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N1334ABZ
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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
Le 07 Octobre 2010
Disposition commentée
1. QE n° 16810 de M. Le Nay Jacques, JOANQ 21 avril 2003 p. 3074, min. aff. soc., trav. et solid., réponse publ. 16 mars 2004 p. 2016, 12e législature (N° Lexbase : L0322DYL).
2. Réponse du ministre du Travail publiée au JOANQ le 16 mars 2004, page 2016 Texte visé : C. civ., art. 1134 (N° Lexbase : L1234ABC) Liens base : |
Commentaire
1. Le droit reconnu au salarié de refuser l'introduction de la contrepartie financière à la clause de non-concurrence A la suite du revirement intervenu le 10 juillet 2002, M. Jacques Le Nay, député UMP du Morbihan, avait interrogé le ministre du Travail pour savoir "s'il considère que l'employeur a la faculté de maintenir une clause de non-concurrence en ajoutant unilatéralement au contrat de travail un avenant relatif à la compensation financière de cette clause" (Question n° 16810, publiée au JO le 21 avril 2003, page 3074). Dans une réponse publiée le 16 mars 2002 (JOANQ le 16 mars 2004, page 2016), le ministre du Travail lui a répondu que "l'ajout d'une telle contrepartie constitue une modification du contrat de travail qui comme telle doit être soumise à l'accord exprès du salarié concerné. En effet, l'employeur ne peut fixer de manière unilatérale le montant de la contrepartie financière". La solution était prévisible et nous avions déjà eu l'occasion d'indiquer que l'accord du salarié serait, selon toute vraisemblance, nécessaire pour modifier la clause en lui adjoignant une contrepartie financière (RDC 2003, p. 145, et la chron.). La jurisprudence a déjà eu l'occasion d'affirmer, à de nombreuses reprises, que l'introduction dans le contrat de travail d'une clause de non-concurrence devait être autorisée par le salarié (Cass. soc., 7 juillet 1998, n° 96-45.047, M. Roig c/ Mme Dorandeu et autre, publié N° Lexbase : A4639AGW JCP G 1998, II, 10196, note C. Puigelier ; Cass. soc., 16 décembre 1998, n° 96-41.845, M. Domenech c/ M. Lebert, publié N° Lexbase : A4584AGU ; Cass. soc., 17 octobre 2000, n° 98-42.018, M. Demard c/ Centre de gestion et de comptabilité agricole de la Gironde, publié N° Lexbase : A7681AHX Dr. soc. 2000, p. 1147, obs. J. Savatier). Certes ici, il ne s'agit pas à proprement parler d'introduire une clause de non-concurrence, mais de modifier une partie de son régime pour la rendre valide. Cette opération de sécurisation présente incontestablement un aspect substantiel pour le salarié qui justifie certainement qu'il soit en droit de s'opposer à la modification puisque, de nulle, la clause deviendra valide et qu'il sera valablement astreint à une clause qui le prive d'une partie de sa liberté professionnelle. Toutefois, on est en droit de se demander si, dans le contexte bien particulier de cette affaire, une autre interprétation ne devrait pas prévaloir. Le droit reconnu au salarié de refuser une modification de son contrat de travail puise ses racines dans l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC) et dans l'intangibilité du lien contractuel. Le contrat ayant été voulu par les deux parties, il est normal que les deux parties soient en accord pour y apporter une modification, et tout aussi normal de ne pas permettre à la volonté de l'un de se substituer à la volonté de l'autre. Mais l'hypothèse particulière à laquelle on se trouve ici confronté correspond-t-elle à cette exigence fondamentale ? Rien n'est moins sûr. On remarquera, tout d'abord, que l'employeur qui souhaite introduire une contrepartie financière n'agit pas à proprement parler de sa propre volonté ; il ne fait que tirer les conséquences logiques du revirement intervenu le 10 juillet 2002 (Cass. soc., 10 juillet 2002, n° 00-45.135 N° Lexbase : A1225AZE ; Cass. soc., n° 00-45.387 N° Lexbase : A1227AZH et Cass. soc., n° 99-43.334 N° Lexbase : A0769AZI), revirement d'application rétroactive, faut-il le rappeler une nouvelle fois. Il y est, en quelque sorte, contraint par la Cour de cassation. Par ailleurs, cette modification de la clause vise non pas à modifier l'équilibre de cette dernière en procurant à l'employeur un avantage qui n'avait pas été voulu par les parties, mais à accorder au salarié ce à quoi il a désormais droit et, plus largement, à assurer la pérennité d'une clause du contrat voulue dès les origines par les deux parties. Il s'agit ici de sauver la clause d'une annulation certaine, de résister à un changement de circonstances juridiques. Peut-on, dès lors, affirmer que l'employeur qui ajoute la contrepartie financière à la clause valablement conclue par les parties modifie réellement le contrat parce qu'il le sécurise ? Il ne s'agit pas à proprement parler d'une modification du contrat, mais simplement de sa consolidation. Dans la mesure où l'annulation ne résulte ni d'un vice initial, ni même d'un fait quelconque de l'employeur, est-il équitable de permettre au salarié de s'y opposer ? Cette dernière remarque renvoie immédiatement à la bonne foi qui doit régner dans les rapports contractuels et dont l'existence, au coeur même du Code de travail, a été solennellement réaffirmée par le législateur lors du vote de la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 (C. trav., art. L. 120-4 N° Lexbase : L0571AZ8). Permettre au salarié de refuser le sauvetage de la clause n'est-il pas alors contraire à cette exigence de bonne foi (notre étude Le solidarisme contractuel en droit du travail : mythe ou réalité ?, dans Le solidarisme contractuel, Economica - Etudes juridiques, 2004, p. 75 s., sp. p. 89). La Cour de cassation pourra-t-elle décemment, après avoir contraint les employeurs à réviser les clauses de non-concurrence, les priver de tout moyen d'y parvenir effectivement en affirmant le droit des salariés de s'y opposer ? Si la question mérite d'être posée lors de l'examen du droit qu'ont les salariés de refuser l'introduction de la contrepartie financière, elle doit également être sérieusement envisagée lorsqu'on examine les conséquences du refus opposé par le salarié. 