La lettre juridique n°220 du 22 juin 2006

La lettre juridique - Édition n°220

Éditorial

De la grève légale à la grève légitime, il n'y a qu'un rêve

Lecture: 2 min

N9922AKP

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction

Le 27 Mars 2014


Ceux qui pensaient voir, au XXIème siècle, décliner le principe constitutionnel du droit de grève, soit qu'il y serait porté légalement atteinte, soit que l'émancipation du dialogue social le réduirait à néant, en seront à nouveau pour leurs frais. Au coeur d'un marasme parlementaire conduisant à l'impasse l'instauration d'un service minimum garanti, notamment, dans les transports publics -le projet étant à l'étude depuis près de deux ans-, la Chambre sociale de la Cour de cassation vient de rendre deux arrêts, promis aux honneurs de son Bulletin, l'un précisant qu'un préavis unique peut porter sur des arrêts de travail d'une durée limitée étalés sur plusieurs jours et qu'un syndicat peut valablement déposer en même temps plusieurs préavis de grève ; l'autre confirmant que les salariés grévistes peuvent être indemnisés par l'employeur du fait de la perte de salaire éprouvée lorsque la grève était justifiée par la situation contraignante dans laquelle se trouvaient les salariés. En effet, les conditions d'existence d'une telle situation contraignante étaient réunies en présence d'un manquement grave et délibéré de l'employeur à ses obligations, ce manquement résidant, en l'espèce, en un retard de paiement des salaires alors qu'un plan de continuation avait été mis en place. Ces deux arrêts montrent, une fois encore, et si besoin était, l'attachement gaulois à cette épreuve de force visant au rééquilibrage de la relation employeurs/salariés. Pourtant, serait-on tenter de dire, quelle revendication impérieuse ou quelle légitimité peut revêtir une succession indéfinie, ou presque, d'arrêts de travail d'une durée quotidienne de 55 minutes sur une plage horaire déterminée, laissant à l'horizon, pourtant proche, une grève perlée illégale ? Ou encore, une grève menée à la suite d'un retard de paiement des salaires, certes grave et délibéré, mais dans le contexte d'un plan de continuation, laissant supposer un état plus que précaire de la trésorerie et du devenir de l'entreprise elle-même ? L'Histoire recense la première grève en Egypte, en l'an 29 du règne de Ramsès III (- 1200 av. JC), à Deir el-Médineh. Les ouvriers chargés de la décoration des monuments de la Vallée des Rois protestaient contre le retard de ravitaillement... les revendications ont guère changé aujourd'hui. Légalisée en France en 1864, la grève tire son nom de la place de Grève à Paris, située en bord de Seine, où les hommes trouvaient un travail facilement pour charger et décharger les bateaux à l'accostage... un lieu d'espoir, un lieu de rêve. En 1907, les électriciens parisiens plongeaient la capitale dans le noir... signe prémonitoire ? Les éditions juridiques Lexbase vous invitent, cette semaine, à lire la chronique de Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale, Grève et services publics : le dépôt de préavis "en liasses" est licite, et le commentaire de Sébastien Tournaux, Allocataire-Moniteur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Lorsque la grève devient légitime....

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Procédures fiscales

[Doctrine] La commission départementale : état des lieux et perspectives

Lecture: 12 min

N9790AKS

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par Jean-Marc Priol, Avocat au Barreau des Hauts-de-Seine, Landwell & Associés

Le 16 Novembre 2013

La commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires a fait l'objet d'une évolution significative à la suite de l'adoption de la loi de finances rectificative pour 2004 (loi n° 2004- 1485 N° Lexbase : L5204GUB). Il est rappelé que la commission n'est pas une juridiction et a simplement pour objet de concilier l'administration et le contribuable en cas de désaccord. Pour certains, cet objectif de conciliation n'est pas atteint et ce constat justifierait à lui seul la suppression de cette commission. L'un des arguments en ce sens se fonde sur des données statistiques.
Ainsi, au titre de l'année 2004, pour Paris et sa petite couronne :

- hormis les avis d'incompétence :

  • 65 % des avis sont totalement favorables à l'administration,
  • 27,5 % des avis sont partiellement favorables à l'administration,
  • 7,5 % des avis rejettent entièrement les propositions du service ;

- le service suit totalement l'avis dans 97 % des cas.

La commission rend près de 92 % de ses avis en faveur de l'administration, avis suivis à 97 % par le service.

Ce simple constat permettrait donc de douter de l'intérêt pour le contribuable de saisir la commission.

Toutefois, sans aller jusqu'à préconiser une disparition pure et simple de la commission départementale des impôts directs et taxes sur le chiffre d'affaires, pour les contribuables et praticiens, il est possible de relever certains de ses aspects perfectibles :

  1. informer le contribuable sur la possibilité de saisir la commission en consacrant plus officiellement par voie législative une obligation d'informer le contribuable de la possibilité qui lui est offerte, afin de lui assurer une plus grande protection ;
  2. assurer un traitement des titulaires des BNC équivalent à celui des titulaires de BIC au regard de la saisine de la commission, en étendant la compétence de la commission à la détermination du bénéfice imposable en matière de BNC, afin de mettre un terme à une situation pour le moins inéquitable ;
  3. une extension du champ de compétence à tous les impôts, notamment, en y intégrant les questions relatives aux crédits d'impôts ou encore à la taxe professionnelle ;
  4. la création de "sous-commission" pour l'examen des problématiques de prix de transfert et autres questions sensibles composées d'experts ;
  5. la mise en place d'une base de données des avis rendus par la commission départementale, soit dans une optique de rapport annuel, soit dans celle d'une doctrine de cette commission.

1. La compétence de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires : une évolution significative

Il est rappelé que la saisine de la commission, est subordonnée à la réunion de trois conditions :

- l'existence d'un désaccord persistant,

- sur une matière prévue par la loi,

- portant sur une question de fait.

1.1.Conditions préalables à la saisine

1.1.1. Un désaccord persistant

1.1.2. Matières prévues par la loi

Le domaine d'intervention de la commission est défini à l'article L. 59 A du LPF (N° Lexbase : L8737G84) et a fait l'objet d'un élargissement par la loi de finances rectificative pour 2004.

Ainsi, désormais, relèvent de la compétence de la commission les litiges portant sur :

- le montant du résultat (industriel et commercial, agricole, non commercial) ou du chiffre d'affaires, déterminé selon le mode réel d'imposition. En substituant le terme "résultat" à celui de "bénéfice", le législateur a affirmé clairement la compétence de la commission lorsque le résultat de l'entreprise est déficitaire ;

- les conditions d'application des régimes d'exonération ou d'allègement fiscaux en faveur des entreprises nouvelles. En l'état actuel, il s'agit des exonérations prévues aux articles 44 sexies à 44 undecies du CGI. Toutefois, est expressément exclue la possibilité pour la commission départementale de se prononcer sur la qualification des dépenses de recherche définies à l'article 244 quater B, II du CGI .

  • Cette extension du champ de compétence de la commission fait suite à un arrêt de la cour administrative d'appel de Paris (CAA Paris, 2 juillet 2004, n° 99PA00187, Société TMUA N° Lexbase : A4491DDP ; lire J.-M. Priol, Questions sur la compétence des commissions fiscales, Lexbase Hebdo n° 142, du 11 novembre 2004 - édition fiscale N° Lexbase : N3472AB9) et contraire à la position du Conseil d'Etat (CE 9° et 10° s-s-r., 30 juillet 2003, n° 234706, M. Lesueur N° Lexbase : A2437C97) ;
  • La nouvelle rédaction de l'article L. 59 A du LPF est applicable à compter du 1er janvier 2005, néanmoins la cour administrative d'appel de Paris a réitéré sa position (CAA Paris, 2ème ch., 26 janvier 2005, n° 00PA03683, Mme Arlette Guerry N° Lexbase : A7511DGB, BDCF 5/05, n° 64, conclusions contraires du commissaire du Gouvernement F. Magnard), ouvrant ainsi aux contribuables une voie contentieuse ;

- l'appréciation du caractère normal des rémunérations versées par les entreprises industrielles ou commerciales ;

- la valeur vénale des biens soumis à la TVA immobilière.

1.1.3. Désaccord sur une question de fait

La compétence de la commission est limitée aux seules questions de fait à l'exclusion des questions de droit ou liées à l'interprétation de la loi, lesquelles sont du ressort exclusif des tribunaux.

Son domaine de compétence limité au seul examen de la matérialité des faits ne lui permettait pas jusqu'à l'intervention de la loi de finances rectificatives pour 2004, d'apprécier les faits dans les hypothèses impliquant une qualification juridique de ces derniers au regard de la loi fiscale.

En effet, dans certaines situations, le fait et le droit sont étroitement liés et l'examen des faits aboutit implicitement à régler la question de droit.

Ainsi, la loi de finances rectificative pour 2004 est venue étendre, en la matière, le champ de compétence de la commission sur les questions suivantes.

Le caractère anormal d'un acte de gestion

Le nouveau dispositif met fin à la distinction entre appréciation des faits et qualification des faits et permet à la commission d'émettre un avis sur l'existence d'un acte anormal de gestion.

Le principe et montant des amortissements et des provisions

Quelle que soit la nature du litige, la commission est compétente pour examiner tous les désaccords portant sur les amortissements et les provisions (ex. : taux et mode d'amortissement ou calcul et déduction d'une provision).

Le caractère de charge déductible des travaux immobiliers

La commission a, désormais, compétence pour trancher la question de savoir si des travaux immobiliers ont le caractère de charge déductible des résultats d'une entreprise ou doivent être immobilisés et déduits par voie d'amortissement.

1.2. Composition et territorialité

1.2.1.Composition

La composition de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires est déterminée par les articles 1651 à 1651 F du CGI, complétés par les articles 347 et 348 de l'annexe III au CGI.

Organes Membres Incompatibilités
Présidence de la commission Président du TA ou délégation à un membre du TA ou de la CAA Le conseiller du TA qui a présidé ne peut siéger à l'audience où l'affaire est appelée pour être jugée
Membres fonctionnaires de la commission Fonctionnaire ayant au moins le grade d'inspecteur

Leur nombre de sièges varie selon les matières de 1 à 4

Ne doit pas avoir d'intérêt personnel à l'affaire (ex. : a pris part à la vérification de comptabilité, liens familiaux avec l'agent ayant procédé à l'instruction...)
Représentants des contribuables Varie en fonction de la catégorie professionnelle du contribuable ou de la nature de la matière imposable Pas de condamnation au titre d'une fraude fiscale ou d'une opposition à contrôle fiscal

1.2.2. Territorialité

Territorialité : principe Commission du département du lieu d'imposition
1ère exception : confidentialité Le contribuable peut demander la saisine de la commission d'un autre département (possibilité étendue à tous les contribuables personnes physiques ou morales)
2ème exception : groupe de sociétés Pluralité de rehaussements fondés sur les mêmes motifs, à différentes filiales d'un groupe.
Possibilité de saisir la commission compétente pour la société mère
3ème exception : rémunérations occultes Le bénéficiaire des versements peut demander la saisine de la commission dont dépend l'entreprise versante

1.3. Fonctionnement de la commission

Il est rappelé que le fonctionnement de la commission départementale repose sur deux principes fondamentaux :

- la procédure doit être contradictoire,

- la commission doit être en mesure de s'informer comme elle l'entend.

Rapport de l'administration Fixe la nature et l'étendue du régime, ainsi que les positions respectives des parties
Convocation à la séance Obligatoire et permet d'indiquer au contribuable :
- le délai pour prendre connaissance du rapport de l'administration
- qu'il peut se faire représenter,
- qu'il peut faire parvenir ses observations.
Le délai varie entre 10 et 30 jours
Communication du dossier au contribuable - Rapport de l'administration
- Termes de comparaison
- Rapport de vérification de comptabilité
- Liste des membres de la commission

1.4. Avis ou décision de la commission

La notification de l'avis ou de la décision de la commission départementale des impôts directs et taxes sur le chiffre d'affaires a pour conséquence l'autorisation, pour l'administration, de mettre en recouvrement les impositions litigieuses.

Procédure de redressement - Formulation d'un avis
- Elle n'est pas liée par ses précédents avis
- Elle n'est pas liée par la prétention des parties
- L'avis rendu ne lie pas l'administration qui peut maintenir son redressement initial
- Au-delà du montant initial, il faut procéder à une nouvelle notification
Procédure de fixation du forfait (TVA ou BIC) - Rend une décision
- Liée par les prétentions des parties
L'administration doit tenir compte de la décision et faire application du chiffre ainsi fixé

2. Points d'amélioration du système de la commission départementale des impôts directs et taxes sur le chiffre d'affaires

2.1. Informer le contribuable sur la possibilité de saisir la commission

Aucune disposition légale ne prévoit l'obligation pour l'administration d'informer le contribuable quant à sa possibilité de saisir la commission départementale des impôts directs et taxes sur le chiffre d'affaires.

Si l'administration n'est pas tenue de prévenir le contribuable, elle ne doit cependant pas l'en dissuader. En pratique, toutefois, l'administration répond aux observations du contribuable au moyen d'une "réponse aux observations" ou "confirmation de redressement" qui contient des indications sur les commissions pouvant être saisies, les délais à respecter et les conditions de validité de la saisine.

La jurisprudence a reconnu le caractère substantiel de la mention de cette voie de recours, son défaut entachant d'irrégularité la procédure. Cependant si la mention est rayée mais que le délai de recours ne l'est pas, les juges considèrent qu'il est de la diligence du contribuable de soulever cette contrariété.

Ne pourrait-on donc pas envisager de consacrer législativement une obligation d'informer le contribuable de la possibilité qui lui est offerte, afin de lui assurer une plus grande protection ?

2.2. Un traitement des titulaires des BNC équivalent à celui des titulaires de BIC au regard de la saisine de la commission

En matière de BNC, le contrôle de la déductibilité des charges et dépenses de l'entreprise s'effectue sur le fondement de la théorie de l'acte anormal de gestion.

Il s'agit, dès lors, d'une question factuelle faisant appel à la notion d'intérêt de l'entreprise, le Conseil d'Etat allant même jusqu'à considérer indifférent le caractère illicite d'une dépense (CE 8° et 9° s-s-r., 7 janvier 2000, n° 186108, M. et Mme Philippe N° Lexbase : A9277AGP). Toutefois, l'acte anormal de gestion constitue une question de droit, dès lors qu'elle nécessite une opération de qualification juridique.

La loi de finances est venue doter la commission d'une pleine compétence en matière d'acte anormal de gestion.

En revanche, les dispositions de l'article 93-1 du CGI relatif à la détermination du bénéfice imposable en matière de BNC sont beaucoup plus contraignantes.

La question de savoir si une dépense a été nécessitée ou non par l'exercice de la profession constitue, pour le Conseil d'Etat, une question de droit exclusivement, par conséquent la commission départementale est incompétente en la matière.

Ne pourrait-on donc pas envisager d'étendre la compétence de la commission à la détermination du bénéfice imposable en matière de BNC, afin de mettre un terme à une situation pour le moins inéquitable ?

2.3. Une extension du champ de compétence à tous les impôts

La loi de finances rectificative pour 2004 a déjà étendu le champ de compétence de la commission, cependant cette action semble inachevée.

En effet, il paraît opportun de solliciter de la part du législateur une nouvelle extension à tous les impôts, et notamment, aux crédits d'impôts qui demeurent hors de la compétence de la commission (CE Contentieux, 26 octobre 2001, n° 217228, Société Darty N° Lexbase : A1838AXD, Droit fiscal 2001, comm. 1201)

Or, il s'avère difficile de nier le fait que les crédits d'impôts ont une influence sur le résultat d'une société.

Mais, d'autres domaines devraient pouvoir intégrer le périmètre de compétence comme la taxe professionnelle, le droit à déduction de la TVA ou encore l'assujettissement à la TVA.

Ne pourrait-on donc pas envisager de procéder à une nouvelle extension du champ de compétence de la commission, notamment, afin d'y intégrer les crédits d'impôts ou encore la taxe professionnelle ?

2.4. Mise à disposition du rapport de l'administration dans de meilleurs délais

L'article R. 60-1 du LPF (N° Lexbase : L5554HD3), modifié par le décret du 11 octobre 2005 (n° 2005-1284 N° Lexbase : L0409HDI) a allongé le délai dont disposait le contribuable pour prendre connaissance du rapport de l'administration en l'alignant sur le délai de convocation, soit trente jours avant la date de réunion de cette dernière.

On peut se demander si ce délai est encore suffisant et s'il ne faudrait pas envisager une communication plus en amont, notamment, si ce rapport est déjà produit par l'administration et s'il est disponible au secrétariat de la commission.

2.5. La création de "sous-commissions" pour l'examen des problématiques de prix de transfert et autres questions sensibles

La recherche de comparable en matière de prix de transfert nécessite une analyse beaucoup plus poussée que dans un cadre strictement national.

