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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
Le 12 Mai 2016
Naïvement, nous pouvions penser que quiconque se faisait prendre la main dans le sac, en parfaite illégalité, encourait une sanction, sinon pénale du moins civile. Et que, si le quidam est une entreprise, elle devait oublier l'anonymat de la sanction, soit qu'elle doive publier, à ses frais, la condamnation dans les journaux, soit que les fourches caudines de l'anonymisation des décisions de justice ne lui garantissent pas, elle, une virginité judiciaire.
Pourtant, l'on sait que tout employeur assure, pour un même travail ou pour un travail de valeur égale, l'égalité de rémunération entre les femmes et les hommes. Voilà pour la loi. Alors, c'est la jurisprudence qui a pleinement consacré le principe "à travail égal, salaire égal". Le droit des salariés à une même rémunération ne vaut que pour autant qu'ils se trouvent dans une situation identique. Et, ce principe est applicable aux relations entre employeur et travailleur régies par le Code du travail mais également à celles non régies par celui-ci notamment aux salariés liés par un contrat de droit public. Du coup, l'employeur ne peut opposer son pouvoir discrétionnaire pour se soustraire à son obligation de justifier, de façon objective et pertinente, une différence de traitement entre des salariés effectuant un même travail ou un travail de valeur égale.
D'abord, l'absence de justification fournie par l'employeur à la demande d'un salarié qui se prétend victime d'une inégalité de traitement lui occasionne un préjudice que la juridiction d'appel évalue souverainement. Ensuite, le licenciement est nul s'il intervient à la suite d'une action en justice engagée par le salarié sur le fondement des dispositions relatives à l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes et qu'il ne procède pas d'une cause réelle et sérieuse. Enfin, les entreprises peuvent être sanctionnées jusqu'à 1 % de leur masse salariale.
Bref, l'arsenal est complet et ne souffre pas la contestation.
En 2010, selon les derniers chiffres de l'Insee, l'écart de revenu salarial entre hommes et femmes en France atteignait 28 %, dans le secteur privé. En 2012, les femmes devaient travailler 79 jours de plus pour gagner autant que les hommes. La même année, le ministre des Droits des femmes a renforcé les dispositifs législatifs de sanction contre les atteintes à l'égalité homme femme ou femme homme, selon. Depuis lors les contrôles aléatoires et sur place sont devenus des contrôles systématiques et sur pièces, pour les entreprises de plus 50 salariés. Etrangement, peu de temps après publication du décret, près de 1 500 nouveaux plans ont été déposés par les entreprises pour assurer cette égalité des sexes au travail.
Plus d'un an après, 700 entreprises avaient été mises en demeure pour non-respect de l'égalité entre les femmes et les hommes ! Et seulement quatre avait été sanctionnées.
A l'heure du big data, où l'on diffuse les données de tout et n'importe quoi à l'attention du citoyen lambda, mais surtout des entreprises innovantes, en pleine chasse aux sorcières légalisée à coup de transparence à tous les étages et de négociations collectives sur le moindre droit : le tribunal administratif de Paris estime que la divulgation de la liste des entreprises sanctionnées pour ne pas avoir respecté le principe d'égalité salariale risquerait de leur causer préjudice et doit donc être interdite pour ce motif.
Peuchère ! Un de ces citoyens zélés qui croyait vivre dans une totale transparence administrative demandait qu'on lui communique la liste des entreprises à l'encontre desquelles des décisions de pénalités financières ont été prises dans le cadre du contrôle de la négociation collective relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans les petites et moyennes entreprises, la liste des entreprises ayant fait l'objet de mises en demeure, et la liste des entreprises ayant conclu des plans d'égalité. Sur le plan démocratique et statistique, la requête avait tout son sens. Et au demeurant, il n'était pas inintéressant pour les salariés concernés de connaître l'état du respect de la loi dans leurs entreprises.
Les juges estiment que la liste en cause contient nécessairement, par sa nature même, des éléments dont la divulgation porterait préjudice aux entreprises concernées. Dès lors, les dispositions de l'article 6 de la loi du 17 juillet 1978 s'opposent à la communication de ce type de document.
C'est là que cela devient paradoxal : des décisions de condamnation en tout genre d'entreprises circulant sur le net, il y en a pléthore. Pour autant, dans la plupart des cas, on peut être certain que leur "divulgation porterait préjudice aux entreprises concernées" ; ne serait-ce qu'un préjudice d'image. Et la CADA elle-même n'y trouve rien à redire. On rappellera que l'article 17 du tout nouveau Règlement du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, prévoit rien de moins, comme exception au droit à l'oubli, que la conservation ultérieure des données à caractère personnel pour l'exercice ou la défense de droits en justice.
En quoi une sanction administrative, une mise en demeure, un plan de légalisation ont-ils plus d'impact et leur divulgation est-elle plus préjudiciable qu'une décision condamnant une entreprise pour des faits de harcèlement, de licenciement abusif, d'infraction au régime des déchets, etc. ?
Sans doute, parce que la démarche se veut d'alcôve. La pédagogie et le changement des habitudes inégalitaires des sociétés françaises obligeraient à la plus grande discrétion. Comme il en irait de même si l'on s'aventurait à demander la liste des rapatriés fiscaux, sanctionnés administrativement. Alors, que l'on pouvait, il y a peu encore, consulter l'avis d'imposition de son voisin à la mairie !
Anonymisation, oui mais laquelle ! Transparence, oui mais pas trop ! La France tâtonne sur le chapitre de l'accès aux données publiques, malgré l'ère de la libération de l'information. Oui, la donnée nominative est une donnée à la fois précieuse et dangereuse. Oui, il ne convient pas de la mettre entre toutes les mains, mais de s'assurer d'une déontologie dans leur diffusion et leur exploitation. Oui, encore, tous les publics ne sont pas disposés à garantir cette déontologie. Mais alors, il faudra accepter une rupture d'égalité entre le sachant et le quidam, entre le professionnel et le consommateur ; sauf à bâtir des murs inexplicables, là où l'on pensait qu'ils étaient tombés.
"Ce qui est aujourd'hui un paradoxe pour nous sera pour la postérité une vérité démontrée" écrivait Diderot.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
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Réf. : Cass. civ. 3, 4 mai 2016, n° 14-19.804, FS-P+B (N° Lexbase : A3451RN7)
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Le 12 Mai 2016
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par Aziber Seïd Algadi, Docteur en droit, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition professions
Le 12 Mai 2016
Introduisant la journée, le Professeur Guinchard a relevé que le sujet reste d'actualité même si le projet de la justice du 21ème siècle (projet J21) n'a pas encore abouti. La nouvelle ère de la procédure civile se révèle notamment à travers deux aspects : l'ère du conventionnel (A) et l'ère du numérique (B).
A - L'ère du conventionnel
L'ère du conventionnel est celle de la promotion du lien procédural, qui est fondé sur le consensus avec le retour à l'esprit de conciliation mais surtout le retour à l'esprit de certaines pratiques du procès, antérieures au Code de procédure civile de 1975 (décret n° 75-1123, 5 décembre 1975, instituant un nouveau Code de procédure civile N° Lexbase : L8919IRR) et parfois vieilles de plus de deux cent ans.
Elle est de plus en plus impulsée par les MARD dans les textes récents d'inspiration européenne mais aussi à travers le projet "J21".
Deux remarques s'imposent à ce sujet :
- premièrement, à l'aune des droits fondamentaux, notamment du droit d'accès au juge, la CEDH a validé la sanction de l'irrecevabilité d'une demande en justice pour non respect de l'obligation de faire précéder cette demande d'une tentative de conciliation ou de médiation (CEDH, 26 mars 2015, Req. 11239/11, disponible en anglais). Ainsi, il est fait obligation de procéder à une tentative de conciliation avant toute déclaration au greffe devant le tribunal d'instance ou le juge de proximité ;
- deuxièmement, si le recours aux MARD est souhaitable pour apaiser les relations sociales et soulager le juge en le déchargeant de certains litiges, l'on ne peut s'empêcher de constater que l'expérimentation dans le passé, sous la Révolution de 1789, fut un échec -y compris dans le cadre du divorce sans juge, par déclaration devant un citoyen, par exemple-, de même que fut un échec le préalable obligatoire de conciliation devant le juge de paix.
Il convient de relever qu'à l'époque contemporaine, l'esprit de conciliation est surtout attisé par la rigueur budgétaire qui frappe les justiciables. Le coût et la lenteur des procès ne sont plus supportables et il est vrai que la voie de la conciliation-médiation apparaît comme une voie permettant de répondre à des besoins qui ne sont pas satisfaits de nos jours.
Mais, il reste, cependant, une question importante qui est celle de la charge du paiement des frais de médiation et, comme l'écrivait le Doyen Carbonnier, à propos de la conciliation, dans quelques années (100 ou 200 ans) quand les anthropologues étudieront notre société, l'on sera peut-être surpris de notre course à la "justice fondée sur le baiser de paix". La justice, soulignait-il, c'est d'abord deux plateaux d'une balance qu'on devait chercher à équilibrer. Ce n'est pas forcément en recherchant le "baiser de paix" qu'on arriverait à une solution.
La question des MARD devrait inviter à la réflexion.
Il est également utile de s'intéresser à la mise en état externalisé entre les mains des parties via leurs avocats à travers la convention de procédure participative revisitée et vivifiée par le projet de création d'acte de procédure contresigné par les avocats.
Le projet "J21" sera en principe examiné le 15 mai 2016 mais il faudrait attendre certainement quelques années pour que les praticiens utilisent cette procédure.
B - L'ère du numérique
L'ère du numérique, à l'inverse du conventionnel, ne nous plonge pas dans les racines procédurales mais nous projette dans les innovations du futur.
La communication électronique a, en effet, un impact sur le droit des justiciables qui peut être bénéfique lorsqu'elle accélère le déroulement des procès en audience avec l'effectivité des principes directeurs du procès. Elle peut être maléfique aussi par l'exigence de confidentialité des échanges électroniques qu'impose la sécurité des échanges pouvant, dans certaines conditions, heurter le principe de la publicité de la justice ou encore, lorsqu'en l'état, seuls les professionnels de la justice y ont accès.
A l'avenir, se posera le problème d'un procédé ouvert à tous les justiciables avec un clivage qui pourrait être jugé discriminatoire entre ceux qui ont accès à internet et les autres. Une frange de la population, n'ayant pas les moyens financiers ou intellectuels, sera dès lors marginalisée. De nos jours, les procès se déroulent encore avec la présence physique des parties. L'évolution du numérique pose la question de ce que seront les procès dans les années à venir. Qu'en sera-t-il de la compétence territoriale des juridictions ? La présence physique en matière civile sera-t-elle encore nécessaire ? Il est intéressant de s'y appesantir.
II - Les conventions sur l'instance
A - Les MARD, préalable obligé ou substitut au procès
Les MARD sont les techniques permettant de contractualiser la solution d'un litige, d'arriver à une solution dite amiable (2). Le terme amiable évoque, selon le Professeur Natalie Fricero, plutôt des sentiments, de l'affection, un terme subjectif qui n'a rien à voir avec la contractualisation de la solution.
Le développement des MARD est tout à fait évident, au moins sur le plan législatif et sur le plan des idées. Les raisons de ce développement sont bien connues.
D'une part, il y a les contraintes européennes : l'Union européenne considère, dans le cadre des Directives et Règlements, que les MARD présentent des avantages considérables pour les citoyens dans l'Europe pour le maintien du marché unique et son développement ; ce qui veut dire qu'il s'adresse en priorité aux consommateurs plus qu'aux justiciables de droit commun.
A côté de ces contraintes européennes, qui conduisent tout de même à développer les MARD sur le plan interne, il existe aussi des facteurs économiques. Les contraintes économiques étaient déjà connues en 2007 avec la RGPP (révision générale des politiques publiques) qui obligeait l'organisation des services publics de la Justice dans le cadre des contraintes budgétaires et plus tard avec la MAP (modernisation de l'action publique) où il est précisé comme objectif de rationaliser la gestion budgétaire, faire des économies tout en restant performants.
Le développement des MARD traduit une logique de libéralisme, de privatisation et de contractualisation de la résolution des différends. C'est la naissance d'un nouveau droit de l'Homme qui est celui d'un droit à règlement amiable équitable et d'un droit de l'Homme subsidiaire tend à être maintenu qui le droit à un procès équitable alternatif ou subsidiaire.
1) Un nouveau droit de l'Homme : le droit à règlement amiable équitable
Les facteurs d'émergence des MARD ne sont pas uniquement économiques ou européens.
Il y a un facteur substantiel : l'organisation sociale est devenue horizontale et non plus verticale. Elle est fondée sur la liberté des individus, l'égalité et non plus sur une verticalité permettant au juge d'imposer une solution avec un jugement qui a autorité de la chose jugée et force exécutoire. Ces derniers sont remplacés par la force obligatoire des conventions et de la chose consentie. On retrouve évidemment cette théorie dans l'empowerment anglo-saxon : la société civile reprend le pouvoir et nous en avons l'exemple aujourd'hui dans l'organisation politique. Peter Andreas Thiel prône à cet effet le libertarisme, c'est-à-dire le rétrécissement maximal de l'Etat, la primauté absolue de la liberté individuelle et imagine un monde post-politique.
Tous les récents rapports sur la justice du 21ème siècle insistent sur l'objectif de faire du citoyen un acteur de la résolution des différends. Il y a bien un mouvement de fond qui est philosophique, idéologique et mondial et contre lequel l'on ne peut pas lutter parce qu'il se manifeste quotidiennement.
Le deuxième facteur d'émergence est la transformation totale, la mutation anthropologique des individus en raison de l'introduction de l'internet et des nouvelles technologies qui conduisent à des modes de communications différentes et surtout à des activités émergentes dont on ne soupçonnait même pas l'existence. Comme les MARD ne relèvent d'aucun monopole professionnel mais de la liberté totale d'entreprendre et la liberté individuelle, les legal start-up proposent des MARD, des arrangements divers et variés et ce mouvement, appelé l'"ubérisation", pénètre le marché du droit et de la résolution des différends.
Certaines professions réglementées essayent de "surfer sur la vague" des modes amiables en ligne. Ainsi en est-il des huissiers qui ont mis en place une plate forme "Medicys" de résolution des différends. Le CNB envisage également de créer un site de référencement des avocats médiateurs et éventuellement un site de consultation juridique, de modes amiables sécurisés (3).
Sur internet, il existe énormément de sites qui interviennent dans des secteurs extrêmement diversifiés (site de création du "robot avocat" aux USA pour ne pas payer ses contraventions). Il importe que les professionnels s'en rendent compte au plus vite.
Quel est l'impact des MARD pour la résolution des contentieux ? Il est actuellement difficile de le mesurer mais, à lire la presse économique, ces start-up lèvent des fonds colossaux, ce qui veut dire que la clientèle est au rendez-vous et que le marché est promoteur. Ces innovations sont à très bas coûts, attirent un grand nombre de consommateurs et finissent par cannibaliser les activités beaucoup plus chères mais sécurisées des professionnels.
Quelles en sont les garanties pour les citoyens ? L'article 16 de la Déclaration universelle des droits de l'Homme et du citoyen (N° Lexbase : L1363A9D) précise qu'"une société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée n'a point de constitution". Un Etat de droit peut laisser se développer sur son territoire des MARD, mais à condition de garantir les droits fondamentaux. C'est la raison pour laquelle l'amiable fait actuellement l'objet d'une codification qui introduit les principes fondamentaux dans les MARD : la confidentialité, la durée raisonnable, la compétence, la diligence, les règles de déontologie.
Comment ces règles seront-elles appliquées à des plates-formes de médiation internationale avec des sites créés à l'étranger et à l'abri des règlementations nationales ? La perspective actuelle en France réside dans le maintien d'un droit au juge à la condition qu'il devienne subsidiaire.
2) Un droit de l'Homme subsidiaire : le droit à un procès équitable alternatif
Il est certain que le recours au juge ne disparaît pas, mais la saisine de la juridiction n'est admise qu'en l'absence de règlement amiable. Le recours au juge est un ultime recours. L'amiable devient un préalable plus ou moins obligatoire.
De nos jours, il y a de plus en plus de contrats avec des clauses de règlement aimable préalable. La Cour de cassation a décidé que, lorsqu'il y a de telles clauses, tout recours au juge sans préalable amiable se heurte à une fin de non recevoir non régularisable en cours d'instance (Cass. com., 29 avril 2014, n° 12-27.004, F-P+B N° Lexbase : A6953MKQ). Il faut donc faire appel au mode amiable et, en cas d'échec, le recours au tribunal est admis.
Il y a ensuite des préalables obligatoires intégrés dans l'instance judiciaire. L'exemple type est celui de la procédure prud'homale. La loi "Macron" (loi n° 2015 -990 du 6 août 2015, pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques N° Lexbase : L4876KEC) a introduit le fait que le bureau de conciliation peut entendre les parties séparément comme un médiateur.
