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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
Le 14 Mai 2015
Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 :'La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances' ; qu'aux termes de l'article 28 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat : Il est interdit, à l'avenir, d'élever ou d'apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l'exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires ainsi que des musées ou expositions' ; qu'il résulte de ces dispositions combinées que l'apposition d'un emblème religieux sur un édifice public ou une place publique, postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 9 décembre 1905, méconnaît la liberté de conscience, assurée à tous les citoyens par la République, et la neutralité du service public à l'égard des cultes quels qu'ils soient ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la croix de Lorraine, croix archiépiscopale, figurant sur les blasons des archevêques, pour signaler cette fonction, en béton armé précontraint de 44,30 mètres de haut pour un poids total sans fondations de 950 tonnes, revêtue d'un parement en granit rose de Perros-Guirec et habillée de surfaces en bronze de 10 mm d'épaisseur et d'1,68 mètre de longueur, soit un poids total de 16 tonnes, provenant d'une fonderie alsacienne, érigée le 18 juin 1972 sur une place publique de la commune, par sa disposition et ses dimensions, présente un caractère ostentatoire ; que, par suite, alors même que l'édification du Mémorial Charles-de-Gaulle ne méconnaîtrait pas, par elle-même, les dispositions précitées de la Constitution et de la loi du 9 décembre 1905, l'apposition de la croix surplombant le Mémorial méconnaît ces dispositions ;
Considérant que la présence depuis 1972 à Colombey-Les-Deux-Eglises, au lieu de son implantation actuelle, comme d'ailleurs en tout lieu public, de ce monument comportant une croix monumentale, telle que décrite ci-dessus, est incompatible avec l'article 28 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat ; que l'existence même de cette incompatibilité faisait obligation à la collectivité publique propriétaire de cet ouvrage de mettre fin, à la première demande, à cette situation illicite ; qu'alors qu'il est constant que la croix de Lorraine doit sa forme à la croix chrétienne à laquelle a été ajoutée une petite traverse supérieure représentant l'écriteau'INRI' (Jésus de Nazareth, roi des Juifs), il doit être considéré que le maire de Colombey-Les-Deux-Eglises, par le refus qu'il a opposé aux demandes qui lui étaient faites, a méconnu les dispositions précitées de la Constitution du 4 octobre 1958 et de la loi du 9 décembre 1905, à la stricte application desquelles la protection juridique qui s'attache au respect de l'oeuvre de l'artiste et au droit moral de l'auteur ne saurait faire obstacle"...
Bien entendu, il s'agit là d'une extrapolation fallacieuse du jugement rendu le 30 avril 2015, par le tribunal administratif de Rennes qui a donné raison à une association qui demandait le retrait de la statue de Jean-Paul II du domaine public d'une commune. La statue érigée en 2006 sur une place publique de la commune est entourée d'une arche surplombée d'une croix, symbole de la religion chrétienne, qui, par sa disposition et ses dimensions, présente un caractère ostentatoire. Dès lors, alors même que l'édification de la statue sur la place publique ne méconnaîtrait pas, par elle-même, les dispositions de l'article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 et de la loi du 9 décembre 1905, l'apposition de la croix au sommet de l'arche entourant cette statue méconnaît, elle, ces dispositions. L'existence même de cette incompatibilité faisait donc obligation à la collectivité publique propriétaire de cet ouvrage de mettre fin, à la première demande, à cette situation illicite.
Le raisonnement du juge administratif est des plus subtils. Ce dernier ne condamne pas l'érection d'une statue d'un personnage religieux, Saint depuis lors, sans doute de par sa qualité, d'un point de vue laïc, de personnage historique. Le juge s'attache uniquement, et suivant en cela les conclusions de l'association requérante, au caractère ostentatoire et, par conséquent, prosélyte, de la croix latine située au dessus de l'arche dans laquelle la statue s'inscrit. Il est évident que, compte tenu des dimensions de la croix, celle-ci emportait finalement le pas sur la statue elle-même et, du même coup, le fait d'apposer cette oeuvre d'art sur une place publique revenait à apposer au coeur de la commune un symbole de rassemblement des chrétiens. Le raisonnement du juge est imparable et suffisamment intelligible pour éviter toute dérive. Encore que... le mieux soit souvent l'ennemi du bien.
Cette décision pose naturellement plusieurs questions pratiques au regard de l'interprétation de la loi de 1905.
Nous évoquions en introduction un "jugement fiction" ayant trait à la croix de Lorraine, symbole soixantenaire de la Résistance, mais symbole chrétien et des ducs d'Anjou, puis de Lorraine, champions de la Ligue, depuis le XVème siècle. Finalement, si le laïc s'attachera volontiers au symbole historique, le confessionnel pourra, lui, n'y voir qu'un symbole chrétien. A l'extrême, que dire de la croix figurant sur les panneaux signalant une intersection, qui n'en demeure pas moins une croix de Saint André ? Alors certes, la croix n'est pas un symbole uniquement chrétien : d'abord parce qu'il s'agit avant tout d'une figure géométrique ; ensuite, parce qu'avant d'être le symbole de la crucifixion de Jésus-Christ, il s'agit d'un instrument de supplice perse, répandu entre le Ier siècle avant et le Ier siècle après notre ère, notamment sous l'Empire romain, et sur lequel sont morts des milliers d'hommes ; mieux, dans les grottes d'Elephanta, en Inde, dédiées à Shiva, on peut apercevoir une croix au-dessus de la tête d'un des personnages ; et parfois, le dieu Krishna est représenté avec six bras dont trois tiennent une croix ; enfin, "Dans l'Etat d'Oaxaca, les Espagnols s'aperçurent que l'on avait érigé des croix de bois comme symboles sacrés. [...] En Amérique du Sud, ce même signe était considéré comme symbolique et sacré. Il était révéré au Paraguay. Au Pérou, les Incas honoraient une croix sculptée d'une seule pièce dans le jaspe. [...] Les Muyscas de Cumana croyaient que la croix [...] était dotée du pouvoir de chasser les esprits mauvais ; en conséquence, on plaçait les enfants nouveau-nés sous sa protection" nous livre Baring-Gould dans Curious Myths of the Middle Ages. On pourrait, dès lors, évoquer que, si le symbole de la croix n'est pas un symbole religieux en soi, il est commun à plusieurs religions : est-ce à penser qu'il faille supprimer toute croix de l'espace public ? Ou bien, est-ce l'association entre la statue d'un Pape et la croix latine qui pose singulièrement problème, alors que la loi de 1905 ne distingue pas entre les différentes religions et les différents symboles religieux ?
On le comprend aisément, c'est la charge symbolique plus forte que toute autre qui est ici mise en exergue et qui justifie le jugement du tribunal administratif de Rennes. C'est bien parce que la croix latine, celle dont la branche inférieure est plus longue que les autres, revêt dans l'inconscient collectif une symbolique exclusivement chrétienne que son érection en place publique ou sur les promontoires peut s'apparenter à du prosélytisme. Finalement, la croix latine est victime de son succès, pétri par 2 000 ans d'histoire commune avec le monde occidental.
S'attachant à la croix apposée sur l'arche de la statue plus qu'à la figure patriarcale de Jean-Paul II, il est alors facile d'imaginer que le jugement eut été tout autre si l'artiste avait apposé un autre symbole chrétien, plus confidentiel. Une statue du Pape surplombée d'un poisson tomberait-elle sous les fourches caudines de la laïcité ? On se souvient que la croix latine n'est le symbole de la chrétienté que depuis le IVème siècle, et que les premiers chrétiens préférant rester discrets et ne pas être repérés par la police impériale usaient volontiers de l'animal, car en grec "poisson" s'écrit "ichthus", acronyme de "Iêsous Christos Theou Uios Sôtêr", c'est-à-dire "Jésus Christ de Dieu le Fils, Sauveur"... Ou bien, eut-il pu préférer la férule papale, une croix de Saint Pierre (croix latine inversée), voire une chaise électrique, à l'image de l'oeuvre de Paul Fryer exposée par Mgr Di Falco en la cathédrale de Gap pour que les fidèles éprouvent la frayeur que l'on devrait encore avoir normalement devant un homme cloué sur deux morceaux de bois, si nous n'étions pas si habitués au symbole chrétien.
Si le jugement du 30 avril 2015 semble sonner le glas de l'art sacré public, il ouvre en fait des perspectives intéressantes de diversifications représentatives de la religion au coeur des communes, pour peu que la symbolique chrétienne se renouvelle ou retourne à ses premières figures ; partant du principe qu'un homme d'église puisse être représenté sans heurter les convictions des personnes ne relevant pas de la même foi, accompagné de la représentation d'un signe peut-être ostentatoire mais difficilement intelligible... Restait peut-être tout simplement à réduire les dimensions de la croix latine et l'affaire n'aurait peut-être pas fait grand bruit. D'ailleurs, en Chine, un nouveau projet de loi présenté par les autorités dans la province du Zhejiang et prévoyant d'interdire de placer des croix au sommet des édifices religieux catholiques et protestants est à l'étude... Ainsi, les croix chrétiennes doivent être placées sur les façades et non plus surmonter les églises ou clochers. Elles ne doivent pas mesurer plus d'un dixième de la hauteur de la façade et leur couleur doit se confondre avec celle de l'édifice.
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Réf. : Cass. civ. 2, 7 mai 2015, n° 14-17.786, F-P+B+I (N° Lexbase : A7086NHW)
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Le 14 Mai 2015
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par Anne-Laure Blouet Patin, Directrice de la Rédaction
Le 14 Mai 2015
Benoît Chabert : Avocat depuis 1988, pénaliste, ancien premier secrétaire de la Conférence du stage en 1989 et 1990, j'ai été membre du conseil de l'Ordre de 1997 à 2000, président d'un syndicat professionnel parisien pendant plusieurs années (la Confédération nationale des avocats - CNA). J'ai annoncé ma candidature le soir de l'élection de Pierre-Olivier Sur et de Laurent Martinet. Philip Cohen a présenté sa candidature un peu plus tard et nous avons constaté que nos projets étaient les mêmes, que nous avions la même vision de la profession et qu'il fallait avancer ensemble. C'est pour cela qu'avec Philip nous avons décidé de placer notre campagne sur le thème de "Réunir le barreau".
Philip Cohen : Avocat à 22 ans, ancien président de l'UJA et vice-président de la FNUJA, ancien membre du conseil de l'Ordre, avec de très belles délégations des Bâtonniers Ader et Flécheux, puis Teitgen, à la fois sur la communication et sur l'aide juridictionnelle (les deux grandes négociations sur l'AJ en 1990 et 1998), j'ai été aussi membre à deux reprises du Conseil national des barreaux. Ce qui fait, aujourd'hui, notre distinction sans doute avec un certain nombre de binômes, c'est que pendant tous ces mandats que nous avons effectués, nous avons gardé "les deux pieds dans nos cabinets". Nous ne nous sommes jamais enfermés dans les institutions et cela nous a permis à l'un et à l'autre de créer et développer notre cabinet dans le même temps. C'est ce qui nous a permis de constater, comme tous les avocats, qu'il y avait quelque chose à faire, qu'il fallait apporter des réponses nouvelles... L'attente du barreau réside aujourd'hui dans cette appétence à se retrouver, se rassembler, s'unifier.
Lexbase : Comment justement envisagez-vous de "Réunir le barreau" ?
Benoît Chabert : D'abord, en considérant profondément que cet objectif doit être une sorte de phare dans les décisions que nous prendrons l'un et l'autre, lorsque nous serons élus, faire en sorte que cet Ordre soit au service de tous les métiers. C'est ça qui est essentiel. Le barreau de Paris est comme une ville, il y a 27 000 avocats, des quartiers d'affaires, des quartiers commerçants qui marchent très bien, des quartiers qui souffrent, mais tout cela, c'est la même ville. Il faut à tout prix que l'Ordre soit au service de tous. Nous avons plusieurs métiers mais une seule profession. Nous avons constaté que certains avocats avaient le ressenti que l'Ordre était au service uniquement d'une catégorie de cabinets, les cabinets d'affaires, alors qu'en même temps ceux qui exercent dans ces derniers ne se sentent pas reconnus comme avocats. Si les avocats ressentent cela, cela signifie que l'Ordre doit changer.
La première mesure que nous prendrons, sera de créer la Maison du barreau numérique. Il s'agira d'une plateforme gratuite et sécurisée réservée aux avocats parisiens, facilitant les contacts directs avec l'Ordre et entre les avocats : une sorte de salle des pas perdus numérique. Créons cette Maison du barreau numérique pour, d'une part, resserrer les liens entre avocats pour que chacun se sente appartenir à la même profession et, d'autre part, restaurer les liens entre les avocats et l'Ordre.
Philip Cohen : Quel est le problème dans la profession ? D'abord, il faut accepter le principe qu'il y a un Parlement de la profession qui est le Conseil national des barreaux. Il faut aussi se rendre compte d'une chose, c'est que la profession ne fera avancer aucun projet si elle reste divisée et si elle est incapable de travailler ensemble. Ensuite, qu'il s'agisse de Paris ou de la province, les avocats, et la profession, découvrent les questions et les enjeux qui se posent à eux, toujours de manière défensive, en réaction à des projets qui viennent de l'extérieur. Lorsque l'on n'a pas été impliqué en amont à ces débats, la réaction est totalement négative parce que les avocats n'aiment pas se voir imposer des choses. Il y a donc une nécessité de sortir la profession d'une position quasi systématiquement défensive et de passer à une profession offensive capable de proposer, de contre proposer, de négocier, de discuter d'une seule voix.
Comment parvenir à cela ? On ne peut le faire que si on implique les avocats.
Nous créerons la Maison du barreau numérique parce qu'il y a une volonté des avocats de participer, de s'exprimer, d'être entendus, de comprendre les questions. Ils ont besoin de savoir où va la profession, d'identifier les enjeux, de participer, d'exposer leurs craintes et leurs espoirs d'innovation.
Nous avons tenu le 5 mars dernier un premier débat sur le thème "Déontologie / esprit d'entreprise : faut-il choisir ?". Ce débat a été passionnant de bout en bout, se sont exprimés les avocats qui soit étaient pour aller jusqu'à une libéralisation maximale, soit étaient craintifs d'une telle libéralisation. Il est nécessaire qu'il y ait une communication, un échange entre avocats, une communication avec leur Ordre qui soit interactive. Cet échange-là, nous ne pouvons pas l'avoir physiquement aujourd'hui, car réunir 27 000 avocats c'est impossible. Aujourd'hui, la communication passe par le numérique.
J'ai la chance d'avoir vécu pendant une période oubliée, celle de l'unité de la profession. Quoi qu'on en dise, elle a bien existé sous le bâtonnat de Paul-Albert Iweins. Quand il était Bâtonnier puis quand il a été président du CNB, il n'y avait pas de guerre entre le barreau de Paris et le CNB parce que le barreau de Paris travaillait dans le CNB. Il existait un lobbying parlementaire commun par l'intermédiaire d'un GIE (CNB, barreau de Paris, Conférence des Bâtonniers) qui a depuis disparu. Ni la province, ni Paris ne peuvent avancer chacun de leur côté, c'est la profession qui perd toujours dans ces cas là.
Lexbase : Sur le "legal privilege" ou l'avocat en entreprise, quelle est votre position ?
Benoît Chabert : D'abord je pense que c'est aux avocats de décider de l'avenir de leur profession. Ce n'est pas aux pouvoirs publics. La loi ne peut rien nous imposer et l'accord de la profession passe par la position du CNB qui est une assemblée où s'expriment les idées des uns et des autres. Si le barreau de Paris, et je le souhaite, veut que ses idées soient retenues, il faut être présent et convaincre au CNB. Toutes les possibilités d'ouvrir les avocats à des nouveaux marchés doivent être entendues et prises en mains avec sérieux. Mais la difficulté essentielle et première est pour les dirigeants d'entreprise l'inquiétude de la création d'un nouveau statut de salarié protégé. Il ne peut être question de créer une sous profession d'avocat et nous lutterons toujours pour que ce soit la profession d'avocat qui soit à l'initiative des avancées qui la concernent.
Philip Cohen : Par rapport au "legal privilege", premièrement, le rapprochement opéré par le Cercle Montesquieu et l'AFJE sur la question est quand même la résultante de la situation que nous avons connue. Deuxième élément, et nous l'avons déjà dit, c'est le mauvais chemin. Pourquoi ? Parce qu'en allant dans cette voie, on risquerait de créer une sous catégorie de secret professionnel et cela nous ne pouvons l'accepter. Le bon chemin c'est de travailler ensemble. Par ailleurs, le problème qui se pose à nous est celui de la mondialisation. Aujourd'hui il y a 20 pays d'Europe où le statut d'avocat d'entreprise existe. En France, l'avocat français franchit la frontière et peut être un avocat en entreprise mais il reste un avocat.
Benoît Chabert : Il ne faut pas oublier une chose, lorsque l'on se bat pour la profession, on se bat pour les justiciables parce que l'objectif de notre métier et de l'action pour la profession c'est évidemment le client. C'est pour lui que l'on doit être excellent. La confidentialité ce n'est pas simplement abstrait : elle est liée au rapport avocat/client, et c'est pour cette raison que l'instauration d'un "legal privilege" dissocié du secret professionnel dont il est le corollaire ne peut être acceptée.
Lexbase : Outre la Maison du barreau numérique, quelles sont les idées phares de votre programme ?
Benoît Chabert : Notre action sera orientée vers trois axes, la transparence, l'égalité et le développement. L'ordre doit être au service de tous les métiers, et promouvoir l'image de l'avocat qui n'est pas un prestataire de service comme un autre, mais un partenaire de citoyenneté au service de ses clients.
Premièrement, nous assurerons donc la transparence absolue de tout ce que fait l'Ordre. Comment cette transparence va être concrètement mise en place ? Par une publicité des séances du conseil de l'Ordre. La Maison du barreau numérique permettra de voir les séances qui seront filmées. Chaque membre du conseil de l'Ordre sera donc responsable de ce qu'il dit lors de ces séances. Nous instituerons un Médiateur de l'Ordre qui pourra être saisi par un avocat de tout dysfonctionnement constaté avec réponse dans les 48 heures et compte-rendu annuel d'activité.
