 2037 du Code civil (devenu l'article 2314) et l'absence de production, en temps utile, du mandat spécial confié au tiers pour déclarer la créance.
Aux termes des dispositions de l'article 2314 du Code civil (anciennement 2037), "la caution est déchargée, lorsque la subrogation aux droits, hypothèques et privilèges du créancier, ne peut plus, par le fait de ce créancier, s'opérer en faveur de la caution". Les termes de "droit, hypothèques et privilèges", regroupés sous le vocable de "droit préférentiel", ne se laissent pas aisément saisir (17), et ont fait couler beaucoup d'encre (18). La doctrine considère que "le vocable de droit préférentiel couvre tout droit qui confère une facilité de recouvrement supérieur au droit de gage général de tout créancier chirographaire" (19). Cette acception large de la notion a conduit les cautions à invoquer des comportements divers et variés afin d'échapper aux conséquences de leur engagement : la mise en oeuvre tardive d'une clause résolutoire (20), le non-renouvellement d'une hypothèque (21), la perte d'un rang d'hypothèque par une cession d'antériorité, le dessaisissement d'un gage ou encore, comme en l'espèce, la renonciation à un droit de rétention sur documents d'immatriculation. Ainsi, dans cet arrêt du 26 septembre 2006, la Chambre commerciale de la Cour de cassation reproche à la cour d'appel de ne pas avoir répondu aux conclusions de la caution qui soutenait qu'en renonçant à son droit de rétention sur les cartes grises des véhicules, le créancier avait commis une faute de nature à décharger la caution de ses obligations sur le fondement de l'article 2037 du Code civil, devenu l'article 2314 du même code. Cet arrêt est conforme à la position déjà adoptée par la Cour de cassation en matière de droit de rétention sur documents administratifs de véhicules financés par le prêt cautionné (22). Ce rappel opéré ici doit conduire les créanciers titulaires d'un droit de rétention, dont ceux titulaires d'un droit de rétention sur documents d'immatriculation (23), à ne jamais renoncer à celui-ci, afin de pouvoir le transmettre à la caution subrogée lors du paiement effectué par cette dernière au créancier.
Un deuxième argument tout aussi pertinent était avancé par la caution : le signataire de la déclaration de créance n'était a priori pas un préposé du créancier (Gefiservices) mais le préposé d'un tiers (Sovac), de sorte que la Chambre commerciale de la Cour de cassation reproche à la cour d'appel de ne pas avoir recherché si le créancier avait produit, dans le délai de la déclaration de créance, le mandat spécial confié à ce tiers l'habilitant à déclarer ses créances. L'occasion est ici donnée de rappeler, en matière de pouvoir pour déclarer la créance, une différence fondamentale entre, d'une part, le moment de la preuve du mandat spécial du tiers déclarant la créance et, d'autre part, celui de la preuve du pouvoir du préposé du créancier déclarant la créance. Dans l'hypothèse d'une déclaration de la créance par un préposé du créancier (24), la délégation de pouvoir peut être prouvée même après expiration du délai de déclaration de créance (25), jusqu'à ce que le juge statue (26), ce qui autorise à rapporter la preuve jusqu'à ce qu'il soit définitivement statué (27), non seulement donc par le juge-commissaire, mais aussi par la cour d'appel, sur l'admission de la créance (28). En revanche, lorsque la déclaration est effectuée par un tiers (sur cette question, v. P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz action 2006/2007, n° 662.22), le pouvoir spécial, ou mandat ad litem exigé d'un tiers qui déclare la créance doit être joint à la déclaration ou produit dans le délai de celle-ci (29).
Pierre-Michel Le Corre
Professeur agrégé, Directeur du Master droit de la Banque de la faculté de droit de Toulon
Emmanuelle Le Corre-Broly
Maître de Conférences des Universités
Enseignante du master droit de la Banque de la faculté de droit de Toulon
(1) Cass. com., 5 juillet 2005, n° 03-18.947, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A8851DIN), Act. proc. coll. 2005/16, n° 204, note C. Régnaut-Moutier ; RJC 2006/1, p. 46, note J.-P. Sortais ; Gaz. proc. coll. 2005/3, p. 41, n° 5, obs. P.-M. Le Corre ; Cass. com., 5 juillet 2005, n° 03-18.948, FS-D (N° Lexbase : A8852DIP) ; Cass. com., 4 octobre 2005, n° 04-15.383, F-D (N° Lexbase : A7140DKN), JCP éd. E, 2006, chron. 1066, p. 75, n° 12, obs. M. Cabrillac ; Cass. com., 21 mars 2006, n° 04-20.278, F-D (N° Lexbase : A7987DN7) ; Cass. com., 4 avril 2006, n° 04-19.788, F-D (N° Lexbase : A1226DP4), Gaz. proc. coll. 2006 /3, p. 36, n° 6, obs. P.-M. Le Corre).
(2) Cass. com., 27 mai 2003, n° 00-15.738, FS-P (N° Lexbase : A6696CK9).
(3) CA Paris, 3ème ch., sect. B, 12 septembre 2003, n° 2002/13479 (N° Lexbase : A7998C94).
(4) Cass. com., 12 avril 2005, n° 02-13.053, FS-P+B (N° Lexbase : A8581DHB), D. 2005, AJ p. 1228, obs. A. Lienhard ; Act. proc. coll. 2005/9, n° 112, note C. Régnaut-Moutier ; Gaz. proc. coll. 2005/2, p. 27, obs. P.-M. Le Corre.
(5) CA Paris, 3ème ch., sect. A, 20 juin 2006, n° 05/18544 (N° Lexbase : A6297DRN).
(6) Sur ce principe, v. Cass. com., 13 décembre 2005, n° 03-16.571, F-D (N° Lexbase : A9807DLS), Gaz. proc. coll. 2006/2, p. 45, obs. P.-M. Le Corre ; CA Versailles, 13ème ch., 9 octobre 2003, n° 2002/08300 (N° Lexbase : A2017DIK).
(7) Cass. com., 18 janvier 2005, n° 03-10.076, FS-P+B+I (N° Lexbase : A0794DGI) ; P.-M. Le Corre, L'allongement du délai de vérification des créances, une aubaine pour le Fisc et les organismes sociaux, Lexbase Hebdo n° 158 du 10 mars 2005 - édition affaires (N° Lexbase : N4890ABQ), D. 2005, AJ p. 356, note A. Lienhard ; JCP éd. E, 2005, chron. 639, p. 711, n° 11, obs. M. Cabrillac : Gaz. proc. coll. 2005/1, p. 35, n° 3-1, obs. P.-M. Le Corre ; Cass. com., 15 mars 2005, n° 03-15.567, FS-P+B (N° Lexbase : A3003DHP), D. 2005, AJ p. 954, obs. A. Lienhard ; Gaz. proc. coll. 2005/2, p. 27, obs. P.-M. Le Corre ; Cass. com., 3 mai 2006, n° 05-11.035, F-D (N° Lexbase : A2554DPB).
(8) Sur cette analyse et ses conséquences, v. P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz Action 2006/2007, n° 665.75 et suivants.
(9) Cass. civ. 3, 29 janvier 2003, n° 99-16.496, FS-D (N° Lexbase : A8192A48), RTD com. 2005/3, p. 593, n° 3, obs. C. Saint-Alary Houin ; Cass. com., 10 mars 2004, n° 01-12.915, FS-P+B (N° Lexbase : A6392DBD), D. 2004, AJ p. 950, obs. A. Lienhard ; Act. proc. coll. 2004/8, n° 98, note C. Régnaut-Moutier ; JCP éd. E 2004, chron. 1292, p. 1385, n° 4, obs. M. Cabrillac ; RD Banc. et fin. 2004/4, p. 256, n° 175, obs. F.-X. Lucas ; Cass. com., 10 mars 2004, n° 01-03.004, FS-D (N° Lexbase : A6390DBB) ; Cass. crim., 23 mars 2005, n° 04-80.703, FS-P+F (N° Lexbase : A7641DHH), Rev. sociétés 2005/4, p. 888, note B. Bouloc ; Cass. com., 30 mai 2006, n° 05-11.355, F-D (N° Lexbase : A7560DPP), Gaz. proc. coll. 2006/3, p. 26, obs. D. Voinot.
