La lettre juridique n°204 du 2 mars 2006

La lettre juridique - Édition n°204

Éditorial

La transparence économique est-elle "incorruptible" ?

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N5207AK3

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction

Le 27 Mars 2014


Ouvrez votre Quotidien à la page des "opinions" (parfois agrémentées de "débats", sans liberté de blâmer...), et vous y trouverez, à coup sûr, l'article d'un éditorialiste fustigeant, tantôt, l'immobilisme et les peurs primales des Français, tantôt, le libéralisme sauvage et carnassier nécessitant, des pouvoirs publics, une contre-Réforme (avant toute Réforme d'ailleurs), sur des accents de patriotisme économique. Bref, entre les Hermès du déclin, et les chantres du sauvetage de la France par l'international (le salut viendra de l'extérieur), on ne peut pas dire que la confiance générale en l'économie du pays règne. On parierait même sur un sentiment de paranoïa (méfiance, orgueil, hypertrophie du Moi, susceptibilité, jugement faux, rigidité du psychisme) du corps social français transfigurant, du même coup, le corps professionnel. Et la loi du 29 janvier 1993, relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, en est l'un des symptômes les plus flamboyants. Le remède annoncé : la transparence à tous les étages de la société ; il faut dire que le scandale outre-atlantique de l'affaire Enron était, et est encore, dans tous les esprits. Moins criards, mais encore plus désastreux furent les déboires comptables et bancaires des sociétés japonaises, au cours de la décennie 90, ayant porté un frein à la légendaire croissance nippone. Ceci expliquant sans doute cela, la France, comme de nombreux Etats occidentaux, se dote progressivement d'un arsenal dédié à la transparence économique dont deux illustrations nous ont été données cette semaine. Mais après avoir consacré la transparence au temple des vertus économiques, la (fameuse) intelligence française aura été de l'encadrer sévèrement, pour que cette vertu ne devienne pas "incorruptible" (souvenir d'une époque où la "transparence" totale était mère de Terreur). D'une part, en permettant à un ou plusieurs actionnaires représentant au moins 5 % du capital social, soit individuellement, soit en se groupant sous quelque forme que ce soit, de poser par écrit au président du conseil d'administration ou au directoire des questions sur une ou plusieurs opérations de gestion de la société, l'article L. 225-231 du Code de commerce répond assurément aux craintes de l'actionnariat quant au devenir "éthique" de son investissement (pensons au développement croissant des investissements socialement responsables ou placements "éthiques"). Mais, en conditionnant la légitimité de ces questions au sérieux et à la précision de la demande, et en rappelant qu'il appartient au juge saisi d'une demande d'expertise formée par un actionnaire invoquant le défaut de communication d'éléments de réponse satisfaisants à ses questions écrites, de rechercher si les éléments de réponse communiqués présentent ou non un caractère satisfaisant, la Cour de cassation encadre cette transparence afin d'éviter toute obstruction systématique à la gestion des affaires courantes, condamnant la "rapportite aiguë". D'autre part, si elle adopte une décision d'autorisation unique pour les systèmes d'alerte professionnelle, la Commission nationale informatique et libertés (Cnil) joue les arbitres entre la loi américaine Sarbanes Oxley (droit commun international ?), imposant aux sociétés françaises filiales de sociétés cotées aux Etats-Unis ou aux sociétés françaises cotées aux Etats-Unis de mettre en place des systèmes d'alerte éthique, et les dérives de délations préjudiciables au bon fonctionnement de l'entreprise, rappelant que l'existence d'alertes anonymes est une réalité qu'il est difficile pour les responsables de l'entreprise de ne pas prendre en compte. Le traitement de telles alertes doit s'entourer de précautions particulières, notamment en ce qui concerne leur diffusion. En tout état de cause, il ne doit pas y avoir d'incitation à l'utilisation anonyme de la procédure. Alors, oui à la transparence, mais elle ne doit pas servir aux "inventeurs méconnus", c'est-à-dire, en matière de paranoïa, à ceux qui doivent s'efforcer de prendre des précautions et de déjouer les complots, pendants des "quérulents processifs" ou procéduriers qui se ruinent en procès. Aussi, réjouissons-nous que de la transparence absolue l'économie française ne joue pas trop, sinon, comme les petits ruisseaux, cette économie s'avèrerait peu profonde (Voltaire). Les éditions juridiques Lexbase vous proposent de revenir sur Les conditions préalables à la nomination d'un expert de gestion, au travers du commentaire comparé de Vincent Téchené, SGR - Droit des sociétés. Par ailleurs, nous vous fixons un nouveau rendez-vous mensuel, animé par le département Communication Média & Technologies du cabinet Clifford Chance, qui sous la plume Marc d'Haultfoeuille, Avocat associé, dressera, régulièrement, un panorama de l'actualité en droit de l'informatique et des médias.

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Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Annulation du plan de sauvegarde de l'emploi : le périmètre de l'obligation de réintégration

Réf. : Cass. soc., 15 février 2006, n° 04-43.282, M. Antoine Baro c/ Société PGA Group, nouvelle dénomination de la société Sonauto, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A8880DMT)

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Le 07 Octobre 2010

La réintégration des salariés ordonnée par le juge consécutivement à l'annulation judiciaire d'un plan social (aujourd'hui appelé "plan de sauvegarde de l'emploi") est une situation rare et très exceptionnelle, d'abord parce que les licenciements économiques collectifs de plus de 10 salariés sur une même période de 30 jours sont très minoritaires parmi les autres formes de licenciement ; ensuite, parce que le juge est très rarement saisi sur la validité d'un plan social (sur la masse générale du contentieux) ; enfin, parce que l'annulation d'un plan social n'est, bien-sûr, pas prononcée systématiquement. Au final, les décisions de réintégration sont rarissimes, ce qui rend l'arrêt rapporté encore plus précieux (et explique probablement qu'il comporte les mentions FS-P+B+R+I). La Cour de cassation comble un vide juridique, jusqu'alors ni tranché par les textes, ni résolu par les juges, relatif au cadre de la réintégration des salariés à la suite de l'annulation du plan social : l'employeur est-il tenu de réintégrer les salariés au sein de l'entreprise stricto sensu ou au sein du groupe ? La Cour de cassation retient ici l'hypothèse basse d'un cadre de réintégration limité à l'entreprise, et non au groupe, alors qu'en amont, avant que les licenciements ne soient prononcés, au stade du reclassement, elle retient une obligation large. En effet, l'obligation de reclassement à la charge de l'employeur est appréciée au niveau du groupe, et non au niveau de l'entreprise.
Décision

Cass. soc., 15 février 2006, n° 04-43.282, M. Antoine Baro c/ Société PGA Group, nouvelle dénomination de la société Sonauto, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A8880DMT)

Cassation (CA Paris, 18ème ch., sect. A, 9 mars 2004 et CA Paris, 18ème ch., sect. A, 21 septembre 2004)

Texte visé : C. trav., art. L. 122-14-4 (N° Lexbase : L8990G74)

Mots-clefs : plan de sauvegarde de l'emploi ; licenciement ; annulation ; réintégration ; domaine ; entreprise ; groupe.

Lien bases :

Résumé

Après annulation d'un licenciement pour nullité du plan de sauvegarde de l'emploi, l'obligation de réintégration résultant de la poursuite alors ordonnée du contrat de travail ne s'étend pas au groupe auquel appartient l'employeur.

Faits et procédure

1. M. Baro a été licencié pour motif économique le 16 avril 1997 par la société Sonauto dans le cadre d'une procédure de licenciement collectif avec mise en oeuvre d'un plan social. La cour d`appel de Paris rend, les 9 mars 2004 et 21 septembre 2004, deux arrêts, relatifs à la réintégration à la suite de l'annulation d'un plan social.

2. L'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris le 9 mars 2004 est un arrêt rendu sur renvoi après cassation (Cass. soc., 12 février 2003, n° 01-40.342, F-D N° Lexbase : A0073A7T).

3. Le premier arrêt ayant déclaré nuls le plan social et le licenciement, mais impossible la réintégration de M. Baro, le second arrêt le révise en ordonnant la réintégration sous astreinte du salarié au sein du groupe PGA Group auquel appartient la société employeur et condamne cette société au paiement des salaires depuis le 18 octobre 1997.

4. Cassation.

Commentaire

1. Conditions de la réintégration

1.1. Réintégration matérielle

La jurisprudence distingue deux hypothèses dans lesquelles se réalise la réintégration ; elle est matériellement possible ou impossible, selon la situation de l'entreprise, la fermeture d'un site, son maintien partiel...

La jurisprudence de la Cour de cassation retient une lecture très restrictive : sauf impossibilité insurmontable, la réintégration du salarié est de droit s'il la demande en cas de nullité du plan social. Ainsi, la Cour de cassation a censuré plusieurs arrêts de cours d'appel qui n'avaient pas fait droit à des demandes de réintégration, au motif que ces arrêts ne caractérisaient pas une impossibilité matérielle absolue de réintégrer un salarié.

Par exemple, ne suffisent pas à caractériser l'impossibilité de réintégrer :

- lorsque la fermeture de l'usine s'accompagne du démantèlement du site (notamment la vente du matériel). Le conseil de prud'hommes de Soisson avait pourtant ordonné la réintégration des salariés, mais la cour d'appel d'Amiens s'y était refusée. Selon la Cour de cassation, l'entreprise ayant disparu, la réintégration demandée dans les seuls emplois que les salariés occupaient dans cette entreprise avant leurs licenciements, était devenue matériellement impossible (Cass. soc., 15 juin 2005, n° 03-48.094, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A6829DIR, lire les obs., de Ch. Radé, Affaire "Wolber" : à l'impossible nul n'est tenu !, Lexbase Hebdo n° 173 du 23 juin 2005 - édition sociale N° Lexbase : N5701AIY) ;

- le fait que l'entreprise a pratiquement cessé son activité sur le site où le salarié était employé et qu'il n'existe aucun emploi correspondant à sa qualification (Cass. soc., 13 décembre 1994, n° 92-42.454, M. Vanderghote c/ Société Entrepose Montalev, publié N° Lexbase : A3909AAZ, Dr. soc. 1995. 513, obs. Cohen) ;

- la cessation de parution des publications auxquelles participait le journaliste licencié, dès lors qu'elle ne rend pas impossible la réintégration dans un emploi équivalent (Cass. soc., 8 juillet 1997, n° 94-43.351, M. de Lestapis c/ Société africaine de presse et d'éditions fusionnées, publié N° Lexbase : A1632ACG), alors pourtant que le licenciement avait été prononcé pour faute grave ;

- le fait que l'entreprise soit dans une situation de crise certaine et grave, ne permettant pas la réintégration en un autre lieu que celui où le poste a été supprimé (Cass. soc., 24 juin 1998, n° 95-44.757, Monsieur Vanderghote c/ Entrepose Montalev, publié N° Lexbase : A5384ACE).

La Cour de cassation a formulé de manière très ferme le principe selon lequel ce n'est que si l'entreprise a disparu, ou s'il existe une impossibilité absolue de réintégration, que l'employeur est libéré de son obligation (1).

Le domaine de cette jurisprudence est large : réintégration de salariés protégés licenciés sans autorisation administrative (Cass. soc., 24 juin 1998, n° 95-44.757, Monsieur Vanderghote c/ Entrepose Montalev, publié N° Lexbase : A5384ACE : "impossibilité absolue" ; Cass. soc., 30 juin 2004, n° 02-41.686, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A8129DC3, lire les obs. de G. Auzero, La mise en disponibilité d'un salarié protégé ne vaut pas réintégration, Lexbase Hebdo n° 129 du 15 juillet 2004 - édition sociale N° Lexbase : N2300ABS), de grévistes (Cass. soc., 2 février 2005, n° 02-45.085, F-P+B N° Lexbase : A6210DG4, lire les obs. de Ch. Radé, Seule une impossibilité matérielle peut s'opposer à la réintégration d'un gréviste illégalement licencié, Lexbase Hebdo n° 155 du 17 février 2005 - édition sociale N° Lexbase : N4618ABN) ou de salariés lorsque le plan social a été annulé (Cass. soc., 25 juin 2003, n° 01-43.717, Société SEPR (Société les éditions de la prévention routière) c/ M. Michel Michelon, FS-P N° Lexbase : A9819C88, lire S. Martin Cuenot, L'annulation du plan social, Lexbase Hebdo n° 79 du 10 juillet 2003 - édition sociale N° Lexbase : N8080AAI).

En revanche, constitue une impossibilité matérielle le fait pour les salariés de s'être rendus coupables de concurrence déloyale (Cass. soc., 25 juin 2003, n° 01-46.479, M. Jean-Marc Masse c/ Société d'édition et de protection route, publié N° Lexbase : A9827C8H, Dr. soc. 2003, p. 1024, obs. P. Waquet).

1.2. Réintégration par compensation financière

Les textes prévoient que lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de son contrat de travail ou lorsque la réintégration est impossible, le tribunal octroie au salarié une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des 12 derniers mois (C. trav., art. L. 122-14-4, al. 1er). Dans les faits, la réintégration étant matériellement impossible dans l'écrasante majorité des cas (les juges se prononçant sur la validité du plan de sauvegarde de l'emploi 2 ou 3 ans après sa mise en oeuvre et le site étant probablement fermé), c'est bien cette voie financière qui sera choisie par les salariés dont le licenciement aura été annulé par le juge, à la suite d'une annulation du plan de sauvegarde de l'emploi, ou si la réintégration s'est avérée impossible.

Les salariés réintégrés après l'annulation de leur licenciement n'ont droit, au titre des salaires perdus, qu'à une indemnité compensant leur perte effective de rémunération, et non à un forfait comprenant l'ensemble des salaires dus (Cass. soc., 3 juillet 2003, n° 01-44.522, FS-P+B+I+R N° Lexbase : A0223C97, lire Ch. Radé, Réintégration du salarié et réparation du préjudice salarial : la jurisprudence retient une solution réaliste, Lexbase Hebdo n° 79 du 10 juillet 2003 - édition sociale N° Lexbase : N8124AA7 ; Cass. soc., 28 octobre 2003, n° 01-40.762, FS-P+B N° Lexbase : N9355AAQ, lire Indemnités issues de la nullité du licenciement du salarié réintégré et allocations chômage : deux revenus non cumulables, Lexbase Hebdo n° 94 du 13 novembre 2003 - édition sociale N° Lexbase : N9355AAQ).

2. Régime de la réintégration

2.1. Régime légal imprécis

Avant la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 (N° Lexbase : L1304AW9), l'article L. 122-14-4 du Code du travail prévoyait simplement que le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse pouvait être sanctionné par une obligation, à la charge de l'employeur, de réintégrer le salarié, avec maintien de ses avantages acquis.

L'article L. 122-14-4, alinéa 1er, du Code du travail (N° Lexbase : L5569ACA) est modifié très sensiblement par la loi de modernisation sociale. Outre le défaut de cause réelle et sérieuse, la réintégration peut être ordonnée dans une nouvelle hypothèse, la nullité du licenciement consécutive à la nullité du plan de sauvegarde de l'emploi. Le tribunal ayant constaté une nullité du licenciement alors que la procédure de licenciement est nulle et de nul effet, dans le cas des licenciements économiques collectifs donnant lieu à mise en place d'un plan de sauvegarde de l'emploi (C. trav., art. L. 321-4-1, al. 5 N° Lexbase : L8926G7Q), il peut prononcer la nullité du licenciement et ordonner, à la demande du salarié, la poursuite de son contrat de travail.

La loi de cohésion sociale du 18 janvier 2005 (art. 77) (N° Lexbase : L6384G49) organise et encadre les conditions de la réintégration, qui n'est pas de droit, lorsqu'elle est devenue impossible, notamment du fait de la fermeture de l'établissement ou du site ou de l'absence d'emploi disponible de nature à permettre la réintégration du salarié (2). Il est clair que la volonté du législateur était d'assouplir les hypothèses dans lesquelles la réintégration est impossible en consacrant des obstacles légaux, dont la liste n'est pas limitative (usage de l'adverbe "notamment") et au titre desquels figurent, désormais, la fermeture de l'établissement ou du site et l'absence d'emploi disponible de nature à permettre la réintégration du salarié.

Le Conseil constitutionnel a validé cette réforme législative (Cons. const., décision n° 2004-509 DC, du 13 janvier 2005, Loi de programmation pour la cohésion sociale N° Lexbase : A9528DEM) (3). En édictant ces dispositions, qui définissent une règle suffisamment claire et précise qu'il appartiendra au juge de mettre en oeuvre, le législateur n'a méconnu ni la compétence qui est la sienne en vertu de l'article 34 de la Constitution (N° Lexbase : L1294A9S), ni l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité de la loi (considérant 27). Le législateur a ainsi opéré entre le droit de chacun d'obtenir un emploi, dont le droit au reclassement de salariés licenciés découle directement, et la liberté d'entreprendre, à laquelle la réintégration de salariés licenciés est susceptible de porter atteinte, une conciliation qui n'est entachée d'aucune erreur manifeste (considérant 28).

