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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction
Le 27 Mars 2014
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Réf. : Décret n° 2006-1070 du 28 août 2006 aménageant les dispositions relatives au contrat à durée déterminée afin de favoriser le retour à l'emploi des salariés âgés (N° Lexbase : L6779HKB)
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Le 07 Octobre 2010
A - Les termes d'une politique de vieillissement actif
A l'origine de l'ANI du 13 octobre 2005, un bilan assez critique de l'état du marché du travail des seniors a été dressé par les partenaires sociaux, le législateur, les organismes de sécurité sociale, les organismes de recherche institutionnels ou universitaires (3). La situation peut se résumer ainsi : le taux d'emploi des seniors est en France parmi les plus bas des pays industrialisés, l'âge moyen de la population active croît fortement, la population en âge de travailler va commencer à baisser à partir de 2006, le taux de chômage qui se maintient à un niveau élevé, se caractérise, pour les seniors, par un important chômage de longue durée. Pour les partenaires sociaux, l'objectif est de passer d'une logique où l'âge a été considéré comme un facteur d'ajustement du marché du travail (avec des taux d'emploi très bas pour les plus de 55 ans) à une pratique conduisant au maintien ou à la reprise de l'activité professionnelle jusqu'à ce que les conditions pour obtenir une retraite à taux plein soient réunies.
Le législateur (loi n° 2003-775, 21 août 2003, portant réforme des retraites N° Lexbase : L9595CAM), le pouvoir réglementaire (décret n° 2006-1070) et les partenaires sociaux (ANI du 13 octobre 2005) ont dessiné les contours d'une politique de vieillissement actif, afin de faire face à un déséquilibre entre offre et demande de compétences sur le marché du travail ; de prévenir une perte de potentiel de croissance si le taux d'emploi des seniors n'augmente pas ; de progresser dans la recherche de l'équilibre des comptes sociaux, en particulier des retraites. La politique de vieillissement actif puise ses racines dans le débat sur les retraites, pour une très large part.
B - Les instruments d'une politique conventionnelle, législative et réglementaire de vieillissement actif
Les partenaires sociaux visaient une amélioration des possibilités de mobilité professionnelle des seniors, qui ne peut trouver leur pleine efficacité que si elle s'accompagne d'une plus grande fluidité du marché du travail, impliquant de mettre en oeuvre des dispositions incitatives au maintien dans l'emploi ou à l'embauche des seniors et de s'assurer que toutes les formes de discriminations en matière d'embauche liées à l'âge sont effectivement supprimées.
Le recrutement est un élément stratégique pour la progression du taux d'emploi des seniors. Les méthodes de recrutement doivent s'interdire de faire de l'âge un critère de choix et doivent au contraire rechercher davantage à valoriser les aptitudes de chacun. Les partenaires sociaux encouragent les branches professionnelles et les entreprises à prendre toutes dispositions utiles à cet effet. Les organisations syndicales de salariés et d'employeurs appuieront cette démarche par une demande conjointe auprès de l'ANPE, l'APEC et des organisations professionnelles représentatives des cabinets de recrutement et des entreprises d'intérim, de toute absence de discrimination en fonction de l'âge des candidats.
Les partenaires sociaux ont voulu mettre en place, avec la convention d'assurance chômage du 18 janvier 2006, un dispositif de soutien à l'activité des seniors (4), en partie dans la continuité de l'Accord national interprofessionnel ouvert à la signature le 13 octobre 2005 sur l'emploi des seniors. Dès lors qu'un allocataire de 50 ans et plus ou indemnisé depuis plus de 12 mois reprend un emploi dans une autre entreprise que celle dans laquelle il exerçait son activité précédente, qui n'entre pas dans le champ des règles applicables aux activités réduites, et dont la rémunération est, pour une même durée du travail, inférieure d'au moins 15 % à la rémunération de son emploi précédent, il peut percevoir une allocation de retour à l'emploi différentielle de reclassement. Cette allocation dont l'objet est de compenser sa baisse de rémunération, lui est versée mensuellement pour une durée qui ne peut excéder la durée maximum de versement de ses allocations et dans la limite d'un montant total plafonné à 50 % de ses droits résiduels à l'allocation de retour à l'emploi. L'aide est accordée sous réserve que : l'emploi ne soit pas repris chez le dernier employeur ; la durée de l'emploi repris soit d'au moins 30 jours calendaires, s'il s'agit d'un contrat de travail à durée déterminée ; le salaire brut mensuel de base soit, pour le même volume d'heures de travail, au plus égal à 85 % de 30 fois le salaire journalier de référence retenu pour la détermination de l'allocation d'aide au retour à l'emploi ; les dispositions prévues au titre II chapitre 6 du règlement général relatives à l'incitation à la reprise d'emploi par le cumul d'une allocation d'aide au retour à l'emploi avec une rémunération ne soient pas ou plus applicables à l'intéressé (5).
Le contrat de professionnalisation doit être le dispositif prioritaire pour favoriser la réinsertion des salariés de 45 ans et plus privés d'emploi, en leur assurant une qualification. Les partenaires sociaux ont souhaité que les accords de branche et d'entreprise se fixent, en fonction des besoins des entreprises et des personnes concernées, les objectifs à atteindre.
Le développement du travail à temps partagé spécialement par la mise en place de groupement d'employeurs, est de nature à faciliter l'emploi de seniors susceptibles d'intervenir dans les entreprises membres de ces groupements. A cet effet, les branches professionnelles et les structures territoriales des organisations patronales représentatives rechercheront les possibilités de mise en place de tels groupements.