Aussi, on note les préalables amiables incitatifs, issus du décret n° 2015-282 du 11 mars 2015, relatif à la simplification de la procédure civile à la communication électronique et à la résolution amiable des différends (N° Lexbase : L1333I8U) (C. pr. civ., art. 56 N° Lexbase : L1441I8U et 58 N° Lexbase : L7281A4G) et dans lequel le législateur essaye de modifier la culture des citoyens et avocats en les incitant à tenter d'abord un mode amiable et indiquer les diligences accomplies.
Il est vrai que les sanctions y relatives ne sont pas vraiment incitatives puisque l'article 127 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1581I83) précise seulement que le juge peut proposer une médiation ou une conciliation. Pour l'instant, la sanction de l'irrecevabilité de la demande n'est pas prévue mais on peut l'envisager à l'issue d'une modification législative. Le futur préalable obligatoire sanctionné par l'irrecevabilité de la demande se trouve dans le projet "J21" avant une obligation à peine d'irrecevabilité de la déclaration au greffe devant le tribunal d'instance et la juridiction de proximité (jusqu'en janvier 2017), où il est prévu une tentative de conciliation devant un conciliateur de justice. Le préalable amiable sera donc rendu obligatoire à peine d'irrecevabilité si le projet est voté.
Il y a, en réalité, tout un panel à travers lequel le droit français s'oriente vers la mise en place d'un préalable amiable plus ou moins sanctionné.
Avec le second aspect concernant la médiation en ligne gratuite en matière de consommation pour les consommateurs, on note une déjudiciarisation considérable du contentieux de masse. L'amiable se substitue au procès.
Il convient de rappeler que la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation (N° Lexbase : L7887AG9), a obligé les compagnies d'assurances à faire des transactions avec les victimes, soulageant ainsi les juridictions.
Par ailleurs, l'article L. 152-2 du Code de la consommation (N° Lexbase : L5492KGI) traduit un exemple parfait de pré-préalable amiable à la médiation en matière de consommation. Il est écrit que "le litige ne peut être examiné par le médiateur de la consommation lorsque le consommateur ne justifie pas avoir tenté, au préalable, de résoudre son litige directement auprès du professionnel par une réclamation écrite [...]". Il est désormais institué des modes amiables avec un préalable aux modes amiables.
Le médiateur devient ainsi un véritable substitut du juge car, lorsque les parties ne trouvent pas d'accord, le médiateur en propose un (C. consomm., R. 152-3 N° Lexbase : L9686KPG). A l'évidence, l'accord peut être refusé. Le juge amiable règle le différend après un préalable amiable et propose une solution aux professionnels, aux consommateurs même si cela reste contractuel. Le consommateur peut, en effet, refuser la solution et aller vers le juge. Si les médiations se multiplient et envahissent d'autres secteurs, le recours au juge devient un recours ultime.
B - L'acte de procédure d'avocat
L'acte de procédure d'avocat est pour le Professeur Soraya Amrani Mekki, le reflet d'un principe actif qui permet de vérifier toute l'évolution de la procédure civile, ses mutations, ses "métamorphoses". On note de plus en plus une certaine multiplication de décrets, de textes, de projets de réforme qui ne sont pas forcément spécifiques à la procédure civile mais qui traitent de la question (ex. : loi "Macron" qui contient beaucoup de propositions de réforme procédurale).
La recomposition de la justice, des institutions et des professions (avocats, notaires, huissiers) interroge sur l'office du juge dans la société civile. Ce dernier doit-il se recentrer dans ce qui serait son coeur de mission, celui de trancher des litiges complexes, en ultime recours, ou doit-il rester un interlocuteur spécial dans la société civile.
Concernant les modes amiables et notamment l'acte de procédure d'avocat, la question est celle de l'office du juge qui va devenir, en quelque sorte, le modèle des engagements. Le développement des MARD amène le juge à avoir un rôle différent et différé dans le temps. Différé dans le temps parce qu'il intervient après une première tentative de règlement amiable des litiges. Différent car il lui est demandé d'être homologateur des accords obtenus.
L'acte de procédure d'avocat peut paraître anecdotique de même que les modes amiables car il est étonnant de voir le décalage entre l'éparpillement des textes sur les modes amiables et le peu d'utilisation concrète qui en est faite au quotidien.
Traiter de l'acte de procédure d'avocat est, en quelque sorte, traiter simplement d'une nouvelle forme procédurale. En réalité, "la forme c'est le fond qui remonte à la surface".
Dans le cadre du groupe de travail sur l'acte de procédure d'avocats, la conception de celui-ci n'a pas été faite sans de très nombreuses précautions.
1 - La conception de l'acte de procédure d'avocat
Tel que conçu, l'acte de procédure d'avocat est un prolongement des MARD. Celles-ci ne traduisent pas une idée de "résolution" des litiges mais de "traitement" du litige. Dans la mesure où l'on ne doit pas se bloquer sur la résolution amiable du litige parce qu'elle n'est pas possible, l'on propose un traitement du litige pour essayer de nouer le lien social, rompu par le litige et permettre aux parties de discuter sur la manière d'apporter les preuves dans le procès.
L'acte de procédure d'avocat marque l'immixtion de l'amiable dans le juridictionnel.
Il convient de rappeler que l'acte de procédure d'avocat est d'abord un acte d'avocat. Ce dernier existe depuis 2011 même si, sur le plan pratique, ce fut un échec. L'idée était de créer une nouvelle catégorie d'acte. C'est une forme d'acte sous seing privé avec une dispense de mention manuscrite mais qui n'est pas l'équivalent d'un acte authentique, car il n'a pas de date certaine (C. civ., 1374 N° Lexbase : L9305I3Z).
La convention de procédure participative pourra naturellement donner lieu à des actes d'avocats. L'acte de procédure d'avocat suppose que ces derniers soient sensibles à cette démarche et que les parties et leurs avocats agissent conjointement et de bonne foi en évitant toutes les stratégies dilatoires, en écartant les temps morts.
Son objectif est de déterminer l'objet de la preuve et prévoir les modalités d'administration de celle-ci.
L'acte de procédure d'avocats a en réalité pour fonction principale :
- a minima, de limiter l'objet de la preuve pour multiplier les accords et, notamment, renouer les liens en trouvant des points de contact ;
- a maxima, de provoquer une conciliation.
En somme, comme disait Ihering "la preuve, c'est la rançon du droit".
2 - Fonctions de l'acte de procédure d'avocat
Les fonctions de l'acte de procédure d'avocats sont diverses. Plusieurs types d'actes de procédure d'avocats ont été prévus dans le projet. Un acte-cadre pourra établir tous les actes de procédure d'avocat susceptibles d'être conclus.
- Un acte de procédure d'avocats de constatation : il ne remet pas en cause la fonction d'huissier de justice car il s'insère dans une démarche amiable. Ledit acte pourrait aller beaucoup plus loin qu'un acte de constatation. Il peut également porter sur des pièces.
- Un acte de nomination pour désigner d'un commun accord un technicien. En réalité, cet acte existe déjà dans la convention de procédure participative car celle-ci permet de désigner un expert. Il y a un lien naturel et consubstantiel entre l'acte de procédure d'avocat et la convention de procédure participative. Mais, l'acte de procédure d'avocat peut exister même en dehors de toute convention de procédure participative.
- Il pourrait également y avoir des actes de procédure d'avocat d'audition. L'idée étant d'auditionner les parties, de recueillir leurs propos. On peut même faire des actes d'audition des témoins car les juges n'ont pas souvent le temps d'y procéder mais cela n'empêchera jamais au juge de le faire postérieurement lui-même en faisant comparaître les parties ou auditionner les témoins.
Cette conception de l'acte de procédure d'avocat suppose des précautions.
Pour comprendre les précautions utiles, il faut s'interroger sur l'ambition de l'acte de procédure d'avocat. L'idée est celle de l'économie procédurale qui n'est pas une restriction budgétaire. Il s'agit de trouver un bon équilibre entre les besoins.
L'ambition première est de redonner une force au principe du dispositif. Le domaine probatoire n'est pas anodin. La jurisprudence est assez audacieuse en matière probatoire et va jusqu'à casser des arrêts sur le fondement du déni de justice (C. civ. art. 4 N° Lexbase : L1113H4Y) car le juge n'avait pas recherché des éléments de preuve. Le juge a ainsi l'obligation de compléter les éléments de preuve pour arriver à la quantification, voire d'ordonner des mesures d'instruction pour établir, par exemple, que la garantie des vices cachés était antérieure à la vente.
Dans cette configuration du rôle des parties et du juge, il peut être intéressant de redonner force au principe du dispositif. Cette idée était déjà en germe dans le rapport "Coulon" de 1997 (7) où il fallait associer davantage les plaideurs au processus d'instruction.
L'idée de l'acte de procédure d'avocat est de favoriser une certaine maturation de la mise en état en dehors du juge, pour éviter le recours au juge ou à tout le moins faciliter le travail du juge en préparant le dossier ; ce qui peut être une excellente chose ou la pire des choses comme dans le système américain où l'on arrive devant le juge avec un procès complètement préparé.
Il faut donc préciser et imposer des précautions pour l'acte de procédure d'avocat et au-delà de celui-ci.
Pour l'acte de procédure d'avocats, si on veut inciter à l'amiable pour éviter d'encombrer les juridictions, c'est sous réserve de certains pré-requis sans lesquels l'acte de procédure d'avocat ne pourrait pas exister :
- d'abord, il faudrait qu'on puisse bénéficier d'une aide juridique ;
- ensuite, il faudrait qu'il y ait des effets sur l'acte de procédure d'avocat, sur le délai de prescription s'il est fait avant la saisine du juge et sur le délai de péremption, s'il est fait en cours de procédure civile ;
- enfin, il faudrait qu'il soit facultatif et non obligatoire.
Il convient de rappeler qu'en réalité, tout repose sur l'accord et cela pose des questions fondamentales sur l'objet de la preuve. La preuve n'a pas pour objet d'établir la vérité : elle recherche en fait une acceptabilité sociale (8).
Au-delà de l'acte de procédure d'avocats, l'on peut s'interroger sur la direction politique que prend la justice civile aujourd'hui : justice plurielle (Loïc Cadiet) (9), ou juridiversité (Simone Gaboriau) (10) ?
Il ne faudrait pas que la politique du chiffre aboutisse à des pressions trop fortes sur l'admission des modes amiables.
En somme, l'acte de procédure d'avocats et toutes les évolutions vers les modes amiables ne devraient pas constituer un engin explosif pour le Code de procédure civile et rompre les bons équilibres ainsi que la bonne économie procédurale.
(1) Cf. deuxième partie, Le déroulement de l'instance, Lexbase, éd. prof., n° 216, à paraître.
(2) Les anglo-saxons appellent cela mode adapté de résolution des différends, une solution propre à résoudre l'opposition d'intérêts dans un cas déterminé de manière pragmatique, selon la forme anglo-saxonne.
(3) Le groupe de travail "médiation" a présenté un rapport d'étape sur le centre national de médiation des avocats (CNMA), adopté par l'assemblée générale des 11 et 12 décembre 2015, et rappelé les objectifs de ce centre qui tend à promouvoir la médiation auprès des justiciables et de leur faciliter l'accès aux avocats intervenant en médiation.
(4) Expression empruntée au Professeur Serge Guinchard.
(5) La question n'est pas anodine surtout avec les discussions sur le projet de loi "El Kohmri", qui amènent à s'interroger sur le rôle du juge lorsque sont mis en place un plafonnement ou un forfait en matière d'indemnités de licenciements par exemple.
(6) Victor Hugo, Les contemplations, 1856.
(7) Cf. J.-M. Coulon, Réflexions et propositions sur la procédure civile : rapport au ministre de la Justice, 1997.
(8) V. en ce sens, X. Lagarde, Réflexion critique sur le droit de la preuve, LGDJ, 2015.
(9) L. Cadiet, J. Normand et S. Amrani-Mekki, Théorie générale du procès, Paris, Presses Universitaires de France, 2010.
(10) S. Gaboriau, Déjudiciarisation et administration de la justice - Promouvoir la "juridiversité", LPA, n° 119, 14 juin 2012, p. 3
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newsid:452344
Réf. : Cass. com., 3 mai 2016, n° 14-23.950, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0253RMC)
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N2576BWC
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Le 12 Mai 2016
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Réf. : Cass. soc., 3 mai 2016, n° 14-29.190, FS-P+B (N° Lexbase : A3422RN3)
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N2602BWB
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Le 12 Mai 2016
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Réf. : CE 9° et 10° ch., 4 mai 2016, n° 383135, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4612RN7)
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N2615BWR
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Le 18 Mai 2016
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Réf. : Cass. com., 3 mai 2016, n° 14-24.855, F-P+B (N° Lexbase : A3428RNB)
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N2649BWZ
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Le 18 Mai 2016
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newsid:452649
Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 15 avril 2016, n° 376785, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7103RIW)
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N2630BWC
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par Jérôme Casey, Avocat au barreau de Paris et Maître de conférences à la Faculté de droit de Bordeaux
Le 26 Mai 2016
Chacun voit bien où le débiteur de la prestation compensatoire voulait en venir : profiter du caractère mixte de la prestation compensatoire pour tenter d'en obtenir la déductibilité totale, suggérant au passage, par effet miroir, le caractère imposable au titre de l'impôt sur le revenu de toutes les sommes reçues par le créancier. Malheureusement pour lui, les textes fiscaux ne servent pas du tout la thèse qu'il défendait. Il est aisé de les rappeler.
Pour ce qui est du débiteur de la prestation compensatoire, deux textes sont à considérer. D'une part, l'article 199 octodecies du CGI (N° Lexbase : L3637HLB), qui prévoit une réduction d'impôt pour le capital versé dans les douze mois de la date à laquelle le divorce a acquis un caractère définitif (réduction égale, au maximum à la somme de 7 625 euros). D'autre part, l'article 156, II, 2° du CGI (N° Lexbase : L3998KWY), qui prévoit la déductibilité du revenu net imposable du débiteur des sommes qu'il a payées au-delà du douzième mois suivant la date à laquelle le divorce est devenu définitif. Cependant, et cet aspect est essentiel en l'espèce, il ne faut pas perdre de vue que l'article 199 octodecies dispose en son II que ses dispositions ne s'appliquent pas lorsque la prestation compensatoire est versée sous forme de rente. Une instruction fiscale du 17 juillet 2006 est clairement en ce sens (Instruction du 17 juillet 2006, BOI 5 B-21-06, n° 20 N° Lexbase : X7102ADE).
Pour ce qui est du créancier de la prestation compensatoire, deux autres textes sont à prendre en compte. D'une part, l'article 80 quater du CGI (N° Lexbase : L4000I3K) qui assimile au régime des pensions alimentaires les sommes reçues après le douzième mois suivant la date ou la décision de divorce est devenue définitive (et ceci que le divorce résulte ou non d'une demande conjointe). D'autre part, l'article 1133 ter du CGI (N° Lexbase : L2578HNS), qui prévoit la perception d'un droit fixe de 125 euros lorsque les dispositions de l'article 80 quater ne s'appliquent pas (le tout sous réserve des dispositions de l'article 1020 du CGI N° Lexbase : L2771IGQ relatif à la taxe de publicité foncière).
De sorte que chacun comprend aisément que le caractère mixte d'une prestation compensatoire, à la fois en capital et en rente, ne peut pas donner lieu à l'application exclusive de l'article 156, II, 2° (côté débiteur) et de l'article 80 quater (côté créancier). Au contraire, il résulte nettement de l'article 199 octodecies que l'adjonction d'une rente fait perdre le bénéfice de la réduction d'impôts pour les douze premier mois, ce qui laisse intacte la possibilité de déduire les sommes versées sous forme de rente au-delà du douzième mois. En d'autres termes, en présence d'une prestation compensatoire mixte, le débiteur ne peut cumuler les deux avantages fiscaux. A fortiori, ne peut-il pas non plus anéantir le régime prévu pour les sommes versées les premiers douze mois afin de leur appliquer ce qui est prévu pour les sommes payées au-delà. On peut le dire de façon exégétique : l'article 199 octodecies n'est pas soluble dans l'article 156, II, 2° lorsque la prestation compensatoire est mixte. Au contraire : en pareil cas, le débiteur perd un avantage (la réduction d'impôts), il ne peut étendre le domaine de l'autre avantage (la déduction d'impôts). Suivre le raisonnement tenu par l'ex-mari en l'espèce reviendrait à réécrire totalement le régime fiscal de la prestation compensatoire, au point de le rendre ultra favorable au débiteur et nettement moins rentable pour les finances de l'Etat. Nul ne s'étonnera donc de ce que le Conseil d'Etat n'ait pas voulu s'engager sur ce chemin. On observera cependant, à la lecture de la décision d'appel, que tant les premiers juges que la cour administrative d'appel ont accepté de faire bénéficier l'ex-mari des deux avantages (réduction et déduction), alors que le premier n'était clairement pas applicable. Il semble bien que le ministre, en défense, ait lui-même soutenu que le débiteur pouvait bénéficier de la réduction d'impôt, ce qui constitue clairement une erreur. Sobrement, le Conseil d'Etat remet les choses en ordre et rappelle que la réduction n'est possible qu'en l'absence de versement d'une rente.