(10) Cass. com., 4 janvier 2000, n° 97-12.605, inédit (N° Lexbase : A1879CMK), RJDA 2000/3, n° 315 ; Cass. com., 15 février 2000, n° 97-18.811, inédit (N° Lexbase : A5251CTN), RTD com. 2001, p. 216, obs. C. Saint-Alary-Houin ; Cass. soc., 29 mai 2002, n° 00-42.546, F-D (N° Lexbase : A7896AY4), Act. proc. coll. 2002/16, n° 211 ; Cass. com., 7 janvier 2003, trois arrêts, n° 00-10.718, F-D (N° Lexbase : A6036A4C), n° 00-10.718, F-D (N° Lexbase : A6036A4C) et n° 00-10.720, F-D (N° Lexbase : A6013A4H) ; Cass. crim., 9 février 2005, n° 04-81.776, FS-P+F (N° Lexbase : A2711DHU), D. 2005, AJ p. 1228, obs. A. Lienhard ; D. 2005, somm. comm. p. 2017, obs. F.-X. Lucas ; Rev. sociétés 2005/3, p. 673, obs. B. Bouloc.
(11) CA Paris, 3ème ch., sect. A, 11 mai 2004, n° 2003/17624 (N° Lexbase : A4422DCR).
(12) Cass. com., 23 novembre 2004, n° 03-17.141, F-P+B (N° Lexbase : A0396DEE), P.-M. Le Corre, Qualité du commissaire à l'exécution pour engager une action en rapport, Lexbase Hebdo n° 149 du 6 janvier 2005 - édition affaires (N° Lexbase : N4133ABP), D. 2004, AJ p. 3218, note A. Lienhard ; RD Banc. et fin. 2005/1, p. 24, n° 18, note F.-X. Lucas.
(13) Cass. com., 17 décembre 2003, n° 01-14.748, F-D (N° Lexbase : A4766DAR), Rev. proc. coll. 2004, p. 382, n° 1, obs. G. Blanc.
(14) Cass. com., 3 janvier 1995, n° 91-18.044 (N° Lexbase : A3731AYT), Quot. jur. 8 juin 1995 ; Rev. proc. coll. 1996, p. 60, n° 10, obs. B. Soinne ; Cass. com., 29 octobre 2002, n° 99-17.262, FS-D (N° Lexbase : A4094A3Z), RD Banc. et fin. 2003/2, p. 104, n° 80, obs. F.-X. Lucas ; Cass. com., 24 septembre 2003, n° 00-11.010, FS-P+B (N° Lexbase : A6149C9M), Bull. civ. IV, n° 143; D. 2003, AJ p. 2438, obs. A. Lienhard ; Act. proc. coll. 2003/18, n° 23 ; Bull. Joly 2003/12, p. 1265, § 265, note P. Cagnoli.
(15) Cass. com., 24 septembre 2003, n° 00-11.010, FS-P+B (N° Lexbase : A6149C9M), Bull. civ. IV, n° 243 ; D. 2003, AJ p. 2438, obs. A. Lienhard ; JCP éd. E, 2004, chron. 151, p. 174, n° 5, obs. Ph. Pétel ; Bull. Joly 2003/12, p. 1265, § 265, note P. Cagnoli ; JCP éd. E, 2004, jur. 385, p. 423, note J.-P. Legros ; Rev. sociétés 2004, p. 412, note F.-X. Lucas ; Rev. proc. coll. 2005/2, p. 150, n° 3, obs. A. Martin-Serf ; CA Paris, 3ème ch., sect. A, 7 octobre 2003, n° 2002/10429 (N° Lexbase : A8921C9B).
(16) Cass. com., 12 juillet 1994, n° 92-14.349 (N° Lexbase : A6942ABQ), Bull. civ. IV, n° 265 ; D. 1995, somm. p. 1, obs. F. Derrida ; Cass. com., 3 janvier 1995, n° 91-18.111 (N° Lexbase : A7937AHG), Bull. Joly 1995, 266, note A. Couret.
(17) Sur cette constatation, v. Dimitri Houtcieff, Contribution à une théorie du bénéfice de subrogation de la caution, RTD civ. 2006, p. 191 et s.
(18) V. not. E. Cordelier, A propos de l'article 2037 : observations sur le droit préférentiel, RTD com. 2001, p. 667 et s.
(19) M. Cabrillac et C. Mouly, Droit des sûretés, Litec, 7ème éd., nº 264.
(20) Par exemple, Cass. com., 3 décembre 2003, n° 01-14.391, F-D (N° Lexbase : A3598DAI).
(21) Par ex., Cass. com., 5 juillet 2005, n° 04-12.770, F-P+B (N° Lexbase : A8986DIN).
(22) Cass. com., 25 novembre 1997, n° 95-16.091 (N° Lexbase : A1906ACL), Bull. civ. IV, n° 301 ; D. 1998, 232, note François ; JCP éd. G, 1998, I, 149, n° 6, obs. Simler ; Gaz. Pal. 1999, 1, somm. 104, obs. S. Piedelièvre ; Banque et droit janv.-fév. 1999, p. 49, obs. Jacob.
(23) Sur la question v. E. Le Corre-Broly, Le droit de rétention sur documents d'immatriculation, D. aff. 1998, p. 1802.
(24) Sur cette question, v. P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz action 2006/2007, n° 662.43.
(25) Cass. com., 29 avril 2003, n° 00-13.338, F-D (N° Lexbase : A8181BSS).
(26) Cass. com., 11 juin 2003, n° 00-11.913, FS-P (N° Lexbase : A7090C84), Bull. Joly 2003/10, p. 1024, no 217, note J.-J. Barbiéri.
(27) Cass. com., 10 juillet 2001, n° 98-18.708 (N° Lexbase : A1722AUC), Act. proc. coll. 2001/17, n° 220.
(28) CA Aix-en-Provence, 8ème ch., sect. A, 2 mai 2002, Interbrew France c/Sarl Le Déclic, inédit ; CA Paris, 3ème ch., sect. C, 27 juin 2003, n° 2002/18357 (N° Lexbase : A4216C9Z).
(29) Cass. com., 10 mai 2005, n° 04-12.332, F-D (N° Lexbase : A2399DIP) ; Cass. com., 7 mars 2006, trois arrêts, n° 05-11.633, F-D (N° Lexbase : A5102DNB), n° 05-11.635, F-D (N° Lexbase : A5103DNC) et n° 05-11.636, F-D (N° Lexbase : A5104DND).