Les partenaires sociaux avaient conçu le projet d'un contrat à durée déterminée d'une durée maximum de 18 mois renouvelable une fois. Ce contrat pouvait être conclu avec un salarié de plus de 57 ans, inscrit comme demandeur d'emploi depuis plus de 3 mois ou en convention de reclassement personnalisé, afin de lui permettre d'acquérir, par son activité, des droits supplémentaires en vue de la liquidation de sa retraite à taux plein. Le décret n° 2006-1070 reproduit à l'identique ce même schéma, en lui donnant vie juridiquement.
II - Régime juridique du contrat de travail senior
A - Un régime fixé a minima
Le décret n° 2006-1070 n'ouvre le bénéfice du contrat de travail senior qu'aux employeurs visés à l'article L. 131-2, à l'exception des professions agricoles (C. trav., art. D. 322-24) (6).
Sont visées par le décret n° 2006-1070, toute personne âgée de plus de 57 ans inscrite depuis plus de trois mois comme demandeur d'emploi ou bénéficiant d'une convention de reclassement personnalisé (C. trav., art. D. 322-25). Le contrat de travail senior appartient donc bien à la catégorie des contrats de travail spéciaux conclus au titre des politiques de l'emploi ("contrats aidés"), parce que ses bénéficiaires sont dans une situation professionnelle instable (inscrits comme demandeur d'emploi depuis plus de trois mois) ou potentiellement délicate (bénéficiaires d'une convention de reclassement personnalisé). Il s'agit donc d'un public "ciblé", pour lesquels les partenaires sociaux et le pouvoir réglementaire ont mis en place un contrat de travail particulier et spécifique. Le contrat de travail senior est donc bien un contrat aidé, et non un nouveau contrat de travail à durée déterminée.
A titre de comparaison, il peut être fait mention du "CDD senior" allemand, applicable au 1er janvier 2003 (loi du 21 décembre 2000, loi du 23 décembre 2002 ; V. CJCE, 22 novembre 2005, affaire C-144/04, prec.). La conclusion d'un contrat de travail à durée déterminée n'était pas subordonnée à l'existence d'une raison objective lorsque le travailleur avait atteint l'âge de 52 ans (au lieu des 58 ans initialement prévu) au moment où la relation de travail à durée déterminée a commencé.
Le contrat de travail senior est conclu afin de faciliter le retour à l'emploi de son bénéficiaire et de lui permettre d'acquérir des droits supplémentaires en vue de la liquidation de sa retraite à taux plein (C. trav., art. D. 322-24). Ces objectifs renforcent cette appartenance du contrat de travail senior à la catégorie des contrats aidés.
Le contrat de travail senior est conclu pour une durée maximale de dix-huit mois, renouvelable une fois pour une durée déterminée qui, ajoutée à la durée du contrat initial, ne peut excéder trente-six mois (C. trav., art. D. 322-26). Cette durée totale de trente-six mois s'explique par le seuil de 60 ans franchi si le salarié a conclu son contrat de travail à l'âge de 57 ans. Mais, depuis la loi n° 2003-775 du 21 août 2003 portant réforme des retraites, le seuil de 60 ans ne joue plus un rôle central. Sans remettre en cause l'âge de départ à la retraite qui demeure fixé à 60 ans, la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites prévoit deux dérogations selon, lesquelles l'assuré peut demander à bénéficier de sa retraite à taux plein avant l'âge de 60 ans sous certaines conditions. Il s'agit : des assurés ayant commencé à travailler très tôt et ayant eu de longues carrières (loi n° 2003-775, art. 23) et des travailleurs handicapés (loi n° 2003-775, art. 24) (7). Le droit comparé (Allemagne) prévoyait que les contrats de travail à durée déterminée sont autorisés pour une durée maximale de deux ans. Un contrat à durée déterminée pouvait être renouvelé trois fois au maximum. Mais par exception à ce principe, les contrats de travail à durée déterminée étaient autorisés sans limitation de durée, si le travailleur avait atteint l'âge de 60 ans au moment où commence la relation de travail à durée déterminée. Cette réglementation était applicable jusqu'au 31 décembre 2000.
Mais de très nombreux éléments permettant de fixer un régime juridique du contrat de travail seniors sont laissés dans l'ombre par le décret n° 2006-1070 : condition tenant à la substitution à des emplois permanents (à l'instar de feu le contrat d'adaptation ou du contrat d'orientation), condition relative aux emplois liés à l'activité normale et permanente de l'emploi (à l'instar de feu le contrat emploi solidarité ou du contrat emploi consolidé), condition relative aux besoins collectifs non satisfaits (à l'instar de feu le contrat emploi solidarité ou du contrat emploi consolidé), condition relative aux licenciements économiques prononcés antérieurement à l'embauche par l'employeur (à l'instar du contrat jeunes en entreprise ou du contrat initiative emploi), conditions générales de formation du contrat (mentions obligatoires devant figurer dans le contrat de travail, exigence d'un écrit, dépôt du contrat auprès de la DDTEFP, signature d'une convention Etat-employeur...), aides sociales, fiscales ou juridiques accordées à l'employeur...
On reste surtout surpris par l'absence de volet "exonération de charges sociales" ou "subvention" à l'embauche du contrat de travail senior, ainsi que l'absence d'aides juridiques (à l'image du contrat nouvelles embauches ou feu le contrat première embauche), alors que ces aides sont systématiquement associées par le législateur et le pouvoir réglementaire aux contrats aidés, en raison de leur nature incitative. S'agissant de l'absence de subventions ou d'exonérations de charges sociales, on peut émettre les hypothèses que les partenaires sociaux et l'Etat sont assez confiants pour se dispenser de telles aides pourtant habituellement analysées comme incitatives, et conditions du succès d'un nouveau contrat de travail aidé ; surtout, que l'Etat, par nécessité ou arbitrage, n'est financièrement pas en mesure d'accompagner le lancement du CDD senior.