Le domaine étant particulièrement sensible et délicat à traiter, il nécessite la désignation de personnes expertes en la matière.

Il est en de même pour certains aspects particulièrement spécifiques de la pharmacie ou de la médecine, par exemple, qui nécessitent la réunion d'un collège d'experts (et non pas uniquement la participation de praticiens).

Ne pourrait-on donc pas envisager de créer certaines "sous-commissions" pour traiter de dossiers particulièrement pointus ?

2.6. Mise en place d'une base de données des avis rendus par la commission départementale

Il pourrait être utile de mettre en place une base de données des avis rendus par la commission permettant au contribuable de connaître la position de la commission sur certains points précis, en s'inspirant du rapport annuel du comité consultatif pour la répression des abus de droit.

S'il est vrai que la commission traite beaucoup plus de cas que le comité consultatif, il n'en demeure pas moins que la création d'un système de données permettrait de doter le contribuable d'un véritable outil en amont, c'est-à-dire au moment de la réalisation de l'opération, mais également en aval afin d'obtenir une meilleure évaluation de ses chances de succès en cas de saisie de cette commission.

Il apparaît donc opportun de s'interroger sur la création d'une base de données des avis rendus par la commission : soit dans une optique de rapport annuel, soit dans celle d'une doctrine de cette commission.

2.7. Sur la portée de l'avis rendu par la commission

Il convient d'envisager cette question au regard tant de la charge de la preuve que du suivi des avis.

D'une part, au regard de la charge de la preuve

Depuis la loi "Aicardi" du 8 juillet 1987 (n° 87-502 N° Lexbase : L9705AUY), l'avis de la commission n'a pas d'incidence sur la charge de la preuve (CE 8° s-s, 20 juin 2003, n° 232832, Société Etablissements Lebreton-Comptoir Général de Peintures et Annexes N° Lexbase : A0626C93). Ainsi, peu importe le sens de l'avis, si la charge de la preuve reposait initialement sur l'administration, elle le demeure. C'est le sens des dispositions de l'article L. 192, alinéa 1er, du LPF (N° Lexbase : L8724G8M). Toutefois, il est à noter que ce principe se trouve atténué par deux exceptions d'importance à la règle. En premier lieu, on notera, naturellement, que la charge de la preuve repose sur la tête du contribuable dans les cas de graves irrégularités, lorsque l'imposition a été établie conformément à l'avis de la commission aux termes des dispositions de l'article L. 192, alinéa 2, du LPF et en second lieu, dans les cas de rectifications portées sur les créances des tiers, amortissements et provisions .

D'autre part, au regard du suivi des avis

Comme il a été soulevé infra, le service suit majoritairement la position de la commission ; toutefois, eu égard à la tendance de cette commission une telle "démarche" n'est que peu pertinente.

2.8. Notification de l'avis de la commission départementale

Il doit être rappelé que le projet d'avis rédigé par le secrétariat de la commission départementale qui est composé d'un agent de Direction générale des impôts (CGI, Annexe III, art. 348-I, précité), doit comporter la signature du Président de la commission qui a la faculté de les amender et/ou de les signer. L'avis dûment signé est par la suite adressé au service des impôts chargé de la vérification, qui le communique au contribuable.

En effet, l'article R. 60-3 du LPF (N° Lexbase : L2248AEY) dispose que "l'avis ou la décision de la commission départementale doit être motivé. Il est notifié au contribuable par l'administration des impôts".

En pratique, cette disposition soulève deux difficultés d'application. La première pose le problème du délai de notification des avis en l'absence d'obligation légale en la matière. La seconde conduit à observer que le contribuable prend toujours connaissance de cet avis après l'administration.

Ne pourrait-on donc pas envisager de modifier l'article R. 60-3 du LPF pour que l'avis soit notifié non par l'administration fiscale, mais par la commission départementale, directement au contribuable en même temps que l'administration dans la quinzaine qui suit la délibération de la commission ?

newsid:89790

Post-scriptum

[Manifestations à venir] Paiement en ligne : l'état du droit face à la technique

Lecture: 1 min

N9772AK7

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Le 07 Octobre 2010

L'Association pour le développement de l'informatique juridique (ADIJ), en partenariat avec les éditions juridiques Lexbase, organise, le mardi 4 juillet 2006, une conférence sur le thème "Paiement en ligne : l'état du droit face à la technique".
  • Thèmes abordés

- Présentation des divers moyens de paiement disponibles aujourd'hui pour régler ses achats sur Internet
- Etat des lieux des règles de droit relatives au paiement en ligne applicables aux différents acteurs du commerce électronique

  • Intervenante

Cathie-Rosalie Joly, Docteur en droit et directrice du site d'information juridique "NJuris.com"

  • Date

Mardi 4 juillet 2006
17h30 -19h30

  • Lieu

Maison du Barreau,
Salle du Barreau
2/4 rue de Harlay
75001 Paris.

  • Tarif

Paf : 16 euros
(gratuit pour les membres de l'ADIJ)

  • Renseignements

Mme Christiane Féral-Schuhl
Présidente de l'ADIJ
Fax : 01 42 68 15 45
e-mail : coordination.adij@salans.com
Site : www.adij.fr

Cette manifestation est validée au titre de la formation continue obligatoire des avocats.

newsid:89772

Social général

[Jurisprudence] Grève et services publics : le dépôt de préavis "en liasses" est licite

Réf. : Cass. soc., 7 juin 2006, n° 04-17.116, Société lyonnaise des transports en commun (SLTC), FS-P+B (N° Lexbase : A8444DPG)

Lecture: 9 min

N9860AKE

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010

Les décisions concernant le régime du préavis de grève dans les services publics sont suffisamment rares pour être signalées et examinées avec le plus grand intérêt, surtout lorsque l'on sait que les deux tiers des grèves s'y déroulent chaque année. Dans un arrêt en date du 7 juin 2006, la Chambre sociale de la Cour de cassation confirme sa volonté de ne pas restreindre l'exercice du droit de grève au-delà du cadre légal existant, en renforçant les contraintes qui pèsent sur les syndicats. Face à un certain nombre de pratiques considérées comme "déviantes" (1), la Cour de cassation affirme qu'un même préavis peut valablement couvrir plusieurs jours de "mini grèves" (2) et qu'un syndicat peut valablement déposer en même temps un "liasse" de préavis (3). On pourrait même se demander, à la lecture de cet arrêt, ce qu'il reste de la théorie de l'abus de droit pour combattre les syndicats (4).
Résumé

Un préavis unique peut porter sur des arrêts de travail d'une durée limitée étalés sur plusieurs jours. Un syndicat peut valablement déposer en même temps plusieurs préavis de grève.

Décision

Cass. soc., 7 juin 2006, n° 04-17.116, Société lyonnaise des transports en commun (SLTC), FS-P+B (N° Lexbase : A8444DPG)

Rejet (CA Lyon, 14 mai 2004)

Textes concernés : C. trav., art. L. 521-2 (N° Lexbase : L6608ACQ) ; C. trav., art. L. 521-3 (N° Lexbase : L6609ACR).

Mots-clefs : grève ; services publics ; préavis ; globalité du mouvement ; dépôt multiple.

Lien bases :

Faits

1. Le 30 décembre 2003, le syndicat national des transports urbains CFDT, section SNTU SLTC (le syndicat), a adressé à la direction de la Société lyonnaise des transports en commun (la société SLTC), investie d'une mission de service public, un préavis de grève d'une durée quotidienne de 55 minutes sur une plage horaire déterminée du 12 au 16 janvier 2004, les revendications professionnelles portant sur l'attribution d'une prime mensuelle de 150 euros pour tous les conducteurs de tramways de Lyon.

Le 13 janvier 2004, le syndicat a adressé un nouveau préavis de grève de 55 minutes pour une autre plage horaire déterminée du 19 janvier au 24 janvier 2004. Les 19 et 27 janvier 2004, 10, 17 et 25 février 2004, il a déposé des préavis similaires.

2. La cour d'appel de Lyon a débouté la société SLTC de sa demande en suspension du préavis de grève du 13 janvier 2004 et des préavis suivants.

Solution

1. "Un préavis unique peut porter sur des arrêts de travail d'une durée limitée étalés sur plusieurs jours".

2. "La cour d'appel qui a retenu à bon droit qu'aucune disposition légale n'interdisait l'envoi de préavis de grève successifs et qui a constaté qu'aucun manquement à l'obligation de négocier n'était imputable au syndicat, a pu en déduire qu'aucun trouble manifestement illicite n'était caractérisé".

3. Rejet

Commentaire

1. Exposé du problème

  • L'exigence d'un préavis de grève dans les services public

L'article L. 521-3 du Code du travail impose le dépôt d'un préavis de 5 jours francs pour toute grève dans les services publics. Cette exigence donne lieu à un double contentieux.

Sur le plan individuel, le non-respect par les salariés de ces dispositions est susceptible de les exposer à un licenciement pour faute lourde.

Sur un plan collectif, l'entreprise peut être conduite à saisir le juge des référés pour en obtenir la suspension dès lors qu'existe un "trouble manifestement illicite" (NCPC, art. 809 N° Lexbase : L3104ADC).

C'est dans ce cadre qu'intervient cet arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 7 juin 2006.

  • L'affaire

Dans cette affaire, un syndicat avait déposé en quelques semaines plusieurs préavis portant, pour chacun d'entre eux, sur une durée quotidienne de 55 minutes et sur plusieurs jours. Exaspérée par ces préavis à répétition, la Lyonnaise des eaux avait demandé au juge des référés leur suspension. Le tribunal de grande instance de Lyon lui avait donné raison, mais l'ordonnance avait été réformée en appel.

L'entreprise prétendait que le syndicat aurait dû présenter autant de préavis que de jours concernés, et non un seul préavis pour plusieurs jours. Elle faisait valoir, par ailleurs, que cette pratique empêchait "toute négociation durant le préavis" et qu'elle désorganisait "l'entreprise en infligeant un préjudice maximum aux usagers tout en limitant considérablement le coût pour les grévistes".

Sur ces deux points, l'arrêt rendu par la cour d'appel de Lyon est confirmé et les arguments de l'entreprise écartés.

S'agissant de la nécessité ou non de déposer un préavis unique portant sur de courtes périodes de grèves journalières et étalées sur plusieurs jours, la Cour de cassation considère qu'"un préavis unique peut porter sur des arrêts de travail d'une durée limitée étalés sur plusieurs jours".

S'agissant du caractère abusif de cette pratique, la Cour affirme "qu'aucune disposition légale n'interdisait l'envoi de préavis de grève successifs et [...] qu'aucun manquement à l'obligation de négocier n'était imputable au syndicat", avant de conclure à l'absence d'abus dans l'exercice du droit de grève.

Cette solution mérite doublement approbation, même si elle ne ferme pas toutes les portes à une éventuelle action patronale, mais autrement fondée.

2. Validité du préavis portant sur des arrêts de travail d'une durée limitée étalés sur plusieurs jours

  • Une solution conforme aux termes de l'article L. 521-3 du Code du travail

L'article L. 521-3 du Code du travail précise les conditions de validité du préavis dans les services publics. Ce dernier doit émaner d'un syndicat représentatif, préciser les motifs du recours à la grève, intervenir 5 jours francs avant le déclenchement de celle-ci et fixer les lieux, date et heure du début ainsi que le caractère ou non limité de la grève.

Ce texte réglemente ainsi la forme du préavis, mais certainement pas la notion même de grève ni ses caractères.

Ces derniers doivent être recherchés dans la jurisprudence puisque le Code du travail n'a pas défini la notion de grève. Il s'agit, de jurisprudence constante, d'une cessation collective et concertée du travail en vu d'appuyer des revendications professionnelles (Cass. soc., 28 juin 1951, n° 51-01.661, Dame Roth, publié N° Lexbase : A7808BQA, Dr. soc. 1951, p. 523, note P. Durand).

La jurisprudence ne fait pas de la durée de la cessation du travail, de sa fréquence ou de sa répétitivité, une composante de la grève. Il suffit que les salariés cessent le travail, ce qui exclut les grèves "perlées", simple ralentissement de la production, et que cette cessation porte sur la mise à disposition de l'employeur et non sur de simples obligations accessoires (Cass. soc., 2 février 2006, n° 04-12.336, FS-P+B N° Lexbase : A6521DMH, lire nos obs., Les salariés ne peuvent pas faire la grève des astreintes, Lexbase Hebdo n° 201 du 9 février 2006 - édition sociale N° Lexbase : N4157AK8).

Peu importent la durée ou la répétition des arrêts de travail (Cass. soc., 10 juillet 1991, n° 89-43.147, Société auxiliaire d'entreprise de la Région parisienne c/ M. Barreiros et autres, publié N° Lexbase : A1693AAX : un quart d'heure toutes les heures sur le chantier de Bercy). La grève peut donc être intermittente sans perdre, à proprement parler, sa qualification de grève.

  • La conception globale de la grève

Dans cette affaire, l'entreprise considérait qu'il fallait entendre la grève de manière restrictive comme la seule période de cessation de travail, chaque nouvel arrêt devant donner lieu à un préavis spécifique.

La Cour de cassation a, au contraire, choisi une qualification globale et admis qu'un seul et même préavis puisse valablement "cibler" chaque jour les moments de la cessation effective du travail.

Cette interprétation globalisante de la grève est, non seulement, conforme à la tradition française, mais elle nous semble, également, raisonnable. Si la Cour avait, en effet, suivi le demandeur dans son raisonnement, les entreprises se seraient retrouvées ensevelies sous des dizaines de préavis à l'occasion de chaque conflit, sans que la prévisibilité ou la lisibilité du conflit ne s'en trouve améliorée pour autant.

Reste que cette interprétation globalisante présente nécessairement des limites, notamment temporelles. Ces limites sont évidentes lorsque le préavis a été déposé pour une durée déterminée. Le problème risque de se poser lorsque le préavis ne précise pas de terme, comme le prévoit d'ailleurs l'article L. 521-3 du Code du travail. Dans ces conditions, les juges seront nécessairement conduits à apprécier si les arrêts de travail présentent un lien suffisant avec les précédents (écart de temps, revendications soutenues). Mais, il ne s'agira jamais, ici, que de statuer sur la qualification du comportement des grévistes, dans le cadre de la qualification d'une éventuelle faute lourde, mais certainement pas de considérer que le préavis est illicite.

3. La licéité de la pratique des préavis en liasses

  • Une conception stricte de la légalité

La Cour de cassation avait également à statuer sur la légalité de la pratique très répandue des préavis déposés "en liasses", c'est-à-dire pour des périodes de grèves successives. Cette pratique permet, on le sait, aux syndicats d'empêcher, dans les faits, l'entreprise de déterminer avec certitude à quel moment les salariés se mettront en grève et ruine, en réalité, l'utilité même du préavis.

Or, la Cour de cassation affirme, ici, très clairement, "qu'aucune disposition légale n'interdisait l'envoi de préavis de grève successifs".

Cette solution est parfaitement justifiée et traduit la volonté affichée depuis longtemps par la Haute juridiction de ne retenir de la notion de "trouble manifestement illicite" de l'article 809 du Nouveau Code de procédure civile, qu'une conception étroite (Cass. soc., 25 février 2003, n° 01-10.812, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A2630A7K, lire nos obs. sous Dr. soc. 2003, p. 621).

Seules sont donc illicites les pratiques directement contraires à des dispositions ayant pour objet la réglementation du droit de grève, au sens où l'entend le préambule de la Constitution de 1946 (N° Lexbase : L6815BHU). Il ne saurait être question d'illicéité "virtuelle", à laquelle le juge pourrait librement attribuer un contenu. Or, aucune disposition du Code du travail ne prohibe expressément la pratique des préavis multiples ; elle ne peut donc constituer un "trouble manifestement illicite" autorisant le juge des référés à le suspendre.

C'est d'ailleurs en se fondant sur cette même conception stricte et formelle de l'illicéité que la Cour de cassation avait eu l'occasion d'affirmer "qu'aucune disposition légale n'interdit à plusieurs organisations syndicales représentatives de présenter chacune un préavis de grève" et "que chacune peut prévoir une date de cessation du travail différente" (Cass. soc., 4 février 2004, n° 01-15.709, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A1308DB3, lire nos obs., Grève et services publics : ne confondez pas grèves tournantes et préavis tournants !, Lexbase Hebdo n° 107 du 12 février 2004 - édition sociale N° Lexbase : N0498AB3).

  • Un syndicat en règle avec ses obligations légales

Cette même recherche de "légalité" se ressent, également, très nettement dans le jugement porté sur le comportement du syndicat à l'occasion du dépôt, puisque la Cour de cassation a relevé "qu'aucun manquement à l'obligation de négocier n'était imputable au syndicat", c'est-à-dire que ce dernier avait eu un comportement conforme en tout point aux obligations présentes dans le Code du travail.