2. Les conséquences du refus sur le contrat de travail En admettant que le salarié refuse l'introduction de la contrepartie financière, l'employeur ne dispose alors que de deux réactions possibles : renoncer à son projet et à la clause de non-concurrence ou licencier le salarié. Dans cette dernière hypothèse, le motif et la justification du licenciement résultent directement du motif et de la justification de la modification elle-même (Cass. soc., 16 décembre 1998, n° 95-17.077, M. Bignon c/ Société Fidal, publié N° Lexbase : A4489AGD). Dans la mesure où il s'agit d'un différend opposant le salarié à son employeur, la qualification de motif personnel semble devoir s'imposer. La modification du contrat était-elle alors justifiée ? Une réponse positive nous semble devoir s'imposer, et ce pour au moins deux raisons. La première tient à la clause de non-concurrence elle-même. Sa validité répond, on le sait, à des exigences désormais cumulatives, dont la nécessité pour l'entreprise de restreindre la liberté professionnelle du salarié. Dès lors que cette exigence de nécessité est établie, alors la légitimité de la démarche de l'employeur nous semble devoir l'être également. Il paraîtrait en effet contradictoire d'affirmer que l'entreprise avait intérêt à insérer dans le contrat de travail du salarié une clause de non-concurrence, tout en considérant que l'employeur n'avait aucune légitimité à tenter d'en assurer la survie. Par ailleurs, l'exigence de bonne foi doit, selon nous, conduire à considérer que le salarié doit accepter la révision de la clause pour en assurer la pérennité. C'est d'ailleurs en ce sens que statuent les juridictions civiles lorsqu'une évolution dans le contexte extérieur au contrat favorise outrageusement l'une des parties ; celle-ci doit alors accepter de renégocier afin de rééquilibrer la convention (Cass. com., 3 novembre 1992, n° 90-18.547, Société Française des Pétroles BP c/ Monsieur Huard, publié N° Lexbase : A4297ABR, JCP G 1993, II, 22164, note G. Virassamy). Le cas de figure est ici très proche, dans la mesure où le revirement intervenu le 10 juillet 2002 déséquilibre totalement la clause de non-concurrence en offrant au salarié un moyen inespéré d'en obtenir très facilement l'annulation. Il nous semble donc, dans ces conditions, que le licenciement du salarié qui refuse l'introduction de la contrepartie financière doit reposer sur une cause réelle et sérieuse, compte tenu de la contrainte qui pèse sur l'employeur depuis le revirement du 10 juillet 2002. Cette question n'est d'ailleurs pas sans rappeler celle des incidences de la réduction de la durée légale du travail sur la rémunération des salariés. On sait que la loi Aubry II (loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000 relative à la réduction négociée du temps de travail N° Lexbase : L0988AH3) a simplement indiqué que la réduction de la durée qui s'accompagnait d'une réduction de la rémunération ne pouvait déboucher que sur une procédure de licenciement pour motif personnel (loi 19 janvier 2000, art. 30-II N° Lexbase : L0988AH3), laissant sans réponse la question relative à la justification de ce licenciement. Or, dans un arrêt rendu le 24 mars 2004, la Cour de cassation pourrait bien avoir suggéré que le licenciement du salarié qui refuse la baisse corrélative de sa rémunération pourrait reposer sur une cause réelle et sérieuse (Cass. soc., 24 mars 2004, n° 02-45.130, FS-P+B N° Lexbase : A6378DBT, voir Effectif de l'entreprise et décision unilatérale de l'employeur de passer à 35 heures : quels rapports et quels apports ?, S. Martin-Cuenot, Lexbase Hebdo n° 115 du jeudi 8 avril 2004 - édition sociale N° Lexbase : N1197ABX). Une telle solution nous paraît amplement justifiée dans la mesure où la modification envisagée répond au souci de l'entreprise de tirer les conséquences d'un changement intervenu dans le droit positif, qu'il s'agisse d'une modification de la durée légale du travail ou dans la jurisprudence de la Cour de cassation. La Chambre sociale de la Cour de cassation, qui a plongé dans la perplexité des milliers d'entreprises, devra bien répondre à ces questions et tenir compte de l'impact de sa jurisprudence. Mais le plus simple ne serait-il pas de limiter l'application du revirement aux seules clauses conclues postérieurement au 10 juillet 2002, comme l'exigerait le principe de sécurité juridique ? |
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Réf. : CAA Douai, 9 mars 2004, n° 00DA00115, SA Lepetit c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie (N° Lexbase : A6632DBA)
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Le 07 Octobre 2010
En outre, le Code général des impôts ne donne pas de définition de la branche complète d'activité. En revanche, la directive communautaire 90/434/CEE du 23 juillet 1990 (N° Lexbase : L7670AUM) définit la branche complète d'activité comme "l'ensemble des éléments d'actif et de passif d'une division d'une société qui constituent, du point de vue de l'organisation, une exploitation autonome, c'est-à-dire un ensemble capable de fonctionner par ses propres moyens". Se fondant sur la définition de cette directive, l'administration considère donc qu'une branche complète d'activité est définie d'après des éléments d'actif mais aussi de passif.
Or, en l'espèce, ladite entreprise n'avait transféré aucun passif attaché à l'immeuble en cause, ce dont l'administration se prévalut pour refuser l'application du régime de faveur. Mais cette entreprise considéra cette définition inapplicable dans la mesure où les impositions contestées étaient antérieures à la directive de 1990.