B - Influence de la jurisprudence communautaire (CJCE, 22 novembre 2005, affaire C-144/04, prec.)
De manière générale, la CJCE considère qu'il y a pas d'incompatibilité de principe entre politique de l'emploi et principe de discrimination. La Directive 2000/78 (Directive du 27 novembre 2000,portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail N° Lexbase : L3822AU4) a établi un cadre général pour lutter, en matière d'emploi et de travail, contre les discriminations fondées notamment sur l'âge (art. 1). La Directive 2000/78 (art. 6 § 1) dispose que les Etats membres peuvent prévoir que de telles différences de traitement ne constituent pas une discrimination lorsqu'elles sont objectivement et raisonnablement justifiées, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime, notamment, par des objectifs légitimes de politique de l'emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires. Par l'arrêt (précité) du 22 novembre 2005, la CJCE a souligné que la législation allemande a clairement pour objectif de favoriser l'insertion professionnelle des travailleurs âgés au chômage, dans la mesure où ces derniers se heurtent à des difficultés importantes pour retrouver un emploi. La solution est clairement transposable au "CDD senior" français instauré par le décret n° 2006-1070.
Mais la CJCE s'attache à vérifier, en application de la Directive 2000/78, si les moyens mis en oeuvre pour réaliser cet objectif légitime sont appropriés et nécessaires. Dans l'affaire précité (CJCE, 22 novembre 2005, aff. C-144/04, précité), l'application du droit allemand du CDD aboutissait à une situation dans laquelle tous les travailleurs ayant atteint l'âge de 52 ans, sans distinction, qu'ils aient ou non été en situation de chômage avant la conclusion du contrat et quelle qu'ait été la durée de la période de chômage éventuel, peuvent valablement, jusqu'à l'âge auquel ils pourront faire valoir leur droit à une pension de retraite, se voir proposer des contrats de travail à durée déterminée, susceptibles d'être reconduits un nombre indéfini de fois. Cette catégorie de travailleurs, déterminée exclusivement en fonction de l'âge, risque ainsi d'être exclue du bénéfice de la stabilité de l'emploi, laquelle constitue pourtant, ainsi qu'il ressort de l'accord-cadre, un élément majeur de la protection des travailleurs. Cette législation allemande, parce qu'elle retient l'âge du travailleur pour unique critère d'application d'un contrat de travail à durée déterminée, sans qu'il ait été démontré que la fixation d'un seuil d'âge, en tant que tel, indépendamment de toute autre considération liée à la structure du marché du travail en cause et de la situation personnelle de l'intéressé, est objectivement nécessaire à la réalisation de l'objectif d'insertion professionnelle des travailleurs âgés au chômage, selon la CJCE, va au-delà de ce qui est approprié et nécessaire pour atteindre l'objectif poursuivi (arrêt rapporté).
Le droit interne français a évité cet écueil, en exigeant que le bénéficiaire d'un contrat de travail senior soit âgé de plus de 57 ans et inscrit depuis plus de trois mois comme demandeur d'emploi ou qu'il bénéficie d'une convention de reclassement personnalisé (C. trav., art. D. 322-25).
Christophe Willmann,
Professeur à l'université de Haute Alsace
(1) F. Favennec-Héry, L'accord national interprofessionnel relatif à l'emploi des seniors : un premier pas, JCP éd. S n° 21, 15 novembre 2005, étude n° 1329, p. 14 ; P.-Y. Verkindt, Changer le regard sur le travail des seniors après l'ANI du 13 octobre 2005, Semaine sociale Lamy, 31 octobre 2005, n° 1234 ; C. Willmann, La place de l'accord national interprofessionnel du 13 octobre 2005 dans les politiques de vieillissement actif, Lexbase Hebdo n° 191 du 24 novembre 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N1192AKD).
(2) CJCE, 22 novembre 2005, aff. C-144/04, Werner Mangold c/ Rüdiger Helm (N° Lexbase : A6265DLM) et nos obs. Le CDD senior en droit allemand censuré par la CJCE, Lexbase Hebdo n° 197 du 12 janvier 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N2944AKA) ; JCP éd. S, 13 décembre 2005, n° 1414 p. 25, note J. Cavallini.
(3) V. not., du Conseil d'orientation des retraites (COR), M.-C. Amauger-Lattes et I. Desbarats, Les formes juridiques de cessation d'activité des salariés âgés de 55 à 64 ans, Rapport juin 2005 ; Colloque Retraite : choix individuels et solidarité, 17 octobre 2002 ; C. Zaidman, M. Okba, L. Olier, B. Salzmann et A. Savary, Les dispositifs de cessation d'activité - Etats des lieux et évolutions souhaitables, document de travail, Réunion du COR, 6 décembre 2000 ; Colloque Age et travail, 5 avril 2001, actes publiés à la documentation française. ; Y. Struillou, Pénibilité et retraite, avril 2003 ; J.M. Boulanger, Cumul emploi retraite, mars 2003 ; du cabinet B. Bruhnes consultants, Les salariés seniors : quel avenir dans l'entreprise ? Enquête dans 5 pays : Allemagne, Royaume-Uni, Suède, Etats-Unis, Japon, Cahier 7 ; du Conseil économique et social, B. Quintreau, Dynamique de la population active et emploi : la gestion prévisionnelle des âges à l'horizon 2010, Rapport 2001 ; du Conseil d'analyse économique, D. Taddéi, Pour des retraites progressives et choisies, Rapport 2000 ; du Plan, atelier Qualifications et prospectives, 2005 : le choc démographique, défi pour les professions, les branches et les territoires, rapport novembre 2002.