4. Que reste-t-il de l'application de la théorie de l'abus ?

  • L'éviction de l'argument tiré de l'abus

A la lecture de cet arrêt, on pourrait se demander si la Cour de cassation n'aurait pas purement et simplement "tordu le cou" à la théorie de l'abus du droit de déposer un préavis.

On se rappellera que cette théorie a été admise, singulièrement dans les années 1980, pour éviter que les syndicats des pilotes de ligne ne mènent une guerre trop dure aux compagnies aériennes qui tentaient d'imposer le pilotage à deux. Or, la cour d'appel de Paris, qui avait fixé la jurisprudence en vigueur en 1988, avait admis qu'un préavis de grève puisse être suspendu dès lors que "les circonstances de temps qui ont entouré le dépôt d'un préavis de grève [...] avec effet les 1er et 2 août, ont fait apparaître avec certitude, un grave et imminent préjudice pour les milliers de voyageurs partant en vacance ou en revenant [...] ; le choix des dates pour un arrêt total du service, inspiré par une évidente volonté de créer un violent impact, devait être pris en compte par les premiers juges pour prévenir la réalisation d'un dommage -au surplus susceptible de provoquer troubles et violences- dans l'importante catégorie des usagers du moment, dont les intérêts méritaient d'être pris en considération" (CA Paris, 27 janvier 1988, 2ème esp. : D. 1988, p. 351, note J.-C. Javillier).

Dans son pourvoi, l'employeur tentait de se rattacher à cette jurisprudence et prétendait que "sont abusives en ce qu'elles empêchent toute négociation durant le préavis et désorganisent l'entreprise en infligeant un préjudice maximum aux usagers tout en limitant considérablement le coût pour les grévistes, les modalités de la grève consistant à émettre sept préavis successifs, chacun portant sur 55 minutes par jour sur une période de cinq jours ouvrables succédant immédiatement à celle faisant l'objet du préavis précédent".

Or, la Cour de cassation a totalement ignoré l'argument et s'est contentée d'affirmer "qu'aucune disposition légale n'interdisait l'envoi de préavis de grève successifs et qui a constaté qu'aucun manquement à l'obligation de négocier n'était imputable au syndicat", avant d'"en déduire qu'aucun trouble manifestement illicite n'était caractérisé", comme si le choix des dates et des modalités de l'arrêt de travail, telles qu'exprimées dans le préavis, n'étaient pas de nature à compromettre sa validité.

  • L'avenir de cette théorie

Il convient, toutefois, de noter que la Cour de cassation n'a pas expressément dénié son rôle à la théorie de l'abus de droit, mais qu'elle a préféré justifier autrement sa solution. On peut donc penser que, dans d'autres circonstances, elle pourrait être amenée à admettre qu'un préavis particulièrement nuisible puisse être suspendu, mais sans doute ces circonstances devraient elles faire apparaître des risques graves pour les usagers.

Il conviendra, par conséquent, d'attendre une décision ultérieure pour être fixée plus précisément sur ce point.

newsid:89860

Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Conditions de licéité d'un système de vidéo surveillance des salariés

Réf. : Cass. soc., 7 juin 2006, n° 04-43.866, M. Michel Girouard c/ Société Continent France groupe Carrefour et autre, FS-P+B (N° Lexbase : A8544DP7)

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N9857AKB

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Le 07 Octobre 2010

Titulaire du pouvoir de direction, l'employeur dispose du droit de contrôler et de surveiller l'activité de son personnel durant le temps de travail. Toutefois, et ici comme ailleurs, la fin poursuivie ne justifie pas le recours à tous les moyens. D'autant plus que, le progrès technique aidant, ces moyens de contrôle et de surveillance ont connu, ces dernières années, un raffinement certain. Aussi, la jurisprudence et, après elle, le législateur se sont-ils assez tôt préoccupés de venir encadrer le pouvoir de contrôle de l'employeur. Parmi les différentes exigences qui pèsent sur celui-ci en la matière, il en est une qui ne suscite, a priori, guère de difficultés et qui réside dans l'obligation, préalablement à la mise en oeuvre d'un dispositif de contrôle, d'informer et de consulter le comité d'entreprise. Cette obligation était pourtant au coeur de la décision rendue par la Chambre sociale le 7 juin 2006, qui sonne comme un rappel à l'attention des employeurs oublieux de l'obligation précitée. Toute preuve recueillie au moyen d'un dispositif de contrôle qui n'a pas été soumis au comité d'entreprise est illicite et donc irrecevable.


Résumé

Si l'employeur a le droit de contrôler et de surveiller l'activité de son personnel durant le temps de travail, il ne peut mettre en oeuvre un dispositif de contrôle qui n'a pas fait l'objet, préalablement à son introduction, d'une information et d'une consultation du comité d'entreprise. Constitue, en conséquence, un moyen de preuve illicite, l'enregistrement d'un salarié au moyen d'un système de vidéo surveillance de la clientèle également utilisé pour contrôler ses salariés, mis en place par l'employeur sans information et consultation préalable du comité d'entreprise.

Décision

Cass. soc., 7 juin 2006, n° 04-43.866, M. Michel Girouard c/ Société Continent France groupe Carrefour et autre, FS-P+B (N° Lexbase : A8544DP7)

Cassation (CA Bourges, ch. soc., 24 octobre 2004)

Texte visé : C. trav., art. L. 432-2-1 (N° Lexbase : L6403AC7)

Mots-clés : licenciement ; faute grave ; preuve ; dispositif de contrôle ; information et consultation du comité d'entreprise (non) ; illicéité (oui).

Lien bases :

Faits

M. Girouard, engagé le 3 août 1970 en qualité d'employé de commerce, a été licencié pour faute grave le 1er juin 2000 par son employeur, la société Continent France groupe Carrefour.

Pour décider que le licenciement était fondé sur une faute grave, l'arrêt attaqué a déclaré recevable la production d'un enregistrement du salarié effectué par l'employeur à l'aide d'une caméra de vidéo surveillance. Les juges du fond ont estimé qu'il ne pouvait être sérieusement prétendu que le salarié ignorait l'existence de caméras vidéo, destinées à détecter les vols perpétrés dans l'entreprise et utilisées depuis 1996, ainsi qu'il ressort de la consultation du CHSCT produite par l'employeur, et annoncées par des affichettes dans le magasin.

Solution

Cassation pour violation de l'article L. 432-2-1 du Code du travail.

"Attendu que si l'employeur a le droit de contrôler et de surveiller l'activité de son personnel durant le temps de travail, il ne peut mettre en oeuvre un dispositif de contrôle qui n'a pas fait l'objet, préalablement à son introduction, d'une information et d'une consultation du comité d'entreprise".

"Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que le système de vidéo surveillance de la clientèle mis en place par l'employeur était également utilisé par celui-ci pour contrôler ses salariés sans information et consultation préalables du comité d'entreprise, en sorte que les enregistrements du salarié constituaient un moyen de preuve illicite, la cour d'appel a violé le texte susvisé".

Observations

En matière civile, l'exigence de loyauté constitue une condition générale d'admissibilité des preuves. Par suite, le plaideur qui produit une preuve obtenue selon un procédé clandestin s'expose à la voir rejetée des débats. Cette exigence de loyauté trouve une traduction originale en droit du travail, qui soumet l'introduction de moyens de surveillance et de contrôle dans l'entreprise à une double obligation d'information à la charge de l'employeur (v., sur la question, M.-P. Coupillaud, La preuve en droit du travail, Thèse Université Montesquieu-Bordeaux IV, 2005, spéc., §§ 712 et s.).

1. L'information et la consultation des représentants du personnel

Ainsi que l'affirme de manière on ne peut plus claire l'alinéa 3 de l'article L. 432-2-1 du Code du travail, "le comité d'entreprise est informé et consulté, préalablement à la décision de mise en oeuvre dans l'entreprise, sur les moyens ou les techniques permettant un contrôle de l'activité des salariés". C'est cette règle fondamentale que la Cour de cassation vient, en l'espèce, rappeler, en affirmant que l'employeur "ne peut mettre en oeuvre un dispositif de contrôle qui n'a pas fait l'objet, préalablement à son introduction, d'une information et d'une consultation du comité d'entreprise".

Le respect de l'obligation mise à la charge de l'employeur par le texte précité est moins dicté par les modalités techniques du dispositif de contrôle mis en place que par sa finalité. Celui-ci doit permettre un contrôle "de l'activité des salariés". Par suite, et ainsi que la Chambre sociale l'a affirmé à plusieurs reprises, l'employeur peut librement procéder à la vidéosurveillance d'entrepôts ou d'autres locaux de rangement dans lesquels les salariés ne travaillent pas et produire, ensuite, en justice, les preuves ainsi collectées (v., par ex., Cass. soc., 31 janvier 2001, n° 98-44.290, M. Alaimo c/ Société Italexpress, publié N° Lexbase : A2317AIN (1) ; Cass. soc., 19 avril 2005, n° 02-46.295, M. Patrick Lembert c/ Société Immodef, publié N° Lexbase : A9552DHA (2)).

En résumé, dès lors que le système de contrôle est destiné à surveiller l'activité des salariés, l'employeur est tenu d'en référer au comité d'entreprise. Peu importe que telle ne soit pas sa finalité première ou exclusive. C'est ce que souligne la Cour de cassation dans l'arrêt sous examen, en retenant que "le système de vidéo surveillance de la clientèle mis en place par l'employeur était également utilisé par celui-ci pour contrôler ses salariés" (3).

Notons que l'article L. 432-2-1, alinéa 3, exige bien l'information et la consultation du comité d'entreprise. L'employeur ne saurait donc se borner à informer le comité, il doit solliciter son avis exprès sur le dispositif en cause. Enfin, seul le comité d'entreprise est visé par la disposition en cause, à l'exclusion de toute autre institution représentative du personnel. L'employeur ne saurait, par conséquent, prétendre avoir respecté ses obligations légales, en avançant qu'il a consulté le CHSCT ou les délégués du personnel, sauf évidemment à réserver l'hypothèse où ces derniers se substituent au comité (C. trav., art. L. 422-3 N° Lexbase : L6358ACH).

Il convient, pour conclure, de souligner que le moyen de preuve, obtenu grâce à l'utilisation d'un moyen de contrôle mis en place sans consultation préalable du comité d'entreprise, est irrecevable. Il s'agit là d'une solution constante que la Cour de cassation vient rappeler dans la présente espèce (v., par ex., antérieurement, Cass. soc., 15 mai 2001, n° 99-42.219, Société Transports frigorifiques européens (TFE) c/ M. Mourad Smari, publié N° Lexbase : A5741AGQ).

2. L'information préalable des salariés

Selon l'article L. 121-8 du Code du travail (N° Lexbase : L5450ACT), "aucune information concernant personnellement un salarié ou un candidat à un emploi ne peut être collecté par un dispositif qui n'a pas été porté préalablement à la connaissance du salarié ou du candidat à l'emploi". Le champ d'application de cette disposition est relativement large puisqu'il ne concerne pas uniquement les dispositifs de surveillance et de contrôle mais, plus largement, tous ceux qui permettent la collecte d'informations concernant personnellement les salariés. Il n'en demeure pas moins qu'en vertu de ce texte, l'employeur ne peut mettre en oeuvre un dispositif de contrôle qui n'a pas été préalablement porté à la connaissance des salariés.

Comme précédemment, tout enregistrement, quels qu'en soient les motifs, d'images ou de paroles à l'insu des salariés, constitue un mode de preuve illicite. Là encore, c'est l'exigence de loyauté et de transparence qui prédomine. Notons qu'il n'a pas fallu attendre la loi du 31 décembre 1992 (loi n° 92-1446 relative à l'emploi, au développement du travail à temps partiel et à l'assurance-chômage N° Lexbase : L0944AIS), dont est issu l'article L. 121-8 du Code du travail, pour que la Cour de cassation vienne condamner de tels procédés (v., en effet, en ce sens le fameux arrêt "Néocel" : Cass. soc., 20 novembre 1991, n° 88-43.120, Mme Neocel c/ M. Spaeter, publié N° Lexbase : A9301AAQ).

Bien que le texte soit silencieux sur la question, on ne saurait trop recommander à l'employeur de procéder à une information individuelle des salariés. Sans doute, le recours à l'affichage n'est-il pas à exclure, mais il est évidemment de nature à susciter un inutile contentieux. En l'espèce, la cour d'appel avait relevé que le dispositif de vidéo surveillance avait été annoncé par des affichettes dans le magasin. Gageons que si la Cour de cassation avait été saisie de la question, elle aurait sans doute déclaré le procédé insuffisant au regard des exigences posées par l'article L. 121-8. En effet, ce texte exige une information spécifique des salariés, à laquelle ne peut se substituer, selon nous, une information à destination de la clientèle.

Encore que la question n'était nullement au coeur de l'affaire ayant conduit à l'arrêt commenté, il convient de rappeler que le respect par l'employeur des obligations qui viennent d'être décrites ne garantit nullement la validité du dispositif de surveillance mis en place (4). Il faut, en outre, que celui-ci, conformément aux prescriptions de l'article L. 120-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5441ACI), ne porte pas une atteinte disproportionnée aux droits et libertés des salariés (v., en ce sens, TGI Paris, 19 avril 2005, n° RG 05/00382, Comité d'entreprise d'Effia Services c/ Fédération des Syndicats Sud Rail N° Lexbase : A0577DI9, lire notre chronique, De l'illicéité d'un système de "badgeage" par empreintes digitales, Lexbase Hebdo n° 167 du 12 mai 2005 - édition sociale N° Lexbase : N4025AIW).

Gilles Auzero
Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV


(1) "Mais attendu, d'abord que si, aux termes de l'article L. 432-2-1 du Code du travail, le comité d'entreprise est informé et consulté préalablement à la décision de mise en oeuvre dans l'entreprise, sur les moyens ou les techniques permettant un contrôle de l'activité des salariés, ce qui interdit à l'employeur de se servir de moyens de preuve obtenus à l'aide de procédés de surveillance qui n'auraient pas été portés préalablement à la connaissance des salariés, l'employeur est libre de mettre en place des procédés de surveillance des entrepôts ou autres locaux de rangement dans lesquels les salariés ne travaillent pas".
(2) "Mais attendu que si l'employeur ne peut mettre en oeuvre un dispositif de contrôle de l'activité professionnelle qui n'a pas été porté préalablement à la connaissance des salariés, il peut leur opposer les preuves recueillies par les systèmes de surveillance des locaux auxquels ils n'ont pas accès, et n'est pas tenu de divulguer l'existence des procédés installés par les clients de l'entreprise ; qu'ayant constaté que la mise en place de la caméra avait été décidée par un client et n'avait pas pour but de contrôler le travail des salariés mais uniquement de surveiller la porte d'accès d'un local dans lequel ils ne devaient avoir aucune activité, la cour d'appel a pu décider, sans encourir les griefs du moyen, que les enregistrements vidéo litigieux constituaient un moyen de preuve licite ; que le moyen n'est pas fondé".
(3) Souligné par nous.
(4) Il convient, en outre, de ne pas oublier que, dans un certain nombre d'hypothèses, l'employeur est également tenu d'une obligation de déclaration auprès de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (pour un exemple récent, voir TGI Paris, 4 avril 2006, n° RG 05/18400, Syndicat Sud Télécom Paris c/ SA France Télécom N° Lexbase : A6828DPL, lire notre chronique, Obligations de l'employeur en cas de mise en place d'un dispositif d'écoutes téléphoniques, Lexbase Hebdo n° 218 du 8 juin 2006 - édition sociale N° Lexbase : N9155AKB).

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Rel. individuelles de travail

[Evénement] Exercice du pouvoir disciplinaire et gestion du personnel

Lecture: 6 min

N9185AKE

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par Compte-rendu réalisé par Charlotte Figerou, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010

Lors du colloque intitulé "Le droit social - Les ressources humaines", organisé par Legiteam et qui s'est tenu le 1er juin dernier, Laurent Dostes, juriste en droit social, et Karine Mignon-Louvet, avocate spécialisée en droit social, sont intervenus sur la délicate question de l'exercice du pouvoir disciplinaire et de la gestion du personnel. Cette intervention a été l'occasion de faire le point sur le pouvoir disciplinaire de l'employeur, toujours délicat à mettre en oeuvre en pratique. Cette difficulté tient, principalement, à la qualification juridique des faits, qui doit être effectuée de manière sévère et juste à la fois, ne serait-ce que pour des raisons d'exemplarité et d'équité par rapport à l'ensemble des salariés de l'entreprise. Signalons que deux comptes-rendus de conférences organisées lors de ce colloque ont déjà été publiés dans les colonnes de Lexbase Hebdo - édition sociale (La nouvelle précarité en droit du travail, Lexbase Hebdo n° 218 du 8 juin 2006 - édition sociale N° Lexbase : N9115AKS et Egalité salariale et discrimination : panorama jurisprudentiel et actualité législative, Lexbase Hebdo n° 219 du 15 juin 2006 - édition sociale N° Lexbase : N9183AKC). La semaine prochaine, sera publié le dernier compte-rendu, intitulé Licencier en prévision des difficultés économiques : les arrêts "Pages jaunes".
  • Les différentes fautes disciplinaires

Il existe quatre types de fautes disciplinaires : la faute légère, la faute sérieuse, la faute grave et, enfin, la faute lourde.