Deuxièmement, l'égalité. Réussir l'égalité femmes-hommes c'est prendre la décision en conseil de l'Ordre, dès le début du mandat, de créer un label spécifique et ré-évaluable tous les ans pour les cabinets ayant adhéré aux chartes de diversité et d'égalité, ayant mis en place des politiques en ce sens, et ainsi faire en sorte qu'il y ait un regard sur cette question dans les cabinets. Ce n'est pas tant dans les grosses structures que cette question est la plus compliquée, même s'il y a encore de larges marges de progression : les grands cabinets internationaux ont souvent des process qui permettent de mettre en place cette égalité, non pas malheureusement sous l'impulsion de l'Ordre, mais sous l'influence des pratiques anglo-saxonnes et des clients. C'est beaucoup plus compliqué dans les petites structures et les structures moyennes mais nous devons y arriver. Le Règlement intérieur du barreau devra comporter un chapitre spécifique sur l'égalité femmes-hommes et il conviendra de revisiter les possibilités de modifier les dispositions du contrat de collaboration de manière à ne plus rendre préjudiciable, en termes financiers et de carrière, la parentalité. De même, il faudra faire évoluer l'assurance chance maternité en chance parentalité, en même temps que nous devrons réfléchir à la situation non réglée à ce jour de manière satisfaisante des avocates installées et ou associées. Sur cette question, nous continuons, dans le prolongement des tables rondes organisées avec Elle Active le 9 avril dernier, à élaborer nos propositions définitives. De plus, l'Ordre devra rétablir l'Observatoire de l'égalité qui avait permis en 2012 et 2013 d'avoir des statistiques exhaustives sur les inégalités de carrières et de revenus. On ne combat correctement que ce que l'on peut mesurer : il faut avoir des statistiques à jour et non pas se contenter de "mesurettes" aussi faciles que peu utiles, type crèche au Palais. Enfin, l'Ordre se doit d'être exemplaire et de sanctionner les comportements indélicats qui peuvent avoir lieu en particulier au retour de congé maternité ou paternité en créant une passerelle automatique entre les commissions difficultés d'exercice et disciplinaire.
Enfin troisièmement, le respect de l'avocat. Tout doit être mis en place pour que l'avocat retrouve une image respectable. Aujourd'hui, un justiciable qui est mis en cause et placé en garde à vue peut voir jusqu'à 3 ou 4 avocats commis d'office se succéder pour sa défense. Quelle image lui donnons-nous ? L'avocat devient une sorte de fonctionnaire parce que le Code de procédure pénale l'impose. Il faut donc inverser la règle, lorsque l'avocat commis d'office verra un client en garde à vue, il le suivra jusqu'à ce que la décision définitive ait été prononcée. Il y aura bien sûr la possibilité pour l'avocat d'écrire en disant qu'il ne peut plus suivre le client pour des raisons qui lui sont propres et la possibilité pour le client de dire qu'il en veut un autre dans l'exercice de son libre choix. Nous avons aussi toute une réflexion sur les collaborateurs et sur le respect que l'on doit avoir du collaborateur. Et, je vais même plus loin, le respect que le patron doit avoir du collaborateur est fondé certes sur les rapports individuels mais également sur son serment. Quand je prête serment, il y a la délicatesse et je ne peux pas mettre à la porte une personne en retour de congé maternité ou paternité par exemple. Il faut rappeler à l'avocat que c'est une faute déontologique. Sur cette question il y a lieu à pédagogie et à fermeté.
Philip Cohen : Il est nécessaire que les avocats aient un Ordre à leurs côtés dans tous leurs domaines d'activités et cela passe par le fait de repenser la communication. Aujourd'hui, seulement 17 % des avocats ouvrent le bulletin de l'Ordre, et je ne vous parle pas de la lecture...
L'Ordre doit être au service des avocats et notamment pour tout ce qui a trait à la déontologie. A cet égard, nous souhaitons donc rétablir le référé-déontologique avec une audience hebdomadaire fixe, que les avocats pourront initier en ligne pour tous les problèmes du quotidien qui appellent une réponse rapide, immédiate et dissuasive.
Il faut aussi mettre en place un certain nombre d'aides pour promouvoir l'installation des avocats, l'intégration des collaborateurs comme associés. Les soutiens financiers de l'Ordre doivent avoir un sens, ils ne peuvent simplement se contenter de soulager modiquement nos confrères qui ont les revenus les plus bas, même s'ils sont quand même 7 000...
Nous devons savoir utiliser la puissance financière que nous avons au travers des CARPA pour la mettre au service du développement des avocats et de leurs cabinets.
Nous devons aussi mettre la force et les moyens du barreau pour permettre à ceux qui n'en ont pas les moyens, de communiquer et surtout de mieux communiquer. Il existe aussi à Paris une clientèle de proximité, ceux qui y habitent mais aussi ceux qui y travaillent, qui considère encore trop souvent les avocats parisiens comme inaccessibles parce que très spécialisés, très compétents et surtout chers. Tous les avocats ne peuvent pas, comme l'Agence des Nouveaux Avocats, créer des boutiques qui ont le mérite de casser visuellement et matériellement l'image inaccessible de l'avocat parisien. C'est pourquoi nous souhaitons que l'Ordre, avec tous les cabinets d'avocats volontaires, organise régulièrement des journées où les cabinets ouvriront leurs portes au public pour des consultations gratuites, pour lesquelles également le droit de suite sera la règle.
La Maison du barreau numérique, réseau fermé, nous permettra de prendre des initiatives pour avoir enfin accès aux banques de données des magistrats et à toute la jurisprudence sur RPVA.
Il n'y a donc pas qu'une seule, mais de multiples initiatives à prendre pour permettre le développement des cabinets d'avocats parisiens.
Lexbase : Quel message faites-vous passer aux jeunes avocats fraîchement sortis de l'école et qui découvrent les difficultés de l'exercice de leur profession ?
Benoît Chabert : Ce métier n'est pas un métier facile. Une profession libérale a d'immenses avantages, la liberté, la responsabilité, mais en contrepartie un immense inconvénient, le risque. Le risque réel de ne pas y arriver, avec une protection fragile en cas d'échec. Tous les avocats prennent ce risque. Choisir d'être avocat c'est savoir que l'on rentre dans une profession libérale. L'Ordre doit permettre le dynamisme et doit donc donner les impulsions et son soutien financier doit être au service de la création, de l'innovation et de l'installation.
Ensuite, il faut être davantage vigilant sur les tarifs de la collaboration. L'Ordre doit y veiller mais il faut aussi que les avocats sachent refuser collectivement une collaboration tant espérée mais sous rémunérée. C'est à l'Ordre d'aider et peut-être que le service de collaborations, pérennes ou ponctuelles, que la Maison du barreau numérique mettra en place, permettant ainsi pour le jeune avocat un accès plus rapide à des offres d'emplois, facilitera cette action.
Philip Cohen : Aux jeunes avocats je rappelle qu'une fois qu'ils ont prêté serment, il n'y a pas de condition d'âge ou d'ancienneté pour se faire respecter, que ce soit dans le cabinet, vis-à-vis des confrères ou des magistrats. Mais la question que vous posez appelle à reprendre fondamentalement tout le problème depuis le départ. L'accès à la profession c'est une chose. La question porte davantage sur les flux, c'est-à-dire pourquoi il y a-t-il autant de monde qui entre dans la profession et pourquoi on se trouve dans une situation où l'examen de sortie n'est plus qu'une formalité. La question de se réapproprier l'examen d'entrée à la profession pour rehausser, sans numerus clausus, les exigences de qualité, se pose clairement. La question d'un éventuel examen national se pose aussi. Il y aura urgence à travailler avec et dans le CNB sur ces questions.
Benoît Chabert : L'examen national ne peut avoir pour effet la mise en place d'un concours : on ne peut envisager un concours que dans une logique de certitude d'un emploi à l'issue, or la profession doit rester libérale et concurrentielle. En revanche, nous pourrions créer l'IEJ du barreau.
Philip Cohen : Faut-il qu'il y ait des écoles ? Nous, nous avons une école du barreau de Paris qui est sur le ressort de la cour d'appel de Versailles et nous constatons que les stagiaires de l'HEDAC viennent autant à Paris qu'à Versailles, et tout cela est incohérent alors que dans le reste de la France la règle est le regroupement des écoles par région. Ensuite, nous formons gratuitement beaucoup d'avocats dont une grande partie n'intègre pas la profession à la sortie ou la quitte en grand nombre dans les années suivantes. Est-il normal que les entreprises qui demandent de plus en plus le CAPA pour être juriste d'entreprise ne participent aucunement au financement de la formation ?
Il est important également de redéfinir les messages que nous faisons passer à l'EFB. Il n'y a pas aujourd'hui chez les enseignants de message unifié et harmonisé par rapport à ce que l'on dit à destination des élèves-avocats. L'école du barreau doit être le creuset de l'identité et de la communauté de la profession, elle doit être l'école de la pratique professionnelle, cela ne sert à rien de ressasser des enseignements universitaires. L'école de la profession, c'est leur apprendre déjà l'esprit d'entreprise, leur faire comprendre qu'une profession libérale, que l'on soit un ou 300, c'est une entreprise. Si nous n'avons pas une école qui est capable d'être ressentie comme une plus-value, dans son parcours, nous échouerons pour la profession...
Benoît Chabert : Il faut peut-être accepter que cette école soit une école de formation du barreau et non pas une école de formation de droit ou de formation à un autre métier. Avec Philip, nous sommes candidats à hauteur d'homme et nous sommes dans le concret. L'idée est qu'à la fin de notre mandat, l'avocat ait le sentiment d'avoir un exercice professionnel plus valorisant, d'avoir eu les moyens de conquérir de nouveaux marchés, que le jeune avocat se sente davantage intégré dans le métier et fier d'être un ancien de l'EFB.
Philip Cohen : L'EFB ne doit plus être l'endroit où l'on attend que le temps passe. Nous souhaitons que chaque avocat trouve sa place, que chaque avocat ait le sentiment que, quel que soit son métier ou son type d'activité, il a sa place dans l'avenir de la profession, d'où la volonté de réunir le barreau !
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Réf. : Cass. civ. 2, 7 mai 2015, n° 14-16.091, F-P+B (N° Lexbase : A7055NHR)
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N7319BUM
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Le 16 Mai 2015
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Réf. : CE 2° et 7° s-s-r., 4 mai 2015, n° 383208, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4465NHT)
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N7360BU7
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Le 16 Mai 2015
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N7288BUH
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par Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises et Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences - HDR à l'Université de Nice Sophia-Antipolis
Le 14 Mai 2015
Les créanciers soumis à la discipline collective, c'est-à-dire les créanciers antérieurs (C. com., art. L. 622-24 N° Lexbase : L7290IZZ) et les créanciers postérieurs non éligibles au traitement préférentiel conféré par l'article L. 622-17 du Code de commerce (N° Lexbase : L8102IZ4) sont, en cas d'adoption d'un plan de sauvegarde ou de redressement, payés par dividendes, de façon périodique, pendant la durée du plan. Cette durée est fixée par le tribunal dans le jugement qui adopte le plan.
Il n'est pas rare que la durée du plan prenne fin alors que certains créanciers du plan n'ont pas été encore intégralement payés. Dans quelle situation se trouvent-t-ils ? Peuvent-ils compter sur le commissaire à l'exécution du plan pour agir en recouvrement ? Recouvrent-ils personnellement leur droit de poursuite ? Autant de questions auxquelles la Cour de cassation a dû, dans l'arrêt commenté, apporter des réponses.
En l'espèce, une société obtient, en 1998, un plan de continuation dont la durée est fixée à dix ans. Une banque régionale de développement déclare sa créance et est admise au passif. Non payée au terme du plan, elle assigne en référé-provision le débiteur pour obtenir sa condamnation au paiement du reliquat des sommes dues. Les juges du fond vont faire droit à sa demande (1).
La société débitrice forme alors un pourvoi en cassation en soutenant divers arguments. Elle reproche notamment à la cour d'appel d'avoir admis la qualité du créancier à agir, alors que seul le commissaire à l'exécution du plan à qualité pour recouvrer les dividendes du plan, tant que ce dernier n'est pas résolu. Elle critique également la cour d'appel d'avoir accepté de condamner le débiteur à verser une provision, alors que seule aurait dû être admise une action en paiement du dividende, tant que le plan n'était pas résolu.
Ces arguments ne vont pas trouver grâce aux yeux de la Cour de cassation qui répond que "lorsque le plan de continuation est arrivé à son terme sans avoir fait l'objet d'une décision de résolution, le créancier recouvre son droit de poursuites individuelles contre le débiteur. La cour d'appel devant laquelle il n'était pas allégué que la créance avait fait l'objet d'une remise, n'a fait qu'user des pouvoirs qu'elle tient de l'article 873 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0013HP8) en allouant une provision correspondant au montant de la créance telle que fixée au passif de la procédure".
Cet arrêt est important, ce qui explique sa large diffusion (P+B+I). La situation sur laquelle il s'exprime est en effet loin d'être isolée, spécialement à cause de la difficulté particulière que rencontre le commissaire à l'exécution du plan de réagir en temps utile pour faire payer au débiteur le dernier dividende du plan.
La solution posée par la Cour de cassation ne nous semble pas souffrir la moindre critique et, dès lors, doit en conséquence être pleinement approuvée, tant la combinaison des règles de droit à laquelle il est procédé apparaît évidente.
Le commissaire à l'exécution du plan cesse ses fonctions si la durée du plan est expirée. Cela est incontestable. Par voie de conséquence, le monopole que lui confère la loi pour procéder au recouvrement des dividendes du plan n'existe plus, dès lors que sa mission prend fin. Cela ne peut souffrir davantage la contestation. Indiquons au passage que ce monopole affirmé timidement par la loi de sauvegarde des entreprises (loi n° 2005-845 N° Lexbase : L5150HGT), et d'une manière plus énergique avec l'ordonnance du 18 décembre 2008 (ordonnance n° 2008-1345 N° Lexbase : L2777ICT), est applicable en vertu de l'article 191 de la loi de sauvegarde des entreprises au jour de son entrée en vigueur, ce qui a permis ici à la Cour de cassation d'adopter la solution, alors pourtant que l'ouverture de la procédure était soumise à la loi de 1985 (loi n° 85-98 du 25 janvier 1985 N° Lexbase : L7852AGW) dans sa version modifiée par la loi du 10 juin 1994 (loi n° 94-475 N° Lexbase : L9127AG7).
Puisque le plan a pris fin, que le commissaire à l'exécution du plan n'est plus en fonction et que son monopole de recouvrement des dividendes du plan n'existe plus, ne subsiste plus face au débiteur que le créancier.
Ce dernier se retrouve face à un débiteur maître de ses droits, qui n'est plus en train d'exécuter un plan qui a pris fin. Ce créancier ne connaît donc plus aucune restriction issue de l'ouverture de la procédure collective, et notamment la règle de l'arrêt des poursuites individuelles, ce qui justifie qu'il puisse employer les voies du droit commun pour recouvrer sa créance, qui cesse d'ailleurs d'être un dividende du plan. La voie de droit commun peut prendre la forme, comme en l'espèce, d'une assignation en référé-provision. L'action est recevable, car il n'y a ici aucune contestation sérieuse, dans la mesure où la somme restant due est indiscutable, compte tenu d'une part du montant de la créance admise au passif et, d'autre part, des sommes versées aux créanciers par le commissaire exécution du plan. N'importe qui peut donc faire la soustraction.
Le seul obstacle qui pourrait s'opposer à l'action du créancier viendrait de la prescription. À cet égard, il faut rappeler que la déclaration des créances, sous l'empire de la législation antérieure à l'ordonnance du 12 mars 2014 (ordonnance n° 2014-326 N° Lexbase : L7194IZH), est un acte procédural équivalant à une demande en justice. En conséquence, la déclaration de créance est interruptive de prescription. Cette dernière solution subsiste avec l'ordonnance du 12 mars 2014, quelles que puissent être les discussions sur l'éventualité d'une modification de la nature juridique de la déclaration créances qui en seraient issues. En effet, le nouvel article L. 622-25-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L7238IZ4) a pris le soin de préciser que la déclaration de créances emporte l'interruption de la prescription, pour couper court, d'avance, à toute discussion sur ce problème, en lien avec l'éventualité du changement de la nature juridique de la déclaration de créance.
Cette interruption de prescription dure le temps de la procédure collective. Mais, à cet égard, une précision s'impose. Si un plan de sauvegarde ou de redressement est adopté, pendant l'exécution de celui-ci, le créancier est privé du droit de recouvrer ses dividendes, du fait du monopole conféré par l'article L. 626-27, I, du Code de commerce (N° Lexbase : L7300IZE) au commissaire à l'exécution du plan. C'est pourquoi la prescription ne peut reprendre son cours, à l'encontre du créancier, à l'expiration de la durée du plan.
Depuis la loi du 17 juin 2008 (loi n° 2008-561 N° Lexbase : L9102H3I), qui a modifié les règles relatives à la prescription et supprimé le mécanisme de l'interversion de la prescription, il faut décider que la prescription recommence à courir après la fin du plan pour une durée identique à celle initialement attachée à la créance. Ainsi, si la créance est commerciale, il s'agira d'une prescription quinquennale.
La prescription de 10 ans attachée au titre exécutoire depuis la loi du 17 juin 2008 ne peut, à notre sens, être attachée à l'admission d'une créance au passif. Pourquoi ? Parce que cette décision n'a pas pour objet de condamner le débiteur au paiement, mais seulement de rendre opposable à la procédure collective la créance. En outre, cette décision n'est pas revêtue de la formule exécutoire. Dès lors, parce que la décision d'admission au passif n'est pas un titre exécutoire, il est exclu de lui attacher une prescription décennale.
Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises
C'est généralement à l'occasion de la procédure collective du débiteur principal garanti que la caution invoque, pour se défendre, les dispositions de l'article 2314 du Code civil. Aux termes de son premier alinéa, "la caution est déchargée, lorsque la subrogation aux droits, hypothèques et privilèges du créancier, ne peut plus, par le fait de ce créancier, s'opérer en faveur de la caution". Il s'agit en réalité ici de sanctionner le créancier fautif qui a rendu impossible la subrogation de la caution dans ses droits. La jurisprudence a interprété très largement le terme de "droits", que la Cour de cassation qualifie, de façon équivoque et superflue, de "préférentiels". En effet, aux yeux des hauts magistrats, il s'agit non seulement des sûretés classiques (2) ou non (3), mais plus largement de toute prérogative conférant au créancier "un avantage particulier pour le recouvrement de sa créance" (4) c'est-à-dire susceptible d'en faciliter le recouvrement. Ainsi, par exemple, la caution pourra-t-elle opposer l'exception tirée de l'article 2314 du Code civil en cas de défaut de déclaration de la créance qui rendra impossible la subrogation de la caution dans le droit pour le créancier à percevoir des fonds sous forme de dividendes du plan ou de répartitions (5). Tel était d'ailleurs l'argument -désormais classique- soulevé par la caution dans une espèce ayant donné lieu à un arrêt du 8 avril 2015 rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation.
En l'espèce, le débiteur principal cautionné avait fait l'objet d'un plan de redressement, plan dont les dispositions ne bénéficient pas aux cautions même personnes physiques (cf C. com., art. L. 631-14, al. 7 N° Lexbase : L7317IZZ (6)). La banque, qui avait omis de déclarer sa créance au passif, avait assigné la caution -en l'occurrence l'unique associé d'une EARL- en exécution de son engagement et obtenu sa condamnation. Les juges du fond avaient motivé leur arrêt en retenant "que la caution n'[établissait] pas qu'elle aurait pu tirer un avantage effectif d'être admise dans les répartitions et dividendes, ni ne [démontrait] l'existence d'une perte de chance" (7). Sur le pourvoi diligenté par la caution, l'arrêt de la cour d'appel est cassé par les hauts magistrats au motif que "en statuant ainsi, alors que c'est au créancier de prouver que la perte du droit préférentiel dont se plaint la caution n'a causé aucun préjudice à celle-ci, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé les textes susvisés [les articles 1315 (N° Lexbase : L1426ABG) et 2314 du Code civil] ".