(4) Accord 22 décembre 2005, art. 8 ; convention d'assurance chômage du 18 janvier 2006, art. 1 § 8 et son règlement annexé, art. 46 ; Accord d'application n° 27 du 18 janvier 2006 pris pour l'application de l'article 46 du règlement.
(5) Accord d'application n° 27 du 18 janvier 2006 pris pour l'application de l'article 46 du règlement.
(6) Il s'agit des professions industrielles et commerciales, des professions libérales, des offices publics et ministériels, des employés de maison, concierges et gardiens d'immeubles à usage ou non d'habitation ou à usage mixte, des travailleurs à domicile, des assistants maternels, des assistants familiaux, du personnel des sociétés civiles, des syndicats professionnels, des sociétés mutualistes, des organismes de sécurité sociale qui n'ont pas le caractère d'établissements publics et des associations ou de tout organisme de droit privé, quels que soient leur forme et leur objet, des entreprises publiques, des établissements publics à caractère industriel et commercial et des établissements publics qui assurent tout à la fois une mission de service public à caractère administratif et à caractère industriel et commercial, entreprises adaptées et aux centres de distribution du travail à domicile.
(7) Circ. CNAV 2003/46, 18 novembre 2003 ; Circ. CNAV, n° 2005/11, du 2 septembre 2005, Assurance volontaire vieillesse et retraite anticipée longues carrières (article 23 de la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites ; V. aussi Lettre ministérielle Trav. 00001, du 20 juillet 2005).
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Réf. : Cass. soc., 12 juillet 2006, n° 04-47.550, M. Hervé Dorveaux c/ Centre médical de l'Argentière, FS-P+B (N° Lexbase : A4454DQZ)
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N2430ALL
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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
Le 07 Octobre 2010
Résumé
Il résulte de l'article L. 135-6 du Code du travail que chaque salarié est recevable à agir individuellement afin d'obtenir l'exécution des engagements énoncés dans le cadre d'une convention ou d' un accord ou des dommages-intérêts contre les personnes liées par cet accord qui violeraient à leur égard ces engagements. |
Décision
Cass. soc., 12 juillet 2006, n° 04-47.550, M. Hervé Dorveaux c/ Centre médical de l'Argentière, FS-P+B (N° Lexbase : A4454DQZ) Cassation (cour d'appel de Lyon, chambre sociale, 14 octobre 2004) Textes visés : C. trav., art. L. 135-6 (N° Lexbase : L5719ACS) et L. 511-1 (N° Lexbase : L1723GZT) Mots clef : accord collectif ; inexécution ; action individuelle des salariés ; compétence du conseil de prud'hommes Liens base : |
Faits
1. M. Dorveaux était employé par l'association centre médical de l'Argentière. Etait applicable à cette association la convention collective nationale du 31 octobre 1951. L'avenant 99-01 à cette convention a prévu, dans le cadre de la mise en place de la réduction du temps de travail à 35 heures, d'une part, que les entreprises ou établissements compris dans son champ d'application s'engageaient à augmenter leurs effectifs dans un délai maximum d'un an, les recrutements étant de 7 % pour une réduction du temps de travail de 10 %, et, d'autre part, que la durée des échelons pour les salariés présents au moment de la mise en oeuvre de la réduction du temps de travail était prolongée de seize mois. L'accord collectif relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail signé le 17 décembre 1999 entre l'association et deux syndicats pour la mise en oeuvre de cet avenant a prévu que le temps de travail serait ramené à 35 heures, l'association s'engageant à procéder à des embauches représentant au minimum 6 % de son effectif. 2. M. Dorveaux a saisi le conseil de prud'hommes d'une demande tendant à la réparation du préjudice résultant pour lui du non-respect des dispositions de l'avenant 99-01. Le conseil de prud'hommes s'est déclaré incompétent. 3. La cour d'appel de Lyon a rejeté le contredit formé contre le jugement du conseil de prud'hommes au motif que la demande tendant à la réparation du préjudice résultant du non-respect de l'avenant, qui suppose l'interprétation de cet avenant et l'appréciation de l'accord d'entreprise au regard des obligations qu'il contiendrait, ne s'inscrit pas dans le cadre d'un litige individuel entre employeur et salarié à l'occasion d'un contrat de travail, tel qu'il est défini par l'article L. 511-1 du Code du travail, dès lors que le salarié qui présente une demande de dommages-intérêts purement formelle ne justifie pas de l'incidence que la question de la compatibilité de l'accord d'entreprise avec l'avenant qu'il demande de voir tranchée aurait sur son propre contrat de travail et ne justifie pas davantage d'un quelconque intérêt à agir, et que pour fonder son action, il se réfère lui-même aux dispositions de l'article L. 135-6 du Code du travail, cette action relevant de la compétence du tribunal de grande instance. |
Solution