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Réf. : Cass. soc., 26 septembre 2006, n° 04-46.734, Société Comazzi industrie, F-D (N° Lexbase : A3431DRI)
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par Stéphanie Martin-Cuenot, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
Le 07 Octobre 2010
Résumé
La mention du lieu de travail dans le contrat de travail a valeur d'information à moins qu'il ne soit stipulé par une clause claire et précise que le salarié exécutera son travail exclusivement dans ce lieu. |
Décision
Cass. soc., 26 septembre 2006, n° 04-46.734, Société Comazzi industrie, F-D (N° Lexbase : A3431DRI) Cassation de CA Lyon (chambre sociale A), 28 juin 2004 Mots clefs : clause du contrat, lieu de travail, clause manuscrite, insuffisance, exigence d'une clause claire et précise montrant l'exclusivité du lieu de travail Textes concernés : C. civ., art. 1134 (N° Lexbase : L1234ABC) Lien base : ; |
Faits
Un salarié avait été engagé en qualité de dessinateur suivant un contrat stipulant que son lieu de travail serait Lyon ou sa banlieue (limitrophe Courly). La société ayant déménagé à Grigny, le salarié estimait que l'employeur avait modifié son contrat de travail et avait saisi la juridiction prud'homale d'une demande d'indemnités afférentes à la rupture de son contrat de travail. La cour d'appel, infirmant la décision des juges du premier degré, avait imputé la rupture à l'employeur et l'avait condamné à verser diverses sommes au salarié au titre de la rupture du contrat de travail. Pour ce faire, elle avait décidé que le contrat de travail contenait une clause claire et précise précisant que le lieu de travail serait Lyon et sa banlieue (limitrophe Courly), que les parties avaient pris soin d'ajouter cette clause à la main, qu'il ne pouvait donc s'agir d'une simple clause à vocation informative qui aurait permis à l'employeur de modifier unilatéralement le lieu d'exécution du contrat de travail. La commune de la nouvelle société n'étant pas une commune limitrophe de Courly, il appartenait à l'employeur en application de l'article 1134 du Code civil de recueillir l'accord du salarié. |
Solution
1° Cassation sans renvoi. 2° "En statuant ainsi, alors que la mention du lieu de travail dans le contrat de travail a valeur d'information à moins qu'il ne soit stipulé par une clause claire et précise que le salarié exécutera son travail exclusivement dans ce lieu, la cour d'appel a violé le texte susvisé". |
Commentaire
I - Un principe d'application stricte
Depuis 1996, la Cour de cassation distingue les modifications du contrat de travail, du simple changement des conditions de travail (Cass. soc., 10 juillet 1996, n° 93-41.137, M. Vanderdonckt c/ GAN, publié N° Lexbase : A2054AAC). Dans le premier cas, un élément contractuel est modifié, l'employeur est tenu de demander l'accord du salarié, lequel est en droit de refuser cette modification sans commettre de faute. Dans le second cas, l'élément modifié ne fait pas partie du socle contractuel, il s'agit d'un simple changement des conditions de travail que le salarié ne peut qu'accepter. La frontière des deux domaines n'est pas toujours aisée à tracer. Certains éléments, même lorsqu'ils font l'objet d'une clause expresse dans le contrat de travail, ont une simple vocation informative, ce qui interdit d'y voir une véritable contractualisation, et une modification lorsque l'employeur décide d'y toucher. Tel est, notamment, le cas du lieu de travail.
Dans ce domaine, depuis quelques années maintenant la jurisprudence se réfère au secteur géographique (Cass. soc., 4 mai 1999, n° 97-40.576, M. Hczyszyn c/ Société Paul Jacottet, publié N° Lexbase : A4696AGZ ; voir sur ce point Ch. Radé, L'employeur peut-il sanctionner le salarié qui refuse une mutation géographique ?, Lexbase Hebdo n° 58 du 13 février 2003 - édition sociale N° Lexbase : N5982AAS). Singulièrement, elle considère que si le salarié est muté dans un même secteur géographique, le changement de lieu de travail constitue un simple changement des conditions de travail ; si au contraire, le nouveau lieu de travail est dans un secteur différent de celui initialement fixé, il s'agit d'une modification du contrat de travail qui ne peut être imposée au salarié. Ce critère du secteur géographique se voit assortir trois atténuations. Il peut, en premier lieu, exister une clause de mobilité qui permet à l'employeur, à l'intérieur du secteur défini par cette clause, de modifier le lieu de travail du salarié sans que son contrat de travail ne se trouve modifié (sur les clauses de mobilité, voir Charlotte d'Artigue, La mobilité avec clause : l'article 1134 du Code civil sur le devant de la scène, Lexbase Hebdo n° 57 du 6 février 2003 - édition sociale N° Lexbase : N5778AAA). Les déplacements occasionnels imposés au salarié en dehors du secteur géographique où il travaille habituellement font, en deuxième lieu, l'objet d'un traitement particulier. Lorsque la mission est justifiée par l'intérêt de l'entreprise et que la spécificité des fonctions exercées par le salarié implique une certaine mobilité géographique, il n'y a pas modification du contrat de travail (Cass. soc., 22 janvier 2003, n° 00-43.826, Société Travaux hydrauliques et bâtiments (THB) c/ M. Antoine Tavarès, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A7010A4E). L'insertion, dans le contrat de travail, d'une clause de stabilité précisant que le salarié exécutera son contrat de travail dans un lieu ou un secteur déterminé vient, en troisième lieu, porter atteinte au critère principal du secteur géographique. Par l'insertion d'une telle clause, les parties décident de faire du lieu de travail un élément déterminant de la relation de travail qui devient intangible et donc que l'employeur ne peut modifier sans recueillir l'accord du salarié.. L'existence d'une clause contractuelle précisant que le contrat de travail s'exécutera dans telle ville ou tel secteur géographique, suffit-elle à contractualiser le lieu de travail ?
Depuis 2003, la Cour de cassation vient apporter une réponse négative à cette question (Cass. soc. , 3 juin 2003, n° 01-43.573, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A6994CKA ; Cass. soc., 3 juin 2003, n° 01-40.376, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A6993CK9 et les obs. de S. Koleck-Desautel, La simple indication du lieu de travail dans le contrat n'a qu'une valeur informative, Lexbase Hebdo n° 76 du 18 juin 2003 - édition sociale N° Lexbase : N7795AAX ; Egalement Cass. soc., 21 janvier 2004, n° 02-12.712, FP-P+B N° Lexbase : A8593DAI, et les obs. de S. Koleck-Desautel, Confirmation de la simple valeur informative de la mention du lieu de travail dans le contrat de travail, Lexbase Hebdo n° 106 du 5 février 2004 - édition sociale N° Lexbase : N0337AB4). Elle considère, en effet, que la simple référence au lieu de travail dans le contrat de travail n'a qu'une valeur d'information, sauf s'il existe une clause claire et précise mentionnant expressément que le salarié exécutera son contrat de travail exclusivement dans ce lieu. C'est ce principe que vient une nouvelle fois affirmer la Cour de cassation dans la décision commentée.
A la cour d'appel qui avait cru pouvoir se réfugier derrière la clause manuscrite mentionnant le lieu de travail pour imputer à l'employeur un changement du lieu de travail de son salarié, elle vient rappeler que "la mention du lieu de travail dans le contrat de travail a valeur d'information à moins qu'il ne soit stipulé par une clause claire et précise que le salarié exécutera son travail exclusivement dans ce lieu". Il manquait donc, dans la clause contractuelle ajoutée par les parties, le qualificatif "exclusivement" pour que cette clause puisse être considérée comme une clause contractuelle, et partant, que sa modification constitue une modification du contrat de travail. Comme cela n'était pas le cas, la clause avait une simple valeur informative pour le salarié. Ce dernier ne pouvait donc s'opposer au changement de lieu de travail imposé par la modification du siège de la société. Cette décision, qui se fonde sur un principe désormais acquis, pêche à notre sens par trop de rigueur. II - Une application trop rigoureuse
Imaginons, comme dans l'espère commentée, un salarié qui conclut un contrat de travail et considère son lieu de travail comme déterminant la conclusion de ce contrat. Plusieurs raisons peuvent être à la source de cet impératif de lieu, des difficultés de circulations depuis son domicile (surtout dans une grande ville comme Lyon où le temps de trajet peut aller de 10 minutes à plus de 2 heures), l'absence de transports en communs, l'obligation d'acheter un véhicule personnel ou de passer le permis de conduire... Lors de la conclusion du contrat, les parties insèrent donc une clause manuscrite en vertu de laquelle le salarié ne travaillera que sur Lyon et sa banlieue (de surcroît limitée à Courly)... et quelques temps plus tard, l'entreprise déménage... Le salarié se croit dans son droit du fait de la présence d'une clause précisant le lieu de travail et refuse de se rendre sur le nouveau site. Il assigne son employeur en justice et perd son procès simplement parce qu'il manque, dans la clause manuscrite, le terme "exclusivement". L'exclusivité ne doit-elle pas simplement ressortir de la clarté et la précision de la clause ? Aucune obligation d'insérer le qualificatif exclusivement ne résulte en effet de l'attendu de principe rappelé dans la décision commentée. Comme l'affirme la Haute juridiction : "la mention du lieu de travail dans le contrat de travail a valeur d'information à moins qu'il ne soit stipulé par une clause claire et précise que le salarié exécutera son travail exclusivement dans ce lieu". C'est donc bien le contenu de la clause qui devrait permettre de déterminer l'intention des parties, indépendamment de toute référence expresse à la notion d'exclusivité.