Bien entendu, il n'y a pas de définition figée de ces fautes et il faut toujours, pour accoler une étiquette à une faute commise par un salarié dans l'exercice de ses fonctions, tenir compte du contexte : l'ancienneté du salarié, l'éventuelle commission dans le passé d'autres fautes, l'existence ou non d'un préjudice pour l'entreprise, la nature du poste du salarié, son niveau de responsabilités... Autant de données à prendre en considération pour apprécier la gravité de la faute !

La première faute, la moins grave, qui peut être retenue à l'encontre d'un salarié, est la faute légère. Celle-ci a pour caractéristique de ne pas empêcher le maintien du salarié dans l'entreprise, mais peut donner lieu à un avertissement. La faute sérieuse permet, quant à elle, le licenciement du salarié, mais l'impact financier d'un tel licenciement sera moins lourd qu'en cas de commission d'une faute grave. En effet, le licenciement reposant sur une faute sérieuse ne prive pas le salarié de son indemnité légale (C. trav., art. L. 122-9 N° Lexbase : L5559ACU) ou conventionnelle de licenciement, ni de ses droits à préavis.

Seule la faute grave emporte suppression de ces droits ; celle-ci implique, d'ailleurs, l'éviction immédiate du salarié de l'entreprise, ce qui oblige l'employeur à agir rapidement s'il veut se placer sur ce terrain-là. L'employeur qui retiendra la faute grave aura souvent recours à la mise à pied conservatoire afin d'écarter, le temps de la procédure, le salarié de l'entreprise. La faute grave, rappelons-le, est celle qui permet la rupture anticipée du contrat à durée déterminée (C. trav., art. L. 122-3-8 N° Lexbase : L5457AC4) ou, encore, le licenciement de la femme enceinte (C. trav., art. L. 122-25-2 N° Lexbase : L5495ACI). Le salarié qui se rend coupable de faute grave n'a droit ni à son préavis, ni à son indemnité de licenciement. En outre, l'employeur ne sera pas redevable de la contribution "Delalande" (C. trav., art. L. 321-13 N° Lexbase : L9591GQB).

S'agissant de la preuve de la faute, estime Karine Mignon-Louvet, celle-ci est différente au moment de la commission des faits et pour l'avocat qui récupère le dossier. Les juges prud'homaux, qui jugent souvent en équité et selon une procédure orale, retiennent généralement des attestations de salariés ; ils ont, également, recours à la voie médicale ainsi qu'à la contre-expertise.

Les juges auraient d'ailleurs tendance à ne retenir la faute grave que dans des hypothèses de plus en plus circonscrites, faisant jouer un certain nombre de facteurs humains pour l'exclure. En outre, la sensibilité des juges variant d'un magistrat à l'autre, on en arrive, bien souvent, à des jugements au cas par cas.

La faute lourde, la plus grave dans l'échelle des fautes, implique l'existence d'un élément intentionnel, c'est-à-dire l'intention du salarié de nuire à son employeur. Elle se rencontre rarement en pratique et, souvent, s'accompagne d'une demande subsidiaire de faute grave. Elle emporte les mêmes conséquences que la faute grave avec, en plus, la suppression des droits à congés payés. Toutefois, elle est sans conséquence sur les droits au chômage, tout comme, a fortiori, les autres types de fautes. En pratique, seront qualifiés de fautes lourdes des comportements tels que le dénigrement du dirigeant, l'atteinte au patrimoine de l'employeur, la dégradation du matériel dans certains cas...

  • Les hypothèses à la lisière du disciplinaire

Il convient de bien distinguer les hypothèses de fautes, relevant du pouvoir de sanction de l'employeur, de situations frontières, mais ne relevant pas du pouvoir disciplinaire. D'une part, est exclue de la sphère disciplinaire l'exécution défectueuse du contrat de travail. Celle-ci doit être distinguée de l'inexécution du contrat de travail qui, pour sa part, relève bien du pouvoir de sanction de l'employeur. En cas de doute sur la qualification juridique des faits, le rappel à l'ordre du salarié et le comportement que celui-ci adoptera permettront, généralement, de trancher entre les deux situations.

D'autre part, le contentieux issu de la notion de modification du contrat de travail entraîne, bien souvent, des confusions sur la qualification juridique du refus du salarié. Sans entrer dans le débat sur ce qui relève ou non de la sphère contractuelle, rappelons que le salarié peut toujours refuser une modification de son contrat de travail, alors qu'il sera fautif s'il ne se plie pas aux exigences de son employeur qui procède à un simple changement de ses conditions de travail. Dans cette dernière hypothèse, son refus ne sera pas constitutif d'une faute grave, depuis le revirement opéré par la Cour de cassation en 2005 (Cass. soc., 23 février 2005, n° 03-42.018, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A8789DGM, lire les obs. de Ch. Radé, La bonne foi de l'employeur et la mise en oeuvre de la clause de mobilité, Lexbase Hebdo n° 158 du 10 mars 2005 - édition sociale N° Lexbase : N4888ABN).

  • Les hypothèses exclues de la sphère disciplinaire

On signalera, ici, la perte de confiance qui ne peut jamais constituer, en soi, un motif de licenciement (v., par ex., Cass. soc., 29 mai 2001, n° 98-46.341, Société Dubois couvertures c/ M. Cardon, publié N° Lexbase : A4701ATB ; Cass. soc., 2 octobre 2002, n° 00-42.982, F-D N° Lexbase : A9037AZQ). La Cour de cassation s'est prononcée plusieurs fois en ce sens ; le licenciement peut seulement être fondé sur des motifs objectifs et non sur le motif, flou, de la perte de confiance.

En outre, l'insuffisance professionnelle ainsi que la mésentente sont, également, des cas de licenciements non disciplinaires, ni l'un ni l'autre ne constituant une faute du salarié.

  • La procédure disciplinaire

Le Code du travail, dans ses articles L. 122-40 et suivants (N° Lexbase : L5578ACL), prévoit le droit commun de la procédure disciplinaire. Des règles particulières sont prévues pour les journalistes à l'article L. 761-5 du Code du travail (N° Lexbase : L6797ACQ). Enfin, il faut aussi, le cas échéant, respecter les dispositions du règlement intérieur ainsi que celles prévues par les conventions et accords collectifs applicables à l'entreprise. Il arrive souvent que des commissions disciplinaires soient prévues par voie conventionnelle.

Le formalisme varie en fonction du degré de gravité de la faute disciplinaire et de la sanction encourue. Ainsi, l'avertissement ne nécessite pas d'entretien préalable, contrairement à tous les autres types de sanctions. Rappelons aussi que, aux termes de l'article L. 122-44 du Code du travail (N° Lexbase : L5582ACQ), l'employeur doit engager les poursuites disciplinaires dans les 2 mois à partir de sa connaissance des faits fautifs. En cas de fautes répétées, c'est le dernier événement qui fera courir ce délai de 2 mois. Les fautes qui ont plus de 3 ans sont couvertes par la prescription et ne peuvent plus faire l'objet de sanctions. En outre, il faut également prendre en compte les effets des lois d'amnistie, la dernière en date remontant à août 2002 (loi n° 2002-1062 du 6 août 2002, portant amnistie N° Lexbase : L5165A43). Depuis une ordonnance du 30 juin 2004 (ordonnance n° 2004-602 du 24 juin 2004, relative à la simplification du droit dans les domaines du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle N° Lexbase : L5050DZ3), le délai pour convoquer le salarié à l'entretien préalable est de 5 jours ouvrables, que l'entreprise comporte ou non des délégués du personnel. Le délai de notification de la sanction est fixé à 48 heures, à compter de la date de l'entretien.

  • Les limites au pouvoir disciplinaire

Si le principe reste celui du libre exercice du pouvoir disciplinaire, un certain nombre de limites vient encadrer l'étendue des pouvoirs patronaux. D'abord, la sanction appliquée doit être proportionnelle à la faute commise. Ensuite, les libertés individuelles du salarié doivent, en tout état de cause, être respectées. Sont visées par cette protection la liberté d'expression, le droit de grève, la vie privée du salarié, sa liberté d'opinion, ses convictions politiques... Enfin, le salarié ne doit pas être sanctionné pour des motifs discriminatoires, rappelés à l'article L. 122-45 du Code du travail (N° Lexbase : L3114HI8).

  • Le contrôle du pouvoir disciplinaire

Les juges prud'homaux doivent, à ce stade, vérifier trois points. Ils contrôlent, en premier lieu, la justification de la sanction. La Cour de cassation a, récemment, rappelé qu'aucune sanction disciplinaire ne peut être prise à titre préventif et l'employeur doit attendre que la relation de travail soit née pour engager toute poursuite disciplinaire (Cass. soc., 18 février 2004, n° 02-41.622, F-P N° Lexbase : A3289DBG). Ensuite, les juges contrôlent la régularité de la procédure et, enfin, celle de la sanction. Ils vérifient son caractère proportionné au regard des faits fautifs et du contexte : ancienneté du salarié, dossier disciplinaire, conséquences de la faute sur l'entreprise...

Ce contrôle emporte des effets différents selon que la sanction prise est un licenciement ou non. Les juges ne peuvent, en effet, pas annuler la procédure de licenciement mais, seulement, accorder au salarié des dommages-intérêts réparant le préjudice subi. S'agissant des autres sanctions, ils peuvent toutefois procéder à leur annulation. Enfin, aucune sanction pécuniaire ne peut être prise à l'encontre du salarié fautif (Cass. soc., 14 juin 2005, n° 03-43.608, F-D N° Lexbase : A7539DI3).

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Contrats et obligations

[Evénement] Négociation des contrats informatiques et NTIC : les nouvelles problématiques rencontrées

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par Compte-rendu réalisé par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction

Le 07 Octobre 2010

Contrairement aux idées reçus, la problématique de la négociation des contrats informatiques ne revêt pas un caractère particulier, parce qu'elle est afférente aux nouvelles technologies, dont la maîtrise par les juristes de tous bords semble assurément moins certaine que celle de nos bons vieux contrats régis pleinement par notre législation de 1804. En effet, toute la difficulté de l'élaboration d'un contrat informatique équilibré tient, essentiellement, du fait de ce que l'on a coutume d'appeler : la contamination des contrats par le droit anglo-saxon. Et, cette influence certaine du droit anglo-saxon pose, évidemment, quelques problèmes d'interprétation, lorsque les concepts juridiques rapportés dans nos contrats soumis à la loi française demeurent d'une compréhension ou d'une appréhension évasive par les parties au contrat et, par suite, par le juge. Mais, comment éviter cette contamination, quand l'objet même de ces contrats informatiques est, bien souvent, d'origine anglo-saxonne, et tend à une diffusion mondiale, comme pour les logiciels libres ? C'est à ces questions épineuses que Valérie Sédallian, Avocat au Barreau de Paris et auteur d'un ouvrage, en collaboration avec Jérôme Dupré, consacré au Contrat d'achat informatique : Aspects juridiques et pratiques, et Fabienne Pirotte, Juriste "contrats et nouvelles technologies" à la Société Générale, ont bien voulu répondre, à l'occasion d'un atelier proposé par l'Association pour le développement de l'informatique juridique (ADIJ), le 13 juin dernier.
En préambule aux propos ici rapportés, nous nous excuserons auprès des défenseurs inconditionnels de la langue française et autres bien-respectueux de la loi "Toubon", pour mentionner un certain nombre d'expressions juridiques anglo-saxonnes, utiles intrinsèquement au développement et l'appréhension de ces problématiques.

1. L'influence du droit anglo-saxon sur les contrats informatiques français

Tout d'abord, rien n'est moins vrai que de dire que notre droit français, d'inspiration romaine, n'a pas été et n'est pas capable d'appréhender, seul, le droit informatique. En effet, si la pratique juridique a puisé, au cours des années 90, dans le "jargon" juridique anglo-saxon, c'est que les principaux interlocuteurs des entreprises clientes françaises étaient soit directement anglo-saxons, soit des filiales françaises de sociétés américaines ou anglaises. C'est donc bien sur la base d'un rapport de force évident, comme le souligne Fabienne Pirotte, en faveur des entreprises-fournisseurs de solutions informatiques, que l'on a assisté à un développement spectaculaire de clauses d'inspiration hautement anglo-saxonnes dans nos contrats informatiques français. En réalité, jusqu'en 2000, il n'y avait pas de réelle négociation des contrats informatiques sur le plan juridique ; seules les conditions financières étaient discutées. En cas de litige, les parties préféraient un règlement amiable, entre informaticiens chevronnés.

Ces contrats de source, plus que d'inspiration, anglo-saxonne présentaient de grandes différences d'avec les contrats habituellement signés par les sociétés françaises : ces derniers comptaient peu de clauses de responsabilité, privilégiant la responsabilité de droit commun (C. civ., art. 1151 N° Lexbase : L1252ABY) ; il y avait peu de pré-qualification des dommages ; enfin la "force majeure" n'était que peu définie au sein du contrat. Avec l'influence, ou le Diktat du droit anglo-saxon, selon que l'on se place du point de vue du fournisseur ou du client, c'est l'émergence de clauses nouvelles, auxquelles les services de gestion des achats des entreprises ont dû faire face. Et, ce n'est pas rien de dire que l'appréhension de la culture juridique, notamment, américaine, par les juristes français n'a pas été et n'est toujours pas aisée. L'influence de la loi américaine "Sabarnes-Oxley", votée en juillet 2002, sur les contrats négociés avec les groupes américains s'est fait durement ressentir, malgré les traductions européennes, comme la loi de sécurité financière (loi n° 2003-706, 1er août 2003, de sécurité financière N° Lexbase : L3556BLB).

En effet, la loi "Sabarnes-Oxley" qui découle directement de "l'affaire Enron" pose deux objectifs majeurs : détecter plus précocement les risques encourus par les actionnaires, et prévenir les comportements frauduleux des dirigeants, par des obligations de communication plus explicites et des peines encourues nouvelles ou aggravées. L'un des chaînons, pour parvenir à ces objectifs, est la prévisibilité et la comptabilisation des revenus réels et non plus des revenus susceptibles d'êtres engrangés. Aussi, certaines clauses-types sont apparues dans les contrats informatiques dont l'écriture témoigne d'une influence plus économique et financière que proprement juridique. C'est là toute la différence entre un contrat anglo-saxon qui régit les exceptions au gentlemen agreement, et le droit romain qui régit de manière positive les obligations établies entre les parties. Pourtant, "on mesure l'intelligence d'un individu à la quantité d'incertitudes qu'il est capable de supporter" ; mais Emmanuel Kant était assurément d'inspiration romano-germanique !

La clause de "recette", qui permet au client de renvoyer un logiciel qui ne répond pas à ses besoins, pouvant remettre en cause le revenu issu de la prestation prévue au contrat, a fait l'objet de toutes les attaques et aménagements possibles de la part des fournisseurs, le plus souvent, anglo-saxons.

La clause de "garantie", obligeant les fournisseurs à revoir leur copie et à corriger, sinon à restituer un logiciel opérationnel, pose, évidemment, un problème de reconnaissance du revenu issu de la prestation prévue au contrat.

Enfin, la clause de "responsabilité" pouvant être engagée à la suite d'un dommage du fait de l'utilisation du produit lui-même, entraîne des conséquences financières pour le fournisseur dont l'imprévisibilité ne cadre pas bien avec les canons de la loi "Sabarnes-Oxley".

Ainsi, cette loi pose un problème de négociation globale instituant un rapport de force dans la négociation juridique sur un fondement totalement financier. Et le plus incongru, c'est que ces principes n'ont, en principe, pas force de loi en France. Mais qui se souvient que la France se rapproche de l'Amérique d'un centimètre par siècle !

Par ailleurs, d'autres clauses ont pu faire l'objet de controverse entre clients français et fournisseurs anglo-saxons :

- la question du droit applicable et de la juridiction compétente, pour lesquels les filiales de sociétés étrangères entendaient appliquer, au contrat, le droit étranger ;

- la question des obligations des parties. La clause obligeant le fournisseur à réaliser "tous les efforts raisonnables [...]" pour accomplir son obligation pose un problème de concept. A quelle obligation française cette formule fait-elle référence ? Une obligation de moyen ou une obligation de résultat ? Si on opère une traduction littérale, le concept le plus proche n'est pas forcément celui émanant de la volonté initiale des parties ;

- la question de la garantie, avec l'irruption des clauses de "no warranty", clause d'exception à l'application de la garantie normalement offerte par le fournisseur, suivie d'une énumération plus ou moins importante du champ d'application de cette exception ;

- la question de la responsabilité, avec l'émergence des clauses de "no liability" et le plafonnement financier de la responsabilité, voire l'exclusion de la responsabilité par une pré-qualification des dommages indirects et cas de force majeure.