Mais les juges d'appel ont rejeté cette argumentation, car l'administration s'est fondée sur les seuls éléments investis dans la société constituant, du point de vue technique, une exploitation autonome, capable de fonctionner selon ses propres moyens, à l'exclusion de toute valeur de passif.
La définition de la branche complète d'activité, commune aux opérations d'apport partiel d'actif et de scission, a récemment fait l'objet de précisions administratives (instruction du 3 août 2000, BOI n° 4 I-2-00 N° Lexbase : X6075AAA). Celles-ci concernent l'appréciation du caractère autonome de l'exploitation, qui doit selon l'administration être apprécié avant l'apport chez la société apporteuse, et la nécessité d'inclure en principe dans la branche complète d'activité tous les éléments d'actif et de passif lié à l'exploitation apportée (mais seulement ceux-là), étant toutefois précisé que des mesures d'assouplissement ont toutefois été prévues pour les opérations d'apport partiel d'actif.
Ainsi, l'administration considère que pour constituer une exploitation autonome dont l'apport est susceptible d'ouvrir droit au régime spécial des fusions, la branche complète doit porter sur une activité réellement exercée à la date de réalisation de l'apport (ainsi qu'à la date d'effet de l'apport si elle est différente). Elle doit, en outre, être dotée d'une autonomie interne et externe. À cet égard, l'administration estime que l'appréciation de ces critères (exercice réel d'une activité et autonomie de l'exploitation) doit être opérée chez la société apporteuse. Elle écarte ainsi la qualification de branche complète d'activité pour les apports d'éléments qui ont vocation à être regroupés au sein d'une exploitation autonome chez le bénéficiaire de l'apport sans avoir cependant donné lieu à une telle exploitation chez l'apporteur.
On notera toutefois que la directive communautaire du 23 juillet 1990 définit la branche complète d'activité comme un "ensemble capable de fonctionner par ses propres moyens", sans exiger, semble-t-il, que cet ensemble soit déjà constitué chez la société apporteuse.
Nicolas Bourgeois
Avocat au Barreau de Paris
- l'apport partiel d'actif doit porter sur une branche complète d'activité ou sur des éléments assimilés ;
- la société apporteuse doit prendre l'engagement dans l'acte d'apport, d'une part, de conserver pendant trois ans les titres remis en contrepartie de l'apport, d'autre part, de calculer ultérieurement les plus-values de cession afférentes à ces mêmes titres par référence à la valeur que les biens apportés avaient, du point de vue fiscal, dans ses propres écritures.
Ne peuvent, en revanche, bénéficier du régime de faveur, ni de plein droit, ni sur agrément, les opérations qui mettent en présence une société soumise au régime des sociétés de personnes.
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par Marine Parmentier, Avocat à la cour d'appel de Paris
Le 07 Octobre 2010
Par une série de textes (ordonnance n° 2004-274 du 25 mars 2004 N° Lexbase : L4315DPI ; décret n° 2004-275 du 25 mars 2004 N° Lexbase : L4314DPH ; ordonnance n° 2004-279 du 25 mars 2004 N° Lexbase : L9555DQX ; ordonnance n° 2004-280 du 25 mars 2004 N° Lexbase : L5293DST ; ordonnance n° 2004-281 du 25 mars 2004 N° Lexbase : L9556DQY), le pouvoir exécutif a mis en oeuvre la délégation qui lui avait été octroyée par le pouvoir législatif aux fins, notamment, de simplifier le droit des sociétés (loi n° 2003-591, 2 juillet 2003, habilitant le Gouvernement à simplifier le droit, art. 26 N° Lexbase : L6771BHA). Le droit des sociétés à responsabilité limitée s'en trouve modifié en profondeur par les dispositions du chapitre III de l'ordonnance n° 2004-274. Pour autant, l'ambiguïté de la nature de l'engagement qui lie les associés d'une SARL est maintenue. En effet, on classe généralement la SARL parmi les sociétés de capitaux (1). Néanmoins, contrairement aux sociétés par actions, les SARL ne sont plus tenues d'avoir un capital minimal et connaissent des conditions d'agrément qui ne vont pas sans rappeler celles des sociétés de personnes. Cela peut laisser penser que, dans les SARL, la personne des associés ou des dirigeants et les garanties que ceux-ci peuvent apporter importent plus que le capital social, gage des créanciers. Peut-être faut-il voir là un nouveau pas de la réglementation française dans la quête d'une plus grande attractivité par rapport au droit national des autres Etats membres de l'Union européenne ? Quatre importantes questions peuvent être dégagées. En premier lieu, les modes de financement de l'activité de ces sociétés sont plus ouverts. En deuxième lieu, la direction des SARL est assouplie. En troisième lieu, l'agrément des associés entrants est également aménagé (ces trois premiers points ont fait l'objet de la première partie de cet article : lire N° Lexbase : N1232ABA). En quatrième et dernier lieu, le mouvement de dépénalisation du droit des sociétés, déjà largement engagé depuis les réformes effectuées par la loi relative aux nouvelles régulations économiques (2), la loi pour l'initiative économique (3) et la loi de sécurité financière (4), trouve un nouveau prolongement.
Section 4 : La dépénalisation du droit des sociétés
§ 1 De la nécessité de pénaliser...
Comme le relève justement W. Jeandidier dans son ouvrage consacré au droit pénal des affaires (5), la révolution industrielle française a, notamment, eu pour conséquence d'imposer la mise en place de structures sociales aptes à brasser les capitaux : c'est ainsi que sont nées en France les sociétés de capitaux. Puis, ont suivi, pour répondre à des besoins différents, les sociétés de personnes.