L'intérêt de cette décision, qui est souligné par sa publication au Bulletin, est de rappeler, de la façon la plus claire qui soit, sur qui pèse la charge de la preuve du préjudice causé à la caution invoquant les dispositions de l'article 2314.
Il convient d'abord de rappeler que, depuis la loi de sauvegarde des entreprises, l'absence de déclaration de créance n'entraîne plus l'extinction de la créance (exception inhérente à la dette) mais une simple inopposabilité de la créance à la procédure collective. Depuis l'ordonnance du 18 décembre 2008, il importe de bien distinguer la situation de la caution, lorsque la créance n'a pas été déclarée au passif, selon que le débiteur a obtenu un plan de sauvegarde ou un plan de redressement. Dans le premier cas, la créance non déclarée est inopposable aux garants personnes physiques (C. com., art. L. 622-26 N° Lexbase : L8103IZ7). Dans le second, l'opposabilité à la caution de la créance non déclarée demeure intacte (C. com., art. L. 631-14, al. 7) et la sanction de l'inopposabilité à la procédure collective de la créance non déclarée qui "prive son titulaire des répartitions et dividendes, ne constitue pas une exception inhérente à la dette, susceptible d'être opposée par la caution pour se soustraire à son engagement" (8).
Pour autant, il ne faut pas en déduire que le défaut de déclaration de créance est neutre pour le garant ! La caution peut en effet invoquer l'absence de déclaration pour tenter d'être déchargée sur le fondement de l'article 2314 du Code civil car cette faute du créancier fait perdre à la caution la possibilité d'être subrogée dans le droit du créancier à percevoir des dividendes ou à participer aux répartitions. Cependant, la décharge de la caution "ne se produit que si cette dernière avait pu tirer un avantage effectif du droit d'être admise dans les répartitions ou les dividendes, susceptible de lui être transmis par subrogation" (9) . La caution ne peut donc être déchargée que si la perte du droit lui cause un préjudice. La décharge est, en revanche, exclue si le droit perdu, même s'il avait été conservé, n'aurait pas permis à la caution de bénéficier, par subrogation, d'une position plus avantageuse. La décharge de la caution est ainsi écartée si le créancier ne peut rien percevoir dans le cadre des répartitions, malgré la déclaration de sa créance.
La question se pose alors de savoir sur qui pèse la charge de la preuve. Il faut distinguer ici entre la charge de la preuve de la faute du créancier et celle de l'ampleur du préjudice qu'en subit la caution.
La caution assignée qui soulève, par voie d'exception, l'argument tiré des dispositions de l'article 2314 du Code civil devra rapporter la preuve de la faute du créancier (en l'espèce, l'absence de déclaration de la créance au passif). Mais doit-elle également prouver que cette faute lui a causé un préjudice et, dans l'affirmative, l'ampleur de celui-ci ? C'est à cette question que répond la Chambre commerciale dans l'arrêt rapporté, en rappelant une solution déjà dégagée en jurisprudence (10) : la charge de cette preuve pèse non pas sur la caution mais sur le créancier. Cela signifie que dès lors que la perte d'un droit par la faute du créancier est établie, le préjudice est présumé. Il appartiendra alors au créancier qui ne veut pas subir la décharge totale de la caution, de démontrer l'absence ou la hauteur du préjudice. A défaut d'apporter la preuve du préjudice effectivement subi par la caution, cette dernière sera intégralement déchargée.
Une fois que la caution aura jeté la braise entre les pieds du créancier en arguant du fait que ce dernier s'est fautivement abstenu de déclarer la créance, il sera difficile pour celui-ci de s'en débarrasser. Il lui faudra pour cela démontrer l'absence de préjudice subi par la caution en apportant la preuve que, même s'il avait déclaré sa créance, il n'en aurait pas perçu le montant intégral dans le cadre de la procédure collective.
Si le débiteur principal fait l'objet d'un plan de redressement (11), cette preuve est quasiment impossible à rapporter tant que le plan n'est pas résolu (12) puisque, par principe, les créanciers ayant déclaré leur créance sont réglés dans le cadre du plan.
Si le débiteur fait l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire, la preuve de l'absence de préjudice subi par la caution pourrait être rapportée de deux façons. Du liquidateur, le créancier pourrait solliciter la fourniture d'une attestation aux termes de laquelle il n'aurait eu aucune chance de règlement total ou partiel de sa créance, celle-ci fût-elle admise au passif (13). Mais cela suppose une certaine compassion de la part du liquidateur, qui n'a ici aucune obligation... S'il ne peut compter sur la coopération du liquidateur, le créancier serait bien avisé d'obtenir du greffe l'état des répartitions ainsi que l'état des créances afin d'apporter la preuve, au vu de ces deux documents, qu'il n'aurait pas été réglé, en tout ou en partie, de sa créance, même s'il l'avait déclarée au passif.
Voilà qui complique sérieusement la tâche du créancier et l'on peut mesurer à quel point la solution confirmée par cet arrêt constitue un véritable cadeau jurisprudentiel fait à la caution. Sur ce terrain de la charge de la preuve, on peut également remarquer la distance qui sépare l'exception tirée de l'article 2314 du Code civil de la mise en jeu de la responsabilité civile du créancier. Dans le premier cas, la caution n'a qu'à prouver la faute du créancier sans avoir à démontrer le préjudice qu'elle en subit alors que, dans le second, la caution doit prouver non seulement la faute mais également le préjudice et le lien de causalité, en application des règles classiques de mise en jeu de la responsabilité civile. Or, on perçoit difficilement ce qui pourrait justifier cette différence...
Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences - HDR à l'Université de Nice Sophia-Antipolis, Co-directrice du Master 2 Droit des difficultés d'entreprise, Membre du CERDP (EA 1201)
(1) CA Fort-de-France, 5 juillet 2013, n° 12/00750 (N° Lexbase : A4860KK9).
(2) Par exemple, gage, hypothèque...
(3) Par exemple, droit de rétention, propriété réservée...
(4) Cass. civ. 1, 21 mars 1984, n° 83-10.035, publié (N° Lexbase : A0649AAB), Bull. civ. I, n° 111. Par exemple, cession conditionnelle de loyers consentie par le débiteur à son créancier en cas de non paiement d'une échéance : Cass. com., 3 mai 2006, n° 04-17.283, FP-P+B+I+R (N° Lexbase : A2491DPX), Bull. civ. IV, n° 104.
(5) Cass. civ. 1, 3 juillet 2013, n° 12-21.126 (N° Lexbase : A5599KI9), F-P+B, Bull. civ. IV, n° 144 ; Gaz. Pal. 29 septembre 2013, n° 272, p. 35, nos obs. ; Act. proc. coll., 2013/15, comm. 212, note M.-P. Dumont-Lefrand ; JCP éd. E, 2014, chron. 1020, n° 9, obs. Ph. Pétel ; Dr. et patr., février 2014, n° 233, p. 62, note A. Aynès et Ph. Dupichot ; RTDCom., 2013, 809, n° 3, obs. A. Martin-Serf.
(6) "Les personnes coobligées ou ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie ne bénéficient pas de l'inopposabilité prévue au deuxième alinéa de l'article L. 622-26".
(7) CA Pau, 27 mai 2013, n° 12/01470 N° Lexbase : A9397KDE).
(8) Cass. com., 12 juillet 2011, n° 09-71.113, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0184HWQ), Bull. civ. IV, n° 118, D., 2011, actu. 1894, obs. A. Lienhard, Gaz. Pal., 7 octobre 2011, n° 280, p. 15, note P.-M. Le Corre ; Act. proc. coll., 2011/14, comm. 219, note P. Cagnoli ; JCP éd. E, 2011, 1628, note N. Disseaux, RTDCiv., 2011, 782, n° 1, obs. P. Crocq, RDBF, septembre/octobre 2011, 37, obs. A. Cerles, RLDC, octobre 2011, 32, obs. J.-J. Ansault ; Banque et droit, septembre/octobre 2011, n° 139, 42, obs. F. Jacob, RDBF, septembre/octobre 2011, comm. 162, note A. Cerles, Gaz. Pal., 26 octobre 2011, jur. 8, note Ch. Juillet, Gaz. Pal., 28 octobre 2011, Jur. 38, note S. Reifegerste, JCP éd. E, 2011, chron. 1000, n° 7, obs. Ph. Pétel, RTDCom., 2011, 625, n° 13, obs. D. Legeais, JCP éd. E, 2012, chron. 1052, n° 7, obs. Ph. Simler, RTDCom., 2012. 407, n° 6, obs. A. Martin-Serf, LPA, 27 janvier 2012, n° 20, p. 7, note L. Bernheim-Van de Casteele, P.-M. Le Corre in Chronique de droit des entreprises en difficulté - Septembre 2011 (1er comm.), Lexbase Hebdo n° 264 du 15 septembre 2011 - édition affaires (N° Lexbase : N7636BSM) ; Cass. com., 16 septembre 2014, n° 13-19.040, F-D (N° Lexbase : A8398MWX). Adde, CA Toulouse, 2ème ch., 2ème sect., 6 mars 2012, n° 10/00724, Gaz. Pal., 27 avril 2012, n° 118, p. 10, nos obs..
(9) Cass. com., 12 juillet 2011, n° 09-71.113, préc. ; Cass. com., 19 février 2013, n° 11-28.423, F-P+B (N° Lexbase : A4256I87), Bull. civ. IV, n° 26, D., 2013, actu. 565, obs. A. Lienhard, D., 2013, pan. 1712, obs. P. Crocq, Gaz. Pal., 20 mars 2013, n° 79, p. 20, note M.-P. Dumont-Lefrand, Gaz. Pal., 1er mai 2013, n° 121, p. 36, nos obs., Bull Joly Entreprises en diff., mai 2013, comm. 71, note L. Le Mesle, JCP éd. E, 2013, chron. 1216, n° 7, obs. Ph. Pétel, JCP éd. E, 2013, chron. 1314, n° 9, obs. Ph. Simler, Act. proc. coll., 2013/6, comm. 76, note Ch. Alleaume, RTDCiv., 2013, 416, n° 1, obs. P. Crocq, RTDCom., 2013, 346, n° 7, obs. A. Martin-Serf, RTDCom., 2013, 573, n° 11, obs. D. Legeais, RLDC, avril 2013, 34, obs. G. Marraud des Grottes, Dr. et proc., avril 2013, Cah. dr. entr. en diff., p. 6, obs. Ph. Roussel Galle, LPA, 7 août 2013, n° 157, p. 12, note F. Iacovelli et M. Petitjean ; Cass. com., 16 septembre 2014, n° 13-19040, F-D, préc..
(10) Cass. com., 3 novembre 1995, n° 93-13.888, publié (N° Lexbase : A8261ABL), Bull. civ. IV, n° 247 ; Cass. com., 27 février 1996, n° 94-14.3131, publié (N° Lexbase : A1402ABK), Bull. civ. IV, n° 68 ; Cass. civ. 1, 1er juin 1999, n° 97-15.554, publié (N° Lexbase : A5435A43), Bull. civ. I, n° 182 ; Cass. civ. 1, 18 mai 2004, n° 01-16.873, F-D (N° Lexbase : A1927DCD), JCP éd. G., 2004, I, 188, n° 10, obs. Ph. Simler ; Cass. civ. 1 , 21 mai 2004, RD bancaire et financier, 2005, n° 41, D. Legeais.
(11) La question ne se pose pas si le débiteur cautionné par une personne physique fait l'objet d'un plan de sauvegarde puisque la créance non déclarée est, pendant l'exécution du plan, inopposable aux garants personnes physiques (C. com., art. L. 622-26 N° Lexbase : L8103IZ7).
(12) Si le plan est résolu et qu'est ouverte une procédure de liquidation judiciaire, la créance pourra être déclarée dans le cadre de cette nouvelle procédure.
(13) C'est d'ailleurs généralement le cas des créanciers chirographaires.
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Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 6 mai 2015, n° 376989, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A5837NHN)
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Le 21 Mai 2015
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par Thibaut Massart, Professeur à l'Université Paris-Dauphine et Codirecteur du Master 221 - Fiscalité de l'entreprise
Le 14 Mai 2015
Le Conseil a souligné que le législateur, souhaitant instituer une contribution exceptionnelle sur l'impôt sur les sociétés à la charge des "grandes entreprises", c'est-à-dire à celles réalisant un chiffre d'affaires supérieur à 250 millions d'euros, a effectivement prévue des conditions d'assujettissement spécifiques pour les sociétés membres de groupes fiscalement intégrés. Selon l'article 235 ter ZAA du CGI, si la contribution de 5 % (aujourd'hui portée à 10,7 %) est exclusivement due par la société mère, le chiffre d'affaires de la société mère retenu pour apprécier le dépassement du seuil de 250 millions d'euros s'entend de la somme des chiffres d'affaires de chacune des sociétés membres de ce groupe.
Or le Conseil constitutionnel, après avoir rappelé qu'il n'a pas un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, a jugé que ce seuil d'assujettissement retenu par le législateur est fondé sur un critère objectif et rationnel en rapport avec l'objectif poursuivi.
Par ailleurs, la définition de l'assiette de la contribution exceptionnelle sur l'impôt sur les sociétés, quelle que soit la nature de l'activité de certaines des sociétés du groupe, ne fait pas peser sur la société mère une charge excessive au regard de ses facultés contributives et n'entraîne pas de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.
3 - Assurément, le principe d'égalité est au coeur du droit fiscal puisqu'il irrigue toute la pensée sur la justice fiscale (2). Le Conseil constitutionnel l'a d'ailleurs consacré dans une décision du 27 décembre 1973 (3). Le principe d'égalité découle à la fois des articles 6 (N° Lexbase : L1370A9M) et 13 (N° Lexbase : L1360A9A) de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 (DDHC). L'article 6 dispose que la loi "doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse". Le principe d'égalité devant la loi fiscale invite ainsi à procéder à une comparaison entre la situation de contribuables différents. Si une discrimination apparaît, des raisons d'intérêt général doivent la justifier. Selon une jurisprudence constante, le Conseil constitutionnel juge qu'aux termes de l'article 6 de la DDHC, "le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ; qu'il n'en résulte pas pour autant que le principe d'égalité oblige à traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations différentes" (4).
4 - L'article 13 de la DDHC énonce, quant à lui, que "pour l'entretien de la force publique et pour les dépenses d'administration une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens en raison de leur faculté". Autrement dit, la loi fiscale peut être parfaitement inégalitaire du moment que la charge fiscale est proportionnée aux facultés contributives du contribuable (5). D'ailleurs, dans un considérant de principe, le Conseil constitutionnel a affirmé que "conformément à l'article 34 de la Constitution (N° Lexbase : L0860AHC), il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives des redevables" (6).
A l'opposé de l'égalité devant la loi, l'égalité devant les charges publiques ne devrait ainsi être sanctionnée que dans la mesure où le législateur adopte des dispositions entraînant une rupture caractérisée de l'égalité. Il en serait ainsi si l'impôt revêtait un caractère confiscatoire en faisant peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de ses facultés contributives.
Si les articles 6 et 13 de la DDHC permettent au principe d'égalité de revêtir deux branches (7), force est d'admettre que cette division conduit à opérer des analyses distinctes des situations en litige. Si le principe d'égalité devant la loi fiscale appelle à inviter à procéder à une comparaison entre la situation de contribuables différents, le principe d'égalité devant les charges publiques invite davantage à apprécier intrinsèquement la situation d'un contribuable prise isolément (8).
5 - De ce fait, lorsqu'il contrôle la conformité à la fois au principe d'égalité devant la loi et au principe d'égalité devant les charges publiques d'une loi établissant une imposition, le Conseil constitutionnel procède normalement en quatre étapes (9) :
- premièrement, le Conseil circonscrit les spécificités de la situation examinée pour déterminer si la différence de traitement peut être justifiée par une différence de situation en rapport direct avec l'objet de la loi ;
- deuxièmement, et à défaut, le Conseil recherche la raison d'intérêt général en rapport direct avec la loi qui pourrait justifier une différence de traitement ;
- troisièmement, le Conseil examine, de manière spécifique au principe d'égalité devant les charges publiques, le caractère objectif et rationnel des critères qui fondaient la différence de traitement en fonction des buts que le législateur se propose ;
- quatrièmement, également de manière spécifique, il contrôle l'éventuelle rupture "caractérisée" (c'est-à-dire manifeste) d'égalité devant les charges publiques.
6 - Dans notre affaire, dans la mesure où la société requérante invoquait uniquement la violation du principe d'égalité devant l'impôt et les charges publiques, le Conseil constitutionnel limite son analyse aux deux dernières étapes de son approche conventionnelle. Avant d'opérer une sorte de contrôle de proportionnalité pour établir que l'impôt ne fait pas peser, en l'espèce, sur le contribuable une charge excessive au regard de ses facultés contributives (II), le Conseil se livre à un contrôle de cohérence du dispositif au regard de l'objectif légal pour s'assurer que le législateur a fondé son appréciation sur des critères objectifs et rationnels par rapport à l'objectif poursuivi (I).
I - Le contrôle de cohérence
7 - Le Conseil constitutionnel était saisi d'une question précise. Il s'agissait seulement de savoir si étaient conformes à la Constitution les mots : "et pour la société mère d'un groupe mentionné à l'article 223 A (N° Lexbase : L4696I73), de la somme des chiffres d'affaires de chacune des sociétés membres de ce groupe" figurant au quatrième alinéa du paragraphe I de l'article 235 ter ZAA du CGI dans sa rédaction issue de la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011, de finances rectificative pour 2011 (N° Lexbase : L4994IRE).
Il ne s'agissait donc pas de remettre en cause l'ensemble de la contribution exceptionnelle sur l'impôt sur les sociétés, mais seulement les modalités spécifiques de calcul du seuil d'assujettissement lorsque les sociétés font partie d'un groupe fiscalement intégré (A).
Mais le caractère limité du contrôle de cohérence du Conseil constitutionnel sur les dispositifs discriminatoires ne pouvait qu'amener à une validation de la disposition contestée (B).
A - L'examen des modalités de calcul du seuil d'assujettissement de la CEIS en cas de groupe fiscalement intégré
8 - Rappelons que les "grandes entreprises" sont soumises à deux contributions additionnelles à l'IS qui ne sont pas déductibles de résultats imposables : la contribution sociale de 3,3 % et la contribution exceptionnelle de 10,7 %. Cette dernière contribution sur l'impôt sur les sociétés s'inscrit dans le prolongement de la contribution additionnelle à l'impôt sur les sociétés qui avait été créée à titre temporaire par l'article 1er de la loi n° 95-885 du 4 août 1995, de finances rectificative pour 1995 (N° Lexbase : L5367I8B). L'article 30 de la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011, de finances rectificative pour 2011, a créé, sous l'article 235 ter ZAA du CGI, une contribution exceptionnelle sur l'impôt sur les sociétés qui revêtait également un caractère temporaire (10). La CEIS ne devait s'appliquer qu'aux exercices clos entre le 31 décembre 2011 et le 30 décembre 2013, "jusqu'au retour en dessous de 3 % de déficit public". Cependant, son application a été prolongée jusqu'au 30 décembre 2016 par la loi n° 2014-891 du 8 août 2014, de finances rectificative pour 2014 (N° Lexbase : L0228I49). Par ailleurs, alors que le taux de la contribution avait été initialement fixé à 5 % de l'IS dû, déterminé avant imputation des réductions et crédits d'impôt et des créances fiscales de toute nature, il a été porté à 10,7 % par la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013, de finances pour 2014 (N° Lexbase : L7405IYW). La CEIS a toujours eu pour assiette l'IS au taux normal de 33,1/3 % ou au taux réduit des plus-values à long terme (19 % ou 15 %).