1. "Vu l'article L. 135-6 du Code du travail, ensemble l'article L. 511-1 du même code" ; "il résulte du premier de ces textes que chaque salarié est recevable à agir individuellement afin d'obtenir l'exécution des engagements énoncés dans le cadre d'une convention ou d' un accord ou des dommages-intérêts contre les personnes liées par cet accord qui violeraient à leur égard ces engagements". En rejetant le contredit, "alors qu'il ressort des énonciations de l'arrêt que le salarié demandait la réparation du préjudice résultant pour lui de la non-application au sein de l'entreprise des dispositions de l'avenant 99-01, lequel prévoyait l'obligation pour les entreprises de recruter 7 % de leurs effectifs tandis que les salariés se voyaient imposer un retard dans le passage à l'échelon supérieur, ce dont il résulte qu'il s'agissait d'une action individuelle relevant de la compétence du conseil de prud'hommes, la cour d'appel a violé les textes susvisés". 2. Cassation en ce qu'il a rejeté le contredit formé à l'encontre du jugement du conseil de prud'hommes de Givors, l'arrêt rendu le 14 octobre 2004, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ; dit n'y avoir lieu à renvoi sur la compétence ; dit que le conseil de prud'hommes de Givors est compétent pour connaître de la demande relative au non-respect de l'avenant 99-10 et du préjudice en résultant pour le salarié ; renvoie en application de l'article 86 du nouveau code de procédure civile, l'affaire devant ce conseil de prud'hommes, et dit que, conformément à l'article 97 du même code, le dossier de l'affaire sera immédiatement transmis à cette juridiction par le greffe de la cour de cassation ; condamne le centre médical de l'Argentière aux dépens. |
Commentaire
I - La confirmation de la compétence élargie du conseil de prud'hommes
Les différends qui naissent de l'exécution d'une convention collective sont de deux ordres. Une première série de litiges relève purement et simplement du droit conventionnel et oppose les parties à l'accord. A l'instar des solutions qui prévalent en droit commun des contrats, les parties à la convention, qu'il s'agisse des syndicats signataires ou du chef d'entreprise contractant, peuvent agir afin d'obtenir l'exécution forcée de l'accord ou pour obtenir des dommages et intérêts en cas d'inexécution (C. trav., art. L. 135-5 N° Lexbase : L5718ACR et L. 135-6). Il s'agit, ici, de différends "purement conventionnels", collectifs "par nature", et qui relèvent de la seule compétence du tribunal de grande instance. Ainsi, les salariés pris individuellement ne disposent d'aucune action propre dès lors qu'ils n'invoquent aucun intérêt personnel, qu'il s'agisse d'obtenir l'interprétation du texte conventionnel (Cass. soc., 30 avril 1997, n° 95-43.227, M. Gosse et autres c/ Société niçoise d'exploitation balnéaire Casino Ruhl N° Lexbase : A2126ACQ, Bull. civ. V, n° 153) ou même d'en réclamer l'application à l'ensemble du personnel sans présenter de requête propre (Cass. soc., 6 mai 1998, n° 96-41.712, Société Les Verreries de la Somme c/ M. Salle N° Lexbase : A2893AC7, Dr. soc. 1998, p. 731, obs. G. Couturier). D'autres différends peuvent opposer les salariés, bénéficiaires de l'accord, mais qui n'y sont pas partie, au sens juridique du terme. Les dispositions de l'article L. 135-6 du Code du travail ne sont alors pas directement applicables, la convention collective constituant un acte juridique auquel ils sont juridiquement tiers. Cet accord est, toutefois, susceptible de faire naître, à leur profit, un certain nombre de droits (mais également de devoir) et il est alors normal que les salariés disposent d'actions judiciaires pour se faire rétablir dans leurs droits. L'action du salarié est alors rattachée au contrat de travail et relève bien de la compétence du conseils de prud'hommes (en ce sens, Cass. soc., 24 avril 1975, n° 74-40.509, CIE AIR-INTER SA c/ Chaminade Syndicat national des pilotes de ligne N° Lexbase : A3209AGX). De manière constante, la Cour de cassation a jugé que la compétence du conseil de prud'hommes ne pouvait être écartée sous prétexte qu'il conviendrait, pour trancher le litige, de régler une difficulté d'interprétation de l'accord collectif applicable (Cass. soc., 10 mars 1965, n° 60-40.177 N° Lexbase : A2946AUN, D. 1965, p. 624, note J. Villebrun. Cass. soc., 21 mars 1984, n° 81-42.320, Colombo c/ SARL Sotrasi N° Lexbase : A0112AAE, JCP éd. E 1985, I, 14472, n° 2, obs. B. Teyssié), ni même que la demande concernerait plusieurs salariés (Cass. soc., 11 juin 1975, n° 74-40749, Besset et autres N° Lexbase : A0511CHE, Bull. civ. V, n° 321) ou émanerait de plusieurs salariés (Cass. soc., 26 mars 1981, n° 79-41.610, Société Sogara Carrefour c/ Dame Laffont N° Lexbase : A3648ABQ, Bull. civ. V, n° 264. Cass. soc., 3 octobre 1991, n° 87-43.250, M. Beninca et autres c/ Société CGA-HBS N° Lexbase : A3872ABZ). C'est cette conception large de la compétence du conseil de prud'hommes que vient confirmer cet arrêt en date du 12 juillet 2006.
Dans cette affaire, un salarié se plaignait du non-respect par l'employeur d'un accord de réduction du temps de travail et réclamait des dommages et intérêts. Le conseil de prud'hommes, puis la cour d'appel, avaient considéré la juridiction prud'homale comme incompétente après avoir jugé, en substance, que la demande du salarié était artificielle et mal fondée, puisque ce dernier visait l'article L. 135-6 du Code du travail applicable en principe aux seules parties signataires. L'arrêt ayant rejeté le contredit est cassé, la Chambre sociale de la Cour de cassation considérant qu'il résulte de l'article L. 135-6 "que chaque salarié est recevable à agir individuellement afin d'obtenir l'exécution des engagements énoncés dans le cadre d'une convention ou d' un accord ou des dommages-intérêts contre les personnes liées par cet accord qui violeraient à leur égard ces engagements".
