La lettre juridique n°607 du 2 avril 2015

La lettre juridique - Édition n°607

Éditorial

Voirie publique : du plaisir de contrevenir

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N6689BUB

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 02 Avril 2015


En attendant le Big Bang juridique et la publication de l'ordonnance portant réforme du droit des contrats ou celle de la loi "Macron" sur la chasse aux sorcières au coeur des métiers du droit -c'est selon-, qu'il nous soit permis de nous répandre sur plus léger, comme ces textes dernièrement publiés en matière de voirie publique, par exemple.

Le premier, du 19 mars 2015, suscite "une adhésion spontanée et consensuelle" -dirait le Conseil supérieur de l'audiovisuel- et vise à faciliter le stationnement des personnes en situation de handicap titulaires de la carte de stationnement ad hoc. L'objectif affiché de la loi vise à généraliser l'accès sans limitation de durée et avec un principe de gratuité lorsque celui-ci est payant dans les zones réglementées sur les emplacements de stationnement réservées aux titulaires de la carte de stationnement, afin de ne pas contraindre une personne ayant des difficultés de déplacements aux mêmes contraintes temporelles que les autres automobilistes, comme retourner à son véhicule garé sur une place adaptée pour recharger un horodateur, ou pour modifier un temps de stationnement sur un disque. Il s'en trouvera toujours quelques uns pour maugréer contre ce traitement de faveur, au nom de l'égalité pure et parfaite qui commande de traiter de manière identique des situations différentes -un mal français encore puissamment prégnant- : les handicapés ont déjà des places spécialement prévues à cet effet, voilà qu'ils vont bénéficier d'une exemption d'impôt supplémentaire en s'exonérant du ticket horodateur pour le peu de places mises à dispositions des automobilistes urbains -ce qui compenserait sans doute la baisse de leur allocation prévue au budget ?-. "Si tu prends ma place, prends mon handicap" clame la prévention routière ; c'est surtout la carte de stationnement qui intéressera les plus nauséeux. Un trafic existe déjà, dénoncé il y a près de 10 ans, et la loi ferait bien d'organiser un contrôle plus sévère que l'apposition de l'affichette plastifiée au derrière du pare-brise, si l'on veut que la mesure sociale soit du meilleur et du plus juste effet.

Le second, du 25 mars 2015, est lui relatif à l'abandon d'ordures et autres objets. Il vise l'amélioration de la répression à l'encontre des personnes portant atteinte à la propreté des espaces publics ; et pour ce faire, il aggrave l'amende encourue en cas d'abandon de détritus sur la voie publique. Ces faits sont actuellement punis de l'amende encourue pour les contraventions de la 2ème classe, soit 150 euros. Ils seront désormais punis de l'amende encourue pour les contraventions de la 3ème classe, soit 450 euros. Le décret maintient toutefois une amende de la 2ème classe en cas de non-respect de la réglementation en matière de collecte d'ordures, portant notamment sur les heures et jours de collecte ou le tri sélectif. La nouvelle contravention de 3ème classe pourra être constatée par les agents de police municipale et pourra faire l'objet d'une amende forfaitaire de 68 euros ou d'une amende forfaitaire majorée de 180 euros. Il permet également cette constatation et cette forfaitisation pour la contravention de la 4ème classe réprimant l'entrave à la libre circulation sur la voie publique, qui peut être constituée lorsque, du fait de leur importance, les ordures abandonnées entravent ou diminuent la liberté ou la sûreté de passage.

En son temps, certes antique, Héraclite estimait que "le plus bel arrangement est semblable à un tas d'ordures rassemblées au hasard" : mais il est vrai que le philosophe était atteint d'une mélancolie maladive et que l'on ne sait s'il s'agissait vraiment d'une magnificence des déchets ménagers ou la manifestation d'un spleen permanent...

Alors, il n'est pas certain que ce décret suscite, lui, "une adhésion spontanée et consensuelle" -gare aux spots sur la prévention sanitaire !-. J'exagère me diriez vous ? Nenni, il n'y a qu'à lire les gazettes parisiennes de ce mois de janvier 1884 et leurs commentaires fortement critiques sur l'arrêté le 24 novembre 1883 par lequel le préfet de la Seine, un certain Eugène Poubelle, obligeait les propriétaires parisiens à mettre à disposition à chacun de leurs locataires un récipient destiné aux ordures ménagères ; mieux à, déjà, faire le tri entre les différentes catégories de déchets selon leur capacité de recyclage -le mot n'existait pas, mais l'idée y était-. Pourquoi tant d'acharnement sur une cuve en bois doublée d'un intérieur métallique ? La corporation des -50 000 selon les journalistes, 12 000 selon la police administrative- chiffonniers dont le métier consistait justement à effectuer ce tri, récupérer à la volée les déchets remployables pour gratter quelques sous et survivre. Certains, au Figaro notamment, comme Georges Grison, n'hésiteront pas -prémices d'un journalisme dénonciateur - à parler de collusion entre, d'une part, une société fabriquant ces nouveaux conteneurs qui proposa le jour même de la publication de l'arrêté ses services aux concierges parisiens, une grande société anglaise de ramassage à roulette des ordures ménagères, et d'autre part, le dit préfet. Qui bono ?

De-ci, de-là, fleurissent les contentieux en matière de taxe ou de redevance relative à l'enlèvement des ordures ménagères au moyen d'arguments souvent les mêmes : l'opacité du coût de la délégation de service public, la réalité de l'exécution de la mission, sa fréquence etc.. Bref, si cela fait bien plus d'un siècle que l'urbain peine à gérer ses déchets, après avoir considéré la voie publique comme un dépotoir à ciel ouvert pendant des millénaires, la révolution socialisante de cette gestion et l'acceptation du coût qu'elle engendre n'est pas si évidente que cela. A l'heure où le tri sélectif n'est pas encore généralisé, bien qu'en forte progression, où les rues des grandes villes obligent parfois à un slalom diurne entre les sacs et conteneurs ménagers, le décret nouvellement publié marque au fer rouge les récalcitrants dont le défaut réside sans doute dans l'absence de pédagogie afférente. Il y a quelque chose de freudien à négliger ainsi nos déchets ménagers qui ne se résorbera pas à coup d'amende exagérée.

"Le déchet le plus facile à éliminer est celui que l'on n'a pas produit" : c'est sans doute cela la prochaine étape réglementaire en la matière.

newsid:446689

Actes administratifs

[Brèves] Conditions de communication de documents relatifs à un compte de campagne d'une élection présidentielle

Réf. : CE, Sect., 27 mars 2015, n° 382083, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6889NEU)

Lecture: 1 min

N6737BU3

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Le 03 Avril 2015

Saisi d'un pourvoi en cassation de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) contre un jugement du tribunal administratif de Paris enjoignant à la Commission de communiquer à une journaliste divers documents relatifs à un compte de campagne de l'élection présidentielle de 2007, le Conseil d'Etat a estimé, dans un arrêt rendu le 27 mars 2015, que la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978, relative à la communication des documents administratifs (N° Lexbase : L6533AG3), était applicable à ce litige, et que cette loi donnait effectivement le droit à un journaliste d'obtenir la communication des documents qu'ils demandaient (CE, Sect., 27 mars 2015, n° 382083, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A6889NEU). Le régime de communication des documents produits ou reçus par la CNCCFP ne se rattache pas directement aux modalités d'organisation et de contrôle de l'élection du Président de la République, et n'entre donc pas dans le domaine réservé par l'article 6 de la Constitution (N° Lexbase : L0832AHB) à la loi organique. En l'absence de toute autre disposition législative particulière traitant de cette question et dérogeant à la loi du 17 juillet 1978, le Conseil d'Etat en a déduit que le litige devait être réglé dans le cadre de cette loi. Rappelant ensuite que ce n'est qu'à partir de l'expiration du délai de recours contre la décision de la CNCCFP statuant sur les comptes d'un candidat ou, en cas de recours, à partir de la décision du Conseil constitutionnel, que la CNCCFP peut valablement être saisie d'une demande de communication, la Haute juridiction a constaté que c'était bien le cas en l'espèce. Comme, en outre, l'occultation des mentions nominatives contenues dans ces documents, dont la communication serait susceptible de porter atteinte à la protection de la vie privée des donateurs et qui sont divisibles du reste des mentions qu'ils contiennent, n'a pas eu pour effet d'en dénaturer le sens, dès lors, les requérants avaient effectivement droit, sur le fondement de la loi du 17 juillet 1978, à la communication des documents demandés.

newsid:446737

Avocats/Formation

[Brèves] Régime de spécialisation : la demande doit s'accomplir en conformité avec les modalités déterminées par le CNB

Réf. : Cass. civ. 1, 19 mars 2015, n° 14-13.794, F-P+B (N° Lexbase : A1818NE3)

Lecture: 1 min

N6649BUS

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Le 02 Avril 2015

La faculté offerte par l'article 50 II de la loi du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ) aux avocats titulaires d'une ou plusieurs mentions de spécialisation à la date d'entrée en vigueur de la loi du 28 mars 2011 (N° Lexbase : L8851IPI), devait s'accomplir en conformité avec les modalités déterminées par le Conseil national des barreaux (CNB), selon la table de concordance entre les anciennes et les nouvelles mentions de spécialisation établie par ce dernier. Telle est la solution dégagée par la première chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 19 mars 2015 (Cass. civ. 1, 19 mars 2015, n° 14-13.794, F-P+B N° Lexbase : A1818NE3). Dans cette affaire, Me M., avocat, titulaire de deux mentions de spécialisation en droit économique et droit international, a déposé auprès du CNB un dossier en vue d'obtenir, par équivalence, selon le régime provisoire prévu par les nouvelles dispositions de la loi n° 2011-331 du 28 mars 2011, deux certificats de spécialisation en droit des transports et droit de l'arbitrage. Le CNB n'a pas accueilli sa demande qui ne respectait pas les tables de concordances et n'était pas justifiée par sa pratique professionnelle. Me M. a formé un recours contre cette décision qui a été rejeté par la cour d'appel de Paris dans un arrêt du 12 décembre 2013 (CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 12 décembre 2013, n° 12/21579 N° Lexbase : A1963KR7). L'avocat a alors formé un pourvoi en cassation arguant que l'option pour un ou deux certificats de spécialisation procède d'un choix de l'avocat titulaire d'anciennes mentions de spécialisation, sur justification d'une pratique professionnelle effective dans le domaine revendiqué, qui ne peut être entièrement déterminé par les tables de concordance édictées au sein du CNB. En vain. En effet, la Haute juridiction, énonçant la solution précitée, approuve la cour d'appel d'avoir exactement retenu que la demande de Me M., qui tendait à l'obtention par équivalence de certificats de spécialisation dans des domaines différents de ceux dont elle était titulaire sous l'ancienne réglementation, ne pouvait être accueillie (cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E1691E7R).

newsid:446649

Avocats/Honoraires

[Jurisprudence] Conséquence de l'absence de convention d'honoraires dans une procédure de divorce

Réf. : CA Nîmes, 5 mars 2015, n° 14/04940 (N° Lexbase : A0433NDE)

Lecture: 6 min

N6658BU7

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par Jean Bouëssel du Bourg, Docteur en droit, ancien Bâtonnier, Avocat au barreau de Rennes

Le 02 Avril 2015

L'avocat qui omet de faire signer une convention d'honoraires dans une procédure de divorce peut-il réclamer des honoraires ? L'ordonnance, rendue le 5 mars 2015, par la cour d'appel de Nîmes, répond par l'affirmative en posant quelques limites. Il n'est pas si loin le temps où les avocats avaient interdiction de solliciter une provision, de se lier par des conventions d'honoraires et d'adresser une facture. La provision et la convention étaient censées faire perdre à l'avocat toute indépendance. Quant à la facture, c'était un acte de commerce vulgaire qu'un avocat ne pouvait en aucun cas envisager.

Les interdictions d'hier, qui pouvaient donner lieu à des poursuites disciplinaires, sont devenues aujourd'hui des obligations qui pourraient en principe, à leur tour, donner lieu à des sanctions en cas d'infraction ... Les temps changent !

L'avocat qui ne rédige pas de convention d'honoraires alors qu'il en a l'obligation ne commet-il pas un manquement à l'information et à la loyauté qu'il doit avoir avec son client ?

L'avocat qui perçoit des honoraires sans facture ne manque t-il pas à ses obligations comptables et fiscales ?

Le projet de loi "Macron" prévoit la généralisation de la convention d'honoraires. Mais la convention est, dès aujourd'hui, obligatoire en matière de divorce. L'article 10 de la loi du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ), modifié par la loi n° 2011-1862 du 13 décembre 2011, relative à la répartition des contentieux et à l'allègement de certaines procédures juridictionnelles (N° Lexbase : L3703IRL), l'affirme désormais.

Pour les autres procédures, l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971 dispose qu'en l'absence de convention, l'honoraire est fixé en fonction de six critères : les usages, la situation de fortune du client, la difficulté de l'affaire, les frais exposés, la notoriété de l'avocat et les diligences effectuées.

L'absence de convention ne dispense pas l'avocat de l'obligation d'informer, dès sa saisine, du coût de son intervention et des modalités de règlement. Cette obligation figure à l'article 11-2 du RIN (N° Lexbase : L4063IP8).

Que faut-il penser d'une telle obligation ? Demander à un avocat de faire une convention d'honoraires précise est parfois une mission difficile. Comment savoir à l'avance si le contradicteur va développer un moyen qui nécessitera d'importantes recherches ? Comment savoir si le juge décidera d'ordonner une expertise ? Comment savoir si un appel va intervenir ? Autant demander à un architecte de chiffrer le coût d'une maison sans savoir si elle aura six ou dix pièces, un ou deux étages...