9 - Cette nouvelle contribution ne concerne que les "grandes entreprises", c'est-à-dire celles redevables de l'impôt sur les sociétés et réalisant un chiffre d'affaires supérieur à 250 millions d'euros. Cette contribution, qui pouvait, selon ses promoteurs, rapporter aux caisses de l'Etat plus d'un milliard d'euros par an (11), était susceptible de s'appliquer à environ 1 250 sociétés, soit 18 000 entreprises en comptant pour une unité toute entreprise appartenant à un groupe redevable de la contribution (12). Cette contribution ne s'applique en conséquence qu'à une petite partie des 15 000 groupes intégrés recensés (13). La composition de ces groupes est néanmoins très variable puisque si la majorité des groupes comportent trois ou quatre sociétés, d'autres en ont plusieurs centaines. Mais le nombre de membres du groupe importe peu puisque, dans notre affaire, la société mère du groupe média n'était à la tête que de cinq filiales intégrées.
10 - Les troisième et quatrième alinéas du paragraphe I de l'article 235 ter ZAA du CGI adaptent les règles relatives au CEIS aux sociétés membres d'un groupe fiscalement intégré. Dans ce cas, la contribution "est due par la société mère", comme cela est prévu, en matière d'IS, par l'article 223 A du CGI, la société mère étant seule redevable de l'IS dû sur l'ensemble des résultats du groupe. Par ailleurs, la contribution "est assise sur l'IS afférent au résultat d'ensemble et à la plus-value nette d'ensemble définis aux articles 223 B (N° Lexbase : L4695I7Z) et 223 D (N° Lexbase : L4694I7Y) du CGI, déterminé avant imputation des réductions et crédits d'impôt et des créances fiscales de toute nature".
Le quatrième alinéa du paragraphe I définit la notion de chiffre d'affaires utilisée pour calculer le seuil d'assujettissement : "le chiffre d'affaires [...] s'entend du chiffre d'affaires réalisé par le redevable au cours de l'exercice ou de la période d'imposition, ramené à douze mois le cas échéant". Cet alinéa précise que, "pour la société mère d'un groupe mentionné à l'article 223 A", le chiffre d'affaires s'entend "de la somme des chiffres d'affaires de chacune des sociétés membres de ce groupe".
11 - Incontestablement, ce système peut aboutir à un surcout d'IS en cas d'intégration fiscale. Cette conséquence paraît contradictoire avec l'idée préconçue selon laquelle le régime de l'intégration fiscale serait un "cadeau" fiscal accordé aux groupes (14). En réalité, le choix pour l'intégration fiscale s'explique par la volonté de voir la charge fiscale en rapport avec les résultats de l'ensemble du groupe, et non pas uniquement avec les résultats des sociétés bénéficiaires du groupe prises individuellement. De ce fait, le régime de l'intégration fiscale n'est pas un "cadeau" fait aux entreprises, mais a pour finalité de faire en sorte que la charge fiscale du groupe soit proportionnée à la réalité économique de son résultat. Il en ressort que l'addition de l'ensemble des chiffres d'affaires réalisés par les sociétés membres du groupe n'est a priori nullement incongrue. A cet égard, le rapporteur de la commission des finances du Sénat relevait que cette détermination du chiffre d'affaires "est cohérente avec le régime de la contribution sociale sur l'IS, qui prévoit un système analogue et avec la personnalité fiscale des groupes de sociétés, la société mère étant seule redevable de l'IS dû par l'ensemble des sociétés du groupe" (15).
12 - Dans notre affaire, la société mère fut contrainte d'acquitter, en sus de l'IS dont elle était redevable au titre des exercices clos en 2011 et 2012, la CEIS au taux de 5 %.
Elle sollicita la restitution des droits de cette contribution auprès de l'administration fiscale. Ses réclamations ayant été implicitement rejetées, elle saisit le tribunal administratif de Cergy-Pontoise (TA Cergy-Pontoise, 23 octobre 2014, n° 1405745) d'une demande à fin de restitution. A cette occasion, elle souleva une QPC portant sur l'article 235 ter ZAA du CGI. Par un jugement du 23 octobre 2014, le tribunal décida de transmettre cette question au Conseil d'Etat.
Dans sa décision du 23 décembre 2014 (16), le Conseil d'Etat décida de renvoyer cette QPC au Conseil constitutionnel en relevant que le moyen tiré de ce que les dispositions de l'article 235 ter ZAA du CGI "méconnaissent le principe constitutionnel d'égalité devant les charges publiques soulève une question présentant un caractère sérieux".
B - La conformité du dispositif avec l'objectif légal
13 - Afin de renforcer l'effectivité de son contrôle sur les mécanismes fiscaux à caractère dérogatoire, le Conseil constitutionnel s'est engagé à vérifier la cohérence du dispositif contesté au regard de l'objectif légal.
Le Conseil a précisé sa méthode d'analyse en énonçant que "le législateur doit, pour se conformer au principe d'égalité devant l'impôt, fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose ; que cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques" (17).
Mais cette affirmation ne doit pas faire illusion.
Bien évidemment, l'évolution de la jurisprudence du Conseil constitutionnel traduit assurément une volonté d'examiner plus sérieusement les multiples mécanismes dérogatoires que le législateur se complait à imaginer chaque année (18). Mais le Conseil se refuse à contrôler la vision de l'intérêt général qui a conduit à traiter spécifiquement une catégorie de contribuables, en l'occurrence, les "grandes entreprises". Dans son considérant n° 8, le Conseil constitutionnel rappelle, d'ailleurs, qu'il "n'a pas un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement ; qu'il ne saurait rechercher si les objectifs que s'est assignés le législateur auraient pu être atteints par d'autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées à l'objectif visé".
14 - Pour apprécier le but d'intérêt général que le législateur poursuit, le Conseil constitutionnel est souvent amené à se référer aux travaux parlementaires afférents aux textes. Ici, le Conseil se contente de relever que le législateur, en prévoyant d'assujettir à la CEIS les redevables de l'impôt sur les sociétés réalisant un chiffre d'affaires supérieur à 250 millions d'euros, "a entendu imposer spécialement les grandes entreprises". Il est vrai que le montant du chiffre d'affaires est assurément un critère a priori rationnel pour mesurer le volume d'affaires réalisé et s'assurer qu'il s'agit bien d'une "grande entreprise". Il ressortait également des travaux préparatoires que le législateur avait entendu tenir compte de ce que la société mère est seule redevable de l'impôt sur les sociétés dû par l'ensemble des sociétés du groupe. Mais le Conseil souligne justement que, pour les groupes fiscalement intégrés, "d'une part, que la contribution est due par la société mère et, d'autre part, que le chiffre d'affaires de la société mère s'entend de la somme des chiffres d'affaires de chacune des sociétés membres de ce groupe". Dans son 8ème considérant, le Conseil en conclut alors "qu'en retenant comme seuil d'assujettissement la somme des chiffres d'affaires de chacune des sociétés membres du groupe fiscalement intégré, le législateur s'est fondé sur un critère objectif et rationnel en rapport avec l'objectif poursuivi".
15 - Cette analyse n'est nullement une surprise, car elle s'appuie sur un précédent. Il s'agit de la décision n° 99-422 DC du 21 décembre 1999 rendue à propos de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000 (N° Lexbase : A8785ACD) qui insérait dans le CGI un article 235 ter ZC (N° Lexbase : L9742I39) relatif à la contribution sociale sur l'IS (19). Or, cette contribution présente assurément une analogie avec la CEIS. D'abord, la contribution sociale sur l'IS est assise sur l'IS dû. Ensuite et surtout, son champ d'application est déterminé par référence au critère du chiffre d'affaires (supérieur à 7 630 000 euros) et, pour les sociétés mères de groupes fiscalement intégrés, le chiffre d'affaires s'entend de la somme des chiffres d'affaires de chacune des sociétés membres de ce groupe.
A l'occasion du recours contre la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2000 (loi n° 99-1140 du 29 décembre 1999 N° Lexbase : L5412ASA), les députés requérants faisaient valoir que, par sa concentration et ses effets de seuil, cette nouvelle imposition méconnaissait le principe d'égalité devant les charges publiques et ils critiquaient l'absence de prise en compte du "type d'organisation et de la structure juridique des entreprises". Le Conseil constitutionnel avait alors jugé que "les conditions d'assujettissement et le taux de la contribution contestée ne créent pas, entre les entreprises redevables, de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques". Le Conseil avait également pris soin de relever que les dispositions contestées "comportent des dispositions spécifiques pour les groupes au sens de l'article 223 A du CGI", de sorte qu'il avait jugé que "manque [...] en fait le grief tiré de la non prise en compte, par le législateur, de la structure des entreprises". Le Conseil constitutionnel s'était par conséquent déjà approché très près de la question posée par la présente QPC et avait déclaré la contribution sociale sur l'IS conforme à la Constitution.
16 - La question posée par la société requérante était toutefois nouvelle en ce sens qu'elle portait, non sur la contribution sociale de 3,3 %, mais sur la contribution exceptionnelle de 10,7 %. Le Conseil constitutionnel n'a été amené à connaître que "par ricochet" cette contribution (20). Saisi d'une disposition de la deuxième loi de finances rectificative pour 2012 modifiant l'article 235 ter ZAA (21), qui prévoyait la mise en place d'un versement anticipé de la contribution exceptionnelle, le Conseil a jugé cette disposition conforme à la Constitution, en écartant un grief tiré de la méconnaissance de l'article 16 de la DDHC (N° Lexbase : L1363A9D). Mais ce faisant, il ne s'est nullement prononcé sur la conformité à la Constitution des dispositions instaurant la contribution exceptionnelle, ni dans le dispositif, ni dans les motifs de sa décision.
La requête était d'autant plus nouvelle que la société mère considérait que les règles d'assujettissement de cette contribution faisaient peser sur elle une charge excessive au regard de ses facultés contributives. Ce qui amena le Conseil à vérifier ce point.
II - Le contrôle de proportionnalité
17 - Au-delà de l'analyse de l'adéquation des critères retenus par le législateur avec ses motivations, le principe d'égalité devant les charges publiques induit également que ce dernier prenne en considération les facultés contributives des redevables lorsqu'il entend adopter une nouvelle imposition.
Pour apprécier le caractère proportionné ou excessif d'un impôt, le Conseil constitutionnel se conforme à son contrôle limité à l'existence ou non d'une erreur manifeste d'appréciation par le législateur. Pour constater cette erreur, le Conseil adopte fréquemment une méthode de calcul visant à additionner l'ensemble des impositions frappant un même revenu dans le chef d'un contribuable afin de déterminer le taux maximal marginal d'imposition dudit revenu (22).
Mais, dans notre affaire, le Conseil se borne à une affirmation de principe sans opérer le moindre calcul. Dans son neuvième considérant, le Conseil retient "qu'eu égard à la définition de l'assiette de la contribution exceptionnelle sur l'impôt sur les sociétés, les règles d'assujettissement des sociétés membres d'un groupe fiscalement intégré, quelle que soit la nature de l'activité de certaines des sociétés du groupe, ne font pas peser sur la société mère une charge excessive au regard de ses facultés contributives".
Une telle affirmation mérite assurément quelques explications. Il est d'abord nécessaire de mettre en relief l'argumentation de la société requérante qui reposait sur une analyse économique du fonctionnement de son groupe (A). Incontestablement, une telle organisation économique pénalise les groupes fiscalement intégrés, mais le surcoût fiscal qui en résulte n'est pas jugé excessif par rapport aux facultés contributives du groupe (B).
A - La problématique des groupes composés de sociétés ayant des activités d'intermédiaire
18 - La société requérante mettait en avant son organisation économique pour montrer qu'en ne prenant pas en compte l'existence de possibles refacturations internes aux groupes fiscalement intégrés, le législateur a fait entrer dans le champ d'application de la contribution exceptionnelle sur l'IS des groupes qui, au regard de leurs facultés contributives, ne devraient pas être assujettis à cette imposition.
En effet, le groupe média concerné comprend deux sociétés qui jouent le rôle de régies publicitaires pour l'ensemble des filiales médias du groupe. Concrètement, ces régies publicitaires sont chargées de commercialiser auprès des divers annonceurs les espaces publicitaires de l'ensemble des sociétés éditrices du groupe (sociétés éditrices de chaînes de radio, de chaînes de télévision ou encore de sites internet). Les régies facturent aux annonceurs le prix total de la diffusion de leurs messages publicitaires, qui constitue ainsi leur chiffre d'affaires. Ces régies se rémunèrent en prélevant sur ce montant total une commission de 15 %. Et elles reversent le solde, correspondant au prix des espaces publicitaires, aux sociétés éditrices. Or, pour les sociétés éditrices, les sommes ainsi reversées représentent leurs recettes, donc leurs chiffres d'affaires. Le prix des espaces publicitaires est ainsi pris en compte deux fois dans le chiffre d'affaires des sociétés du groupe, une première fois dans celui des régies publicitaires, une seconde fois dans celui des sociétés éditrices.
Selon la société requérante, en prévoyant que le chiffre d'affaires à retenir pour déterminer l'assujettissement à la contribution exceptionnelle sur l'IS correspond, dans le cas d'un groupe fiscalement intégré, à la somme des chiffres d'affaires des sociétés membres du groupe, sans neutraliser le "gonflement artificiel" du chiffre d'affaires du groupe qu'entraîneraient de telles pratiques de refacturation intragroupe, la loi entraîne une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques, puisque se trouvent assujettis à la contribution des groupes qui, au regard de leur chiffre d'affaires "corrigé", ne devraient pas y être soumis.
19 - La société requérante mettait ainsi en relief une problématique commune à tous les groupes dont les sociétés développent des activités intragroupes. En effet, lorsque les sociétés membres du groupe exercent des activités parallèles, sans échanges entre elles, l'addition des chiffres d'affaires de l'ensemble de ces sociétés traduit assurément le poids économique du groupe. Il en est différemment lorsque la société mère et les filiales participent d'une même filière économique en multipliant les échanges entre elles. Le chiffre d'affaires qui importe est seulement celui réalisé auprès du client final. Les refacturations à l'intérieur du groupe gonflent artificiellement la taille du groupe. Imaginons un groupe constitué de grandes surfaces. La somme des chiffres d'affaires réalisés par ces dernières révèle à n'en pas douter la dimension exacte du groupe. Si ces grandes surfaces décident maintenant de constituer une centrale d'achat sous forme d'une filiale intégrée pour bénéficier de prix d'achat plus attractif, la somme des chiffres d'affaires réalisés par l'ensemble des sociétés membres du groupe aboutira à doubler la taille du groupe ! L'artifice est tellement grossier que la communication financière des groupes met en avant uniquement leur chiffre d'affaires "corrigé". Le groupe média se présente ainsi comme un groupe ayant réalisé un chiffre d'affaires de 195 millions d'euros en 2014 (23), c'est-à-dire un chiffre d'affaires inférieur au seuil de 250 millions d'euros prévu pour l'application de la CEIS. Cette présentation semble d'ailleurs conforme aux normes comptables IFRS puisque le chiffre d'affaires "consolidé" d'un groupe d'entreprises est constitué de la somme des chiffres d'affaires de la société mère et des filiales du groupe, après élimination des achats et des ventes intra-groupe.
20 - Le rapporteur public devant le Conseil d'Etat dans cette affaire considère pour sa part que "le chiffre d'affaires d'un commerçant détaillant est constitué du montant des ventes qu'il réalise. Une partie du prix des produits qu'il vend a déjà été comptabilisée dans le chiffre d'affaires du grossiste auprès duquel il s'est fourni. Il n'y a là aucun gonflement artificiel' de leurs chiffres d'affaires respectifs, mais application pure et simple de la définition du chiffre d'affaires" (24). Cette affirmation est assurément exacte sur le plan strictement juridique. Mais la question principale portait justement sur la prise en compte, non pas de la réalité juridique, mais de la réalité économique. Le régime même de l'intégration fiscale invite à cette interrogation puisque, rappelons-le, alors même que les sociétés membres d'un groupe sont des personnes morales distinctes, le régime de l'intégration fiscale analyse le groupe comme une seule entité économique en faisant de la société mère la seule redevable de l'IS pour l'ensemble des sociétés.
21 - La société requérante soulignait d'ailleurs qu'il est déjà arrivé au législateur de prendre en compte la situation particulière de certains intermédiaires au regard d'une imposition dont le champ d'application ou l'assiette est défini par référence au chiffre d'affaires. Par exemple, les dispositions de l'article L. 651-5 du Code de la sécurité sociale (N° Lexbase : L9683I3Z), qui concernent la contribution sociale de solidarité à la charge des sociétés, laquelle est assise sur le chiffre d'affaires. Ces dispositions, effectivement, retiennent une définition particulière du chiffre d'affaires des commissionnaires au sens de l'article L. 132-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L5633AIH) : ils ne sont imposés, sous réserve du respect de certaines conditions, que sur les commissions qu'ils perçoivent. Cela démontre que, dans certaines hypothèses, le législateur a jugé bon de parfaire le critère du chiffre d'affaires.
Mais comme le souligne à juste titre le rapporteur public dans notre affaire, la question n'était pas tant de savoir si le législateur pouvait affiner le critère du chiffre d'affaires que de déterminer s'il était tenu de le faire (25).
Or, la société requérante n'ayant articulé sa critique que sur le seul terrain du principe d'égalité devant les charges publiques, la réponse ne pouvait être que négative.
B - L'absence de charge fiscale excessive
22 - L'article 13 de la DDHC autorise le législateur de lever des impôts dont la charge financière doit être proportionnée aux facultés contributives du contribuable. Au titre du principe d'égalité devant les charges publiques, le Conseil constitutionnel ne peut donc se contenter de contrôler la cohérence interne du dispositif dont il est saisi. Il doit également analyser ses effets sur le contribuable en s'assurant qu'il ne s'agit pas d'un impôt confiscatoire. L'article 13 peut, en effet, être lu conjointement avec l'article 17 DDHC qui protège le droit de propriété comme un droit inviolable et sacré dont nul ne peut en être privé (26).
Depuis la décision n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012 (27), le Conseil constitutionnel ne faisait plus référence au caractère "confiscatoire" de l'impôt, mais se prononçait uniquement sur son caractère ou non "excessif", cette excessivité s'appréciant par rapport aux facultés contributives du contribuable. Une décision du 25 janvier 2015 nous rappelle cependant que la notion d'impôt confiscatoire n'a pas totalement disparue du vocabulaire des juges de la rue Montpensier (28).