La conception large de la compétence du conseil de prud'hommes, confirmée par cet arrêt, ne peut qu'être approuvée. L'éparpillement actuel du contentieux du travail doit, en effet, être combattu dans la mesure où il nuit à une interprétation homogène du droit du travail. Dans la mesure où les demandes émanent de salariés agissant en leur nom personnel et pour leurs propres intérêts, il est souhaitable que le conseil de prud'hommes soit compétent pour apprécier un litige incontestablement individuel. Il appartiendra, par conséquent, au conseil de prud'hommes de renvoi d'examiner la demande présentée par le salarié et de déterminer si le manquement invoqué est avéré et s'il a bien causé un préjudice. Compte tenu de la nature de l'accord "donnant-donnant", il est plus que vraisemblable qu'il obtiendra gain de cause. Comme dans beaucoup d'accords de réductions du temps de travail issus de la loi "Robien" (loi n° 96-502 du 11 juin 1996 N° Lexbase : L7981AIG) ou de la loi "Aubry I" (loi n° 98-461 du 13 juin 1998 N° Lexbase : L7982AIH), le bénéfice des aides publiques (réductions de charges salariales) dans le cadre d'une réduction de la durée du travail était en effet subordonné à l'existence d'engagements en termes d'emplois sauvés (accords défensifs) ou créés (accords offensifs). Ces accords s'accompagnaient souvent d'un gel partiel ou total des salaires, comme c'était le cas ici (la durée des échelons pour les salariés présents au moment de la mise en oeuvre de la réduction du temps de travail était en effet prolongée de seize mois). Or les entreprises manquent parfois à leurs engagements en terme d'emplois, mais rarement au gel des salaires, ce qui entraîne un préjudice évident pour les salariés (ainsi Cass. soc., 10 octobre 2002, n° 00-42.906, F-P N° Lexbase : A9712AZQ, Dr. soc. 2002, p. 1158, et les obs., où la responsabilité de l'entreprise avait été retenue bien que celle-ci ait été placée en redressement judiciaire). II - Le fondement contestable du droit des salariés de réclamer l'application d'une convention collective
Le débat sur le bien-fondé de la demande présentée par le salarié ne doit pas venir polluer la question de sa recevabilité et de la juridiction compétente pour en connaître. Or le conseil de prud'hommes, puis la cour d'appel de Lyon, avaient, semble-t-il, mélangé les deux questions. De ce point de vue, la solution semble donc pleinement justifiée.
La question du fondement retenu pour justifier la solution est, en revanche, plus délicate. Ce n'est pas la première fois que la Cour de cassation se fonde sur l'article L. 135-6 du Code du travail pour reconnaître aux salariés le droit de réclamer à l'employeur des dommages et intérêts lorsque ce dernier n'a pas respecté ses obligations conventionnelles, singulièrement lorsque sont en cause des engagements en terme d'emploi (en ce sens Cass. soc., 22 janvier 1998, n° 95-45.400, Briou N° Lexbase : A2585ACQ, Dr. soc. 1998, p. 375, obs. G. Couturier). C'est, en revanche, de manière totalement inédite que la Cour de cassation affirme très clairement que ce droit se fonde sur le seul article L. 135-6 du Code du travail. Dans ses décisions précédentes, et singulièrement dans l'arrêt "Briou" rendu en 1998 (préc.), la Cour visait, aux côtés des articles L. 135-5 et L. 135-6 du Code du travail, l'article 1147 du Code civil (N° Lexbase : L1248ABT) qui concerne bien la responsabilité civile contractuelle de l'employeur, justifiant alors parfaitement le caractère individuel du litige et, partant, la compétence du conseil de prud'hommes.
Toute référence au Code civil disparaît donc des textes ici applicables, au profit des seules dispositions du Code du travail. L'éviction de l'article 1147 du Code civil est audacieuse. L'article L. 135-6 du Code du travail ne concerne, en effet, que "les personnes liées par une convention ou un accord collectif de travail", c'est-à-dire les seules parties à l'accord. Or les salariés ne sont pas parties à l'accord, puisqu'ils y sont "représentés", tout au moins leurs intérêts, par les syndicats représentatifs qui seuls ont compétence pour conclure les accords collectifs. Certes, l'article L. 135-6 du Code du travail fonde bien l'obligation faite aux parties signataires d'exécuter les accords et conventions collectives, mais il ne contient aucune disposition de nature à fonder l'action personnelle des salariés, bénéficiaires de l'accord. La mise à l'écart de l'article 1147 du Code civil s'inscrit, par conséquent, dans un mouvement plus vaste d'autonomisation du droit du travail par rapport au droit civil, très sensible ces dernières années singulièrement lorsque est en cause la responsabilité civile des employeurs et des salariés (en matière contractuelle, en revanche, l'article 1134 du Code civil N° Lexbase : L1234ABC règne en maître. Notre étude La figure du contrat dans le rapport de travail, Dr. soc. 2001, p. 802), comme en témoignent les derniers développements de la jurisprudence en matière de harcèlement moral (en ce sens, Cass. soc., 21 juin 2006, n° 05-43.914, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A9600DPA notre chron. L'employeur responsable du harcèlement moral dans l'entreprise, Lexbase Hebdo n° 223 du 13 juillet 2006 - édition sociale N° Lexbase : N0835ALI). Cette mise à l'écart des dispositions du Code civil, et le forçage des textes du Code du travail, n'est pas satisfaisante. Elle ouvre, en effet, la porte à tous les arbitraires et à toutes les interprétations, renforçant encore un peu plus le sentiment d'insécurité en droit du travail. |
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Le 07 Octobre 2010
L'article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3363ADW) est enrichi de cinq nouvelles exceptions. Les dispositions de cet article permettent, dans des cas strictement définis, d'utiliser librement des oeuvres protégées au titre du droit d'auteur sans en demander l'autorisation au titulaire de ces droits. Sont concernés par ces nouvelles dispositions l'enseignement et la recherche, les communications sur les réseaux numériques, les exploitations dans les établissements accueillant des personnes handicapées, les actes de reproductions par les musées, bibliothèques ou services d'archives, et la reproduction partielle ou intégrale d'une oeuvre graphique, plastique ou architecturale dans un but exclusif d'information.