Cependant, l'émergence de ces structures s'est accompagnée d'une délinquance spécifique aux sociétés qui peut, comme en attestent des scandales financiers anciens ou récents (affaires du Canal de Panama ou Enron, notamment, pour ne citer qu'elles), bouleverser l'économie nationale, voire internationale.
Ainsi, le développement des affaires a impliqué la création de lois et de règlements spéciaux : c'est dans ce cadre qu'est né le droit pénal des sociétés.
Cependant, tentant de répondre à toutes les hypothèses pouvant se poser par la création d'une infraction pénale spécifique, la matière, noyée dans les textes législatifs et réglementaires, est rapidement devenue impraticable.
La droit pénal de l'entreprise s'applique à l'ensemble des matières pouvant être touchées par la vie sociétaire : sanctions des atteintes à la concurrence, à l'environnement, aux droits des salariés, des actionnaires, etc.
Son expansion a pris une telle ampleur qu'il est rapidement devenu impossible de dresser une liste exhaustive des sanctions pénales encourues.
Ainsi, au vu de cette inflation législative, la volonté de dépénaliser la vie des affaires a rapidement vu le jour (6).
§ 2 ... A la volonté de dépénaliser
Cette dépénalisation, si elle a pour objectif une plus grande lisibilité de la matière, ne peut-elle pas être considérée comme la victoire d'un certain courant de pensée décrit par J.-M. Robert, ancien Procureur général près la Cour de cassation ? Relatant les propos développés dans un congrès de criminologie qui s'est tenu à Limoges au milieu des années 1970, il précise : "On y entendit que la recherche du profit étant la règle dans une société de consommation et dans une société capitaliste, profit et rentabilité se confondant, la frontière ne peut pas apparaître entre le licite et l'illicite ; il vaudrait mieux dépénaliser sinon totalement, du moins partiellement, certains délits d'affaires" (7). Même si nous ne le pensons pas, la question reste et méritait d'être posée.
En revanche, s'il est une certitude, c'est que cette vague de dépénalisation va de paire avec l'ouverture des frontières de la France sur l'Europe.
A - Le point de départ : la loi relative aux nouvelles régulations économiques
Dans le passé, chaque étape importante de la législation sur les sociétés a correspondu à des changements internationaux majeurs. Si la loi de 1867 était de faire le libre-échange franco-anglais, celle de 1966 devait être mise en relation avec la création du Marché commun.
Avec le renforcement de l'esprit communautaire et du lien européen, il est donc devenu nécessaire d'assurer la compétitivité juridique de la France par rapport aux systèmes d'inspiration anglo-saxonne d'un côté et germanique de l'autre.
C'est ce qu'a tenté de faire la loi relative aux nouvelles régulations économiques, dite "NRE" (2). Et c'est ce texte qui a inauguré la phase de dépénalisation du droit des affaires et, plus spécifiquement, celle du droit des sociétés.
Ont ainsi été abrogés des articles peu utilisés en pratique (on pense notamment à l'obtention ou à la tentative d'obtention de souscriptions ou des versements par simulation de souscriptions ou de versements, l'indication de fausses personnes attachées à la société pour provoquer des souscriptions ou des versements, le fait de commencer les opérations sociétaires avant l'entrée en fonction du conseil de surveillance, etc.).
En revanche, la loi NRE a été l'occasion de donner un nouveau souffle à l'injonction de faire : en effet, afin d'assurer une plus grande effectivité de certains droits, le législateur a préféré l'injonction à la sanction.
M. Besson, dans son rapport n° 2327 sur la loi relative aux nouvelles régulations économiques, précisait notamment eu égard à l'information des actionnaires qu'"en permettant aux actionnaires d'exiger la production, la communication ou la transmission des documents sociaux, par injonction ou par désignation d'un mandataire, [ce nouvel article] donne une portée concrète au droit d'information de ces derniers, droit essentiel pour leur participation effective à la vie de la société et l'exercice d'un vote éclairé sur la gestion des dirigeants de cette société.
En l'état actuel du droit [avant la loi NRE, NDLR], le principe est que la société doit obligatoirement procéder à l'envoi de ces documents, en particulier avant la tenue des assemblées générales, sous peine de sanction pénale. Si ce mécanisme permet de protéger les droits des actionnaires, il reste cependant d'une portée pratique relativement limitée dans la mesure où la sanction intervient a posteriori.
Le présent article renverse cette logique en autorisant les personnes intéressées à saisir le juge des référés, pour obtenir la communication" des documents qu'il énumère.
Le domaine des injonctions de faire s'étend ainsi à la production et à la communication de certains documents (C. com., art. L. 238-1 N° Lexbase : L2193ATE), aux appels de fonds en vue de la libération du capital (C. civ., art. 1843-3 N° Lexbase : L2017ABC) et au dépôt des pièces et actes au registre du commerce et des sociétés (C. com., art. L. 123-5-1 N° Lexbase : L2182ATY).
Cette vague de dépénalisation doit cependant être nuancée dans la mesure où des peines préexistantes ont été aggravées : ainsi, les commissaires aux comptes ont vu certaines conditions d'exercice de leurs fonctions mieux protégées (par exemple, le délit d'obstacle à leurs fonctions ou le défaut de convocation ont été sanctionnés plus sévèrement par la loi NRE).
L'initiative lancée par la loi NRE a été prolongée par la loi relative à la sécurité financière du 1er août 2003 (4).
B - Le mouvement de dépénalisation du droit des sociétés et la loi de sécurité financière
La loi relative à la sécurité financière participe du processus de dépénalisation du droit des sociétés (lire, sur ce point : J.-P. Dom, "Présentation des aménagements du droit des sociétés par la loi de sécurité financière", Lexbase Hebdo n° 82, 29 juillet 2003 - édition Affaires N° Lexbase : N8423AA9).