Il a été relevé (4) que la loi de cohésion sociale conduit à un infléchissement de la jurisprudence de la Cour de cassation. En effet, si le caractère illustratif des exemples fournis par l'article 77 de la loi du 18 janvier 2005, ainsi que la marge d'interprétation touchant aux expressions utilisées par le législateur, laissent encore une latitude au juge judiciaire, la direction que ce dernier est invité à prendre est nettement indiquée. La volonté du législateur est non de renverser la jurisprudence "La Samaritaine" (Cass. soc., 13 février 1997, n° 96-41.874, Société des Grands Magasins de la Samaritaine c/ Mme Benoist et autre, publié N° Lexbase : A4174AAT) comme cela a été, un moment, la tentation de nombre de parlementaires de la majorité, mais de voir abandonnée la théorie de "l'impossibilité absolue" utilisée par la Chambre sociale.

Cet infléchissement conduit à une conciliation présentée comme acceptable (5) entre, d'une part, cette expression particulière du droit d'obtenir un emploi que constitue le maintien du salarié dans les effectifs d'une entreprise faisant l'objet d'une restructuration et, d'autre part, deux exigences constitutionnelles (liberté d'entreprendre, difficilement dissociable de celle d'embaucher et de licencier ; droit d'obtenir un emploi des personnes dépourvues d'emploi, qui serait amoindri si des solutions législatives ou jurisprudentielles très protectrices pour les salariés en place avaient un effet dissuasif sur les futures décisions de recrutement des petites et moyennes entreprises et des investisseurs étrangers, incitant, par exemple, les entreprises à localiser leurs activités hors de France).

2.2. Emergence d'un régime jurisprudentiel de la réintégration consécutive à l'annulation d'un plan de sauvegarde de l'emploi

La loi ne donne que très peu d'indications sur le cadre de la réintégration qui peut être ordonnée par le juge à la suite de l'annulation du licenciement consécutif à l'annulation elle-même d'un plan de sauvegarde de l'emploi. Il est seulement précisé (C. trav., art. L. 122-14-4, al. 1er) que la réintégration peut être impossible, notamment du fait de la fermeture de l'établissement ou du site.

Mais, comment apprécier l'obligation de réintégration, en dehors de ce cadre de l'établissement ou du site ? Faut-il apprécier le périmètre de la réintégration dans un autre établissement de l'entreprise ou dans une autre entreprise du groupe et de l'unité économique et sociale ?

Jusqu'à présent, la Cour de cassation considérait que l'impossibilité matérielle de réintégrer les salariés dans leur emploi n'interdisait pas de rechercher les possibilités de réintégration soit dans l'établissement (Cass. soc., 30 mars 1999, n° 97-41.013, Association laïque pour l'Education et la formation professionnelle c/ Mme Berthelin et autres, publié N° Lexbase : A4729AGA), soit en dehors de l'établissement, lorsqu'il existe un groupe de personnes morales ou physiques constitutif d'une seule entreprise, ce qui est le cas lorsqu'une unité économique et sociale est reconnue, le périmètre de réintégration s'étendant alors à toutes les personnes juridiques constituant ce groupe (Cass. soc., 16 octobre 2001, n° 99-44.037, FS-P N° Lexbase : A4913AWU, D. 2002, p. 770, obs. E. Peskine).

Dans son arrêt "Wolber", la Cour de cassation avait implicitement confirmé cette jurisprudence (v. analyses de Ch. Radé, préc.). En l'espèce, selon la Cour de cassation, après annulation d'un licenciement pour nullité du plan social/de sauvegarde de l'emploi, l'obligation de réintégration résultant de la poursuite alors ordonnée du contrat de travail ne s'étend pas au groupe auquel appartient l'employeur.

La solution est surprenante, car elle marque une rupture avec l'obligation de reclassement (qui n'est, après tout, qu'une figure inversée, à rebours, de l'obligation de réintégration), laquelle est bien appréciée dans le cadre du groupe, et non de l'entreprise stricto sensu. Depuis 1995, la Cour de cassation admet que les possibilités de reclassement des salariés doivent être recherchées à l'intérieur du groupe parmi les entreprises dont les activités, l'organisation ou le lieu d'exploitation leur permettent d'effectuer la permutation de tout ou partie du personnel (Cass. soc., 5 avril 1995, n° 93-43.866, Société TRW Repa c/ Mme Mabon et autres, publié N° Lexbase : A4026AAD ; Cass. soc., 7 octobre 1998, n° 96-42.812, Société Landis et Gyr Building Control c/ M. Bellanger, publié N° Lexbase : A5643ACY, Dalloz, 1999 n° 21, juris. p. 310, note K. Adom ; Cass. soc., 30 mars 1999, n° 97-40.304, M. Henri Jean Aimetti c/ Société Hudig Lan-geveldt SECA, actuellement société Aon France, inédit N° Lexbase : A3686C7N).

Cette obligation de reclassement est entendue de manière particulièrement extensive, puisque les possibilités de reclassement doivent être recherchées à l'intérieur du groupe parmi les entreprises dont les activités, l'organisation ou le lieu d'exploitation leur permettent d'effectuer la permutation de tout ou partie du personnel, même si certaines de ces entreprises sont situées à l'étranger, dès l'instant où la législation applicable localement n'empêche pas l'emploi de salariés étrangers (instruction DGEFP n° 2006-01du 23 janvier 2006 relative à l'appréciation de propositions de reclassement à l'étranger N° Lexbase : L6137HGE, lire nos obs., (Im)précisions réglementaires sur l'emploi de reclassement à l'étranger, Lexbase Hebdo n° 203 du 23 février 2006 - édition sociale N° Lexbase : N4881AKY).

Un périmètre aussi étroit de la réintégration consécutive à l'annulation des licenciements eux-mêmes consécutifs à l'annulation d'un plan social/de sauvegarde de l'emploi est, enfin, en contradiction avec l'approche très large du périmètre du reclassement, entendu sous la formule du "bassin d`emploi". L'obligation de revitalisation du bassin d'emploi avait été mise en place par l'article 118 de la loi de modernisation sociale (6), et maintenu par la loi de cohésion sociale du 18 janvier 2005.

Lorsqu'une entreprise procède à un licenciement collectif affectant, par son ampleur, l'équilibre de son bassin d'emploi, elle est tenue, sauf en cas de procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, de contribuer à la création d'activités et au développement des emplois et d'atténuer les effets du licenciement envisagé sur les autres entreprises dans le ou les bassins d'emploi. Le montant de la contribution ne peut être inférieur à deux fois le Smic mensuel par emploi supprimé (plafonné à quatre fois ce montant).

Christophe Willmann
Professeur à l'Université de Haute Alsace


(1) Ce qui conduit le doyen Waquet à écrire que, pour éviter une condamnation à réintégrer un salarié sous astreinte, l'employeur doit démontrer une impossibilité "totale et insurmontable" de proposer un nouvel emploi (Dr. soc., novembre 2003, p. 1026).
(2) G. Couturier, L'impossibilité de réintégrer (sur l'article 77-V de la loi de programmation sociale), Dr. soc. 2005, p. 403 ; Ch. Radé, Le droit du travail après la loi du 18 janvier 2005 : la cohésion sociale comme affichage, la flexibilité comme objectif, Lexbase Hebdo n° 152 du 27 janvier 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N4353ABT) ; X. Pretot, De la liberté d'entreprendre au droit à un emploi, ou les bases constitutionnelles du droit du licenciement, Dr. soc. 2005, pp. 371-376.
(3) Les requérants soutenaient qu'en illustrant l'impossibilité de réintégration par une liste non limitative de cas qui ne traduiraient pas nécessairement une réelle impossibilité, le législateur a conféré à cette notion un "sens obscur et contradictoire" et aurait ainsi méconnu sa compétence et le principe de clarté de la loi ; que la disposition contestée, en faisant obstacle à la jurisprudence qui permet la réintégration dans un emploi équivalent, lorsqu'elle est impossible dans le même emploi, porte une atteinte disproportionnée au droit à l'emploi ; que le législateur n'a pas concilié de façon équilibrée le droit de chacun d'obtenir un emploi et la liberté d'entreprendre. Selon le Conseil constitutionnel, il appartiendra au juge, saisi d'une demande en ce sens, s'il constate la nullité de la procédure de licenciement en l'absence du plan de reclassement, d'ordonner la réintégration du salarié, sauf si cette réintégration est devenue impossible. A titre d'illustration d'une telle impossibilité, le législateur a mentionné certains exemples, tels que la fermeture de l'établissement ou du site, ou l'absence d'emploi disponible de nature à permettre la réintégration du salarié (considérant 26).
(4) Cahiers du Conseil constitutionnel n° 18.
(5) Cahiers du Conseil constitutionnel n° 18, préc.
(6) F. de Panafieu et D. Dord, Assemblée nationale, Rapport n° 1930, Tome 1. Depuis l'entrée en vigueur de la loi de modernisation sociale, 51 conventions de redynamisation ont été signées entre l'Etat et des entreprises de plus de 1 000 salariés, dans 29 départements ; une seule convention a une dimension interdépartementale. Le nombre de conventions signées chaque semestre a constamment augmenté : il y a eu 4 conventions en 2002, 14 en 2003, 21 au premier semestre 2004. Durant le deuxième semestre 2004, 7 conventions ont déjà été signées et 93 sont en cours de négociation, dans 50 départements. Sur ces 51 conventions signées, une seule concerne les services, les autres concernant des entreprises industrielles. Dans 68 % des cas, les conventions ont été signées après la fermeture totale d'un site. L'ensemble des conventions couvre 13 120 suppressions d'emplois, soit près de 260 emplois supprimés par convention ; quatre fois sur cinq, le nombre d'emplois supprimés est compris entre 50 et 500. Le contenu des actions prévues par les conventions de redynamisation est très variable : recherche de projets de réindustrialisation ; prêts participatifs à la création ou à la reprise d'entreprise ; vente à prix préférentiel ou don de locaux ou de terrains appartenant à l'entreprise signataire ; aides à l'embauche accordées à des sociétés recrutant des salariés de l'entreprise signataire ; formations offertes aux ex-salariés pour pourvoir des postes proposés par un repreneur, etc. Dans 50 % des cas, il est prévu que les ex-salariés de l'entreprise signataire bénéficient d'une priorité d'embauche pour les emplois créés dans le cadre des actions de reconversion inscrites à la convention.

newsid:85166

Internet - Bulletin d'actualités n° 1

[Panorama] Bulletin d'actualités Clifford Chance - Département Communication Média & Technologies - Janvier 2006 (1ère partie)

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Le 07 Octobre 2010

Tous les mois, Marc d'Haultfoeuille, avocat associé chez Clifford Chance, vous propose de retrouver l'actualité juridique en matière de Communication Média & Technologies. Au sommaire de ce bulletin, l'on peut retenir l'adoption de la loi relative à la lutte contre le terrorisme, l'adoption en première lecture par le Parlement européen de la proposition de Directive relative à la conservation de données, ou encore l'adoption, par le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique d'un avis proposant la mise en place d'un régime juridique propre aux oeuvres multimédias (cf. Bulletin d'actualité Clifford Chance - Département Communication Média & Technologies - Janvier 2006 (2ème partie) N° Lexbase : N5997AKC). I - Communications électroniques

Contenu :

Le Parlement européen a adopté le 14 décembre 2005, en première lecture, la Directive proposée par la Commission européenne. L'objectif de ce texte est d'harmoniser les différentes législations européennes en matière de conservation des données pour la prévention, la recherche, la détection et la poursuite d'infractions graves telles que définies par chaque Etat membre dans leur législation nationale ; seraient principalement concernés le terrorisme et la criminalité organisée.

Aux termes de la Directive, les opérateurs de téléphonie fixe et mobile ainsi que les fournisseurs d'accès à internet seront tenus de conserver les données de localisation pour les appels reçus, y compris pour les appels infructueux, SMS et protocoles internet. Aucune donnée révélant le contenu de la communication ne pourra être conservée au titre de cette Directive.

Les données devraient être conservées pour une période minimale de six mois pouvant être prolongée jusqu'à deux ans. La conservation des données devra être effectuée de manière à éviter qu'elles soient conservées plus d'une fois. Une disposition a été ajoutée par les euro-députés prévoyant des sanctions pénales "effectives, proportionnées et dissuasives" pour les opérateurs qui auraient manqué, délibérément ou par négligence, à leurs obligations de stockage et de protection des informations.

Seules les autorités compétentes désignées par les Etats membres seraient autorisées à accéder aux données conservées par les opérateurs de téléphonie et les fournisseurs d'accès à internet. L'accès aux données devrait, de plus, être accordé au cas par cas et dans un but précis. Les autorités ne devraient donc pas être en mesure d'accéder à l'intégralité de la base.

Enfin, la durée de conservation pourra être prolongée pour une période limitée, sur autorisation de la Commission, si un Etat membre justifie de circonstances particulières. La Commission pourra approuver ou rejeter les mesures nationales concernées dans un délai de six mois suivant la notification de la part de l'Etat membre.

Commentaire :

L'adoption d'un compromis sur ce texte a été accélérée par la présidence britannique à la suite des attentats de Londres.

Il convient de noter que la mise en conformité avec les dispositions de la Directive devrait être coûteuse pour les opérateurs de téléphonie et les fournisseurs d'accès à internet. A titre d'exemple, actuellement, les opérateurs de téléphonie n'enregistrent pas les appels manqués. Pour le faire, ils doivent recourir à de nouvelles technologies exigeant des investissements coûteux. Cependant, les euro-députés ont retiré du texte de la Directive le paragraphe prévoyant que soient entièrement remboursés des frais engagés à cette occasion par les autorités compétentes des Etats membres.

Le texte doit encore être approuvé par le Conseil des ministres avant sa publication au Journal officiel de l'Union européenne.

II - Données personnelles

  • Le 8 décembre 2005, la Commission Nationale Informatique et Libertés (CNIL) a adopté une décision d'autorisation unique pour les systèmes d'alerte professionnelle (Délibération n° 2005-305 du 8 décembre 2005, portant autorisation unique de traitements automatisés de données à caractère personnel mis en oeuvre dans le cadre de dispositifs d'alerte professionnelle N° Lexbase : X6007ADT)

Contenu :

Les dispositifs d'alerte professionnelle sont des systèmes mis à la disposition des employés d'un organisme public ou privé pour les inciter, en complément des modes normaux d'alerte sur les dysfonctionnements de l'organisme, à signaler à leur employeur des comportements qu'ils estiment contraires aux règles applicables.

A la suite de l'adoption, le 10 novembre 2005, d'un document d'orientation établissant les conditions de conformité des dispositifs d'alerte professionnelle avec la loi "Informatique et Libertés" (N° Lexbase : L8794AGS), la Commission nationale informatique et libertés (CNIL) a adopté une décision d'autorisation unique pour ces dispositifs par une délibération en date du 8 décembre 2005.

Sont soumis à cette autorisation les traitements mis en oeuvre par les organismes publics ou privés dans le cadre d'un dispositif d'alerte professionnelle répondant à une obligation législative ou réglementaire de droit français visant à l'établissement de procédures de contrôle interne dans les domaines financier, comptable, bancaire et de la lutte contre la corruption. Les traitements mis en oeuvre dans les domaines comptable et de l'audit par la loi américaine Sarbanes Oxley entrent dans le champ d'application de la décision.

La CNIL précise aussi les catégories de données à caractère personnel pouvant être enregistrées, la durée de conservation de ces données, ainsi que les informations devant être données aux utilisateurs potentiels du dispositif mais aussi aux personnes faisant l'objet d'une alerte professionnelle.

Les entreprises mettant en oeuvre un dispositif d'alerte professionnelle doivent ainsi simplement remettre à la CNIL un engagement de conformité à la décision. Dès réception du récépissé de la CNIL, les entreprises pourront mettre en oeuvre leur dispositif.

Cette décision vaut également, sous certaines conditions, autorisation de transfert des données à l'extérieur de l'Union européenne.

Commentaire :

Dans le contexte de la loi américaine Sarbanes Oxley, des sociétés françaises filiales de sociétés cotées aux Etats-Unis ou des sociétés françaises cotées aux Etats-Unis avaient mis en place des systèmes d'alerte éthique permettant aux employés de faire état de leurs inquiétudes quant à une comptabilité ou un audit douteux sous couvert d'anonymat.