23 - En toute logique, le Conseil devrait adopter une approche purement mathématique visant à additionner l'ensemble des impositions frappant un même revenu afin de déterminer le taux maximal marginal d'imposition de ce revenu pour le contribuable requérant (29).
Concrètement, cela signifie que le Conseil aurait dû additionner l'IS et les deux contributions additionnelles à l'IS que sont la contribution sociale de 3,3 % et la contribution exceptionnelle de 5 % à la charge des grandes entreprises. Le calcul aurait même dû être affiné puisque l'assiette de ces contributions varie et nécessite de distinguer entre le taux d'IS de droit commun et le taux réduit.
24 - Mais le Conseil ne se livre nullement à cet exercice et se contente d'une affirmation de principe en posant "qu'eu égard à la définition de l'assiette de la contribution exceptionnelle sur l'impôt sur les sociétés, les règles d'assujettissement des sociétés membres d'un groupe fiscalement intégré, quelle que soit la nature de l'activité de certaines des sociétés du groupe, ne font pas peser sur la société mère une charge excessive au regard de ses facultés contributives".
A vrai dire, la hausse de la charge fiscale qui résulte de l'application de la CEIS n'était au maximum que de 5 % du montant de l'IS versé par la société mère. Ce surcroit d'impôt ne permettait nullement de considérer que les bénéfices du groupe avaient subi une charge fiscale excessive. D'autant que le Conseil constitutionnel a déjà estimé qu'un taux maximal marginal d'imposition d'environ 56 % ne présente pas un caractère excessif (30).
25 - On soulignera également que, dans le cadre de l'intégration fiscale, si la société mère est seule redevable de l'IS et par conséquent de la CEIS, chacune des sociétés du groupe doit, en principe, contribuer à la dette fiscale (31). La société mère agit ainsi tout à la fois comme un collecteur d'impôt auprès de ses filiales et comme contribuable auprès du Trésor public pour le compte du groupe. La charge financière de la CEIS ne repose ainsi nullement sur la seule société mère.
26 - Au final, la société requérante reprochait seulement le mode de calcul du seuil d'assujettissement et non la charge d'impôt en résultant. Il ne s'agissait pas d'une inégalité devant les charges publiques, mais en réalité d'une inégalité devant la loi. Le Conseil constitutionnel avait, par conséquent, raison de concentrer son contrôle sur la cohérence interne du dispositif et de survoler l'examen de la proportionnalité. D'autant qu'en fondant sa requête exclusivement sur le terrain de l'égalité devant les charges publiques, l'issue semblait d'entrée de jeu scellée. Le principe d'égalité devant les charges publiques permet parfaitement au législateur de créer de nouveaux impôts qui ne s'appliqueront qu'aux contribuables les plus fortunés. La CEIS ne concerne ainsi que les sociétés réalisant un chiffre d'affaires supérieur à 250 millions d'euros. Il en résulte nécessairement une discrimination par rapport aux sociétés qui ont un chiffre d'affaires inférieur (32). Or, cette inégalité n'était pas contestée par la société requérante. De même, n'était pas discuté le fait que des règles particulières s'appliquent aux groupes fiscalement intégrés pour déterminer le seuil d'assujettissement de cette contribution. Au fond, la société requérante reprochait seulement au législateur de n'avoir pas distingué des situations différentes impliquant une différence de traitement au regard de l'objet de la loi. Mais le principe d'égalité devant les charges publiques, de même que le principe d'égalité devant la loi, en l'état de la jurisprudence du Conseil constitutionnel (33), ne l'impose pas (34).
27 - On retiendra de cette décision que le régime de l'intégration fiscale est surtout adopté pour ses avantages fiscaux indéniables. Toutefois, le choix pour ce régime doit être murement réfléchi, car les "cadeaux" fiscaux comportent également des effets négatifs qui doivent être parfaitement mesurés.
(1) CE 3° et 8° s-s-r., 23 décembre 2014, n° 385320, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A4853M8A), concl. V. Daumas, Dr. fisc., 2015, n° 5, comm. 118.
(2) M. Collet, Droit fiscal, PUF, Thémis, 2ème éd., n° 54, p. 35 ; D. Gutmann, Droit fiscal des affaires, Monchestrien, Lextenso éditions, 2ème éd., n° 38, p. 21 ; J.-J. Bienvenu et T. Lambert, Droit fiscal, PUF, 4ème éd., n° 11, p. 23 ; M. Bouvier, Introduction au droit fiscal général et à la théorie de l'impôt, LGDJ, Lextenso éditions, 10ème éd., p. 57 ; F. Deboissy, Précis de fiscalité des entreprises, LexisNexis, 38ème éd., n° 11, p. 4 ; O. Fouquet, Le Conseil constitutionnel et le principe d'égalité devant l'impôt, Cah. Cons. const., 2010, n° 29 ; L. Philip, Le principe constitutionnel d'égalité en matière fiscale, Dr. fisc., 1990, n° 12, 1009.
(3) Cons. const., 27 décembre 1973, décision n° 73-51 DC (N° Lexbase : A7901ACM), dite "taxation d'office".
(4) Voir : Cons. const., 7 mai 2015, décision n° 2015-466 QPC, cons. 3 (N° Lexbase : A5872NHX) ; Cons. const., 6 août 2010, décision n° 2010-24 QPC (cotisations sociales des sociétés d'exercice libéral), cons. 5 (N° Lexbase : A9232E73) ; Cons. const., 13 octobre 2011, décision n° 2011-180 QPC (prélèvement sur les "retraites chapeau"), cons. 4 (N° Lexbase : A7384HY7).
(5) L. Fériel, Le législateur et le principe d'égalité devant les charges publiques, Dr. fisc., 2013, n° 22, comm. 299.
(6) Cons. const., 20 janvier 2015, décision n° 2014-437 QPC (N° Lexbase : A4823M9I), Dr. fisc., 2015, n° 12, comm. 223, note P. Kouraleva-Cazals ; voir aussi Cons. const., 30 décembre 1981, décision n° 81-133 DC, cons. 6 (N° Lexbase : A8033ACI) ; Cons. const., 3 mars 2009, décision n° 2009-577 DC, cons. 25 (N° Lexbase : A5008EDT) ; Cons. const., 29 décembre 2009, décision n° 2009-599 DC, cons. 15 et 38 (N° Lexbase : A9026EPY) ; Cons. const., 12 mai 2010, décision n° 2010-605 DC, cons. 39 (N° Lexbase : A1312EXU).
(7) En réalité, trois branches pourraient être isolées avec l'égalité devant la loi fiscale, l'égalité devant l'impôt et l'égalité devant les charges publiques (L. Philip, L'évolution de la jurisprudence fiscale constitutionnelle, Dr. fisc., 2015, n° 13, 229 ; L. Philip, Droit fiscal constitutionnel, évolution d'une jurisprudence, Economica, 2014 ; L. Philip, Le principe constitutionnel d'égalité en matière fiscale, Dr. fisc., 1990, n° 12, 100009).
(8) R. Torlet et M. Valeteau, La jurisprudence du Conseil constitutionnel relative au principe d'égalité depuis l'institution de la QPC, Dr. fisc., 2015, n° 13, p. 231.
(9) Lire les commentaires (p. 4) du Conseil sous la décision n° 2015-466 QPC du 7 mai 2015, précitée.
(10) Loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011, de finances rectificative pour 2011, art. 30 : Dr. fisc., 2012, n° 4, comm. 95, obs. P. Fumenier et M.-P. Hôo.
(11) G. Carrez, Rapport sur le projet de loi de finances rectificative pour 2011, Assemblée nationale, XIII.
(12) N. Bricq, Rapport sur le projet de loi de finances rectificative pour 2011, Sénat, n° 164 (session ordinaire 2011-2012), 7 décembre 2011.
(13) P. Morgensten, L'intégration fiscale, Groupe Rev. fiduciaire, p. 20.
(14) P. Morgensten, précité, p. 16.
(15) N. Bricq, précitée.
(16) CE 3° et 8° s-s-r., 23 décembre 2014, n° 385320, inédit au recueil Lebon, concl. V. Daumas, précitée.
(17) Cons. const., 6 août 2010, décision n° 2010-24 QPC, cons. 5. Voir déjà, pour une formulation presque identique, Cons. const., 6 août 2010, décision n° 2010-24 QPC, cons. 6.
(18) M. Guillaume, La question prioritaire de constitutionnalité et le droit fiscal, Dr. fisc., 2011, n° 14, 291 ; D. Gutmann, Regards sur la jurisprudence fiscale du Conseil constitutionnel, Pouvoirs 2014, p.129.
(19) Décision n° 99-422 DC du 21 décembre 1999, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2000, J.O. 30 Décembre 1999.
(20) V. Daumas, conclusions précitées, n° 2.
(21) Loi. n° 2012-958 du 16 août 2012, de finances rectificative pour 2012, art. 12 (N° Lexbase : L9357ITQ), Dr. fisc., 2012, n° 36, comm. 410, obs. P. Fumenier et C. Maignan.
(22) Cons. const., 29 décembre 2012, décision n° 2012-662 DC (N° Lexbase : A6288IZW), cons. 98 à 102.
(23) Information sur le site officiel du groupe.
(24) V. Daumas, conclusions précitées.
(25) Ibid.
(26) Même si Conseil constitutionnel n'applique pas l'article 1er du Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (N° Lexbase : L1625AZ9), on rappellera que cette disposition établit clairement le lien entre le droit de propriété et l'impôt puisque, après avoir énoncé dans le premier alinéa que nul ne peut être privé de sa propriété, le deuxième alinéa autorise expressément les Etats à lever des impôts ou d'autres contributions (H. Moutouh, Le droit de propriété : dernier rempart contre les impositions confiscatoires, D. 2013, p. 581 ; A. Mangiavillano, Le contribuable et l'Etat. L'impôt et la garantie constitutionnelle de la propriété (Allemagne - France), Dalloz, coll. NBT, vol. 126, 2013 ; voir aussi CEDH, 14 février 2006, req. 67847/01 N° Lexbase : A8583DMT, JCP G, 2006, II, 10171 ; RJDA, 11/2006, n° 1193).
(27) Cons. const., 29 décembre 2012, décision n° 2012-662 DC, RJF, 3/2013, n° 335.
(28) Cons. const., 20 janvier 2015, décision n° 2014-437 QPC (N° Lexbase : A4823M9I), JORF n° 0019 du 23 janvier 2015, page 1025.
(29) Cons. const., 29 décembre 2012, décision n° 2012-662 DC, cons. 98 à 102.
(30) Cons. const., 29 décembre 2013, décision n° 2013-685 DC (N° Lexbase : A9152KSR), Dr. fisc., 2014, n° 1-2, comm. 70.
(31) F. Deboissy, Précis de fiscalité des entreprises, précité, n° 944, p. 408.
(32) C'est d'ailleurs toute la problématique des effets de seuil (décision n° 2015-466 QPC du 7 mai 2015, précitée, commentaire p. 5 : "Parmi les critères objectifs et rationnels sur lesquels le législateur doit fonder son appréciation, on trouve notamment le recours à des seuils qui doivent permettre de calibrer la mesure fiscale considérée à l'objectif poursuivi par le législateur, en discriminant ou en incluant dans le dispositif prévu telle ou telle catégorie de contribuables").
(33) Cons. const., 14 novembre 2014, décision n° 2014-425 QPC (N° Lexbase : A0177M3X), Dr. fisc., 2014, n° 47, act. 586 : "le principe d'égalité devant l'impôt et les charges publiques n'imposent pas que les personnes privées soient soumises à des règles d'assujettissement à l'impôt identiques à celles qui s'appliquent aux personnes morales de droit public, et ne fait pas obstacle à ce que le législateur prévoie des taux d'imposition différents pour la taxe spéciale sur les contrats d'assurance selon que sont assurés les biens affectés de façon permanente et exclusive à une activité industrielle, commerciale, artisanale ou agricole ou d'autres biens". Voir aussi Cons. const., 29 décembre 2003, décision n° 2003-489 DC, cons. 37 (N° Lexbase : A6499DAX), Rec. Cons. const. 2004, p. 487 ; RJF, 3/2004, n° 28 ; Cons. const., 1er août 2013, décision n° 2013-336 QPC, cons. 12 et 14 (N° Lexbase : A1823KKQ) : Journal officiel 4 Aout 2013 ; Dr. Sociétés, 2013, alerte 62, veille R. Noguellou ; RJDA, 2014, n° 590.
(34) On notera cependant que d'autres fondements juridiques existent pour censurer un impôt prenant en compte le chiffre d'affaires réalisé par des sociétés liées dans un autre Etat membre (CJUE, 5 février 2014, aff. C-385/12 N° Lexbase : A5802MDA, voir nos obs., Sanction de la CJUE contre un impôt prenant en compte le chiffre d'affaires réalisé par des sociétés liées dans un autre Etat membre, T. Massart, Lexbase Hebdo n° 564 du 27 mars 2014 - édition fiscale N° Lexbase : N1469BUX : la Cour de justice de l'Union européenne indique qu'un impôt spécial à forte progressivité peut être indirectement discriminatoire lorsque sa plus haute tranche d'imposition s'applique en fait principalement à des filiales dont les sociétés mères ont leur siège dans d'autres Etats membres).
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Réf. : Cass. com., 5 mai 2015, n° 14-16.644, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A4479NHD)
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Le 14 Mai 2015
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Réf. : Cass. civ. 2, 9 avril 2015, n° 14-16.878, FS-P+B (N° Lexbase : A5290NGZ)
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par Jean-Baptiste Donnier, Agrégé des facultés de droit, Professeur à la Faculté de droit d'Aix-Marseille
Le 14 Mai 2015
La cour d'appel d'Aix-en-Provence, dans un arrêt du 6 décembre 2012 (1), fit droit à la demande d'annulation de la promesse de vente et la Cour de cassation, dans son arrêt du 9 avril 2015, rejette le pourvoi formé contre cet arrêt en se fondant sur une double motivation. D'une part, la Haute juridiction relève que "le jugement d'orientation qui ordonne la vente forcée de l'immeuble saisi interdit de procéder à la vente du bien selon une autre modalité que celle qu'il a prévue". D'autre part, l'arrêt appuie le rejet du pourvoi sur le fait, relevé par les juges du fond, "qu'à aucun moment le juge de l'exécution n'avait autorisé [...] la vente amiable telle que prévue par la promesse synallagmatique de vente". La nullité de la promesse est ainsi justifiée par l'interdiction de recourir à une autre forme de vente que celle prévue par le jugement d'orientation, mais c'est aussi l'occasion, pour la Cour de cassation, de marquer la spécificité de la vente amiable sur autorisation judiciaire prévue par l'article L. 322-3 du Code des procédures civiles d'exécution (N° Lexbase : L2422ITU) qui, bien qu'amiable, se distingue par nature d'une vente volontaire en ce sens que la volonté des parties ne suffit pas à sa perfection. Ce faisant, la Cour de cassation affirme clairement la nullité de la vente volontaire de l'immeuble dont la vente forcée a été ordonnée (I), mais adopte une position plus ambiguë quant à la possibilité de recourir, après le jugement d'orientation ayant ordonné la vente forcée, à une vente amiable sur autorisation judiciaire de l'immeuble saisi (II).
I - La nullité de la vente volontaire
L'arrêt du 9 avril 2015 fait clairement apparaître l'impossibilité de recourir à une vente volontaire de l'immeuble saisi. Cela, à vrai dire, ne fait pas de doute dans la mesure où le commandement valant saisie immobilière, aux termes de l'article L. 321-2 du Code des procédures civiles d'exécution (N° Lexbase : L5874IRY), "rend l'immeuble indisponible" (2) et en empêche l'aliénation par le saisi "sous réserve des dispositions de l'article L. 322-1 (N° Lexbase : L5879IR8)" (3) qui prévoient la possibilité d'une vente amiable sur autorisation judiciaire. Les parties à la promesse synallagmatique de vente avaient cru pouvoir contourner cette indisponibilité en stipulant une condition suspensive de mainlevée du commandement valant saisie. La cour d'appel, approuvée par la Cour de cassation, ne suit pas ce raisonnement, ce qui se comprend parfaitement. L'indisponibilité, édictée par l'article L. 321-2 du Code des procédures civiles d'exécution, fait en effet sortir le bien qui en est l'objet du commerce juridique, de sorte que, au moment où l'acte a été passé, le débiteur saisi n'avait pas le pouvoir de disposer de son bien, même avec le consentement de tous les créanciers. Seule l'autorisation du juge de l'exécution, donnée dans le cadre d'une vente amiable sur autorisation judiciaire (4), pourrait en quelque sorte faire rentrer l'immeuble saisi dans le commerce juridique. Ce n'est là que la conclusion nécessaire d'un syllogisme très simple qui s'appuie sur l'article 1128 du Code civil (N° Lexbase : L1228AB4). Aux termes de ce texte, "il n'y a que les choses qui sont dans le commerce qui puissent être l'objet des conventions". Or, l'immeuble saisi est, dès l'acte de saisie, indisponible et donc hors du commerce ; il ne peut par conséquent faire l'objet d'une convention. Dès lors, la réalisation ultérieure de la condition suspensive contenue dans un acte que l'une des parties n'avait pas le pouvoir de passer, ne saurait valider rétroactivement cet acte. Tant qu'il n'a pas été donné mainlevée du commandement, l'immeuble saisi ne peut être aliéné que selon l'une des deux modalités prévues par le Code des procédures civiles d'exécution : soit la vente forcée par adjudication, soit la vente amiable sur autorisation judiciaire.
Ce raisonnement aurait suffi à justifier un rejet du pourvoi. Or, la Cour de cassation va au-delà de ce raisonnement et paraît bien interdire non seulement la "vente volontaire" de l'immeuble saisi, ce que l'indisponibilité suffirait à justifier, mais aussi la "vente amiable sur autorisation judiciaire" à partir du moment où le jugement d'orientation a ordonné la vente forcée, sans toutefois que cette solution soit certaine.
II - L'incertitude quant à la possibilité de recourir à une vente amiable sur autorisation judiciaire
Si la solution donnée par l'arrêt du 9 avril 2015 paraît s'imposer, la motivation retenue suscite une certaine perplexité car elle s'appuie sur deux arguments qui, pris isolément, sont certes cohérents mais qui, mis bout à bout, semblent contradictoires.
La Cour de cassation retient, en effet, d'abord, à l'appui de sa décision, "que le jugement d'orientation qui ordonne la vente forcée de l'immeuble saisi interdit de procéder à la vente du bien selon une autre modalité que celle qu'il a prévue". A s'en tenir à ce seul motif, il semble que la Cour de cassation se fonde, pour rejeter le pourvoi, non sur l'indisponibilité de l'immeuble, résultant de la signification du commandement valant saisie, mais sur le jugement d'orientation qui, en ordonnant la vente forcée, aurait exclu tout recours à une autre "modalité" de vente. Or, si l'argument tiré de l'indisponibilité ne justifie que l'exclusion de la vente volontaire, l'argument retenu va plus loin : il impose la vente forcée de l'immeuble, à l'exclusion tant d'une vente volontaire que d'une vente amiable sur autorisation judiciaire. Il semble donc que, pour la Cour de cassation, la demande tendant à la vente amiable de l'immeuble ne puisse plus être présentée après le jugement d'orientation. Lorsque celui-ci a ordonné la vente forcée, il n'est plus temps de demander la vente amiable.