Si l'on suit la lettre de l'attendu de principe, on s'aperçoit, en effet, que ce qu'exigent les juges c'est simplement l'existence d'une clause claire et précise stipulant que le salarié exécutera son contrat de travail exclusivement dans un lieu déterminé. Si la présence de clauses standard dactylographiées ne permet pas de reconnaître au lieu de travail auquel elles font référence un caractère exclusif, tel n'est pas le cas d'une clause manuscrite. Le fait qu'une clause manuscrite ait été ajoutée devrait, à notre sens, permettre, notamment lorsqu'elles viennent limiter l'exécution du contrat à un secteur particulier d'une ville, de reconnaître l'exclusivité de ce secteur... Qu'attend-t-on en effet de cette mention claire et précise ? Qu'elle montre la volonté des parties de faire du secteur auquel elles se réfèrent le lieu d'exécution du contrat de travail à l'exclusion de tout autre. La mention manuscrite insérée dans le contrat de travail dans l'espèce commentée était, à notre sens, suffisante. Elle était claire puisque le contrat devait s'exécuter dans le lieu qu'il mentionnait. Cette clause était, en outre, précise puisqu'elle ne se limitait pas à mentionner Lyon et sa banlieue mais réduisait expressément le secteur à la portion limitrophe à Courly. La solution retenue dans l'arrêt commentée, est ici d'autant plus contestable que si le contrat n'avait contenu aucune référence au lieu de travail, la jurisprudence sur le secteur géographique se serait alors appliquée et il est possible que, considérant le changement de secteur géographique, les juges auraient fait de la modification du siège de l'entreprise une modification du contrat de travail... Difficile donc d'adhérer à la solution rendue dans l'espèce commentée. |
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Réf. : CAA Bordeaux, 1ère ch., 31 août 2006, n° 04BX00807, Société arboricole et fruitière de l'Agenais (N° Lexbase : A9451DQ4)
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Le 07 Octobre 2010
Sur la première partie de cet article, "L'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux se situe dans le prolongement des deux avis par lesquels le Conseil d'Etat a estimé que les plans de prévention des risques naturels constituaient des documents et des dispositions d'urbanisme bien que ceux-ci aient une portée bien plus large que ceux-là", voir (N° Lexbase : N4113ALW).
Seconde partie : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux, en assimilant les plans de prévention des risques naturels prévisibles à des plans locaux d'urbanisme, s'inscrit dans la logique très contestable des avis rendus par le Conseil d'Etat tout en laissant ouverte la question de la qualification des servitudes instituées en application de ces plans.
I. La cour administrative d'appel de Bordeaux, en se prononçant sur l'applicabilité des dispositions de l'article L. 600-1 du Code de l'urbanisme aux PPRNP, est allée plus loin que l'assimilation générale de ces plans à des documents d'urbanisme
1) Les conséquences de l'applicabilité des dispositions de l'article L. 600-1 du Code de l'urbanisme aux plans de prévention des risques naturels prévisibles
Pour éviter de trop nombreuses constatations d'illégalité tardives qui ne seraient pas justifiées au fond, les dispositions de l'article L. 600-1 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L7650ACC), issues de la loi n° 94-112 du 9 février 1994 (N° Lexbase : L8040HHA) et reprises par la loi "SRU" n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 (N° Lexbase : L9087ARY), contiennent des mesures restrictives. En effet, au bout de six mois, l'exception d'illégalité soulevée contre un document d'urbanisme ne peut, sauf les exceptions prévues au texte, se fonder que sur des moyens tirés de l'incompétence ou l'illégalité interne.
Dans l'arrêt du 31 août 2006, la cour administrative d'appel de Bordeaux a considéré que les plans de prévention des risques naturels constituaient "des documents d'urbanisme tenant lieu de plan d'occupation des sols ou de plan local d'urbanisme au sens des dispositions de l'article L. 600-1 du Code de l'urbanisme". Cela a pour conséquence qu'après l'expiration d'un délai de six mois à compter de la prise d'effet d'un plan de prévention des risques naturels prévisibles, un requérant ne peut plus invoquer par voie d'exception, c'est-à-dire à l'appui de sa contestation d'une décision d'octroi ou de refus d'occupation ou d'utilisation du sol prise sur le fondement du plan de prévention des risques naturels, l'illégalité de ce plan à raison du vice de forme ou de procédure dont il serait entaché (17). Cela a également pour conséquence que les moyens tirés de "la méconnaissance substantielle ou la violation des règles de l'enquête publique" sont, en revanche, invocables par voie d'exception sans condition de délai. C'est pourquoi la cour a examiné au fond le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure d'enquête publique préalable à l'adoption du plan de prévention des risques naturels prévisibles.
Plus généralement, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte et tous les moyens de légalité interne peuvent donc être invoqués par voie d'exception, sans limite de délai, à l'encontre des PPRNP et à l'appui de la contestation d'une décision d'octroi ou de refus d'occupation ou d'utilisation du sol prise sur le fondement du plan. En tout état de cause, dans la mesure où le PPRNP a pour objet de protéger contre un danger, la limitation de son invocabilité par voie d'exception nous paraît tout aussi contestable que son inopposabilité à l'encontre d'un pétitionnaire tentant d'obtenir une autorisation d'occuper ou d'utiliser le sol après avoir essuyé un premier refus et obtenu l'annulation de cette décision devant le juge administratif (18) (C. urb., art. L. 600-2).
Par cet arrêt, la cour administrative d'appel de Bordeaux poursuit le processus d'application des règles de procédure contentieuse issues du Code de l'urbanisme à la contestation des plans de prévention des risques naturels prévisibles ou des décisions d'urbanisme prises sur leur fondement. Sous réserve que cette solution soit confirmée par le Conseil d'Etat, ce qui est probable étant donné la "ligne" jurisprudentielle adoptée par ce dernier depuis l'avis du 3 décembre 2001, elle pourrait conduire le juge administratif à parachever ce processus en considérant que le PPRNP constitue "un acte intervenu en matière d'urbanisme" au sens des dispositions de l'article L. 600-4-1 (N° Lexbase : L2399ATZ) issues des dispositions de l'article 37 de la loi "SRU" n° 2000-1208 du 13 décembre 2000. Le champ d'application matériel de ces dispositions est, en effet, très vaste et paraît simplement limité par la "matière d'urbanisme", c'est-à-dire qu'il inclut non seulement les actes pris sur le fondement du Code de l'urbanisme mais encore les actes issus de textes codifiés ou insérés dans d'autres codes comme le PPRNP. Or, ces dispositions, qui imposent au juge administratif, lorsqu'il annule ou suspend un acte pris en matière d'urbanisme, de se prononcer sur l'ensemble des moyens susceptibles de fonder, en l'état du dossier, sa décision, c'est-à-dire qui imposent au juge administratif de renoncer à la règle de "l'économie des moyens", ces dispositions, donc, sont d'un intérêt contestable au regard de la sécurité juridique qu'elles sont destinées à apporter dans la mesure où le juge ne peut se prononcer qu'au vu des moyens dont il est saisi et non au vu de l'ensemble des moyens susceptibles d'entraîner l'illégalité de l'acte (19).
2) Les plans de prévention des risques naturels prévisibles sont désormais assimilés, de manière contestable, à des POS ou des PLU
Alors que les deux avis précités du Conseil d'Etat s'étaient bornés à qualifier les plans de prévention des risques naturels prévisibles de "documents d'urbanisme" en général (ce, du fait, certes, de la rédaction plus générale des articles L. 600-2 et R. 600-1 du Code de l'urbanisme comparée à la rédaction de l'article L. 600-1 du même code), la cour administrative d'appel de Bordeaux qualifie les PPRNP de "documents d'urbanisme tenant lieu de plan d'occupation des sols ou de plan local d'urbanisme". Même si la cour ajoute que cette qualification est opérée "au sens des dispositions de l'article L. 600-1 du Code de l'urbanisme", il y a là un pas de fait vers l'assimilation du PPRNP à un document contenant des règles d'urbanisme. Autrement dit, le PPRNP est désormais assimilé à un document d'urbanisme bien identifié et non plus à la catégorie générale des documents d'urbanisme.