Le 26 mai 2005, la CNIL a refusé d'autoriser deux projets de système d'alerte professionnelle au regard de la loi "Informatique et Libertés".

De plus, le 15 septembre 2005, le tribunal de grande instance de Libourne a ordonné en référé des mesures conservatoires à une société afin de faire cesser le risque d'un dommage potentiel imminent créé par des notes de services instituant une procédure d'alerte éthique (TGI de Libourne, 15 septembre 2005, n° 05/00143, CE BSN Glasspack c/ SAS BSN Glasspack N° Lexbase : A7227DMM).

Consciente des difficultés suscitées par ces décisions pour l'application de la loi Sarbanes Oxley par les filiales françaises de sociétés cotées aux Etats-Unis ou par les sociétés françaises cotées aux Etats-Unis, la CNIL a entamé un large processus d'information et de discussion sur ces questions avec les autorités américaines et européennes compétentes, ainsi qu'avec les représentants d'entreprises, les syndicats et divers experts. Cette décision d'autorisation unique de système d'alerte professionnelle devrait ainsi faciliter la mise en conformité des entreprises avec leurs obligations légales ainsi que leurs formalités de déclaration.

Dans l'hypothèse où un dispositif d'alerte professionnelle sortirait du cadre fixé par la décision d'autorisation unique, l'entreprise devra adresser un dossier complet de déclaration normale qui fera l'objet d'un examen de la CNIL dans les deux mois de son dépôt sur le fondement de l'article 23 de la loi "Informatique et Libertés" (N° Lexbase : L5612GTZ).

III - Droits d'auteur

Contenu :

Face à un cadre juridique actuel ne garantissant ni les droits des auteurs ni la sécurité juridique des investisseurs du fait de son incertitude, le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique propose, dans son avis du 7 décembre 2005, la mise en place d'un régime unitaire propre aux oeuvres multimédias.

Le Conseil se donne pour objectif de concilier les intérêts des auteurs et des investisseurs par la création d'un nouveau statut qui serait cumulable avec les statuts propres à chacune des composantes de l'oeuvre multimédia et qui aurait vocation à s'appliquer à l'ensemble des oeuvres multimédia.

Malgré le manque d'unanimité sur ce point, il faut noter que le Conseil propose que le statut de l'oeuvre multimédia soit d'ordre public, afin de pouvoir remédier à l'insécurité juridique actuelle.

La définition de l'oeuvre multimédia, sur tout type de support ou par tout mode de communication, est donnée à travers l'énoncé de critères cumulatifs qui sont :

- la réunion d'éléments de genres différents ;
- l'interactivité pour celui qui utilise l'oeuvre ;
- le fait d'avoir une identité propre, différente de celles des éléments qui la composent et de la simple somme de ces éléments et enfin le fait que la structure et l'accès à l'oeuvre multimédia soient régis par un programme informatique.

L'identification des auteurs serait facilitée par l'instauration d'un régime de présomption simple de la qualité d'auteur de l'oeuvre multimédia, au bénéfice des contributeurs dont l'apport revêt un caractère déterminant pour l'identité de l'oeuvre regardée comme un tout.

Le caractère déterminant de l'apport s'entend pour le Conseil, de la participation à quatre fonctions qui sont la fonction de réalisation, de création du scénario interactif, de conception graphique et de création de la composition musicale spécialement réalisée pour l'oeuvre multimédia.

Le Conseil considère, ensuite, que si l'auteur personne physique demeure le titulaire originel des droits patrimoniaux, la transmission de ceux-ci à l'exploitant devrait être sécurisée par une présomption simple de cession.

La présomption de cession s'appliquerait aux contributeurs déterminants de l'oeuvre multimédia ainsi qu'aux contributeurs non déterminants qui n'ont pas la qualité d'auteur de l'oeuvre considérée comme un tout, mais qui sont néanmoins les auteurs d'une contribution spécialement créée pour cette oeuvre. Le bénéficiaire de la présomption de cession serait l'opérateur qui prend l'initiative et la responsabilité de la création de l'oeuvre multimédia.

La cession, de caractère exclusif, porterait sur l'exploitation principale de l'oeuvre dans son domaine d'origine, le multimédia, ainsi que sur ses exploitations hors du domaine du multimédia qui constituent l'accessoire nécessaire (indispensable) de l'exploitation principale.

Le fait générateur de la présomption serait un contrat écrit, mentionnant au minimum l'existence de la présomption de cession et son périmètre, ainsi que la rémunération de l'auteur ; ce contrat pouvant viser toutes les oeuvres que l'auteur est susceptible de réaliser dans le cadre de ses fonctions. En présence d'un tel contrat, la présomption de cession pourrait jouer pour tous les droits patrimoniaux qu'elle concerne.

En ce qui concerne la rémunération des auteurs, le droit moral et la copie privée, le Conseil considère que l'oeuvre multimédia ne nécessite pas qu'il soit dérogé aux règles du droit commun de la propriété littéraire et artistique qui régiront donc ces différents points.

Commentaire :

L'avis du 7 décembre 2005 a été rendu par le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique à la suite de sa saisine par le ministre de la Culture et de la Communication sur la question des moyens juridiques propres à améliorer la place des créateurs des oeuvres multimédias sur le plan national et international.

Dans la situation actuelle, l'oeuvre multimédia ne peut être rattachée à aucune des catégories définies par le Code de la propriété intellectuelle, que ce soit par référence à la nature même de l'oeuvre ou à son processus de création. La pratique contractuelle a donc conduit à qualifier l'oeuvre en fonction du but recherché par les parties, créant une multitude de qualifications possibles, ayant parfois peu de rapport avec les caractéristiques de l'oeuvre.

L'objectif de la proposition du Conseil est donc de regrouper la diversité des oeuvres multimédias en un cadre juridique unitaire, permettant de garantir les droits des auteurs ainsi que la sécurité juridique des exploitants des oeuvres.

Pour garantir cette unité de statut, le Conseil requiert que celui-ci soit cumulable avec les statuts propres à chacune des composantes de l'oeuvre multimédia, mais que l'oeuvre en tant que tout, ne puisse se cumuler avec un autre statut. Ce statut unique aurait alors vocation à s'appliquer à l'ensemble des oeuvres multimédias et serait d'ordre public, afin de garantir l'effectivité de l'objectif d'unité et de remédier à l'insécurité juridique actuelle.

Le Conseil propose de renforcer les droits des auteurs d'oeuvres multimédias par une présomption simple d'auteur concernant les contributeurs déterminants de la création de l'oeuvre.

Enfin, ayant conscience de la diversité des secteurs susceptibles d'être impactés par la mise en place du statut de l'oeuvre multimédia, le Conseil invite les organisations professionnelles concernées à "poursuivre l'évaluation des particularités et des besoins spécifiques à leur secteur, afin que le statut de l'oeuvre multimédia puisse comporter les adaptations nécessaires, élaborées notamment par voie de conventions sectorielles".

  • Dans un arrêt du 13 décembre 2005, la Cour de Cassation confirme que les fonctionnalités d'un logiciel ne bénéficient pas, en tant que telles, de la protection du droit d'auteur dès lors qu'elles ne correspondent qu'à une idée (Cass. civ. 1, 13 décembre 2005, n° 03-21.154, F-P+B N° Lexbase : A0343DMN)

Faits :

La société canadienne Softimage Inc. (devenue la société Softimage Co.) a conclu un contrat avec la société Syn'x lui permettant d'intégrer et de développer au sein d'un logiciel qu'elle exploite, sous la dénomination Créative Environnement, les fonctions du logiciel d'assistance à la création d'images animées, dénommé Character, le 1er juin 1992. Ce contrat a été dénoncé le 15 novembre 1994 avec effet le 8 mars 1995.

La société Syn'x a assigné la société Softimage Inc. en contrefaçon et en concurrence déloyale et parasitaire car les auteurs du logiciel Character considéraient que la nouvelle version du logiciel 3D de la société Softimage Inc. commercialisée en France constituait la contrefaçon du logiciel Character.

La cour d'appel de Versailles, dans un arrêt rendu le 9 octobre 2003, a rejeté l'action en contrefaçon et a, toutefois, condamné la société Softimage Co. à payer aux auteurs du logiciel Character des dommages-intérêts au titre du parasitisme (CA Versailles, 12ème ch., sect. 2, 9 octobre 2003, n° 01/07525, SARL Microsoft France c/ Monsieur Raymond PERRIN N° Lexbase : A1107DBM).

La société Syn'x ainsi que les auteurs dudit logiciel se sont pourvus en cassation.

Décision :

La Cour de Cassation rejette le pourvoi.

Elle confirme ainsi que les fonctionnalités d'un logiciel, définies comme la mise en oeuvre de la capacité de celui-ci à effectuer une tâche précise ou à obtenir un résultat déterminé, ne "bénéficient pas, en tant que telles, de la protection du droit d'auteur dès lors qu'elles ne correspondent qu'à une idée".

La Cour constate, en effet, que bien que les résultats recherchés soient identiques, il n'existe aucune similitude de forme entre les deux logiciels permettant de conclure à la contrefaçon. Elle confirme, cependant, qu'en utilisant le travail de recherche des auteurs du logiciel Character, la société Softimage Inc. avait bien détourné un savoir-faire constitutif d'un acte de parasitisme rendu possible grâce aux relations contractuelles qu'elle avait dénoncées.

Commentaire :

Cette décision de la Cour de Cassation permet de rappeler que si la composition du logiciel, c'est-à-dire la structure, l'architecture et l'enchaînement des programmes, est protégeable au titre du droit d'auteur, les fonctions et fonctionnalités sont exclues de cette protection. Leur traitement pourra, cependant, être protégé à condition d'être original. Par ailleurs, rappelons que ne sont pas protégeables au titre du droit d'auteur, les principes et algorithmes qui sont à la base des éléments du logiciel.

Ainsi, le détournement du travail de conception sera sanctionné sur le seul fondement du parasitisme ou de la concurrence déloyale.

IV - Droit des marques

  • Le signe dénominatif "Application Service Providers - ASP" est considéré comme dénué de distinctivité car il désigne nécessairement les services et produits pour lesquels il a été déposé comme marque (CA Versailles, 12eme ch., sect. B, 10 mars 2005, n° 2003-07818, SARL Faits et Chiffres c/ SA Fairwell N° Lexbase : A0911DLC)

Faits :

La société Faits et Chiffres, dont l'activité consiste en la création, l'organisation et l'exploitation d'expositions et de salons, a déposé, le 14 octobre 1999 à l'Institut National de la Propriété Intellectuelle (INPI), la marque "Application Service Providers - ASP" en classes 35, 38, 41 et 42 pour désigner, notamment, des services d'organisation d'exposition à buts commerciaux ou de publicité, la gestion de fichiers informatiques, des services de télécommunications, de messageries électroniques par réseaux internet. Elle organise depuis 2000 un salon intitulé ASP.

La société Fairwell, exerçant une activité concurrente de celle de la société Faits et Chiffres, a organisé en novembre 2001 un salon également intitulé ASP. La société Faits et Chiffres a alors assigné cette dernière en contrefaçon de marque et en concurrence déloyale.

Dans un jugement rendu le 22 septembre 2003, le tribunal de grande instance de Nanterre a considéré que les termes "Application Service Providers" et l'acronyme ASP étaient couramment utilisés en France pour désigner la fourniture d'applications hébergées et qu'ils représentaient la désignation nécessaire de ce produit. Le tribunal a ainsi prononcé la nullité de la marque estimant que les signes la composant étaient descriptifs des produits et services désignés dans le dépôt.

La société Faits et Chiffres a interjeté appel du jugement considérant, au contraire, que la marque ASP est parfaitement distinctive car elle désigne des services d'organisation à buts commerciaux ou de publicité et, qu'à la date du dépôt, ce signe était totalement arbitraire même s'il est devenu par la suite d'usage courant. Partant, la société Fairwell se serait rendue coupable de contrefaçon de marque et d'actes de concurrence déloyale en proposant un salon concurrent avec le même intitulé moins de deux mois après le sien et dans le même lieu d'exposition.

Décision :

Au visa de l'article L. 711-2 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3711ADS), la cour d'appel de Versailles confirme le jugement du TGI de Nanterre.

La cour considère que le vocable "Application Service Providers - ASP" fait partie du langage courant en France depuis 1998 au vu d'attestations remises par des professionnels de l'informatique. De plus, la cour constate que la clientèle de la société Faits et Chiffres est une clientèle de professionnels habituée à utiliser cette expression technique d'origine américaine et que l'acronyme ASP était uniquement utilisé pour un salon rassemblant les prestataires ASP. Elle en conclut alors que le signe "Application Service Providers - ASP" est dénué de toute distinctivité car il désigne nécessairement les services et produits pour lesquels il a été déposé comme marque.

Commentaire :

Le signe dénominatif "Application Service Providers - ASP" appartient au domaine public. Le dépôt de cette marque constitue ainsi, selon la cour d'appel de Versailles, une fraude qui a pour but d'empêcher l'usage commun de cette expression par des concurrents qui "pour parler de fournisseurs d'application hébergés seraient contraints d'utiliser des mots ne correspondants pas à la définition du produit".

Pour le 2ème partie de ce Bulletin, lire (N° Lexbase : N5997AKC)

Marc d'Haultfoeuille
Avocat associé
Département Communication Média & Technologies
Cabinet Clifford Chance

newsid:85029

Internet - Bulletin d'actualités n° 1

[Panorama] Bulletin d'actualités Clifford Chance - Département Communication Média & Technologies - Janvier 2006 (2ème partie)

Lecture: 11 min

N5997AKC

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Le 07 Octobre 2010

Tous les mois, Marc d'Haultfoeuille, avocat associé chez Clifford Chance, vous propose de retrouver l'actualité juridique en matière de Communication Média & Technologies. Au sommaire de ce bulletin, l'on peut retenir l'adoption de la loi relative à la lutte contre le terrorisme, l'adoption en première lecture par le Parlement européen de la proposition de Directive relative à la conservation de données, ou encore l'adoption, par le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique d'un avis proposant la mise en place d'un régime juridique propre aux oeuvres multimédias (cf. Bulletin d'actualité Clifford Chance - Département Communication Média & Technologies - Janvier 2006 (1ère partie) N° Lexbase : N5029AKH).

V - Informatique
  • La cour d'appel de Lyon rappelle, dans un arrêt du 26 mai 2005, que le fournisseur d'une solution informatique est soumis à une obligation de conseil et d'information auprès de l'utilisateur ainsi qu'à une obligation renforcée d'éclairer son co-contractant profane (CA Lyon, 26 mai 2005, n° 03/06906, SARL Kilove Location c/ SA CEGID N° Lexbase : A2042DNX)

Faits :

A la suite de la signature d'un contrat de location pour quatre ans, la SA CEGID, fournisseur de solutions informatiques, a livré des matériels informatiques et deux logiciels à la SARL Kilove Location dont l'activité consiste en la location de véhicules utilitaires et d'engins spécifiques. La SA CEGID s'est aussi engagée à fournir des prestations d'assistance et de formation du personnel à cette même société par des contrats annexes. Considérant la solution informatique livrée impropre aux besoins de son activité, la SARL Kilove Location a fait désigner, par ordonnance de référé, un expert et a assigné la SA CEGID en résolution du contrat de location/fourniture.

Dans un jugement rendu le 24 octobre 2003, le tribunal de commerce de Lyon, a débouté la demanderesse au motif que la "solution informatique acquise s'analysait en un progiciel, donc standard, et que la SA CEGID n'était tenue que d'une obligation de moyens" et l'a condamné à payer à cette dernière le montant des factures pour la formation du personnel de Kilove Location.

La SARL Kilove Location a interjeté appel.

Décision :

La cour d'appel de Lyon infirme le jugement du tribunal de commerce de Lyon.

La cour relève dans le rapport d'expertise judiciaire, que le logiciel générique fourni ne traite pas des problématiques pour lesquelles la SARL Kilove Location avait entendu migrer du simple système de facturation en place vers un système intégré de gestion.

La cour considère que la SA CEGID "s'est contentée de fournir un logiciel standard [...] sans se préoccuper de savoir s'il répondait aux besoins de la SARL Kilove Location". Ainsi, la Cour estime que la SA CEGID a manqué à son obligation de moyens d'informer et de conseiller son client en s'abstenant de toute étude quant aux besoins de celui -ci et/ou en s'abstenant de les définir avec son concours en l'aidant à les exprimer.