Evidemment, on ne peut manquer de se demander si la solution est transposable à une hypothèse voisine, mais pas tout à fait équivalente, qui est celle où la prestation compensatoire a été fixée sous forme d'un capital immédiat et d'un capital échelonné. On sait que cette hypothèse n'est pas envisagée expressément par les textes fiscaux, ce qui a donné lieu à des thèses doctrinales diverses, dont une (qui rejoint celle de l'ex-mari au cas d'espèce) qui soutient que l'ensemble des sommes payées relèverait du régime des pensions alimentaires, ce qui les rendrait intégralement déductibles, que ce soit le capital payé immédiatement ou le capital échelonné (v. A. Depondt, La fiscalité et le divorce : les points d'actualité, Dr. & patr., novembre 2007, 54). Cette thèse a été critiquée en doctrine, à juste titre selon nous, un argument pouvant être trouvé à titre incident dans des dispositions du BoFip - Impôts (BOI-IR-RICI-160, § 190 et 200 N° Lexbase : X4226AL4 ; sur l'ensemble, v. S. David, Droit et pratique du divorce, Dalloz, 2016, n° 321.35). Il nous semble que la présente décision rejoint ces critiques et condamne toute idée de déductibilité globale, y compris pour le capital payé immédiatement. Même si le Conseil d'Etat n'était saisi, au cas présent, que d'une prestation compensatoire mixte "capital et rente" (et non "capital immédiat et capital échelonné"), il ne nous paraît pas douteux que la jurisprudence ici dégagée doive s'appliquer aussi, par identité de raison, à l'hypothèse d'une prestation compensatoire mixte "capital immédiat et capital échelonné".
L'attention des praticiens doit donc être grande pour que les modalités de paiement de la prestation compensatoire soient clairement distinguées et qualifiées, afin que leur régime fiscal puisse être clairement exposé aux parties. La déductibilité globale de la prestation compensatoire n'existe pas, et ceux qui y croient feraient aussi bien de croire au Père Noël...
Vous pourrez vous reporter s'agissant de cet arrêt, au sein de cette revue, sur les conclusions de Vincent Daumas, Maître des Requêtes au Conseil d'Etat et Rapporteur public à la 3ème sous-section (N° Lexbase : N2634BWH).
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newsid:452630
Réf. : CE 9° et 10° ch., 4 mai 2016, n° 386773, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4624RNL)
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N2622BWZ
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Le 19 Mai 2016
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newsid:452622
Réf. : CE 4° et 5° s-s-r., 3 mai 2016, n° 394508, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A4652RNM)
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N2668BWQ
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Le 18 Mai 2016
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newsid:452668
Réf. : Cass. soc., 3 mai 2016, n° 14-28.353, FS-P+B (N° Lexbase : A3494RNQ)
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N2611BWM
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Le 18 Mai 2016
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newsid:452611
Réf. : Décret n° 2016-553 du 6 mai 2016, portant modifications de dispositions relatives à la prévention de la délinquance (N° Lexbase : L0317K8A)
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N2588BWR
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Le 12 Mai 2016
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newsid:452588
Réf. : Ass. plén., 8 avril 2016, n° 14-18.821, P+B+R+I (N° Lexbase : A8818RB9)
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N2582BWK
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par Sâmi Hazoug, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et qualifié Maître de conférences
Le 12 Mai 2016
Pourvoi est alors formé au soutien duquel deux moyens sont avancés. D'une part, est alléguée une violation de l'article 80 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1305H44). Le juge s'étant prononcé sur le fond au moins en partie, l'appel devait être admis. D'autre part, c'est sur le point de départ du délai que porte la critique subdivisée en deux branches. En se référant à la date du prononcé, sans tenir compte de la notification erronée qui aurait interrompu les délais, la cour d'appel aurait violé les articles 82 (N° Lexbase : L1311H4C) et 680 (N° Lexbase : L1240IZX) du Code de procédure civile, ensemble l'article 6 § 1 de la CESDH (N° Lexbase : L7558AIR). En outre, le jugement, inexactement qualifié, ne faisant pas courir les délais de recours, la cour d'appel ne pouvait retenir la date de son prononcé sans violer les articles 82 et 536 (N° Lexbase : L6686H7R) du Code de procédure civile. Le premier moyen n'emporte guère la conviction de l'Assemblée plénière qui le rejette au motif que "le conseil de prud'hommes, qui, saisi d'une exception d'incompétence au profit d'une juridiction étrangère, a, au visa de l'article 96 du Code de procédure civile, dit que les demandes n'étaient pas 'recevables par le présent conseil' et renvoyé les parties à mieux se pourvoir, a, en dépit de termes inappropriés, statué uniquement sur sa compétence, en sorte que la cour d'appel a exactement décidé que seule la voie du contredit était ouverte". Le second conduit, en revanche, à la cassation. Après avoir visé l'article 82 du Code de procédure civile et énoncé dans un chapeau interne que "le délai de contredit prévu par ce texte ne court pas contre la partie qui a reçu, avant son expiration, une notification du jugement, non prévue par ces dispositions, mentionnant une voie de recours erronée", la Cour considère qu'"en statuant ainsi, alors qu'elle constatait que le greffe du conseil de prud'hommes avait d'abord notifié le jugement à M. X. en mentionnant l'appel comme voie de recours, de sorte que le délai de quinze jours pour former contredit n'avait couru qu'à compter de la notification rectificative, la cour d'appel a violé le texte susvisé". Ce faisant, elle opère une harmonisation en matière de décision susceptible de contredit (I) et consacre une solution nouvelle quant à son délai d'exercice (II).
I - Une harmonisation en matière de décision susceptible de contredit
Au titre de l'article 80 du Code de procédure civile, la décision dans laquelle le juge se prononce sur la compétence sans le faire sur le fond relève du seul contredit, quand bien même il aurait tranché la question de fond, dans son dispositif (2), dont dépend la compétence. La frontière est ténue entre "le fond" -et la décision relèvera de l'appel- et "la question de fond" sans avoir tranché le fond (3) -et c'est alors le contredit qui doit être exercé-. La question n'était cependant pas posée en ces exacts termes en l'occurrence, les juges ayant, comme précisé, considéré que les demandes étaient irrecevables et invité les parties à mieux se pourvoir. Il n'y a pas lieu de distinguer "le fond" de "la question de fond" dont dépendait la compétence, puisque point de compétence évoquée, du moins explicitement, dans ce dispositif. Or, la deuxième chambre civile avait pu considérer qu'une décision se prononçant sur la compétence dans ses motifs et énonçant une irrecevabilité des demandes dans son dispositif, relevait du seul appel à l'exclusion du contredit (4). Il aurait pu en être a fortiori de même d'un jugement qui ne fait état de la compétence ni dans son dispositif, ni dans ses motifs, et prononce l'irrecevabilité des demandes (5). Seul son intitulé "jugement d'incompétence" permettait ici de l'y rattacher. Et l'on sait que débouter dans le dispositif le demandeur de toutes ses demandes, ne vaut pas décision sur la compétence (6). Ce dont aurait également pu résulter l'exclusion du contredit au profit de l'appel.
Cependant, tout en vérifiant le contenu du seul dispositif, la Chambre sociale avait pu retenir une lecture moins formaliste, faisant, en quelque sorte, prévaloir l'esprit sur la lettre, passant outre l'impropriété des termes employés qu'était l'irrecevabilité des demandes (7). Solution qu'elle a maintenue ultérieurement comme en atteste son arrêt plus récent du 19 mars 2008 (8). L'irrecevabilité procédant non d'une étude des demandes, mais de la seule incompétence, la décision attaquée aurait alors relevé du contredit, à l'exclusion de l'appel.
C'est cette dernière analyse que consacre l'Assemblée plénière. Elle retient, à cette fin, que le conseil de prud'hommes saisi d'une exception d'incompétence avait visé l'article 96 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1352H4T), avant de prononcer l'irrecevabilité des demandes, et inviter les parties à mieux se pourvoir, conformément à la lettre de l'article 96 du Code de procédure civile lorsque compétence est reconnue à une juridiction étrangère, étant admis que la juridiction française ne peut alors la lui attribuer. La décision ne portait alors que sur la seule incompétence "en dépit de termes inappropriés". La maladresse d'une formule est donc impropre, heureusement, à emporter modification de la voie de recours à exercer : se prononçant sur la seule compétence le jugement, quand bien même a-t-il retenu l'irrecevabilité des demandes, relève du contredit. Point de formule sacramentelle requise, il n'est d'ailleurs pas certain que telle fut la position de la deuxième chambre civile. Plus que l'exigence d'un formalisme littéral, sa solution pouvait s'autoriser de la condamnation des motifs décisoires, la question de la compétence ayant été tranchée à ce niveau (9). En toutes hypothèses, c'est au seul dispositif, dont la formulation déficiente est sans incidence, qu'il faut s'intéresser. Ainsi, les solutions dégagées par les différentes chambres ne sont pas remises en cause par celle énoncée dans cette décision. Le jugement, en ce qu'il ne se prononçait que sur la compétence, relevait alors du contredit, restait à se prononcer sur les délais de celui-ci.
II - Une solution nouvelle quant aux délais du contredit
En la matière, par application de l'article 82 du Code de procédure civile, les délais courent non à compter de la notification de la décision, mais de son prononcé. En l'espèce, celui-ci n'était pas intervenu sur le champ, mais, conformément à l'article 450 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6556H7X) et aux modalités prévues à l'article R. 1454-25 du Code du travail (N° Lexbase : L0853IAT), les parties avaient eu connaissance de la date à laquelle elle fut rendue par émargement des notes d'audience du bureau de jugement portant la date de mise à disposition du jugement le 11 mai. Or, le 15 mai, le demandeur reçut une notification comportant mention de la possibilité d'interjeter appel, ce qu'il fit. Le 22 mai, le greffe procéda à une "notification rectificative" visant le contredit, qu'il exerça également alors, mais tardivement. Sans surprise, la cour d'appel conclut à l'irrecevabilité retenant, conformément à une jurisprudence constante (10), l'indifférence de la notification (11). Celle-ci n'étant pas requise, les mentions erronées qu'elle pouvait comporter sont sans incidence aucune : le demandeur devait exercer son contredit dans le délai de quinze jours à compter du prononcé... Dura lex, sed lex.
Conforme au régime en vigueur, la solution revenait en l'espèce à faire peser sur le requérant les conséquences de l'erreur commise par le greffe... Summum jus summa injuria ! L'Assemblée plénière tenant compte de cette spécificité reconnaît ici un effet à la notification, et énonce, au visa du seul article 82 du Code de procédure civile, que "le délai de contredit prévu par ce texte ne court pas contre la partie qui a reçu, avant son expiration, une notification du jugement, non prévue par ces dispositions, mentionnant une voie de recours erronée" avant de retenir que le délai du contredit n'a commencé à courir qu'à compter de la notification rectificative. Malgré la référence à la notification comportant une mention erronée, et à la prise en compte de celle rectificative, l'Assemblée plénière n'a semble-t-il pas entendu intégrer le régime de la notification dans celui du contredit. Le demandeur alléguait, en effet, notamment une violation de l'article 680 du Code de procédure civile, dont la jurisprudence avait déduit l'impossibilité d'une notification contrevenant à ses dispositions formelles à faire courir les délais, tout en en excluant le contredit, non visé par ce texte. Mais c'est le seul article 82 du Code de procédure civile, relatif au délai de quinzaine à compter du prononcé, que vise la Cour qui prend soin de préciser que la notification n'est pas prévue par ces dispositions. Il n'y a donc aucune extension du régime de la notification qui reste indifférente, mais interprétation de celui du contredit en tenant compte de l'incidence de l'erreur provoquée du demandeur par une notification. L'article 6 § 1 de la CESDH, dont la violation était alléguée, ne retient guère davantage l'attention en dépit de l'invite de l'avocat général à procéder à un contrôle de proportionnalité (12). Il s'agit donc d'une solution rendue en matière de contredit, mais par interprétation du seul texte y relatif, réduisant ainsi d'une certaine façon la portée de cet arrêt.
La formulation retenue, claire à première lecture, n'est cependant pas des plus heureuses. Le délai ne court pas si le requérant a reçu une notification mentionnant une voie de recours erronée... avant que n'expire ce délai. Court-il alors ou ne court-il pas ? Si l'on comprend l'idée, et que l'on adhère à la solution, on peut être réservé quant à ce délai qui court et ne court pas à la fois. Peut-être qu'une référence à la notification rectificative, dont il est fait état dans le motif mais non dans le chapeau interne pourtant normalement porteur du principe dégagé, aurait permis de gagner en clarté : le délai ne court qu'à compter de la notification rectifiant celle, non prévue par les textes, reçue comportant une mention erronée des voies de recours. Que cette dernière l'ait été dans la quinzaine à compter du prononcé pouvait se déduire sans qu'il ne soit indispensable de le préciser. En effet, parvenue après expiration des délais, ses mentions erronées ne pouvaient induire en erreur un demandeur déjà forclos.
En résumé, une notification conforme reste sans effet : le délai court à compter du prononcé. A l'inverse, il ne court qu'à compter de la notification rectifiant celle comportant une mention erronée portant sur les voies de recours (l'Assemblée plénière prenant soin de ne viser que cette mention, sa solution devrait s'y limiter) reçue dans les quinze jours du prononcé. A défaut de rectification, le délai ne commence logiquement pas à courir, le requérant pouvant exercer un contredit après le délai de quinzaine à compter, également, du prononcé.
Pour finir, rappelons que la Cour de cassation préconisait un abandon du contredit auquel serait substitué un appel immédiat devant être interjeté dans les quinze jours suivant la notification (et non le prononcé) du jugement statuant sur la compétence. Peut-être qu'entre la disparition du contredit, non encore consacrée, et l'interprétation de son régime qui, procédant des seuls textes qui le régissent, renforce son autonomie, une voie médiane pourrait être envisagée. L'article 91 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0379IT9) prévoit judicieusement un basculement de la procédure de contredit à celle d'appel si la cour a été saisie par erreur par voie de contredit. La réciproque n'est, en revanche, pas envisagée, et l'appel malencontreusement interjeté n'aboutira qu'au rejet. Il ne faut alors pas oublier que la solution consacrée à l'article 91 du Code de procédure civile avait été dégagée initialement par la jurisprudence (15), et une solution symétrique pourrait être admise. La requalification qu'opérerait le juge pourrait certes être critiquée sur le plan des principes, mais pourrait l'être au vu du résultat obtenu : assurer à un justiciable perdu par la technicité de régimes qui ne font les délices que des seuls spécialistes un recours effectif contre la décision rendue ? A cela serait opposée la perte d'autonomie du contredit, mais ne suffit-il pas de considérer que la "passerelle" ne pourrait jouer, ce qui est logique, que si le contredit est ouvert selon son propre régime ? Il n'est pas question de l'admettre au-delà du délai qui en régit l'exercice, mais d'éviter l'expiration de ce même délai. En l'espèce, la cour d'appel avait été saisie dans les délais d'exercice du contredit : un basculement de l'appel vers le contredit aurait permis d'éviter le pourvoi en cassation. Gain de temps et économie de procédures qu'autoriserait alors une simple réorientation au sein de la juridiction déjà saisie... simple avis qui, espérons-le, ne sera pas trop rapidement contredit.
(1) Décret n° 58-1289 du 22 décembre 1958.
(2) Conformément à l'article 77 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1300H4W). V. not. Cass. civ. 3, 22 mars 2006, n° 05-12.178, FS-P+B (N° Lexbase : A8076DNG) ; Bull. civ. III, n° 80 ; Procédures, 2006, comm. 93, note Perrot ; Cass. civ. 2, 24 mai 2007, n° 05-21.732, FS-P+B (N° Lexbase : A4849DWI) ; Bull. civ. II, n° 130 ; RTDCiv., 2007, 630, obs. Théry.
(3) V. par ex. en ce sens R. Perrot, obs. sur Cass. soc., 26 novembre 2003, n° 01-44.589, F-D (N° Lexbase : A3151DAX) ; Procédures, 2004, comm. 20. L'auteur précise à la fin que : "on peut hésiter à la rigueur lorsque le juge a dû trancher une question de fond pour se reconnaître compétent. C'est là où la nuance entre 'statuer' sur le fond du litige, et 'trancher' une question de fond dont dépend la compétence peut faire naître des doutes. Mais lorsque le juge décline sa compétence, il est clair qu'il n'a pas pu statuer sur le fond, et qu'il s'est donc borné simplement à appréhender le fond pour les besoins de sa décision sur la compétence, dans les conditions prévues par l'article 85 du nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L1317H4K) qui exclut l'appel au profit du contredit".
(4) Cass. civ. 2, 28 février 1996, n° 93-16.900 (N° Lexbase : A8294ABS) ; Bull. civ. II, n° 39 ; Justices 1997, n° 5, p. 285, obs. Wiederkehr.