L'obligation de rédiger une convention peut se concevoir dans un système de tarif tel qu'il existait au temps des avoués ou tel qu'il existe en Allemagne. Le tarif permet d'équilibrer le coût des prestations en appliquant un forfait. La convention d'honoraires ne le permet pas car elle est sujette à négociation et le justiciable n'acceptera pas de payer un montant supérieur aux diligences qui sont entrevues.

Mais le tarif n'est pas à la mode. Nos lois européennes s'y attaquent au nom de la libre concurrence. Et pourtant, paradoxalement, un tarif a en quelque sorte été rétabli avec la multiplication des dossiers d'aide juridictionnelle. Le barème imposé par l'Etat est bien une sorte de tarif indemnitaire même si les sommes reçues de l'Etat restent notoirement insuffisantes.

Généraliser les conventions d'honoraires ne va pas permettre de clarifier totalement les choses. Dans tous les dossiers complexes, la convention sera souvent basée sur le temps passé ; ce qui ouvrira toujours des discussions et des contestations.

Par ailleurs, si les conventions sont généralisées, quelle sera la sanction appliquée dans le cas ou l'avocat aura oublié de signer une convention ? Sera-t-il privé de ses honoraires ?

C'est la question qui était posée au premier président de la cour d'appel de Nîmes. Son délégué vient d'y répondre par une ordonnance du 5 mars 2015.

Dans l'espèce qui était soumise à l'appréciation du premier président, un avocat avait omis de rédiger la convention d'honoraire obligatoire en matière de divorce. Il avait cependant clairement indiqué quel serait le coût de son intervention jusqu'à l'ordonnance de non conciliation mais il n'avait pas clairement indiqué quel serait le coût de son intervention après cette ordonnance. Il avait toutefois facturé 1 000 euros pour les prestations postérieures à cette ordonnance. Le justiciable avait changé d'avocat et contestait la facturation prétendant que les 1 000 euros ne correspondaient pas à un travail effectif.

Le juge d'appel aurait pu se contenter de répondre que l'avocat ne rapportait pas la preuve du travail effectué après l'ordonnance de non conciliation pour refuser l'honoraire demandé. Il va beaucoup plus loin en posant plusieurs principes :

- le Bâtonnier ne peut qu'arbitrer le montant des honoraires, il ne peut les moduler en tenant compte d'erreurs ou de fautes commises par l'avocat car il n'est pas juge de la responsabilité ;

- il peut, en revanche, tirer toutes conséquences du défaut d'information ;

- l'absence de convention ne prive pas l'avocat défaillant de son droit à honoraires mais commande que la juridiction fasse une analyse poussée du travail réalisé et des renseignements qui ont été donnés au justiciable tant sur les diligences qui seraient entreprises que sur le montant des honoraires correspondants.

Le premier président constate que les informations données jusqu'à l'ordonnance de non conciliation ont été loyales et qu'en conséquence les honoraires facturés jusqu'à cette ordonnance restent bien dus. Il estime, en revanche, que les informations données après cette décision ne sont pas claires et qu'en conséquence l'avocat doit être privé des honoraires facturés après l'ordonnance car ils ne sont pas explicitement causés.

Ces principes posés sont-ils fondés ?

Il est constant que le juge de l'honoraire ne peut pas se prononcer sur la responsabilité de l'avocat et tenir compte des fautes de l'avocat pour réduire sa rémunération. C'est ce qui a été jugé par la Cour de cassation (Cass. civ. 1, 29 février 2000, n° 97-17.487 N° Lexbase : A3898A7I, Bull. civ. I, n° 67).

On peut regretter qu'un travail bâclé ou inutile puisse donner lieu à une facturation mais, sur ce point, le principe rappelé par le conseiller désigné par le premier président est conforme à la jurisprudence de la Haute cour.

Le premier président estime, en revanche, qu'il a le pouvoir de tirer toute conséquence d'un défaut d'information. Et il décide de refuser les honoraires demandés pour des prestations qui n'ont pas fait l'objet d'une information préalable claire.

Cette motivation est discutable car elle est contraire au principe posé par la Cour de cassation. La juridiction qui arbitre le montant des honoraires d'avocat n'a compétence que pour fixer le montant des honoraires en vertu de l'article 174 du décret du 27 novembre 1991, organisant la profession d'avocat (N° Lexbase : L8168AID).

Le défaut d'information peut en théorie donner lieu à une sanction disciplinaire puisqu'il constitue une violation du RIN. Il peut donner lieu à une action en responsabilité s'il est la source d'un préjudice mais le juge de l'honoraire n'est pas le juge de la responsabilité, il n'a pas compétence pour sanctionner l'avocat en limitant ses honoraires au motif qu'il a manqué à son obligation d'information.

En revanche, l'avocat qui ne produit pas de convention d'honoraires, ne peut pas prouver qu'il a bien reçu mandat pour effectuer des diligences mais, là encore, il s'agit d'une question de preuve de l'étendue de la mission donnée à l'avocat et cette question échappe au juge de l'honoraire dont le seul rôle est de fixer le montant dû à l'avocat pour les diligences alléguées et prouvées. La Cour de cassation l'a rappelé dans un arrêt du 8 septembre 2005 (Cass. civ. 2, 8 septembre 2005, n° 04-10.553, FS-P+B N° Lexbase : A4475DKX, Bull. civ. II, n° 214)

Le seul moyen dont disposait le juge pour refuser l'honoraire demandé était de constater que la preuve de l'exécution des diligences facturées n'était pas rapportée.

En l'espèce, le juge estime que l'absence de convention ne permet pas d'établir la preuve de l'exécution des diligences facturées. Or, la seule absence de convention ne permet pas de justifier qu'il n'y a pas eu de diligences. Il aurait été préférable d'indiquer seulement que l'avocat ne rapportait pas la preuve de ses diligences.

Le premier président souligne par ailleurs que l'absence de convention ne permet pas de priver l'avocat de ses honoraires.

Cette affirmation parait justifiée. Il existe des obligations de convention écrites qui ne sont assorties d'aucune sanction. Le bail rural écrit est en principe obligatoire mais l'absence d'écrit n'entraîne pas sa nullité.

L'absence de convention d'honoraires pose seulement un problème de preuve et implique que les honoraires soient taxés à partir des six critères posés par l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971.

En définitive, en l'absence de convention d'honoraires, l'avocat se prive de preuves : preuve de son mandat, preuve de l'exécution de son obligation d'information, preuve d'un accord sur un montant d'honoraires. La convention est donc très utile. Mais s'il ne signe pas de convention, il ne peut pas être privé pour autant de toute rémunération s'il établit qu'il a effectué des diligences.

newsid:446658

Avocats/Honoraires

[Brèves] Action en fixation d'honoraires lorsque le client personne physique a eu recours à l'avocat à des fins n'entrant pas dans le cadre d'une activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale : prescription biennale

Réf. : Cass. civ. 2, 26 mars 2015, deux arrêts, n° 14-11.599, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A4643NEP) et n° 14-15.013, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A4644NEQ)

Lecture: 2 min

N6662BUB

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Le 02 Avril 2015

Est soumise à la prescription biennale de l'article L. 137-2 du Code de la consommation la demande d'un avocat en fixation de ses honoraires dirigée contre une personne physique ayant eu recours à ses services à des fins n'entrant pas dans le cadre d'une activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale. Tel est l'attendu de principe dégagé par la Cour de cassation dans deux arrêts rendus le 26 mars 2015 et destinés à la plus large publication (Cass. civ. 2, 26 mars 2015, deux arrêts, n° 14-11.599, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A4643NEP et n° 14-15.013, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A4644NEQ). Dans la première affaire (n° 14-11.599), un client a confié la défense de ses intérêts à un avocat dans de nombreuses instances de 1999 à 2008. A la suite d'un désaccord, l'avocat a saisi le Bâtonnier de son Ordre d'une demande en fixation de ses honoraires et la fin de non-recevoir tirée de la prescription d'une partie des honoraires a été soulevée. L'avocat fait grief à l'ordonnance rendue par le premier président (CA Versailles, 27 novembre 2013, n° 12/06798 N° Lexbase : A4892KQA) sur renvoi après cassation (Cass. civ. 2, 13 septembre 2012, n° 11-23.984, F-D N° Lexbase : A7564ISX) de ne pas accueillir sa demande de règlement d'un solde d'honoraires, arguant que les dispositions de l'article L. 137-2 du Code de la consommation (N° Lexbase : L7231IA3) ne sont pas applicables aux honoraires d'avocat, régis par l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971 modifiée (N° Lexbase : L6343AGZ), qui restent soumis aux dispositions de droit commun du Code civil. Le pourvoi sera rejeté par la Haute juridiction qui énonce la solution précitée dans un attendu de principe, ajoutant que le client personne physique est un consommateur lorsqu'il a recours à un avocat dans le cadre de la gestion de ses affaires personnelles. Dans la seconde affaire (n° 14-15.013), un avocat avait demandé à son client le paiement de ses honoraires et en raison du refus de ce dernier, avait saisi le Bâtonnier. Pour condamner le client à payer à l'avocat une certaine somme au titre des honoraires, l'ordonnance du premier président énonce, avant d'en fixer le montant, que la prescription de deux ans prévue par le Code de la consommation n'est pas applicable aux honoraires de l'avocat, lesquels bénéficient de la prescription quinquennale. L'arrêt sera censuré sur le double visa des articles L. 137-2 du Code de la consommation et 2224 du Code civil (N° Lexbase : L7184IAC). A contrario, serait soumise à la prescription quinquennale de l'article 2224 du Code civil la demande d'un avocat en fixation de ses honoraires dirigée contre une personne physique ayant eu recours à ses services à des fins entrant dans le cadre d'une activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale ou une personne morale (cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E2710E47).

newsid:446662

Commercial

[Brèves] Conformité à la Constitution du droit de présentation des greffiers des tribunaux de commerce

Réf. : Cons. const., décision n° 2015-459 QPC, du 26 mars 2015 (N° Lexbase : A4634NED)

Lecture: 1 min

N6661BUA

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Le 02 Avril 2015

Le terme "greffiers" figurant dans la première phrase du premier alinéa de l'article 91 de la loi du 28 avril 1816 sur les finances, qui permet aux greffiers des tribunaux de commerce titulaires d'un office de présenter à l'agrément du Garde des Sceaux, ministre de la Justice, des successeurs pourvu qu'ils réunissent les qualités exigées par les lois, est conforme à la Constitution. Tel est le sens d'une décision rendue le 26 mars 2015 par le Conseil constitutionnel (Cons. const., décision n° 2015-459 QPC, du 26 mars 2015 N° Lexbase : A4634NED), qui avait été saisi le 19 janvier 2015 d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par le Conseil d'Etat (CE 1° et 6° s-s-r., 16 janvier 2015, n° 385787, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9927M9K). Le Conseil a relevé que, s'ils participent à l'exercice du service public de la justice et ont la qualité d'officier public et ministériel nommé par le Garde des Sceaux, les greffiers des tribunaux de commerce titulaires d'un office exercent une profession règlementée dans un cadre libéral et n'occupent pas des "dignité, places et emplois publics" au sens de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 (N° Lexbase : L1370A9M). Il a donc écarté le grief tiré de ce que le droit reconnu au greffier du tribunal de commerce de présenter son successeur à l'agrément du Garde des Sceaux méconnaîtrait le principe d'égal accès aux dignités, places et emplois publics. Il a jugé le mot "greffiers" conforme à la Constitution.

newsid:446661

Consommation

[Brèves] Annonces de réduction de prix à l'égard du consommateur

Réf. : Arrêté du 11 mars 2015, relatif aux annonces de réduction de prix à l'égard du consommateur (N° Lexbase : L2037I8X)

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N6725BUM

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Le 03 Avril 2015

Un arrêté, relatif aux annonces de réduction de prix à l'égard du consommateur, a été publié au Journal officiel du 24 mars 2015 (arrêté du 11 mars 2015 N° Lexbase : L2037I8X). Ce texte remplace le précédent arrêté du 31 décembre 2008 (arrêté du 31 décembre 2008, relatif aux annonces de réduction de prix à l'égard du consommateur N° Lexbase : L5764ICH). Selon le nouveau texte, toute annonce de réduction de prix est licite sous réserve qu'elle ne constitue pas une pratique commerciale déloyale au sens de l'article L. 120-1 du Code de la consommation (N° Lexbase : L2522IBZ) et qu'elle soit conforme aux exigences du présent arrêté (art. 1er). Ainsi, lorsqu'une annonce de réduction de prix est faite dans un établissement commercial, l'étiquetage, le marquage ou l'affichage des prix réalisés conformément aux dispositions en vigueur doivent préciser, outre le prix réduit annoncé, le prix de référence qui est déterminé par l'annonceur et à partir duquel la réduction de prix doit être annoncé (art. 2). En outre, il est prévu que lorsque l'annonce de réduction de prix est d'un taux uniforme et se rapporte à des produits ou services parfaitement identifiés, cette réduction peut être faite par escompte de caisse. Dans ce cas, cette modalité doit faire l'objet d'une information, l'indication du prix réduit n'est pas obligatoire et l'avantage annoncé s'entend par rapport au prix de référence (art. 3). Enfin, l'annonceur doit pouvoir justifier de la réalité du prix de référence à partir duquel la réduction de prix est annoncée (art. 4).