Cette position peut se comprendre. Le débiteur saisi a pu, en effet, présenter une telle demande soit avant la signification de l'assignation à comparaître à l'audience d'orientation (5), soit, même, "verbalement à l'audience d'orientation" (6). Après que le jugement d'orientation a été rendu, en revanche, aucun texte ne prévoit plus la possibilité de solliciter encore du juge l'autorisation de recourir à une vente amiable, ce qui peut se justifier par le souci d'éviter les manoeuvres dilatoires de dernière minute destinées uniquement à retarder l'adjudication, au risque de décourager les éventuels enchérisseurs. La solution consistant à figer la modalité retenue pour la vente de l'immeuble dans le jugement d'orientation correspond donc à une certaine logique. Mais le doute surgit à la lecture du second motif de l'arrêt. La Cour de cassation y affirme "qu'ayant relevé que le jugement d'orientation avait [...] retenu qu'à aucun moment le juge de l'exécution n'avait autorisé [...] la vente amiable telle que prévue par la promesse synallagmatique de vente [...], la cour d'appel a par ces seuls motifs légalement justifié sa décision".
Le second motif ainsi allégué a, lui aussi, sa logique. Il revient à justifier la nullité de la promesse synallagmatique par le fait que la vente qu'elle prévoit n'a pas été autorisée par le juge, alors que seule cette autorisation eut été de nature à lever l'indisponibilité de l'immeuble saisi. L'argument est donc parfaitement recevable, mais il paraît incompatible avec le premier motif de rejet du pourvoi, selon lequel, dès lors que la vente forcée a été ordonnée, il n'est plus possible de recourir à une autre "modalité" de vente de l'immeuble. Le second motif retenu par l'arrêt ne paraît pas écarter, lui, une telle possibilité puisqu'il fonde le rejet du pourvoi sur l'absence d'autorisation donnée par le juge à la vente amiable prévue par la promesse synallagmatique. Le doute quant à la portée exacte de l'arrêt est en outre renforcé par le fait que la Cour de cassation relève que le juge n'a autorisé la vente "à aucun moment". Est-ce à dire qu'il aurait pu l'autoriser "à tout moment", même après le jugement d'orientation ?
Il est peu probable que ce soit le cas, car il y aurait alors une contradiction flagrante entre les deux motifs de l'arrêt, mais la formulation est néanmoins malheureuse. En réalité, la Cour de cassation a vraisemblablement l'intention de renforcer le rôle central de l'audience d'orientation, ce qu'elle a au demeurant déjà entrepris récemment avec l'arrêt rendu le 19 février 2015 (7), dans lequel elle déclare que le montant de la mise à prix est irrévocablement fixé dans le jugement d'orientation. Il paraît cohérent de considérer, dès lors, que ce sont toutes les modalités de la vente qui sont définitivement arrêtées par le jugement d'orientation, tant le montant de la mise à prix, ce qui résulte de l'arrêt du 19 février 2015, que la forme de la vente, forcée ou amiable sur autorisation judiciaire.
(1) JCP éd. G. 2013, 101, obs. C. Gauchon.
(2) C. proc. civ. execution, art. L. 321-2, al. 1er (N° Lexbase : L5874IRY).
(3) C. proc. civ. execution, art. L. 321-2, al. 2.
(4) C. proc. civ. execution, art. L. 322-3 (N° Lexbase : L5881IRA) et 4 (N° Lexbase : L5882IRB) et art. R. 322-20 (N° Lexbase : L2439ITI) à 25.
(5) C. proc. civ. execution, art. R. 322-20, al. 1er (N° Lexbase : L2439ITI).
(6) C. proc. civ. execution, art. R. 322-17, in fine (N° Lexbase : L2436ITE).
(7) Cass. civ. 2, 19 février 2015, n° 14-13.786, F-P+B (N° Lexbase : A9966NBQ).
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Réf. : CE, Sect., 27 mars 2015, n° 385332, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6873NEB)
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par Sébastien Ferrari, Maître de conférences, Université René Descartes (Paris V), COMUE Sorbonne Paris Cité, centre Maurice Hauriou pour la recherche en droit public (EA 1515)
Le 14 Mai 2015
Pourtant, cette procédure présente une utilité pratique indéniable. En vertu des dispositions de l'article L. 521-3 du Code de justice administrative, le juge des référés peut, en cas d'urgence et sur simple requête qui sera recevable même en l'absence de décision administrative préalable, ordonner toutes mesures utiles sans faire obstacle à l'exécution d'aucune décision administrative. En d'autres termes, le juge des référés peut prescrire toutes les mesures qui ne sont pas régies par les autres procédures de référé administratif de droit commun, à la triple condition que ces mesures soient justifiées par l'urgence, qu'elles présentent un caractère utile et qu'elles ne se heurtent à aucune contestation sérieuse (3). Ainsi le référé-mesures utiles permet-il à tout administré de saisir la juridiction administrative en temps utile ou d'assurer la défense de ses intérêts dans une procédure administrative (4).
Le potentiel que recelait le référé-mesures utiles a fini par être révélé à la faveur du véritable "réveil" (5) provoqué par une série de décisions rendues par le Conseil d'Etat, dont les pouvoirs du juge de l'urgence sont sortis significativement renforcés. D'un côté, la Haute juridiction administrative a reconnu la possibilité au juge du référés-mesures utiles de faire obstacle à l'exécution d'une décision de refus (6), à condition toutefois que la demande en référé n'ait pas pour seul objet de contester le bien-fondé de cette décision (7). De l'autre, alors que le référé-mesures utiles jouait initialement le rôle de "bras séculier de l'administration" (8), le juge administratif a admis que le juge du référé-mesures utiles puisse prononcer des injonctions à l'encontre de l'administration, renversant ainsi le rapport de forces originel (9).
C'est justement sur l'étendue des pouvoirs du juge de l'urgence, et plus précisément leurs limites, au regard de l'objet du référé-mesures utiles, que le Conseil d'Etat a été amené à se prononcer à nouveau.
En l'espèce, l'association requérante, la section française de l'Observatoire international des prisons (SFOIP) en l'occurrence, avait demandé au juge des référés du tribunal administratif, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-3 précité, d'enjoindre à l'administration de mettre en place au sein d'un établissement pénitentiaire soit, à titre principal, un comité consultatif des personnes détenues, soit, à titre subsidiaire, un cahier de doléances, ou, à défaut, de prendre toutes autres mesures utiles permettant une expression collective des détenus sur les problèmes de leur vie quotidienne, ainsi que sur leurs conditions de détention. Le juge des référés avait rejeté la demande de la SFOIP (10). Saisi en cassation, le Conseil d'Etat a confirmé le bien-fondé de la solution adoptée par le juge de première instance, après avoir toutefois opéré une substitution de motifs. Ainsi le juge administratif suprême s'est-il exclusivement fondé sur la nature réglementaire des mesures demandées par la SFOIP, dès lors qu'elles avaient pour objet l'organisation des services, pour rejeter le pourvoi de l'association requérante. En effet, le Conseil d'Etat a rappelé que les mesures réglementaires ne sont pas de celles qu'il appartient au juge du référé mesures-utiles d'ordonner, si bien que ce dernier ne pouvait que rejeter la demande de la SFOIP.
Par cette décision, le Conseil d'Etat conforte une limite fondamentale s'imposant au juge administratif lorsqu'il statue en référé en jugeant que le juge du référé-mesures utiles ne peut pas ordonner l'édiction de mesures réglementaires (I). Ce faisant, la décision rendue par le Conseil confirme parallèlement la protection limitée qu'il entend accorder aux droits collectifs des détenus dans le cadre des procédures d'urgence (II).
I - La consolidation de l'interdiction faite au juge administratif des référés d'ordonner l'édiction de mesures réglementaires
Le juge administratif consolide une limite générale tirée de l'article L. 511-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3043ALB) et affectant les pouvoirs du juge de l'urgence. En vertu de ces dispositions, le juge des référés statue par des mesures qui présentent un caractère provisoire (A). Toutefois, cette limite trouve une expression particulière s'agissant du référé-mesures utiles eu égard à son objet et à son régime, ce qui a conduit le Conseil d'Etat à en livrer une lecture stricte (B).
A - Une limite générale aux pouvoirs du juge administratif des référés
Le juge des référés étant un juge de l'attente, son office implique qu'il ne doit "faire aucun préjudice au principal" (11). Ainsi, les dispositions de l'article L. 511-1 du Code de justice administrative, applicables à toutes les procédures de référés, posent le principe selon lequel le juge des référés statue par des mesures qui ont un caractère provisoire. C'est principalement au regard des effets des mesures demandées au juge de l'urgence que la portée de cette interdiction est appréciée. Il en résulte, notamment, que le juge des référés ne peut prendre de mesures dont les effets seraient en tout point identiques à ceux qui résulteraient de l'annulation d'une décision administrative (12). A fortiori, le juge du provisoire ne saurait prononcer l'annulation une décision administrative ou encore enjoindre à l'autorité administrative de retirer sa décision (13). Par exemple, le juge des référés ne peut enjoindre à l'administration, lorsque est en cause son refus de communiquer un document administratif, de procéder à cette communication, dès lors qu'une telle décision est susceptible de produire des effets équivalents à ceux de l'annulation de la décision de refus (14).
Le Conseil d'Etat confirme ici un autre aspect de cette limitation générale apportée aux pouvoirs du juge des référés tenant à ce que ce dernier, qu'il statue sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-3 du Code de justice administrative ou sur celles des articles L. 521-1 et L. 521-2 du même code, ne saurait davantage ordonner à l'autorité compétente d'édicter un texte réglementaire (15). On remarquera que c'est justement à l'adresse du juge du référé-mesures utiles que cette prohibition a été formulée sous l'empire du régime de la loi du 30 juin 2000, relative au référé devant les juridictions administratives (N° Lexbase : L0703AIU). Néanmoins, le Conseil d'Etat précise ici la portée de cette interdiction qui concerne toutes les formes de mesures à caractère réglementaire. En effet, était en cause ici un acte touchant à l'organisation d'un service public, dont on sait qu'il revêt, par nature, une telle portée (16). Il est d'ailleurs relativement indifférent, du point de vue de la solution retenue, que la mesure en cause émane de personnes publiques ou privées. L'interdiction faite au juge du référé-mesures utiles concerne les décisions édictées par les unes comme par les autres. Le Conseil d'Etat estime, en outre, qu'elle s'étend aux mesures d'organisation interne prises par le chef de service envers ses usagers (17). Tel était le cas, en l'espèce, le directeur de l'établissement pénitentiaire étant compétent pour en organiser la vie interne, ce qui englobe l'organisation de la vie quotidienne des détenus et de leurs conditions de détention (18).
Il n'en reste pas moins que cette solution n'était pas définitivement acquise au regard de l'appréciation souple de l'exigence légale tenant au caractère provisoire des mesures prononcées par le juge des référés qui prévaut en jurisprudence.
B - Une limite strictement appréciée à l'égard des pouvoirs du juge du référé-mesures utiles
Des considérations liées à l'effectivité de la procédure de référé ont conduit le juge administratif à développer une approche pragmatique de la condition attachée au caractère provisoire des mesures que le juge des référés est habilité à prononcer (19). Le critère principal tenant aux effets des mesures demandées renvoie désormais à leur caractère réversible (20). Ainsi le juge du référé-mesures utiles ne peut-il ordonner, par exemple, l'expulsion d'occupants installés à titre permanent sur un terrain privé (21). Néanmoins, cela n'exclut pas que certaines mesures ordonnées par le juge puissent produire, dans les faits, des effets irréversibles. C'est le cas, notamment, lorsque l'administration refuse de prendre une décision qui produirait un effet immédiat et instantané. En enjoignant d'édicter une telle décision, le juge des référés fait alors produire à sa décision un effet irréversible. En effet, la décision épuisant ses effets aussitôt émise, sa remise en cause ultérieure n'aura plus aucune incidence sur la situation juridique à laquelle elle se rapporte. Tel est le cas justement de l'expulsion d'occupants sans titre d'un terrain. Ce qui importe donc, c'est que les mesures ordonnées ne soient pas définitives en droit (22).
Cette manière de voir s'accorde d'autant mieux avec l'objet même du référé-mesures utiles qui vise à préserver l'avenir en permettant au juge d'agir à titre conservatoire, qu'il s'agisse de prévenir la survenance ou l'aggravation d'une situation dommageable, la prolongation d'une situation illicite, ou d'assurer la protection des droits et intérêts d'une partie ou de sauvegarder l'intérêt général (23). De ce point de vue, l'interdiction fondamentale d'édicter des mesures réglementaires s'éclaire à la lumière de leur nature même. Par essence, la règle de droit présente un caractère de permanence difficilement conciliable avec la logique de préservation, à titre conservatoire, d'une situation juridique.
Néanmoins, le raisonnement n'est pas exempt de toute objection. D'abord, il convient de rappeler que l'acte réglementaire est gouverné par le principe de mutabilité, ce qui le rend, par définition, révocable à tout moment si un intérêt général le commande (24). Toutefois, cet argument n'est pas décisif, dans la mesure où l'application d'un règlement légal entraîne la formation de situations juridiques constituées sur lesquelles l'administration ne saurait légalement revenir (25). En tant que tel, l'acte réglementaire produit bien des effets définitifs en droit, même s'ils ne le deviennent pas immédiatement. Ensuite et corrélativement, l'édiction d'un règlement à titre provisoire est tout à fait concevable, notamment lorsqu'il entend régir une période transitoire (26). Néanmoins, permettre au juge de l'urgence de soumettre l'autorité réglementaire à l'obligation de prévoir de telles mesures aurait, entre autre, pour conséquence de le transformer en administrateur provisoire, ce qui dépasserait largement le cadre de son office.
En confortant l'interdiction faite au juge administratif des référés d'ordonner l'édiction de mesures réglementaires, le Conseil d'Etat a parallèlement confirmé la protection limitée qu'il entend réserver aux droits collectifs des détenus en milieu carcéral.
II - Le maintien par le juge administratif des référés d'une garantie limitée des droits des détenus
Le juge administratif s'est progressivement érigé en gardien concret des standards nécessaires pour une détention digne des détenus, ce qui l'a conduit à s'introduire plus directement à l'intérieur des murs des établissements pénitentiaires (27). Néanmoins, la protection juridictionnelle accordée aux personnes incarcérées, en particulier dans le cadre des procédures d'urgence, laisse une place modeste aux droits collectifs des détenus (A), dès lors qu'en raison de la spécificité de la mission pénitentiaire, le bon fonctionnement du service doit prévaloir en son sein (B).
A - La protection modeste des droits collectifs des détenus
La protection des droits fondamentaux en milieu carcéral est principalement orientée vers la sécurité et la dignité de la personne détenue (28), dans la limite, toutefois, des restrictions imposées par sa privation de liberté (29). Aussi l'approche du juge administratif se veut-elle réaliste en raison de la singularité des rapports de droit au sein du milieu carcéral.
Ainsi, le juge des référés opère une conciliation entre les droits des détenus, d'une part, et la nécessité de sauvegarder l'ordre public et les contraintes du service public pénitentiaire, d'autre part (30). Par exemple, il n'a vu aucun risque pour la sécurité et la vie des détenus dans le refus du pouvoir réglementaire d'édicter, outre les normes en vigueur, de nouvelles règles de sécurité contre les risques d'incendie applicables dans les établissements pénitentiaires existants (31). De même, il s'est gardé de consacrer une présomption d'urgence à suspendre l'exécution des décisions administratives affectant les conditions de détention des détenus (32).
Il n'en reste pas moins que, dans ce cadre, le juge administratif s'attache à vérifier que les conditions de détention sont compatibles avec le respect de la dignité humaine de l'intéressé et de ses codétenus (33), que celles-ci résultent d'actes positifs de la part de l'administration ou de carences, comme il était allégué en l'espèce. En revanche, la garantie juridictionnelle ainsi reconnue demeure principalement individuelle, en ce qu'elle touche principalement les droits personnels des détenus et n'excède pas ce qui est nécessaire à la préservation de leur intégrité physique et morale et de leurs relations sociales. Dans cette perspective, le juge administratif n'accorde, semble-t-il, qu'une place modeste aux droits collectifs dont les détenus seraient susceptibles de se prévaloir, tels que le droit de réunion par exemple (34). En l'espèce, il s'agissait de faire admettre au juge administratif l'existence d'un droit d'expression collective des détenus sur les problèmes de leur vie quotidienne, ainsi que sur leurs conditions de détention, dont ceux-ci auraient été privés par le refus de l'autorité administrative de prendre des mesures d'organisation du service en ce sens. Toutefois, le juge des référés, notamment dans le cadre du référé-liberté, ne l'a, à notre connaissance, jamais admis. Au demeurant, celui-ci adopte une conception restrictive du droit individuel d'expression des détenus, compte tenu des limites inhérentes à la privation de liberté (35).
La consécration limitée de droits collectifs des détenus explique que l'association requérante ait privilégié la voie du référés-mesures utiles à raison de son caractère subsidiaire par rapport au référé-liberté, dont l'utilisation paraissait prima facie vouée à l'échec. En agissant sur ce terrain, c'est dans l'orbite des droits que les usagers tirent du service public qu'elle a entendu se placer pour demander au juge des référés-mesures utiles d'ordonner l'édiction des mesures réglementaires en cause. Toutefois, ce raisonnement se heurte à la prévalence de l'exigence de bon fonctionnement du service pénitentiaire. Ainsi, le droit des usagers du service public ne vient pas davantage au secours des droits collectifs des détenus.
B - La prévalence de l'exigence de bon fonctionnement du service pénitentiaire
Même s'ils forment une catégorie particulière en son sein, les détenus ont la qualité d'usagers du service public pénitentiaire et bénéficient, à ce titre, d'un statut protecteur. Parmi les droits attachés à cette qualité, le droit à la participation aux décisions et à la gestion du service public constitue un moyen indirect de contrôle sur les activités du service (36). C'est sur ce fondement que l'association requérante soutenait que l'autorité en charge de l'organisation du service public se trouvait dans l'obligation de mettre en place, au sein de l'établissement pénitentiaire concerné, un comité consultatif des personnes détenues ou, à défaut, un cahier de doléances de façon à permettre aux détenus de s'exprimer sur les problèmes de leur vie quotidienne, ainsi que sur leurs conditions de détention, et, ce faisant, de défendre leurs intérêts.
Or, le droit à la participation des usagers du service public dispose d'une valeur et d'une portée peu contraignantes, pour ne pas dire virtuelles. Il en résulte qu'en l'absence de texte l'imposant, l'autorité administrative demeure libre de mettre en place des procédés de participation des usagers à la gestion du service public. En tout état de cause, ces procédés ne sont pas élaborés dans l'intérêt des usagers du service, mais dans celui du fonctionnement du service (37), ce qui en réduit d'autant l'utilité. Au cas d'espèce, la fragilité du droit de participation s'opposait à ce que le juge administratif du référé-mesures utiles exige de l'autorité compétente qu'il en assure la mise en oeuvre, a fortiori dans le milieu carcéral où le bon ordre doit régner sans partage.