Il s'agit fondamentalement d'un problème d'équilibre des obligations et des clauses limitatives de responsabilité ; Fabienne Pirotte insistant sur la nécessaire bilatéralisation de l'ensemble des clauses, pour que s'amoindrisse un rapport de force dangereux pour l'économie du contrat informatique.

2. L'intégration des logiciels libres dans les projets

Passant sur la question de la validité contestée des licences afférentes à des logiciels libres, contestation aboutissant à ce que l'administration en fasse une utilisation contra legem, Valérie Sédallian souligne la complexité liée à l'interprétation de ces licences pour l'utilisateur et le rediffuseur éventuel.

Il existe différents types de licence pour logiciel libre : les licences académiques et les licences réciproques. Les licences académiques permettent le développement du logiciel propriétaire à partir de composants libres, sans obligation de reprendre la licence du code source (ex. : Apache ou BSD). A l'inverse, les licences réciproques précisent que les oeuvres dérivées doivent être diffusées sous la même licence (ex. : GNU, GPL, Cecill).

L'un des problèmes majeurs rencontrés par les juristes relève de la compatibilité de ces licences. En effet, pour combiner des programmes informatiques, bien souvent, les licences doivent être compatibles : aucun logiciel n'est créé ex nihilo. Aussi la question est parfois imminente : a-t-on le droit d'utiliser le code source en présence pour un développement et/ou pour une diffusion ?

Et, l'ambiguïté juridique est de mise : entre autoriser un "travail sur la base de..." ou une " utilisation pour dérivés...", les concepts et formules, le plus souvent, encore une fois, traduits du droit anglo-saxon, laissent pantois.

Les juristes attentionnés feront leur, un audit des logiciels utilisés par leur entreprise ou client au regard du droit de la propriété intellectuelle ; ils auront l'obligation d'identifier les logiciels open source, de dresser la liste des modifications apportées, et des références précises des licences correspondantes.

C'est à peu près tout ce qu'il y a dans la hotte du juriste français, tant les licences de logiciels libres ne font pas l'objet d'une contractualisation formaliste. Pour les clauses exclusives de responsabilité : quel interlocuteur acceptera de fournir des garanties pour un logiciel gratuit ?

Pour les clauses exclusives de garantie d'éviction, les risques financiers sont, ainsi, mis à la charge de l'acheteur. Par suite, on assiste à une véritable contamination des licences classiques : l'exonération de responsabilité des fournisseurs de logiciels propriétaires tend à gagner les fournisseurs de logiciels tiers issus des logiciels propriétaires. Enfin, la question de l'usage interne des licences de logiciels libres (dans le cadre d'un groupe de sociétés) reste épineuse du point de vue du droit d'auteur (ex. : la licence GPL mentionne un "usage" en matière de droit d'auteur, alors que la notion d'usage relève du droit commercial).

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Social général

[Jurisprudence] Lorsque la grève devient légitime...

Réf. : Cass. soc., 7 juin 2006, n° 04-46.587, M. Abdel Masser Akrous, F-P+B (N° Lexbase : A8564DPU)

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par Sébastien Tournaux, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

La grève, cessation collective et concertée du travail destinée à assouvir des revendications professionnelles, est parfois utilisée par les salariés ultima ratio, comme la dernière arme leur permettant d'obtenir une exécution convenable des obligations de leur employeur. Il peut s'agir, alors, d'une grève légitime, motivée par des manquements graves et délibérés de l'employeur à ses obligations, lesquels justifieront que l'employeur indemnise les salariés pour les pertes de salaires subies du fait de l'arrêt du travail. Si les conditions de cette "légitimation" de la grève ne sont pas véritablement nouvelles (1), la Chambre sociale de la Cour de cassation apporte, néanmoins, par un arrêt du 7 juin 2006, des précisions utiles quant à la nature grave et délibérée du manquement de l'employeur à ses obligations (2).



Confirmation de jurisprudence

Les salariés grévistes peuvent être indemnisés par l'employeur du fait de la perte de salaire éprouvée lorsque la grève était justifiée par la situation contraignante dans laquelle se trouvaient les salariés. Les conditions d'existence d'une telle situation contraignante sont réunies en présence d'un manquement grave et délibéré de l'employeur à ses obligations, ce manquement résidant, en l'espèce, en un retard de paiement des salaires alors qu'un plan de continuation avait été mis en place.

Décision

Cass. soc., 7 juin 2006, n° 04-46.587, M. Abdel Masser Akrous, F-P+B (N° Lexbase : A8564DPU)

Cassation (CPH Saint-Germain-en-Laye, référé, 15 juin 2004)

Textes visés : C. trav., art. L. 521-1 (N° Lexbase : L5336ACM) ; C. com., art. L. 621-22 (N° Lexbase : L6874AIG) ; C. com., art. L. 621-62 (N° Lexbase : L6914AIW) ; C. com., art. L. 621-78 (N° Lexbase : L6930AII).

Mots-clefs : grève ; situation contraignante ; retard de versement des salaires ; plan de continuation de l'entreprise ; manquement grave et délibéré de l'employeur à ses obligations.

Lien bases :

Faits

La société Technopur est placée en redressement judiciaire le 15 mai 2002, avant que le tribunal de commerce de Romans décide, le 13 novembre 2002, d'un plan de redressement par continuation. Au mois de janvier 2004, plusieurs salariés de la société participent à un mouvement de grève motivé par le retard répété de paiement de leurs salaires.

Les salariés saisissent le juge prud'homal en référé pour être indemnisés des pertes de salaires éprouvées du fait des arrêts de travail, estimant que l'employeur avait manqué à ses obligations. Le conseil de prud'hommes de Saint-Germain-en-Laye les déboute de leurs demandes par ordonnance du 15 juin 2004, au motif que l'employeur n'a pas à verser les salaires dépourvus de contrepartie, quels que soient les motifs, même légitimes, ayant entraîné cette grève. Les salariés se pourvoient en cassation.

Solution

1. "Attendu cependant que dans le cas où les salariés se trouvent dans une situation contraignante telle qu'ils sont obligés de cesser le travail pour faire respecter leurs droits essentiels, directement lésés par un manquement grave et délibéré de l'employeur à ses obligations, celui-ci peut être condamné à payer aux grévistes une indemnité correspondant à la perte de leur salaire".

2. "Qu'en statuant comme il l'a fait, alors que constitue un manquement délibéré de l'employeur à ses obligations le retard dans le paiement des salaires lorsqu'il bénéficie d'un plan de redressement par continuation qui met fin à la période d'observation et fait recouvrir au débiteur la totalité de ses droits, le conseil de prud'hommes a violé les textes susvisés".

Commentaire

1. La grève légitime

  • Cessation des obligations des parties

Depuis que le Code du travail a intégré, en 1950, le principe de la suspension du contrat de travail pendant la grève (C. trav., art. L. 521-1), la grève se caractérise par l'inexécution réciproque par les parties de leurs obligations contractuelles principales. Ainsi, alors que le salarié cessera de fournir sa prestation de travail, l'employeur sera dispensé de lui verser une rémunération. Il s'agit d'une application classique du caractère synallagmatique du contrat de travail.

Néanmoins, il arrive parfois que l'employeur soit, plus ou moins directement, amené, malgré tout, à verser une rémunération aux salariés grévistes. Le cas le plus fréquent réside dans la signature d'un accord de fin de conflit, prévoyant que les grévistes seront rémunérés pour tout ou partie du temps durant lequel ils n'auront pas fourni de travail (Cass. soc., 5 juillet 2005, n° 03-45.615, FS-P+B N° Lexbase : A8922DIB, lire les obs. de G. Auzero, Un protocole de fin de conflit ne peut opérer de distinction entre grévistes et non-grévistes, Lexbase Hebdo n° 186 du 20 octobre 2005 - édition sociale N° Lexbase : N9648AI8).

Il existe un autre cas de figure dans lequel l'employeur se verra contraint de verser aux salariés grévistes une indemnité compensant leur perte de salaire. Il s'agit de l'hypothèse de la grève "légitime", c'est-à-dire d'une cessation collective de travail intervenant en réaction à un manquement de l'employeur suffisamment grave pour justifier une sorte d'exception d'inexécution. Si la jurisprudence accepte, depuis très longtemps, le principe de ces manquements de l'employeur, elle l'a toujours très strictement encadré.

  • Manquement grave et délibéré de l'employeur à ses obligations

C'est le célèbre arrêt "Pomona" qui a fixé la jurisprudence en la matière, jurisprudence qui n'a guère varié depuis (Cass. soc., 20 février 1991, n° 89-41.148, Société Pomona c/ Mme Rannou et autres, publié N° Lexbase : A1657AAM, JCP éd. G 1991, II, 21676, concl. P. Franck ; Dr. soc. 1991, p. 315, rap. P. Waquet, obs. J. Savatier).

La Cour de cassation reprend d'ailleurs, en l'espèce, quasiment au mot près, la même motivation qu'il y a 15 ans : le versement d'indemnités n'est justifié que si les "salariés se trouvent dans une situation contraignante telle qu'ils sont obligés de cesser le travail pour faire respecter leurs droits essentiels, directement lésés par suite d'un manquement grave et délibéré de l'employeur à ses obligations".

Pour que la gravité et le caractère délibéré soient avérés, il fallait, presque toujours, dans les affaires portées au rôle de la Cour, que le manquement soit relatif aux rémunérations : retenues sur salaires (Cass. soc., 29 janvier 1975, n° 73-40.438, Compagnie Air France, publié N° Lexbase : A7816BQK), absence de paiement du salaire (Cass. soc., 14 mars 1979, n° 76-41.143, Société Visseries Danjou c/ Ermacora, publié N° Lexbase : A2002ABR, Dr. ouvrier 1980, p. 61, note M. Petit), réduction du temps de travail d'une partie des salariés entraînant une baisse de la rémunération (Cass. soc., 4 octobre 2005, n° 04-44.795, F-D N° Lexbase : A7164DKK) ou, encore, comme en l'espèce, retard dans le versement de la rémunération (Cass. soc., 20 février 1991, Pomona, préc.).

Le manquement à une obligation de sécurité a, le plus souvent, été également qualifié de grave et délibéré par les juges (v. les différents exemples fournis par Ch. Radé, L'employeur responsable de la grève, Lexbase Hebdo n° 69 du 1er mai 2003 - édition sociale N° Lexbase : N7159AAE).

Mais, lorsqu'il ne s'agissait pas d'un manquement relatif à la rémunération ou la sécurité, la Cour était beaucoup plus rétive à caractériser la gravité et le caractère délibéré du manquement. Ainsi, fût rejetée cette qualification pour le refus de consigner par écrit un accord de fin de conflit (Cass. soc., 20 janvier 1993, n° 90-44.074, Société Setforge c/ M. Vinals et autres, publié N° Lexbase : A3329ABW) ou, plus récemment, pour l'employeur n'ayant manqué que partiellement à son obligation annuelle de négociation sur les salaires (Cass. soc., 5 janvier 2005, n° 03-40.075, Société par actions simplifiée (SAS) Giraud Champagne Ardenne c/ M. Franck Antoine, F-D N° Lexbase : A8769DEI).

  • En l'espèce

L'hypothèse d'espèce, selon laquelle le paiement des salaires et autres indemnités de déplacement aurait connu des retards répétés, rentre donc parfaitement dans les cas de figure ouvrant traditionnellement la voie à une indemnisation des salariés pour perte de leur rémunération et valant donc implicitement comme légitimation de la grève.

Ce manquement grave et délibéré avait pour conséquence de placer les salariés dans une "situation contraignante", les obligeant donc à cesser le travail pour faire respecter leurs "droits essentiels". L'utilisation de l'expression "situation contraignante", quoiqu'elle soit habituelle depuis l'arrêt "Pomona", n'est pas tout à fait anodine puisque c'est également à celle-ci qu'a recours la Cour de cassation pour justifier le lock-out dans l'entreprise (Cass. soc., 31 octobre 1989, n° 88-41.229, SA Simon-Bigart c/ Ribeiro et autres, inédit N° Lexbase : A1513AAB) ou la cessation de versement de la rémunération des salariés non-grévistes (Cass. soc., 27 mai 1998, n° 96-42.303, Société Ecco c/ M. Bacholle et autres, publié N° Lexbase : A2900ACE). Il est donc intéressant de relever que cette vision très édulcorée de la force majeure est applicable tant aux salariés qu'aux employeurs en matière de grève.

Si cette solution est donc une confirmation de la position antérieure de la Cour de cassation en la matière, les visas et la seconde partie de la motivation de la Cour permettent de déceler une précision quant au caractère grave et délibéré du manquement de l'employeur à ses obligations.

2. Le manquement grave et délibéré de l'employeur à ses obligations

  • Distinction entre les différentes phases de la procédure de redressement judiciaire

La société Technopur avait été placée en redressement judiciaire en mai 2002, avant de bénéficier d'un plan de redressement par continuation le 13 novembre de la même année. Cette précision a une certaine importance, puisque l'arrêt "Pomona" avait posé le redressement judiciaire comme une exception au caractère grave et délibéré du manquement de l'employeur. La Cour de cassation avait, d'ailleurs, exclu dans cette affaire que l'employeur ait commis un tel manquement, justement parce qu'il était sous le coup d'un redressement judiciaire. Cette solution était logique mais insuffisamment précise.

La solution était logique pour deux raisons. Tout d'abord, parce que l'entreprise placée sous redressement judiciaire connaît des difficultés économiques. On peut donc envisager qu'une telle circonstance puisse excuser un retard dans le versement des salaires. Ensuite, parce que les dirigeants de l'entreprise ne sont plus tout à fait maîtres de leurs décisions lorsque l'entreprise est placée dans le cadre d'une telle procédure. Un administrateur judiciaire est nommé, auquel le tribunal octroie des pouvoirs plus ou moins important (C. com., art. L. 621-22), pouvoirs qui empiètent nécessairement sur ceux du dirigeant de l'entreprise. Si bien que, selon les pouvoirs accordés à l'administrateur, on peut également considérer que le retard de paiement des salaires n'était pas "délibéré" de la part de l'employeur.

Pour autant, la solution n'était pas tout à fait assez précise parce que le redressement judiciaire se déroule sur plusieurs phases. Or, si certaines de ces phases correspondent parfaitement aux impératifs subis par l'employeur décrits précédemment, d'autres, au contraire, en paraissent bien plus éloignées.

C'est exactement ce que souligne la Cour de cassation, en visant trois articles du Code du commerce et en décidant qu'il y a bien manquement grave et délibéré de l'employeur "lorsqu'il bénéficie d'un plan de redressement par continuation qui met fin à la période d'observation et fait recouvrir au débiteur la totalité de ses droits". En effet, si l'employeur se trouve soumis au pouvoir de surveillance, d'assistance ou d'administration de l'administrateur judiciaire durant la période d'observation, ce n'est plus du tout le cas lorsqu'un plan de continuation est dressé. On estime, alors, que l'entreprise pourra se relever, que les difficultés financières ne sont donc pas insurmontables mais, surtout, l'employeur retrouve ses pouvoirs, notamment celui de verser lui-même les rémunérations aux salariés de l'entreprise.

Or, concernant ces rémunérations, le Code du commerce (C. com., art. L. 621-78), renvoyant au Code du travail (C. trav., art. L. 143-10 N° Lexbase : L0050HD9), interdit tout délai de versement lorsque a été décidée la continuation de l'entreprise. Il était donc tout à fait bienvenu de la part de la Chambre sociale d'opérer une distinction en fonction des pouvoirs de l'employeur. Désormais, seul l'employeur en période d'observation ou n'ayant pas pu bénéficier d'un plan de redressement par continuation pourra être excusé pour avoir manqué délibérément et de manière grave à ses obligations.

  • Parallèle avec la prise d'acte de la rupture

La notion de manquement grave et délibéré de l'employeur à ses obligations fait nécessairement penser à une hypothèse dans laquelle il peut être, en quelque sorte, "sanctionné" en conséquence du manquement à ses obligations : la prise d'acte de la rupture du contrat de travail par le salarié.

En effet, il suffit que le salarié cesse le travail pour des faits avérés caractérisant un manquement de l'employeur à ses obligations pour que la rupture soit qualifiée de licenciement et que s'ensuive l'application du régime de cette rupture (Cass. soc., 25 juin 2003, n° 01-42.335, F-P P+B+R+I, N° Lexbase : A8976C8X et les obs. de Ch. Radé, Autolicenciement : enfin le retour à la raison !, Lexbase Hebdo n° 78 du 3 juillet 2003 - édition sociale N° Lexbase : N8027AAK). Il y a, dans cette requalification de la rupture, de façon implicite, une idée de sanction de l'employeur pour le manquement à ses obligations.

La question est théorique mais mérite d'être posée : que se passerait-il si, en plus d'avoir participé à un mouvement de grève que la jurisprudence estime comme étant "légitime", certains salariés décidaient de prendre acte de la rupture de leur contrat de travail pour manquement de l'employeur à ses obligations ?