Cette solution est contestable dans la mesure où, nous l'avons vu, les PPRNP ne comportent, contrairement aux POS et aux PLU, aucun projet d'aménagement global et ne réglementent pas le secteur auquel ils s'appliquent dans toutes ses composantes d'urbanisme. La problématique particulière ou ponctuelle à laquelle répondent les PPRNP est bien différente de la problématique globale et complexe qui fonde la mise en oeuvre des POS et des PLU (20).
Par ailleurs, il faut rappeler que les documents d'urbanisme, en tant que documents de synthèse pour les administrés, servent de procédé de publicité obligatoire en ce qui concerne les diverses servitudes d'utilité publique (21), notamment celles instituées par les PPRNP. Ces servitudes, pour être opposables aux demandes d'autorisation individuelles d'occupation ou d'utilisation du sol, doivent être préalablement annexées au PLU. Toutefois, cette annexion n'emporte aucune confusion entre la servitude d'utilité publique et les dispositions du PLU, et donc aucun changement de la nature juridique de cette dernière, dans la mesure où il n'appartient pas à un document d'urbanisme d'instituer une telle servitude (22). Or, par son arrêt, la cour administrative d'appel de Bordeaux introduit un paradoxe tenant à ce que le PPRNP tient lieu de POS ou de PLU tout en étant intégré (via les servitudes d'utilité publique qu'il institue) au PLU. L'on pourrait même se demander si la règle relative à l'annexion des servitudes d'utilité publique au PLU doit continuer à s'appliquer aux servitudes d'utilité publique instituées par le PPRNP : en effet, dans la mesure où ce dernier document "tient lieu de PLU", les servitudes en cause n'auraient pas à figurer dans un "autre PLU" quand bien même il serait le "véritable" PLU.
Pour autant, il nous semble que l'application de la règle relative à l'annexion des servitudes d'utilité publique au PLU, même si elle peut désormais être formellement contestée en ce qui concerne les servitudes d'utilité publique instituées par le PPRNP, est toujours justifiée par la raison de fond tenant au caractère synthétique du PLU et à la plus grande connaissance qu'en ont les administrés. Autrement, même si, pour le juge administratif, le PPRNP "tient lieu" de PLU, cela est loin d'être évident et compréhensible par ces derniers dans la mesure où le PLU reste le document de référence ou du moins le document le plus "visible" en matière d'urbanisme, de sorte qu'il ne serait pas opportun de porter atteinte au caractère synthétique de ce document en s'abstenant d'y annexer la liste des servitudes d'utilité publique instituées par le PPRNP.
II. La cour administrative d'appel de Bordeaux rappelle la nature de servitudes d'utilité publique des "contraintes d'urbanisme" s'appliquant dans les zones délimitées par les plans de prévention des risques naturels prévisibles et fait prévaloir ces contraintes sur le classement issu du POS ou du PLU
1) La confirmation de la jurisprudence antérieure
Dans son arrêt, la cour reprend les termes des deux avis précités du Conseil d'Etat en considérant que "les contraintes d'urbanisme s'appliquant dans les zones délimitées par les plans de prévention des risques naturels s'imposent directement aux personnes publiques ainsi qu'aux personnes privées et peuvent notamment fonder l'octroi ou le refus d'une autorisation d'occupation ou d'utilisation du sol". Ce faisant, elle confirme la solution retenue par la cour administrative d'appel de Nancy dans l'arrêt précité du 10 avril 2003 et fondée sur la distinction entre servitudes issues du PPRNP et servitudes d'urbanisme n'ouvrant droit à aucune indemnisation.
Pour autant, il est vraisemblable, toujours dans la ligne de la solution retenue par la cour administrative d'appel de Nancy, que cette distinction n'ouvrira pas pour autant un droit à indemnisation en faveur des requérants. En effet, ainsi que l'a considéré cette dernière, "le plan d'exposition aux risques naturels de mouvements de terrain ne poursuit pas un simple objectif de régulation économique en évitant d'éventuels litiges entre lotisseurs et acquéreurs, mais vise à préserver la sécurité des populations exposées à ces risques", de sorte que "le législateur doit, en l'absence de dispositions expresses en sens contraire, être regardé comme ayant entendu exclure la responsabilité de l'Etat à raison des conséquences dommageables" que les dispositions de la loi créant les PPRNP et de ses textes d'application "ont pu comporter pour les lotisseurs mis dans l'impossibilité de commercialiser les parcelles situées dans les zones déclarées inconstructibles par les plans de prévention".
2) Les contraintes d'urbanisme issues du PPRNP s'imposent aux POS et aux PLU
Dans son arrêt, la cour administrative d'appel de Bordeaux a, enfin, fait prévaloir le caractère inconstructible de la parcelle litigieuse sur le classement de cette parcelle en zone "NALi" du POS de la commune. Rappelons à cet égard qu'en ce qui concerne les grandes catégories de classement, il faut distinguer les zones U, comme Urbaines, des zones N, comme Naturelles. Cette distinction de base est accompagnée d'indices qui recèlent les nombreuses nuances. Par ailleurs, le classement en zone "NA", que l'on appelle aussi zone d'urbanisation future, est un véritable sas entre le non-constructible et le constructible. Le principe général est que la zone peut devenir constructible à condition qu'il y ait un plan d'aménagement d'ensemble de la zone, présenté par le ou les propriétaires, privés ou publics. L'ouverture à l'urbanisation des zones NA passe par la modification du POS après enquête publique (23). Précisons que ces zones NA sont désormais appelées zones "AU", c'est-à-dire zones à urbaniser, et prévues par les dispositions de l'article R. 123-6 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L2919DZ7).
Plus précisément, la zone "NAL", à vocation d'accueil d'activités sportives, de loisirs, de tourisme, sociales et éducatives, comprend un secteur "NALi" dans lequel des dispositions spécifiques sont applicables au titre du PPRNP. En tout état de cause, la cour a jugé que le caractère de zone à urbaniser au titre du POS devait s'effacer devant le caractère de zone inconstructible (car inondable) au sens du PPRNP. Autrement, selon la Cour, les dispositions des PPRNP prévalent sur les dispositions des POS, cette solution valant donc également en ce qui concerne les dispositions des PLU. Ici se manifeste le sens de l'expression, en ce qui concerne les PPRNP, de "documents d'urbanisme tenant lieu de plan d'occupation des sols ou de plan local d'urbanisme" : il s'avère en effet que dans les zones délimitées par les PPRNP, les contraintes qu'ils instituent ont vocation à se substituer aux autorisations de construire prévues par les POS et les PLU.
Conclusion
Avec l'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 31 août 2006 se confirme le caractère attractif de la notion de document d'urbanisme et plus généralement le caractère attractif du droit de l'urbanisme tel qu'issu du Code de l'urbanisme. En bref, les règles procédurales issues du Code de l'urbanisme ont désormais vocation à s'appliquer à tout dispositif élaboré sur le modèle des documents régis par ce code en tant que ce dispositif contient des prescriptions relatives à l'utilisation de l'espace.
La situation aujourd'hui est donc la suivante : les plans de prévention des risques naturels prévisibles sont des documents d'urbanisme au sens des dispositions de l'article R. 600-1 du Code de l'urbanisme qui contiennent des dispositions d'urbanisme au sens des dispositions de l'article L. 600-2 de ce code et tiennent lieu de POS ou de PLU au sens des dispositions de l'article L. 600-1 du même code tout en ne créant pas de servitudes d'urbanisme soumises à l'article L. 160-5 (N° Lexbase : L7364ACQ) du même code.
Il n'en reste pas moins étrange de considérer qu'un document univoque tel que le PPRNP, qui a pour seul objet de protéger contre un certain type de danger, soit assimilé à un document aussi complexe que le PLU dont la principale mission est de parvenir à un équilibre entre urbanisation et développement durable.