(5) Il faut préciser que le demandeur considérait que la question de la compétence avait été tranchée dans le dispositif, mais qu'en outre l'avait été une partie du fond.
(6) V. Cass. soc., 17 mars 2010, n° 09-40.944, F-D (N° Lexbase : A8275ETN).
(7) V. Cass. soc., 28 novembre 1995, n° 92-42.360 (N° Lexbase : A8039C4I) qui énonce que "après avoir relevé que les premiers juges, régulièrement saisis par la société W. d'une exception d'incompétence, avaient estimé que la qualité de mandataire social de M. X. excluait la compétence du conseil de prud'hommes, la cour d'appel a décidé exactement que, malgré l'impropriété de ses termes, le dispositif du jugement statuait sur la compétence et que la voie du contredit était seule ouverte".
(8) Cass. soc., 19 mars 2008, n° 06-43.999, F-D (N° Lexbase : A4773D7W).
(9) V. en ce sens les observations de M. le Doyen Wiederkehr précitées qui écrit "[...] Le jugement ayant dans son dispositif purement et simplement déclaré la demande irrecevable, il s'agirait de s'en tenir à cette affirmation en restant indifférent à ce qui a pu la motiver. Il n'y aurait pas lieu de chercher à interpréter le dispositif par les motifs, ni de vérifier si le tribunal, dans ce dispositif, a bien utilisé les termes qui convenaient et qui sont compatibles avec la motivation".
(10) V. dans cette même situation (erreur portant sur la voie de recours) Cass. civ. 2, 19 mai 1980, n° 79-10.319 (N° Lexbase : A1358CI7) ; Bull. civ. II, n° 116 ; Gaz. Pal., 1980, 2, 590, note Viatte. Dans le même sens, Cass. soc., 19 mars 1998, n° 95-45.391 (N° Lexbase : A9024CW7).
(11) Celle-ci joue toutefois en cas de défaut d'information des parties de la date du prononcé. V. par ex. Cass. civ. 1, 23 avril 1980, n° 79-10.121 (N° Lexbase : A6900CIE) ; Bull. civ. II, n° 78 ; Gaz. Pal., 1980, 574, note Viatte ; RTDCiv., 1980, 619, obs. Perrot.
(12) V. l'avis de M. l'avocat général Petiprez, disponible sous ce lien, spéc. p. 13 à 29.
(13) V. Rapport 2014, p. 58.
(14) V. par ex., Cass. civ. 1, 18 janvier 1983, n° 81-16.240 (N° Lexbase : A9506CHK) ; Bull. civ. I, n° 24, qui considère que seule l'irrecevabilité peut être prononcée. Gaz. Pal., 1983, pan., 174, obs. Guinchard ; RTDCiv., 1983, 588, obs. Normand. Dans le même sens, Cass. soc., 19 mars 2008, préc..
(15) Sur ce point, v. not. H. Solus et R. Perrot, La compétence, T. II, Sirey, 1973, n° 751, p. 792.
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Réf. : Circ. CNAV, n° 2016/23, du 18 avril 2016, Validation des stages en entreprise par le régime général d'assurance vieillesse (N° Lexbase : L7407K7H) ; CE 8° et 3° s-s-r., 10 février 2016, n° 394708, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7088PKQ)
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N2593BWX
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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Droit de la protection sociale"
Le 12 Mai 2016
Pour mémoire, il faut rappeler que le taux horaire de la gratification minimale versée aux stagiaires effectuant un stage de plus de deux mois s'élève à 3,60 euros pour les conventions signées à compter du 1er janvier 2016 (6). La loi n° 2014-788 du 10 juillet 2014 a fixé la gratification à hauteur de 15 % du plafond horaire de la sécurité sociale, et ce uniquement pour les conventions de stages conclues à partir du 1er septembre 2015. Le décret n° 2014-1420 du 27 novembre 2014 a fixé un montant propre aux conventions de stages conclues entre le 1er janvier 2015 et le 31 août 2015, à hauteur de 13,75 % du plafond horaire de la Sécurité sociale.
A - Régime initial (invalidé)
Avant la loi du 10 juillet 2014, l'administration fiscale admettait une exonération d'impôt sur le revenu pour les stagiaires, mais les conditions étaient restrictives : le stage devait faire partie intégrante du cursus, présenter un caractère obligatoire et ne pas dépasser trois mois (7).
1 - Doctrine administrative initiale
La loi du 10 juillet 2014 a prévu que la gratification versée aux stagiaires soit exonérée d'impôt sur le revenu à hauteur du montant annuel du SMIC. L'administration fiscale en avait déduit que ce dispositif d'exonération des indemnités versées aux stagiaires ne s'applique que pour les conventions de stage signées à compter du 1er septembre 2015. Seules les indemnités versées dans le cadre de conventions signées à compter de cette date auraient été exonérées d'impôt sur le revenu à hauteur du SMIC (BOI-RSA-CHAMP-20-30-10-10) (8).
2 - Censure par le Conseil d'Etat
L'exonération d'impôt sur le revenu des gratifications versée aux stagiaires (CGI, art. 81 bis) a été fixée par le législateur, en 2014 (loi du 10 juillet 2014, art. 7, préc. (9)). La question s'est alors posée du traitement fiscal différencié des gratifications versées aux stagiaires en fonction de la date de signature de leurs conventions de stage.
Le Conseil d'Etat (déc. préc.) a reconnu ce caractère discriminatoire, et a décidé que la loi du 10 juillet 2014 est applicable aux gratifications versées à compter du 12 juillet 2014 (date d'entrée en vigueur de la loi) aux stagiaires, sans qu'il y ait lieu de tenir compte de la date de signature des conventions de stage en vertu desquelles elles ont été versées.
Le Conseil d'Etat a donc annulé les paragraphes 195 à 205 du BOI-RSA-CHAMP-20-30-10-10 du 28 août 2015, car l'instruction fiscale a retenu une application différenciée de l'exonération d'impôt sur le revenu en faveur des gratifications de stage selon que les conventions de stage ont été signées avant ou après le 1er septembre 2015 et non selon que les indemnités et gratifications ont été versées avant ou après le 12 juillet 2014. Cette instruction (préc., § 195 à 205) a donc été annulée, parce qu'elle a exclu du bénéfice de l'exonération d'impôt sur le revenu les gratifications versées aux stagiaires avant le 1er septembre 2015 (date à laquelle le montant des gratifications a été modifié).
3 - Instruction fiscale 11 mars 2016
L'administration fiscale a précisé, par une mise à jour du 11 mars 2016 (BoFip - Impôts, BOI-RSA-CHAMP-20-30-10-10 N° Lexbase : X6675ALS) (10), qu'en cas d'entrée ou de fin de stage en cours d'année, la limite d'exonération doit être ajustée en fonction de la durée du stage.
B - Nouveau régime (en vigueur)
La doctrine administrative (BOI-RSA-CHAMP-20-30-10-10, rédaction au 21 avril 2016) a pris en compte la décision rendue par le Conseil d'Etat le 10 février 2016, selon laquelle l'exonération est applicable aux gratifications versées à compter du 12 juillet 2014.
Les indemnités et gratifications de stage versées jusqu'au 12 juillet 2014 ne sont pas comprises dans la base de l'impôt sur le revenu dû par le bénéficiaire lui-même ou par ses parents, lorsque trois conditions ci-après sont simultanément remplies :
- les stages doivent faire partie intégrante du programme de l'école ;
- ils doivent présenter pour l'élève ou l'étudiant un caractère obligatoire, c'est-à-dire être prévus comme tels par le règlement de l'école ou être nécessaires à la participation à un examen ou encore à l'obtention d'un diplôme ;
- leur durée ne doit pas excéder trois mois (instr. fiscale du 11 mars 2016 BOI-RSA-CHAMP-20-30-10-10, rectifiée le 21 avril 2016, § 200).
En cas de pluralité d'activités, un contribuable peut, au titre d'une même année d'imposition, bénéficier à la fois de cette exonération et de celle prévue à l'article 81, 36° du Code général des impôts (N° Lexbase : L5844KGK). Il en est ainsi, d'un jeune âgé de vingt-cinq ans au plus au 1er janvier de l'année d'imposition qui, la même année, effectue en cours de sa scolarité un stage obligatoire d'une durée inférieure à trois mois, puis occupe un emploi salarié.
Les indemnités et gratifications versées à compter du 12 juillet 2014, en application de la loi du 10 juillet 2014 (art. 7, préc.) sont exonérées dans la limite, par an et par contribuable, du montant annuel du SMIC. La doctrine administrative en a rendu compte, par une instruction fiscale du 21 avril 2016 (instr. fiscale du 11 mars 2016, BOI-RSA-CHAMP-20-30-10-10, rectifiée le 21 avril 2016, § 205).
Suppression de la proratisation en cas d'entrée ou de sortie du stage en cours d'année. Dans une mise à jour de la base BOFiP-impôts du 21 avril 2016, l'administration fiscale a finalement supprimé cette proratisation. Le stagiaire en entreprise peut bénéficier d'une exonération jusqu'à 17 490 euros (en 2016) quelle que soit la durée de son stage dans l'année.
II - Régime social (assurance vieillesse)
Le législateur, le pouvoir réglementaire (par extension, la doctrine administrative) et les juridictions tant civiles qu'administratives, depuis quelques années, rapprochent le statut des stagiaires à celui des salariés. Par exemple, la jurisprudence administrative sur le crédit d'impôt recherche intègre dans la notion de "personnel de recherche", les stagiaires (CAA Versailles, 6 novembre 2014, n° 13VE01479 N° Lexbase : A4387M3U) (11).
De même, le législateur a, en 2014, conféré un certain nombre de prérogatives au bénéfice des stagiaires, qui sont normalement attribuées aux salariés. Logiquement, ce rapprochement de statuts a des conséquences dans le champ de la protection sociale, spécialement, l'assurance vieillesse.
Ainsi, la loi du 20 janvier 2014 (préc.) (art. 28) a ouvert la possibilité, pour les étudiants de demander la prise en compte, par le régime général, des périodes de stage en entreprise, dans la limite de deux trimestres (CSS, art. L. 351-17).
Pour autant, ce dispositif ne doit pas être confondu avec le rachat des années d'études (CSS, art. L. 351-14-1 N° Lexbase : L2678IZ9 ; autrement désigné par l'expression "versements pour la retraite" (12)), mis en place par la loi du 21 août 2003 (loi n° 2003-775, 21 août 2003, portant réforme des retraites N° Lexbase : L9595CAM ; art. 29), permettant de racheter certaines périodes, jusqu'à 12 trimestres d'assurance, au titre des années d'études (ou des années n'ayant pas permis de valider quatre trimestres ou années incomplètes).
La circulaire CNAV n° 2016/23 du 18 avril 2016 (annulant et remplaçant la circulaire CNAV n° 2015/25 du 23 avril 2015 N° Lexbase : L4657I8Y) a apporté des précisions sur le décompte des périodes de stages ; l'articulation de cette validation avec le versement pour la retraite au titre des années d'études supérieures à tarif réduit et enfin, l'impact fiscal de ce dispositif.
A - Les conditions d'admission liées au dispositif
1 - Les conditions liées aux bénéficiaires
Les personnes visées par le dispositif sont des étudiants ou élèves effectuant leurs études dans les établissements d'enseignement supérieur, des écoles techniques supérieures, des grandes écoles et classes du second degré préparatoires à ces écoles (établissements mentionnés à l'article L. 381-4 du Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L8707KUZ).
2 - Les conditions liées aux stages
Ces stages doivent être accomplis en milieu professionnel : entreprise, administration publique, assemblée parlementaire, assemblée consultative, association ou de tout autre organisme d'accueil.
Les stages doivent remplir certaines conditions :
- faire l'objet d'une convention tripartite signée par l'enseignant référent (l'établissement d'enseignement), le tuteur de stage (l'organisme d'accueil) et le stagiaire ou son représentant légal ;
- donner lieu à une gratification (C. éduc., art. L. 124-6 N° Lexbase : L4334I8Z) ;
- la période de stage doit être égale à au moins deux mois consécutifs au sein d'une même entité (entreprise, administration, association ou assemblée). Si elle est effectuée au cours d'une même année scolaire ou universitaire, ces deux mois peuvent être consécutifs ou non.
B - Montant, versement
Le montant du versement des cotisations, pour chaque trimestre, est fixé à 12 % de la valeur mensuelle du plafond de Sécurité sociale en vigueur au 1er janvier de l'année au cours de laquelle la demande est effectuée (3 218 euros en 2016), soit 386 euros en 2016 pour un trimestre.
C - Régime
Le nouveau régime de validation des stages en entreprise par le régime général d'assurance vieillesse (circulaire CNAV n° 2016/23 du 18 avril 2016) est applicable aux périodes de stages débutant au 15 mars 2015.
1 - La demande de versement de cotisations
Compétence territoriale des caisses. L'assuré doit adresser sa demande, en cas de résidence en France, à la caisse où se trouve son lieu de résidence ; en cas de résidence à l'étranger, à la caisse du lieu où a été effectuée la période de stage.
Délai de dépôt de la demande. La demande de validation des périodes de stage auprès du régime général doit être effectuée par l'étudiant dans les deux ans à compter de la fin de période de stage concerné (CSS, art. D. 351-16, al. 3 N° Lexbase : L1410I8Q). Cette question des délais est très sensible, et elle a été critiquée, à juste titre, par certains observateurs (13), regrettant son caractère bien trop étroit. Les jeunes sur le marché du travail, dans les deux années qui suivent leur stage, connaissent des difficultés d'accès à un marché du travail sélectif ; ils sont concentrés exclusivement sur ce but d'insérer le marché du travail dans les meilleures conditions possibles (et donc, guère sensibilisés à la problématique de validation des périodes de stage auprès du régime général). Enfin et surtout, les étudiants (sauf ceux qui ont suivi un cursus juridique spécialisé en droit social) ne sont pas du tout informés de cette possibilité ouverte par le régime d'assurance vieillesse, de validation des périodes de stage.
Paiement. Le jeune étudiant peut effectuer un paiement comptant, au plus tard le dernier jour du deuxième mois suivant l'envoi par la caisse de sa décision d'admission au bénéfice du dispositif. Le jeune a également la possibilité d'effectuer un paiement échelonné, c'est-à-dire un versement en échéances mensuelles d'égal montant réparties sur une période d'un an ou de deux ans.
2 - L'interruption du versement de cotisations
Fin au versement. Les causes de d'interruption de droit commun (CSS, art. D. 351-20 N° Lexbase : L1414I8U) tiennent à trois éléments : non-paiement ou de paiement partiel du versement non échelonné ; en cas d'échelonnement, le défaut de réception de l'autorisation de prélèvement ou lorsque le premier paiement n'est pas parvenu pour son montant intégral à la caisse à la date fixée ou lorsque le paiement de deux échéances mensuelles, successives ou non, n'a pas été intégralement effectué ; enfin, en cas de décès de l'assuré (par définition).
Nouvelle demande. Le jeune stagiaire en entreprise ne peut présenter de nouvelle demande avant l'expiration d'un délai de 12 mois suivant la date de notification d'interruption du versement de cotisations.
3 - Articulation avec le dispositif de versement pour la retraite au titre des années d'études supérieures à tarif réduit
Le nombre de trimestres validés au titre des périodes de stages en entreprise et au titre des années d'études supérieures à tarif réduit par le régime général d'assurance vieillesse est limité à quatre (14). Ce point avait été également très critiqué (15), en ce qu'il réduit considérablement la portée et l'intérêt de ce nouveau dispositif de validation des stages en entreprise par le régime général d'assurance vieillesse.
(1) L. Flament, Encadrement des stages : la dernière réforme ?, JCP éd. S, n° 50, 9 décembre 2014, 1468 ; Réforme des stages : entre lutte contre les abus et émergence d'un statut particulier, JCP éd. S, 2011, n° 1460 ; nos obs., Lexbase, éd. soc., n° 580, 2014 N° Lexbase : N3358BUW).
(2) LSQ, n° 16886 du 3 août 2015.
(3) Dr. fisc., n° 14, 7 avril 2016, comm. 264 ; LSQ, n° 17021 du 17 février 2016.
(4) Panorama de la doctrine administrative publiée, Lexbase, éd. fisc., n° 653, 2016 (N° Lexbase : N2527BWI) ; LSQ, n° 17072 du 29 avril 2016 ; Dr. fisc., n° 17, 28 avril 2016, act. 269.