Commentaire :

Dans un attendu de principe, la cour d'appel de Lyon considère que, dans le cadre d'un contrat informatique clé en main, "il pèse sur le fournisseur d'une solution informatique ou d'un ensemble informatique une obligation de conseil et d'information de l'utilisateur et également une obligation renforcée d'éclairer son cocontractant profane dans son choix et notamment en se renseignant au préalable sur les besoins exacts de l'utilisateur et, si nécessaire, en les lui faisant préciser dans un cahier des charges ou tout autre document par lequel il s'évince que le fournisseur a pris l'exacte mesure des besoins de l'utilisateur".

Cette décision rappelle une jurisprudence constante soulignant l'importance de l'obligation de conseil du professionnel en informatique. Le fournisseur d'une solution informatique doit donc être en mesure de prouver qu'il a effectué une étude sur les besoins précis de son client (même dans le cas de la fourniture d'un progiciel) et qu'il a sollicité de ce dernier des informations afin de prendre l'exacte mesure de ses besoins.

VI - Internet

  • Communiqué du ministère de la Culture et de la Communication annonçant la signature d'un protocole d'accord sur le cinéma à la demande entre les professionnels du cinéma, les fournisseurs d'accès internet, Canal + et France, Télévisions 20 décembre 2005

Contenu :

La vidéo à la demande (VOD) a enfin trouvé un cadre légal.

L'accord signé, le 20 décembre 2005, par les fournisseurs d'accès internet, les professionnels du cinéma, Canal + et France Télévisions va permettre aux internautes de visionner des films 33 semaines (environ huit mois et demi) après leur sortie en salle en France.

Les prestataires VOD devront, quant à eux, cofinancer la production audiovisuelle française et européenne.

Les films pourront être téléchargés de manière définitive ou provisoire. Par ailleurs, des formules à la carte ou des offres groupées ainsi que des abonnements seront également proposés aux internautes. Cependant, en ce qui concerne les abonnements, les internautes ne pourront pas visionner plus de quinze films par mois et ne seront concernés que les films sortis depuis plus de 36 mois.

Le communiqué du Ministre de la Culture et de la Communication présente cet accord interprofessionnel comme une arme, s'alliant au concept de "riposte graduée", pour lutter contre le piratage des oeuvres sur internet.

L'accord ne porte ni sur les prix des offres de VOD, ni sur la rémunération des ayants-droits.

L'accord est valable un an.

Commentaire :

Cet accord est intervenu après plus d'un an de négociations. Les négociations avaient surtout rencontré des difficultés quant à la détermination du délai de diffusion d'un film après sa sortie en salle. Les professionnels du cinéma proposaient un délai entre neuf et douze mois, alors que les fournisseurs d'accès à internet plaidaient pour un délai de six mois.

Finalement, la diffusion des films en ligne sur les plates-formes légales VOD interviendra 33 semaines après leur sortie en salle et s'insèrera dans la chronologie des médias entre la location et la vente de vidéos (6 mois après la sortie en salle) et le pay per view (9 mois après la sortie en salle).

Mais surtout, cet accord est intervenu quelques heures avant que l'Assemblée nationale ne commence à examiner le projet de loi sur le droit d'auteur et les droits voisins dans la société de l'information (DADVSI). Cet accord était nécessaire au ministre de la Culture et de la Communication, Renaud Donnedieu de Vabres, pour présenter le concept de "riposte graduée" prévu par le projet de loi DADVSI contre le téléchargement illégal de fichiers sur les réseaux peer to peer. Ce concept consiste en l'envoi d'avertissements aux internautes téléchargeant des fichiers sur ces réseaux. Des sanctions plus fortes ne seront prises que si les internautes avertis ne tiennent pas compte de ces avertissements. L'examen du projet de loi DADVSI par l'Assemblée nationale a été suspendu le 22 décembre 2005 et reprendra, en principe, entre le 6 et le 20 février 2006.

Un comité de suivi est chargé de contrôler l'application de cet accord.

L'accord, valable un an, devrait être renégocié trois mois avant son terme.

  • Le Conseil Constitutionnel, par une décision du 19 janvier 2006, a validé les grandes lignes de la loi relative à la lutte contre le terrorisme adoptée le 22 décembre 2005 (Cons. const., décision n° 2005-532 DC, du 19 janvier 2006, loi relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers N° Lexbase : A3803DMS)

Contenu :

A la suite de l'adoption du projet loi relative à la lutte anti-terrorisme (devenu loi n° 2006-64, 23 janvier 2006, relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers N° Lexbase : L4643HG3), le 22 décembre 2005 par l'Assemblée nationale et le Sénat, plus de soixante sénateurs avaient saisi le Conseil Constitutionnel.

Ces derniers contestaient la constitutionalité des articles 6 et 8 de cette loi, portant respectivement sur la réquisition administrative des "données de trafic" auprès d'opérateurs de communications électroniques et, sur la photographie automatique des véhicules et de leurs occupants sur certains axes routiers ainsi que l'enregistrement provisoire de ces photographies aux fins de rapprochement avec les fichiers de véhicules volés ou signalés.

Il est, ainsi, reproché à la procédure de l'article 6 d'être destinée à la fois à la prévention et à la répression des actes de terrorisme par l'autorité administrative, sans surveillance de l'autorité judiciaire, et, par conséquent, de méconnaître la liberté individuelle, la vie privée ainsi que le principe de séparation des pouvoirs.

Le Conseil Constitutionnel a jugé cet article conforme à la Constitution mais a, toutefois, déclaré les mots "et de réprimer" contraires à la Constitution sur le fondement du principe de séparation des pouvoirs figurant à l'article 16 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 (N° Lexbase : L1363A9D). En prenant connaissance d'un crime ou d'un délit, l'autorité administrative est, en effet, tenue d'en informer l'autorité judiciaire.

Quant à l'article 8, le Conseil n'a pas considéré qu'il portait atteinte à la liberté d'aller et de venir ainsi qu'au respect de la vie privée.

Commentaire :

Le Conseil Constitutionnel a, ainsi, jugé que la majorité des dispositions prévues par le projet de loi adopté le 22 décembre 2005 étaient conformes à la Constitution.

Rappelons que l'article 6 du projet de loi avait pour objet d'insérer dans le Code des postes et des communications électroniques une disposition concernant la conservation des données par les opérateurs de télécommunications, mais aussi par les cybercafés, et permettant un accès à ces données par des agents de police et de gendarmerie nationales.

L'absence d'autorisation judiciaire pour l'accès aux données de trafic n'a donc pas été jugée contraire à la Constitution dès lors que "les personnes ayant un intérêt à agir ne sont pas privées par la disposition critiquée des garanties juridictionnelles de droit commun dont sont assorties les mesures de police administrative". En revanche, les données ne peuvent être conservées que dans un but de prévention des actes de terrorisme, et non pas de répression.

La loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006, publiée au Journal officiel du 24 janvier 2006, est à présent en vigueur. Le décret d'application est maintenant attendu.

  • Le 8 novembre 2005, la responsabilité du webmaster d'un forum de discussion n'a pas été retenue par le tribunal de grande instance de Melun dès lors qu'il a été diligent (TGI de Melun, 8 novembre 2005, M. M. c/ Mme B. N° Lexbase : A4748DN8)

Faits :

Madame B. a créé un site internet comprenant un forum de discussion.

MM. M. et C., tous deux inscrits sur ce site, ont reçu en novembre 2003, à leur adresse e-mail, des messages insultants et outrageants.

Ils ont alors attrait devant le tribunal de grande instance de Melun, Madame B. et Monsieur B., pris respectivement en leur qualité de webmaster et de co-webmaster du site incriminé.

Se fondant sur les dispositions de l'article 6.2 de la loi du 21 juin 2004 (loi n°2004-575, 21 juin 2004, pour la confiance dans l'économie numérique, art. 6 N° Lexbase : L2655DZD) et des articles 1382 (N° Lexbase : L1488ABQ) et 1383 (N° Lexbase : L1489ABR) du Code civil, les deux demandeurs cherchent à engager la responsabilité de Madame B. en qualité de propriétaire du site pour les injures et diffamations subies et, notamment, pour ne pas avoir utilement surveillé le site et exercé ses prérogatives de modérateur.

Décision :

Tout d'abord, le tribunal de grande instance de Melun considère que l'article 6.2 de la loi du 21 juin 2004 met à la charge des personnes mettant en ligne des écrits, une obligation de diligence et écarte, ainsi, la possibilité de rechercher la responsabilité civile de droit commun de Mme B. pour le contenu des messages sur ce fondement.

Ensuite, constatant que les propos pouvaient manifestement constituer des injures publiques ou à porter atteinte à l'honneur de MM. M. et C., le tribunal refuse de rechercher la responsabilité civile de droit commun, qui ne peut être invoquée en matière de presse ou de communication audiovisuelle que pour des faits étrangers au domaine d'application de la loi du 29 juillet 1881 (N° Lexbase : L7589AIW) et pour obtenir réparation des dommages dont le fait générateur n'entre pas dans les prévisions de cette loi.

Enfin, le tribunal écarte des débats un constat d'huissier des pages du forum de discussion qui, n'étant pas accessibles à tous, constituent un lieu privé ouvert au public. L'huissier, s'il a bien décliné son identité, a procédé sans préciser sa qualité et sans autorisation judiciaire.

Par conséquent, les demandeurs se trouvent déboutés de leurs prétentions.

Commentaire :

Cette décision permet de rappeler que la loi pour la confiance dans l'économie numérique du 21 juin 2004 (loi n° 2004-575 N° Lexbase : L2600DZC) ne soumet pas les personnes physiques mettant en ligne et à la disposition du public des écrits à une obligation générale de surveillance. Elles sont donc soumises à une obligation de diligence consistant à retirer toute donnée illicite dès qu'elles en ont eu connaissance.

Ce jugement présente, également, un intérêt eu égard à la définition qu'il donne des forums de discussion, ceux-ci ne constituant, pour le TGI de Melun, "ni un lieu public, ni un lieu privé mais un lieu privé ouvert au public". Cette qualité implique donc qu'un constat d'huissier ne peut avoir lieu sur ces pages qu'avec une autorisation préalable du juge et que l'huissier doit préciser son identité et sa qualité au moment où il procède au constat.

  • La proposition de Règlement du Parlement européen et du Conseil sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I) précise le sort des conflits de lois en matière de contrats internet de consommation (proposition de Règlement du Parlement européen et du Conseil, 15 décembre 2005)

Contenu :

Le principe énoncé dans la proposition de Règlement communautaire relatif à la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I) est que "la liberté des parties de choisir le droit applicable doit constituer la clé de voûte du système de règles de conflit de lois en matière d'obligations contractuelles".

Néanmoins, dans un souci de renforcement de la prévisibilité juridique, il est précisé qu'en l'absence de choix émanant des parties au contrat, la loi applicable sera celle de la résidence habituelle de celui qui fournit la prestation caractéristique. Cependant, en matière de contrats de consommation, c'est la loi de la résidence habituelle du consommateur qui sera appliquée.

Pour que cette règle supplétive soit applicable, il faut cependant que le "contrat ait été conclu avec un professionnel qui exerce des activités commerciales ou professionnelles dans l'Etat membre de la résidence habituelle du consommateur". Toutefois, la Commission précise dans son exposé des motifs que pour les contrats conclus à distance, à savoir principalement les contrats internet de consommation, "le simple fait qu'un site internet soit accessible ne suffit pas à rendre la règle applicable, encore faut -il que ce site internet invite à la conclusion de contrats à distance et qu'un contrat ait effectivement été conclu à distance, par tout moyen".

S'il n'est plus exigé pour les contrats conclus par internet que le consommateur ait accompli les actes nécessaires à la conclusion du contrat dans le pays de sa résidence habituelle, une clause de sauvegarde a été introduite pour protéger le professionnel contractant avec un consommateur qui a menti sur le lieu de sa résidence habituelle. Il est alors précisé qu'"il appartient au professionnel de s'assurer que son formulaire standard lui permet d'identifier le lieu de résidence du consommateur".

En dehors de l'hypothèse particulière du contrat internet de consommation, la proposition de Règlement prévoit, à défaut d'accord entre les parties, quelle sera la loi applicable pour chaque type de contrat et l'on peut noter que pour les contrats portant sur la propriété intellectuelle ou industrielle, la loi applicable sera celle du pays dans lequel celui qui transfert ou concède les droits a sa résidence habituelle.

Commentaire :

Le 15 décembre 2005, la Commission des Communautés européennes a présenté la proposition de Règlement du Parlement européen et du Conseil, relatif à la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I).

La Commission, après une large consultation des Etats membres notamment, propose de transformer la Convention de Rome de 1980 en un Règlement communautaire. Cette modification de la nature de l'instrument permettra, par exemple, aux Etats membres d'émettre des réserves ou d'adopter de nouvelles règles de conflits après une procédure de ratification.

L'objectif de cette proposition est aussi l'uniformisation des règles relatives à la loi applicable aux obligations contractuelles, dans le but d'une amélioration de la prévisibilité des décisions de justice en la matière et surtout la modernisation de certaines règles en raison de l'évolution des techniques relatives aux obligations contractuelles.

Dans le souci de faire prévaloir la liberté de choix des parties quant à la loi applicable, il est également prévu qu'afin de renforcer l'autonomie de la volonté, les parties sont autorisées à choisir comme droit applicable, un droit non étatique, comme par exemple les principes UNIDROIT, les Principles of European Contract Law ou un éventuel futur instrument communautaire optionnel.

Marc d'Haultfoeuille
Avocat associé
Département Communication Média & TechnologiesCabinet
Clifford Chance

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Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Résiliation judiciaire du contrat de travail et prise d'acte : la confusion est à son comble

Réf. : Cass. soc., 22 février 2006, n° 03-47.639, Société Computacenter c/ M. Jean-Louis Cisse, FS-P+B (N° Lexbase : A1740DNR)

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010

La Cour de cassation tente de clarifier, depuis quelques années, les règles qui encadrent le recours à la résiliation judiciaire et à la prise d'acte de la rupture du contrat de travail. Malheureusement, cet arrêt rendu le 22 février 2006 par la Chambre sociale de la Cour de cassation, montre que les régimes de ces deux "modes" de rupture sont si proches qu'on les confond volontiers. Mais peu importe le flacon, nous dit la Cour de cassation, pourvu qu'on ait l'ivresse ! Même lorsque les juges se trompent et les confondent, alors qu'il faudrait les distinguer (1), ils ne seront pas sanctionnés lorsque l'employeur a commis des fautes qui justifient la rupture du contrat puisque, dans les deux hypothèses, les conséquences indemnitaires seront les mêmes (2).
Décision

Cass. soc., 22 février 2006, n° 03-47.639, Société Computacenter c/ M. Jean-Louis Cisse, FS-P+B (N° Lexbase : A1740DNR)

Rejet (CA Versailles, 5ème ch., sect. B sociale, 9 octobre 2003)

Textes concernés : C. trav., art. L. 122-4 (N° Lexbase : L5554ACP) ; C. trav., art. L. 122-14-13 (N° Lexbase : L6530DIP) ; C. civ., art. 1184 (N° Lexbase : L1286ABA).

Mots-clefs : résiliation judiciaire du contrat de travail ; prise d'acte de la rupture du contrat de travail ; distinction ; identité des effets ; torts de l'employeur ; modification unilatérale du mode de rémunération.

Liens bases : ; .

Résumé

Une cour d'appel peut se tromper sur la qualification de la rupture du contrat de travail (demande de résiliation judiciaire requalifiée, à tort, de prise d'acte aux torts de l'employeur) sans être sanctionnée, dans la mesure où ce dernier avait unilatéralement modifié la rémunération contractuelle du salarié et s'exposait à une condamnation pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Faits

1. M. Cisse a été engagé le 1er octobre 1993 en qualité d'ingénieur d'affaires puis, à compter du 1er novembre 1994, de responsable d'agence, par la société Computacenter.

Après avoir mis en demeure l'employeur, par lettre du 1er avril 2001, de le rétablir dans son taux de commissionnement contractuel, il a été convoqué, le 5 avril 2001, à un entretien préalable tenu le 13 avril 2001, à l'issue duquel il a fait l'objet d'une mise à pied à titre conservatoire.

M. Cisse a saisi, le 25 avril 2001, la juridiction prud'homale pour obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail, ainsi que le paiement de diverses sommes. 

Il a été licencié pour faute grave le 7 mai 2001.

2. La cour d'appel de Versailles a condamné la société Computacenter à verser à M. Cisse des sommes à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement, d'indemnité compensatrice de préavis, de congés payés afférents, de rappel de salaires sur mise à pied conservatoire et à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Solution

1. "Si c'est à tort que la cour d'appel a assimilé la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail à une prise d'acte de la rupture, elle a constaté, par une appréciation souveraine des éléments de fait et de preuve produits par les parties, qu'antérieurement au licenciement qu'il avait prononcé, l'employeur avait réduit la part variable de la rémunération de l'intéressé sans son accord ; [...] elle a pu en déduire que cette modification unilatérale du contrat de travail par l'employeur lui rendait imputable la rupture, laquelle s'analysait en un licenciement sans cause réelle et sérieuse".