Pour n'en reprendre que les grandes lignes, les dispositions pénales sanctionnant la violation du droit de vote des actionnaires ont été remplacées par une dangereuse nullité édictée par l'article L. 235-2-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L7455DAD) : "sont nulles les délibérations prises en violation des dispositions régissant les droits de vote attachés aux actions".
En outre, certaines des sanctions pénales applicables à l'occasion d'une augmentation de capital dans les sociétés par actions ont également été remplacées par une nullité : ainsi, le nouvel article L. 225-149-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L7824DAZ) prévoit-il que les décisions prises en violation des dispositions de la sous-section du Code relative aux augmentations de capital sont nulles.
L'attention doit toutefois être attirée sur le fait qu'une nullité de plein droit peut être autrement plus dangereuse qu'une sanction pénale : si la sanction pénale ne concerne qu'un dirigeant, la nullité peut bouleverser la vie sociale, notamment dans l'hypothèse où la société fait appel public à l'épargne... Une nullité dont l'opportunité du prononcé aurait été laissée à l'appréciation du juge n'aurait-elle pas été préférable ?
Enfin, certaines sanctions auparavant encourues par le liquidateur de la société ont été remplacées par une injonction de faire (C. com., art. L. 238-2 N° Lexbase : L7358DAR).
C - La dépénalisation du droit des sociétés par l'ordonnance du 25 mars 2004 : suite et fin ?
L'ordonnance n° 2004-274 du 25 mars 2004, prise en application de la loi habilitant le Gouvernement à simplifier le droit (N° Lexbase : L6771BHA), s'inscrit également dans la vague de dépénalisation du droit des sociétés.
A ce titre, a, tout d'abord, été abrogé l'article L. 242-7 du Code de commerce qui punissait d'une amende le fait de ne pas constater les délibérations du conseil d'administration par des procès-verbaux formant un registre spécial tenu au siège de la société.
A la sanction pénale sont substituées deux mesures :
- d'une part, une nullité, d'application restreinte quant aux personnes pouvant la demander et quant au délai dans lequel l'action peut être engagée, qui est contenue dans un nouvel article L. 235-14 du Code de commerce. Selon ce dernier texte : "Le fait pour le président des organes de direction et d'administration ou le président de séance de ces organes de ne pas constater les délibérations de ces organes par des procès-verbaux est sanctionné par la nullité des délibérations desdits organes.
L'action est ouverte à tout administrateur, membre du directoire ou membre du conseil de surveillance.
Cette action en nullité peut être exercée jusqu'à l'approbation du procès-verbal de la deuxième réunion du conseil d'administration, du directoire ou du conseil de surveillance qui suit celle dont les délibérations sont susceptibles d'être annulées.
Elle est soumise aux articles L. 235-4 (N° Lexbase : L6341AIP) et L. 235-5 (N° Lexbase : L6342AIQ)" ;
- d'autre part, une injonction qui peut être demandée par tout intéressé en vertu d'un nouvel article L. 238-4 du Code de commerce.
Par ailleurs, ont été abrogés les articles L. 242-12 et L. 242-13 du Code de commerce qui sanctionnaient d'une amende le fait de ne pas porter à la connaissance des actionnaires certains renseignements dont la communication est exigée par l'article 129 du décret n° 67-236 du 23 mars 1967 (N° Lexbase : L2365AH3) et le fait de ne pas leur adresser une formule de procuration accompagnée de certains documents.
La sanction pénale est remplacée par une injonction de faire : un nouvel alinéa est ajouté à cet effet à l'article L. 238-1 du Code de commerce.
Par ailleurs, s'il est toujours imposé aux dirigeants, à peine de sanction pénale, de constater les décisions de l'assemblée des actionnaires (C. com., art. L. 242-15 N° Lexbase : L6429AIX) et des obligataires (C. com., art. L. 245-13 N° Lexbase : L6464AIA) par un procès-verbal, n'est plus pénalement sanctionnée l'obligation de conserver au siège social le recueil spécial dans lequel est inséré ledit procès-verbal.
En contrepartie, il est créé dans le Code de commerce un nouvel article L. 238-5 permettant à tout intéressé de demander au président du tribunal statuant en référé d'enjoindre sous astreinte au président de l'assemblée générale des actionnaires ou des obligataires de transcrire les procès-verbaux de ces assemblées sur un registre spécial tenu au siège social.
Enfin, n'est plus pénalement sanctionné le fait, dans les sociétés par actions, d'émettre des obligations négociables dont la valeur nominale est inférieure au minimum légal.
L'ordonnance du 25 mars 2004 portant simplification du droit et des formalités pour les entreprises s'inscrit donc pleinement dans le mouvement de dépénalisation du droit des sociétés.
Pour autant, s'agit-il de la dernière étape de la dépénalisation ? Nous ne le pensons pas. Pour s'en convaincre, il suffit de lire une étude réalisée par la Chambre de commerce et d'industrie de Paris (8) qui précise, au sujet de la loi habilitant le Gouvernement à simplifier le droit, et plus précisément concernant la réforme du droit pénal des sociétés : "Elle n'en demeure pas moins "embryonnaire" puisque l'habilitation demandée ne concerne que sept infractions, ce qui reste largement insuffisant. Les Commissions chargées, au sein de l'Assemblée nationale et du Sénat, d'étudier le projet de loi ont relevé cette insuffisance, mais ont décidé de rejeter les amendements tendant à l'élargir, au motif qu'un sujet aussi sensible ne pouvait relever d'une loi d'habilitation tendant à la simplification et à la codification du droit".
L'ordonnance du 25 mars 2004, prise en application de la loi habilitant le Gouvernement à simplifier le droit, constitue donc une suite de la vague de dépénalisation, mais sans doute pas une fin !