Au demeurant, cette solution se recommande de l'évolution générale du droit pénitentiaire lui-même. Si ce dernier s'oriente indéniablement vers un renforcement du formalisme dans les procédures de décision, afin de mieux prendre en compte de la situation de dépendance du détenu par rapport à l'administration qui en régit la vie quotidienne, le juge administratif entend continuer de ménager une large marge d'appréciation aux chefs d'établissement pénitentiaire dans l'organisation interne du service (38). Ainsi fait-il prévaloir le bon fonctionnement du service public pénitentiaire, compte tenu des contraintes particulières qui sont les siennes et, en particulier, de la prévention de désordres potentiels, sur la concrétisation de droits, mêmes procéduraux, dont sont susceptibles de se prévaloir ses usagers.
Au total, la limitation des pouvoirs du juge du référé-mesures utiles que le Conseil d'Etat a confortée paraît justifiée au regard tant de l'objet et du régime des procédures d'urgence que du fond du droit applicable au service public pénitentiaire. Sans doute pourrait-on regretter que cette solution, par un effet de ricochet, prive les détenus d'un recours effectif face aux carences administratives en matière d'organisation du service, alors même que ceux-ci se trouvent dans une situation de dépendance totale vis-à-vis de l'administration pénitentiaire. Toutefois, il convient de garder à l'esprit que le droit pénitentiaire repose sur un équilibre fragile, dont l'un des éléments essentiels tient à la nécessité impérieuse de maintenir l'ordre au sein des établissements concernés et qu'il appartient au juge administratif de garantir.
(1) Loi n° 55-1557 du 28 novembre 1955, instituant le référé administratif, art. 1er, JO, 1er décembre 1955, p. 11646 ; décret n° 88-907 du 2 septembre 1988, portant diverses mesures relatives à la procédure administrative contentieuse, art. 2, JO, 3 septembre 1988, p. 11253.
(2) Cf., respectivement, CE, Ass., 3 mars 1978, n° 06079, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5691AIM), p. 116, AJDA, 1978 p. 581, concl. D. Labetoulle ; CE, Sect., 18 juillet 2006, n° 283474, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6569DQD), p. 369, concl. D. Chauvaux, GACA, n° 15, AJDA, 2006, p. 1839, chr. C. Landais et F. Lenica, RFDA, 2007, n° 2, p. 314, concl. D. Chauvaux.
(3) Pour un rappel récent, cf. CE, Sect., 18 juillet 2006, n° 283474, publié au recueil Lebon, préc. ; CE, Sect., 16 novembre 2011, n° 353172 et n° 353173, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9195HZL), p. 552, RFDA, 2012, p. 269, concl. D. Botteghi, RJEP, 2012, n° 694, p. 20, note E. Glaser.
(4) R. Chapus, Droit du contentieux administratif, Montchrestien, coll. Domat dr. pub., 13ème éd., 2008, n° 1618.
(5) Selon la formule utilisée par C. Landais et F. Lenica, chr. sous CE, Sect., 18 juillet 2006, n° 283474, publié au recueil Lebon, préc., AJDA, 2006, p. 1839.
(6) CE, Sect., 18 juillet 2006, n° 283474, publié au recueil Lebon, préc..
(7) Par ex., CE 9° et 10° s-s-r., 29 décembre 2006, n° 297992, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A3694DTY), BJCL, 2007, p. 123, concl. M.-H. Mitjaville.
(8) Selon l'expression de J.-H. Stahl, concl. sur CE, Sect., 6 février 2004, n° 256719, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3537DBM), RFDA, 2004, p. 1170.
(9) CE 5° et 7° s-s-r., 29 avril 2002, n° 240322, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6452AYM), p. 876 ; CE, Sect., 6 février 2004, n° 256719, publié au recueil Lebon, préc., p. 45, BJDU, 2004, p. 139, RFDA, 2004, p. 1170, concl. J.-H. Stahl. Cette évolution semblait, du reste, inéluctable compte tenu du pouvoir d'injonction que la loi a finalement attribué à la juridiction administrative (cf. loi n° 95-125 du 8 février 1995, relative à l'organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative N° Lexbase : L1139ATD, art. 62, JO, 9 février 1995, p. 2175, désormais codifiée aux art. L. 911-1 N° Lexbase : L3329ALU et suivants du Code de justice administrative).
(10) TA Basse-Terre, 9 octobre 2014, n° 1400743.
(11) CE, Sect., 3 octobre 1958, Rec., p. 468.
(12) CE, référé, 1er mars 2001, n° 230794, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A2699AT7), p. 1134.
(13) Cf., respectivement, CE, référé, 4 janvier 2001, n° 229501, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A2617AT4), p. 37 ; CE, 3 juillet 2003, n° 257971, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A2257C9H), p. 933.
(14) CE, référé, 1er mars 2001, n° 230794, mentionné aux tables du recueil Lebon, préc.. Pour d'autres exemples relatifs au référé-suspension, CE 3° et 8° s-s-r., 9 juillet 2001, n° 232818, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5520AUY), p. 1121 (refus de publier une vacance de poste) ; CE 3° et 8° s-s-r.; 13 février 2006, n° 285184, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0026DNB), p. 1015, Dr. adm., 2006, comm. 103, note E. Glaser (refus de titularisation d'un agent public). Pour un exemple d'annulation d'une décision de refus, cf. CE 2° et 7° s-s-r., 10 octobre 2013, n° 359219, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7245KMB), p. 252, AJDA, 2014, p. 213, chr. A. Bretonneau et J. Lessi, Dr. adm., 2014, comm. 23, note F. Mauger.
(15) CE, 29 mai 2002, n° 247100, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3031A3N), p. 877.
(16) T. confl., 15 janvier 1968, n° 01908, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A8276BDU), p. 789, GAJA, n° 82, RDP, 1968, p. 893, note M. Waline et 1969, p. 142, concl. J. Kahn.
(17) CE, Sect., 7 février 1936, n° 43321, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A8004AY4), p. 172, GAJA, n° 47, S., 1937, III, p. 113, note J. Rivero.
(18) Pour un autre ex., CE, référé, 6 juin 2013, n° 368816, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4617KG4), , p. 767.
(19) Comme l'a souligné le rapporteur public J.-H. Stahl : "il en va très bien ainsi parce que cela traduit un bon usage, c'est-à-dire un usage utile, des procédures de référés" (J.-H. Stahl, concl. sur CE, Sect., 6 février 2004, n° 256719, publié au recueil Lebon, préc., RFDA, 2004, p. 1170, spéc. p. 1176).
(20) Cf., à propos du référé-liberté, CE, référé, 30 mars 2007, n° 304053, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8164DUW), p. 1013, AJDA, 2007, p. 1242, note S. Damarey, Dr. adm., 2007, comm. 90, note F. Melleray ; CE, 1° et 6° s-s-r., 31 mai 2007, n° 298293, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5282DWK), p. 222, AJDA, 2007 p. 1237, chr. F. Lenica et J. Boucher.
(21) CE 5° et 7° s-s-r., 11 juin 2003, n° 252616, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8739C88), p. 933.
(22) En ce sens, J.-H. Stahl, concl. préc., p. 1175.
(23) Selon la formule de R. Chapus, op. cit., n° 1613.
(24) CE, Sect., 27 janvier 1961, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5804MDC), p. 60, concl. J. Kahn.
(25) CE, Ass., 21 octobre 1966, n° 61851, n° 61935, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A4703B8P), p. 560, AJDA, 1967, II, p. 274, concl. J. Baudouin ; CE 2° et 7° s-s-r., 4 décembre 2009, n° 315818, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3331EP3), p. 489, JCP éd. A, 2010, 20137, note F. Dieu, RFDA, 2010, p. 175, étude T. Pez.
(26) Sur cette question, v. G. Eveillard, Les dispositions transitoires en droit public français : Dalloz, coll. Nouvelle bibliothèques de thèses, vol. 62, 2007, n° 65.
(27) Suivant l'expression de C. Vigouroux, "La valeur de la justice en détention", AJDA, 2009, p. 403, spéc. p. 405.
(28) Loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009, pénitentiaire, art. 22 (N° Lexbase : L9344IES), JO, 25 novembre 2009, p. 20192 ; CE, Sect., 6 décembre 2013, n° 363290, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A8548KQN), p. 309, AJDA 2014, p. 237, concl. D. Hedary, Gaz.-Pal., 29 janvier 2014, n° 29-30, p. 21, note M. Guyomar.
(29) CE, référé, 27 mai 2005, n° 280866, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5044DIN), p. 212, AJDA, 2005, p. 1579, note A. Rainaud, D., 2006. 1078, obs. J.-P. Céré, M. Herzog-Evans et E. Péchillon.
(30) CE, référé, 14 novembre 2008, n° 315622, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A2242EBN), p. 417, AJDA, 2008, p. 2389, chr. E. Geffray et S.-J. Liéber, Dr. adm., 2009, comm. 11, note F. Melleray ; CE, référé, 6 juin 2013, n° 368816, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4617KG4), p. 767 (référé-liberté). En ce sens, D. Labetoulle, Regard du juge administratif , in H. Pauliat , E. Négron et L. Berthier (dir.), La prison : quel(s) droit(s) ?, Pulim, 2013, p. 93, spéc. p. 101.
(31) CE 1° et 6° s-s-r., 23 juillet 2010, n° 316440, n° 316441, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9889E4Z), p. 771. V. également, X. Domino et A. Bretonneau, Custodire ipsos custodes : le juge administratif face à la prison : AJDA, 2011, chr., p. 1364, spéc. p. 1366.
(32) CE 9° et 10° s-s-r., 9 avril 2008, n° 311707, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A8703D7H), AJDA, 2008, p. 1447, note J. Birnbaum ; CE, 1er février 2012, n° 350899, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6892IBU), p. 912, AJDA, 2012, p. 1177, note J.-F. Calmette (référé-suspension).
(33) CE, référé, 22 décembre 2012, n° 364584, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6320IZ4), p. 496, JCP éd. A, 2013, 2017, note G. Koubi, RFDA, 2013, p. 214, note P. Terneyre ; CE, Sect., 6 décembre 2013, n° 363290, publié au recueil Lebon, préc.. V. également, CEDH, 6 mars 2001, Req. 40907/98 (N° Lexbase : A7494NHZ), Rec. CEDH 2001-II.
(34) CE, référé, 27 mai 2005, n° 280866, publié au recueil Lebon, préc.. On peut aussi songer à la liberté d'association, bien que celle-ci n'a pas encore été concrètement exercée (cf. J.-P. Duroché et P. Pédron, op. cit., p. 184).
(35) Pour un ex., voir CAA Lyon, 4ème ch., 30 juin 2005, n° 00LY01591 (N° Lexbase : A1828DKW), AJDA, 2006, p. 313, note D. Besle.V. également, J.-P. Duroché et P. Pédron, Droit pénitentiaire, Vuibert, 2ème éd., 2013, p. 185.
(36) Sur cette question, G.J. Guglielmi et G. Koubi, Droit du service public; Montchrestien, coll. Domat dr. pub., 3ème éd., 2011, n° 1482.
(37) G.J. Guglielmi et G. Koubi, op. cit., n° 1486.
(38) X. Domino et A. Bretonneau, chr. préc., p. 1367. Pour un ex., voir CE 1° et 6° s-s-r., 29 mars 2010, n° 319043 et n° 319580, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A4183EUH), p. 84.
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Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 6 mai 2015, n° 375036, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5834NHK)
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Réf. : Cons. const., décision n° 2015-467 QPC, du 7 mai 2015 (N° Lexbase : A5873NHY)
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Réf. : Cass. civ. 3, 6 mai 2015, n° 13-24.947, FS-P+B+I (N° Lexbase : A5367NHA)
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Réf. : Cass. soc., 15 avril 2015, n° 13-24.253, FS-P+B (N° Lexbase : A9248NGM)
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par Gilles Auzero, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux
Le 14 Mai 2015
Résumé
Ayant constaté, d'une part, la concentration des pouvoirs par la société X, associée unique de chacune des quatre sociétés, leur complémentarité en ce qu'elles concourent toutes à des activités de rénovation des canalisations de gaz et des lignes haute tension au profit des sociétés ERDF et GRDF, et relevé, d'autre part, que les salariés, tous issus de la même société et titulaires de contrats de travail similaires, sont mobiles entre les sociétés en cause, relèvent de la même convention collective et bénéficient d'avantages spécifiques identiques, la cour d'appel a pu retenir, peu important que la société holding ne soit pas intégrée dans son périmètre et répondant aux conclusions, l'existence d'une unité économique et sociale. |
Commentaire
I - Rappel des critères de l'unité sociale
L'affaire. Etait, en l'espèce, en cause M. H., qui avait été salarié de la société Y au sein de laquelle il exerçait des mandats de délégué du personnel, de membre du comité d'entreprise et de délégué syndical. Le 6 janvier 2012, les contrats de travail des salariés de cette société ont été transférés à quatre sociétés, la société A (à Nice), la société B (Ramonville-Saint-Agne), la société C (Montpellier) et la société D (Gémenos), ayant chacune pour associée unique la société X. Postérieurement, le salarié, le syndicat CGT local construction bois et ameublement 31 et l'Union locale CGT de Toulouse Sud, ont saisi le tribunal d'instance de Toulouse d'une demande aux fins de reconnaissance d'une unité économique et sociale entre ces quatre sociétés. Le salarié est décédé au cours de l'instance d'appel.
Les sociétés C, D, X et Y reprochaient à l'arrêt attaqué d'avoir reconnu l'existence d'une unité économique et sociale entre les sociétés A, B, C et D. Afin de contester la reconnaissance de l'unité sociale, les parties demanderesses soutenaient que l'existence d'une telle unité se traduit par une politique sociale ou une gestion du personnel commune aux différentes entités concernées ou encore par des services communs à ces entités. En retenant l'existence d'une unité sociale entre les sociétés A, B, C et D, sans même constater de gestion centralisée et unique du personnel des sociétés composant l'unité économique et sociale revendiquée ou même l'existence de services communs à ces sociétés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 2322-4 du Code du travail (N° Lexbase : L6227ISG).
Il était aussi arguer que la proposition, par le mandataire-liquidateur d'une société en liquidation dans le seul cadre de l'obligation de reclassement, du transfert de salariés licenciés à une autre et le transfert effectif d'un seul de ces salariés, est impropre à établir une permutation du personnel de nature à caractériser l'existence d'une unité sociale entre ces sociétés. En déduisant la permutabilité du personnel entre les différentes sociétés concernées du fait qu'à la suite de la liquidation judiciaire de la société A, le mandataire liquidateur a proposé aux salariés licenciés de cette entreprise des postes de reclassement au sein des sociétés C et D et que seul l'un des salariés a accepté la proposition d'emploi qui lui avait été faite, la cour d'appel a, derechef, privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 2322-4 du Code du travail.
Ces arguments sont écartés par la Cour de cassation qui, pour approuver la décision d'appel, se borne à relever que "les salariés, tous issus de la même société et titulaires de contrats de travail similaires, sont mobiles entre les sociétés en cause, relèvent de la même convention collective et bénéficient d'avantages spécifiques identiques".
L'existence d'une communauté de travailleurs. Pour qu'il y ait unité sociale, il convient de caractériser ce que des arrêts nomment "une communauté de travailleurs liés par les mêmes intérêts" (1). A cette fin, le critère prépondérant réside dans l'identité de statut social des salariés des différentes sociétés en cause. Le fait que les salariés bénéficient de la même convention collective (2), soient titulaires de contrats de travail similaires et bénéficient d'avantages spécifiques identiques (3) constitue, à n'en point douter, des éléments forts pour caractériser cette identité de statut social. Il en va certainement de même du fait que les salariés étaient "tous issus de la même société" (4). A dire vrai, cet élément apparaît, en l'espèce, sinon comme fondamental, du moins comme premier, puisque c'est, sans doute, de lui que découlaient la similitude des contrats de travail et l'identité des avantages spécifiques dont bénéficiaient tous ces salariés.
S'agissant de la gestion du personnel unifiée et de sa permutabilité, il s'agit de critères qui viennent, le cas échéant, conforter les précédents (5). On ne saurait donc faire du premier, contrairement à ce qui était soutenu dans le pourvoi, un élément majeur de l'unité sociale. Pour le dire autrement, ce n'est pas parce que la gestion du personnel n'est pas centralisée et unique qu'il n'y a pas d'unité sociale.
La Cour de cassation prend, en revanche, soin de relever que les salariés des différentes sociétés concernés étaient "mobiles" entre les sociétés en cause. Ce critère n'est pas sans rappeler celui de la permutabilité des salariés, fréquemment retenu par les juges, au titre de l'unité sociale. La mobilité semble, cependant, moins exigeante, en ce qu'elle n'implique pas la réciprocité propre à la permutation. En l'espèce, cette mobilité est déduite du fait qu'à la suite de la liquidation judiciaire de la société A, le mandataire liquidateur avait proposé aux salariés licenciés de cette entreprise des postes de reclassement au sein des sociétés C et D, un des salariés de la société TDE ayant, d'ailleurs, accepté la proposition qui lui avait été ainsi faite d'un emploi de chef de chantier au sein de la société D. On pourrait s'étonner que de l'exécution d'une obligation légale, à savoir l'obligation de reclassement antérieure au licenciement pour motif économique, puisse être tirée un argument au soutien de la reconnaissance d'une unité sociale, étant rappelé que l'obligation précitée doit être mise en oeuvre au sein du groupe de sociétés auquel l'employeur appartient. Or, à n'en point douter, on était au moins en présence, en l'espèce, d'un tel groupe. Mais parce qu'à l'unité sociale vient s'ajouter une unité économique, les sociétés en cause constituaient plus que cela.
II - Précision quant aux critères de l'unité économique
L'argumentation du pourvoi. Pour contester l'arrêt d'appel en ce qu'il avait retenu l'existence d'une unité économique, les sociétés demanderesses soutenaient que celle-ci suppose la constatation d'une concentration des pouvoirs de direction à l'intérieur du périmètre considéré et nécessite la présence, en son sein, de l'entité qui exerce ce pouvoir de direction. En l'espèce, pour reconnaître l'existence d'une unité économique et sociale entre les sociétés A, B, C et D, la cour d'appel a retenu que la société X a la qualité de dirigeant commun de ces quatre sociétés et que les pouvoirs de direction de ces sociétés sont concentrés entre les mains de la société X avec laquelle elles formeraient une communauté d'intérêts. En statuant ainsi quand la société CME ne fait pas partie du périmètre de l'unité économique et sociale revendiquée, la cour d'appel a violé l'article L. 2322-4 du Code du travail.
Il était également avancé qu'en toute hypothèse, le simple fait qu'une entité soit l'associée unique d'autres sociétés et que les décisions importantes de la vie de ces sociétés relèvent de la seule décision de cet associé unique sont seulement de nature à caractériser l'existence d'un groupe de sociétés, mais ne suffisent pas à caractériser l'existence d'une concentration des pouvoirs de direction à défaut de constater l'existence d'une direction fonctionnelle, économique et commerciale unique ainsi que d'une politique sociale commune.