2. Rejet

Commentaire

1. La distinction des techniques

  • Les faits

Dans cette affaire, un salarié reprochait à son employeur d'avoir modifié unilatéralement son taux de commissionnement contractuel et lui avait réclamé le rétablissement de son ancien mode de rémunération. Il avait alors été mis à pied à titre conservatoire, dans l'attente de son licenciement pour faute grave, et avait eu le temps de saisir la juridiction prud'homale d'une demande de résiliation judiciaire aux torts de son employeur, avant que son licenciement ne soit formellement prononcé.

Saisie de l'affaire, la cour d'appel avait considéré que le salarié, en saisissant la juridiction prud'homale d'une demande de résiliation judiciaire, avait manifesté sa volonté de prendre acte de la rupture du contrat de travail aux torts de son employeur. Elle avait alors appliqué les solutions acquises en jurisprudence depuis 2003 (Cass. soc., 25 juin 2003, n° 01-42.679, FP+P+B+R+I N° Lexbase : A8977C8Y ; Cass. soc., 25 juin 2003, n° 01-42.335, F-P P+B+R+I N° Lexbase : A8976C8X ; Cass. soc., 25 juin 2003, n° 01-43.578, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A8978C8Z ; Cass. soc., 25 juin 2003, n° 01-41.150, FP+B+R+I N° Lexbase : A8975C8W ; Cass. soc., 25 juin 2003, n° 01-40.235, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A8974C8U, lire notre chron., "Autolicenciement" : enfin le retour à la raison !, Lexbase Hebdo n° 78 du 3 juillet 2003 - édition sociale N° Lexbase : N8027AAK), et considéré que les griefs formulés à l'encontre de l'employeur étaient justifiés et qu'il convenait, par conséquent, de le condamner pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

  • L'erreur de qualification commise par la cour d'appel

Devant la Cour de cassation, l'employeur, demandeur au pourvoi, avait fait valoir que la cour d'appel avait commis une erreur de qualification en considérant que la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail devait s'analyser en une prise d'acte de la rupture du contrat de travail.

La requalification était, il est vrai, audacieuse.

La cour d'appel de Versailles avait, sans doute, souhaité appliquer à la demande en résiliation judiciaire du contrat de travail présentée par le salarié la même analyse qui prévaut lorsque la demande émane de l'employeur. Dans cette hypothèse, en effet, la Cour de cassation considère la demande de l'employeur comme irrecevable et la saisine du conseil de prud'hommes traduit la volonté de rompre le contrat, ce qui se traduit nécessairement par l'allocation de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, dans la mesure où la procédure de licenciement n'a pas, par hypothèse, été respectée (Cass. soc., 5 juillet 2005, n° 03-45.058, F-P N° Lexbase : A8912DIW, lire nos obs., L'employeur qui demande la résiliation judiciaire du contrat de travail manifeste sa volonté de rompre le contrat, Lexbase Hebdo n° 176 du 14 juillet 2005 - édition sociale N° Lexbase : A8912DIW).

Pour la juridiction versaillaise, il était donc logique de considérer, de manière symétrique, que la demande de résiliation judiciaire du contrat valait prise d'acte de la rupture du contrat de travail, et qu'il convenait donc de lui faire produire les effets, tels qu'ils ont été définis par la Cour de cassation en 2003 (préc.).

La solution était séduisante en ce qu'elle entendait analyser de manière symétrique la résiliation judiciaire demandée par le salarié et par l'employeur au profit d'une éviction pure et simple de cette technique issue du Code civil et qui n'a pas été prévue, d'une manière générale, par le Code du travail (en ce sens, notre commentaire sous Cass. soc., 20 janvier 1998, n° 95-43.350, M. Leudière c/ Société Trouillard, publié N° Lexbase : A4150AAX, D. 1998, p. 350).

  • Le refus de sanctionner l'erreur de qualification

Ce n'est pourtant pas la solution admise ici par la Cour de cassation qui souligne, en effet, l'erreur ("c'est à tort que la cour d'appel a assimilé la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail à une prise d'acte de la rupture") mais sans la sanctionner, puisqu'elle rend un arrêt de rejet.

En dépit des critiques dont elle a été l'objet, la Cour de cassation a donc décidé de maintenir le cap et de continuer à admettre la résiliation judiciaire du contrat de travail à la demande du salarié. La solution n'est pas surprenante, la Haute juridiction ayant même décidé, en 2005, d'ouvrir cette voie aux salariés protégés (Cass. soc., 16 mars 2005, n° 03-40.251, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A2739DHW, lire nos obs., Le représentant du personnel peut demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail, Lexbase Hebdo n° 160 du 24 mars 2005 - édition sociale N° Lexbase : N2298AIX).

Ce refus de sanctionner la cour d'appel s'explique, en réalité, par le fait que cette erreur avait été sans conséquence sur les droits du salarié.

2. L'identité des effets

  • Un rejet surprenant

En dépit de cette erreur commise quant à la qualification du mode de rupture du contrat de travail, l'arrêt rendu par la cour d'appel n'a pas été censuré, ce qui pourrait surprendre. Selon la Chambre sociale de la Cour de cassation, en effet, "elle a constaté, par une appréciation souveraine des éléments de fait et de preuve produits par les parties, qu'antérieurement au licenciement qu'il avait prononcé, l'employeur avait réduit la part variable de la rémunération de l'intéressé sans son accord ; [...] elle a pu en déduire que cette modification unilatérale du contrat de travail par l'employeur lui rendait imputable la rupture, laquelle s'analysait en un licenciement sans cause réelle et sérieuse".

  • L'identité des effets

Ce "sauvetage" de l'arrêt s'explique donc uniquement par des considérations d'opportunité, dans la mesure où la résiliation judiciaire prononcée aux torts de l'employeur et la prise d'acte par le salarié pour des motifs sérieux produisent, en réalité, les mêmes effets juridiques.

Depuis 1998, en effet, la Cour de cassation considère que la résiliation judiciaire prononcée aux torts de l'employeur produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse (Cass. soc., 20 janv. 1998 : préc.). Or, lorsque le salarié prend acte de la rupture du contrat de travail et que les griefs formulés à l'encontre de son employeur sont justifiés, cette rupture produira également les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse (Cass. soc., 25 juin 2003 : préc.).

Non seulement le juge parviendra aux mêmes conclusions, dans ces deux cas de figure, mais encore la cause de cette condamnation est identique, puisqu'il s'agira de manquements de l'employeur à ses obligations contractuelles qui justifient que le juge, dans l'hypothèse de la résiliation judiciaire, ou le salarié, dans l'hypothèse de la prise d'acte, considère le contrat comme rompu par la faute de l'employeur.

Or, dans cette affaire, le comportement en cause de l'employeur était une modification du mode de rémunération contractuel du salarié qui constitue, de jurisprudence constante, une modification du contrat de travail que le salarié doit accepter (Cass. soc., 28 janvier 1998, n° 95-40.275, Société Systia informatique c/ M. Bernard, publié N° Lexbase : A5348AC3, JCP éd. G 1998, II, 10058, note C. Lefranc). L'imposer d'autorité constitue donc une faute contractuelle qui lui rend la rupture imputable, que l'on se trouve dans le cadre d'une résiliation judiciaire (Cass. soc., 22 octobre 1997, n° 95-41.866, Société Henkel hygiène c/ M. Borderon, publié N° Lexbase : A2097ACN ; Cass. soc., 20 janvier 1998 : préc. ; Cass. soc., 13 novembre 2002, n° 00-44.027, F-D N° Lexbase : A7328A3S) ou d'une prise d'acte justifiée (Cass. soc., 4 novembre 2003, n° 01-44.740, F-D N° Lexbase : A0669DAZ : non-règlement des salaires ; Cass. soc., 21 janvier 2004, n° 01-46.271, F-D N° Lexbase : A8734DAQ : non-paiement d'heures supplémentaires).

  • Deux techniques faisant double emploi

On ne saurait reprocher à la Cour de cassation de ne pas avoir cassé l'arrêt rendu par la cour d'appel de Versailles sous le seul prétexte qu'elle avait traité la demande de résiliation judiciaire comme une prise d'acte, dans la mesure où, finalement, la solution aurait été la même.

Nous voudrions simplement redire, ici, que cette identité des effets rend l'admission de la résiliation judiciaire du contrat de travail demandée par le salarié encore moins nécessaire. Certes, le recours à la résiliation judiciaire présente, pour le salarié, un avantage indéniable par rapport à la prise d'acte, dans la mesure où il ne court aucun risque s'il saisit le conseil de prud'hommes d'une demande sur le fondement de l'article 1184 du Code civil puisque, au pire, le contrat ne sera pas rompu. Or, on sait que s'il prend acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de son employeur, il joue en réalité à "quitte ou double" et risque de voir la rupture produire les effets d'une démission, le privant logiquement de toute indemnisation.

Mais, seule la jurisprudence relative à la prise d'acte nous paraît devoir avoir sa place en droit du travail, dans la mesure où la résiliation judiciaire n'a pas été prévue par le législateur et qu'elle est soumise à un régime hybride, puisqu'elle produira les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les griefs formulés contre le salarié sont avérés. Ne serait-il pas plus simple, et plus juste, dès lors, d'appliquer à la demande présentée par le salarié la même logique que celle qui prévaut pour l'employeur et de considérer que le salarié qui souhaite rompre le contrat de travail doit démissionner, quitte à réclamer en justice des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse s'il considère y avoir été conduit par des fautes commises par l'employeur ?

newsid:85062

Fiscalité des entreprises

[Textes] La nouvelle instruction fiscale relative au régime des fusions

Réf. : Instruction du 30 décembre 2005, BOI n° 4 I-1-05 (N° Lexbase : X5010ADW)

Lecture: 13 min

N5077AKA

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Le 07 Octobre 2010

L'instruction administrative du 30 décembre 2005, publiée au BOI n° 4 I-1-05, vient d'apporter de nombreuses précisions sur le régime fiscal applicable aux fusions et opérations assimilées. Cette instruction commente, d'une part, les dispositions des A et D de l'article 42 de la loi de finances rectificative pour 2004 (loi n° 2004-1485, 30 décembre 2004 N° Lexbase : L5204GUB), qui traitent de l'agrément permettant de transférer à la société absorbante les déficits de la société absorbée, du régime fiscal applicable au mali de fusion, ainsi que de l'actif net négatif transmis à l'occasion d'une fusion dite simplifiée ou d'une dissolution sans liquidation. L'instruction commente, d'autre part, les dispositions du règlement n° 2004-06 du Comité de la réglementation comptable (CRC) relatif au traitement comptable des fusions et opérations assimilées (N° Lexbase : X7716ACR), complété par l'avis du comité d'urgence du Conseil national de la comptabilité (CNC) du 4 mai 2005 (1).
Nous présenterons, ici, les principales dispositions de cette instruction qui concernent le régime des apports, le transfert des déficits sur agrément et le traitement des mali. 1. Les modalités de valorisation des apports

1.1. L'interprétation du règlement comptable n° 2004-06

Rappelons, d'abord, que le règlement comptable n° 2004-06 ne laisse plus aux entreprises le choix de la méthode de valorisation des apports. Ceux-ci doivent, toujours, être valorisés à la valeur comptable, lorsque les sociétés participant à l'opération sont sous contrôle commun, au sens de la réglementation applicable à la consolidation comptable, sauf dans deux cas (celui des apports-cessions et celui où l'actif net comptable apporté à une société ayant une activité préexistante est insuffisant pour permettre la libération du capital) où les apports doivent être effectués à la valeur réelle. Lorsque l'opération met en présence des entreprises sous contrôle distinct, les apports doivent, en revanche, toujours être valorisés à la valeur réelle, sauf dans un cas (celui où la fusion permet aux actionnaires de la société absorbée de prendre le contrôle de la société absorbante, opération dite "à l'envers") où les apports doivent, alors, être réalisés à la valeur comptable.

Dans son instruction, l'administration rappelle que le règlement comptable n° 2004-06 ne concerne que les opérations entre sociétés contrôlées par une autre société. Les opérations entre sociétés contrôlées par une personne physique peuvent, donc, au choix des parties, être réalisées à la valeur comptable ou à la valeur réelle. De même, le Comité de la réglementation comptable n'a qu'une compétence limitée au territoire français. En conséquence, le règlement ne s'applique que lorsque la société absorbante (ou bénéficiaire des apports) est domiciliée en France. Les opérations pour lesquelles la société absorbante ou bénéficiaire des apports est domiciliée à l'étranger peuvent, ainsi, être librement réalisées à la valeur comptable ou à la valeur réelle, même si la société absorbée ou apporteuse est domiciliée en France. L'instruction confirme que ce règlement comptable est opposable à l'administration comme aux entreprises : "les règles de transcription comptable des apports sont fixées par le Comité de la réglementation comptable et aucune disposition fiscale ne permet d'y déroger. Il convient, donc, de se conformer à ces règles qui doivent être appliquées par les entreprises qui y sont soumises".

1.2. Le cas des opérations placées sous le régime de faveur

En premier lieu, l'instruction rappelle que, lorsque l'opération est placée sous le régime de faveur, la société absorbante doit reprendre à son bilan, en application de l'article 210 A, 3, e, du CGI , les éléments autres que les immobilisations (en pratique, les actifs circulants) pour la valeur qu'ils avaient du point de vue fiscal dans les écritures de la société absorbée. Lorsque, en application du règlement comptable, l'opération aura dû être effectuée à la valeur réelle, l'administration confirme que le non-respect de cette disposition du Code général des impôts n'entraînera pas déchéance du régime de faveur. En revanche, il entraînera l'imposition du profit, ainsi, dégagé par la société absorbée.

En second lieu, l'administration rappelle qu'une fusion, une scission ou un apport partiel d'actif non soumis au régime de faveur constitue, au plan fiscal, une cessation d'entreprise entraînant l'imposition immédiate des plus-values latentes. Elle confirme, alors, sa doctrine antérieure en indiquant que la valorisation des apports à la valeur comptable n'est admise au plan fiscal qu'à une double condition. Il faut, d'une part, que l'opération soit placée sous le régime de faveur des dispositions des articles 210 A et 210 B du CGI. Il faut, d'autre part, que la société bénéficiaire des apports reprenne à son bilan les écritures comptables de la société apporteuse (valeur d'origine, amortissements, provisions pour dépréciation) et continue de calculer les dotations aux amortissements à partir de la valeur d'origine qu'avaient les biens dans les écritures de la société apporteuse.

Concrètement, à l'occasion d'une opération effectuée à la valeur comptable en application du règlement du CRC, mais non placée sous le régime de faveur, la société absorbée (ou apporteuse) sera imposée sur les plus-values latentes qu'elle n'aura pas eu le droit de dégager. Cela sera d'autant plus pénalisant que la société absorbante (ou bénéficiaire des apports) ne pourra pas amortir ces plus-values (lorsque les actifs en cause seront amortissables), puisqu'elle aura reçu les actifs en cause pour leur valeur comptable. Toutefois, l'administration accepte que la plus-value ultérieure de cession réalisée par la société absorbante (ou bénéficiaire des apports) soit calculée à partir de la valeur fiscale que l'actif avait dans les écritures de la société absorbée (ou apporteuse). La société absorbante (ou bénéficiaire des apports) devra justifier, lors de la cession des actifs en cause, que ces valeurs fiscales ont été incluses dans l'assiette imposable de la société absorbée (ou apporteuse).

1.3. Le cas des sociétés faisant partie d'une même intégration fiscale

L'administration reprend à cet égard sa doctrine antérieure selon laquelle, entre sociétés faisant partie d'une même intégration fiscale, les apports partiels d'actif qui ne sont pas soumis au régime de faveur de l'article 210 B du CGI doivent être effectués à la valeur réelle ; à défaut, une subvention indirecte doit être constatée en application de l'article 223 R du CGI . L'administration rapporte, cependant, cette doctrine, lorsque la rémunération des apports aura été calculée sur la base des valeurs réelles des apports. Dans ce cas, il ne sera tiré aucune conséquence négative tant que l'immobilisation concernée et les sociétés parties à l'apport ne sortiront pas du groupe. En pratique, la plus-value latente non dégagée comptablement sera, alors, imposée au niveau de la société apporteuse et neutralisée au niveau du résultat d'ensemble en application de l'article 223 F du CGI . Cette plus-value deviendra imposable lors de la sortie du groupe, soit de l'immobilisation elle-même, soit d'une des deux sociétés parties à l'apport.