(1) Voir, notamment, la directive 68/151/CEE du 9 mars 1968 (N° Lexbase : L7917AUR) tendant à coordonner, pour les rendre équivalentes, les garanties qui sont exigées, dans les Etats membres, des sociétés au sens de l'article 58, deuxième alinéa du traité , pour protéger les intérêts tant des associés que des tiers qui concerne, en droit français, les SARL et les sociétés anonymes.
(2) Loi n° 2001-420, 15 mai 2001, relative aux nouvelles régulations économiques (N° Lexbase : L8295ASZ).
(3) Loi n° 2003-721, 1er août 2003, pour l'initiative économique (N° Lexbase : L3557BLC).
(4) Loi n° 2003-706, 1er août 2003, de sécurité financière (N° Lexbase : L3556BLB).
(5) W. Jeandidier, Droit pénal des affaires, Dalloz, 2e éd., n° 229.
(6) Lire notamment le rapport de L. Jibert du 12 septembre 1996 sur la dépénalisation du droit des sociétés commerciales.
(7) J.-M. Robert, Le droit pénal des affaires, Que sais-je, PUF, 1976, p. 6.
(8) "La politique de simplification du droit par ordonnance : analyse et proposition de la CCIP", étude de la CCIP de juin 2003, p. 106.
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Réf. : CJCE, 1er avril 2004, aff. C-237/02, Freiburger Kommunalbauten GmbH Baugesellschaft & Co. KG c/ Ludger Hofstetter (N° Lexbase : A6537DBQ)
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N1325ABP
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par David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit
Le 07 Octobre 2010
Le gouvernement allemand, pour convaincre que la clause litigieuse n'était pas abusive au sens de ce texte, faisait valoir que les désavantages qui peuvent résulter pour le consommateur de l'obligation de verser le prix avant l'exécution du contrat seraient compensés par la garantie bancaire fournie par le constructeur. Les acquéreurs du bien vendu soutenaient, eux, que la clause était abusive, et ce d'autant qu'elle entrerait dans la catégorie des clauses visées au point 1, sous b) et o), de l'annexe de la directive. Avant de répondre à la question qui lui était posée, la Cour rappelle que l'annexe de la directive contient une liste indicative et non exhaustive de clauses pouvant être déclarées abusives, de telle sorte qu'une clause qui y figure n'est pas nécessairement abusive et, inversement, qu'une clause qui n'y figure pas peut parfaitement rentrer dans la catégorie des clauses abusives au sens de la directive. Ensuite, la Cour poursuit en renvoyant aux dispositions de l'article 4 de la directive selon lesquelles l'appréciation du caractère abusif d'une clause suppose de tenir compte de la nature des biens ou des services qui font l'objet du contrat et de se référer, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion. Mieux, la Cour relève même que doivent être appréciées les conséquences que ladite clause peut avoir dans le cadre du droit applicable au contrat, ce qui implique un examen du système juridique national. Autrement dit, l'appréciation du caractère abusif d'une clause suppose de procéder à une appréciation très concrète non seulement de l'économie globale du contrat, mais encore du droit national applicable. De ces affirmations, la Cour en déduit, répondant ainsi à la question posée, que s'il lui appartient, "dans l'exercice de sa compétence d'interprétation du droit communautaire, d'interpréter les caractères généraux utilisés par le législateur communautaire pour définir la notion de clause abusive, [...] elle ne saurait [pour autant] se prononcer sur l'application de ces critères généraux à une clause particulière qui doit être examinée en fonction des circonstances de l'espèce".
Par conséquent, "il appartient au juge national, et non à la Cour de justice des Communautés européennes saisie d'une question préjudicielle en vertu de l'article 234 CE, de déterminer si une clause contractuelle telle que celle qui fait l'objet du litige au principal réunit les critères requis pour être qualifiée d'abusive au sens de l'article 3, paragraphe 1, de la directive".
La solution méritait d'être mentionnée dans la mesure où, pour une fois oserait-on dire, la juridiction communautaire se refuse à imposer son interprétation et préfère laisser une marge d'appréciation au juge national, ce qui est, au fond, assez logique au regard des critères d'appréciation du caractère abusif d'une stipulation contractuelle, ces critères appelant, comme on l'a relevé, une appréciation très circonstanciée qui ne peut, raisonnablement en tout cas, qu'être l'oeuvre du juge national. Si la Cour de justice des Communautés européennes est compétente pour interpréter les normes communautaires et définir certains critères généraux, comme ceux caractérisant, de façon assez abstraite, la notion de clause abusive, c'est au juge national que revient le pouvoir de se prononcer sur l'application des ces critères à une clause particulière. La Cour de justice, dans sa mission d'interprétation, assiste et éclaire l'oeuvre du législateur communautaire ; le juge national la met en oeuvre. Belle leçon de sources qui, pour un peu, rappellerait presque les principes directeurs, tellement malmenés à l'époque contemporaine, énoncés par Portalis dans le Discours préliminaire du Code civil ...
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N1323ABM
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Le 07 Octobre 2010
- Faites le point sur l'évolution du régime de la "dissolution-confusion" : quelle nouvelle donne ?
- La "dissolution-confusion" : vers plus de simplicité pour des opérations complexes ?
- Etude comparative entre la fusion simplifiée et la "dissolution-confusion" : des solutions alternatives à la disposition des entrepreneurs ?
- Comment l'utiliser au mieux ? Selon quel mode opératoire ?
- Quels modes de comptabilisation utiliser ?
- Bénéficiez d'un régime fiscal avantageux : quel intérêt ? Quelles limites ?
- Sur le plan international : quand et comment utiliser la "dissolution-confusion" ?