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Discrimination et harcèlement

[Brèves] CJUE : impossibilité pour une compagnie aérienne d'interdire à un salarié, ayant atteint l'âge de soixante-cinq ans, d'intervenir en tant que pilote ou instructeur

Réf. : CJUE, 5 juillet 2017, aff. C-190/16 (N° Lexbase : A7459WLT)

Lecture: 2 min

N9297BWA

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par Aurélia Gervais

Le 13 Juillet 2017

Le point FCL.065, sous b), de l'annexe I du Règlement n° 1178/2011 du 3 novembre 2011, déterminant les exigences techniques et les procédures administratives applicables au personnel navigant de l'aviation civile (N° Lexbase : L2694I4K), dont aucun élément n'est de nature à affecter sa validité, au regard de l'article 15, paragraphe 1, ou de l'article 21, paragraphe 1, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (N° Lexbase : L8117ANX), doit être interprétée en ce sens qu'il n'interdit au titulaire d'une licence de pilote ayant atteint l'âge de soixante-cinq ans, ni d'intervenir en tant que pilote dans des vols à vide ou des vols de convoyage, effectués dans le cadre de l'activité commerciale d'un transporteur, sans transport de passagers, de fret ou de courrier, ni d'exercer en tant qu'instructeur et/ou examinateur à bord d'un aéronef, sans faire partie de l'équipage de conduite de vol. Telle est la solution retenue, le 5 juillet 2017, par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE, 5 juillet 2017, aff. C-190/16 N° Lexbase : A7459WLT).

En l'espèce, en octobre 2013, un commandant de bord, employé dans une compagnie aérienne établie en Allemagne, a atteint l'âge de soixante-cinq ans. Son contrat de travail a expiré au motif qu'il avait atteint l'âge d'admissibilité à une pension de retraite ordinaire dans le cadre du régime public de retraite, conformément à la Convention collective applicable. La compagnie aérienne a fait valoir qu'en application du point FCL.065, sous b), de l'annexe I du Règlement n° 1178/2011 du 3 novembre 2011, le commandant de bord n'avait plus, à partir de ladite date, le droit d'agir en tant que pilote dans le transport aérien commercial.

Le salarié a soulevé, devant la juridiction interne allemande, l'illégalité du refus de la compagnie aérienne de l'employer en tant que pilote et a demandé la condamnation de celle-ci au versement des rémunérations afférentes aux mois de novembre et décembre 2013. La juridiction interne a sursis à statuer, afin de poser une question préjudicielle à la CJUE, portant sur la validité et l'interprétation de ces dispositions.

La CJUE en déduit, qu'aucun élément n'est de nature à affecter la validité du point FCL.065, sous b), de l'annexe I du Règlement n° 1178/2011 du 3 novembre 2011, et ajoute que ce dernier doit être interprétée selon la règle susvisée (cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E2589ET3).

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Fiscalité du patrimoine

[Jurisprudence] Quand la CJUE arbitre le match sur la qualification des prélèvements sociaux !

Réf. : CJUE, 26 février 2015, aff. C-623/13 (N° Lexbase : A2333NCE)

Lecture: 12 min

N6683BU3

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par Frédéric Subra, Avocat associé au sein du cabinet Delsol Avocats

Le 02 Avril 2015

Par sa décision du 26 février 2015 (CJUE, 26 février 2015, aff. C-623/13), la Cour de justice de l'Union européenne tranche la question de la qualification des prélèvements sociaux (CSG, CRDS, prélèvement social, contribution additionnelle au prélèvement social) appliqués aux revenus du patrimoine et, par voie de conséquence, leur application lorsque le contribuable relève d'un régime de Sécurité sociale prévu par un autre Etat de l'Union. On sait que le Conseil constitutionnel et le Conseil d'Etat ont, à plusieurs reprises, rappelé que lesdits prélèvements doivent être considérés comme des "impositions de toutes natures" visées à l'article 34 de la Constitution (N° Lexbase : L0860AHC), dès lors que le redevable ne bénéficie, en contrepartie, d'aucune prestation ou avantage servis par un régime de sécurité sociale (en ce sens, Cons. const., 28 décembre 1990 , n° 90-285 DC N° Lexbase : A8228ACQ, Cons. const., 19 décembre 2000, n° 2000-437 DC N° Lexbase : A1162AIU, Cons. const., 9 août 2012, n° 2012-654 DC N° Lexbase : A4218IRN, CE 3° et 8° s-s-r., 7 janvier 2004, n° 237395, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A6765DAS).

La Cour de cassation, pour sa part, a posé le principe de la double nature de la CSG qui constitue un impôt au sens de la législation française et une cotisation sociale dans le cadre de l'application de la législation communautaire (Cass. soc., 31 mai 2012, n° 11-10.762, FS-P+B N° Lexbase : A5266IMY).

La Cour suprême a suivi en cela la jurisprudence de la CJUE sur l'application des prélèvements sociaux aux revenus d'activités jugée contraire aux dispositions de l'article 13 du Règlement (CEE) n° 1408/71 du 14 juin 1971 (N° Lexbase : L4570DLT) qui prévoient l'assujettissement à une législation sociale unique des travailleurs migrants. Dans une décision du 15 février 2000, les juges européens ont, en effet, estimé que les ressortissants communautaires résidant en France mais qui, en raison d'une activité professionnelle dans un autre Etat membre, revêtent la qualité d'assuré au regard de la seule législation de l'Etat d'emploi, sont grevés, pour les revenus afférents à leur activité professionnelle, non seulement des charges sociales découlant de l'application de la législation de ce dernier Etat, mais également des charges sociales, à savoir la CGS, résultant de l'application de la législation de leur Etat de résidence (CJCE, 15 février 2000, aff. C-34/98 N° Lexbase : A2802ATX).

On attendait donc avec impatience de connaître la position de la Cour de Luxembourg sur l'assujettissement des revenus patrimoniaux (revenus fonciers, revenus mobiliers, plus-values mobilières et immobilières) aux prélèvements sociaux, lorsque le contribuable cotise déjà dans un autre Etat membre de l'Union européenne à un régime obligatoire de sécurité sociale.

Telle était la situation de requérant : ressortissant néerlandais domicilié en France, il était employé par une société néerlandaise. Au titre des années 1997 à 2004, l'intéressé avait déclaré en France des salaires de source néerlandaise, des revenus mobiliers, des bénéfices industriels et commerciaux, ainsi que des rentes viagères à titre onéreux versées par deux sociétés d'assurances néerlandaises. L'administration fiscale a considéré que les rentes viagères à titre onéreux perçues par le requérant constituaient des revenus du patrimoine et assujetti l'intéressé, à raison de celles-ci, à des cotisations de CSG, CRDS, prélèvement social de 2 % et la contribution additionnelle de 0,3 % à ce prélèvement.

Contestant cet assujettissement comme contraire au principe de l'unicité de la législation sociale applicable, le contribuable a alors saisi, après rejet de sa réclamation, les tribunaux administratifs de Marseille et de Nîmes, puis la cour administrative d'appel de Marseille. Cette dernière, par un arrêt du 15 octobre 2009 (CAA Marseille, 15 octobre 2009, n° 06MA01101 N° Lexbase : A8975EMD), a fait droit aux demandes du requérant, estimant que l'assujettissement des rentes viagères aux impositions litigieuses méconnaissait le principe de libre circulation des travailleurs institué par l'article 39 du Traité CE (N° Lexbase : L5348BC3).

Saisi d'un pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat (CE 9° et 10° s-s-r., 17 juillet 2013, n° 334551, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A0026KK8) a considéré qu'il n'y avait pas atteinte au principe de libre circulation. En revanche, il a estimé, afin d'apprécier la portée de l'article 13 du Règlement (CEE) n° 1408/71, qu'il convenait de déterminer si les prélèvements sociaux présentaient un lien direct et pertinent avec certaines des branches de Sécurité sociale énumérées à l'article 4 dudit règlement et entraient ainsi dans le champ d'application de celui-ci. A cet égard, la Haute assemblée a constaté que ces prélèvements participaient effectivement au financement de régimes obligatoires français de sécurité sociale mais qu'au cas d'espèce, ils frappaient non des revenus d'activité ou de remplacements, mais des revenus du patrimoine du contribuable concerné, indépendamment de l'exercice par ce dernier d'une activité professionnelle et qu'ils étaient dépourvus de tout lien avec l'ouverture d'un droit à prestation ou un avantage servis par un régime de sécurité sociale. Ce faisant, le Conseil d'Etat rappelait sa jurisprudence qui qualifie de tels prélèvements d'impositions et non de cotisations de sécurité sociale au sens des dispositions constitutionnelles et législatives nationales.

Dans ces conditions, les juges du Palais Royal ont décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour de justice de l'Union européenne la question préjudicielle suivante :

"Des prélèvements fiscaux sur les revenus du patrimoine, tels que la CSG sur les revenus du patrimoine, la CRDS assise sur ces mêmes revenus, le prélèvement social de 2 % et la contribution additionnelle à ce prélèvement, présentent-ils, du seul fait qu'ils participent au financement de régimes obligatoires de sécurité sociale un lien direct et pertinent avec certaines des branches de sécurité sociale énumérées à l'article 4 du Règlement n° 1408/71 et entrent-ils dans le champ de ce Règlement ?".

Par sa décision du 26 février 2015, la Cour de justice de l'Union européenne répond par l'affirmative aux magistrats français (I), réponse dont il convient de mesurer la portée (II).

I - Les prélèvements sociaux applicables aux revenus du patrimoine et l'application du Règlement (CEE) n° 1408/71

Ainsi que l'a rappelé l'Avocat général, Madame Eléanor Sharpston, dans ses conclusions sous la décision présentement commentée, "le Règlement n° 1408/71 met en place un système de coordination portant, notamment, sur la détermination de la ou des législations applicables aux travailleurs salariés et non-salariés qui font usage, dans différentes circonstances, de leur droit à la libre circulation. Le Règlement n° 1408/71 doit être interprété à la lumière de l'objectif poursuivi par l'article du Traité sur lequel il est fondé (TFUE, art. 48 N° Lexbase : L2696IPK), qui est de contribuer à l'établissement d'une liberté de circulation des travailleurs migrants aussi complète que possible".

Ainsi, ce Règlement vise à garantir au mieux l'égalité de traitement de toutes les personnes qui mènent une activité économique sur le territoire d'un Etat membre et à ne pas pénaliser les travailleurs qui exercent leur droit à la libre circulation.

Dans sa décision du 26 février 2015, la Cour de justice de l'Union européenne rappelle en premier lieu que l'article 4 de ce Règlement détermine le champ d'application de ses dispositions en des termes qui font apparaître que sont soumis à l'application des règles du droit de l'Union les régimes de sécurité sociale dans leur intégralité, l'élément déterminant résidant dans le lien direct et suffisamment pertinent, que doit présenter la disposition en cause avec les lois qui régissent les branches de sécurité sociale énumérées audit article 4 (en ce sens, CJCE, 15 février 2000, aff. C-34/98, précité). De ces principes découlent trois conséquences mises en exergue par l'arrêt commenté :

- la circonstance qu'un prélèvement soit qualifié d'impôt par la législation nationale n'exclut pas que ce même prélèvement puisse être regardé, à l'aune du Règlement n° 1408/71, comme relevant de son champ d'application ;

- est sans influence sur la solution le fait que le prélèvement en cause soit en partie destiné à apurer une dette du régime de sécurité sociale occasionnée par le financement de prestations de services dans le passé ni même, par le fait que ledit prélèvement ne vise pas à se substituer à des cotisations sociales ayant auparavant existé. Les conclusions de l'avocat général sont, sur ce point, éclairantes : "de manière plus fondamentale, il me semble qu'en principe, la réponse à la question de savoir si le Règlement n° 1408/71 s'applique à une contribution perçue par un Etat membre ne devrait pas dépendre de la nature des cotisations sociales perçues par cet Etat membre dans le passé. L'objectif de coordination qui est poursuivi par le Règlement n° 1408/71 serait compromis si ce dernier régissait uniquement les charges qui ont été introduites pour remplacer des cotisations sociales existantes" (point 31).

- est pareillement dépourvue de pertinence l'existence ou l'absence de contrepartie en termes de prestations servies au contribuable.

La Cour de Luxembourg répond alors, pour la rejeter, à l'argumentation de fond soulevée par le Gouvernement français, à savoir que le Règlement n° 1408/71 serait inapplicable à des contributions perçues sur des revenus qui ne sont pas liés à l'exercice d'une activité professionnelle. Pour ce faire, les juges développent un raisonnement en trois temps.

Premier temps, il est incontestable que le produit des prélèvements sociaux en cause est affecté directement et spécifiquement au financement de certaines branches de sécurité sociale en France ou à l'apurement des déficits de ces dernières. Dès lors, ils présentent un lien direct et suffisamment pertinent avec les lois qui régissent les branches de sécurité sociale énumérées à l'article 4 du Règlement n° 1408/71, indépendamment de l'absence de relation entre les revenus du patrimoine des personnes assujetties et l'exercice d'une activité professionnelle par ces dernières. Dans ses conclusions, Madame Eléanore Sharpston avait déjà indiqué que "l'exercice (actuel ou antérieur) d'une activité professionnelle est sans importance pour ce qui est du point de savoir si une personne relève de ce Règlement" (point 41). L'élément déterminant pour l'application du Règlement n° 1408/71 est le fait qu'une personne soit assurée, de manière obligatoire ou facultative, contre un ou plusieurs risques dans le cadre d'un régime général ou particulier de sécurité sociale.

Deuxième temps, la notion de législation au sens de l'article 1er du Règlement n° 1408/71 se caractérise par son contenu large, englobant tous les types de mesures législatives, réglementaires et administratives adoptées par les Etats membres. Et la Cour de s'appuyer sur l'objectif poursuivi par le Règlement qui est d'assurer la libre circulation des travailleurs par un système de coordination complet permettant de régler les conflits entre législations sociales des Etats membres. Un tel mécanisme, par sa nature même, enlève tout pouvoir d'appréciation aux Etats membres pour fixer l'étendue et les conditions d'application de sa législation nationale. Ainsi, le principe d'unicité de la législation sociale consacré par l'article 13 du Règlement n° 1408/71 s'oppose à toute législation nationale qui appliquerait ses cotisations aux revenus, liés ou non à une activité professionnelle, d'un assujetti soumis, par ailleurs, à la législation sociale d'un autre Etat membre. En juger autrement serait méconnaître ledit principe en créant des distorsions dans l'application de l'article 13 du Règlement en fonction de l'origine des revenus des intéressés.