2. Les modalités de rémunération des apports

2.1. Une rémunération fondée sur la base des valeurs réelles des apports

L'administration rappelle, à cet égard, que la rémunération des apports doit se faire sur la base des valeurs réelles des apports et de la société qui les reçoit. Selon elle, "lorsque la valeur réelle des titres remis en rémunération est inférieure à la valeur réelle de l'apport, la société apporteuse doit constater, à concurrence de la différence, un produit taxable dans les conditions de droit commun qui correspond à la libéralité consentie".

2.2. Une rémunération qui peut être calculée sur la base des actifs nets comptables des apports

L'administration confirme ici la doctrine antérieure, selon laquelle il est possible de calculer la rémunération de l'apport sur la base des actifs nets comptables des apports et de la société bénéficiaire lorsque trois conditions sont réunies. Ces conditions sont les suivantes :

  • les titres reçus en rémunération de l'apport et grevés des engagements de l'article 210 B du CGI représentent au moins 99 % du capital de la société bénéficiaire après l'opération ;
  • la société apporteuse doit détenir 99,99 % du capital de la société bénéficiaire après l'opération ;
  • tous les titres de la société bénéficiaire des apports doivent présenter les mêmes caractéristiques.

Toutefois, l'administration n'impose plus que cette tolérance soit restreinte à une seule opération au regard d'une même société bénéficiaire.

3. Le traitement des apports en cas de cession

3.1. Les apports effectués dans la perspective de la cession ultérieure des titres

Selon le règlement comptable n° 2004-06, les apports effectués dans la perspective de la cession ultérieure des titres reçus en rémunération à une société sous contrôle distinct sont effectués à la valeur réelle s'il existe un engagement préalable de cession (ou d'introduction en bourse) mentionné dans le traité d'apport. Dans ce cas, la société apporteuse est imposée sur les plus-values d'apport qu'elle a dégagées puisque, par hypothèse, elle ne peut pas conserver pendant trois ans les titres reçus en rémunération de l'apport, condition nécessaire pour bénéficier du régime de faveur de l'article 210 B du CGI.

3.2. Le traitement des apports en l'absence de réalisation de la cession des titres

Dans le cas où cette cession n'a pas lieu, le règlement comptable n° 2004-06 précise que les valeurs d'apport doivent être corrigées, afin de revenir aux valeurs comptables. L'instruction permet, dans ce cas-là, aux sociétés ayant participé à l'opération de bénéficier rétroactivement du régime de faveur et de corriger le résultat fiscal de la société apporteuse. Cette tolérance est, cependant, subordonnée au respect de quatre conditions. Ces conditions sont les suivantes :

  • l'engagement de cession devra contenir le nom du groupe cessionnaire envisagé ; à défaut l'administration pourra en demander l'identité ;
  • cet engagement (ou celui d'introduction en bourse) devra comporter une date limite de réalisation qui ne devra, par ailleurs, excéder la clôture de l'exercice de la société apporteuse qui suit celui de conclusion du traité d'apport ;
  • le traité d'apport devra comporter les valeurs comptables et réelles des actifs et passifs transmis ;
  • le traité d'apport devra comporter une mention selon laquelle les sociétés parties à l'apport décident, si la cession (ou l'introduction en bourse) ne se réalise pas, de se placer sous le régime de faveur et prennent, alors, les engagements prévus à l'article 210 B du CGI et s'engagent à "conserver pendant trois ans les titres remis en contrepartie de l'apport et à se soumettre, pour l'ensemble des exercices pour lesquels le régime de faveur produit ses effets, aux obligations déclaratives prévues à l'article 54 septies du CGI ". Pour apprécier le point de départ du délai de conservation des titres, il convient de se placer à la date de l'opération d'apport ayant donné lieu à la remise des titres.

Toutefois, dans le cas où la constatation que la cession ne se réalise pas n'intervient que lors de l'exercice qui suit celui de l'apport, la société apporteuse bénéficiera, au titre de l'exercice de constatation que la cession ne se réalise pas, d'une charge déductible égale au montant de la plus-value imposée au titre de l'exercice d'apport. Si elle avait dégagé une moins-value d'apport, elle devra réintégrer cette dernière.

4. Les modalités de transfert des déficits sur agrément

4.1. Les dispositions législatives applicables

Les dispositions de l'article 42 de la loi de finances rectificative pour 2004 ont modifié les articles 209, II et 223, l, 6, c du CGI, qui régissent les transferts de déficits sur agrément qui peuvent être sollicités à l'occasion de fusions ou d'opérations assimilées, en supprimant le plafonnement du montant des déficits transférables. Par ailleurs, les dispositions du nouvel article 209, II, du CGI visent, désormais, expressément les scissions et les apports partiels d'actif. En effet, selon ces dispositions : "en cas de scission ou d'apport partiel d'actif, les déficits transférés sont ceux afférents à la branche d'activité apportée". L'instruction précise, alors, qu'"il convient, donc, dans le cadre de la demande d'agrément, et conformément à la pratique antérieure, de déterminer l'origine des déficits transférables au moyen de la comptabilité analytique de l'entreprise".

5. Le traitement du mali de fusion

5.1. Définition du mali de fusion

Le mali de fusion représente l'écart négatif entre l'actif net reçu par la société absorbante à hauteur de sa participation dans la société absorbée et la valeur nette comptable de cette participation. Lorsqu'il correspond à une perte économique réelle pour la société absorbante, il est qualifié de "vrai" mali et constitue au plan comptable une charge pour cette dernière. Cette charge est susceptible de recouvrir deux éléments. Le premier élément se rapporte à la perte constatée sur les titres de la société absorbée détenus par la société absorbante. Le second élément concerne éventuellement l'actif net négatif appréhendé à l'occasion de l'opération. Cela n'est susceptible de se produire qu'en cas de fusion réalisée selon le régime simplifié ou en cas de dissolution sans liquidation, seules hypothèses où il est possible d'apporter un actif net négatif.

5.2. La déductibilité des pertes sur titres

Dans son instruction, l'administration confirme que la perte sur titres est déductible, mais rappelle "qu'il appartient à l'entreprise de démontrer la réalité de cette perte et qu'elle ne peut être admise que si les titres ont été acquis dans des conditions normales et que l'actif net reçu est inférieur au prix d'acquisition desdits titres". Cette perte suit le régime des moins-values à long terme s'il s'agit de titres de participation détenus depuis plus de deux ans. Dans le cas contraire, la perte est déductible au taux de droit commun. Toutefois, en application des dispositions de l'article 209, II, bis, du CGI modifiées par les dispositions de l'article 42 de la loi de finances rectificative pour 2004, la perte correspondant à l'actif net négatif apporté à l'occasion des opérations réalisées à compter du 1er janvier 2005 n'est pas déductible. Concernant les opérations réalisées antérieurement à cette date, l'administration nuance fortement sa doctrine antérieure. Elle admet, désormais, que la société absorbante ou confondante puisse déduire l'actif net reçu si elle démontre un véritable intérêt financier (prévention du renom) ou commercial (reprises de marchés) à agir de la sorte.

6. Le traitement du mali technique

6.1. Définition du mali technique

Le mali technique correspond à la partie du mali non représentative d'une perte économique et, plus précisément, au mali constaté lors des opérations réalisées à la valeur comptable. Le mali technique est égal, alors, à hauteur de la participation détenue par la société absorbante, aux plus-values latentes existant sur les actifs de la société absorbée diminuées des passifs non comptabilisés dans les comptes de cette dernière (comme les provisions pour retraites ou les impôts différés, que les entreprises n'ont pas l'obligation de constater dans leurs comptes). Le mali technique ne constitue pas une charge de la société absorbante, mais doit être inscrit à son actif dans un sous-compte du compte 207 Fonds commercial. Il n'est pas amortissable, mais doit faire l'objet de tests de dépréciation. Pour ce faire, le mali technique est affecté de manière extra-comptable aux différents actifs transmis par la société absorbée et ce au prorata des plus-values latentes existant sur ces actifs.

Concrètement, une perte doit être constatée dans deux cas. Le premier cas se rapporte à la situation dans laquelle la valeur réelle d'un des actifs sous-jacents est devenue inférieure à sa valeur comptable majorée de la part du mali technique qui lui a été affectée : dans cette hypothèse, la perte est, alors, comptabilisée sous forme de dépréciation. Le deuxième cas se rapporte à la situation dans laquelle l'un de ces actifs sort du bilan de la société absorbante : dans cette situation, la perte est, alors, comptabilisée par voie de décote directe.

6.2. Le traitement fiscal applicable aux opérations soumises au régime de faveur

Dans un tel cas, l'administration confirme que l'inscription du mali technique au bilan de la société absorbante n'est pas constitutive d'une valeur intermédiaire entre la valeur comptable et la valeur réelle susceptible de remettre en cause l'application du régime de faveur. De même, elle confirme que cette inscription ne constitue pas une augmentation de l'actif net de la société absorbante au sens de l'article 38-2 du CGI . L'administration rappelle qu'en application du 3ème alinéa de l'article 210 A, 1, du CGI tel qu'il résulte de l'article 42 de la loi de finances rectificative pour 2004, les pertes constatées sur le mali technique ne sont pas déductibles et précise que "cette non-déductibilité est justifiée par le fait que ce mali technique est représentatif de tout ou partie des plus-values et profits latents existant chez la société absorbée, lesquels ne font pas l'objet d'une imposition lors de l'apport en application du 1er alinéa du 1 de l'article 210 A du CGI".

En application de l'article 54 septies du CGI, la valeur comptable et fiscale du mali technique doit faire l'objet d'un état de suivi à joindre à la déclaration de résultats. Le règlement comptable étant applicable aux opérations réalisées depuis sa publication (le 8 juin 2004), le traitement fiscal du mali technique constaté à l'occasion de ces opérations est identique à celui applicable à compter du 1er janvier 2005.

6.3. Le traitement fiscal applicable aux opérations qui ne sont pas soumises au régime de faveur

Dans un tel cas, du fait qu'en régime de droit commun la société absorbée est imposée sur toutes les plus-values latentes afférentes à ses actifs, il est normal que les pertes constatées ultérieurement sur le mali technique par la société absorbante soient déductibles, puisque ce mali est représentatif d'une partie des plus-values latentes imposées. Cependant, la déductibilité de ces pertes est conditionnée par la possibilité de déduire les pertes constatées sur les actifs sous-jacents à l'origine des pertes constatées sur le mali technique. Ainsi, si l'actif sous-jacent qui se déprécie est un actif d'impôt différé, la perte correspondante constatée sur le mali ne sera pas déductible. Si l'actif sous-jacent est une ligne de titres de participation, la perte correspondante constatée sur le mali technique suivra le régime des moins-values à long terme. Par ailleurs, la valeur fiscale retenue pour calculer le montant de la plus-value imposable, lors de la cession par la société absorbante d'un actif reçu à l'occasion de la fusion, est réduite du montant de la plus-value latente prise en compte pour la détermination du mali technique.

7. La détermination de la date de réalisation des opérations de dissolution sans liquidation

7.1. La doctrine applicable

Dans son instruction du 7 juillet 2003, publiée au BOI n°  4 I-1-03 (N° Lexbase : X5337ABB), l'administration avait admis qu'une opération de dissolution sans liquidation puisse se voir conférer un effet fiscal rétroactif ou différé dans les limites de l'exercice comptable durant lequel était intervenue sa réalisation, cette réalisation s'entendant, pour l'administration, de la décision de dissolution prise par l'associé unique. Le règlement comptable a confirmé qu'au plan comptable une telle opération ne saurait se voir conférer un effet rétroactif. Par ailleurs, juridiquement, l'opération est réalisée lors de la transmission du patrimoine de la société confondue à la société confondante, c'est-à-dire à l'issue du délai d'opposition des créanciers, qui est au minimum de trente jours à compter de la publication de la décision de l'associé unique dans un journal d'annonces légales.

7.2. La modification de cette doctrine par l'instruction du 30 décembre 2005

Désormais, l'administration retient comme date de réalisation de l'opération de dissolution sans liquidation la date de la transmission du patrimoine et elle ne permet plus de conférer un effet fiscal différé au-delà de cette date. Elle permet, toujours, de conférer un effet fiscal rétroactif, qui ne peut pas être antérieur à la date d'ouverture de l'exercice au cours duquel est intervenue la réalisation de l'opération. Pour ne pas pénaliser les opérations qui sont décidées au cours du dernier mois de l'exercice, l'instruction permet que l'effet rétroactif fiscal puisse remonter jusqu'à la date d'ouverture de l'exercice au cours duquel a été prise la décision de l'associé unique. Dans cette hypothèse, la décision de l'associé unique devra expressément mentionner cette option en précisant la date d'effet fiscal retenue. Si la société confondue est membre d'un groupe fiscal intégré, il conviendra de tirer toutes les conséquences de sa sortie de l'intégration au titre de cet exercice.

Frédéric Dieu
Commissaire du Gouvernement près le Tribunal administratif de Nice


(1) Selon l'instruction, dans la mesure où les dispositions de l'article 42 de la loi de finances rectificative pour 2004 s'appliquent aux opérations réalisées à compter du 1er janvier 2005, elles sont susceptibles de s'appliquer aux opérations en cours au 1er janvier 2005. Ce sera le cas lorsque la dernière assemblée approuvant l'opération se sera tenue à compter du 1er janvier 2005 ou, en cas de création d'une ou plusieurs sociétés nouvelles, lorsque l'immatriculation de la dernière d'entre elles aura eu lieu à compter du 1er janvier 2005. S'agissant des dissolutions sans liquidation, ces dispositions s'appliqueront si la transmission de patrimoine (qui est réalisée à l'expiration du délai d'opposition des créanciers) intervient à compter du 1er janvier 2005.

newsid:85077

Fiscalité financière

[Jurisprudence] Donation de titres non cotés : valeur vénale, valeur objective

Réf. : Cass. com., 14 février 2006, n° 03-18.742, Directeur général des impôts c/ Mme Marie-Claude Oberti, épouse Fabres, F-D (N° Lexbase : A9791DML)

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N5212AKA

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par Daniel Faucher, Consultant au CRIDON de Paris

Le 07 Octobre 2010

Le coût fiscal de la transmission d'un bien ne peut pas être pris en compte pour déterminer la valeur vénale des biens transmis. Telle est la solution retenue par la Cour de cassation dans un arrêt en date du 14 février 2006. Au cas particulier, la valeur d'actions ne pouvait être affectée par la charge fiscale incombant au nouveau propriétaire à la suite de la donation dont ces actions avaient fait l'objet. Cette décision conforte incontestablement la notion de valeur objective, seule retenue pour la détermination de l'assiette des droits de mutation à titre onéreux ou à titre gratuit. 1. La valeur vénale doit être une valeur objective

1.1. Principe

La valeur vénale réelle, sur laquelle l'impôt de transmission est dû par application des dispositions des articles 666 et 761 du CGI, est définie comme le prix qui pourrait être obtenu d'un bien dans un marché réel, compte tenu de l'état dans lequel il se trouve avant la mutation et des clauses de l'acte de vente (Cass. com., 23 octobre 1984, n° 82-17.054, Directeur général des impôts c/ Groupement Foncier Agricole de Plaimpied N° Lexbase : A0032AHN). Cette dernière précision ne vaut que pour les ventes. En effet, pour les mutations à titre gratuit, la référence à la valeur vénale n'autorise pas à supposer que le propriétaire le vendrait dans un état différent de celui dans lequel il se trouve. Ainsi, la valeur à laquelle s'attache la loi fiscale est une valeur objective, seule de nature à satisfaire aux voeux d'efficacité et d'égalité de ladite loi.

1.2. Application

Une appréciation objective de la valeur conduit à écarter les valeurs de "convenance". Ainsi, une valeur ne peut être établie en fonction de l'intérêt personnel de l'acheteur (Cass. com., 24 juin 1997, n° 95-13.468, M. Pierre Heral et autres c/ M. le directeur général des impôts et autres N° Lexbase : A6565CZ8). Au cas particulier, c'est le service des impôts qui avait, lui-même, procédé au rehaussement du prix de la partie afférente à l'habitation, lors de l'acquisition d'un immeuble à usage mixte par un pharmacien, au motif que le contribuable avait un intérêt personnel à acquérir un tel bien. En effet, le pharmacien avait pu, ainsi, rapprocher son officine de son habitation, ce qui justifiait un prix supérieur au marché pour la seule partie habitation. La Haute juridiction a censuré la décision qui avait validé le redressement en précisant que la détermination de la valeur d'un bien ne peut se faire en fonction d'éléments intéressant la personne de l'acquéreur, mais uniquement en retenant le critère objectif du prix sur le marché à la date de la mutation.