Bruno Erard, Cabinet Ayache Salama & associés
Guillaume Goulard, Maître des requêtes, Conseil d'Etat
Florence Bellon, avocat à la Cour, Gide Loyrette Nouel
Janin Audas, Expert-comptable - Commissaire aux comptes, Audit Eurex Paris
Frédéric Laureau, avocat à la Cour, EY Law, Société d'Avocats
6 mai 2004
Hôtel Sofitel Arc de Triomphe
Paris
900 euros HT
EFE - Département formation
50, avenue de la Grande-Armée
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Tél : 01 44 09 24 23 - Fax : 01 44 09 22 22
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Réf. : CAA Paris, 2ème ch., 15 octobre 2003, n° 00PA02149, M. Georges Bourgeois c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie (N° Lexbase : A4557DAZ)
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N1346ABH
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par Sophie Duval, Juriste-fiscaliste
Le 07 Octobre 2010
1. Cessions intervenues avant le 1er janvier 2004
1.1. Rappel des principes généraux de détermination de la plus-value
L'article 150 H du CGI concernant le calcul des plus-values immobilières des particuliers dispose que "la plus-value imposable en application de l'article 150 A est constituée par la différence entre le prix de cession, et le prix d'acquisition par le cédant. Le prix de cession est réduit du montant des taxes acquittées et des frais supportés par le vendeur à l'occasion de cette cession. En cas d'acquisition à titre gratuit, ce second terme est la valeur vénale au jour de cette acquisition. Le prix d'acquisition est majoré [...] le cas échéant, des dépenses de construction, de reconstruction, d'agrandissement, de rénovation ou d'amélioration, réalisées depuis l'acquisition, lorsqu'elles n'ont pas déjà été déduites du revenu imposable et qu'elles ne présentent pas le caractère de dépenses locatives".
Pour les cessions portant sur des immeubles détenus par le contribuable depuis plus de deux ans (plus-value à long terme) des correctifs tenant à la durée de détention du bien cédé sont encore appliqués. D'une part le prix d'acquisition est revalorisé pour tenir compte de l'érosion monétaire à l'aide des coefficients de variation de l'indice annuel des prix à la consommation depuis l'acquisition du bien jusqu'à sa vente. D'autre part, la plus-value est diminuée d'un abattement d'autant plus important que la durée de détention du bien est longue.
Enfin, un abattement général est pratiqué sur le total des plus-values immobilières et de cessions de biens meubles réalisées au cours de la même année.
Par ailleurs, aux termes de l'article 150 N bis du CGI , les moins-values immobilières ne sont pas déductibles des revenus imposables du contribuable. Il en résulte que si la cession d'immeubles fait apparaître une moins-value, cette dernière ne peut s'imputer ni sur une plus-value de même nature, ni sur les autres revenus du contribuable.
1.2. Cas particulier des ventes en bloc d'immeubles acquis par fractions successives
Au vu de ces différentes règles de calcul et d'imposition des plus-values des particuliers s'est posée la question de la détermination de la plus-value en cas de vente en une seule fois de biens que le contribuable avait acquis à des dates différentes.
Le Conseil d'Etat, dans son arrêt du 30 juin 2000, a eu l'occasion de répondre à cette interrogation et d'indiquer que les dispositions de l'article 150 N bis qui interdisent l'imputation des moins-values immobilières sur les plus-values de même nature, ne s'opposent pas à ce que la plus-value unique résultant de la vente en bloc d'un immeuble acquis par fractions successives soit calculée en faisant la somme algébrique de chacune des différences constatée. Il admet ainsi, sans restriction et en application de la loi, la compensation entre plus-values et les moins-values dégagées pour chaque fraction. Deux arrêts de la cour administrative d'appel de Paris s'étaient déjà prononcés en ce sens (CAA Paris, 29 octobre 1998 n° 96PA02951, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ Succession de Mme Gere N° Lexbase : A2848BIC ; CAA Paris, 3e ch., 29 mai 1990, n° 89PA02019, Fontaine c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A0386A98).
Par l'instruction du 4 décembre 2002, l'administration s'est officiellement ralliée à cette décision. En cas de vente en bloc d'un immeuble acquis par fractions successives la plus-value unique est donc calculée en faisant la somme algébrique de chacune des différentes constatées, quel qu'en soit le sens entre le prix, révisé lorsqu'il y a lieu par l'application du coefficient d'érosion monétaire prévu à l'article 150 K du CGI, de chacune des acquisitions successives et la part correspondante du prix de vente de l'immeuble. Les différences ainsi calculées sont ensuite en outre réduites de l'abattement pour durée de détention prévu par l'article 150 M du CGI , le délai de possession étant calculé à partir de chacune des dates des différentes acquisitions.
L'administration a, à cette occasion, précisé que devait être notamment considérée comme unique, la plus-value qui résulte de la vente en bloc d'un immeuble acquis par parts indivis successives, d'un immeuble dont le propriétaire a acquis successivement les droits démembrés (usufruit et nue-propriété) ou des parts indivises de ces droits, d'un immeuble provenant de la fusion de deux unités d'habitation acquises à des dates différentes. Et, il importe peu, selon elle, que l'immeuble ou la fraction d'immeuble ait été acquis à titre onéreux ou gratuit.
Il est à noter que la position prise par l'administration n'est pas vraiment surprenante puisque la compensation entre les plus et moins values réalisées lors de la revente en bloc d'un immeuble acquis par fractions successives, était déjà admise par l'administration (Doc. adm. 8 M-23, 1er décembre 1995, n° 4). Toutefois, il ne s'agissait alors que d'une mesure de tempérament et elle n'acceptait son application uniquement entre plus-value et moins-values de même nature.