Troisième et dernier temps, le fait que les revenus en cause ne soient pas assujettis aux cotisations sociales dans l'Etat dont relève le contribuable en matière de sécurité sociale est dépourvu de toute pertinence, au nom encore une fois du principe d'unicité de la législation sociale énoncé par l'article 13 du Règlement n° 1408/71. Citons une nouvelle fois les conclusions de l'Avocat général : "il est exact que la perception de contributions sociales sur les mêmes revenus dans plus d'un Etat membre est visée par cette disposition. Le champ d'application de cette dernière n'est cependant pas limité à un tel cas de figure. Dès lors qu'une personne relève du champ d'application du Règlement n° 1408/71, la règle du non-cumul des régimes, qui figure à l'article 13, paragraphe 1, est une règle absolue qui souffre uniquement les exceptions prévues aux article 14 quater et 14 septies" (point 56).

La réponse de la Cour de Luxembourg est sans ambiguïté : la règle de l'unicité de la législation sociale s'oppose à toute contribution, qu'elle soit qualifiée d'impôt ou de cotisation sociale par la législation d'un Etat, que celui-ci envisagerait d'appliquer aux revenus, professionnels ou non, perçus par le résident d'un Etat membre de l'Union européenne qui relève, conformément aux dispositions de l'article 13 du Règlement de 1971, de la législation sociale d'un autre Etat de l'Union.

Si cette décision est sans conteste d'importance, il reste à en mesure la portée.

II - La portée de la décision du 26 février 2015

On sait que l'article 29 de la loi n° 2012-958 du 16 août 2012, de finances rectificative pour 2012 (N° Lexbase : L9357ITQ), a étendu les prélèvements sociaux aux revenus fonciers et plus-values immobilières réalisés par les personnes physiques qui ne sont pas domiciliées en France au sens de l'article 4 B du CGI (N° Lexbase : L1010HLY).

A l'évidence, la situation visée n'est pas celle portée à la connaissance de la Cour de justice de l'Union européenne.

Ainsi, le jour même où a été rendu l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne, le ministère de l'Economie et des Finances a publié un communiqué aux termes duquel il rappelle que la situation jugée concernait un résident fiscal français soumis à la CSG au titre de revenus patrimoniaux néerlandais et reporte à la décision du Conseil d'Etat l'adaptation législative qui se révèlerait, le cas échéant, nécessaire (communiqué de presse n° 210, 26 février 2015).

De là à penser que le Gouvernement entend maintenir l'assujettissement des non-résidents aux prélèvements sociaux sur les revenus fonciers et plus-values immobilières, il n'y a qu'un pas... qu'il serait mal conseillé d'opérer.

Les termes de la décision de la Cour de justice de l'Union européenne sont particulièrement clairs : la règle d'unicité de la législation sociale visée à l'article 13 du Règlement n° 1408/71 s'oppose à ce que non-résidents qui relèvent d'un régime d'assurance prévu par leur Etat de résidence puissent être soumis à des contributions sociales dans un autre Etat de l'Union sur des revenus qu'ils y réalisent. Peu importe, à cet égard, que lesdits revenus ne soient pas liés à une activité professionnelle mais proviennent de la gestion d'un patrimoine immobilier ou qu'ils ne soient pas soumis aux prélèvements sociaux dans l'Etat de résidence de l'intéressé.

Au-delà de l'espèce jugée le 26 février 2015, les principes énoncés par la Cour de justice de l'Union européenne marquent l'arrêt de mort des dispositions issues de l'article 29 de la loi n° 2012-958. Et la pierre tombale pourrait être prochainement scellée par les actions lancées par la Commission européenne à l'encontre de la France sur la conformité au droit de l'Union européenne de l'application des prélèvements sociaux aux revenus patrimoniaux et de placement.

Errare humanum est, perseverare diabolicum !

On soulignera, en revanche, que la solution donnée par la Cour de justice de l'Union européenne ne devrait pas s'étendre au-delà des personnes susceptibles de revendiquer le bénéfice du Règlement n° 1408/71, à savoir les résidents des Etats de l'Union, de Norvège, du Lichtenstein et d'Islande. Il devrait en être de même des personnes fiscalement domiciliées en Suisse en vertu de l'accord sur la libre circulation des personnes signée entre l'Union européenne et la Suisse. En revanche, sauf modification législative, les résidents des Etats tiers devraient rester soumis aux prélèvements sociaux sur leurs revenus fonciers et plus-values immobilières de source française.

Enfin, si le Règlement de 1971 ne vise que les personnes physiques exerçant une activité professionnelle, les personnes inactives, qui ne sont pas fiscalement domiciliées en France, devraient également pouvoir se prévaloir de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne, le raisonnement de la Cour s'appliquant mutatis mutandis au Règlement (CE) n° 883/2004 du 29 avril 2004 (N° Lexbase : L7666HT4) qui retient pour celles-ci, outre le principe d'unicité la règle d'application de la législation de l'Etat de résidence (Règlement (CE) n° 883/2004, art. 11).

Attention toutefois au délai de recours laissé aux non-résidents pour contester l'application des prélèvements sociaux qui expire le 31 décembre de la seconde année suivant, selon le cas, celle de la mise en recouvrement du rôle, de la notification d'un avis de mise en recouvrement, ou du versement de l'impôt contesté (LPF, art. R. 196-1 N° Lexbase : L4380IXI) (1). Ainsi, est-il encore possible de faire une réclamation au titre des revenus fonciers et plus-values immobilières réalisés en 2012, dès lors que la décision du 26 février 2015 ne tranche pas ce cas.

Mesdames, Messieurs les non-résidents, à vos plumes ! Il est temps d'écrire l'épitaphe des prélèvements sociaux appliqués à vos revenus patrimoniaux et de placement de source française.


(1) Dans la mesure où l'arrêt du 26 février 2015 ne tranche pas la question de l'application des prélèvements sociaux aux non-résidents et aussi longtemps qu'une décision de justice n'est pas intervenue sur ce point précis, le délai de réclamation prévu à l'article L. 190 du LPF (N° Lexbase : L9530IYM) pour les actions fondées sur la non-conformité de la règle de droit à une règle de droit supérieure révélée par une décision juridictionnelle ou par un avis rendu au contentieux, ne devrait pas trouver à s'appliquer. Rappelons que ce délai est de deux ans à compter de la mise en recouvrement de l'impôt ou de versement de l'impôt contesté.

newsid:446683

Fonction publique

[Brèves] Conformité au droit de l'Union européenne des avantages de pension liés au congé de maternité maintenus à titre transitoire par le législateur français

Réf. : CE, Ass., 27 mars 2015, n° 372426, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6888NET)

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N6740BU8

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Le 07 Avril 2015

Dans un arrêt rendu le 27 mars 2015, le Conseil d'Etat estime que les avantages de pension octroyés aux fonctionnaires ayant interrompu leur activité au moins deux mois pour s'occuper de leur enfant et qui ont été maintenus à titre transitoire par le législateur français sont conformes au droit de l'Union européenne (CE, Ass., 27 mars 2015, n° 372426, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A6888NET). Les avantages en question étaient la bonification d'un an par enfant, qui a été maintenue par le législateur pour les parents d'enfants nés avant 2004 et la faculté de départ anticipé pour les parents de trois enfants, dont l'extinction progressive a été actée par la loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010, portant réforme des retraites (N° Lexbase : L3048IN9). Le requérant estimait que ces avantages, dans leur rédaction postérieure à l'arrêt "Griesmar" (CJCE, 29 novembre 2001, aff. C-366/99 N° Lexbase : A5833AXC) étaient discriminatoires du fait qu'ils bénéficiaient systématiquement aux mères de famille ayant dû prendre un congé de maternité. La CJUE a récemment confirmé que ces dispositions bénéficient dans les faits à un nombre beaucoup plus élevé de femmes que d'hommes, mais a renvoyé au seul juge national le soin "de déterminer si et dans quelle mesure la disposition législative concernée est justifiée par un tel facteur objectif" (CJUE, 17 avril 2014, aff. C-173/13 N° Lexbase : A4746MUC). Le Conseil d'Etat estime, en l'espèce, que ce dispositif bénéficie effectivement davantage aux femmes qu'aux hommes mais il constate que, statistiquement, les femmes qui interrompent leur carrière, même ponctuellement, en raison des contraintes liées à la présence d'enfants au foyer bénéficient de pensions plus faibles que les hommes. L'intention du législateur étant de compenser partiellement, dans la mesure du possible, les retards et les préjudices de carrière dont les femmes ont été victimes et qui résultent d'une situation passée, le Conseil d'Etat a jugé que ces avantages ne constituaient pas des discriminations indirectes prohibées par le droit de l'Union européenne (cf. l’Ouvrage "Fonction publique" N° Lexbase : E0164EQ7).

newsid:446740

Impôts locaux

[Brèves] Possibilité pour l'administration de modifier les éléments concourant à la détermination de la valeur locative d'un logement devant servir de base à son imposition à la taxe foncière sur les propriétés bâties

Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 27 mars 2015, n° 374460, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6856NEN)

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N6676BUS

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Le 07 Avril 2015

Les dispositions des articles 1517 (N° Lexbase : L4565I79) et 1508 (N° Lexbase : L0289HMN) du CGI, relatives à la révision des valeurs locatives en fonction des changements pouvant affecter les propriétés bâties et des insuffisances d'évaluation résultant du défaut ou de l'inexactitude des déclarations souscrites par les contribuables, n'excluent pas, pour l'administration, le droit de modifier chaque année, si elle s'y croit fondée, les éléments concourant à la détermination de la valeur locative d'un logement devant servir de base à son imposition à la taxe foncière sur les propriétés bâties. Tel est le principe dégagé par le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 27 mars 2015 (CE 3° et 8° s-s-r., 27 mars 2015, n° 374460, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6856NEN). En l'espèce, selon le procès-verbal des opérations de la révision foncière de la commune de Hyères pour le secteur relatif à l'appartement du requérant, la catégorie 5 correspond à des locaux d'habitation dont l'architecture est sans caractère particulier, dotés de pièces de faible superficie, avec au minimum un cabinet de toilette et l'eau courante et exceptionnellement, du chauffage central, avec une impression d'ensemble qualifiée d'assez confortable. Par ailleurs, la catégorie 4 correspond à un bien de belle apparence, qui présente une habitabilité et une distribution des pièces satisfaisantes et des équipements usuels de confort. L'appartement du requérant, situé dans une construction de style classique dite "victorienne", dispose de deux WC particuliers, d'une baignoire, d'une douche et de deux lavabos, ainsi que de cinq pièces et de combles aménageables et d'un balcon de 5 mètres carrés. Selon le Conseil d'Etat, le tribunal administratif (TA Toulon, 7 novembre 2013 n° 1200344), qui a suffisamment motivé son jugement et n'a pas dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis, a justement estimé que l'appartement du requérant, qui était antérieurement classé dans la cinquième catégorie, pouvait être, au titre de l'année d'imposition en litige, classé dans la quatrième catégorie. Ainsi, il a porté sur les faits qui lui étaient soumis une appréciation souveraine qui, en l'absence de dénaturation, ne saurait être discutée devant le juge de cassation .

newsid:446676

Licenciement

[Jurisprudence] Flux et reflux des garanties conventionnelles de licenciement : que comprendre ?

Réf. : Cass. soc., 17 mars 2015, deux arrêts, n° 13-24.252, FS-P+B (N° Lexbase : A1849NE9) et n° 13-23.983, FS-P+B (N° Lexbase : A1756NER)

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N6709BUZ

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par Sébastien Tournaux, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux

Le 02 Avril 2015

La Chambre sociale de la Cour de cassation accorde depuis longtemps une grande importance aux garanties procédurales ajoutées aux règles légales par voie de convention collective de travail. La plupart de ces règles procédurales sont qualifiées de "garanties de fond", ce dont il découle que le manquement de l'employeur à ces obligations emporte l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement prononcé. Par deux arrêts rendus le 17 mars 2015, la Chambre sociale confirme que l'absence d'information des délégués du personnel du projet de licenciement, alors que cette information était exigée par le texte conventionnel, constitue le manquement à une garantie de fond (I). Quoiqu'il ne s'agisse que d'une simple confirmation, la solution sème à nouveau le doute, s'agissant de la justification de cette qualification. Alors que l'on pouvait comprendre, par le biais de décisions récentes, que celle-ci résultait d'une volonté de protéger les droits de la défense du salarié, les décisions commentées remettent insidieusement en question cette justification et pourraient s'appuyer sur d'autres considérations (II).
Résumé

1. Cass. soc., 17 mars 2015, n° 13-24.252, FS-P+B (N° Lexbase : A1849NE9) : l'article 03.01.6 de la Convention collective nationale des établissements privés d'hospitalisation, de soins, de cure et de garde à but non lucratif du 31 octobre 1951 (N° Lexbase : X0721AEG) institue une information des délégués du personnel préalable au licenciement disciplinaire qui, s'ajoutant aux formalités prévues par les dispositions de l'article 05.03.2 de la Convention collective relatives à la procédure disciplinaire, constituait une garantie de fond dont le non-respect privait le licenciement de cause réelle et sérieuse.

2. Cass. soc., 17 mars 2015, n° 13-23.983, FS-P+B (N° Lexbase : A1756NER) : l'information des délégués du personnel préalable au licenciement disciplinaire instituée par l'article 03.01.6 de la Convention collective des établissements privés d'hospitalisation, de soins, de cure et de garde à but non lucratif du 31 octobre 1951, qui s'ajoute aux formalités prévues par les dispositions de l'article 05.03.2 de la Convention collective relatives à la procédure disciplinaire, constitue une garantie de fond dont le non-respect prive le licenciement de cause réelle et sérieuse.

Commentaire

I - L'information des représentants du personnel prévue par convention collective, une garantie de fond

Garanties conventionnelles de licenciement disciplinaire : généralités. Sur le terrain disciplinaire, il existe principalement trois types de garanties conventionnelles qui améliorent les dispositions légales en faveur du salarié menacé de sanction (1).