2. La valeur objective est la valeur de marché

2.1. Principe

La valeur vénale d'un bien ne peut être confondue avec sa valeur intrinsèque, sa valeur de remplacement, voire sa valeur d'assurance. A cet égard, la Cour de cassation a clairement énoncé que cette valeur "ne se confond pas nécessairement avec la valeur économique théorique du bien" (Cass. com., 22 janvier 1991, n° 89-12.357, Société Bartissol Cruse diffusion c/ Directeur général des impôts et autres N° Lexbase : A2615ABH s'agissant de l'évaluation d'une marque de vin). En pratique, cette valeur, comme l'a précisé l'administration (QE n° 48462 de M. Aeschlimann Manuel, JOANQ, 12 octobre 2004, p. 7867, min. de l'Eco., réponse publ. 14 décembre 2004, p. 1007, 12ème législature N° Lexbase : L8354HGI), "est celle observée lors de transactions portant sur des biens similaires à une date proche et antérieure" du fait générateur. La valeur d'un bien s'entend du prix moyennant lequel il est susceptible d'être cédé, compte tenu des données du marché et de ses caractéristiques physiques et juridiques. Le principe est, donc, établi : la valeur vénale découle de l'analyse du marché de biens similaires. Il est vrai qu'un juge de première instance a pu relever que le prix obtenu dans une vente de gré à gré ne révèle pas la valeur vénale réelle du bien cédé, mais cette décision apparaît erronée en droit comme étant contraire à cette notion même de valeur vénale qui ne peut résulter que du marché (Cass. com., 16 janvier 1996, n° 94-13.400, Mlle Coudert c/ Directeur général des impôts N° Lexbase : A6423AHD). On sait que le marché, point de rencontre entre l'offre et la demande, est considéré comme "parfait" lorsque les offres et les demandes sont concomitantes et portent sur des biens identiques et substituables les uns aux autres. Tel est le cas du marché boursier avec, comme conséquence, une absence de difficultés pour évaluer les titres cotés. En revanche, le marché est "imparfait", lorsqu'il n'y a pas réunion simultanée des vendeurs et des acquéreurs et que, de surcroît, les biens ne sont pas identiques et substituables, ce qui est, généralement, le cas du marché immobilier.

2.2. Application

Puisque la valeur vénale d'un bien est déterminée par référence au marché de biens similaires à celui à évaluer, sa recherche impose de recourir à la méthode par comparaison. Ce qui a été confirmé par le juge. Ainsi, la valeur vénale d'un fonds de commerce ne peut pas être déterminée sans qu'il soit procédé à des comparaisons tirées de la cession, au moment de la mutation, de fonds de commerce de même nature (Cass. com., 9 mai 1990, n° 89-10.474, Mme Yvette Courtin, épouse Granson c/ Directeur général des impôts, Ministère de l'Economie, des Finances et du Budget, 139, rue de Bercy à Paris (12ème), inédit au bulletin, Cassation N° Lexbase : A2624CQA). Mais, la situation idéale, c'est-à-dire celle dans laquelle on dispose de cessions portant sur des biens strictement identiques se rencontrant rarement, les prix de cessions, s'agissant principalement des immeubles, sont ramenés à un étalon de mesure qui sert de facteur commun. La pratique a, ainsi, dégagé, en ce qui concerne les immeubles, des "réductions" pour la mise en oeuvre de la méthode par comparaison, qui sont, pour l'essentiel, le prix au m² de superficie développée pondérée hors oeuvre (SDPHO) et le prix au m² de superficie utile ou habitable. S'agissant des biens immobiliers, la méthode d'évaluation par le revenu, qui aboutit à des "valeurs occupées" et ne peut être utilisée pour évaluer des immeubles qui ne sont pas loués à partir d'une valeur locative supposée, permet de valider le résultat de la méthode précédente. Cependant, pour la mise en oeuvre de cette méthode toute la difficulté réside dans le choix du taux de capitalisation appliqué aux revenus réellement procurés par le bien à évaluer.

newsid:85212

Sociétés

[Jurisprudence] Les conditions préalables à la nomination d'un expert de gestion

Réf. : Cass. com., 17 janvier 2006, n° 05-10.167, M. René Perruchot c/ Société Polyclinique les fleurs, F-P+B (N° Lexbase : A5678DMA) et Cass. com., 14 février 2006, n° 05-11.822, Société Bouffard-Mandon c/ Société Hauterive Saint-James, F-P+B (N° Lexbase : A9898DMK)

Lecture: 6 min

N5063AKQ

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par Vincent Téchené, SGR - Droit des affaires

Le 07 Octobre 2010

Aux termes de l'article L. 225-231, alinéa 1er, du Code de commerce (N° Lexbase : L6102AIT), "un ou plusieurs actionnaires représentant au moins 5 % du capital social, soit individuellement, soit en se groupant sous quelque forme que ce soit, peuvent poser par écrit au président du conseil d'administration ou au directoire des questions sur une ou plusieurs opérations de gestion de la société", l'alinéa 2 précisant que "à défaut de réponse dans un délai d'un mois ou à défaut de communication d'éléments de réponse satisfaisants, ces actionnaires peuvent demander en référé la désignation d'un ou plusieurs experts chargés de présenter un rapport sur une ou plusieurs opérations de gestion". Préalablement à la demande de nomination de l'expert de gestion, deux conditions doivent donc être remplies. D'une part les actionnaires doivent avoir posé des questions sur une ou plusieurs opérations de gestion. D'autre part, les réponses du président doivent avoir été insuffisantes ou tardives, voire inexistantes. La Chambre commerciale de la Cour de cassation a rendu deux arrêts promus aux honneurs de son Bulletin annuel, à un mois d'intervalle, sur chacune de ces conditions. Ainsi, dans un arrêt du 17 janvier 2006, la Haute juridiction a jugé qu'"il appartient au juge saisi, sur le fondement de l'article L. 225-231 du Code de commerce, d'une demande d'expertise formée par un actionnaire invoquant le défaut de communication d'éléments de réponse satisfaisants aux questions écrites posées par lui, de rechercher si les éléments de réponse communiqués présentent ou non un caractère satisfaisant".

En l'espèce, un actionnaire détenteur de plus de 5 % du capital d'une SA a posé, à son président du conseil d'administration, des questions écrites sur plusieurs opérations de gestion. Après que ce dernier eut répondu à ces questions, l'actionnaire, estimant que certaines réponses ne présentaient pas un caractère satisfaisant, a saisi le président du tribunal de commerce d'une demande de désignation d'un expert, sur le fondement de l'article L. 225-231 du Code de commerce. La Cour de cassation a, ainsi, approuvé les juges d'appel d'avoir rejeté la demande de l'actionnaire.

Dans une seconde affaire, du 14 février 2006, les Hauts magistrats ont estimé que l'actionnaire n'ayant "fait que s'interroger de façon générale sur la politique de gestion de la société sans demander de façon précise des explications sur des actes de gestion clairement identifiés, [sa] demande d'expertise de gestion ne pouvait être accueillie". Ici, aussi, la Cour de cassation approuve la cour d'appel de n'avoir pas accédé à la demande d'un actionnaire détenteur de plus de 5 % du capital social d'une société anonyme.

Ces décisions viennent, ainsi, apporter des précisions, pour l'une, sur les questions des actionnaires et, pour l'autre sur les réponses du président du conseil d'administration ou du directoire.

I - La demande d'"explications précises sur des actes de gestion clairement identifiés", condition préalable à la nomination d'un expert de gestion

L'article L. 225-231 précise que les actionnaires détenant au moins 5 % du capital social peuvent poser par écrit des questions sur une ou plusieurs opérations de gestion.

L'absence de définition légale de la notion d'opération de gestion a contraint les juges à en préciser le sens.

On peut, alors, affirmer que la jurisprudence a retenu un critère organique pour définir cette notion. Ainsi, est une opération de gestion, l'opération émanant d'un organe de gestion tel, par exemple, le conseil d'administration d'une société anonyme. Aussi, la Cour de cassation refuse-t-elle toute demande portant sur un acte émanant de l'assemblée générale des actionnaires, qui n'est pas un organe de gestion (Cass. com., 30 mai 1989, n° 87-18.083, Madame Mauricette Nazarain c/ SARL Massis N° Lexbase : A4036AGL et 19 novembre 1991, n° 90-11.950, Société de participation Galtier et autres c/ Consorts Husson et autres N° Lexbase : A4112ABW).

Se pose, alors, la question de savoir si les actes relevant de la compétence des organes de direction, mais pour lesquels l'assemblée générale intervient, sont ou non des actes de gestion.

La Cour de cassation a répondu par l'affirmative, excluant les seuls actes relevant exclusivement de la compétence des assemblés générales de la notion d'actes de gestion. La Haute juridiction a, ainsi, estimé que les conventions réglementées, soumises à une autorisation préalable de l'organe de direction relevaient des actes de gestion (Cass. com., 9 février 1999, n° 96-17.581, M. Antoine Lurot et autres c/ Société Betjeman et Barton et autres N° Lexbase : A8739AYC).

Une certaine doctrine trouve là l'avantage d'une excellente visibilité puisque "il n'est pas nécessaire de s'interroger sur l'objet de l'acte considéré pour savoir s'il s'agit d'une opération de gestion, il suffit de prendre en considération la nature de l'organe qui l'a passé" (F.-X. Lucas, Bull. Joly 1999 § 42).

Mais ce critère organique ne fait pas l'unanimité. Ainsi, pour Paul Le Cannu "ce n'est pas parce que telle décision relève de l'assemblée et non des dirigeants qu'elle ne ressortit pas à la gestion. Le concept de gestion ne peut être enfermé dans une organisation légale qui change d'ailleurs suivant les types de société et que les statuts peuvent largement infléchir" (P. Le Cannu, Bull. Joly 1989 § 258)

On en peut, toutefois, en déduire que le président de la société questionnée n'aura pas à répondre à une question relative à un acte dont la compétence relève de l'assemblée ordinaire, ou extraordinaire, l'absence de réponse ne pouvant donner lieu à la nomination d'un expert chargé de présenter un rapport sur un tel acte.

Dans l'arrêt du 14 février 2006 rapporté ci-dessus, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a, en outre, précisé que la demande doit comporter des questions précises sur des actes de gestion clairement identifiés.

L'exigence relative aux actes de gestions clairement identifiés n'est pas nouvelle.

En effet, la Cour de cassation a déjà précisé que la demande d'expertise ayant une portée trop générale aboutissant ainsi à faire une critique systématique de l'ensemble de la gestion de la nouvelle direction sociale doit être rejetée (Cass. com., 18 octobre 1994, n° 92-19.159, M. Babeaud c/ Société La Générale du granit et autre N° Lexbase : A3949ACA). De même, l'expertise doit porter sur une ou plusieurs opérations de gestion, et ne peut remettre en cause la régularité et la sincérité des comptes sociaux (Cass. com., 20 décembre 1988, n° 87-14.767, Société Escogypse et autre c / Société anonyme La Rhénane N° Lexbase : A9830AAC).

La jurisprudence antérieure rejetait, ainsi, toute demande d'expertise, lorsqu'aucun acte de gestion spécifique n'était visé par les questions des actionnaires. Cependant, c'est, à notre connaissance, la première fois que la Haute juridiction exprime aussi clairement que l'acte de gestion "critiqué" doit être précisément identifié. Et d'ajouter que cette exigence de précision s'applique aussi aux explications attendues.

La rigueur que les juges attendent ainsi des actionnaires n'est pas sans rappeler l'appréciation du bien-fondé de la demande d'expertise qui n'aboutira que si elle revêt un caractère sérieux, qui résulte des présomptions d'irrégularités affectant une ou plusieurs opérations de gestion déterminées (Cass. com., 22 mars 1988, n° 86-17.040, Consorts Fairier c/ Société Kaolinière Armoricaine et autres N° Lexbase : A3983AGM). Ainsi, le juge refusera-t-il de nommer un expert pour établir un rapport sur des opérations courantes conclues à des conditions normales (Cass. com., 18 juin 1991, n° 89-20.610, Epoux Mignen c/ SA Les Grandes Moulins d'Aizenay N° Lexbase : A9603ATT).

II - L'appréciation des réponses données par le président du conseil d'administration ou de surveillance

Après avoir demandé de façon précise des explications sur des actes de gestion clairement identifiés, l'actionnaire ne pourra saisir le juge d'une demande d'expertise de gestion que si le président de la société n'a pas donné de réponse, dans un délai d'un mois, ou si ses réponses sont insatisfaisantes.

Qu'est-ce qu'une réponse insatisfaisante ?

Bien sûr, le premier à juger de la qualité de la réponse donnée est le destinataire de celle-ci, c'est à dire l'auteur de la question.

Mais, la Chambre commerciale de la Cour de cassation, dans son arrêt du 17 janvier 2006, reconnaît, également, aux juges du fond le pouvoir de vérifier le contenu des réponses données et d'en apprécier le caractère satisfaisant ou non.

On peut alors, légitimement s'interroger sur les critères d'appréciation de ce caractère satisfaisant.

Rappelant, une nouvelle fois, que la condition essentielle du bien fondé de la demande de nomination d'un expert de gestion réside dans la présomption d'irrégularité de l'acte, on peut penser que la réponse insatisfaisante sera celle qui n'aura pas levé le doute sur cette irrégularité. Ainsi, si, à la suite des réponses transmises par le président de la société, des présomptions graves de risques pour l'intérêt social perdurent, les juges devront constater l'insuffisance des réponses. Si, au contraire, les réponses apportées ne laissent subsister aucun doute, l'on pourra les juger satisfaisantes, ne justifiant pas, alors, la demande de nomination d'un expert.

Encore faut-il attendre, sur ce point, les décisions des juges du fond.

newsid:85063

Baux commerciaux

[Evénement] Application du statut des baux commerciaux

Lecture: 10 min

N5208AK4

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par Compte-rendu réalisé par Florence Labasque, SGR - Droit commercial

Le 07 Octobre 2010

Le 27 février dernier, les Editions Dalloz ont organisé une journée d'études portant sur l'actualité des baux commerciaux, présidée par Jean-Pierre Blatter, avocat à la Cour, professeur à l'ICH, directeur de la revue AJDI. A cette occasion, ont été abordés les sujets suivants : "application du statut", "loyer renouvelé ou révisé : fixation", "les changements d'affectation après l'ordonnance du 8 juin 2005", "obligation de délivrance et d'entretien du bailleur", "cession de bail", "incidence de la loi de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005 (N° Lexbase : L5150HGT) sur le régime des baux commerciaux" et, enfin, "actualité jurisprudentielle 2005". Nous nous attacherons, dans le présent compte-rendu, à traiter de l'intervention de Jérôme Betoulle, Conseiller référendaire à la Cour de cassation, sur l'application du statut. L'article L. 145-1-I du Code de commerce (N° Lexbase : L5729AIZ) énonce que "les dispositions du présent chapitre s'appliquent aux baux des immeubles ou locaux dans lesquels un fonds est exploité, que ce fonds appartienne, soit à un commerçant ou à un industriel immatriculé au registre du commerce et des sociétés, soit à un chef d'une entreprise immatriculée au répertoire des métiers, accomplissant ou non des actes de commerce, et en outre :
1° Aux baux de locaux ou d'immeubles accessoires à l'exploitation d'un fonds de commerce quand leur privation est de nature à compromettre l'exploitation du fonds et qu'ils appartiennent au propriétaire du local ou de l'immeuble où est situé l'établissement principal. En cas de pluralité de propriétaires, les locaux accessoires doivent avoir été loués au vu et au su du bailleur en vue de l'utilisation jointe ;

2° Aux baux des terrains nus sur lesquels ont été édifiées -soit avant, soit après le bail- des constructions à usage commercial, industriel ou artisanal, à condition que ces constructions aient été élevées ou exploitées avec le consentement exprès du propriétaire".
Cette disposition a suscité un très abondant contentieux. Aussi, récemment, ce texte a donné lieu à une jurisprudence riche et complexe en matière de conditions de l'immatriculation du preneur (I) et de l'application du statut en présence de commerces intégrés (II).

I - Les conditions d'immatriculation du preneur

Comme l'a souligné Jérôme Betoulle, l'on enseigne généralement les conditions d'immatriculation en trois parties : d'une part, les personnes assujetties à l'immatriculation, d'autre part, les locaux concernés par l'immatriculation et, enfin, la date à laquelle la condition d'immatriculation doit être remplie.
L'actualité jurisprudentielle conduit, cependant, à ne s'intéresser qu'aux personnes assujetties (A), à la date d'immatriculation (B) et au cas particulier de l'extension volontaire du statut des baux commerciaux (C).