Frédéric Dieu
Commissaire du Gouvernement près le tribunal administratif de Nice
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Réf. : Cass. ass. plén., 9 octobre 2006, n° 06-11.056, Société CDR créances c/ Société Mandataires judiciaires associés (MJA), P+B+R+I (N° Lexbase : A6865DRP)
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Le 07 Octobre 2010
Le 12 février 1993, la participation est finalement cédée au profit de huit sociétés, parmi lesquelles la société Clinvest, filiale du Crédit lyonnais, et la société Rice SA constituée par M. Louis-Dreyfus, lequel se fait consentir par l'ensemble des cessionnaires une promesse de vente de la totalité de leur participation dans le capital de la société pour 3 498 000 000 francs (soit 533 266 662 euros) -valorisant ainsi les 78 % à 4 650 000 000 francs (soit 708 887 930 euros)-, valable jusqu'au 31 décembre 1994. Le 22 décembre 1994, l'option est levée, et moins d'un an plus tard, la société cédée est introduite en bourse avec une valorisation de 11 milliards de francs (soit 1 676 939 189 euros). Entre temps, le 30 novembre 1994, le cédant et les différentes sociétés de son groupe devaient cesser leurs paiements, et être placés en redressement judiciaire.
Le cédant reproche alors aux banques -le Crédit lyonnais et ses filiales, SDBO et Clinvest-, d'avoir commis diverses fautes : globalement, de s'être portées cessionnaires des parts qu'elles avaient pour mandat de céder, d'avoir manqué à leur obligation d'informer loyalement leur mandant des négociations engagées avec le cessionnaire, et de ne pas lui avoir proposé le concours qu'elles étaient disposées à octroyer à celui-ci. Le 7 novembre 1996, la banque est condamnée à verser une provision 91 000 000 d'euros devant le tribunal de commerce de Paris. Le 30 septembre 2005, ce sont des dommages-intérêts actualisés à hauteur de 135 000 000 euros que la cour d'appel de Paris met à la charge de la banque.
La question de la déloyauté des banques en appelait plusieurs autres. La SDBO, filiale du Crédit lyonnais et seule titulaire du mandat, pouvait-elle d'abord engager sa société mère ? Les juges du fond l'avaient admis en retenant "que, bien qu'il n'ait pas été signataire du mandat ni d'aucune des conventions souscrites [...] en décembre 1992, [le Crédit lyonnais], qui s'était activement impliqué dans la conception et l'exécution de ces accords, notamment en consentant et en organisant les financements nécessaires [...] était obligé par le mandat".
Mais cela est censuré par l'Assemblée plénière. En choisissant "d'agir sur le seul terrain contractuel", les mandataires liquidateurs ne pouvaient engager la responsabilité du Crédit lyonnais alors que, pour l'opération considérée, seule la SDBO, personne morale distincte, était partie au contrat. Et de préciser qu'"il n'était prétendu ni qu'elle aurait été fictive ni que son patrimoine se serait confondu avec celui de sa maison mère". Pour la Haute assemblée, les motifs retenus sont "impropres à faire apparaître que l'immixtion du Crédit lyonnais dans l'exécution du mandat délivré à sa filiale avait été de nature à créer pour les mandants une apparence trompeuse propre à leur permettre de croire légitimement que cet établissement était aussi leur cocontractant, ce dont elle aurait alors pu déduire que ce dernier était obligé par un mandat auquel il n'avait pas été partie".
Autrement dit, sauf à prouver le mandat apparent, seule la SDBO pouvait être qualifiée de mandataire, et en cette qualité, susceptible de manquer à ses obligations.
Cela étant, si la mise en jeu de la responsabilité du Crédit lyonnais est ici disqualifiée sur le terrain contractuel, elle ne l'est pas sur le terrain délictuel. Mais pour quel motif le serait-elle ? Certainement pas pour avoir financé le cessionnaire. Encore moins pour n'avoir pas souhaité continuer à financer le cédant. C'est ce que vient fermement rappeler l'arrêt du 9 octobre 2006. Pour retenir la responsabilité du CDR créances et du Crédit lyonnais, les juges d'appel avaient, en effet, considéré qu'en s'abstenant de proposer au groupe cédant le financement qu'il avait octroyé à certains des cessionnaires des participations, le "groupe Crédit lyonnais avait manqué à ses obligations de banquier mandataire". L'argument est balayé par l'Assemblée plénière : "il n'entre pas dans la mission du mandataire de financer l'opération pour laquelle il s'entremet et que, hors le cas où il est tenu par un engagement antérieur, le banquier est toujours libre, sans avoir à justifier sa décision qui est discrétionnaire, de proposer ou de consentir un crédit quelle qu'en soit la forme, de s'abstenir ou de refuser de le faire".
Sur le terrain délictuel, l'implication du Crédit lyonnais n'est sans doute théoriquement pas impossible. Elle n'est cependant pas aisée. Il faudrait établir qu'il aurait exercé un pouvoir de direction sur sa filiale -par exemple, par des administrateurs communs ou agissant collusoirement, ou encore, par l'intermédiaire d'une personne physique qu'elle aurait choisie et qui aurait agi sous son emprise (4)-, et que ce pouvoir de direction ait nui au cédant, mandant de sa filiale. Cela suppose de pouvoir démontrer que la société mère a été le véritable maître de l'opération, et qu'elle ne s'est pas contentée d'autoriser celle-ci.
S'il appartient à la Haute assemblée de ne s'en tenir qu'à des considérations purement juridiques, la réalité des groupes est parfois bien différente. L'économie de l'opération, appréhendée dans son ensemble, pourrait traduire un conflit d'intérêts qui pourrait très bien ne pas apparaître à l'échelle des entités mandataire et cessionnaire du groupe bancaire, mais à celle du groupe lui-même. Il paraît, en effet, difficile de ne focaliser le débat que sur la seule filiale du groupe bancaire : si celle-ci n'a financé que pour 30 % l'emprunteur, peut-on vraiment faire abstraction du rôle joué ici par ceux qui ont assuré les 70 % restant du financement ?
Quoi qu'il en soit, si le Crédit lyonnais ne pouvait être tenu en vertu du mandat confié à sa filiale, il n'en va pas de même pour celle-ci. La déloyauté de la filiale mandataire pourrait donc, le cas échéant, être retenue et engager sa responsabilité. Par exemple, pour le manque de transparence concernant l'acquisition par les cessionnaires qui pourrait contribuer à démontrer que la valeur réelle de la participation était nettement supérieure à celle proposée, et que mandataire et cessionnaires en avaient pleinement conscience (5). Ici, le fait de cacher qu'un repreneur était disposé à acheter à un terme de deux ans au plus, pour un prix très supérieur à celui du mandat, et qu'elle-même -ou une entité du groupe bancaire auquel elle est liée- était prête à financer l'opération, pourrait tout aussi bien caractériser cette conscience.
En se portant acquéreur, par personnes interposées, des participations qu'elle était chargée de vendre, la nullité est aussi encourue par la filiale mandataire (6). Le principe de l'immutabilité du litige et de l'interdiction des prétentions nouvelles en cause d'appel peut, toutefois, se heurter à la mise en oeuvre de cette dernière sanction. Nullité et responsabilité ne tendent en effet pas aux mêmes fins au sens de l'article 565 du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L2815ADM). L'action en nullité, qui a pour effet de mettre à néant le contrat, n'a pas les mêmes fins que l'action en responsabilité, qui laisse subsister le contrat (7). Si les mandataires n'ont saisi les premiers juges que d'une demande de dommages-intérêts, ce qui semble être le cas (8), peuvent-ils aujourd'hui demander la nullité ? Il serait sans doute possible de considérer qu'un manquement au devoir de loyauté, caractérisé par la réticence dolosive d'une information qui n'aurait pas été portée à la connaissance du mandataire, puisse implicitement exprimer une telle prétention. Mais surtout, en constatant que "les mandataires liquidateurs [...] fondaient leur action sur des manquements [à plusieurs dispositions du Code civil dont] l'article 1596 (N° Lexbase : L1681ABU)", l'Assemblée plénière reconnaît nécessairement la préexistence d'une telle demande. Il est permis de penser que le juge devrait pouvoir alors décider que la nullité était "virtuellement comprise dans la demande" ou "la conséquence" de celle-ci (9), voire, lui restituer son exacte qualification juridique : le moyen tiré de la nullité d'un manquement à l'article 1596 du Code civil constituant un moyen de pur droit, il est susceptible d'être relevé d'office en cause d'appel.