(5) Nos obs., L'assurance vieillesse face aux difficultés professionnelles des jeunes, Dr. soc., 2014, p. 617. Sur la réforme, en général : B. Chrétien et A. Ferreira, La réforme des retraites n'aura pas lieu, SSL, n° 1615 du 27 janvier 2014 ; nos obs., Retraite : mesures d'ajustement ou réforme de fond ?, Dr. soc., 2013, p. 769 ; nos obs., lexbase, éd. soc., 2014, n° 556 (N° Lexbase : N0472BUZ). Travaux parlementaires : M. Issindou, Rapport Assemblée nationale n° 1400, 2 octobre 2013 ; P. Terrasse, Avis Assemblée nationale n° 1397, 1er octobre 2013 ; C. Coutelle, Rapport Assemblée nationale n° 1396, 25 septembre 2013 ; Ch. Demontès, Rapport n° 95, Sénat 2013-2014, 25 octobre 2013 ; J.-P. Cafet, Avis n° 76, Sénat 2013-2014, 16 octobre 2013 ; L. Rossignol, Rapport Sénat n° 90, 2013-2014, 22 octobre 2013 ; M. Issindou et Ch. Demontès, Rapport Assemblée nationale n° 1534 et Sénat n° 128, 6 novembre 2013 ; M. Issindou, Rapport Assemblée nationale n° 1541, 12 novembre 2013 ; Ch. Demontès, Rapport Sénat 2013-2014 n° 189, 4 décembre 2013 ; M. Issindou, Rapport Assemblée nationale n° 1661, 18 décembre 2013.
(6) JCP éd. S, n° 51, 15 décembre 2015, act. 494.
(7) Cf. l’Ouvrage "Droit fiscal" ; D. adm., 5 F-1131, n° 19, 10 février 1999.
(8) Bofip-Impôts du 28 août 2015, LSQ, n° 16904 du 2 septembre 2015.
(9) Dr. fisc., 2014, n° 29, act. 391.
(10) Lexbase, éd. fisc., n° 647, 2016 (N° Lexbase : N1819BWB) ; Dr. fisc., 2016, n° 11, act. 156.
(11) D. Boucher, CIR : la jurisprudence s'enrichit, le dispositif gagne en clarté. À propos des gratifications de stagiaires et des cotisations sociales, Dr. fisc., n° 12, 19 mars 2015, comm. 220. En l'espèce, l'administration fiscale a admis le bénéfice d'un crédit d'impôt recherche en prenant en compte les dépenses de personnel, à l'exclusion de celles relatives à sept ingénieurs stagiaires. La cour administrative d'appel de Versailles a, au contraire, estimé que les gratifications versées aux stagiaires et inscrites comme dépenses de personnel en comptabilité constituent des rémunérations pour l'application du crédit d'impôt recherche. En effet, les stagiaires travaillent en étroite collaboration avec les chercheurs pour assurer le soutien technique indispensable aux projets de recherche éligibles. Dans le même sens, TA Montreuil, 18 novembre 2013, n° 1206938 : les stagiaires qui travaillent en étroite collaboration avec les chercheurs pour assurer le soutien technique indispensable aux travaux de recherche et de développement expérimental doivent être regardés comme des techniciens de recherche, de sorte que les gratifications qui leur sont versées doivent être prises en compte dans les bases de calcul du CIR.
(12) J. Bichot, Les rachats d'annuités autorisés par la loi du 21 août 2003 un bel exemple d'effet Matthieu, Dr. soc., 2004, p. 408 ; Cour des comptes, Rapport annuel, Sécurité sociale, 2009, p. 300-301 ; CNAV, Bilan des versements pour la retraite au 30 septembre 2007, Etude 2008-001 ; COR, séance plénière du 23 janvier 2008, document n° 5, 2007.
(13) L. Flament, Encadrement des stages : la dernière réforme ?, JCP éd. S, n° 50, 9 décembre 2014, 1468, préc., § 18.
(14) Exemple 1 : un assuré a déjà validé deux trimestres au titre des périodes de stage en entreprise, il ne pourra prétendre qu'à deux trimestres au titre du versement pour la retraite au titre des années d'études supérieures à tarif réduit. Exemple 2 : un assuré a effectué un versement pour la retraite au titre des années d'études supérieures à tarif réduit lui permettant d'acquérir quatre trimestres, il ne pourra donc pas prétendre au dispositif de versement de cotisations au titre des périodes de stage en entreprise. Exemple 3 : un assuré a effectué un versement pour la retraite au titre des années d'études supérieures à tarif réduit lui permettant d'acquérir trois trimestres, il pourra prétendre à un trimestre au titre du versement de cotisations au titre des périodes de stage en entreprise.
(15) L. Flament, Encadrement des stages : la dernière réforme ?, JCP éd. S, n° 50, 9 décembre 2014, 1468, préc., § 18.
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par Bastien Brignon, Maître de conférences HDR à l'Université d'Aix-Marseille, Membre du Centre de droit économique (EA 4224) et de l'Institut du droit des affaires (IDA), Directeur du master professionnel Ingénierie des sociétés
Le 13 Juillet 2016
L'article 167 de la loi "Macron" du 6 août 2015 (loi n° 2015-990 N° Lexbase : L4876KEC), tout en tentant de ménager le monopole bancaire, a souhaité offrir aux entreprises une nouvelle solution de financement. Il s'agit du prêt entre entreprises, introduit à l'article L. 511-6 du Code monétaire financier (N° Lexbase : L3123KGR).
En substance, le prêt d'argent fait à titre onéreux et habituel (c'est-à-dire à plus d'une seule personne) qui ne pouvait être accordé que par un établissement de crédit ou une société de financement, sous peine de sanctions, peut dorénavant intervenir entre deux entreprises entretenant des liens économiques (2). Toutefois, comme notre collègue le Professeur Bruno Dondero l'avait justement relevé sur son blog, le législateur avait posé pas moins de treize conditions, ce qui pouvait laisser penser qu'il était peut-être moins difficile de devenir établissement de crédit que de tenter de digérer, ce que l'on aurait appelé en Provence en période de fête de fin d'année, quelques treize desserts...
Pour l'essentiel, les conditions posées par le texte de la loi "Macron" sont les suivantes :
- les entreprises doivent entretenir des liens économiques ; il s'agira pouvait-on penser par exemple des relations d'affaires entre un donneur d'ordre et un sous-traitant ;
- l'emprunteur doit être une micro-entreprise, une PME ou une ETI, les grandes entreprises étant donc exclues ;
- la durée du prêt doit être inférieure à deux ans ;
- ce crédit est formalisé sous la forme d'un contrat de prêt soumis au régime des conventions réglementées ; son montant est communiqué dans le rapport de gestion et fait l'objet d'une attestation du commissaire aux comptes.
Beaucoup d'interrogations sont nées à la suite de cette loi, à commencer par celle de savoir ce qu'il fallait entendre par liens économiques.
L'article R. 511-2-1-1 (N° Lexbase : L8240K7C), issu du décret du 22 avril 2016, y répond et l'article R. 511-2-1-2 (N° Lexbase : L8241K7D) surenchérit en posant cette fois-ci de vraies conditions -quatre et cumulatives- concernant le prêteur. Si l'on résume les conditions posées par la loi et le décret afférentes aux prêts entre entreprises, en vigueur donc depuis le 25 avril 2016 (lendemain du jour de sa publication au Journal officiel du 24 avril) :
- Conditions légales relatives à la société prêteuse. Il doit s'agir d'une société par actions (société anonyme, en commandite par actions, par actions simplifiée, société européenne) ou d'une SARL dont les comptes font l'objet d'une certification par un commissaire aux comptes. Le décret n'indique rien de plus. Il faut en déduire que les SARL ou SAS qui n'ont pas de CAC, faute de dépasser les seuils, ne sont pas éligibles au dispositif, sauf à nommer volontairement un CAC, notamment à cette fin.
- Conditions relatives au prêt. Le prêt doit être consenti à titre accessoire à l'activité principale de la société prêteuse, être à moins de deux ans, et l'octroi de ce prêt ne peut avoir pour effet d'imposer à un partenaire commercial des délais de paiement ne respectant pas les plafonds légaux définis aux articles L. 441-6 (N° Lexbase : L1780KGZ) et L. 443-1 (N° Lexbase : L1981I3R) du Code de commerce. Le décret ajoute pareillement que ce prêt ne saurait placer l'emprunteur dans une situation de dépendance économique vis-à-vis du prêteur. Le prêt doit, en outre, être formalisé dans un contrat et soumis à la procédure des conventions réglementées. Les textes visés dans la loi "Macron" étaient uniquement ceux des SARL et une partie de ceux applicables aux sociétés anonymes, mais pas ceux applicables aux SAS, ni aux SCA ou encore aux SE. Or, le décret ne rectifie pas cette erreur. Faut-il en déduire que ces dernières sociétés pourraient faire l'économie d'une telle procédure sans encourir de sanction ?
- Conditions relatives aux liens économiques. On sait désormais à peu près ce que recoupe cette notion. Le décret indique notamment que sont concernées les sociétés appartenant à un même groupe au sens de l'article L. 233-16 du Code de commerce (N° Lexbase : L9089KBA). C'est par conséquent ce contrôle qui est préféré à celui de l'article L. 233-3 du même code (N° Lexbase : L5817KTM). Il faut rappeler simplement que l'article L. 233-16 a été modifié par l'ordonnance du 23 juillet 2015 (ordonnance n° 2015-900 N° Lexbase : L9245KBZ) de manière à ce que son IV, qui disposait que "l'influence notable sur la gestion et la politique financière d'une entreprise est présumée lorsqu'une société dispose, directement ou indirectement, d'une fraction au moins égale au cinquième des droits de vote de cette entreprise", soit transféré quelques articles plus loin à l'article L. 233-17-2 (N° Lexbase : L9079KBU), si bien qu'il est tout à fait légitime de se demander si des sociétés sous influence notable dans les conditions précitées peuvent bénéficier du prêt entre entreprises. A priori non à s'en tenir à l'état actuel des textes.
Cinq remarques pour conclure sur le crédit interentreprises.
D'abord, le décret n'indique rien sur le contenu du contrat que doivent nécessairement conclure les entreprises prêteuse et emprunteuse, ni sur la sanction de l'absence d'un tel contrat. Simplement, si un tel contrat n'est pas établi, le CAC ne pourra pas réaliser et produire son attestation.
Ensuite, si des entreprises se trouvent éligibles à ce nouveau dispositif, mais également à celui plus classique des conventions de trésorerie au sein des groupes, a priori le crédit interentreprises doit céder le pas au second dispositif. Cela se déduit du III de l'article R. 511-2-1-1, selon lequel "les dispositions du 3 bis de l'article L. 511-6 ne sont pas applicables dans les cas où le sont celles de l'article L. 511-7 (N° Lexbase : L1240I4P)". Mais si les entreprises ont tout de même recours au prêt entre entreprises, quelles sanctions encourent-elles ? Celles de la violation du monopole bancaire ? Ce serait un peu sévère nous semble-t-il...
En outre, deux ans pour rembourser un prêt, ce peut-être court. Or il paraît possible de renouveler indéfiniment le procédé dès lors que les conditions restent remplies. Mais les conditions ne s'épuisent-elles pas après avoir été respectées une fois ? Ne peut-il pas y avoir d'abus de droit dans l'utilisation de ce prêt ?...
Par ailleurs, sur le terrain des entreprises en difficulté, ne faut-il pas y voir un nouveau cas possible d'extension de procédure en cas de gestion de fait voire un nouveau cas de responsabilité des prêteurs ? L'article L. 650-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L3503ICQ) devrait a priori les protéger, comme il protège les banques, la jurisprudence n'ayant pas circonscrit son champ d'application aux seuls établissements bancaires et financiers. Mais la jurisprudence a pu également sanctionner des franchiseurs ou des concessionnaires pour crédits ruineux, antérieurement à la nouvelle rédaction de l'article précité, si bien que pèsent sur les prêteurs de nouveaux risques de responsabilité.
Enfin et surtout, nonobstant toute disposition ou stipulation contraire, les créances détenues par le prêteur ne pourront, à peine de nullité, être acquises par un organisme de titrisation, un fonds professionnel spécialisé ou faire l'objet de contrats constituant des instruments financiers à terme ou transférant des risques d'assurance à ces mêmes organismes ou fonds. Le décret n'y revient pas. Le prêteur a donc l'obligation de conserver les prêts consentis à son bilan et ne peut les "titriser" auprès d'un organisme de titrisation. Il faut bien comprendre toutefois que la loi "Macron" a souhaité élargir le plus possible les sources de financement, notamment celles auxquelles peuvent à désormais accéder les associations sans but lucratif et les fondations reconnues d'utilité publique qui accordent elles-mêmes des prêts pour la création, le développement et la reprise d'entreprises ou pour la réalisation de projets d'insertion par des personnes physiques (microcrédits). Certes, jusqu'à présent, seules les personnes physiques pouvaient accorder des prêts. Dorénavant, toute personne morale (autre qu'une banque) est également autorisée à le faire. Ces prêts sont octroyés à titre gratuit, pour une durée d'au moins deux ans. Ainsi, non seulement les banques ne sont plus les seuls prêteurs, mais surtout, demain, ces nouveaux prêteurs pourront "titriser" de telles créances. On ne voit pas comment ce mouvement ne pourrait pas avoir lieu, en particulier avec l'avènement des fonds qui, bientôt, pourront prêter de l'argent, à titre onéreux, presque de manière habituelle, et titriser de telles créances. La réforme du droit des contrats en ce qu'elle pose la cession du contrat, celle des créances et celles des dettes y est plus que propice.
Notons, pour terminer, que le crédit interentreprise ne doit pas permettre de porter atteinte aux délais de paiement qui viennent eux-mêmes de faire l'objet d'un arrêté.
L'article 205 de la loi "Macron" du 6 août 2015 précise que les sociétés dont les comptes sont certifiés ne devront plus "publier" des informations sur les délais de paiement des fournisseurs et des clients, mais seulement les "communiquer". L'article L. 441-6-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L1998KG4) a été en conséquence modifié. Ainsi, "les sociétés dont les comptes annuels sont certifiés par un commissaire aux comptes communiquent des informations sur les délais de paiement de leurs fournisseurs et de leurs clients suivant des modalités définies par décret.
Ces informations font l'objet d'une attestation du commissaire aux comptes, dans des conditions fixées par ce même décret. Lorsque la société concernée est une grande entreprise ou une entreprise de taille intermédiaire, au sens de l'article 51 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie (N° Lexbase : L7358IAR), le commissaire aux comptes adresse son attestation au ministre chargé de l'Economie si elle démontre, de façon répétée, des manquements significatifs de la société aux prescriptions des neuvième et dixième alinéas du I de l'article L. 441-6 du présent code (N° Lexbase : L1780KGZ)".
Cette modification apporte peu en réalité concernant cette information qui est devenue de plus en plus lourde à gérer au moment de l'approbation des comptes au fil des exercices et des rapports de gestion.
C'est surtout la loi "Hamon I" du 17 mars 2014 (loi n° 2014-344 N° Lexbase : L7504IZX) qui avait modifié l'article L. 441-6-1 avec son décret d'application n° 2015-1553 du 27 novembre 2015 (N° Lexbase : L5085KRR), introduisant une nouvelle rédaction de l'article D. 441-4 du Code de commerce :
"I.-Pour l'application de l'article L. 441-6-1, les sociétés présentent dans le rapport de gestion :
1° Pour les fournisseurs, le nombre et le montant total hors taxe des factures reçues non réglées à la date de clôture de l'exercice dont le terme est échu ; ce montant est ventilé par tranches de retard et rapporté en pourcentage au montant total des achats hors taxe de l'exercice ;
2° Pour les clients, le nombre et le montant total hors taxe des factures émises non réglées à la date de clôture de l'exercice dont le terme est échu ; ce montant est ventilé par tranches de retard et rapporté en pourcentage au chiffre d'affaires hors taxe de l'exercice.
II.-Par dérogation, la société peut présenter en lieu et place des informations mentionnées au I le nombre et le montant hors taxe cumulés des factures reçues et émises ayant connu un retard de paiement au cours de l'exercice et la ventilation de ce montant par tranche de retard. Elle les rapporte aux nombre et montant total hors taxe des factures, respectivement reçues et émises dans l'année.
III.-Les retards mentionnés aux I et II sont déterminés à partir des délais de paiement contractuels, ou en l'absence de délais contractuels spécifiques, des délais légaux applicables.
Si les sociétés excluent les factures relatives à des dettes et créances litigieuses ou non comptabilisées, elles l'indiquent en commentaire et mentionnent le nombre et le montant total des factures concernées.
Les tableaux utilisés pour présenter les informations mentionnées au I et au II sont établis selon un modèle fixé par arrêté du ministre chargé de l'Economie".
En application donc de l'article L. 441-6-1 du Code de commerce, les sociétés dont les comptes sont certifiés par un commissaire aux comptes devront, pour leurs comptes afférents aux exercices ouverts à compter du 1er juillet 2016, mentionner dans leur rapport de gestion les informations sur les délais de paiement de leurs fournisseurs et de leurs clients. L'article D. 441-4 du Code de commerce précité (N° Lexbase : L8200KR7) précise en conséquence les informations devant être communiquées à ce titre. L'arrêté du 6 avril 2016, publié au Journal officiel du 14 avril 2016, fixe les modèles de tableaux récapitulant ces informations.
Les conseils s'occupant de l'approbation des comptes pourront ainsi s'inspirer des modèles qui se trouvent désormais à l'annexe 4-1 à l'article A. 441-2 (N° Lexbase : L6971K7C), dans la partie "arrêtés" du Code de commerce (3). Le "copier-coller" semble permis. Cependant, si ces modèles peuvent aider à établir l'architecture générale de tels tableaux, ils ne peuvent en revanche permettre de remplir leurs cases. Les rapports de gestion ne gagnent donc pas en simplicité !