Il peut, d'abord, s'agir de stipulations conventionnelles relatives au motif de licenciement, que l'on qualifie généralement de clauses de garantie d'emploi conventionnelles. Ces clauses exigent une justification accrue de l'employeur qui, par exemple, ne pourra procéder au licenciement qu'en cas de faute grave ou de faute lourde, et non en cas de faute sérieuse (2).

Ces stipulations peuvent, ensuite, exiger le respect de conditions préalables au prononcé du licenciement. Peuvent ainsi être prévues par les partenaires sociaux l'obligation de réunir et de consulter une commission de discipline avant le prononcé de la sanction (3), l'obligation de consulter les représentants du personnel de l'entreprise (4), l'obligation de réunir une commission de conciliation qui tentera de mettre fin au litige sans que la rupture du contrat de travail soit prononcée (5) ou encore celle d'informer par écrit le salarié, avant la convocation à l'entretien préalable, des motifs pour lesquels la sanction est envisagée (6).

Ces stipulations peuvent, enfin, aménager les règles relatives au prononcé de la sanction. Ainsi, par exemple, la lettre de licenciement doit parfois être contresignée par une autre personne que l'employeur (7), et les délais légaux de la procédure peuvent être aménagés afin de retarder le moment du prononcé du licenciement (8).

L'existence de ces aménagements conventionnels du licenciement fait, depuis longtemps, débat. Le plus souvent, la Chambre sociale les qualifie de garanties de fond, si bien que le manquement à ces stipulations est sanctionné par l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement prononcé (9). Or, il est parfois reproché à la Chambre sociale de ne pas convaincre quant à la distinction entre garanties procédurales et garanties de fond, les premières devant être sanctionnées plus légèrement que les secondes (10).

Pour tenter de comprendre cette distinction, ces protections conventionnelles doivent être mises en perspective des dispositions légales encadrant la procédure de licenciement et, en particulier, celles qui impliquent, comme dans les espèces commentées, l'intervention des représentants du personnel de l'entreprise.

L'implication des représentants du personnel dans la procédure de licenciement. En effet, les représentants du personnel sont parfois associés par le législateur à la procédure de licenciement.

Le comité d'entreprise ou, en son absence, la délégation du personnel, est ainsi associé à la procédure de licenciement pour motif économique, la sanction de cette absence de consultation consistant dans l'allocation de dommages et intérêts réparant le préjudice subi par le salarié concerné (11).

En cas d'inaptitude médicalement constatée du salarié en raison d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, les délégués du personnel doivent être consultés sur les propositions de reclassement que l'employeur doit présenter au salarié inapte avant tout licenciement, le manquement à cette obligation de consultation étant lourdement sanctionné par le versement d'une indemnité spéciale dont le montant ne peut être inférieur à douze mois de salaire (12).

Enfin, le licenciement de certains salariés protégés dans l'entreprise exige, avant l'introduction d'une demande d'autorisation de licencier auprès de l'inspection du travail, la consultation du comité d'entreprise (13).

L'implication des représentants du personnel dans d'autres hypothèses de licenciement est parfois prévue par une convention collective applicable à l'entreprise, quoiqu'il semble exister deux variantes. Les conventions collectives prévoient, parfois, la consultation du comité d'entreprise ou des délégués du personnel, ce qui implique de recueillir l'avis de l'instance visée (14). Au contraire, dans d'autres conventions, les représentants du personnel sont destinataires d'une simple information, sans être en mesure, en principe, de formuler un avis à son propos (15).

Les affaires. Dans les deux décisions sous examen, deux salariés étaient employés par des entreprises soumises à l'application de la Convention collective nationale des établissements privés d'hospitalisation, de soins, de cure et de garde à but non lucratif du 31 octobre 1951 (N° Lexbase : X0721AEG). Les salariés avaient été licenciés sans que les délégués du personnel des entreprises aient été informés du projet de licenciement, alors, pourtant, que l'article 03.01.6 de la Convention stipule que "les délégués du personnel sont informés des licenciements pour motif disciplinaire avant exécution de la décision".

Les deux décisions d'appel, rendues le même jour par la même juridiction composée de manière identique statuent étonnement dans des sens opposés. Dans la première affaire, la cour d'appel de Lyon juge que l'employeur avait manqué à l'obligation conventionnelle d'information des délégués du personnel, qu'il s'agissait d'une garantie de fond et que le licenciement était, par conséquent, dépourvu de cause réelle et sérieuse (16). Dans la seconde affaire, la même juridiction juge que le licenciement était justifié parce que la Convention collective se contentait de "subordonner la validité du licenciement disciplinaire, hors faute grave, au prononcé préalable de deux sanctions" (17).

La Chambre sociale rejette le pourvoi sur la première affaire mais l'accueille sur la seconde et casse la décision au visa de l'article 03.01.6 de la Convention de l'hospitalisation privée. La motivation des deux décisions est identique : "l'information des délégués du personnel préalable au licenciement disciplinaire instituée par l'article 03.01.6 de la Convention collective des établissements privés d'hospitalisation, de soins, de cure et de garde à but non lucratif du 31 octobre 1951, qui s'ajoute aux formalités prévues par les dispositions de l'article 05.03.2 de la Convention collective relatives à la procédure disciplinaire, constitue une garantie de fond dont le non-respect prive le licenciement de cause réelle et sérieuse".

II - A la recherche de la justification de la qualification de " garantie de fond "

La protection de droits de la défense en recul. Mal vécue par les entreprises et les organisations patronales qui aimeraient la voir être jugulée (18), la qualification de garantie de fond et la sanction afférente d'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement est généralement expliquée par un mouvement de substantialisation de la procédure de licenciement lorsque les éléments procéduraux en cause renforcent les droits de la défense du salarié (19).

A deux reprises au moins, la Chambre sociale de la Cour de cassation avait semblé adopter cette justification s'agissant de la qualification des garanties procédurales prévues par convention collective de travail : il s'agit de garantie de fond lorsqu'elles privent le salarié "de la possibilité d'assurer utilement sa défense" (20), parce qu'elles sont "de nature à éviter la mesure de licenciement" (21).

Cette justification paraît, pourtant, bien s'éloigner dans les deux décisions présentées. La consultation des représentants du personnel va bien dans ce sens, d'abord parce que l'employeur peut, au moins en théorie, être influencé par l'avis délivré par la délégation du personnel et, ensuite, parce que le salarié pourra tirer profit des arguments discutés entre l'employeur et les délégués du personnel pour se défendre lors de l'entretien préalable de licenciement. Il en va bien autrement de la simple information des délégués du personnel qui, faute qu'un droit de réponse leur soit reconnu (22), ne semble rien apporter à la défense du salarié.

Paradoxalement, le prononcé d'une sanction forte contre la violation d'une stipulation conventionnelle, qui peine à être classée parmi les mesures garantissant les droits de la défense, témoigne ainsi d'un recul de la protection des droits de la défense du salarié.

Il est, par ailleurs, frappant de constater, par comparaison, que les règles légales qui, nous l'avons vu, imposent la consultation des représentants du personnel avant certains licenciement, ne sont jamais sanctionnées par le législateur par l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement.

La solution n'est donc cohérente ni dans un sens, ni dans l'autre : soit il faudrait que la consultation imposée par la convention soit traitée comme les consultations imposées par la loi, soit il faudrait que le juge fasse produire des effets plus importants aux consultations imposées par le législateur, comme il avait eu l'audace de le faire s'agissant de l'absence de lettre de licenciement ou de l'imprécision des motifs notifiés dont il déduit l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement.

Une justification alternative : une qualification réservée aux garanties disciplinaires ? Quelle pourrait être la justification de la qualification de garantie de fond de cette obligation d'information des délégués du personnel ?

Un indice a peut-être été semé par la Chambre sociale lorsqu'elle rattache explicitement, dans les deux affaires, l'obligation conventionnelle prévue au sein de dispositions relatives aux prérogatives de la délégation du personnel aux règles de la convention situées dans une partie relative à la procédure disciplinaire. On a, ici, le sentiment que c'est l'existence de dispositions spécifiques en matière disciplinaire qui permet la qualification de garantie de fond de l'obligation d'information des délégués du personnel.

Il nous semble, toutefois, devoir espérer que cet indice n'en est pas un ! En effet, si la qualification de garantie de fond devait être rattachée au caractère disciplinaire des mesures procédurales, deux types de conséquences lourdes en découleraient.

D'abord, il serait alors admis que toute mesure procédurale puisse être qualifiée de garantie de fond dès lors qu'elle s'inscrit dans le cadre d'une procédure disciplinaire. Or, même si les exemples restent peu nombreux, il arrive encore que la Chambre sociale considère que certaines mesures ne constituent pas des garanties de fond et n'impliquent pas l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement (23). Faut-il craindre que ces exceptions disparaissent à court terme ? Dès lors que l'obligation serait stipulée par la convention et intéresserait la procédure disciplinaire, le manquement constituerait une garantie de fond (24).

Ensuite, il devrait être alors déduit de ce nouveau fondement que les protections procédurales accordées, en dehors du droit disciplinaire, ne peuvent plus être qualifiées de garantie de fond emportant l'absence de cause réelle et sérieuse de licenciement. La Chambre sociale jugeait encore récemment que l'entretien imposé en cas d'insuffisance professionnelle constituait une garantie de fond (25). Faut-il penser que ces garanties de fond extra-disciplinaires sont menacées (26) ?

En définitive, le rattachement aux droits de la défense semble plus raisonnable. Une règle procédurale devrait être qualifiée de garantie de fond dans deux situations : soit parce que le manquement à cette règle de procédure prive d'effet une condition de fond du licenciement (la forme déteint sur le fond, comme en l'absence de lettre de licenciement écrite qui empêche de s'assurer de l'existence d'une cause réelle et sérieuse) ; soit parce que le manquement à la règle procédurale porte atteinte à un droit ou une liberté fondamentale, ce qui est toujours le cas lorsque le salarié est privé d'une possibilité de se défendre. Si, très souvent, ces situations coïncident avec l'engagement d'une procédure disciplinaire, cela n'est pas systématiquement le cas.


(1) V. la synthèse de Ch. Varin, Les critères de la notion de "garantie de fond", JCP éd. S, 2013, 1356.
(2) Par ex., Cass. soc., 25 octobre 2005, n° 02-45.158, FS-P+B (N° Lexbase : A1451DLC) et les obs. de G. Auzero, De la nécessité de respecter les dispositions limitant le droit de licencier de l'employeur, Lexbase Hebdo n° 189 du 10 novembre 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N0487AKA).
(3) Cass. soc., 3 juin 2009, n° 07-42.432, FP-P+B (N° Lexbase : A6186EHL) et les obs. de G. Auzero, Mise en oeuvre des procédures conventionnelles de licenciement : de quelques distinctions autour de la notion de "garanties de fond", Lexbase Hebdo n° 355 du 18 juin 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N6572BKM).
(4) Cass. soc., 10 juillet 2013, n° 12-13.229, F-D (N° Lexbase : A8833KIY).
(5) Cass. soc., 27 juin 2012, n° 11-14.036, FS-P+B (N° Lexbase : A1398IQT) et les obs. de B. Gauriau, Procédure disciplinaire conventionnelle : entre garanties de fond et respect des droits de la défense !, Lexbase Hebdo n° 493 du 12 juillet 2012 - édition sociale (N° Lexbase : N2898BTI).
(6) Cass. soc., 9 janvier 2013, n° 11-25.646, FS-P+B (N° Lexbase : A0706I3K) et nos obs., Procédures conventionnelles de licenciement : des garanties de fond, mais pour combien de temps encore ?, Lexbase Hebdo n° 513 du 24 janvier 2013 - édition sociale (N° Lexbase : N5387BTP).
(7) Cass. soc., 5 avril 2005, n° 02-47.473, FS-P (N° Lexbase : A7523DH4), Bull. civ. V, n° 119 ; Dr. soc., 2005, p. 700, obs. G. Couturier.
(8) Cass. soc., 18 octobre 2006, n° 05-43.767, FS-P+B (N° Lexbase : A9741DR9).
(9) S. Frossard, La sanction de la violation d'une procédure disciplinaire conventionnelle, signe de la procéduralisation du droit du travail, D., 2001, p. 417.
(10) L. Dauxerre, L'aménagement conventionnel de la sanction in La sanction en droit du travail, éd. Panthéon-Assas/Lextenso, 2012, p. 51 ; nos obs., L'artifice de la sanction des garanties conventionnelles de licenciement, Dr. soc., 2013, p. 460.
(11) C. trav., art. L. 1235-12 (N° Lexbase : L1359H99). Ce comportement caractérise également l'élément matériel du délit d'entrave.
(12) C. trav., art. L. 1226-15 (N° Lexbase : L1035H99).
(13) Cela concerne le projet de licenciement d'un délégué du personnel, d'un membre du comité d'entreprise ou d'un membre du CHSCT, C. trav., art. L. 2421-3 (N° Lexbase : L0209H9M). Il semble, en outre, que les délégués du personnel ne puissent être consultés à titre subsidiaire en cas de défaut de comité d'entreprise, puisque l'article R. 2421-8 du Code du travail (N° Lexbase : L0048IAZ) dispose qu'en cas de carence, la demande d'autorisation est transmise directement à l'inspection du travail.
(14) Par ex., consultation des délégués du personnel imposée par l'article III 1.4 de la Convention collective des entreprises artistiques et culturelles (N° Lexbase : X0734AEW), v. Cass. soc., 10 juillet 2013, n° 12-13.229, F-D préc..
(15) Par ex., information des délégués du personnel imposée par l'article 9.3 de la Convention collective nationale des personnels de formation de l'enseignement agricole privé, v. Cass. soc. 21 janvier 2009, n° 07-41.788, FS-P+B+R, sur le premier moyen (N° Lexbase : A6458EC8).
(16) CA Lyon, 5 juillet 2013, n° 12/08019 (N° Lexbase : A6347KIW).
(17) CA Lyon, 5 juillet 2013, n° 12/08456 (N° Lexbase : A6531KIQ).
(18) V. l'article 24 de l'ANI du 11 janvier 2013 pour un nouveau modèle économique et social au service de la compétitivité des entreprises et de la sécurisation de l'emploi et des parcours professionnels des salaries (N° Lexbase : L9638IUI).
(19) S. Frossard, préc. ; Ch. Varin, préc..
(20) Par une interprétation a contrario de Cass. soc., 22 octobre 2014, n° 13-17.065, FS-P+B (N° Lexbase : A0438MZA).
(21) Cass. soc., 17 mai 2011, n° 09-72.843, FS-P+B (N° Lexbase : A2561HSN).
(22) Quoique l'on puisse bien sûr imaginer que, le plus souvent, un débat informel puisse s'instaurer, il n'y a aucune obligation de recueillir l'avis des délégués en cas de simple information.
(23) Par ex. : non-respect du délai conventionnel de saisine d'un organisme consultatif (Cass. soc., 3 juin 2009, n° 07-42.432, FP-P+B, N° Lexbase : A6186EHL) ; manquement de l'employeur à l'obligation d'indiquer par écrit au salarié les motifs de la mesure envisagée à son encontre (Cass. soc., 27 juin 2012, n° 11-14.036, FS-P+B, N° Lexbase : A1398IQT) ; absence de représentation du salarié devant la commission de discipline (Cass. soc., 22 octobre 2014, n° 13-17.065, FS-P+B, N° Lexbase : A0438MZA).
(24) A l'inverse, faute que l'accord collectif ne l'impose, il ne peut être reproché à l'employeur de ne pas avoir communiqué au salarié l'avis délivré par la commission de discipline, Cass. soc., 18 février 2014, n° 12-17.557, FS-P+B (N° Lexbase : A7628MEA) et nos obs., Garantie conventionnelle de licenciement : refoulement du concept de droits de la défense, Lexbase Hebdo n° 561 du 6 mars 2014 - édition sociale (N° Lexbase : N1106BUI).
(25) Cass. soc., 17 mai 2011, n° 09-72.843, FS-P+B (N° Lexbase : A2561HSN).
(26) Sur les différentes garanties de fond hors du domaine disciplinaire, v. Ch. Varin, préc..