Le test en trois étapes est issu tant de l'article 5 de la Directive du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information, que de l'article 9-2 de la Convention de Berne (N° Lexbase : L6786BHS). Ce test consiste à laisser aux Etats membres la faculté de prévoir dans leur droit national une exception au monopole du droit de reproduction appartenant au titulaire des droits, pourvu qu'une telle reproduction ne porte pas atteinte à l'exploitation normale de l'oeuvre ou autre objet protégé, ni ne cause un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du droit.
A la lecture de la nouvelle rédaction de l'article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle, ce test est pleinement consacré : en effet, l'article L. 122-5 énonce les exceptions au monopole du droit de reproduction (cf. supra), puis le texte précise que "les exceptions énumérées par le présent article ne peuvent porter atteinte à l'exploitation normale de l'oeuvre ni causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l'auteur".
L'application de ce test avait été anticipée par la Cour de cassation dans un arrêt remarqué du 28 février dernier (Cass. civ. 1, 28 février 2006, n° 05-15.824, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A2162DNE). Dans cette affaire, dite "Mulholland drive", un consommateur se plaignait de ne pouvoir réaliser une copie d'un DVD, ce dernier étant équipé de mesures techniques de protection insérées dans le support, rendant toute copie matériellement impossible. Il invoquait une atteinte au droit à la copie privée. La cour d'appel de Paris (CA Paris, 22 avril 2005, n° 04/1933 N° Lexbase : A1867DIY) avait estimé que, sans constituer un droit reconnu de manière absolue à l'usager, l'exception de copie privée ne saurait être limitée alors que la législation française ne comporte aucune disposition en ce sens.
La Cour de cassation avait alors cassé cette décision, au motif que "l'atteinte à l'exploitation normale de l'oeuvre, propre à faire écarter l'exception de copie privée s'apprécie au regard des risques inhérents au nouvel environnement numérique quant à la sauvegarde des droits d'auteur et de l'importance économique que l'exploitation de l'oeuvre, sous forme de DVD, représente pour l'amortissement des coûts de production cinématographique".
II - Mesures de protection, interopérabilité et copie privée
Les mesures techniques de protection sont consacrées par le nouvel article L. 331-5 du Code de la propriété intellectuelle. Aux termes de celui-ci, "on entend par mesure technique au sens du premier alinéa toute technologie, dispositif, composant qui, dans le cadre normal de son fonctionnement, accomplit la fonction prévue par cet alinéa. Ces mesures techniques sont réputées efficaces lorsqu'une utilisation visée au même alinéa est contrôlée par les titulaires de droits grâce à l'application d'un code d'accès, d'un procédé de protection tel que le cryptage, le brouillage ou toute autre transformation de l'objet de la protection ou d'un mécanisme de contrôle de la copie qui atteint cet objectif de protection".
Et l'alinéa 4 de cet article précise que "les mesures techniques ne doivent pas avoir pour effet d'empêcher la mise en oeuvre effective de l'interopérabilité, dans le respect du droit d'auteur".
La loi crée une nouvelle autorité de régulation, l'Autorité de régulation des mesures techniques qui "assure une mission générale de veille dans les domaines des mesures techniques de protection et d'identification des oeuvres et des objets protégés par le droit d'auteur ou par les droits voisins".
Cette autorité administrative indépendante est composée de six membres nommés par décret.
Le contournement des MTP est pénalement sanctionné : une amende de 3 750 euros est prévue pour quiconque portera sciemment atteinte à une mesure technique efficace afin d'altérer la protection de l'oeuvre. De plus, celui qui proposera sciemment des moyens spécialement conçus ou adaptés pour contourner ces mesures (application technologique par exemple), est passible de six mois d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende (C. prop. int., L. 335-3-1 nouveau).
La loi déférée instaurait initialement une absence de poursuites pénales concernant le contournement des MTP s'il avait pour finalité le respect du principe d'interopérabilité. Or, le législateur ayant omis de définir l'interopérabilité, les Sages ont estimé que cette disposition floue portait atteinte au principe fondamental de légalité des délits et des peines. En conséquence, un consommateur qui tentera de contourner une MTP en vue de lire un fichier légalement acquis sur un lecteur non compatible avec ledit fichier s'exposera à une sanction pénale...
Difficile aujourd'hui de concilier l'exception à la copie privée et l'existence des mesures techniques de protection. Aussi, le législateur a-t-il choisi de laisser à la nouvelle autorité de régulation le soin de veiller à cette exception. Aux termes du nouvel article L. 331-8 du Code de la propriété intellectuelle, "l'autorité détermine les modalités d'exercice des exceptions précitées et fixe notamment le nombre minimal de copies autorisées dans le cadre de l'exception pour copie privée, en fonction du type d'oeuvre ou d'objet protégé, des divers modes de communication au public et des possibilités offertes par les techniques de protection disponibles".