La loi "ESS" du 31 juillet 2014 (loi n° 2014-856 N° Lexbase : L8558I3D) a introduit, on s'en souvient, outre un droit d'information des salariés en cas de cession d'entreprise, également une information triennale dont un récent décret est venu prévoir les modalités d'application (4). La direction générale des entreprises vient de publier une fiche pratique en la matière qui pourra être utile consultée sur le site du Gouvernement. On apprend ainsi que les SNC et SCS sont concernées, alors que seules les sociétés par actions et SARL sont concernées par l'information des salariés deux mois avant la cession. En revanche, le seuil de 250 salariés -et ses modalités de calcul- est commun aux deux droits. On apprend aussi que les informations à donner peuvent être distinguées en deux catégories : un volet général et un volet spécifique. On apprend également, et c'est important, que cette information doit être organisée, à la discrétion de la société, au moins une fois tous les trois ans, à compter du 6 janvier 2016, soit au plus tard pour la première fois avant le 6 janvier 2019 (5), mais que, si elle n'est pas faite, aucune sanction particulière n'est prévue, sous réserve néanmoins de l'information préalable à toute cession qui, pour sa part, pourra être sanctionnée à la demande du ministère public par une amende civile. La fiche enfin liste une série de liens hypertextes qui peuvent être utiles. Cela fait penser au guide que le ministère avait publié à propos du droit d'information des salariés deux mois avant la cession d'une entreprise, et à la normativité de telles sources qui donc, sans être contraignantes, doivent être respectées. Bref, un droit toujours aussi complexe !
II - Jurisprudence
A - Droit commun des sociétés
1°) Personne morale
Par acte du 10 juin 2002, une SCI a vendu divers lots de copropriété à une SARL, représentée par ses deux associés fondateurs. Invoquant le fait que la superficie réelle des locaux vendus était inférieure de plus d'un vingtième à celle figurant dans l'acte, la SARL a, par acte du 4 juin 2003, assigné la SCI en réduction de prix. Un jugement du 13 janvier 2009 a déclaré cette demande irrecevable au motif que la SARL ne démontrait pas qu'elle avait acquis la qualité d'acquéreur avant l'extinction du délai de déchéance prévu par l'article 46 de la loi du 10 juillet 1965 (N° Lexbase : L5536AG7), faute de rapporter la preuve, selon les modalités prévues par l'article 1328 du Code civil (N° Lexbase : L1438ABU), de la date du procès-verbal d'assemblée générale de reprise des actes accomplis pendant sa période de formation. Sur pourvoi après cassation (6), la cour d'appel de Montpellier (7) a infirmé le jugement et a déclaré la SARL recevable en son action en diminution du prix. La SCI a donc formé un pourvoi en cassation que la Haute juridiction rejette au motif qu'une société régulièrement immatriculée ayant repris l'engagement résultant d'une vente d'immeuble par une délibération de ses associés, il importe peu de la date de la délibération dès lors que, par l'effet rétroactif de cette reprise, la société est réputée propriétaire de l'immeuble à l'égard des tiers et de la cédante depuis l'origine de la vente (8).
L'arrêt prochainement commenté par notre collègue le Professeur Deen Gibirila (9), dans ces colonnes, mérite assurément d'être frappé des mentions de publications P+B. En effet, la Cour de cassation intervient en général pour censurer des arrêts d'appel qui, au contraire, admettent la reprise, parfois en dehors de cas limitatifs prévus par la loi (10). La censure qui intervient en sens inverse suffit à elle seule pour être soulignée. En outre, parmi les trois cas de reprise, il existe ce que l'on appelle la "reprise-balai", c'est-à-dire une délibération ultérieure de la société qui, une fois immatriculée, vient régulariser la situation. C'est également dit-on la formalité de reprise des "mauvais élèves" car elle intervient en ultime recours, lorsque n'ont été prévus ni l'annexe aux statuts des actes passés alors que la société était en cours de création ni le mandat (11). Pour autant, même tardive, cette formalité vaut reprise, au même titre que les autres. Et, à l'instar des autres modalités, la société se trouve rétroactivement titulaire des contrats passés (12), peu important la date de délibération de l'assemblée.
Si donc, par exemple, cette délibération intervient, comme en l'occurrence, après l'extinction du délai de déchéance prévu par l'article 46 de la loi du 10 juillet 1965, faute, elle emporte tout de même reprise rétroactive des actes concernés, l'article 1328 du Code civil n'étant pas applicable en raison de la nature commerciale tant de la société que de l'acte. Reste la question de savoir pendant combien de temps -après la conclusion de l'acte et l'immatriculation de la société- les associés peuvent prendre une telle délibération. Le législateur ne prévoit pas de date butoir. Toutefois, une assemblée très tardive ou une délibération très éloignée dans le temps de la date de l'immatriculation de la société peut être vue par un juge comme l'acceptation tacite par la société de ne pas avoir la volonté de procéder à la reprise desdits actes. Une société qui par exemple agirait en référé pour faire reconnaître sa titularité des contrats passés pourrait se voir débouter de son action.
Une SCI est gérée par un gérant majeur en curatelle. Sur le fondement d'un jugement signifié à ce seul gérant, une saisie-attribution est ensuite réalisée. La société entend contester la saisie-attribution et invoque, pour ce faire, des dispositions du droit de la curatelle. Plus précisément, le troisième alinéa de l'article 467 du Code civil (N° Lexbase : L8453HWY) dispose qu'à peine de nullité, la signification d'un jugement doit être réalisée à la fois au curatélaire et au curateur. Aucune signification n'ayant été faite au curateur, le délai de recours d'un mois à compter de la dénonciation de la saisie-attribution n'aurait pu valablement courir.
La Cour de cassation écarte cependant l'argument en procédant à une substitution de motifs. Elle observe que le curateur du gérant n'a pas le pouvoir d'assister la société. La signification de la dénonciation de la saisie-attribution n'avait dès lors pas à être réalisée par le curateur du gérant. La signification du jugement autorisant la réalisation d'une saisie-attribution à l'encontre d'une société civile se réalise au seul gérant de la société, peu important donc que ce dernier soit en curatelle. Le curateur n'est en effet pas investi du pouvoir d'assister la société.
La Cour de cassation avait déjà jugé que le tuteur du gérant n'a pas le pouvoir de représenter la société (13) ou encore que le président du conseil d'administration d'une société anonyme placé sous curatelle peut valablement transiger au nom de la société, sans l'assistance de son curateur (14), ce qui, à bien des égards, est critiquable (15). La solution procède néanmoins d'une règle du parallélisme des formes implacable : si le curateur n'a pas le pouvoir d'assister la société, il n'a pas plus à recevoir signification d'un jugement.
2°) Objet social
Même si l'objet va disparaître des conditions de validité du contrat, au même titre que la cause, avec l'ordonnance du 10 février 2016 (ordonnance n° 2016-131 [LXB= L4857KYK]), l'objet reste un élément essentiel du contrat de société. L'article 1844-7 du Code civil (N° Lexbase : L7356IZH) continue d'ailleurs de préciser qu'une société peut prendre fin, et donc être dissoute, par la réalisation ou l'extinction de son objet. Cela étant, cette cause de dissolution est assez rare en pratique dans la mesure où les objets sociaux sont en général stipulés de manière à éviter une telle situation. Il n'y a guère qu'en matière de sociétés en participation où l'on rencontre ce cas de figure, par exemple lorsque deux sociétés s'associent au sein d'une société en participation en vue de la réalisation de tel ou tel projet puis se séparent une fois le projet réalisé, entraînant l'extinction de la société. Quant à la jurisprudence, elle est, pour sa part, peu encline à prononcer largement des dissolutions même dans des hypothèses où on aurait pu penser que la société devait être dissoute, tel le cas des SCM se retrouvant unipersonnelle, à propos desquelles la Cour de cassation estime que la cessation d'activité professionnelle de l'un des deux membres d'une société civile de moyens dont l'objet statutaire est de faciliter l'exercice de la profession de ses membres par la mise en commun de tous les moyens matériels nécessaires, n'a pas pour conséquence l'extinction de son objet et n'implique pas sa dissolution (16). Pourtant, en l'occurrence, la société a bel et bien été dissoute pour extinction de l'objet social. Il s'agissait d'une société ayant pour objet social statutaire exclusivement l'exploitation d'un fonds de commerce alimentaire. Or, le propriétaire des murs avait délivré congé sans offre de renouvellement si bien que l'exploitation n'était plus possible. Les commerçants exploitaient également une station-service en location-gérance dans le même ensemble. Mais un tel contrat ne pouvait se rattacher à cet objet, de sorte que la cessation définitive de l'exploitation du fonds de commerce alimentaire a eu pour conséquence l'extinction de son objet social, impliquant la dissolution de plein droit de la société.
La solution, sur laquelle on lira avec attention la note du Professeur Deen Gibirila (17), est juridiquement impeccable. Elle montre à quel point il faut être vigilant avec les objets sociaux et à quel point également il faut se garder de stipuler des objets sociaux trop restrictifs. Pour ce faire et dans la mesure du possible, il pourra être utilement rapprocher l'objet de la société locataire issu des statuts et la destination du fonds issu du contrat de bail commercial. Il faudra également avoir en tête les pouvoirs du dirigeant car un objet social trop large peut autoriser le dirigeant, par exemple, à promettre de céder un actif important de la société sans mettre en péril sa pérennité. A l'inverse, un objet social trop réduit peut entraîner la responsabilité du dirigeant qui promettrait de vendre l'unique actif social, sans l'autorisation des associés, et risquerait ainsi de compromettre la poursuite et la réalisation de l'objet social.
3°) Cession de droits sociaux
L'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 consacre la réticence dolosive (C. civ., art. 1137, al. 2 N° Lexbase : L0854KZN) (18) aux côtés du dol comme cause de vice du consentement, sans toutefois la subordonner à l'existence d'une obligation d'information, par ailleurs consacrée à l'article 1112-1 (N° Lexbase : L0598KZ8) : ainsi, ce n'est que si la violation de l'obligation d'information a été faite intentionnellement pour tromper l'autre contractant, qu'elle sera constitutive d'un dol entraînant la nullité du contrat. Ce nouveau droit ne sera en vigueur qu'à partir du 1er octobre 2016, ce qui n'empêche pas la Cour de cassation de l'anticiper.
Ainsi, dans cet arrêt annoté, elle estime, dans un attendu de principe, "qu'ayant constaté que les consorts X avaient, par une hausse massive des prix de vente, donné une image trompeuse des résultats atteints par la société cédée au cours des mois ayant précédé la cession, et qu'ils avaient dissimulé à la société N. les informations qu'ils détenaient sur l'effondrement prévisible du chiffre d'affaires réalisé avec au moins deux des principaux clients de l'entreprise, la cour d'appel, qui a souverainement retenu que ces éléments étaient déterminants pour le cessionnaire, lequel n'avait pas été mis en mesure d'apprécier la valeur de la société cédée et ses perspectives de développement et n'aurait pas accepté les mêmes modalités d'acquisition s'il avait eu connaissance de la situation exacte de cette société, n'a pas méconnu les conséquences légales de ses constatations en décidant que les réticences dolosives imputables aux cédants entraînaient la nullité de la cession".
Voilà donc qui anticipe ladite réforme en réduisant la distinction faite jusqu'à présent en jurisprudence entre le dol principal et celui incident (19). Certes, un tel abandon avait déjà pu transparaître précédemment (20). Toutefois, les cas dans lesquels des cessions de droits sociaux -ou de fonds de commerce- ont pu être annulées pour dol incident ont toujours été assez rares (21). Un arrêt cependant l'avait déjà admis (22). Cette solution devrait par conséquent se généraliser dans les mois à venir sous réserve pour le cessionnaire de bien rapporter la preuve de deux conditions cumulatives : d'une part, le caractère déterminant de l'élément caché et, d'autre part, la volonté intentionnelle du cédant (23).
L'intérêt de cette solution est de couper court à la divergence entre la première chambre civile de la Cour de cassation estimant que si la victime ne demande pas l'annulation du contrat mais seulement des dommages-intérêts, le caractère intentionnel n'a pas à être recherché (24), et la Chambre commerciale qui juge au contraire que le manquement à une obligation précontractuelle d'information ne peut suffire à caractériser le dol par réticence, si ne s'y ajoute pas la constatation du caractère intentionnel de ce manquement et d'une erreur déterminante provoquée par celui-ci (25). A terme, peut-être impactera-t-elle les cessions de titres au point d'introduire en France la pratique anglo-saxonne qui consiste à échanger en amont entre cédant et cessionnaire toute une série de questionnaires (26). Quant aux actions en nullité pour dol dans les cessions de titres (27), la Cour de cassation devrait rester fidèle à sa jurisprudence (28).
Cet arrêt, commenté dans ces colonnes par Vincent Téchené (29), sera simplement mentionné ici en ce qu'il fait partie d'une nouvelle génération d'arrêt. Il s'agit d'arrêts dits "test" dans lesquels la Cour de cassation motive particulièrement bien ses décisions, à la manière d'un cours de droit (30). L'avenir dira si cette nouvelle méthodologie participe du principe de sécurité juridique.
B - Droit spécial des sociétés
C'est l'histoire d'un mandant, exerçant en société dans le domaine du commerce d'articles de cuisine, d'outillage et d'électroménager, qui s'entoure d'un agent commercial, lequel finit par lui voler sa clientèle au moyen d'une société prête-nom dont le seul but est de contourner les règles sur la concurrence loyale. Si on laisse de côté ces dernières, l'ancien mandant peut certainement assigner en responsabilité son ex agent commercial pour faute détachable des fonctions. Le problème est que cette faute doit être intentionnelle, d'une particulière gravité et incompatible avec l'exercice normal des fonctions sociales (31). Or on ne voit pas bien en quoi un dirigeant qui capterait frauduleusement la clientèle d'autrui à travers une société prête-nom viendrait à commettre une telle faute. La faute détachable des fonctions sociales n'est pas cela. Elle est plutôt une faute pénale, tel un défaut de souscription d'assurance obligatoire, la troisième chambre civile de la Cour de cassation ayant très récemment aligné sa position sur celle de la chambre commerciale (32). La faute séparable des fonctions porte atteinte à l'intérêt de la société, si bien que la Cour de cassation casse l'arrêt d'appel, au visa des articles 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ) et L. 223-22 du Code de commerce (N° Lexbase : L5847AIE), qui n'avait pas relever de faute dudit gérant séparable de ses fonctions de dirigeant de la société. En l'occurrence, l'intérêt social n'était pas en jeu, tout au contraire puisque le détournement de clientèle profitait précisément à la société. Il n'en demeure pas moins que la société a ici été instrumentalisée. En effet, elle n'a été créée que pour contourner les règles de la concurrence. Aussi, et dans ces conditions, plutôt que de plaider la faute séparable des fonctions, peut-être aurait-il été plus opportun de se concentrer sur la cause de la société qui paraissait illicite. Plus simplement, l'ancien mandant aurait pu également rechercher la responsabilité directement de la société. La faute détachable des fonctions sociales du dirigeant n'avait pas définitivement pas sa place dans cette affaire.
(1) (1) bastien.brignon@univ-amu.fr ou bastien.brignon@free.fr.
(2) Des exceptions existaient déjà, dont celle des crédits intragroupe autorisant des opérations de trésorerie au sens large entre sociétés affiliées appartenant à un même groupe (C. mon. fin., art. L. 511-7, I, 3 N° Lexbase : L1240I4P), et celle du crédit fournisseur permettant à une société, dans le cadre de son activité professionnelle, de consentir des délais ou avances de paiement à ses cocontractants (C. mon. fin., art. L. 511-7, I, 1).
(3) Le premier modèle de tableau est relatif aux factures reçues et émises non réglées à la date de clôture de l'exercice dont le terme est échu (C. com., art. D. 441-4, I N° Lexbase : L8200KR7). Le second modèle, qui constitue une alternative au premier, est relatif aux factures reçues et émises ayant connu un retard de paiement au cours de l'exercice (C. com., art. D. 441-4, II).
(4) V. nos obs. Lexbase, éd. aff., Chron., 2016, n? 453 (N° Lexbase : N1199BWC).
(5) Ce que nous avions exactement prédit : v. nos obs. précit.
(6) Cass. civ. 1, 20 septembre 2012, n° 11-14.546, F-D (N° Lexbase : A2490ITE).
(7) CA Montpellier, 23 octobre 2014, n° 12/07570 (N° Lexbase : A9086MY8).
(8) V. déjà Cass. civ. 1, 3 décembre 1980, n° 79-12.619, publié (N° Lexbase : A3478AGW).
(9) D. Gibirila, Lexabse, éd. aff., 2016, à paraître.