Dans l'hypothèse où elle serait admise, la sanction de la nullité devrait permettre, dans la mesure où la remise des actions en nature n'est plus possible, une réparation équivalente au montant des titres acquis par toutes les entités liées au mandataire en fraude des droits du mandant, diminuée naturellement des sommes que celui-ci a perçues en contrepartie de cette participation. Tel serait déjà le cas des 9,9 % acquis par Clinvest appartenant au même groupe que le mandataire. Depuis 2005, la remise en valeur se calcule cependant "au jour de l'acte annulé" (10). Il ne s'agit donc pas du jour où les titres ont été revendus par le cessionnaire, et encore moins du jour où l'acte est annulé. Mais si la restitution consécutive à l'annulation est insuffisante, elle peut être complétée par une réparation (11).
L'écheveau de cette affaire, aux enjeux considérables, continue à se dénouer peu à peu. Avec le recentrage opéré par l'Assemblée plénière, le 9 octobre 2006, une avancée significative en faveur des banques peut être observée. Elle ne permet cependant pas de préjuger de l'issue du litige. D'autres rebondissements peuvent encore survenir, et plusieurs arrêts seront certainement nécessaires pour répondre aux questions qui demeurent en suspens.
Richard Routier
Agrégé des facultés de droit
(1) CA Paris, 3ème ch., sect. B, 30 septembre 2005, n° 96/12548, Crédit lyonnais et autres c/ SELAFA MJA ès qual. (N° Lexbase : A6115DKP) ; lire R. Routier, L'obligation de loyauté du banquier mandataire, Lexbase Hebdo n° 184 du 6 octobre 2005 - édition affaires (N° Lexbase : N9275AID) ; D. 2005, AJ, p. 2740, obs. X. Delpech ; X. Lagarde, Observations critiques sur une affaire médiatique, D. 2005, chron., p. 2945.
(2) Cass. ass. plén., 9 octobre 2006, n° 06-11.056, cité en référence.
(3) Entre la SDBO, et l'associé de la société en nom collectif détenant majoritairement BTF SA.
(4) Cass. com., 27 juin 2006, n° 04-15.831, Société Licorne gestion, anciennement dénommée banque Worms, FS-P+B+I+R (N° Lexbase : A0973DQ4), lire La chronique mensuelle de Pierre-Michel Le Corre, Lexbase Hebdo n° 228 du 21 septembre 2006 - édition privée générale (N° Lexbase : N2919ALP) ; Ph. Delebecque, L'administrateur de fait par personne interposée : une notion à définir, JCP éd. E, 2005, p. 220.
(5) En ce sens, Cass. com., 14 juin 2005, n° 03-12.339, Société Thésée c/ X. (N° Lexbase : A7471DIK), Bull. civ. IV n° 130 ; Bull. Joly sociétés 2005, p. 1399, note P. Le Cannu ; RTD civ. 2005, p. 778, obs. J. Mestre, B. Fages.
(6) C. civ., art. 1596.
(7) Cass. com. 30 novembre 1999, n° 97-15.733, M. Bonald c/ M. Caliez (N° Lexbase : A8143AGP), Bull. civ. IV n° 211, D. 2000, n° 8, p. 110, note V. Avena-Robardet ; Cass. civ. 3, 21 février 2001, n° 98-20.817, M. Plessis et autre c/ Consorts Errera et autres (N° Lexbase : A8926AQN), Bull. civ. III, n° 20 ; D. 2001, p. 2702, note D. Mazeaud ; Defrénois 2001, p. 703, note R. Libchaber ; JCP éd. G, 2002, II, 10027, p. 348, note C. Jamin, et éd. E, 2002, p. 809, note P. Chauvel.
(8) X. Lagarde, Observations critiques sur une affaire médiatique, préc., spéc. p. 2949.
(9) NCPC, art. 566.
(10) Cass. com., 14 juin 2005, n° 03-12.339, préc.
(11) P. Le Cannu, note sous Cass. com., 14 juin 2005, préc., Bull. Joly sociétés 2005, spéc. p. 1404 citant M-L. Morançais-Demeester, La responsabilité des personnes obligées à restitution, RTD civ., 1993, p. 757 ; T. Massart, note sous Cass. com. 22 février 2005, n° 01-13.642 (N° Lexbase : A8532DG4), Bull. Joly sociétés 2005, spéc. p. 1112.
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Réf. : CJCE, 4 juillet 2006, aff. C-212/04, Konstantinos Adeneler e.a. (N° Lexbase : A1488DQ8) ; CJCE, 7 septembre 2006, aff. C-53/04, Cristiano Marrosu, Gianluca Sardino (N° Lexbase : A9491DQL)
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par Olivier Dubos, Professeur de droit public à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
Le 07 Octobre 2010
Cette solution n'est pas apparue satisfaisante à l'actuelle majorité ou du moins à son Gouvernement qui a, au nom du droit communautaire et plus précisément de la transposition de la Directive 1999/70/CE du Conseil du 28 juin 1999 concernant l'accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée (N° Lexbase : L0072AWL : JOCE n° L 175 du 10 juillet 1999, p. 43), permis, par la loi du 26 juillet 2005, le recours dans la fonction publique aux contrats à durée indéterminée (loi n° 2005-843, 26 juillet 2005, portant diverses mesures de transposition du droit communautaire à la fonction publique N° Lexbase : L7061HEA). Cette Directive entend en effet lutter contre la précarité de l'emploi et incite les Etats membres à mettre en place des dispositifs visant à éviter l'abus par les employeurs des contrats à durée déterminée. L'accord-cadre a pour objectif "d'établir un cadre pour prévenir les abus résultant de l'utilisation de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs" (clause 1, b)). Il stipule que "afin de prévenir les abus résultant de l'utilisation de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs, les Etats membres, après consultation des partenaires sociaux, conformément à la législation, aux conventions collectives et pratiques nationales, et/ou les partenaires sociaux, quand il n'existe pas des mesures légales équivalentes visant à prévenir les abus, introduisent d'une manière qui tienne compte des besoins de secteurs spécifiques et/ou de catégories de travailleurs, l'une ou plusieurs des mesures suivantes : a) des raisons objectives justifiant le renouvellement de tels contrats ou relations de travail ; b) la durée maximale totale de contrats ou relations de travail à durée déterminée successifs ; c) le nombre de renouvellements de tels contrats ou relations de travail" (clause 5, paragraphe 1).
Deux décisions récentes de la Cour de justice sont venues préciser les conséquences de cette Directive dans le secteur public (CJCE, 4 juillet 2006, aff. C-212/04, Konstantinos Adeneler e.a. c/ Ellinikos Organismos Galaktos (ELOG) ; CJCE, 7 septembre 2006, aff. C-53/04, Cristiano Marrosu, Gianluca Sardino c/ Azienda Ospedaliera Ospedale San Martino di Genova e Cliniche Universitarie Convenzionate).
Le premier arrêt se prononce sur l'applicabilité de la Directive au secteur public. Il ne s'agit pas là d'une surprise car les dispositions communautaires en matière sociale, notamment relatives à l'égalité entre les femmes et les hommes s'imposent aux administrations comme aux entreprises privées (v. par ex. CJCE, 15 mai 1986, aff. C-222/84, Marguerite Johnston c/ Chief Constable of the Royal Ulster Constabulary N° Lexbase : A7291AHI, Rec., p. 1651). Au-delà, ces deux jurisprudences rappellent que la Directive 1999/70/CE impose des dispositifs nationaux anti-précarité (I), mais qu'elle n'exige pas pour autant la transformation des contrats à durée déterminée en contrats à durée indéterminée (II).
I. La Directive 1999/70/CE impose des dispositifs nationaux anti-précarité
A. Dans l'affaire "Adeneler", la Cour de justice a d'abord précisé dans quelle mesure des contrats à durée déterminée peuvent être considérés comme successifs. La notion de travailleur à durée déterminée est, en effet, définie de manière très générale par l'accord-cadre ("une personne ayant un contrat ou une relation de travail à durée déterminée conclu directement entre l'employeur et le travailleur où la fin du contrat ou de la relation de travail est déterminée par des conditions objectives telles que l'atteinte d'une date précise, l'achèvement d'une tâche déterminée ou la survenance d'un événement déterminé", clause 3, paragraphe 1) qui, par ailleurs, laisse aux Etats le soin de définir les conditions auxquelles les contrats à durée déterminée sont considérés comme successifs et comme conclus pour une durée indéterminée. La Cour a rappelé que "la marge de manoeuvre dont disposent ainsi les Etats membres n'est pas sans limites, puisqu'elle ne saurait en aucun cas aller jusqu'à remettre en cause l'objectif ou l'effet utile de l'accord-cadre [....]. En particulier, ce pouvoir d'appréciation ne doit pas être exercé par les autorités nationales d'une manière telle qu'il conduirait à une situation susceptible de donner lieu à des abus et ainsi de contrarier ledit objectif" (n° 82).