Décisions

1. Cass. soc., 17 mars 2015, n° 13-24.252, FS-P+B (N° Lexbase : A1849NE9).

Rejet, CA Lyon, 5 juillet 2013, n° 12/08019 (N° Lexbase : A6347KIW).

2. Cass. soc., 17 mars 2015, n° 13-23.983, FS-P+B (N° Lexbase : A1756NER).

Cassation, CA Lyon, 5 juillet 2013, n° 12/08456 (N° Lexbase : A6531KIQ).

Texte concerné : Convention collective nationale des établissements privés d'hospitalisation, de soins, de cure et de garde à but non lucratif du 31 octobre 1951, art. 03.01.6 (N° Lexbase : X0721AEG).

Mots-clés : licenciement disciplinaire ; procédure conventionnelle ; information des délégués du personnel ; garantie de fond.

Lien base : (N° Lexbase : E9232ESQ).

newsid:446709

Notaires

[Brèves] Le droit de rétention exercé par le notaire sur les comptes d'une indivision au titre de ses honoraires impayés relève de la compétence du juge taxateur

Réf. : Cass. civ. 2, 26 mars 2015, n° 14-14.163, F-P+B (N° Lexbase : A6668NEP)

Lecture: 2 min

N6697BUL

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Le 02 Avril 2015

Au sens de l'article 8 du décret n° 78-262 du 8 mars 1978 (N° Lexbase : L8649H3Q), seul le juge taxateur, à l'exclusion du juge des référés, peut statuer sur la difficulté portant sur le droit de rétention exercé par le notaire sur le compte de la succession pour garantir le paiement de ses émoluments et honoraires. Tel est l'apport de l'arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 26 mars 2015 (Cass. civ. 2, 26 mars 2015, n° 14-14.163, F-P+B N° Lexbase : A6668NEP). En l'espèce, Mme B., notaire, a été chargée du règlement de la succession de M. F., décédé le 24 mai 2007, laissant pour lui succéder ses deux enfants, M. F. et M. J., mineur. Déchargé de sa mission par les héritiers, le notaire a sollicité de M. F. et de l'administratrice légale du fils mineur, le paiement d'une certaine somme au titre de ses honoraires. En l'absence d'accord de ses clients, le notaire les a informés qu'il faisait usage de son droit légal de rétention sur le solde créditeur du compte de l'indivision. Il en a résulté une action en référé des héritiers afin d'obtenir la remise du solde du compte de l'indivision, déduction faite de la somme réclamée par le notaire au titre de ses honoraires. Déboutés de leur demande, les héritiers se pourvoient en cassation. Ils soutiennent que la demande tendant au déblocage de fonds retenus par le notaire en application de l'article 8 du décret n° 78-262 du 8 mars 1978 ne relève pas de la compétence du juge taxateur lorsque les honoraires de celui-ci ne sont pas contestés. En décidant le contraire, la cour d'appel a violé le décret de 1978 et les articles 704 (N° Lexbase : L8993C8L) et 719 (N° Lexbase : L6926H7N) du Code de procédure civile. Cette argumentation est rejetée par la Cour de cassation, qui rappelant le principe énoncé, considère que le fait que la demande de déblocage ait porté sur des fonds détenus par le notaire déduction faite de la somme réclamée par lui au titre de ses honoraires, démontre l'existence d'un lien de connexité entre les honoraires réclamés et l'exercice du droit de rétention sur le solde créditeur de l'indivision.

newsid:446697

Pénal

[Brèves] Pas d'indemnisation du fait d'une infraction dont l'auteur bénéficie d'une cause d'irresponsabilité pénale

Réf. : Cass. civ. 2, 26 mars 2015, n° 13-17.257, F-P+B (N° Lexbase : A6819NEB)

Lecture: 2 min

N6715BUA

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Le 02 Avril 2015

Ne présentent pas le caractère matériel d'une infraction, au sens de l'article 706-3 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L6724IXC), les faits pour lesquels leur auteur bénéficie de la cause d'irresponsabilité pénale prévue par l'article 122-4, alinéa 1er, du Code pénal (N° Lexbase : L7158ALP), selon lequel n'est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte prescrit ou autorisé par des dispositions législatives ou réglementaires. La victime n'est dès lors pas recevable à demander une indemnisation dans ce cas. Telle est la solution retenue par un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, rendu le 26 mars 2015 (Cass. civ. 2, 26 mars 2015, n° 13-17.257, F-P+B N° Lexbase : A6819NEB). En l'espèce, le 23 mai 2008, M. M., gendarme, a fait usage de son arme de service, blessant à mort M. G., qui tentait de s'évader des locaux dans lesquels il était gardé à vue dans le cadre d'une procédure criminelle. Par arrêt du 1er décembre 2009, la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence a mis en accusation M. M. du chef de violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner, commises par une personne dépositaire de l'autorité publique dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, et l'a renvoyé devant la cour d'assises du Var. Par un autre arrêt du 17 septembre 2010, devenu définitif, la cour d'assises a acquitté M. M.. Le 25 janvier 2010, Mme G., mère de M. G., a saisi une commission d'indemnisation des victimes d'infractions aux fins d'indemnisation de son préjudice moral. Elle a ensuite fait grief à l'arrêt de la cour d'appel de dire que les faits à l'origine du décès de M. G. ne présentent pas le caractère matériel d'une infraction et, en conséquence, de rejeter ses demandes en indemnisation. La Cour de cassation rejette son pourvoi car, relève-t-elle, ayant constaté que les parties s'accordent à reconnaître que le M. M. a bénéficié de la cause d'irresponsabilité pénale prévue par l'article 122-4, alinéa 1er, du Code pénal, la cour d'appel a décidé à bon droit que Mme G. n'était pas fondée à demander réparation de son préjudice sur le fondement de l'article 706-3 du Code de procédure pénale .

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Procédure administrative

[Jurisprudence] La possibilité, pour le juge administratif, de verser une partie de l'astreinte prononcée au budget de l'Etat est conforme à la Constitution

Réf. : Cons. const., décision n° 2014-455 QPC du 6 mars 2015 (N° Lexbase : A7734NCG)

Lecture: 15 min

N6660BU9

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par Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Lorraine et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Procédure administrative"

Le 02 Avril 2015

Dans une décision rendue le 19 décembre 2014, le Conseil constitutionnel a énoncé que la possibilité de verser une partie de l'astreinte prononcée par le juge administratif au budget de l'Etat est conforme à la Constitution. Pendant longtemps, le juge administratif s'est refusé à adresser une injonction à l'administration, a fortiori assortie d'une astreinte en se fondant sur le principe de séparation des pouvoirs et son corollaire, le refus d'ingérence dans le fonctionnement des services publics : le juge administratif ne peut être administrateur (1). Puis, dans un arrêt d'Assemblée, le Conseil d'Etat, saisi d'un recours contre un décret instituant de nouvelles règles de procédure destinées à constituer partie du Nouveau Code de procédure civile, a jugé que la faculté reconnue aux juges de prononcer une astreinte, en vue de l'exécution de leurs décisions ou des mesures d'instruction qui en sont le préalable, a le caractère d'un principe général du droit et qu'il n'appartient qu'au législateur de déterminer, d'étendre ou de restreindre les limites de cette faculté (2). Toutefois, cette faculté ne s'appliquait qu'au juge judiciaire. C'est le législateur qui a doté le juge administratif d'un instrument procédural de coercition avec la loi du 16 juillet 1980 (3). Si cette loi a permis au Conseil d'Etat de contraindre l'administration à exécuter une décision de la juridiction administrative grâce à plusieurs procédures, le système mis en place a, assez vite, montré ses limites en raison de la position très réservée du Conseil d'Etat à manier l'astreinte et à la liquider et, surtout, du fait que les statistiques relatives au cas d'inexécution de décisions rendues par le juge administratif n'ont cessé de croître franchissant chaque année un palier supplémentaire. Un groupe de travail a alors été mis en place au Conseil d'Etat pour réfléchir à son amélioration dont les travaux ont permis toute une série de propositions que le législateur a reprises en partie à son compte avec la loi du 8 février 1995 (4). S'agissant de la question spécifique de l'astreinte, la loi a doté le juge administratif de droit commun d'un véritable pouvoir d'astreinte à l'égal de celui que la décision "Barre et Honnet" avait reconnu comme principe général du droit au juge judiciaire. Pour autant, certaines difficultés subsistent tenant, notamment, à la persistance de certaines spécificités entre l'astreinte administrative et l'astreinte judiciaire dont celle qui concerne l'article L. 911-8 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L8525DGT) ouvrant la faculté au juge administratif de décider qu'une fraction de l'astreinte liquidée ne sera pas versée au requérant, mais affectée au budget de l'Etat.

Il ressort des faits de l'espèce que, par jugement du tribunal administratif de Poitiers du 10 mars 2011, le requérant a obtenu du juge administratif l'annulation du refus de lui communiquer des documents administratifs le concernant. Ce même tribunal a prononcé, par un autre jugement en date du 28 novembre 2013, deux astreintes à l'encontre de l'Etat : la première d'un montant de 100 euros par jour de retard à défaut de communication des documents, la seconde de 15 euros par jour de retard à défaut de versement des intérêts sur la somme mise à sa charge sur le fondement de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3227AL4). Se heurtant encore et toujours à un refus de l'administration, le requérant a saisi une troisième fois le tribunal de demandes tendant à ce que soit conféré un caractère définitif à la double astreinte prononcée en 2013 et à ce que soit prononcé une nouvelle astreinte. Par un jugement du 12 juin 2014, le tribunal procède à la liquidation d'office des astreintes prononcées en 2013, ce qui représentait une somme totale de 16 600 euros, mais le tribunal a estimé que, compte tenu des circonstances de l'espèce, il ne convenait d'allouer au requérant que 10 % seulement de cette somme, soit 1 660 euros. Le requérant a, au final, formé un pourvoi contre ce jugement en soulevant, à l'appui de son pourvoi, une QPC portant sur la conformité des dispositions de l'article L. 911-8 aux principes constitutionnels. L'article étant "contraire à la Constitution [...] en ce qu'il permet à l'Etat débiteur de l'astreinte définitivement liquidée de ne pas en verser le montant au créancier". Dans sa décision du 19 décembre 2014 (5), le Conseil d'Etat a renvoyé la question au Conseil constitutionnel en relevant que le moyen tiré soulevait une question qui présentait un caractère sérieux. La possibilité pour le juge, en l'occurrence, de réduire le montant de l'astreinte due au requérant et d'affecter la part non versée à l'intéressé au budget général de l'Etat, sans prévoir une autre possibilité d'affectation lorsque l'astreinte est prononcée à l'encontre de l'Etat, serait ainsi susceptible de méconnaître le droit à l'exécution des décisions juridictionnelles, composante du droit au recours effectif protégé par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen (N° Lexbase : L1363A9D).

Le Conseil constitutionnel a affirmé que les dispositions en cause étaient conformes à la Constitution en indiquant, tout d'abord, "qu'il résulte de la jurisprudence constante du Conseil d'Etat que le second alinéa de l'article L. 911-8 ne s'applique pas lorsque l'Etat est débiteur de l'astreinte décidée par une juridiction". Il a ensuite rappelé que "lorsque la juridiction décide de prononcer, à titre provisoire ou définitif, une astreinte à l'égard de l'Etat, les articles L. 911-3 (N° Lexbase : L3331ALX) et suivants du Code de justice administrative lui permettent de fixer librement le taux de celle-ci afin qu'il soit de nature à assurer l'exécution de la décision juridictionnelle inexécutée". Par ailleurs, "la faculté ouverte à la juridiction, par les dispositions contestées, de réduire le montant de l'astreinte effectivement mise à la charge de l'Etat s'exerce postérieurement à la liquidation de l'astreinte et relève du seul pouvoir d'appréciation du juge aux mêmes fins d'assurer l'exécution de la décision juridictionnelle". Dès lors, "le respect des exigences découlant de l'article 16 de la Déclaration de 1789 est garanti par le pouvoir d'appréciation ainsi reconnu au juge depuis le prononcé de l'astreinte jusqu'à son versement postérieur à la liquidation".