(10) Cass. civ. 3, 15 octobre 2015, n° 13-24.355, FS-D (N° Lexbase : A5921NTH), Bull. Joly Sociétés, 2015, p. 622, note J-F. Barbièri ; Chron. Droit des sociétés, Dr. & patrimoine 2016, à paraître, D. Poracchia ; Ann. des loyers, 2016-3, p. 67, nos. obs.
(11) Dont on sait que la jurisprudence admet qu'il puisse être postérieur à l'acte : D. Gibirila, Droit des sociétés, 5ème éd., Ellipses, 2015, p. 78, spéc. note de bas de page n° 5.
(12) Déjà Cass. civ. 1, 3 décembre 1980, n° 79-12.619, préc. : "Une société qui, après sa constitution et son immatriculation au registre du commerce, reprend l'engagement souscrit envers un tiers en son nom alors qu'elle était en formation, se trouve engagée dès la date de signature du contrat. Et, le cautionnement d'une dette future étant admis, est valable le cautionnement donné à une société en formation, pour une dette contractée ultérieurement par cette société".
(13) Cass. civ. 1, 12 juillet 2012, n° 11-13.161, FS-P+B+I (N° Lexbase : A7504IQY), in Dalloz Actualité, 15 avril 2015, note V. Da Silva, sous Cass. civ. 3, 7 avril 2016, n° 15-12.739, F-P+B.
(14) Cass. com., 29 septembre 2009, n° 08-15.125, F-D (N° Lexbase : A5832ELL), JCP éd. E, 2009, 2066, note H. Hovasse ; Dr. sociétés, 2009. Repère 11, H. Hovasse, cités in note V. Da Silva préc.
(15) H. Hovasse et A. Gaudemet, Incapacités et société, Actes pratiques & Ingénierie sociétaire, mai-juin 2012, n° 65 et s. ; JCP éd. E, 2012, 1583, note H. Hovasse cité in note V. Da Silva préc.
(16) Cass. com., 15 septembre 2009, n° 08-15.267, FS-P+B (N° Lexbase : A0983ELY), Bull. civ. IV, n° 112 ; D. 2009, p. 2280, obs. A. Lienhard ; B. Saintourens, Lexbase, éd. privée, 2009, n° 367 (N° Lexbase : N0826BMK) ; Gaz. Pal., 4-5 novembre 2009, p. 16, nos obs. ; Rev. sociétés, 2010, p. 106, note I. Urbain-Parléani ; Bull. Joly Sociétés, 2010, p. 53, note S. Prévost ; RJDA, 1/2010, n° 59.
(17) D. Gibirila, Lexbase, éd. aff., 2016, n° 464 (N° Lexbase : N2500BWI).
(18) Les trois projets l'ayant précédé étaient dans le même sens.
(19) v. note D. Bakouche, Lexbase, éd. priv., 2016 n° 653 (N° Lexbase : N2509BWT).
(20) v. par ex. Cass. com., 28 janvier 2003, n° 99-11.765,F-D (N° Lexbase : A8184A4U), Bull. Joly, 2003, p. 572, cité in note X. Delpech, Dalloz actualité, 14 avril 2016.
(21) En matière de vente de fonds de commerce v. par ex. Cass. com., 7 février 2012, n° 11-10487, F-P+B (N° Lexbase : A3590ICX), Bull. civ. IV, n° 24, LPA, n° 110, 3 juin 2013, Chron., p. 5, obs. F. Buy et J. Théron, D., 2013, p. 391, Chron., obs. S. Amrani-Mekki et M. Mekki, Rev. sociétés, juillet 2012, p. 423, note E. Schlumberger, Bull. Joly Sociétés, mai 2012, p. 390, note D. Gallois-Cochet, JCP éd. E, 2012, 1263, note S. Le Gac-Pech, D., 2013, p. 918, note A. Couret et B. Dondero, RTDCiv., 2012, p. 313, obs. B. Fages, Dr. sociétés, avril 2012, p. 17, note R. Mortier ; Cass. civ. 1, 25 nov. 2009, n° 08-15.927, F-D (N° Lexbase : A1532EPG) ; Cass. com., 3 avril 2013, n° 12-13.314, F-D (N° Lexbase : A6433KBU), RTDCiv., 2013, p. 369, obs. B. Fages ; Cass. com., 6 janvier 2015, n° 13-27.340, F-D, nos obs., Lexbase, éd. aff., 2015 n° 411 (N° Lexbase : N5773BUD). Pour une hypothèse d'erreur sur la valorisation des parts sociales v. : Cass. com., 10 novembre 2015, n° 14-11.370, F-D (N° Lexbase : A7549NWI) ; JCP éd. E, 2016, 1217, Chron., spéc. § 1, obs. M. Caffin-Moi).
(22) Cass. com., 28 juin 2005, n° 03-16.794, F-P+B (N° Lexbase : A8466DIE), Bull. civ. IV, n° 140.
(23) V. encore, en matière de vente en l'état futur d'achèvement concernant une SCI : Cass. civ. 3, 7 avril 2016, n° 15-13.064, FS-P+B (N° Lexbase : A1565RCX), Dalloz actualité, 10 mai 2016, note F. Garcia : "En l'absence de preuve d'une violation intentionnelle du manquement du vendeur à son obligation précontractuelle d'information ayant déterminé les acquéreurs à contracter, la réticence dolosive n'est pas caractérisée".
(24) Cass. civ. 1, 28mai 2008, n° 07-13.487, F-P+B (N° Lexbase : A7868D8W) ; RJDA, 5/2009, n° 406.
(25) Cass. com., 28 juin 2005, n° 03-16.794, préc.
(26) V. nos obs. JCP éd. G 2016, act. 858.
(27) R. Mortier, Impacts de la réforme du droit des contrats sur les cessions de droits sociaux, Dr. sociétés, 2016, comm. 52.
(28) V. par ex. Cass. com., 30 mars 2016, n° 14-23.866, F-D (N° Lexbase : A1435RBR) cassation, au visa de l'article 1116 du Code civil, de l'arrêt d'appel qui pour annuler un acte de cession de titres se borne à retenir l'existence de comptes courants débiteurs, sans rechercher si la mention dans la promesse de vente de l'existence de ces comptes, qui devaient être soldés lors de la vente, n'était pas de nature à exclure une manoeuvre dolosive de la part des cédants. Et cassation, également au visa de l'article 1116 du Code civil, du même arrêt d'appel qui retient encore que les cédants ont dissimulé à la cessionnaire le déficit croissant de la trésorerie de la société cédée depuis cinq ans, qui a fragilisé de plus en plus sa situation au point d'être au bord de la cessation de paiements, au moins au moment de la cession, sans rechercher si les documents comptables remis à la cessionnaire n'étaient pas de nature à lui permettre de prendre connaissance de la dégradation de la trésorerie.
(29) V. Téchené, Lexbase, éd. aff., 2016, n°463 (N° Lexbase : N2383BW8)
(30) Dalloz actualité, 11 avril 2016, note X. Delpech ; JCP éd. G, 2016, 458 ; JCP éd. G, 2016, 522, Edito D. Mazeaud "Motivez ! Motivez !".
(31) Cass. com., 20 mai 2003, n° 99-17.092, FS-P+B+I (N° Lexbase : A1619B9T), Bull. civ. IV, n° 84 ; Bull. Joly Sociétés, juillet 2003, p. 786, n° 167, note H. Le Nabasque ; Defrénois, 15 septembre 2003, p. 1067, n° 37801, note M.-H. Maleville-Costedoat ; LPA, 7 novembre 2003, p. 13, note S. Messaï ; Rev. sociétés, 2003, p. 479, note J.-F. Barbièri ; D., 2003, p. 1502, obs. A. Lienhard et p. 2623, note B. Dondero ; D., 2004, somm. p. 266, obs. J.-C. Hallouin ; RTDCom., 2003, p. 523, obs. P. Chazal et Y. Reinhard, et p. 741, obs. C. Champaud et D. Danet ; RTDCiv., 2003, p. 509, obs. P. Jourdain ; Dr. et patr., n° 120, novembre 2003, p. 91, obs. D. Poracchia ; JCP éd. G, 2003, II, 10178, note S. Reifegerste ; JCP éd E, 2003, 1203, obs. J.-J. Caussain, F. Deboissy et G. Wicker, et 1398, note S. Hadji-Artinian ; JCP éd. G, 2004, I, 101, spéc. n° 21, obs. G. Viney ; Lamy Sociétés commerciales, septembre 2003, p. 1, note I. Grossi ; Dr. sociétés, 2003, comm. n° 148, obs. J. Monnet ; Banque et droit, n° 157, septembre-octobre 2003, p. 64, obs. M. Storck ; RJDA, 8-9/03, p. 747, n° 842, et p. 717, avis de R. Viricelle.
(32) Cass. civ. 3, 10 mars 2016, n° 14-15.326, FS-P+B (N° Lexbase : A1663Q7Q), D. Gibirila, Lexbase, éd. aff., 2016, n° 460 (N° Lexbase : N2010BWD) ; JCP E 2016, notre note à paraître.
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Réf. : CE 1° et 6° s-s-r., 13 avril 2016, n° 389798, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6777RCY)
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par Arnaud Le Gall, Maître de conférences en droit public, Université de Caen Normandie et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Droit de l'urbanisme"
Le 12 Mai 2016
I - La restriction progressive de l'intérêt pour agir
Jusqu'à une époque relativement récente, l'intérêt pour agir contre une autorisation d'urbanisme était apprécié avec une certaine souplesse par le Conseil d'Etat.
En premier lieu, l'intérêt des particuliers et des entreprises était apprécié sur la base d'un critère de nature topographique reposant sur la distance comprise entre le terrain du permis et la propriété des requérants. Une trop grande distance conduisait le Conseil d'Etat à refuser de reconnaître l'intérêt pour agir du requérant, non pas en raison de la distance elle-même, mais en raison des intérêts qu'elle révèle. En effet, ce n'est pas "le voisinage en tant que tel qui confère qualité pour agir, mais les intérêts révélés par ce voisinage" (1) ; la mesure de l'impact du projet sur ceux-ci qui permet de révéler l'existence de l'intérêt à agir (2).
Les occupants d'un immeuble situé vis-à-vis de l'ensemble immobilier, objet du permis de construire, justifiaient ainsi d'un intérêt personnel suffisant à leur donner qualité pour contester la légalité de ces permis (3), de même que le résident d'un lotissement dans lequel la construction devait être située, peu importe que le requérant soit locataire ou propriétaire (4). Dès lors que la propriété du requérant était suffisamment proche du terrain d'assiette du projet, l'intérêt pour agir était donc reconnu (5), une distance de 200 mètres étant jugée suffisante (6), un arrêt du 9 avril 2014 se limitant à reconnaître l'intérêt à agir de propriétaires de terrains et de constructions situés à proximité du lieu d'implantation du projet litigieux (7).
Du côté des entreprises, la seule qualité de propriétaire d'un terrain voisin de la future construction suffisait également à ce que l'intérêt pour agir soit reconnu (8). En revanche, le seul fait de se prévaloir d'un risque d'augmentation de la concurrence ne suffisait pas pour justifier de cet intérêt pour agir (9).
Certaines décisions récentes semblent traduire une certaine restriction dans la reconnaissance de l'intérêt à agir. Un arrêt du 25 janvier 2012 a ainsi confirmé la décision des premiers juges dans les termes suivants : "en déniant à M. A un intérêt pour agir aux motifs que celui-ci n'avait pas de vue directe sur le bâtiment faisant l'objet des travaux déclarés et que le terrain d'assiette de ce bâtiment était séparé de sa propre parcelle par une parcelle construite, le tribunal administratif a porté sur la configuration des lieux une appréciation souveraine exempte de dénaturation et n'a pas commis d'erreur de droit dans l'utilisation des critères qui gouvernent l'appréciation de l'intérêt pour agir contre une autorisation individuelle d'urbanisme" (10). Le critère de la distance semble passer clairement au second plan, le Conseil d'Etat se focalisant sur les conséquences de la construction sur la propriété du requérant en relevant l'absence de vue directe entre les deux parcelles et l'existence d'une parcelle construite entre les deux.
On notera que le propriétaire continue de pouvoir former un recours en annulation contre les autorisations portant sur son bien. Il justifie, en cette seule qualité, d'un intérêt lui donnant qualité pour agir contre les autorisations d'urbanisme accordées en vue de la réalisation de travaux sur son bien (11). En cas d'expropriation, dès lors que l'ordonnance de transfert de propriété n'est pas encore définitive, la Cour de cassation n'ayant pas encore statué sur le pourvoi, le propriétaire exproprié ne peut être regardé comme définitivement dépossédé de ses parcelles et justifie, en conséquence, d'un intérêt lui donnant qualité pour agir contre le permis de construire un immeuble sur celles-ci (12). Il en va de même du titulaire d'un bail à construction sur une parcelle ayant fait l'objet d'une ordonnance d'expropriation annulée : son droit à construire n'ayant été perdu qu'en vertu de cette ordonnance, il justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour agir contre le permis de construire accordé sur ce terrain (13).
L'ordonnance n° 2013-638 du 18 juillet 2013, relative au contentieux de l'urbanisme (N° Lexbase : L4499IXW), est venue confirmer la tendance de la jurisprudence en introduisant un article L. 600-1-2 qui dispose désormais : "une personne autre que l'Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n'est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager que si la construction, l'aménagement ou les travaux sont de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance du bien qu'elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d'une promesse de vente, de bail, ou d'un contrat préliminaire mentionné à l'article L. 261-15 du Code de la construction et de l'habitation (N° Lexbase : L1971HPP)". Le Conseil d'Etat a refusé de transmettre la question de la constitutionnalité de cette restriction au Conseil constitutionnel (14). L'article L. 600-1-3 (N° Lexbase : L4349IXD) précise que l'intérêt à agir "s'apprécie à la date d'affichage en mairie de la demande du pétitionnaire".
En second lieu, le régime de l'intérêt pour agir des associations a suivi une évolution différente.
La nature même des requérantes interdisait au Conseil d'Etat de recourir à un critère géographique qui n'aurait pas eu de sens dans un tel cadre. La jurisprudence s'est donc fondée sur l'objet de l'association pour apprécier son intérêt à agir.
Une association ayant pour but de préserver et valoriser le patrimoine naturel, culturel, social et économique d'une commune justifie ainsi d'un intérêt lui donne qualité pour agir à l'encontre d'un arrêté autorisant la construction d'un groupe scolaire (15). Il en va de même pour une association ayant pour objet de contribuer au respect du site de la presqu'île de Saint-Tropez, de la baie de Cavalaire et de leurs environs, compte tenu, d'une part, de cet objet social, d'autre part, de la localisation de la zone d'aménagement concerté dans laquelle devaient être implantées les constructions litigieuses et de l'importance desdites constructions (16). De même, un comité de défense des intérêts des habitants d'un quartier qui a pour objet de défendre les "intérêts touchant les habitants et amis du secteur", dans lequel est situé le projet de construction est recevable à demander l'annulation du permis concernant ce projet (17). En revanche, ce n'est pas le cas d'une association dont l'objet social est trop général et qui ne vise pas précisément les questions d'urbanisme ni même la défense d'un site (18).
Le champ d'intervention géographique de l'association a fait l'objet d'appréciations divergentes. Il a été jugé, à propos d'une fédération ayant pour objet social de promouvoir la restauration des milieux et sites dégradés, de sauver les milieux naturels et le patrimoine naturel et culturel et d'exercer des recours en justice en faveur de la protection de la nature et de l'environnement, que le fait que son activité s'exerce dans tout le Nord de la France, c'est-à-dire à un niveau régional, la privait d'un intérêt lui donnant qualité pour demander l'annulation d'un permis de construire concernant le projet d'une construction d'une maison dans le champ de visibilité d'un monument historique classé sur le territoire d'une commune du Nord (19). En revanche, le Conseil d'Etat a considéré qu'une association ayant pour objet de favoriser l'application de la législation en vigueur en faveur des zones d'intérêt écologique, faunistique et floristique et, d'une manière générale, de l'environnement, cela sur le territoire de la région Corse, disposait d'un intérêt suffisant et, par suite, avait qualité pour contester la légalité d'un permis de construire pour un projet situé dans une zone naturelle d'Intérêt écologique, faunistique et floristique (20).
Afin d'interdire la création d'associations de circonstance exclusivement destinées à faire obstacle à des projets, voire à négocier le retrait de leurs recours contre des compensations financières, le législateur a posé comme condition à la recevabilité des recours des associations le fait que les statuts aient été déposés antérieurement à l'affichage en mairie de la demande de permis. Depuis la loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006, portant engagement national pour le logement (N° Lexbase : L2466HKK), l'article L. 600-1-1 (N° Lexbase : L1047HPH) précise en effet qu'"une association n'est recevable à agir contre une décision relative à l'occupation ou l'utilisation des sols que si le dépôt des statuts de l'association en préfecture est intervenu antérieurement à l'affichage en mairie de la demande du pétitionnaire".