Attention, le contribuable qui cède seulement deux appartements d'un immeuble dont il est propriétaire n'est pas considéré comme ayant réalisé une vente en bloc d'un immeuble acquis par fractions successives (CAA Paris, 2e ch., 2 mai 1989, n° 89PA00354, Ministre du Budget c/ Mme Godfrain N° Lexbase : A8609A8D) et plus généralement, la compensation des plus et moins-values ne s'applique pas lorsque le contribuable ne cède pas l'intégralité des biens qu'il détient dans un ensemble immobilier qu'il a acquis par fractions successives.
La cour administrative d'appel de Paris dans son arrêt du 15 octobre 2003 a appliqué strictement ces règles de détermination de la plus-value à des contribuables, les époux Bourgeois, qui avaient acquis en 1964 la moitié d'un studio, puis qui, en 1982, avaient racheté aux deux co-héritiers du détenteur de l'autre moitié indivise de l'immeuble, le quart qui était revenu à chacun d'eux. Ils avaient donc ainsi obtenu la propriété intégrale de l'immeuble. Ces contribuables avaient ensuite, en 1991, cédé cet appartement pour un montant total de 330 000 francs (50 308 euros).
La cour considère donc que, pour le calcul de la plus-value découlant de cette opération, l'administration était bien fondée à fixer la part du prix de cession de chacune des fractions acquises par le contribuable, à la moitié du prix de total et à calculer pour chacune des deux fractions de ces droits indivis acquises à des périodes différentes, la plus-value représentative de la cession de ces deux fractions, par comparaison du prix d'acquisition révisé avec la valeur de cession correspondante, puis à appliquer l'abattement pour durée de détention applicable à chacune des valeurs ainsi établies et enfin à additionner les deux composantes ainsi calculées pour obtenir le montant de la plus-value imposable.
Dans cet arrêt, la cour précise également les modalités de prise en compte des dépenses de construction, d'agrandissement, de rénovation ou d'amélioration pour le calcul du prix d'acquisition de chaque fraction. Ainsi, logiquement, elle considère dans le cas particulier des époux Bourgeois, que pour les dépenses réalisées par ces contribuables dans l'immeuble avant l'acquisition de la seconde moitié indivise, il ne pouvait être pris en compte que la moitié du montant de ces frais, puisque ces dépenses concernaient pour moitié l'autre détenteur indivis du studio (en l'espèce, les contribuables ne rapportaient pas la preuve que, comme ils l'affirmaient, ils avaient entièrement supporté ces travaux). Pour les dépenses réalisées postérieurement à l'acquisition, elles devaient être divisées en deux et être prises en compte pour moitié pour le calcul de la plus-value correspondant à chacune des fractions.
2. Cessions intervenues après le 1er janvier 2004
2.1. Nouvelles dispositions
L'article 10 de la loi de finances pour 2004 a réformé le régime d'imposition des plus-values réalisées par les particuliers lors de la cession d'immeubles, de meubles ou de parts de sociétés à prépondérance immobilière.
Pour les cessions intervenues à compter du 1er janvier 2004, la plus-value brute égale à la différence entre le prix de cession et le prix d'acquisition est réduite d'un abattement de 10 % pour chaque année de détention au-delà de la cinquième pour les immeubles et les parts de sociétés à prépondérance immobilière et de la deuxième pour les meubles. La moins-value brute n'est en principe pas prise en compte sauf, sous certaines conditions, en cas de vente d'un immeuble par fractions successives.
Un abattement fixe de 1 000 euros est opéré sur la plus-value brute, corrigée le cas échéant de l'abattement pour durée de détention et des moins-values imputables.
Le contribuable qui cède un immeuble est désormais imposable à l'impôt sur le revenu afférent à la plus-value au taux proportionnel de 16 % et aux prélèvements sociaux de 10 %, soit au 1er janvier 2004, un taux global de 26 %.
2.2. Instruction du 14 janvier 2004
Cette instruction qui précise les modalités d'application de ces nouvelles dispositions revient sur le cas particulier des ventes en bloc d'immeubles acquis par fractions successives. L'administration indique que lorsque des opérations de ce type sont constatées par un même acte, soumis à publication ou à enregistrement, et entre les mêmes parties, la ou les moins-values brutes, réduites de 10 % pour chaque année de détention au-delà de la cinquième, s'imputent sur les plus-values brutes corrigées le cas échéant de l'abattement pour durée de détention .
Elle rappelle que les cessions concernées par cette disposition sont uniquement les ventes d'immeubles acquis par fractions successives. Il s'agit, comme auparavant, notamment de la vente en bloc d'un immeuble acquis par parts indivises successives, d'un immeuble dont le propriétaire a acquis successivement les droits démembrés (usufruit et nue-propriété) ou des parts indivises de ces droits ou d'un immeuble provenant de la fusion de deux unités d'habitation acquises à des dates différentes. Il importe peu que l'immeuble ou la fraction d'immeuble ait été acquis à titre onéreux ou gratuit.
Enfin, l'administration précise qu'il convient de déterminer de manière distincte la plus-value brute ou la moins-value brute afférente à chacune de ces fractions, selon les règles qui lui sont propres. Les dépenses de travaux qu'il n'est pas possible de rattacher aux différentes parties du local acquises à des dates distinctes peuvent, à titre de règle pratique, être ventilées au prorata des millièmes de copropriété qui leur sont affectés ou, à défaut, au prorata de la surface des lots.
La ou les moins-values brutes, réduites de 10 % pour chaque année de détention au-delà de la cinquième, s'imputent sur la ou les plus-values réalisées sur les autres fractions du bien immobilier. Lorsque le résultat est négatif, la moins-value constatée n'est pas prise en compte (CGI, article 150 VD-I) lorsque le résultat est positif, ce dernier montant est réduit de l'abattement fixe de 1 000 euros.
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