Par cette décision, le Conseil constitutionnel met en avant le droit constitutionnel d'obtenir l'exécution des décisions juridictionnelles. Celui-ci n'existe pas directement, mais il apparaît comme une composante du droit au recours effectif qui, lui, a directement valeur constitutionnelle (I). Après ce rappel, la disposition litigieuse est jugée néanmoins conforme à la Constitution dans la mesure où le juge dispose d'un large pouvoir d'appréciation depuis le prononcé de l'astreinte jusqu'à son versement postérieur à la liquidation (II).

I - Un droit constitutionnel d'obtenir l'exécution des décisions juridictionnelles

L'examen de constitutionnalité des dispositions de l'article L. 911-8 du Code de justice administrative passe par l'examen de l'unique grief soulevé tenant à ce que la possibilité pour le juge de réduire le montant de l'astreinte due au requérant et d'affecter la part non versée à l'intéressé au budget général de l'Etat, sans prévoir une autre possibilité d'affectation lorsque l'astreinte est prononcée à l'encontre de l'Etat, serait susceptible de méconnaître le droit à l'exécution des décisions juridictionnelles. Celui-ci n'est pas directement consacré, mais il peut apparaître comme une composante du droit au recours effectif ce que va reconnaître le Conseil constitutionnel en l'espèce (A). En agissant de la sorte, il adopte une solution analogue à celle retenue par la Cour européenne des droits de l'Homme (B).

A - Une composante de la garantie constitutionnelle liée au droit à un recours juridictionnel effectif

Le Conseil constitutionnel, dans la décision rapportée, ne consacre pas directement un principe constitutionnel d'exécution des décisions de justice, mais il le met en avant comme étant une composante du droit au recours effectif ou droit au juge qui, lui, a valeur constitutionnelle. A la différence d'autres pays européens qui consacrent directement un droit à un juge dans leur Constitution (Allemagne, Espagne et Grèce, par exemple), il n'existe pas en France un principe directement affirmé par la Constitution du droit à un juge. Bien que le droit d'agir en justice caractérise une société démocratique, dans la mesure où l'Etat, en le reconnaissant, accepte que les citoyens puissent contrôler son action en recourant à un juge, aucun texte de droit positif interne ne l'énonce expressément en France.

Dans un premier temps, les juges administratif et judiciaire suprêmes ont qualifié le droit au recours de "principe général du droit" (6). Se refusant d'intégrer au bloc de constitutionnalité les conventions internationales et notamment la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, le Conseil constitutionnel, quant à lui, n'a pu faire état de ces conventions pour affirmer un droit au juge. C'est à partir d'autres sources qu'il a progressivement dégagé le droit fondamental au juge, droit de valeur constitutionnelle.

Plusieurs décisions balisent cette reconnaissance. Les Sages ont d'abord estimé que le droit au recours appartenait au domaine législatif (7), puis ont reconnu valeur constitutionnelle au droit à un recours administratif par une décision du 13 août 1993, afin de permettre à l'intéressé "d'exercer effectivement les droits de la défense qui constituent pour toute personne [...] un droit fondamental à caractère constitutionnel" (8). Par une décision du 21 janvier 1994 (9), ils ont admis le droit à un juge en rattachant ce droit à l'article 16 de la DDHC, article qui assure "la garantie des droits" (10), tout en considérant qu'il puisse faire l'objet d'atteintes pourvu qu'elles ne soient pas substantielles (considérant no 4).

Le droit à un recours juridictionnel effectif a ensuite expressément été consacré dans plusieurs décisions depuis 1996 (11) et s'applique en matière pénale, civile ou administrative. Une décision est spécialement à relever en ce qu'elle a jugé que ce droit découlait de l'article 16 de la DDHC, et concerne la procédure d'opposition à tiers détenteur ouverte à certains organismes de sécurité sociale (CSS, art. L. 652-3 N° Lexbase : L1295I74). Si le Conseil constitutionnel admet que le législateur puisse "conférer un effet exécutoire à certains titres délivrés par des personnes morales de droit privé chargées d'une mission de service public et permettre ainsi la mise en oeuvre de mesures d'exécution forcée", il "doit garantir au débiteur le droit à un recours effectif en ce qui concerne tant le bien-fondé desdits titres et l'obligation de payer que le déroulement de la procédure d'exécution forcée". De plus, il a été jugé qu'il ne devait pas "être porté d'atteintes substantielles au droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction" (12).

Dans la décision commentée, le conseil juge expressément que la disposition de l'article 16 de la DDHC garantit "le droit des personnes à exercer un recours juridictionnel effectif qui comprend celui d'obtenir l'exécution des décisions juridictionnelles" (considérant n° 3). En agissant de la sorte, il adopte une solution analogue à celle du juge européen.

B - Une solution analogue à celle adoptée par la Cour européenne des droits de l'Homme

L'influence du juge européen et de la CESDH sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel n'est pas contestable. Déjà soulignée avant l'institution de la QPC, cette influence a été singulièrement renforcée par cette dernière (13). La jurisprudence de la Cour est à l'évidence un paramètre du contrôle de constitutionnalité a posteriori. Il est aisé de constater que, dans bon nombre de décisions QPC, le Conseil constitutionnel a pris en compte implicitement la jurisprudence de la Cour, comme en témoignent tant les commentaires "officiels" de ses décisions que les dossiers documentaires. La décision n° 2013-366 QPC du 14 février 2014 (14) est, à cet égard, emblématique dans la mesure où le Conseil a, en matière de validation législative, aligné sa motivation sur celle de la Cour pour donner une pleine cohérence aux contrôles de constitutionnalité et de conventionnalité.

Le Conseil constitutionnel fait de même en l'espèce en calant sa jurisprudence sur celle du juge européen. L'inexécution des décisions de justice crée une situation incompatible avec le principe de la prééminence du droit qui est au fondement même de la Convention. Étendant sensiblement les garanties du procès équitable, l'arrêt "Hornsby contre Grèce" du 19 mars 1997 (15) énonce que le droit à un procès équitable suppose le droit à l'exécution des décisions de justice : "l'exécution d'un jugement ou arrêt, de quelque juridiction que ce soit, doit donc être considérée comme faisant partie intégrante du procès au sens de l'article 6" (§ 40). La Cour juge qu'"en s'abstenant pendant plus de cinq ans de prendre les mesures nécessaires pour se conformer à une décision judiciaire définitive et exécutoire, les autorités nationales ont, en l'occurrence, privé les dispositions de l'article 6, paragraphe 1, de la convention de tout effet utile" (§ 45) (16). Par la suite, la Cour consacrera expressément le "droit à l'exécution des jugements" comme partie intégrante du "droit à un tribunal" (17).

Le rapprochement entre la jurisprudence constitutionnelle et la jurisprudence européenne peut encore être évoqué, de façon plus globale concernant le droit à un recours effectif à travers la question des visites domiciliaires. Dans sa décision n° 2014-387 QPC du 4 avril 2014 (18), le Conseil constitutionnel analyse la conformité à la Constitution du régime des visites domiciliaires, perquisitions et saisies dans les lieux de travail sous le seul angle du droit à un recours juridictionnel effectif garanti par l'article 16 de la DDHC et déclare contraire à la Constitution l'article L. 8271-13 du Code du travail (N° Lexbase : L3452IMS), dès lors qu'aucune voie de droit ne permet à la personne intéressée, en l'absence de poursuites contre elle, de contester l'autorisation judiciaire d'effectuer une visite domiciliaire dans les lieux de travail et la régularité des opérations de visite, de perquisition ou de saisie (considérant n° 7). Le Conseil s'inspire manifestement de l'arrêt "Ravon contre France" du 21 février 2008 (19). La Cour européenne juge, en effet, que le pourvoi en cassation ouvert aux personnes ayant subi une visite domiciliaire en matière fiscale ne répond pas aux exigences de l'article 6 de la Convention (N° Lexbase : L7558AIR), en ce qu'il ne permet pas d'obtenir un contrôle juridictionnel effectif, en fait comme en droit, de la régularité de la décision prescrivant la visite, ainsi que des mesures prises sur son fondement.

Après avoir ainsi mis en avant, conformément à la jurisprudence européenne, que l'obtention de l'exécution des décisions juridictionnelles était bien un droit bénéficiant d'une garantie constitutionnelle, le Conseil s'est livré à l'examen des dispositions de l'article L. 911-8 du Code de justice administrative pour voir si ces dernières portaient atteintes à ce droit.

II - Un droit dont l'atteinte n'est pas caractérisée par le versement d'une partie de l'astreinte au budget de l'Etat

Pour le juge constitutionnel, il n'y a pas d'atteinte au droit à l'obtention des décisions juridictionnelles quand une partie de l'astreinte est versée au budget de l'Etat à partir du moment où, à travers les dispositions contestées, le juge dispose d'une grande liberté d'appréciation. Au final, cela permet de ne pas priver le droit d'exécution des décisions juridictionnelles de garanties légales (A). Pour autant, le Conseil d'Etat a pu, récemment, posé en principe que c'est le requérant, victime de l'inexécution, qui doit recevoir les astreintes et a ainsi invalidé l'application de l'article L. 911-8 dans le cadre de l'affectation d'astreintes prononcées à l'occasion de contraventions de grande voirie (A).

A - Une liberté d'appréciation du juge qui donne au droit d'exécution des décisions juridictionnelles des garanties légales

Le juge use rarement de la possibilité qui lui est conférée par l'article L. 911-8 d'affecter le montant en tout ou partie de l'astreinte à une autre personne que le requérant, alors qu'il peut être essentiel justement pour ces requérants potentiels de connaître les hypothèses dans lesquelles s'applique cette disposition dérogatoire et comment s'effectue le niveau de partage. La jurisprudence était jusqu'alors peu abondante et quelque peu confuse. On trouvait seulement des arrêts appliquant l'article L. 911-8 alors que l'Etat était requérant, ce qui présentait donc moins d'intérêt (20), des arrêts précisant que le juge ne pouvait pas affecter l'astreinte à l'intérieur du budget de l'Etat, notamment au fond de compensation pour la TVA (21), ou encore des arrêts utilisant la possibilité de partage à parts égales comme un principe de droit commun, y compris lorsque le contrevenant est une personne privée (22).

De manière générale cependant, le juge peut attribuer à l'Etat une part non négligeable de l'astreinte définitivement liquidée, celle-ci pouvant parfois aller jusqu'à 90 % de son montant, voire son intégralité (23). Mais il ne s'agit là que d'une faculté que le juge met en oeuvre librement, en fonction des circonstances de l'espèce. Dans l'arrêt "Commune du Castellet" (24), 9/10e du montant de l'astreinte a été affectée au budget de l'Etat compte tenu "des circonstances de l'espèce" tenant à ce que la commune refusait de communiquer un certain nombre de documents administratifs dont elle contestait le bien-fondé de l'obligation de communication. Mais, nonobstant le peu de justifications fournies par la commune pour expliquer les raisons de son retard, elle a réduit le taux de l'astreinte compte tenu de la "charge manifestement excessive pour le budget de la commune".

Tantôt le requérant perdra le bénéfice d'une partie de l'astreinte (25), tantôt il en recueillera la totalité, "compte tenu des circonstances de l'espèce" (26). Lorsqu'une astreinte est prononcée à l'encontre de l'Etat, la juridiction ne fait pas usage de cette faculté et attribue l'intégralité de la somme au requérant. Comme le relève le Conseil constitutionnel, le second alinéa de l'article L. 911-8 ne s'applique donc pas lorsque l'Etat est débiteur de l'astreinte décidée. En pratique, dans ce cas là et lorsque l'astreinte est définitive, le juge administratif bénéficie du pouvoir de moduler l'astreinte compte tenu des circonstances de l'espèce. Il y a lieu, néanmoins, de regretter que les juridictions administratives n'explicitent presque jamais "les circonstances de l'espèce" auxquelles elles se réfèrent pour justifier ce partage, donnant ainsi l'impression d'un certain arbitraire.

Ce pouvoir de modulation de l'astreinte s'explique par des considérations tant d'équité que d'intérêt général qui visent à éviter l'enrichissement sans cause dans le contentieux administratif. En effet, pour avoir une chance d'atteindre leur objectif, les astreintes prononcées à l'encontre des personnes publiques doivent être d'un montant significatif. Si la collectivité publique tarde à exécuter la décision de justice prononcée à son encontre, la liquidation de l'astreinte peut la conduire à devoir verser des sommes conséquentes. Or, rien ne justifie que ces sommes soient intégralement versées au requérant. Si l'exécution tardive de la décision lui cause un préjudice, rien ne l'empêche par ailleurs d'intenter une action en responsabilité sur ce motif. Comme peut le noter le juge constitutionnel dans la décision d'espèce, "au surplus, la responsabilité de l'Etat peut, le cas échéant, être mise en cause en réparation du préjudice qui résulterait de l'exécution tardive d'une décision de justice" (27).