Il est intéressant de relever que, dans l'alinéa 2 de l'article L. 331-9, la notion de source licite fait son apparition. Cette notion reprend la solution dégagée par la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 30 mai dernier. En effet, dans son arrêt la Cour de cassation, confrontée à un problème de téléchargement sur internet, a subordonné l'exception de copie privée à la licéité de la source (Cass. crim., 30 mai 2006, n° 05-83.335, F-D N° Lexbase : A9562DPT). L'arrêt déféré devant les Hauts magistrats était celui rendu par la cour d'appel de Montpellier, le 10 mars 2005 (CA Montpellier, 10 mars 2005 n° 04/01534 N° Lexbase : A2722DHB ; et lire Téléchargement : débat autour des nouvelles dispositions du projet de loi N° Lexbase : N9148AKZ). En l'espèce, la cour d'appel avait relaxé un internaute qui avait téléchargé des fichiers à ses propres fins, sur le fondement de l'exception de copie privée. L'arrêt sera censuré par la Cour de cassation. En effet, selon la Cour, "en se déterminant ainsi, sans s'expliquer sur les circonstances dans lesquelles les oeuvres avaient été mises à disposition du prévenu et sans répondre aux conclusions des parties civiles qui faisaient valoir que l'exception de copie privée prévue par l'article L. 122-5, 2°, du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3363ADW), en ce qu'elle constitue une dérogation au monopole de l'auteur sur son oeuvre, suppose, pour pouvoir être retenue, que sa source soit licite et nécessairement exempte de toute atteinte aux prérogatives des titulaires de droits sur l'oeuvre concernée, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision". Ainsi, en faisant application de l'article 593 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3977AZC), aux termes duquel tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties, la Cour de cassation ne tranche pas au fond et laisse à la cour d'appel d'Aix-en-Provence le soin de se prononcer sur cette délicate question.
III - Intensification de la lutte contre la contrefaçon
La loi nouvelle insère au Code de la propriété intellectuelle un article L. 335-2-1 aux termes duquel "est puni de trois ans d'emprisonnement et de 300 000 euros d'amende le fait :
1° D'éditer, de mettre à la disposition du public ou de communiquer au public, sciemment et sous quelque forme que ce soit, un logiciel manifestement destiné à la mise à disposition du public non autorisée d'oeuvres ou d'objets protégés ;
2° D'inciter sciemment, y compris à travers une annonce publicitaire, à l'usage d'un logiciel mentionné au 1°".
Sont ainsi directement visés les éditeurs de logiciels de peer to peer.
Concernant l'internaute qui télécharge sur les sites de peer to peer, l'article 24 de la loi déférée prévoyait de soustraire certains agissements aux dispositions applicables aux délits de contrefaçon en matière de propriété littéraire et artistique. Auraient dû être constitutives de contraventions, et non plus de délits, d'une part, la reproduction non autorisée, à des fins personnelles, d'une oeuvre, d'une interprétation, d'un phonogramme, d'un vidéogramme ou d'un programme protégés par un droit d'auteur ou un droit voisin lorsqu'ils auront été mis à disposition au moyen d'un logiciel d'échange peer to peer et, d'autre part, la communication au public, à des fins non commerciales, de tels objets au moyen d'un service de communication au public en ligne, lorsqu'elle résulte automatiquement et à titre accessoire de leur reproduction au moyen d'un logiciel d'échange.
Cet article a été censuré par le Conseil constitutionnel qui énonce, dans sa décision (point 65), "qu'au regard de l'atteinte portée au droit d'auteur ou aux droits voisins, les personnes qui se livrent, à des fins personnelles, à la reproduction non autorisée ou à la communication au public d'objets protégés au titre de ces droits sont placées dans la même situation, qu'elles utilisent un logiciel d'échange de pair à pair ou d'autres services de communication au public en ligne ; que les particularités des réseaux d'échange de pair à pair ne permettent pas de justifier la différence de traitement qu'instaure la disposition contestée ; que, dès lors, l'article 24 de la loi déférée est contraire au principe de l'égalité devant la loi pénale ; qu'il y a lieu, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs, de le déclarer contraire à la Constitution".
Le débat reste donc d'actualité sur ce sujet.
IV - Diverses autres dispositions
L'article L. 131-2 du Code du patrimoine (N° Lexbase : L6807DYR), qui détermine les supports soumis à dépôt légal, est ainsi complété : "les logiciels et les bases de données sont soumis à l'obligation de dépôt légal dès lors qu'ils sont mis à disposition d'un public par la diffusion d'un support matériel, quelle que soit la nature de ce support. Sont également soumis au dépôt légal les signes, signaux, écrits, images, sons ou messages de toute nature faisant l'objet d'une communication au public par voie électronique".
La loi reconnaît aux agents publics la titularité des droits sur leurs créations (C. prop. intell., art. L. 121-7-1, nouveau). Le texte distingue entre une cession obligatoire à l'administration des droits des fonctionnaires pour l'exploitation non-commerciale de leurs oeuvres et un simple droit de préférence de l'administration en cas d'exploitation commerciale de celle-ci.
Le titre III de la loi nouvelle complète les dispositions existantes du Code de la propriété intellectuelle concernant les sociétés de gestion collective. Il prévoit, entre autres, leur soumission à des règles comptables communes (C. prop. intell., art. L. 321-12, modifié).
Anne-Laure Blouet-Patin
Rédactrice en chef du pôle Presse
(1) L'interopérabilité est la capacité qu'ont deux ou plusieurs systèmes informatiques à dialoguer ensemble.
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Le 07 Octobre 2010
Jean-Claude Beaujour, Avocat au Barreau de Paris, membre de la Société française de droit aérien et spatial, administrateur de l'IPBA
Alain Printemps, Sous-directeur à la DGAC, chargé des aéroports et de la navigation aérienne
Bruno Chambullon, Chef du Service systèmes d'information d'Air France
Mardi 12 septembre 2006
17h30 - 19h30
Maison du Barreau,
Salle du Barreau
2/4 rue de Harlay
75001 Paris
Paf : 16 euros
Gratuit pour les membres de l'ADIJ
Mme Christiane Féral-Schuhl,
Présidente de l'ADIJ
Fax : 01 42 68 15 45
e-mail : coordination.adij@salans.com
Site : www.adij.fr
Cette manifestation est validée au titre de la formation continue obligatoire des avocats.
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