Le Conseil constitutionnel a validé cette restriction en estimant, dans une décision assez laconique, qu'elle n'a "ni pour objet, ni pour effet d'interdire la constitution d'une association ou de soumettre sa création à l'intervention préalable de l'autorité administrative ou même de l'autorité judiciaire ; qu'elle prive les seules associations, dont les statuts sont déposés après l'affichage en mairie d'une demande d'autorisation d'occuper ou d'utiliser les sols, de la possibilité d'exercer un recours contre la décision prise à la suite de cette demande ; que la restriction ainsi apportée au droit au recours est limitée aux décisions individuelles relatives à l'occupation ou à l'utilisation des sols ; que, par suite, l'article L. 600-1-1 du Code de l'urbanisme ne porte pas d'atteinte substantielle au droit des associations d'exercer des recours ; qu'il ne porte aucune atteinte au droit au recours de leurs membres ; qu'il ne méconnaît pas davantage la liberté d'association" (21).
L'arrêt du 13 avril 2016 vient préciser le régime de la restriction imposée aux recours des particuliers.
II - Le régime de l'article L. 600-1-2 du Code de l'urbanisme
Le Conseil d'Etat n'a rendu, jusqu'à ce jour, que très peu de décisions relatives à l'article L. 600-1-2. Ce n'est pas tant le caractère relativement récent du texte qui explique ce nombre limité de décisions que le régime défini par un arrêt du 8 juillet 2015 qui précise que ce nouveau régime d'appréciation de l'intérêt pour agir ne peut s'appliquer aux affaires en cours. En effet, "s'agissant de dispositions nouvelles qui affectent la substance du droit de former un recours pour excès de pouvoir contre une décision administrative, elles sont, en l'absence de dispositions contraires expresses, applicables aux recours formés contre les décisions intervenues après leur entrée en vigueur" (22).
En premier lieu, l'arrêt du 13 avril 2016 confirme partiellement la jurisprudence antérieure.
Un arrêt du 10 juin 2015 a explicité les nouvelles dispositions dans un considérant de principe très long qu'on ne peut éviter de reproduire ici : "il appartient, en particulier, à tout requérant qui saisit le juge administratif d'un recours pour excès de pouvoir tendant à l'annulation d'un permis de construire, de démolir ou d'aménager, de préciser l'atteinte qu'il invoque pour justifier d'un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d'affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien ; qu'il appartient au défendeur, s'il entend contester l'intérêt à agir du requérant, d'apporter tous éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité ; qu'il appartient ensuite au juge de l'excès de pouvoir de former sa conviction sur la recevabilité de la requête au vu des éléments ainsi versés au dossier par les parties, en écartant le cas échéant les allégations qu'il jugerait insuffisamment étayées mais sans pour autant exiger de l'auteur du recours qu'il apporte la preuve du caractère certain des atteintes qu'il invoque au soutien de la recevabilité de celui-ci" (23). Un arrêt du 10 février 2016 a repris partiellement cette formulation (24).
Même si le Conseil d'Etat ne le formule pas expressément, c'est donc au requérant d'établir son intérêt pour agir, dès lors qu'il lui appartient de préciser les atteintes provoquées par le projet autorisé, ce qui en soi n'est pas nouveau. Dès lors que l'exercice d'un recours dirigé contre une décision administrative traduit l'exercice du droit fondamental au recours, droit qui tire sa source de l'article 16 de la Déclaration de 1789 (N° Lexbase : L1363A9D), il appartient à celui qui prétend exercer ce droit d'apporter, s'il est contesté, la preuve qu'il détient effectivement ce droit. On rappellera également que le défaut d'intérêt pour agir constitue un moyen d'ordre public qu'il appartient donc au juge de soulever d'office, en respectant les dispositions de l'article R. 611-7 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3102ALH) permettant d'assurer le principe du contradictoire (25).
La démonstration autour de l'intérêt pour agir conduit nécessairement le requérant à établir l'existence d'un trouble causé par la future construction. Tout ceci a finalement des relents très civilistes et constitue une irruption des relations de voisinage dans le contentieux de l'urbanisme. Le droit d'intenter un recours contre une autorisation d'urbanisme passe donc par le préalable "civiliste" consistant à démontrer que la construction portera atteinte, d'une manière plus ou moins significative, aux droits qu'il détient de par sa qualité de propriétaire ou de locataire. Il y a là quelque chose de paradoxal dans un contentieux marqué par le principe d'indépendance des législations, lequel interdit à un requérant d'invoquer utilement la violation d'une règle de droit civil à l'encontre d'une autorisation d'urbanisme (26).
Cette charge de la preuve conduit donc le requérant à une démarche très concrète : "les écritures et les documents produits par l'auteur du recours doivent faire apparaître clairement en quoi les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien sont susceptibles d'être directement affectées par le projet litigieux" (27).
La rigueur de cette première décision est à souligner. Le critère purement géographique ayant été banni, le seul fait de se prévaloir de la qualité de "propriétaires de biens immobiliers voisins directs à la parcelle destinée à recevoir les constructions litigieuses" est quasiment inopérant. L'aspect de la seule visibilité, qui découle de la proximité géographique des parcelles est, en conséquence, insuffisant. De même, le seul fait que le plan de situation sommaire ne comporte que la mention "façade sud fortement vitrée qui créera des vues" est insuffisant pour établir l'intérêt pour agir (28).
La formule jurisprudentielle issue de l'arrêt du 10 juin 2015, et partiellement reprise par l'arrêt du 13 avril 2016, soulève des interrogations. D'une part, en effet, il appartient au requérant d'établir la réalité des atteintes que le projet autorisé apportera à ses conditions d'occupation, d'utilisation et de jouissance de son bien. A charge pour le pétitionnaire de démontrer l'absence de réalité de ces atteintes. D'autre part, et toutefois, afin d'alléger la charge qui pèse sur le requérant, le juge ne peut exiger qu'il établisse le caractère certain de ces atteintes.
Or, il est assez difficile de dissocier ici la notion de réalité de celle de certitude. On comprend aisément que le requérant ne soit pas contraint de démontrer la certitude d'une atteinte, c'est à dire finalement d'un préjudice qui, dans la plupart des cas, ne s'est pas encore matérialisé, l'exercice d'un recours paralysant souvent, soit par le référé-suspension soit par la prudence du pétitionnaire, la mise en oeuvre du permis de construire. Mais alors, dans ce cas, qu'est-ce que recouvre la réalité des atteintes : une atteinte réelle peut-elle être différente d'une atteinte certaine ? On peut en douter d'autant que le requérant doit s'appuyer, notamment, sur tous les documents du permis de construire pour démontrer la réalité de ces atteintes. Or, si une atteinte découle de la comparaison des éléments propres au requérants et de ceux du permis, cette "réalité" deviendra une certitude après la réalisation de la construction, dès lors que celle-ci ne peut que se dérouler selon l'autorisation qui doit être strictement respectée. Il est évident que la construction d'une boite de nuit juste à côté d'une maison de retraite troublera de manière certaine le repos des pensionnaires de l'établissement : la réalité ne peut être dissociée de la certitude. En revanche, on a du mal à envisager une atteinte réelle qui ne débouche pas sur une atteinte certaine.
L'exemple de l'arrêt du 10 juin 2015 n'est pas très éclairant à ce sujet : si le Conseil d'Etat réfute logiquement la réalité d'une atteinte visuelle lié à la distance excessive de la propriété des requérants (700 mètres d'avec une station de conversion électrique de 1000 mw...), en revanche, la réalité de l'atteinte sonore est établie par les nuisances d'ores et déjà supportées par les requérants du fait de l'implantation d'une installation du même genre à 1400 mètres de leurs propriétés. Ici, la réalité se confond entièrement avec la certitude puisque c'est la nuisance préexistante, et donc certaine, qui démontre le caractère inéluctable de la nuisance future.
En second lieu, l'arrêt du 13 avril 2016 apporte deux éléments nouveaux à cet édifice jurisprudentiel.
D'une part, il marque une évolution dans la formulation du principe. S'il reprend à l'identique les deux premières parties du considérant du principe de l'arrêt du 10 juin 2015, il abandonne, en revanche, la formulation assez inappropriée relative à la "conviction" du juge. Cette formulation n'est, en général, utilisée qu'au sujet des pouvoirs d'instruction du juge. En effet, il incombe à celui-ci, "dans l'exercice de ses pouvoirs de direction de la procédure, de prendre toutes mesures propres à lui procurer, par les voies de droit, les éléments de nature à lui permettre de former sa conviction sur les points en débat, et d'en tirer les conséquences sur le litige au regard des suites données à ces mêmes mesures" (29). De même, "il appartient au juge de l'excès de pouvoir de former sa conviction sur les points en litige au vu des éléments versés au dossier par les parties ; que le cas échéant, il revient au juge, avant de se prononcer sur une requête assortie d'allégations sérieuses non démenties par les éléments produits par l'administration en défense, de mettre en oeuvre ses pouvoirs généraux d'instruction des requêtes et de prendre toute mesure propre à lui procurer, par les voies de droit, les éléments de nature à lui permettre de former sa conviction, en particulier en exigeant de l'administration compétente qu'elle lui fasse connaître, alors même qu'elle ne serait soumise par aucun texte à une obligation de motivation, les raisons de fait et de droit qui l'ont conduite à prendre la décision attaquée" (30).
L'arrêt écarte donc cette référence à la notion de conviction. Il précise "que le juge de l'excès de pouvoir apprécie la recevabilité de la requête au vu des éléments ainsi versés au dossier par les parties, en écartant le cas échéant les allégations qu'il jugerait insuffisamment étayées mais sans pour autant exiger de l'auteur du recours qu'il apporte la preuve du caractère certain des atteintes qu'il invoque au soutien de la recevabilité de celui-ci". La substitution de l'appréciation à la conviction permet au juge de cassation de préciser le champ de son contrôle, dès lors qu'il ne contrôle pas directement la conviction du juge du fond. Cette conviction, qui découle de la teneur du débat qui se déroule devant lui se traduit par la décision même du juge du fond qui elle est contrôlée par les cas d'ouverture classique de la cassation. Ce faisant, le Conseil d'Etat confirme qu'il exerce un contrôle de l'erreur de qualification juridique des faits dans l'appréciation de l'intérêt pour agir (31) et c'est d'ailleurs sur le fondement de ce contrôle qu'il annule l'ordonnance attaquée.
D'autre part, l'arrêt assouplit un peu la situation du voisin immédiat du projet et lui réserve un traitement particulier : "eu égard à sa situation particulière, le voisin immédiat justifie, en principe, d'un intérêt à agir lorsqu'il fait état devant le juge, qui statue au vu de l'ensemble des pièces du dossier, d'éléments relatifs à la nature, à l'importance ou à la localisation du projet de construction".
Cette formulation appelle plusieurs précisions.
Tout d'abord, la notion de "voisin immédiat" n'est pas définie et une incertitude subsiste sur ce qu'elle peut recouvrir exactement. Dans l'affaire du 13 avril 2016 rapportée, le voisinage immédiat se traduit manifestement par le caractère contigu des parcelles du pétitionnaire et du requérant : le premier étant situé au n° 4 de la rue et le second au n° 6. La même solution est appliquée pour les recours intentés par les voisins du n° 2 (32). Toutefois, l'immédiateté ne se confond pas nécessairement avec la contiguïté des parcelles : l'arrêt rendu sur le recours d'un autre voisin fait bénéficier ce dernier du même régime (33) alors qu'il est propriétaire au n°12 de la même rue et un autre arrêt (34) profite à l'occupant du n° 3 situé de l'autre côté de la rue. Or, la consultation de la carte montre clairement que ces parcelles ne sont pas limitrophes de celle du pétitionnaire.
Ensuite, le Conseil d'Etat rappelle que le juge statue au vu de l'ensemble des pièces du dossier. Ce rappel n'est pas inutile car il confirme que l'intérêt à agir ne s'apprécie pas uniquement sur le fondement de la législation de l'urbanisme. Le requérant peut donc invoquer toutes circonstances de fait et de droit susceptibles de démontrer la réalité des atteintes qu'il invoque pour justifier son intérêt pour agir. L'arrêt censure ainsi l'ordonnance attaquée au motif que le requérant invoquait des atteintes à sa vue et au cadre de vie, découlant de la hauteur de l'immeuble et de l'aggravation des conditions de circulation dans une impasse. Il faut également relever que les troubles pris en compte ne sont pas nécessairement définitifs : il peut s'agir, en effet, de troubles provoqués par la réalisation des travaux.
Enfin, et toutefois, la qualité de voisin immédiat emporte l'application d'une sorte de présomption qui ne dit pas son nom. Il lui suffit de faire état d'éléments "relatifs à la nature, à l'importance ou à la localisation du projet de construction", ce qui recouvre le dossier de permis de construire auquel il a nécessairement accès. Dès lors qu'il invoque ces éléments, il établit donc l'existence d'une atteinte "susceptible d'affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien".
Sans revenir au régime libéral antérieur, le Conseil d'Etat tente donc de maintenir un certain équilibre entre le droit au recours qui a été incontestablement amputé par l'article L. 600-1-2 du Code de l'urbanisme et les restrictions que le législateur a voulu imposer : exemple caractéristique d'une mesure destinée à limiter les recours mais qui va conduire inéluctablement le Conseil d'Etat à faire de la dentelle pour identifier, parmi les requérants, ceux qui seront suffisamment gênés par un projet de construction.
(1) Concl. D. Piveteau sous CE, 22 février 2002, n° 216088 (N° Lexbase : A1696AYH), BJDU, 2002.143.
(2) CE, 16 juin 2004, n° 264185 (N° Lexbase : A7675DCA).
(3) CE, 30 septembre 1988, n° 59075, 59076 (N° Lexbase : A7779APS).
(4) CE, 17 juin 1991, n° 98399, 98400 (N° Lexbase : A1873B8U).
(5) CE, 15 octobre 1999, n° 198578 (N° Lexbase : A3190AXG).
(6) CE, 10 décembre 1997, n° 158064 (N° Lexbase : A5559ASP).
(7) CE, 9 avril 2014, n° 338363 (N° Lexbase : A1026MK9).
(8) CE, 3 mai 1993, n° 124888 (N° Lexbase : A9509AM7).
(9) CE, 7 juillet 1993, n° 94179 (N° Lexbase : A0611ANX).
(10) CE, 25 janvier 2012, n° 344705 (N° Lexbase : A4253IB7).
(11) CE, 6 décembre 2013, n° 354703 (N° Lexbase : A8510KQA).
(12) CE, 25 octobre 1996, n° 137361 (N° Lexbase : A1098APD).
(13) CE, 5 avril 1993, n° 117090 et 117091 (N° Lexbase : A9248AMH).
(14) CE, 27 juin 2014, n° 38645 N° Lexbase : A0832AMR).
(15) CE, 13 décembre 2005, n° 280329 (N° Lexbase : A1175DMH).
(16) CE, 10 juillet 1995, n° 135588 (N° Lexbase : A0603AS7).
(17) CE, 27 janvier 1995, n° 119276, 119362 (N° Lexbase : A1948ANH) ; CE, 30 octobre 1992, n° 140220 (N° Lexbase : A8182ARH).
(18) CE, 29 janvier 2003, n° 199692 (N° Lexbase : A0430A73) ; voir aussi CE 9 décembre 1996, n° 155477 (N° Lexbase : A2248APX).
(19) CE, 27 mai 1991, n° 113203 (N° Lexbase : A0318AR9).
(20) CE, 10 février 1997, n° 140841 (N° Lexbase : A8337AD7).
(21) Cons. constit., décision n° 2011-138 QPC du 17 juin 2011 (N° Lexbase : A6178HTY).
(22) CE, 8 juillet 2015, n° 385043 (N° Lexbase : A7006NMG).
(23) CE, 10 juin 2015, n° 386121 (N° Lexbase : A6029NKI).
(24) CE, 10 février 2016, n° 387507 (N° Lexbase : A7403PKE).
(25) CE, 27 juillet 2001, n° 233718 (N° Lexbase : A5524AU7); CE, 26 juillet 2011, n° 347086 (N° Lexbase : A5088HWD).
(26) CE, 6 mai 1996, n° 138313 (N° Lexbase : A8964ANC).
(27) CE, 10 février 2016, n° 387507 (N° Lexbase : A7403PKE).
(28) CE, 10 février 2016, n° 387507, préc..
(29) CE, 26 janvier 2011, n° 311808 (N° Lexbase : A7460GQD).
(30) CE, 29 octobre 2013, n° 346569 (N° Lexbase : A8183KNE).
(31) CE, 1er juillet 2009, n° 319238 (N° Lexbase : A5656EIC).
(32) CE, 13 avril 2016, n° 389801 (N° Lexbase : A6779RC3) ; CE, 13 avril 2016, n° 389799 (N° Lexbase : A6778RCZ).
(33) CE, 13 avril 2016, n° 389802 (N° Lexbase : A6780RC4).
(34) CE, 13 avril 2016, n° 390109 (N° Lexbase : A6781RC7).
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Réf. : Cons. const., décision n° 2016-540 QPC du 10 mai 2016 (N° Lexbase : A5065RNW)
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Le 18 Mai 2016
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