On sait que l'existence d'un statut protecteur ne semble pas s'opposer à ce que le salarié prenne acte de la rupture de son contrat de travail. Si la Cour de cassation n'a pas encore eu l'occasion de statuer sur une telle hypothèse en matière de salarié gréviste, elle l'a déjà clairement affirmé pour un délégué du personnel (Cass. soc., 21 janvier 2003, n° 00-44.502, FS-P+B+R N° Lexbase : A7345A4S et les obs. de G. Auzero, Autolicenciement d'un salarié protégé : réflexions autour de la rupture du contrat de travail à l'initiative du salarié, Lexbase Hebdo n° 57 du 6 février 2003 - édition sociale N° Lexbase : N5763AAP). Si l'on suit la même logique que cette décision, on aboutit à constater que le salarié gréviste n'ayant pas commis de faute lourde, la prise d'acte requalifiée en licenciement serait nulle en application de l'article L. 521-1 du Code du travail, permettant donc la réintégration du salarié.

Faudrait-il alors cumuler l'indemnisation perçue par les salariés grévistes du fait de la perte de leurs salaires en raison du manquement grave et délibéré de l'employeur à ses obligations et les différentes indemnités de réintégration, variant en fonction du choix du salarié d'accepter ou non sa réintégration ? La Cour de cassation a récemment tranché pour un cumul entre l'indemnité compensant la perte de salaire du salarié réintégré et les revenus de remplacement qu'il aurait pu percevoir entre temps (Cass. soc., 2 février 2006, n° 03-47.481, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A6225DMI et les obs. de Ch. Radé, L'indemnisation du gréviste réintégré : vive le cumul !, Lexbase Hebdo n° 202 du 16 février 2006 - édition sociale N° Lexbase : N4568AKE). Rien ne paraîtrait donc s'opposer, dans la logique actuelle de la Chambre sociale, à un tel cumul, tout aussi surprenant que cela puisse paraître !

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Environnement - Bulletin d'actualités n° 5

[Panorama] Bulletin droit de l'environnement du Cabinet Savin Martinet Associés : actualités "Responsabilité environnementale"

Lecture: 7 min

N9455AKE

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Le 07 Octobre 2010

Une tendance forte se dégage des législations européennes et nationales : un durcissement des règles de responsabilité environnementale en vue de renforcer la prévention et la réparation des dommages environnementaux.

I - La responsabilité environnementale au niveau européen

La Directive européenne du 21 avril 2004 a mis en place un régime de prévention et de réparation des dommages causés à l'environnement. Les Etats membres ont jusqu'au 30 avril 2007 pour transposer cette Directive. Elle a établi deux types de responsabilité :
- une responsabilité objective sans faute pour certaines activités dangereuses listées en Annexe à la Directive, affectant, notamment, les ressources en eau, les sols, la faune, la flore et les habitats naturels. La réparation de ces dommages sera assurée par les responsables desdites activités sur le fondement du principe "pollueur payeur" ;
- une responsabilité pour faute pour les autres activités, qui ne pourra être engagée que si l'exploitant a commis une faute ou s'est montré négligent.

A noter que cette Directive a exclu les dommages résultant d'une pollution diffuse, les dommages économiques aux individus, les atteintes à l'air, ainsi que les accidents couverts par d'autres Directives.

  • CJCE, 13 septembre 2005, affaire C-176/03, Commission des Communautés européennes soutenue par Parlement européen c/ Conseil de l'Union européenne soutenu par 11 Etats membres (N° Lexbase : A4361DKQ)

La Cour de justice des Communautés européennes s'est penchée sur la question du fondement de la protection de l'environnement par le doit pénal. Le fondement devait-il relever du "premier pilier", gouverné par une logique supranationale au titre de laquelle l'intérêt européen est présumé indépendant de celui de chacun des Etats membres, ou du "troisième pilier", consacré à la coopération judiciaire en matière pénale et gouverné par une logique intergouvernementale de compromis entre les Etats.

A l'origine de ce conflit institutionnel, une décision-cadre du Conseil en date du 27 janvier 2003 (décision-cadre 2003/80/JAI du Conseil en date du 27 janvier 2003, relative à la protection de l'environnement par le droit pénal N° Lexbase : L9910HIU) fondée sur le "troisième pilier" prévoyait, notamment, que les Etats membres devaient qualifier d'infractions pénales la commission, par action ou négligence, d'agissements par des personnes physiques ou morales, portant atteinte à l'environnement. Chaque Etat membre devait ainsi prendre les mesures nécessaires pour que les infractions "soient passibles de sanctions pénales effectives, proportionnées et dissuasives qui incluent, au moins dans les cas les plus graves, des peines privatives de liberté".

La Commission européenne -dont la proposition de Directive sur la protection de l'environnement par le droit pénal en date du 13 mars 2001 (Proposition de Directive en date du 13 mars 2001 COM (2001)139 final) avait été rejetée par onze des quinze Etats membres- a alors saisi la CJCE d'une demande d'annulation de cette décision-cadre. La Commission considérait, en effet, qu'en application des articles 174 CE et 175 CE inclus dans le "premier pilier", seul le législateur communautaire était compétent pour imposer aux Etats membres l'obligation de prévoir des sanctions pénales en cas d'infraction à la réglementation communautaire en matière de protection de l'environnement.

Dans son arrêt en date du 13 septembre 2005, la Cour a rappelé qu'en application des articles 2 , 3 et 174 à 176 du Traité CE, la protection de l'environnement constitue un objectif essentiel de la Communauté. A ce titre, l'article 2 du Traité CE dispose que la Communauté a pour mission de promouvoir un "niveau élevé de protection et d'amélioration de la qualité de l'environnement" et l'article 3, paragraphe 1 sous I), CE prévoit la mise en place d'une "politique dans le domaine de l'environnement".

En conséquence, la Cour de justice des Communautés européennes a dit et jugé pour droit que : "en raison tant de leur finalité que de leur contenu, les articles 1 à 7 de la décision-cadre ont pour objet principal la protection de l'environnement et auraient pu valablement être adoptés sur le fondement de l'article 175 CE", soit donc sur la base du "premier pilier". La CJCE a dit, en conséquence, qu'il y avait lieu "d'annuler la décision-cadre" dans son intégralité, prise sur le fondement du "troisième pilier". Alors même que le "troisième pilier" est consacré à la coopération judiciaire intergouvernementale en matière pénale, la CJCE a donc préféré reconnaître la Commission seule compétente pour contraindre les Etats membres, sur le fondement du "premier pilier", à prévoir des sanctions pénales afin de protéger l'environnement.

  • CJCE, 28 octobre 2004, aff. C-505/03, Commission des Communautés européennes c/ République française (N° Lexbase : A6622DDM)

La Cour de justice des Communautés européennes a condamné l'Etat français pour manquement aux obligations qui lui incombent en application de la Directive du 15 juillet 1980, relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine (N° Lexbase : L9431AUT), après avoir relevé l'existence d'un taux de nitrates trop élevé dans les eaux destinées à la consommation humaine en Bretagne.

Alors même que la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne comprend aucune disposition sur la protection de l'environnement, ni le droit de vivre dans un environnement sain, la jurisprudence de la Cour exige des Etats la prise en compte des impératifs environnementaux sur le fondement du paragraphe 1 de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme (N° Lexbase : L4798AQR).

Les Etats sont ainsi sanctionnés lorsque les atteintes à l'environnement affectent le bien-être d'une personne, et l'ont privée de la jouissance de son domicile de manière à nuire à sa vie privée et familiale, sans pour autant mettre en grave danger la santé de l'intéressé. Cette jurisprudence se fonde sur la théorie des obligations positives qui veut que l'Etat n'ait pas seulement l'obligation de ne pas violer tel ou tel droit, mais aurait également des obligations d'agir pour permettre l'exercice effectif du droit en cause.

II - La responsabilité environnementale au niveau national

  • CE Contentieux, 3 mars 2004, n° 241151, Ministère de l'Emploi et de la Solidarité c/ Consorts Botella (N° Lexbase : A4304DBZ) et CE Contentieux, 3 mars 2004, n° 241152, Ministère de l'Emploi et de la Solidarité c/ Consorts Thomas (N° Lexbase : A4305DB3)

Le Conseil d'Etat a condamné l'Etat pour carence fautive à prendre des mesures de prévention des risques liés à l'exposition des travailleurs aux poussières d'amiante. Le Conseil d'Etat a validé le raisonnement de la cour administrative d'appel selon lequel les pouvoirs publics ne pouvaient plus ignorer que l'exposition aux poussières d'amiante présentait de graves dangers pour la santé des travailleurs, dans la mesure où le caractère nocif des poussières d'amiante était connu depuis le début du XXème siècle et que le caractère cancérigène de celles-ci avait été mis en évidence dès le milieu des années cinquante.

Le Conseil d'Etat a, ainsi, considéré que l'inaction de l'Etat pour protéger les travailleurs contre les dangers que leur faisait courir l'inhalation de poussières d'amiante, notamment au niveau de la réglementation du travail, était constitutive d'une carence fautive.

Par une décision en date du 23 mars 2004, la Cour de cassation a rappelé que le chef d'entreprise était pénalement responsable d'une pollution affectant un cours d'eau à la suite de l'exercice de son activité au sein d'une installation classée pour la protection de l'environnement, lorsqu'un lien de causalité direct entre la pollution constatée, les fautes de négligence et d'inaction de la personne responsable a été démontré.

Le Conseil d'Etat a condamné l'Etat pour carence fautive du préfet dans l'exercice de son pouvoir de police des installations classées. Dans cette affaire, le préfet avait laissé se poursuivre une installation classée dans des conditions non conformes aux prescriptions de fonctionnement modifiées par le juge administratif, lequel avait estimé que les prescriptions figurant dans l'arrêté préfectoral étaient insuffisantes, compte tenu des nuisances sonores causées au voisinage par l'exploitation de l'installation classée.

Par cet arrêt, le Conseil d'Etat a retenu la responsabilité de l'Etat du fait de l'application de la loi du 19 juillet 1976 relative aux installations classées pour la protection de l'environnement (loi n° 76-663 N° Lexbase : L6346AG7). Le Conseil a ainsi estimé que l'exploitant d'une coopérative agricole était fondé à demander à l'Etat la réparation du préjudice anormal et spécial subit en raison de la suppression des silos de stockage de céréales ordonnée sur le fondement de la loi du 19 juillet 1976 par un décret du 16 avril 1999, et ce alors même qu'aucune disposition législative ne prévoyait une telle réparation. La responsabilité du fait des lois trouve son fondement dans la rupture d'égalité devant les charges publiques.

La Chambre criminelle a jugé que l'obligation d'équiper et d'exploiter une installation classée dans des conditions propres à éviter toutes nuisances olfactives au voisinage constituait une prescription technique au sens des articles L. 514-11, II du Code de l'environnement (N° Lexbase : L1738DKL) et 43,3° du décret n° 77-1133 du 21 septembre 1977 (N° Lexbase : L1886HCT). Dès lors, l'entrepreneur, exploitant d'une installation classée de fabrication d'engrais et de supports de culture, qui ne s'est pas conformé à la mis en demeure par le préfet de faire cesser les nuisances olfactives produite par son installation, a été poursuivi du chef de contravention d'inobservation des prescriptions techniques imposées par l'arrêté d'autorisation, ainsi que pour le délit consistant à ne s'être pas conformé à la mise en demeure dans le délai imparti.

La cour administrative de Lyon a décidé que les nuisances, notamment olfactives, causées par le rejet dans un ruisseau, sans traitement préalable, des eaux usées d'un village par le réseau unitaire communal étaient de nature à engager la responsabilité de la commune du fait de la présence de l'ouvrage public constitué par ce réseau unitaire.

Savin Martinet Associés - www.smaparis.com - Cabinet d'avocats-conseils
Contacts :
Patricia Savin (savin@smaparis.com)
Yvon Martinet (martinet@smaparis.com)

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Délégation de service public

[Le point sur...] La soumission à la concurrence des conventions de délégation du service public de distribution du gaz

Lecture: 18 min

N9660AKY

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Le 07 Octobre 2010

La passation des conventions de délégation de service public de distribution de gaz échappe toujours, en vertu du régime dérogatoire prévu par les dispositions de l'article L. 1411-12 du CGCT (N° Lexbase : L8325AAL), à toute procédure de publicité et de mise en concurrence. Cette situation apparaît, cependant, tout à la fois contraire au droit communautaire (tant primaire que dérivé) et à la jurisprudence (tant communautaire que nationale). I. Le droit français, à la différence du droit communautaire, continue à exempter la passation de ces conventions d'une procédure préalable de publicité et de mise en concurrence

1) Rappel de l'organisation du service public de la distribution de gaz

En France, le service public de la distribution de gaz est concédé par les collectivités territoriales ou leurs établissements publics de coopération (1) à des gestionnaires de réseaux publics qui ont été expressément désignés pour assurer cette fonction par les dispositions de la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 sur la nationalisation de l'électricité et du gaz (N° Lexbase : L9920HIA).

Cette loi a confié la gestion du réseau public de gaz à Gaz De France (GDF) tout en laissant subsister des distributeurs locaux dit "non nationalisés" (DNN) qui sont organisés en régie ou en sociétés d'économie mixte dans lesquelles les collectivités territoriales possèdent la majorité du capital.

Actuellement, l'activité de transport de gaz est distincte de l'activité de distribution et de fourniture en raison de la séparation juridique et comptable imposée par les dispositions de la loi n° 2003-8 du 3 janvier 2003, relative aux marchés du gaz et de l'électricité et au service public de l'énergie (N° Lexbase : L7950BB3). La gestion du réseau de distribution de gaz est ainsi assurée, soit par GDF - réseau de distribution (GRD), soit par les DNN. La gestion du réseau de transport de gaz est, quant à elle, assurée par GDF - réseau de transport (GRT) qui est une filiale de GDF.

2) Les lois de 2003 et 2004 relatives au marché et au service public du gaz ne comportent aucune disposition relative à la mise en concurrence des conventions de délégation de service public de distribution de gaz

La loi n° 2003-8 du 3 janvier 2003, relative aux marchés du gaz et de l'électricité et au service public de l'énergie a transposé la Directive 98/30 du 22 juin 1998 concernant les règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel (N° Lexbase : L9970AUS). Rappelons, à cet égard, que la première tentative de transposition de la Directive "gaz" en mai 2000 s'était heurtée au problème du statut de GDF que l'on avait voulu lier à la libéralisation du secteur. C'est pourquoi la loi n° 2003-8 du 3 janvier 2003 n'aborde pas la question du statut de GDF. En fait, cette question a été réglée, nous le verrons, par la loi n° 2004-803 du 9 août 2004, relative au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières (N° Lexbase : L0813GTB). En résumé, la loi n° 2003-8 du 3 janvier 2003 traite de l'ouverture à la concurrence du marché du gaz, de l'intervention des autorités publiques, du service public du gaz et des spécificités techniques et économiques du secteur gazier (2).

En matière d'ouverture à la concurrence, la loi organise en particulier la substitution d'un grand nombre d'opérateurs à l'oligopole que constituait GDF (suppression des monopoles d'importation et d'exportation), l'accès des tiers aux réseaux, la séparation des activités de fourniture et des activités de gestion des infrastructures, le décroisement des subventions (interdiction de financer l'activité concurrentielle à l'aide de prix élevés pratiqués sur le secteur monopolistique) et, enfin, la prescription de garanties techniques et concurrentielles applicables, d'une part, entre opérateurs et, d'autre part, entre opérateurs et autorités publiques. En matière d'ouverture à la concurrence, la loi de 2003 reprend le calendrier d'ouverture défini à l'article 18 de la Directive "gaz" de 1998, selon lequel la part minimale libéralisée devait être de 20 % en 2000, de 28 % en 2003 et de 33 % en 2008. Par ailleurs, la loi rend désormais possible l'éligibilité des collectivités locales, c'est-à-dire la liberté d'acheter du gaz au fournisseur de leur choix, pour leur propre consommation, cette situation nouvelle créant "les conditions d'une obligation de mise en concurrence de leurs contrats d'achat de gaz" (S. Nicinski et P. Pintat). Cette possibilité fait ainsi entrer les contrats en cause dans le droit des marchés publics.

En matière de service public du gaz, la loi de 2003 définit des obligations de service public touchant à la sécurité (sécurité ou continuité d'approvisionnement et sécurité des personnes et des installations), à la qualité et au prix des fournitures, ainsi qu'à la protection de l'environnement.