Pour déduire la qualité de la société X de dirigeant commun des sociétés A, B, C et D, ayant pourtant chacune leur propre gérant, la cour d'appel s'est bornée à relever que celle-ci, associée unique de ces quatre sociétés dont elle détient en totalité le capital, décide du transfert du siège social de ces sociétés, de l'augmentation ou la réduction de leur capital social, de la nomination ou la révocation de leur gérant ou de la durée de leur mandat ou encore de l'approbation des comptes ainsi que de la modification de leurs statuts.
En ne constatant ni direction fonctionnelle, opérationnelle, économique ou commerciale unique, ni politique sociale commune à ces quatre sociétés, la cour d'appel, qui a seulement fait ressortir l'appartenance de ces quatre sociétés à un même groupe et statué par des motifs insuffisants à caractériser la concentration du pouvoir de direction de ces différentes entités au sein d'une direction unique, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 2322-4 du Code du travail.
La réponse de la Cour de cassation. Les arguments précités sont, là encore, écartés par la Cour de cassation qui indique "qu'ayant constaté [...] la concentration des pouvoirs par la société X, associée unique de chacune des quatre sociétés, leur complémentarité en ce qu'elles concourent toutes à des activités de rénovation des canalisations de gaz et des lignes haute tension au profit des sociétés ERDF et GRDF [...], la cour d'appel a pu retenir, peu important que la société holding ne soit pas intégrée dans son périmètre et répondant aux conclusions, l'existence d'une unité économique et sociale".
De notre point de vue, ce motif de principe apporte une importante précision quant à l'appréciation de l'unité économique. Selon une formule synthétique énoncée dans un arrêt antérieur, "une unité économique et sociale entre plusieurs entités juridiquement distinctes se caractérise, en premier lieu, par la concentration des pouvoirs de direction à l'intérieur du périmètre considéré, ainsi que par la similarité ou la complémentarité des activités déployées par ces différentes entités [...]" (6).
Il ressort de cette formule que l'unité économique est composée de deux éléments majeurs. Le premier a trait au pouvoir de direction qui, en dépit de la pluralité des personnes morales distinctes mises en relation, doit être unique. Cela s'évince, notamment, de l'identité de leurs dirigeants ou encore de la subordination des uns aux autres. Ainsi qu'il a été souligné, "l'exigence d'une concentration du pouvoir à l'intérieur du périmètre considéré révèle bien que la Chambre sociale ne se satisfait pas d'une quelconque coordination, qu'elle qualifie d'unité une hiérarchie et qu'elle subordonne la reconnaissance de l'unité économique à l'identification en son sein du centre -le sommet de la hiérarchie- du pouvoir" (7).
Il apparaît, à la lecture de l'arrêt sous examen que, s'il convient toujours d'identifier un centre du pouvoir, celui-ci n'a pas nécessairement à figurer au sein de l'unité économique et sociale, puisqu'il n'était, en l'espèce, pas important que la société holding ne soit pas intégrée dans le périmètre de l'unité économique et sociale. Il avait pourtant été affirmé, dans un arrêt antérieur, que "l'unité économique nécessite la présence en son sein de l'entité juridique qui exerce le pouvoir de direction sur l'ensemble des salariés inclus dans l'unité sociale" (8). On comprend, à cet égard, mieux l'un des arguments développés dans le pourvoi, qui était certainement fondé sur cette décision.
Faut-il, dès lors, considérer que la Cour de cassation aurait procédé à un revirement de jurisprudence ? Il nous semble difficile de l'affirmer. Plus exactement, nous pensons qu'il convient de ne pas prendre la formule énoncée dans l'arrêt précité du 23 mai 2000 au pied de la lettre et, surtout, de ne pas omettre que, dans celui-ci, était en cause une hypothèse très particulière puisque l'unité économique était recherché entre des sociétés exerçant la fonction de syndic de copropriété. Or, et ainsi que l'affirme la Cour de cassation dans cette même décision, "les sociétés syndics de copropriétés correspondant à un ensemble de résidences-services ne sont que les mandataires des différents syndicats de copropriétaires, lesquels restent libres de désigner un nouveau syndic, ce qui s'oppose à la reconnaissance de l'unité économique". Comment admettre une unité économique lorsque l'éventuel centre du pouvoir n'entretient pas un lien pérenne avec les entités au sein desquels ce pouvoir peut être exercé ; bien plus lorsque ces entités peuvent librement se défaire de ce pouvoir qui, en réalité, n'en est donc pas un ?
Rien de tel dans l'affaire qui nous intéresse, puisque le pouvoir est concentré au sein de ce qu'il faut bien nommer la société mère, à laquelle les sociétés filiales sont, par nature, indissolublement liées, à tout le moins, tant que la première n'en décide pas autrement.
Cela étant, on peut ne pas se satisfaire de l'affirmation selon laquelle les pouvoirs étaient concentrés par la société X, associée unique de chacune des quatre sociétés. Plus exactement, ce n'est pas l'identification de la concentration qui interroge, que celle des pouvoirs qui sont exercés. De ce point de vue, l'argumentation développée dans le pourvoi n'est pas dénuée d'une certaine pertinence. En substance, il était fait reproche aux juges du fond d'avoir simplement relevé que la société mère prenait les décisions susceptibles d'être arrêtés par n'importe quel actionnaire majoritaire (transfert du siège social des sociétés filiales, augmentation ou la réduction de leur capital social, nomination ou révocation de leur gérant ou de la durée de leur mandat, ou encore, approbation des comptes ainsi que modification de leurs statuts).
Cela est, effectivement, troublant. Encore que la question ait été assez peu évoquée, il semble que le pouvoir permettant de caractériser l'unité économique doit s'entendre du pouvoir de gestion ou, pour reprendre les termes du pourvoi, de la "direction fonctionnelle, opérationnelle, économique ou commerciale". A défaut, on ne voit guère ce qui permet de distinguer le pouvoir exercé dans un groupe de société et celui exercé dans une unité économique.
Sans doute peut-il être rétorqué que la différence entre ces deux groupements de personnes morales distinctes tient dans le second élément de l'unité économique énoncé dans l'arrêt précité du 18 juillet 2000, à savoir l'identité ou la complémentarité des activités. Il ne saurait être discuté que ce critère était effectivement vérifié dans l'espèce considérée. On en vient, par suite, à se demander si ce critère, volontiers présenté comme second, n'est pas, en réalité, premier, permettant de se satisfaire du fait que la concentration des pouvoirs tient dans l'existence d'un seul et même actionnaire majoritaire se bornant à exercer le rôle d'un actionnaire majoritaire (9).
(1) Cass. soc., 15 novembre 1988, n° 87-60.145, publié (N° Lexbase : A3423AHA) : Bull. civ. V, n° 596.
(2) V. aussi en ce sens, Cass. soc., 10 mai 2000, n° 99-60.081, inédit (N° Lexbase : A8834CQA) ; Cass. soc., 2 juin 2004, n° 03-60.135 (N° Lexbase : A5244DC9) : Bull. civ. V, n° 157.
(3) V. aussi, pour des "avantages sociaux identiques" : Cass. soc., 8 février 1995, n° 94-60.226, inédit (N° Lexbase : A5628CP7).
(4) On apprend, à la lecture des moyens annexés à l'arrêt, que les salariés étaient tous "issus" (sic !) du personnel de la même société, en l'occurrence la société Y, elle-même associée unique de la société X. Ces mêmes moyens ne permettent pas de savoir ce qui avait bien pu motiver un tel transfert des contrats de travail vers des sociétés filiales de la seconde.
(5) V. en ce sens, G. Auzero et E. Dockès, Droit du travail, Précis D., 29ème éd., 2015, § 1083.
(6) Cass. soc., 18 juillet 2000, n° 99-60.353 (N° Lexbase : A9195AGN) : Bull. civ. V, n° 299 ; J. Pélissier, A. Lyon-Caen, A. Jeammaud, E. Dockès, Les grands arrêts de droit du travail, 4ème éd., 2008, n° 133.
(7) J. Pélissier, A. Lyon-Caen, A. Jeammaud, E. Dockès, ouvrage préc., pp. 615-616.
(8) Cass. soc., 23 mai 2000, n° 98-60.212 (N° Lexbase : A8982AWL) : Bull. civ. V., n° 201 ; Dr. Soc., 2000, p. 852, concl. P. Lyon-Caen et obs. J. Savatier.
(9) A l'instar de la caractérisation d'une situation de coemploi, la Cour de cassation tiendrait donc moins compte de l'exercice d'un pouvoir envers les salariés, que de l'exercice d'un pouvoir à l'égard d'une personne morale, par une autre personne morale.
Décision
Cass. soc., 15 avril 2015, n° 13-24.253, FS-P+B (N° Lexbase : A9248NGM). Rejet (CA Toulouse, 5 juillet 2003, n° 12/03491 N° Lexbase : A4461KI3). Texte concerné : C. trav., art. L. 2322-4 (N° Lexbase : L6227ISG). Mots clefs : unité économique et sociale ; critères ; concentration du pouvoir de direction ; absence d'intégration du centre du pouvoir au sein de l'unité économique. Lien base : (N° Lexbase : E1631ETL). |
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Réf. : Cass. civ. 3, 6 mai 2015, n° 14-15.222, FS-P+B+I (N° Lexbase : A5368NHB)
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N7272BUU
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Le 14 Mai 2015
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Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 6 mai 2015, n° 378534, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A5839NHQ)
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Le 19 Mai 2015
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Réf. : Cass. civ. 2, 9 avril 2015, n° 14-16.878, FS-P+B (N° Lexbase : A5290NGZ)
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N7161BUR
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par Jean-Baptiste Donnier, Agrégé des facultés de droit, Professeur à la Faculté de droit d'Aix-Marseille
Le 14 Mai 2015
La cour d'appel d'Aix-en-Provence, dans un arrêt du 6 décembre 2012 (1), fit droit à la demande d'annulation de la promesse de vente et la Cour de cassation, dans son arrêt du 9 avril 2015, rejette le pourvoi formé contre cet arrêt en se fondant sur une double motivation. D'une part, la Haute juridiction relève que "le jugement d'orientation qui ordonne la vente forcée de l'immeuble saisi interdit de procéder à la vente du bien selon une autre modalité que celle qu'il a prévue". D'autre part, l'arrêt appuie le rejet du pourvoi sur le fait, relevé par les juges du fond, "qu'à aucun moment le juge de l'exécution n'avait autorisé [...] la vente amiable telle que prévue par la promesse synallagmatique de vente". La nullité de la promesse est ainsi justifiée par l'interdiction de recourir à une autre forme de vente que celle prévue par le jugement d'orientation, mais c'est aussi l'occasion, pour la Cour de cassation, de marquer la spécificité de la vente amiable sur autorisation judiciaire prévue par l'article L. 322-3 du Code des procédures civiles d'exécution (N° Lexbase : L2422ITU) qui, bien qu'amiable, se distingue par nature d'une vente volontaire en ce sens que la volonté des parties ne suffit pas à sa perfection. Ce faisant, la Cour de cassation affirme clairement la nullité de la vente volontaire de l'immeuble dont la vente forcée a été ordonnée (I), mais adopte une position plus ambiguë quant à la possibilité de recourir, après le jugement d'orientation ayant ordonné la vente forcée, à une vente amiable sur autorisation judiciaire de l'immeuble saisi (II).
I - La nullité de la vente volontaire
L'arrêt du 9 avril 2015 fait clairement apparaître l'impossibilité de recourir à une vente volontaire de l'immeuble saisi. Cela, à vrai dire, ne fait pas de doute dans la mesure où le commandement valant saisie immobilière, aux termes de l'article L. 321-2 du Code des procédures civiles d'exécution (N° Lexbase : L5874IRY), "rend l'immeuble indisponible" (2) et en empêche l'aliénation par le saisi "sous réserve des dispositions de l'article L. 322-1 (N° Lexbase : L5879IR8)" (3) qui prévoient la possibilité d'une vente amiable sur autorisation judiciaire. Les parties à la promesse synallagmatique de vente avaient cru pouvoir contourner cette indisponibilité en stipulant une condition suspensive de mainlevée du commandement valant saisie. La cour d'appel, approuvée par la Cour de cassation, ne suit pas ce raisonnement, ce qui se comprend parfaitement. L'indisponibilité, édictée par l'article L. 321-2 du Code des procédures civiles d'exécution, fait en effet sortir le bien qui en est l'objet du commerce juridique, de sorte que, au moment où l'acte a été passé, le débiteur saisi n'avait pas le pouvoir de disposer de son bien, même avec le consentement de tous les créanciers. Seule l'autorisation du juge de l'exécution, donnée dans le cadre d'une vente amiable sur autorisation judiciaire (4), pourrait en quelque sorte faire rentrer l'immeuble saisi dans le commerce juridique. Ce n'est là que la conclusion nécessaire d'un syllogisme très simple qui s'appuie sur l'article 1128 du Code civil (N° Lexbase : L1228AB4). Aux termes de ce texte, "il n'y a que les choses qui sont dans le commerce qui puissent être l'objet des conventions". Or, l'immeuble saisi est, dès l'acte de saisie, indisponible et donc hors du commerce ; il ne peut par conséquent faire l'objet d'une convention. Dès lors, la réalisation ultérieure de la condition suspensive contenue dans un acte que l'une des parties n'avait pas le pouvoir de passer, ne saurait valider rétroactivement cet acte. Tant qu'il n'a pas été donné mainlevée du commandement, l'immeuble saisi ne peut être aliéné que selon l'une des deux modalités prévues par le Code des procédures civiles d'exécution : soit la vente forcée par adjudication, soit la vente amiable sur autorisation judiciaire.
Ce raisonnement aurait suffi à justifier un rejet du pourvoi. Or, la Cour de cassation va au-delà de ce raisonnement et paraît bien interdire non seulement la "vente volontaire" de l'immeuble saisi, ce que l'indisponibilité suffirait à justifier, mais aussi la "vente amiable sur autorisation judiciaire" à partir du moment où le jugement d'orientation a ordonné la vente forcée, sans toutefois que cette solution soit certaine.
II - L'incertitude quant à la possibilité de recourir à une vente amiable sur autorisation judiciaire
Si la solution donnée par l'arrêt du 9 avril 2015 paraît s'imposer, la motivation retenue suscite une certaine perplexité car elle s'appuie sur deux arguments qui, pris isolément, sont certes cohérents mais qui, mis bout à bout, semblent contradictoires.
La Cour de cassation retient, en effet, d'abord, à l'appui de sa décision, "que le jugement d'orientation qui ordonne la vente forcée de l'immeuble saisi interdit de procéder à la vente du bien selon une autre modalité que celle qu'il a prévue". A s'en tenir à ce seul motif, il semble que la Cour de cassation se fonde, pour rejeter le pourvoi, non sur l'indisponibilité de l'immeuble, résultant de la signification du commandement valant saisie, mais sur le jugement d'orientation qui, en ordonnant la vente forcée, aurait exclu tout recours à une autre "modalité" de vente. Or, si l'argument tiré de l'indisponibilité ne justifie que l'exclusion de la vente volontaire, l'argument retenu va plus loin : il impose la vente forcée de l'immeuble, à l'exclusion tant d'une vente volontaire que d'une vente amiable sur autorisation judiciaire. Il semble donc que, pour la Cour de cassation, la demande tendant à la vente amiable de l'immeuble ne puisse plus être présentée après le jugement d'orientation. Lorsque celui-ci a ordonné la vente forcée, il n'est plus temps de demander la vente amiable.
Cette position peut se comprendre. Le débiteur saisi a pu, en effet, présenter une telle demande soit avant la signification de l'assignation à comparaître à l'audience d'orientation (5), soit, même, "verbalement à l'audience d'orientation" (6). Après que le jugement d'orientation a été rendu, en revanche, aucun texte ne prévoit plus la possibilité de solliciter encore du juge l'autorisation de recourir à une vente amiable, ce qui peut se justifier par le souci d'éviter les manoeuvres dilatoires de dernière minute destinées uniquement à retarder l'adjudication, au risque de décourager les éventuels enchérisseurs. La solution consistant à figer la modalité retenue pour la vente de l'immeuble dans le jugement d'orientation correspond donc à une certaine logique. Mais le doute surgit à la lecture du second motif de l'arrêt. La Cour de cassation y affirme "qu'ayant relevé que le jugement d'orientation avait [...] retenu qu'à aucun moment le juge de l'exécution n'avait autorisé [...] la vente amiable telle que prévue par la promesse synallagmatique de vente [...], la cour d'appel a par ces seuls motifs légalement justifié sa décision".
Le second motif ainsi allégué a, lui aussi, sa logique. Il revient à justifier la nullité de la promesse synallagmatique par le fait que la vente qu'elle prévoit n'a pas été autorisée par le juge, alors que seule cette autorisation eut été de nature à lever l'indisponibilité de l'immeuble saisi. L'argument est donc parfaitement recevable, mais il paraît incompatible avec le premier motif de rejet du pourvoi, selon lequel, dès lors que la vente forcée a été ordonnée, il n'est plus possible de recourir à une autre "modalité" de vente de l'immeuble. Le second motif retenu par l'arrêt ne paraît pas écarter, lui, une telle possibilité puisqu'il fonde le rejet du pourvoi sur l'absence d'autorisation donnée par le juge à la vente amiable prévue par la promesse synallagmatique. Le doute quant à la portée exacte de l'arrêt est en outre renforcé par le fait que la Cour de cassation relève que le juge n'a autorisé la vente "à aucun moment". Est-ce à dire qu'il aurait pu l'autoriser "à tout moment", même après le jugement d'orientation ?
Il est peu probable que ce soit le cas, car il y aurait alors une contradiction flagrante entre les deux motifs de l'arrêt, mais la formulation est néanmoins malheureuse. En réalité, la Cour de cassation a vraisemblablement l'intention de renforcer le rôle central de l'audience d'orientation, ce qu'elle a au demeurant déjà entrepris récemment avec l'arrêt rendu le 19 février 2015 (7), dans lequel elle déclare que le montant de la mise à prix est irrévocablement fixé dans le jugement d'orientation. Il paraît cohérent de considérer, dès lors, que ce sont toutes les modalités de la vente qui sont définitivement arrêtées par le jugement d'orientation, tant le montant de la mise à prix, ce qui résulte de l'arrêt du 19 février 2015, que la forme de la vente, forcée ou amiable sur autorisation judiciaire.
(1) JCP éd. G. 2013, 101, obs. C. Gauchon.
(2) C. proc. civ. execution, art. L. 321-2, al. 1er (N° Lexbase : L5874IRY).
(3) C. proc. civ. execution, art. L. 321-2, al. 2.
(4) C. proc. civ. execution, art. L. 322-3 (N° Lexbase : L5881IRA) et 4 (N° Lexbase : L5882IRB) et art. R. 322-20 (N° Lexbase : L2439ITI) à 25.
(5) C. proc. civ. execution, art. R. 322-20, al. 1er (N° Lexbase : L2439ITI).
(6) C. proc. civ. execution, art. R. 322-17, in fine (N° Lexbase : L2436ITE).
(7) Cass. civ. 2, 19 février 2015, n° 14-13.786, F-P+B (N° Lexbase : A9966NBQ).
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