Ainsi la législation grecque, selon laquelle seuls les contrats ou relations de travail à durée déterminée qui ne sont pas séparés les uns des autres par un laps de temps supérieur à 20 jours ouvrables doivent être regardés comme ayant un caractère "successif" au sens de la Directive, est contraire à cette dernière. Pour la Cour, une définition aussi restrictive "risque d'avoir pour effet non seulement d'exclure en fait un grand nombre de relations de travail à durée déterminée du bénéfice de la protection des travailleurs recherchée par la Directive 1999/70 et l'accord-cadre, en vidant l'objectif poursuivi par ceux-ci d'une grande partie de leur substance, mais également de permettre l'utilisation abusive de telles relations par les employeurs" (n° 86). La Cour ajoute que cette conception du contrat à durée déterminée risque "d'entraîner des conséquences encore plus graves pour les salariés, étant donné qu'elle rend pratiquement inopérante la mesure nationale que les autorités helléniques ont choisi d'adopter en vue de mettre spécifiquement en oeuvre la clause 5 de l'accord-cadre, mesure selon laquelle certains contrats de travail à durée déterminée sont présumés avoir été conclus à durée indéterminée à condition, notamment, qu'ils revêtent un caractère successif au sens du décret présidentiel nº 81/2003" (n° 87).
Il est alors possible de douter de la compatibilité avec la Directive de la loi française du 26 juillet 2005 dont le dispositif prévoit "lorsque, à la date de publication de la présente loi, l'agent est en fonction depuis six ans au moins, de manière continue, son contrat ne peut, à son terme, être reconduit que par décision expresse et pour une durée indéterminée". Pour sauver cette disposition, le juge administratif français devrait interpréter cette continuité de manière souple à la lumière des exigences de la Directive et considérer qu'elle peut être quelque peu discontinue...
B. L'affaire "Adeneler" a, également, conduit la Cour de justice à préciser la notion de "raisons objectives" qui justifient le renouvellement de contrats à durée déterminée successifs. Ces raisons objectives sont conçues par l'accord-cadre comme un instrument de prévention des abus résultant de l'utilisation de contrats de travail à durée déterminée successifs. La Cour en déduit que "la notion de raisons objectives', au sens de la clause 5, point 1, sous a), de l'accord-cadre, doit être entendue comme visant des circonstances précises et concrètes caractérisant une activité déterminée et, partant, de nature à justifier dans ce contexte particulier l'utilisation de contrats de travail à durée déterminée successifs. Ces circonstances peuvent résulter notamment de la nature particulière des tâches pour l'accomplissement desquelles de tels contrats ont été conclus et des caractéristiques inhérentes à celles-ci ou, le cas échéant, de la poursuite d'un objectif légitime de politique sociale d'un Etat membre. En revanche, une disposition nationale qui se bornerait à autoriser, de manière générale et abstraite par une norme législative ou réglementaire, le recours à des contrats de travail à durée déterminée successifs ne serait pas conforme aux exigences telles que précisées aux deux points précédents. En effet, une telle disposition, de nature purement formelle et qui ne justifie pas de manière spécifique l'utilisation de contrats de travail à durée déterminée successifs par l'existence de facteurs objectifs tenant aux particularités de l'activité concernée et aux conditions de son exercice, comporte un risque réel d'entraîner un recours abusif à ce type de contrats et n'est, dès lors, pas compatible avec l'objectif et l'effet utile de l'accord-cadre" (n° 69 à 72).
Il résulte ainsi très clairement de la jurisprudence "Adeneler" que les Etats doivent mettre en place des dispositifs de lutte contre le recours abusif aux contrats de travail à durée déterminée.
II. La Directive 1999/70/CE n'impose pas la transformation des CDD en CDI
A. Dans l'affaire "Marrosu", la Cour de justice était saisie de la compatibilité avec la Directive de la législation italienne qui exclut, en cas d'abus résultant de l'utilisation par l'administration de contrats à durée déterminée, leur transformation en contrats à durée indéterminée alors même qu'un tel mécanisme est prévu dans le secteur privé. La Cour rappelle que la Directive "n'édicte pas une obligation générale des Etats membres de prévoir la transformation en contrats à durée indéterminée des contrats de travail à durée déterminée, pas plus qu'elle ne prescrit les conditions précises auxquelles il peut être fait usage de ces derniers [...], elle laisse un certain pouvoir d'appréciation en la matière aux Etats membres" (n° 47). Dès lors, elle "ne s'oppose pas, en tant que telle, à ce qu'un Etat membre réserve un sort différent à l'abus de recours à des contrats ou relations de travail à durée déterminée successifs selon que lesdits contrats ou relations ont été conclus avec un employeur appartenant au secteur privé ou un employeur relevant du secteur public" (n° 48). Déjà dans l'arrêt "Adeneler", la Cour avait estimé que "l'accord-cadre n'édicte pas une obligation générale des Etats membres de prévoir la transformation en contrats à durée indéterminée des contrats de travail à durée déterminée, pas plus qu'il ne prescrit les conditions précises auxquelles il peut être fait usage de ces derniers" (n° 91).
La cour administrative d'appel de Versailles, au sujet d'une affaire antérieure à l'entrée en vigueur de la loi du 26 juillet 2005, a jugé de la même manière que la Directive "n'impose pas aux Etats membres d'organiser la requalification des contrats à durée déterminée en contrats à durée indéterminée" (CAA Versailles, 2ème ch., 22 juin 2006, n° 05VE00565, Mme Martinez-Arretz N° Lexbase : A3227DQL).
Dès lors, contrairement à ce qu'avaient prétendu certains auteurs (J.-M. Lemoyne de Forges, La loi de transposition du droit communautaire à la fonction publique, AJDA 2005, p. 2285), la transposition de la Directive 1999/70/CE n'imposait pas la transformation des contrats à durée indéterminée (en ce sens, B. Derosier, Vers une fonction publique contractuelle ?, AJDA 2005, p. 857).
B. Il est bien évident que le dispositif antérieur à la loi du 26 juillet 2005 était incompatible avec le droit communautaire en ce qu'il ne prévoyait aucun moyen suffisamment efficace pour combattre le recours abusif par les administrations aux contrats à durée indéterminée (v. cependant, CAA Nancy, 1ère ch., 2 juin 2005, n ° 03NC00959, Commune de Forbach N° Lexbase : A7271DI7). Pour autant, la loi du 26 juillet 2005 est-elle conforme aux objectifs de la Directive ?
Indiscutablement, la transformation des contrats à durée déterminée en contrats à durée indéterminée constitue un moyen de lutte pertinent. Mais la mise en oeuvre de ce mécanisme par la loi du 26 juillet 2005 ne remplit peut-être pas les exigences de la Directive. Dans l'arrêt "Adeneler", la Cour rappelle, en effet, que si "le droit communautaire ne prévoit pas de sanctions spécifiques dans l'hypothèse où des abus auraient néanmoins été constatés, il incombe aux autorités nationales d'adopter des mesures appropriées pour faire face à une telle situation, mesures qui doivent revêtir un caractère non seulement proportionné, mais également suffisamment effectif et dissuasif pour garantir la pleine efficacité des normes prises en application de l'accord-cadre" (n° 94). Dans la mesure où, pour transformer un contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, le législateur français exige que l'agent ait été employé de manière continue pendant six ans, il n'est pas certain que ce dispositif puisse être considéré comme suffisamment effectif et dissuasif.
Bref, la loi du 26 juillet 2005 est allée au-delà des exigences de la Directive 1999/70/CE, mais elle est peut-être simultanément restée en deçà...
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