Au total, la loi n° 2003-8 du 3 janvier 2003 ne comporte donc aucune disposition et aucune innovation en ce qui concerne la distribution publique de gaz et, plus précisément, en ce qui concerne la procédure applicable en matière de délégation du service public de la distribution de gaz. En bref, elle ne prévoit nullement que l'attribution d'une telle délégation doit être précédée de la mise en oeuvre d'une procédure de publicité et de mise en concurrence. Il faut, à cet égard, distinguer les obligations imposées par la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993, relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques (N° Lexbase : L8653AGL), codifiée aux articles L. 1411-1 à L. 1411-18 du CGCT (N° Lexbase : L2050G9S), des obligations imposées par le Code des marchés publics : en effet, et selon la loi de 2003, seules ces dernières sont susceptibles de s'appliquer aux collectivités locales lorsque, faisant usage de leur éligibilité, elles passent un marché pour subvenir à leurs propres besoins en gaz.

Avançons quelque peu dans le temps pour aborder les changements intervenus au cours de l'année 2004. Par un avis d'Assemblée du 8 juillet 2004 (avis relatif aux conditions d'exercice de l'éligibilité par les personnes publiques pour leurs achats d'électricité, n° 370135 N° Lexbase : L9922HIC, BJCP 2004 n° 37 p. 462), le Conseil d'Etat a considéré qu'à compter du 1er juillet 2004, toutes les personnes, qu'elles soient publiques ou privées, achetant de l'électricité non destinée à un usage domestique devenaient éligibles, c'est-à-dire libres d'acheter leur électricité au fournisseur de leur choix. S'agissant des personnes publiques, le Conseil d'Etat a précisé que l'exercice des droits attachés à l'éligibilité n'était qu'une faculté. Ainsi, tant que coexistent "un secteur réglementé et un marché libre" dans le domaine de l'électricité, les personnes publiques déjà titulaires d'un contrat avec les opérateurs historiques et qui le souhaitent peuvent, même à l'expiration de ce contrat, se dispenser d'appliquer le droit de la commande publique aux achats d'énergie concernés (cf. rép. min. n° 16025, JO Sénat du 17 novembre 2005, p. 2984, commentant cet avis et l'appliquant au marché du gaz). Faisant suite à cet avis, la loi n° 2004-803 du 9 août 2004, relative au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières, a transposé les Directives 2003/54/CE (N° Lexbase : L0088BI4) et 2003/55/CE (N° Lexbase : L0089BI7) du 26 juin 2003 concernant respectivement les règles communes pour les marchés intérieurs de l'électricité et du gaz et abrogeant les précédentes Directives "électricité" et "gaz" de 1996 et 1998.

La loi n° 2004-803 du 9 août 2004 a, en particulier, modifié le statut des établissements publics EDF et GDF qui ont été transformés en sociétés anonymes dont l'Etat détient plus de 70 % du capital (article 24). Cette loi a donc pour principal objet de redéfinir le statut et l'organisation des opérateurs et de mettre, ainsi, en place "les conditions institutionnelles de la poursuite de l'évolution dans le sens de la fragmentation des activités pour y introduire la concurrence" (cf. L. Richer, Une nouvelle conception du service public de l'électricité et du gaz, AJDA 2004 p. 2094).

Par ailleurs, selon les dispositions de l'article 30 de cette loi, "les dispositions du Code des marchés publics n'imposent pas à l'Etat, à ses établissements publics, aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics d'exercer les droits accordés au III de l'article 22 de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 [N° Lexbase : L4327A3N] [...] et au dernier alinéa de l'article 3 de la loi n° 2003-8 du 3 janvier 2003" (c'est-à-dire les droits attachés à leur éligibilité). L'article 30 précité a, donc, aligné le régime d'éligibilité des personnes publiques sur celui des personnes privées en prévoyant que les dispositions du Code des marchés publics n'imposent pas aux personnes qui y sont soumises d'exercer leur éligibilité.

Aussi, de même que la loi du 3 janvier 2003, la loi du 9 août 2004 ne comporte aucune disposition et aucune innovation en ce qui concerne la distribution publique de gaz et, plus précisément, en ce qui concerne la procédure applicable en matière de délégation du service public de la distribution de gaz.

3) La passation des conventions de délégation de service public de distribution de gaz relève des dispositions de l'article 1411-12 du Code général collectivités territoriales (N° Lexbase : L8325AAL) qui permettent à ces conventions de déroger à la procédure habituelle de publicité et de mise en concurrence

Aux termes de l'article L. 1411-1 du CGCT : "Une délégation de service public est un contrat par lequel une personne morale de droit public confie la gestion d'un service public dont elle a la responsabilité à un délégataire public ou privé, dont la rémunération est substantiellement liée aux résultats de l'exploitation du service". En rattachant, ainsi, la délégation de service public à la notion de contrat, le législateur semble avoir entendu écarter les délégations de service public dont la dévolution s'opèrerait par voie unilatérale. Ainsi que le notent G. Bouquet et E. Buttery (3), "bien que l'examen des débats parlementaires ne révèle pas une intention aussi claire, le Conseil d'Etat confirme cette interprétation en refusant d'appliquer le régime de la loi Sapin à une délégation dévolue par voie réglementaire" (CE, 3 mai 2004, n° 249832, Fondation assistance aux animaux N° Lexbase : A0650DC3).

Or, dans la mesure où les conventions de délégation de service public de distribution de gaz sont dévolues par voie législative (c'est-à-dire par la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 sur la nationalisation de l'électricité et du gaz, toujours en vigueur), la solution rendue par le Conseil d'Etat semble transposable à ces conventions.

En tout état de cause, les dispositions applicables aux conventions de délégation de service public de distribution de gaz sont issues de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993, dite "loi Sapin", codifiée aux articles L. 1411-1 et suivants du CGCT. Aux termes en particulier de l'article L. 1411-12 CGCT : "les dispositions des articles L. 1411-1 à L. 1411-11 ne s'appliquent pas aux délégations de service public : a) Lorsque la loi institue un monopole au profit d'une entreprise ; b) Lorsque ce service est confié à un établissement public et à condition que l'activité déléguée figure expressément dans les statuts de l'établissement".

Or, jusqu'en 2004, GDF était encore un établissement public à caractère industriel et commercial et la distribution du gaz figurait bien dans ses statuts en application des dispositions des articles 1er et 3 § 2 de la loi n° 46-628 du 8 avril 1946, sur la nationalisation de l'électricité et du gaz précitée. Par suite, les contrats de délégation de service public qu'il passait n'avaient pas à être soumis, préalablement à leur signature, à une procédure de publicité et de mise en concurrence, en vertu des dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 1411-12.

Par ailleurs, si la loi n° 2004-803 du 9 août 2004 a modifié le statut de GDF en le transformant en société anonyme dont l'Etat détient plus de 70 % du capital, le droit interne n'en continue pas moins d'exempter les conventions de délégation de service public de distribution de gaz conclues par cette entreprise de toute procédure de publicité et de mise en concurrence. L'entreprise GDF peut, en effet, se prévaloir des dispositions du premier alinéa de l'article L. 1411-12 du CGCT, puisque c'est bien la loi du 8 avril 1946 qui a institué à son profit le monopole de la distribution publique du gaz. Or, nous l'avons vu, ce monopole n'a nullement été remis en cause par la loi du 3 janvier 2003, laquelle n'a ouvert (partiellement) à la concurrence que la passation des marchés publics de fourniture de gaz. Une distinction essentielle doit, donc, être faite ici entre marchés publics d'achat de gaz et délégations de service public de distribution de gaz.

Au total, le droit national permet toujours à GDF et aux DNN de passer des conventions de délégation de service public de distribution de gaz sans mettre en oeuvre une procédure préalable de publicité et de mise en concurrence.

4) Le droit communautaire issu de la Directive 2003/55/CE est plus exigeant que le droit national en ce qui concerne la procédure de passation des conventions de délégation de service public de distribution de gaz

Si les articles 7 et 11 de la Directive 2003/55/CE du 26 juin 2003 concernant les règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel (N° Lexbase : L0089BI7) prévoient la possibilité, pour les Etats membres, de désigner eux-mêmes les gestionnaires de réseaux de transport ou de distribution d'électricité et de gaz, ils ne prévoient nullement que la désignation des gestionnaires de réseaux de transport ou de distribution de gaz doive intervenir sans qu'aient été mises en oeuvre des mesures assurant la transparence de la procédure de passation. Au contraire, elles doivent être interprétées à la lumière des objectifs prévus au paragraphe 2 des Directives, en termes de réduction des prix, d'accroissement de la compétitivité et de conditions de concurrence équitables (4).

En outre, et surtout, aux termes de l'article 4 de la Directive : "1. Dans les cas où la construction ou l'exploitation d'installations de gaz naturel nécessite une autorisation (par exemple une licence, un permis, une concession, un accord ou une approbation), les Etats membres ou toute autorité compétente qu'ils désignent accordent des autorisations de construction et/ou d'exploitation de ces installations, gazoducs et équipements connexes sur leur territoire, conformément aux paragraphes 2, 3 et 4. 2. Lorsque les Etats membres ont un système d'autorisations, ils fixent des critères objectifs et non discriminatoires que doit respecter l'entreprise qui sollicite une autorisation pour construire et/ou exploiter des installations de gaz naturel ou qui sollicite une autorisation pour fournir du gaz naturel. Les critères et les procédures non discriminatoires d'octroi d'autorisations sont rendus publics" (nous soulignons).

Il nous semble résulter de ces dispositions que les Etats membres sont tenus d'organiser, en ce qui concerne l'exploitation des installations de transport et de distribution de gaz naturel, les conditions d'attribution des conventions de délégation de service public selon des critères et des procédures non discriminatoires et transparents.

Aussi, le droit communautaire issu de la Directive 2003/55/CE du 26 juin 2003 paraît-il faire obligation aux collectivités territoriales souhaitant conclure une convention de délégation de service public de distribution du gaz sur leur territoire de mettre en oeuvre, préalablement à la conclusion de cette convention, une procédure de publicité (au minimum), afin que plusieurs entreprises distributrices de gaz naturel soient en mesure de présenter leur candidature. Contrairement au droit national issu des dispositions de l'article L. 1411-12 du CGCT, le droit communautaire ne permet donc pas à une collectivité locale de choisir systématiquement GDF comme délégataire.

Cette divergence entre le droit communautaire et le droit national vient notamment du fait que les institutions communautaires ne distinguent pas, comme le fait implicitement la loi "Sapin", entre dévolution par voie contractuelle et dévolution par voie unilatérale. Dans une communication interprétative relative aux concessions en droit communautaire (5), la Commission européenne a, ainsi, privilégié un critère matériel et fait abstraction du mode de dévolution choisi. Selon la Commission, "qu'il soit contractuel ou unilatéral, tout acte étatique fixant les conditions auxquelles une prestation d'activités économiques est subordonnée est à apprécier au regard des principes du Traité et spécialement des articles 43 à 55 du Traité".

II. La jurisprudence nationale et communautaire exige désormais la mise en oeuvre d'une procédure préalable de publicité et de mise en concurrence

1) La jurisprudence communautaire, pour l'instant fondée sur le droit primaire, exige la mise en oeuvre d'une procédure préalable de publicité

Sur le terrain du droit primaire, la CJCE a récemment jugé que les articles 43 CE et 49 CE (N° Lexbase : L5359BCH) s'opposaient à ce qu'une concession relative à la gestion du service public de distribution de gaz fût attribuée par une commune sans publicité préalable dès lors que cette attribution ne répondait pas à des exigences de transparence qui, sans nécessairement impliquer une obligation de procéder à un appel d'offres, étaient notamment de nature à permettre qu'une entreprise située sur le territoire d'un Etat membre autre que celui de la commune concernée pût avoir accès aux informations adéquates (afin de pouvoir manifester son intérêt pour obtenir le contrat) relatives à une telle concession avant qu'elle ne fût attribuée (6).

Cette décision, prise sur renvoi préjudiciel du juge italien, est une application de l'exigence de transparence pour les concessions de service telle qu'elle avait été fixée par la jurisprudence "Telaustria". Dans cette dernière décision, la CJCE avait, en effet, considéré que "cette obligation de transparence qu incombe au pouvoir adjudicateur consiste à garantir, en faveur de tout soumissionnaire potentiel, un degré de publicité adéquat permettant une ouverture du marché des services à la concurrence ainsi que le contrôle de l'impartialité des procédures d'adjudication" (7).

Selon la Cour, dès lors qu'une concession de service public de distribution de gaz peut intéresser également une entreprise située dans un autre Etat membre, son attribution par une commune, sans transparence, à une entreprise située dans son Etat membre constitue une différence de traitement qui, à moins qu'elle ne soit justifiée par des circonstances objectives (8), constitue une discrimination indirecte selon la nationalité contraire aux articles 43 et 49 du Traité. Il appartient, ainsi, au juge national de vérifier si l'attribution d'une concession répond à des exigences de transparence qui sont de nature à permettre à une entreprise située sur le territoire d'un autre Etat membre d'avoir accès à des informations afin de manifester son intérêt pour obtenir la concession.

Au total, le principe est, donc, désormais, qu'une procédure de publicité préalable est nécessaire pour la raison que le meilleur moyen de savoir si d'autres entreprises communautaires sont intéressées est de respecter une telle procédure.

Si la décision "Coname" a été rendue à la suite d'une question préjudicielle relative à la compatibilité de l'attribution "directe" d'une convention de délégation de service public de distribution de gaz avec les stipulations des articles 43 et 49 du Traité, il est permis de supposer que la CJCE, lorsqu'elle sera saisie de la compatibilité de l'attribution "directe" d'une telle convention avec la Directive 2003/55/CE du 26 juin 2003 (notamment, l'article 4), adoptera la même solution, voire exigera la mise en oeuvre d'une procédure de publicité et de mise en concurrence et non plus seulement la mise en oeuvre d'une procédure de publicité. Cette solution serait d'ailleurs conforme avec la position actuelle du juge administratif français (cf. infra).

Précisons, toutefois, que la jurisprudence "Coname" ne semble pas transposable aux DNN organisés en régie puisqu'ils sont dépourvus de personnalité morale propre. Ces DNN devraient donc continuer à bénéficier du régime dérogatoire prévu par les dispositions de l'article L. 1411-12 du CGCT.

2) La jurisprudence nationale, fondée sur la Directive 2003/55/CE du 26 juin 2003, exige la mise en oeuvre d'une procédure préalable de publicité et de mise en concurrence

Par un jugement récent (9), le tribunal administratif de Caen a annulé une délibération attribuant une concession de distribution publique de gaz à GDF en jugeant que les dispositions de l'article L. 1411-12 du CGCT ne pouvaient fonder l'octroi, sans mise en concurrence, d'une concession de distribution de gaz, dès lors que ces dispositions étaient devenues incompatibles avec les objectifs de non-discrimination fixés par la Directive du 26 juin 2003. Le tribunal a d'abord relevé que la poursuite des objectifs "définis notamment dans l'article 4 de la Directive" n'avait pas pour effet de compromettre l'accomplissement par GDF des obligations imposées aux entreprises de gaz naturel dans l'intérêt économique général, ces obligations pouvant permettre, le cas échéant, de déroger aux objectifs de la Directive (10).

Le tribunal a ensuite considéré que, "alors même que la convention n'a[vait] été signée qu'aux termes de 'discussions' entre la commune et la société Gaz de France", la convention est intervenue "en méconnaissance des obligations et des règles de mise en concurrence fixées par les articles L. 1411-1 et suivants du Code général des collectivités territoriales".

Autrement dit, le tribunal a estimé que le régime dérogatoire prévu par les dispositions de l'article L. 1411-12 du CGCT n'était pas compatible avec les objectifs de non-discrimination fixés par la Directive du 26 juin 2003 et que, en conséquence, c'est le régime "de droit commun" des articles L. 1411-1 et suivants du même code qui devait s'appliquer. Le juge administratif français est donc allé plus loin que le juge communautaire puisqu'il a exigé la mise en oeuvre d'une procédure de publicité et de mise en concurrence et non plus seulement la mise en oeuvre d'une procédure de publicité. Toutefois, rappelons qu'à la différence du juge français, la CJCE ne s'était pas fondée sur la Directive du 26 juin 2003, mais sur les articles 43 (liberté d'établissement) et 49 (liberté de prestation de service) du Traité CE.

En résumé, en l'état actuel de la jurisprudence, la passation d'une convention de délégation de service public de distribution de gaz doit être précédée de la mise en oeuvre d'une procédure de publicité pour être compatible avec le droit communautaire "primaire" (c'est-à-dire avec le Traité CE) et de la mise en oeuvre d'une procédure de publicité et de mise en concurrence pour être compatible avec le droit communautaire "dérivé" (c'est-à-dire avec la Directive du 26 juin 2003).