A - Personnes assujetties à l'immatriculation

L'actualité en la matière a été essentiellement marquée par deux arrêts de la troisième chambre civile de la Cour de cassation, respectivement du 18 mai et du 15 juin 2005.

1. Cass. civ. 3, 18 mai 2005, n° 04-11.349, M. Eric Fraizier c/ Société civile immobilière (SCI) Les Braies, FS-P+B+I (N° Lexbase : A3028DIY) : immatriculation et droits de l'homme

Il est de jurisprudence constante que le défaut d'immatriculation d'un cotitulaire du bail commercial prive l'ensemble des copreneurs du statut des baux commerciaux. Cette jurisprudence est très rigoureuse et il n'y est fait exception que dans deux cas :
- lorsque les cotitulaires sont des héritiers indivis, seul l'exploitant effectif du fonds doit justifier de l'immatriculation (Cass. civ. 3, 3 juillet 1979, n° 77-11.445, Société immobilière Ivry-sur-Seine c/ Consorts Katz N° Lexbase : A3321AG4, Bull. civ. III, n° 148) ;
- lorsque les cotitulaires du bail commercial sont époux communs en biens, seul celui qui exploite le fonds dans l'intérêt commun doit justifier de l'immatriculation (Cass. civ. 3, 8 mai 1979, n° 77-15.885, Missirli c/ Terzo N° Lexbase : A3327AGC, Bull. civ. III, n° 102). Notons que cette solution n'a pas été étendue aux époux séparés en biens qui doivent, lorsqu'ils sont cotitulaires d'un bail de locaux à usage commercial, être inscrits l'un et l'autre au registre du commerce pour bénéficier du droit au renouvellement du bail (Cass. civ. 3, 1er juin 1994, n° 92-11.232, Mme Chapelle c/ M. X et autre N° Lexbase : A6778ABN et Cass. civ. 3, 24 mai 2000, n° 98-22.732, Epoux Hulin c/ Mme Deluard N° Lexbase : A8752AHM).

S'agissant de l'arrêt du 18 mai 2005, le moyen soutenait que constitue une atteinte disproportionnée portée au droit à la "propriété commerciale" reconnue au preneur par les articles L. 145-1 et suivants du Code commerce et par l'article 1er du Protocole additionnel n° 1 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme (N° Lexbase : L1625AZ9) le fait, pour un bailleur, de dénier le bénéfice de ce droit -en dépit de l'immatriculation régulière de l'un des époux séparés de biens au registre du commerce à la date de la demande de renouvellement du bail formée par les deux époux, cotitulaires du bail- sur le seul fondement du défaut d'immatriculation (non susceptible de lui causer grief et bientôt régularisé) de l'autre époux à cette date.
En effet, aux termes de l'article 1er du Protocole additionnel n° 1 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, portant sur la protection de la propriété, "toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes
". Par le terme de "biens" sont ici visés aussi bien les biens matériels que les biens incorporels. Par ailleurs, la notion d'utilité publique est une notion assez imprécise, d'autant plus que la Cour européenne des droits de l'homme s'interdit de substituer son appréciation des impératifs d'utilité publique à celle des Etats membres.

Jérôme Betoulle souligne, cependant, que l'objet même de l'immatriculation est un objet de publicité et de contrôle, dans le but, notamment, de protéger les tiers (créanciers inscrits, acteurs des procédures collectives, etc.).
Néanmoins, l'on peut se demander si le défaut d'immatriculation d'un copreneur peut lui faire perdre son droit au renouvellement, mais laisser ce droit aux autres copreneurs. D'où la question d'une atteinte disproportionnée -à ce titre, il est à préciser que l'époux commun en biens d'un commerçant ou d'un artisan peut vouloir aider son époux dans son activité sans pour autant forcément vouloir adopter son statut.

2. Cass. civ. 3, 15 juin 2005, n° 04-11.322, M. Hamed Essalah, dénommé Elitim c/ Société Central Bastille, FS-P+B (N° Lexbase : A7578DII) : l'immatriculation du copreneur non-exploitant

La Cour de cassation s'est prononcée, le 15 juin 2005, sur la condition d'immatriculation des copreneurs en présence d'un preneur non-exploitant.
Dans cette affaire, par acte des 14 et 21 juin 1993, une société C., preneur à bail de locaux à usage d'hôtel, a sous-loué une partie de ces locaux, à compter du 1er octobre 1990, à quatre personnes pour l'exercice exclusif dans les lieux d'un commerce de restaurant, salon de thé et pâtisserie. Invoquant le défaut d'immatriculation d'un des copreneurs au registre du commerce et des sociétés, la société C. leur a fait délivrer, le 26 mars 1999, un congé portant refus de renouvellement et de paiement d'une indemnité d'éviction. Les sous-locataires ont assigné leur bailleur en nullité de ce congé. La cour d'appel a validé le congé avec refus de renouvellement sans offre d'indemnité d'éviction délivré aux preneurs par la société C., aux motifs que les quatre sous-locataires, copropriétaires indivis du fonds de commerce, justifient être immatriculés au registre du commerce et des sociétés, que l'extrait K bis concernant l'un d'eux le mentionne en qualité de copropriétaire non exploitant mais que, si ce dernier justifie de son statut de retraité depuis le 1er juillet 1994, il n'établit nullement qu'à une époque il ait eu la qualité de commerçant et que, dès lors, le défaut d'immatriculation de l'un des titulaires privant l'ensemble des copreneurs du bénéfice du statut des baux commerciaux, la société C. était en droit de refuser le renouvellement du sous-bail en déniant aux preneurs le bénéfice de ce statut. La Haute cour cassa l'arrêt d'appel pour violation de l'article L. 145-1 I du Code de commerce, estimant que la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, ayant relevé, en effet, que ledit copreneur était immatriculé au registre du commerce et des sociétés en qualité de propriétaire non exploitant.

Il est donc permis de penser que la cotitularité du bail n'implique pas que tous les cotitulaires soient commerçants, c'est-à-dire que l'immatriculation en qualité de propriétaire non exploitant du fonds de commerce d'un des copreneurs suffit pour remplir l'exigence d'immatriculation et permettre, ainsi, le renouvellement du bail commercial. Toutefois, cette question n'a pas encore été posée en termes explicites à la Cour de cassation.

B - Date d'immatriculation

Dans une décision du 18 mai 2005, la Cour de cassation a précisé que la condition d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés doit être remplie à la date de la demande de renouvellement et à la date d'expiration du bail, mais non pendant le cours de la procédure en fixation du loyer du bail renouvelé (Cass. civ. 3, 18 mai 2005, n° 04-11.985, M. Philippe Degrugillier c/ Société civile immobilière (SCI) La Rotonde de Béthune, FS-P+B N° Lexbase : A3790DI9).

Aussi, la Cour de cassation avait, dans un arrêt du 19 septembre 2004, exclu l'exigence d'immatriculation pour la période postérieure au renouvellement dans l'attente du paiement d'une indemnité d'éviction (Cass. civ. 3, 29 septembre 2004, n° 03-13.997, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A4861DDE).

Or, selon Jérôme Betoulle, l'immatriculation ne doit pas seulement être une condition du droit au renouvellement, mais doit être, également, une condition d'application du statut. Ainsi, cette exigence d'immatriculation devrait être remplie à chaque fois que le preneur revendique un droit statutaire, ce qui, certes, remettrait en cause un certain nombre de jurisprudences.

C - Cas particulier de l'extension volontaire du statut

Il doit, tout d'abord, être rappelé que l'Assemblée plénière de la Cour de cassation, dans un arrêt du 17 mai 2002, avait expressément décidé qu'en cas de soumission conventionnelle au statut des baux commerciaux, sont nulles les clauses contraires aux dispositions impératives relatives à la forme du congé (Ass. plén., 17 mai 2002, n° 00-11.664, M. Hervé Caporal c/ Société Groupe Ribourel, P N° Lexbase : A6534AYN).
Or, Jérôme Betoulle estime que, s'agissant de personnes ne remplissant pas les conditions d'immatriculation, l'ordre public avait perdu sa raison d'être, de sorte qu'il n'y a aucune raison de "s'accrocher" à cet ordre public de protection.
L'une des conséquences majeures de cet arrêt d'Assemblée plénière est, ainsi, que, si les parties adoptent conventionnellement le statut des baux commerciaux, le droit au renouvellement s'applique et le statut s'appliquera alors, non pas seulement pour un bail, mais pour tous les baux conclus successivement.

C'est ensuite que la Cour de cassation, dans une décision du 9 février 2005 -dont l'importance est relatée par la présence d'un chapeau dans cet arrêt de rejet-, a affirmé que, "en cas de soumission volontaire au statut des baux commerciaux, l'immatriculation du preneur au registre du commerce et des sociétés n'est pas une condition impérative de son droit au renouvellement" (Cass. civ. 3, 9 février 2005, n° 03-17.476, FS-P+B N° Lexbase : A6927DGN).
La Haute cour "coupe" donc la solution antérieure qui ne peut plus dénier le droit au renouvellement sous prétexte d'absence d'immatriculation. Par conséquent, la soumission volontaire au statut des baux commerciaux donne lieu à l'existence d'un droit inhérent au renouvellement.

II - Commerce intégré et application du statut des baux commerciaux

La troisième chambre civile de la Cour de cassation (V. Cass. civ. 3, 5 février 2003, n° 01-16.672, FS-P+B N° Lexbase : A9070A4P) jugeait traditionnellement que le statut des baux commerciaux est applicable en présence d'un commerce intégré, nonobstant la qualification que les parties ont donné au contrat, à trois conditions :
1. l'existence d'un local stable et permanent,
2. disposant d'une clientèle personnelle et régulière (c'est-à-dire l'exploitation du fonds),
3. et jouissant d'une autonomie de gestion.

La notion d'autonomie de gestion ayant fait l'objet de nombreuses critiques, notamment sur l'application qui en est faite par la Cour de cassation, cette dernière a infléchi sa position dans un arrêt du 19 janvier 2005 (Cass. civ. 3, 19 janvier 2005, n° 03-15.283, FS-P+B+R N° Lexbase : A0837DG4). Il s'agit, là encore, d'un arrêt important, comme en témoigne la présence d'un chapeau dans un arrêt de rejet, et sa publication au Rapport annuel de la Cour de cassation. La Cour de cassation affirme, dans cette décision, que "le statut des baux commerciaux s'applique aux baux de locaux stables et permanents dans lesquels est exploité un fonds de commerce ou un fonds artisanal, ces fonds se caractérisant par l'existence d'une clientèle propre au commerçant ou à l'artisan, que, toutefois, le bénéfice du statut peut être dénié si l'exploitant du fonds est soumis à des contraintes incompatibles avec le libre exercice de son activité".
La Haute juridiction, en reprenant les termes de l'article L. 145-1 I du Code de commerce, rappelle que la loi exige l'existence d'un local stable et permanent et l'existence d'une clientèle propre. Elle n'ajoute donc pas au texte l'autonomie de gestion, mais considère que l'absence totale d'autonomie de gestion entraînerait l'absence d'exploitation du fonds par le preneur, auquel cas c'est, en réalité, la deuxième condition du texte qui ferait défaut.

Cette solution emporte deux conséquences : la première conséquence se manifeste dans un durcissement statutaire qui pourrait conduire à un refus d'application du statut des baux commerciaux. La seconde conséquence consiste en un renversement de la charge de la preuve -dans la mesure où ce n'est pas au preneur de prouver qu'il exploite le fonds-.

Cette solution, souligne Jérôme Betoulle, semble s'accorder parfaitement avec la jurisprudence "Trévisan" du 27 mars 2002 rendue sur le droit au renouvellement du franchisé, et selon laquelle un franchisé est, en principe, propriétaire du fonds de commerce exploité dans les lieux qui ont fait l'objet d'un bail commercial et il peut, de ce fait, prétendre à un droit au renouvellement (Cass. civ. 3, 27 mars 2002, n° 00-20.732, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A3899AY3).

Il reste, cependant, à définir quelles sont ces contraintes incompatibles.
Dans l'arrêt du 19 janvier 2005, le bailleur faisait valoir que le commerçant exploitait la boutique de l'hôtel conformément au règlement intérieur de l'hôtel qui lui imposait, non seulement les horaires d'ouverture et de fermeture de cette boutique mais, également, les prestations qu'elle devait fournir à la clientèle. Toutefois, l'on estime que la simple intervention du bailleur est légitime dans ce type de commerce intégré.
Par ailleurs, il n'y a pas de marque d'approbation de la Cour de cassation dans cet arrêt. En effet, elle énonce seulement que la cour d'appel a fait "ressortir ainsi l'absence de contraintes incompatibles avec le libre exercice de" l'activité commerciale. L'absence de contraintes incompatibles sera donc un élément que les juges du fond devront caractériser.

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[Manifestations à venir] La responsabilité des dirigeants

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Le 07 Octobre 2010

Les éditions formations entreprises (EFE) organisent, les 28, 29 et 30 mars 2006, trois journées ayant pour thème "la responsabilité des dirigeants". Cette formation a pour objectif de faire le point sur les règles relatives à la responsabilité des dirigeants de sociétés et d'envisager les divers moyens de prévention offerts aux mandataires sociaux pour limiter les risques inhérents à leurs fonctions. Les interventions reviendront, notamment, sur les incidences en la matière de la loi de sécurité financière (loi du 1er août 2003, n° 2003-706, de sécurité financière N° Lexbase : L3556BLB), la loi Sarbanes-Oxley et de la loi "Breton" (loi du 26 juillet 2005, n° 2005-842, pour la confiance et la modernisation de l'économie N° Lexbase : L5001HGC).
  • Programme

Mardi 28 mars 2006

Nouvelles responsabilités civiles et pénales des mandataires sociaux, rapports du Président du CA : audit des risques et procédures de contrôle, quelle méthodologie ?
Obligation d'information des actionnaires sur le régime de rémunération des mandataires sociaux : quels nouveaux risques pour les dirigeants ?
Informations financières et multiplication des procédures : quelles sont vos armes ?
Évolutions jurisprudentielles en matière d'abus de biens sociaux et nouvelle procédure CRPC dite du plaider-coupable
Droit du travail : panorama et premier bilan d'application pour les lois Perben, Informatique et libertés et de modernisation sociale
Responsabilité sociale de l'entreprise (RSE) : convergence entre document unique et rapport de gestion
Contrat d'assurance RCMS : comment protéger au mieux le dirigeant et son patrimoine ?

Mercredi 29 mars 2006

Quelles possibilités d'exonération pour le dirigeant en cas de mise en jeu de sa responsabilité : la délégation de pouvoirs
Quels changements pour la délégation de pouvoirs après la loi NRE du 15 mai 2001 et la loi du 10 juillet 2000 tendant à préciser la définition des délits non intentionnels ?
Les conséquences de la responsabilité pénale de la personne morale
Comment mettre en place et rédiger une délégation de pouvoirs efficace ?
La délégation de pouvoirs face au procès pénal : quelle mise en oeuvre ?
Rédaction d'une délégation de pouvoirs

Jeudi 30 mars 2006

Journée spéciale : De l'enquête préliminaire à l'audience : comment vous défendre ?
Faites le point sur vos droits lors de l'enquête
Démontrer son innocence dès l'enquête : comment s'y prendre ?
L'audition dans le cadre de l'enquête
Mise en garde à vue : faites le point sur vos droits
Simulation : mise en garde à vue d'un dirigeant
Le juge d'instruction
Cernez les règles de droit entourant la mise en examen
Mise en situation : audition et confrontation dans le cadre d'une mise en examen
L'audience : quel déroulement ? Quels enjeux ?

  • Intervenants

Sylvie Le Damany et Marie Supiot, Landwell & Associés
Guillaume Kellner, Philippe Goossens et Emmanuelle Payrau-Sorba, Proskauer Rose LLP
Bernard Dartevelle, SCP Dartevelle
Chantal Giraud-Van Gaver, Coblence &Associés
Yvon Martinet et Arnaud Constant, Savin Martinet associés
Franck Blin, Barthélémy & Associés
Alain Blanchot, Magistrat honoraire
Thierry Dalmaso et Ludovic Malgrain, Avocats à la Cour
Nicolas Contis, Cabinet Racine
Thibault de Montbrial, Cabinet Montbrial & Associés
Richard Pallain, TGI Nanterre
Patrick Mauduit, Syndicat Synergie offices

  • Dates

Mardi 28 mars 2006
Mercredi 29 mars 2006
Jeudi 30 mars 2006

  • Prix

1 jour : 900 euros H.T
2 jours : 1 600 euros H.T
3 jours : 2 000 euros H.T

  • Renseignements / Contact

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