Précisons cependant que cette Directive, qui a été transposée par la loi n° 2004-803 du 9 août 2004, relative au service public de l'électricité et du gaz, ne peut être invoquée à l'encontre d'une convention de délégation de service public de distribution de gaz que si cette convention a été signée après le 1er juillet 2004. En effet, selon l'article 33 de la Directive 2003/55/CE du 26 juin 2003, la transposition de cette Directive dans le droit des Etats membres devait intervenir, au plus tard, le 1er juillet 2004. En l'absence de transposition en droit français à la date de son jugement, le tribunal administratif de Caen a, ainsi, confronté les dispositions de l'article L. 1411-12 du CGCT aux objectifs de la Directive. Toutefois, il n'a pu effectuer une telle démarche que parce qu'à la date à laquelle avait été signée la convention qui lui était soumise (15 novembre 2004), le délai de transposition de la Directive 2003/55/CE du 26 juin 2003 était expiré. En effet, selon la jurisprudence "Tête" (CE Assemblée, 6 février 1998, n° 138777, Tête et Association de sauvegarde de l'Ouest lyonnais N° Lexbase : A6251ASC, Rec., AJDA 1998 p. 458), le juge administratif ne peut vérifier la conformité des dispositions nationales aux objectifs d'une Directive non transposée que si le délai de transposition de cette Directive en droit interne est expiré, étant précisé que ce moyen, même non invoqué par les parties, nous semble pouvoir être soulevé d'office par le juge (11).

Quoiqu'il en soit, si le jugement du tribunal administratif de Caen venait à être confirmé par le Conseil d'Etat, il y aurait lieu d'introduire dans la loi n° 2004-803 du 9 août 2004 relative au service public de l'électricité et du gaz, qui a transposé la Directive du 26 juin 2003, des dispositions subordonnant le renouvellement des concessions de distribution (et de transport) à des formalités de publicité et de mise en concurrence, les décisions des collectivités locales attribuant unilatéralement des délégations de service public de distribution de gaz s'exposant à la censure du juge administratif sur le fondement des dispositions de l'article 4 de la Directive du 26 juin 2003.

Conclusion
Au total, il est donc possible d'affirmer que toute convention de délégation de service public de distribution de gaz signée après le 1er juillet 2004 doit, au minimum, avoir fait l'objet d'une procédure préalable de publicité pour être compatible avec le droit communautaire.

L'incertitude actuelle réside dans la question de savoir si la passation de ces conventions doit être précédée d'une procédure de mise en concurrence au sens des dispositions de l'article L. 1411-1 du CGCT. En effet, les exigences de la loi "Sapin" (publicité, mise en concurrence, réunion d'une commission pour la sélection des candidatures selon des critères objectifs) sont plus grandes que les exigences actuelles de la CJCE dans sa décision "Coname" (organisation d'une publicité adéquate"). Sans mesures d'uniformisation, deux régimes juridiques seront applicables, l'un issu du droit interne et l'autre issu de la jurisprudence communautaire.

En tout état de cause, il est probable que le régime dérogatoire prévu par les dispositions de l'article L. 1411-12 du CGCT ne pourra bientôt plus s'appliquer à la passation des conventions de délégation de service public de distribution de gaz. Il est également probable que cette passation ne devrait plus longtemps échapper à une véritable procédure de mise en concurrence préalable.

Frédéric Dieu
Commissaire du Gouvernement près le Tribunal administratif de Nice (1ère ch.)


(1) Cf. articles L. 2224-31 à L. 2224-34 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L1925HBW).
(2) Cf. à ce sujet, S. Nicinski et P. Pintat, La libéralisation du secteur gazier, AJDA 2003, p. 223.
(3) G. Bouquet, E. Buttery, Vers la fin du droit de préférence accordé aux concessionnaires de transport et de distribution d'électricité et de gaz, AJDA 2006, p. 964.
(4) "L'expérience acquise avec la mise en oeuvre de cette directive montre les avantages considérables qui peuvent découler du marché intérieur du gaz, en ce qui concerne les gains d'efficacité les réductions de prix, l'amélioration de la qualité du service et l'accroissement de la compétitivité. Cependant, d'importantes lacunes subsistent et il est encore possible d'améliorer le fonctionnement de ce marché, il faut notamment prendre des dispositions concrètes pour assurer des conditions de concurrence équitables et pour réduire le risque de domination du marché et de comportement prédateur" (nous soulignons).
(5) Communication 2000/C 121/02, en date du 29 avril 2000.
(6) CJCE, 21 juillet 2005, aff. C-231/03, Consorzio Aziende Metano c./ Comune di Cingia de Botti (N° Lexbase : A1664DKT), AJDA 2005, p. 1541. Cf. à ce sujet : Distribution du gaz : le droit communautaire peut-il autoriser à déroger au principe de publicité ?, L. Richer, Actualité des Contrats et de la Commande Publique (ACCP), novembre 2005, p. 65.
(7) CJCE, 7 décembre 2000, aff. C-324/98, Telaustria Verlags GmbH et Telefonadress GmbH c./ Telekom Austria AG (N° Lexbase : A1916AWU), Rec. 2000, p. I-10745, § 62.
(8) Notamment, l'impossibilité pour l'entreprise distributrice d'accomplir sa mission d'intérêt général dans des conditions économiquement acceptables. Cf., à cet égard, les conclusions de l'Avocat général Stix-Hackl (12 avril 2005) sous CJCE du 21 juillet 2005, précité et L. Richer, Distribution du gaz : le droit communautaire peut-il autoriser à déroger au principe de publicité ?, ACCP, novembre 2005, p. 65.
(9) TA Caen, 15 novembre 2005, Préfet de l'Orne, n° 0500196, AJDA 2006 p. 267.
(10) Cf. point 5 de l'article 3 de la Directive 2003/55/CE du 26 juin 2003.
(11) Signalons, en effet, que dans un arrêt récent, la cour administrative d'appel de Paris a jugé qu'il incombait au juge national de soulever d'office le moyen tiré de la non-conformité de dispositions législatives ou réglementaires internes à une Directive communautaire qui définit de manière exhaustive et précise un régime juridique (CAA Paris, 1er juin 2005, n° 00PA03825, Julien N° Lexbase : A5537DKB, RJF 2006 n° 1252, DF 27 avril 2006 n° 17-18 comm. n° 368). Or, il nous semble que la Directive 2003/55/CE du 26 juin 2003 définit de manière exhaustive et précise le régime juridique applicable au marché intérieur du gaz.

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Sociétés

[Jurisprudence] La faute détachable des fonctions de dirigeant de société et le manquement à une obligation pénalement sanctionnée

Réf. : CA Rouen, 1ère ch., 29 mars 2006, n° 04/03033, Pierre Navarro c/ SCP Guérin et Diesbecq mandataire liquidateur de SARL Le Midnight (N° Lexbase : A9582DPL)

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par Vincent Téchené, SGR - Droit des affaires

Le 07 Octobre 2010

Dans un arrêt qui aura marqué les esprits des spécialistes du droit des sociétés, la Chambre commerciale de la Cour de cassation (Cass. com., 28 avril 1998, n° 96-10.253, M. Vergnet c/ Société Sogéa N° Lexbase : A2601ACC) a consacré le principe, depuis lors acquis, selon lequel le dirigeant d'une société ne peut voir sa responsabilité civile engagée à l'égard des tiers que s'il a commis une faute détachable de ses fonctions. Les commentateurs de l'époque (voir, notamment, P. Le Cannu, note sous Cass. com., 28 avril 1998, n° 96-10.253, Bull. Joly 1998, p. 808, § 263, et B. Saintourens, Rev. Sociétés 1998, p. 767) se posèrent, alors, la question de savoir ce que la Haute juridiction entendait par "faute détachable". Venant à leur secours, et surtout à celui des dirigeants et de leurs conseils, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a précisé, dans l'arrêt "Sati" du 20 mai 2003 (Cass. com., 20 mai 2003, n° 99-17.092, Mme Nadine c/ Société d'application de techniques de l'industrie (SATI), FSP+B+I N° Lexbase : A1619B9T), que caractérise une faute détachable des fonctions le fait pour le dirigeant de commettre "intentionnellement une faute d'une particulière gravité incompatible avec l'exercice normal des fonctions sociales". C'est dans le cadre de ce contentieux en plein essor, notamment, dans le cadre des infractions au droit des marques, commises par les dirigeants de sociétés, que la cour d'appel de Rouen a jugé, dans un arrêt du 29 mars 2006, que les manquements répétés et volontaires d'un gérant de société à responsabilité limitée à une obligation légale sanctionnée lourdement sur le plan pénal sont constitutifs d'une faute délictuelle civile, détachable de ses fonctions et engageant personnellement sa responsabilité, peu important à cet égard que des poursuites pénales aient été ou non engagées.

En l'espèce, une société exploitant une discothèque n'ayant pas payé les rémunérations dues au titre de l'article L. 214-1 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3442ADT), relatif à la publication des phonogrammes à des fins de commerce, la société civile pour la perception de la rémunération équitable de la communication au public des phonogrammes du commerce (SPRE) a assigné la société contrevenante, ainsi que son gérant, aux fins d'obtenir le paiement dû. La cour d'appel de Rouen estime que le défaut de paiement de la rémunération prévu à l'article L. 214-1 du Code de la propriété intellectuelle constitue un délit prévu par l'article L. 335-4 du même code (N° Lexbase : L4532DYI) que le gérant ne pouvait ignorer, de telle sorte qu'il ne pouvait arguer du caractère non intentionnel de ses agissements. Le gérant de la société exploitant la discothèque a donc commis des fautes d'une particulière gravité, manifestement incompatible avec ses fonctions sociales de gérant.

Les juges du second degré approuvent donc les juges du tribunal de grande instance d'avoir retenu la responsabilité du dirigeant, et le condamnent, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ), à des dommages-intérêts dont le montant est égal au préjudice subi par la SPRE.

Les juges du fond adoptent là une position en parfaite adéquation avec la jurisprudence de la Cour de cassation qui retient la responsabilité du dirigeant fondée sur la commission d'actes de contrefaçon retenant une interprétation extensive de la faute détachable.

A l'appui de cette affirmation, l'on peut citer trois arrêts rendus en moins d'un an par la Cour de cassation. Dans un arrêt de la Chambre commerciale du 7 juillet 2004, la Haute juridiction a, ainsi, estimé que le dirigeant qui a participé de façon active et personnelle à des actes de contrefaçon, dont il a revendiqué la qualité d'initiateur, commet une faute séparable de ses fonctions engageant sa responsabilité personnelle (Cass. com., 7 juillet 2004, n° 02-17.729, FS-D N° Lexbase : A0296DDC).

La même chambre a retenu, le 25 janvier 2005, que constituent des fautes séparables des fonctions de gérant, de nature à engager sa responsabilité, le fait d'avoir commis des actes de contrefaçon de manière délibérée et persistante, pendant plusieurs années, malgré les mises en garde et en dépit des procédures judiciaires engagées (Cass. com., 25 janvier 2005, n° 01-10.740, F-D N° Lexbase : A2815DGD).

C'est dans un contentieux similaire que la première chambre civile de la Cour de cassation s'est ralliée, dans un arrêt du 16 novembre 2004 (Cass. civ. 1, 16 novembre 2004, n° 02-21.615, F-D N° Lexbase : A9326DDR), à la définition de la faute détachable, jusque là uniquement utilisée par sa Chambre commerciale, en retenant que la société avait commis une contrefaçon et que ses dirigeants avaient délibérément persisté dans la violation d'une obligation légale et obstinément refusé sans justification, de se mettre en règle, déduisant de ceci que les juges du fond avaient caractérisé une faute intentionnelle d'une particulière gravité incompatible avec l'exercice des fonctions sociales du dirigeant.

Les juges de Rouen, en jugeant que les manquements répétés et volontaires du gérant à une obligation légale sanctionnée lourdement sur le plan pénal sont constitutifs d'une faute délictuelle civile, détachable de ses fonctions et engageant personnellement sa responsabilité à l'égard des tiers et que ces fautes, d'une particulière gravité sont manifestement incompatibles avec ses fonctions sociales de gérant, s'alignent donc sur les solutions dégagées par la Cour de cassation.

L'on remarque, à la lecture de ces décisions de justice, que les magistrats ne se contentent pas de la constatation de l'existence des éléments propres à caractériser une infraction pénale, mais relèvent, pour les uns, le caractère délibéré et persistant de la manière dont les actes de contrefaçon ont été perpétrés, et pour les autres, des manquements répétés et volontaires à une obligation légale.

Par conséquent, cette jurisprudence nous permet, aujourd'hui, d'affirmer que le caractère répété des actes ayant conduit à la commission d'une infraction et l'intention coupable du dirigeant de la société semblent être essentiels à la qualification de la faute détachable des fonctions.

Les exigences de répétition et d'intentionnalité des faits commis par les dirigeants, pour caractériser leur faute, sont, par ailleurs, à rapprocher de celles posées par le Livre des procédures fiscales, défissant les conditions de la responsabilité solidaire des dirigeants et gérants de sociétés. L'article L. 267 du Livre des procédures fiscales (N° Lexbase : L3699HBM), dispose, à ce titre, que "lorsqu'un dirigeant d'une société [...] est responsable des manoeuvres frauduleuses ou de l'inobservation grave et répétée des obligations fiscales qui ont rendu impossible le recouvrement des impositions et des pénalités dues par la société, [...] ce dirigeant peut, s'il n'est pas déjà tenu au paiement des dettes sociales en application d'une autre disposition, être déclaré solidairement responsable du paiement de ces impositions et pénalités par le président du tribunal de grande instance".  L'on retrouve, donc, en matière fiscale des exigences proches de celles posées par la jurisprudence en matière de droit des sociétés. Il en est, particulièrement ainsi, de la répétition des faits, la Chambre commerciale de la Cour de cassation ayant refusé de retenir la responsabilité du dirigeant pour l'absence d'une seule déclaration de mutation (Cass. com., 19 novembre 2002, n° 99-15.491, F-D N° Lexbase : A0508A4L).

Les solutions, ainsi retenues en matière de droit des sociétés, marquent une évolution dans la notion de faute détachable et démontrent une extension de la responsabilité civile des dirigeants fondée sur la faute détachable.

En effet, dans l'arrêt de la Chambre commerciale du 28 avril 1998 (précité), les magistrats avaient cassé l'arrêt d'appel qui avait retenu la responsabilité du dirigeant, les Hauts magistrats refusant de voir dans le fait pour le dirigeant d'avoir attesté, pour obtenir directement paiement d'une situation par le maître de l'ouvrage, que des marchandises étaient la propriété de la société qu'il dirigeait alors qu'elles avaient été vendues avec réserve de propriété, une faute détachable imputable personnellement au dirigeant. Pour la Cour de cassation, le dirigeant ayant agi pour le compte de la société, l'écran de la personnalité joue et la faute est imputable à la société, et non à son représentant légal.

C'est ce raisonnement qu'a développé l'intimé devant la cour d'appel de Rouen. Il estime que sa responsabilité ne peut être recherchée sur le fondement de l'article 1382 du Code civil que si était établie une faute détachable de sa fonction de gérant, ce qui, pour lui, n'est nullement le cas en l'espèce, puisque la faute alléguée, à savoir le refus de paiement de la rémunération équitable, serait, en toute hypothèse imputable à la SARL.

Mais, pour la cour d'appel, la commission délibérée et persistance d'actes délictueux par le dirigeant, étant des fautes d'une particulière gravité incompatible avec l'exercice normal de ses fonctions sociale, la faute est nécessairement détachable.

Elle précise même "peu important à cet égard que des poursuites pénales aient été ou non engagées à son encontre". Le dirigeant est, donc, condamné civilement, pour avoir commis des faits pénalement condamnables, dans la mesure où de tels faits constituent, nécessairement, une faute détachable de ses fonctions, alors qu'il peut échapper à toute condamnation pénale de ce chef.

Sur ce point, les juges du fond ne sont pas unanimes. Ainsi, la cour d'appel de Rennes (CA Rennes, 1ère ch., sect. A, 16 mars 2004, n° 02/03955, SARL Le Radeau c/ Société SPRE N° Lexbase : A9581DPK), dans un contentieux similaire, relatif au défaut de paiement de la rémunération équitable, visée par l'article L. 214-1 du Code de la propriété intellectuelle a jugé, le 16 mars 2004, que "la seule constatation d'un fait délictuel ou quasi-délictuel n'implique pas nécessairement une faute personnelle du gérant social".

A notre sens, la solution retenue par la cour de Rennes n'est pas dénuée de logique. En effet, la faute du dirigeant relative au non paiement de droits, pénalement sanctionnée, permet au créancier, la SPRE, de recouvrer le paiement de son dû auprès de son débiteur, la société. Il reviendra, alors, à la société ou à ses associés (par le biais de l'action sociale) de poursuivre le gérant, sur la base de la faute de gestion (pour les SARL, C. com., art. L. 223-22 N° Lexbase : L5847AIE), celle-ci étant en l'espèce caractérisée. Tout le monde y trouve, alors son compte : le créancier est payé, la société se fait rembourser les sommes versées au créancier par le dirigeant et celui-ci est sanctionné. Bien sûr, l'intérêt des créanciers reste de multiplier les recours, contre la société et contre son dirigeant, ces derniers semblant porter leurs fruits, puisque la jurisprudence apparaît plutôt encline à retenir la responsabilité des dirigeants pour faute détachable des fonctions.

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