B - Un Conseil d'Etat qui a pourtant posé, en principe, que c'est le requérant, victime de l'inexécution, qui doit recevoir les astreintes

Dans un arrêt en date du 5 février 2014 "Voies navigables de France contre Société Cardinal Shipping" (28), le Conseil d'Etat vient confirmer très clairement que c'est, en principe, le requérant, victime de l'inexécution, qui doit recevoir les astreintes. En agissant de la sorte, il applique le droit commun des astreintes qui ne prévoit, en guise d'affectation, que la possibilité d'affecter les astreintes au requérant : la solution est constante en procédure judiciaire, quand bien même elle n'est consacrée par aucun texte, et quand bien même l'astreinte ne constitue en aucun cas une forme de dommages-intérêts.

En conséquence, le juge n'utilise l'article L. 911-8 que comme une exception très limitée et considère qu'il est inapplicable en l'espèce. En effet, cet article ne s'applique qu'aux astreintes régies par le Code de justice administrative, c'est-à-dire à celles que le juge administratif peut prononcer contre les personnes publiques et les personnes privées chargées d'une mission de service public, astreintes qu'il ne pourrait prononcer en l'absence de dispositions textuelles. C'est à une interprétation stricte du champ d'application de la loi que se livre, logiquement, la juridiction suprême dans la mesure où l'article L. 911-8 lui-même ne mentionne nullement que son application est réservée aux astreintes prononcées contre ces personnes. Néanmoins, d'autres articles du même titre le font nettement (29) et, pour le juge, l'ensemble des articles du titre constitue un tout indissociable.

En l'espèce, le tribunal administratif avait liquidé l'astreinte à hauteur de 32 250 euros (ce qui représentait tout de même 215 jours de retard) et avait décidé de partager à moitié cette somme entre Voies navigables de France et l'Etat. L'établissement public avait fait appel, puis s'était pourvu en cassation pour obtenir le versement de la totalité de l'astreinte. Le Conseil d'Etat lui a donné gain de cause, dans la mesure où le contrevenant, la société X, "n'est ni une personne morale de droit public, ni un organisme privé chargé de la gestion d'un service public". Partant, l'astreinte ne pouvait être affectée, même pour partie, au budget de l'Etat. En matière de contraventions de grande voirie, sauf à ce que l'auteur de celle-ci soit une personne publique ou une personne privée gestionnaire de service public, c'est en vertu de ses pouvoirs généraux et non des dispositions du Code de justice administrative que le juge administratif peut prononcer des astreintes. Ainsi, lorsque le juge administratif condamne une personne privée "ordinaire", non chargée d'une mission de service public, à une astreinte, celle-ci ne peut être versée qu'au requérant (30).

Il y a au final deux types d'astreintes dans le contentieux administratif, celles qui concernent les personnes publiques ou les personnes privées gestionnaires de service public et celles qui, comme en matière de contraventions de grande voirie, concernent les personnes privées et qui ne peuvent être régies par les dispositions de l'article L. 911-8 CJA. Le versement d'une partie ou de la totalité de l'astreinte au budget de l'Etat est donc conforme aux principes constitutionnels, mais l'application de cette possibilité n'est pas uniforme dans le contentieux administratif et dépend de la qualité de la personne débitrice de l'astreinte. Comme peut le noter Gweltaz Eveillard, "si, en définitive, la solution retenue par le Conseil d'État relève de la plus élémentaire logique juridique, il n'en reste pas moins qu'elle peut apparaître difficilement compréhensible pour le justiciable" (31). L'auteur ajoutant que, "non seulement les règles d'affectation de l'astreinte ne sont pas uniformes, mais elles ne le sont pas non plus au sein de l'ordre juridictionnel administratif -y compris au sein des juridictions administratives- ni même au sein d'un contentieux particulier attribué à cet ordre juridictionnel" (32).


(1) CE, 27 janvier 1933, Le Loir, Rec. CE, p. 136, DP, 1934, 3, p. 68, concl. Detton.
(2) CE, Ass., 10 mai 1974, n° 85132 et n° 85149 (N° Lexbase : A9187MHQ), Rec. CE, p. 276, AJDA, 1974, p. 525, chron. M. Franc et M. Boyon.
(3) Loi n° 80-539 du 16 juillet 1980, relative aux astreintes prononcées en matière administrative et à l'exécution des jugements par les personnes morales de droit public (N° Lexbase : L3531HD7), JO, 17 juillet 1980, p. 1799.
(4) Loi n° 95-125 du 8 février 1995, relative à l'organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative (N° Lexbase : L1139ATD), JO, 9 février 1995, p. 2175.
(5) CE 1° et 6° s-s-r., 19 décembre 2014, n° 382504, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A2621M8L).
(6) Cass., Plén., 1er juillet 1994, n° 94-82.593, publié au bulletin (N° Lexbase : A6806CES), D., 1994, p. 445, concl. Jéol ; CE, Ass., 30 octobre 1998, n° 200286 et n° 200287 (N° Lexbase : A8519ASC), Rec. CE, p. 368. La Cour de cassation a aussi admis que "le principe du respect des droits de la défense [...] constitue pour toute personne un droit fondamental à caractère constitutionnel" dont "l'exercice effectif exige que soit assuré l'accès de chacun, avec l'assistance d'un défenseur, au juge" (Ass. Plén., 30 juin 1995, n° 94-20.302, publié au bulletin (N° Lexbase : A5729CKE), JCP éd. G, 1995, II, n° 22478, concl. M. Jéol, note Perdriau, D. 1995, p. 513, note R. Drago. Le Conseil d'Etat semble pourtant distinguer ces deux aspects. Il a pu affirmer dans un avis qu'il n'existait aucune "méconnaissance d'une garantie essentielle des droits de la défense, ni une atteinte au droit d'exercer un recours effectif devant une juridiction" (CE, Avis, 29 décembre 1999, n° 210147 N° Lexbase : A3372AX8, Rec. CE, p. 426.
(7) Cons. const., décision n° 80-119 DC du 22 juillet 1980 (N° Lexbase : A8015ACT), Rec. CC, p. 46, JO, 24 juillet 1980, p. 1868.
(8) Cons. const., décision n° 93-325 DC du 13 août 1993 (N° Lexbase : A8285ACT), Rec.CC, p. 224, JO, 18 août 1993, p. 11722.
(9) Cons. const., décision n° 93-335 DC du 21 janvier 1994 (N° Lexbase : A8301ACG), Rec. CC, p. 40, JO, 26 janvier 1994, p. 1382, considérant n° 4.
(10) "Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée [...] n'a pas de constitution".
(11) Cons. const., décision n° 96-373 DC du 9 avril 1996 (N° Lexbase : A8338ACS), Rec. CC, p. 43, JO, 13 avril 1996, p. 5724. Puis, par exemple, pour les décisions plus récentes tenant à des QPC et notamment citées dans le cadre du commentaire "officiel" de la décision rapportée sur le site du Conseil constitutionnel : Cons. const., décision n° 2010-71 QPC du 26 novembre 2010 (N° Lexbase : A3871GLX), Rec. CC, p. 343, JO, 27 novembre 2010, p. 21119, considérant n° 33 ; Cons. const., décision n° 2011-198 QPC du 25 novembre 2011 (N° Lexbase : A9850HZT), Rec. CC, p. 553, JO, 26 novembre 2011, p. 20015, considérant n° 3.
(12) Cons. const., décision n° 99-416 DC du 23 juillet 1999 (N° Lexbase : A8782ACA), Rec. CC, p. 100, JO, 28 juillet 1999, p. 11250, considérant n° 38.
(13) M. Guillaume, Question prioritaire de constitutionnalité et Convention européenne des droits de l'Homme, in Mélanges Jean-Paul Costa, Dalloz, 2009, p. 304.
(14) Cons. const., décision n° 2013-366 QPC du 14 février 2014 (N° Lexbase : A2428MEN), JO, 16 février 2014, p. 2724.
(15) CEDH, 19 mars 1997, Req. 107/1995/613/701 (N° Lexbase : A8438AWG), Rec. CEDH, I, p. 510. L'arrêt est cité dans le dossier documentaire sur le site du Conseil constitutionnel.
(16) En l'espèce, l'administration s'est abstenue d'exécuter des arrêts du Conseil d'Etat annulant la décision refusant aux requérants l'autorisation d'ouvrir une école pour l'enseignement de l'anglais.
(17) CEDH, 11 janvier 2001, Req. 21463/93 (N° Lexbase : A7270AW8), à propos du refus de l'autorité administrative d'apporter le concours de la force publique pour exécuter une ordonnance d'expulsion.
(18) Cons. const., décision n° 2014-387 QPC du 4 avril 2014 (N° Lexbase : A4069MIK), JO, 5 avril 2014, p. 6480.
(19) CEDH, 21 février 2008, Req. 18497/03 (N° Lexbase : A9979D4D). L'arrêt est cité dans le dossier documentaire sur le site du Conseil constitutionnel.
(20) CAA Marseille, 22 décembre 2003, n° 02MA00299.
(21) CAA Paris, 4 avril 2003, n° 00PA01252 (N° Lexbase : A7344B9U).
(22) CE, 9 décembre 2010, n° 330996, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A7179GMT) ; CAA Lyon, 11 octobre 2012, n° 11LY02134 (N° Lexbase : A2857IWQ).
(23) Par ex., CE 10 février 1997, n° 160756, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8450ADC) ; CE, 10 avril 2009, n° 299549, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A4937EGX).
(24) CE, 6 octobre 2010, n° 307683, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3495GB3).
(25) CE, 30 mars 2001, n° 185107, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A2373AT3) ; CAA Nancy, 2 août 2007, n° 04NC01137 (N° Lexbase : A7234DX9).
(26) CE, 28 février 2001, n° 205476 et n° 209474, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9078ARN), p. 1148.
(27) CE, Ass., 27 novembre 1964, Ministre des affaires économiques et des finances c/ Mme Veuve Renard, Rec. CE, p. 520 ; CE, 10 avril 2009, n° 299549, inédit au recueil Lebon, préc..
(28) CE 3° et 8° s-s-r., 5 février 2014, n° 364561, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9270MDP). Lire nos obs., Lexbase Hebdo n° 325 du 27 mars 2014 - édition publique (N° Lexbase : N1157BUE).
(29) Les articles L. 911-1 (N° Lexbase : L3329ALU) et L. 911-2 (N° Lexbase : L3330ALW) du Code de justice administrative, relatifs aux injonctions, ainsi que l'article L. 911-5 du même code (N° Lexbase : L3333ALZ), relatif aux astreintes prononcées par le juge de l'exécution saisi a posteriori.
(30) Par qui il faut comprendre, dans le cadre des contraventions de grande voirie, non le requérant au sens strict puisque l'Etat dispose du monopole des poursuites devant le juge administratif (CJA, art. L. 774-2 N° Lexbase : L8695IRH), mais la personne publique propriétaire ou gestionnaire de la dépendance domaniale à laquelle il a été portée atteinte, c'est-à-dire victime de la contravention.
(31) G. Eveillard, Le juge administratif et les astreintes prononcées contre les personnes privées, DA, 2014, n° 5, mai, comm. n° 30.
(32) Ibid.

newsid:446660

Procédure pénale

[Jurisprudence] Quand le principe de la loyauté de la preuve déploie ses effets en procédure pénale

Réf. : Ass. plén., 6 mars 2015, n° 14-84.339, P+B+R+I (N° Lexbase : A7737NCK)

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N6665BUE

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par Romain Ollard, Professeur à l'Université de La Réunion et Directeur scientifique des Encyclopédies "Droit pénal", "Droit pénal spécial" et "Procédure pénale"

Le 02 Avril 2015

Si la quête de vérité absolue constitue un objectif peut-être plus impérieux en procédure pénale qu'ailleurs, la fin poursuivie -quoiqu'assurément légitime- ne saurait pour autant justifier tous les moyens mis en oeuvre dans la recherche des preuves, ainsi qu'est venue le réaffirmer de manière solennelle l'Assemblée plénière dans une importante décision du 6 mars 2015. Conférant au principe de loyauté de la preuve une portée générale déployant ses effets au delà de la seule provocation policière à l'infraction, lors même que les actes d'investigation auraient été réalisés dans le respect de la légalité, la solution témoigne d'un renforcement sensible de l'exigence de loyauté en procédure pénale. Faits et procédure : résistance des juridictions du fond. A la suite d'un vol avec arme commis en bande organisée, une information fut ouverte au cours de laquelle le juge d'instruction autorisa la sonorisation de deux cellules contiguës de garde à vue à l'intérieur desquelles furent placés deux suspects pendant leur temps de repos. Ayant tenu des propos incriminants qui furent enregistrés à son insu, l'un des deux suspects saisit la chambre de l'instruction, laquelle refusa d'annuler les actes de procédure au motif que la garde à vue et la sonorisation des cellules avaient été réalisées dans le strict respect des règles du Code de procédure pénale. La décision fut cassée par la Chambre criminelle de la Cour de cassation qui énonça, au triple visa, désormais traditionnel, de l'article 6 de la CESDH (N° Lexbase : L7558AIR), de l'article préliminaire du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L6580IXY) et du principe de loyauté des preuves, que "porte atteinte au droit à un procès équitable et au principe de loyauté des preuves le stratagème qui en vicie la recherche par un agent de l'autorité publique". Déclinant l'application de ce principe en l'espèce, la Chambre criminelle décida plus précisément que "la conjugaison des mesures de garde à vue, du placement (des suspects) dans des cellules contiguës et de la sonorisation des locaux participait d'un stratagème constituant un procédé déloyal de recherche des preuves, lequel a amené (le suspect) à s'incriminer au cours de sa garde à vue" (1). Toutefois, statuant sur renvoi après cassation, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris décida, en se fondant là encore sur un strict contrôle de la légalité des actes réalisés, qu'il n'y avait pas lieu d'annuler les procès-verbaux relatifs à la sonorisation des cellules, ce qui provoqua le renvoi de l'affaire devant l'Assemblée plénière.

Assemblée plénière : motivation distincte de celle de la Chambre criminelle. Pour prononcer la cassation, l'Assemblée plénière reproduit la formule générale énoncée par la Chambre criminelle selon laquelle "porte atteinte au droit à un procès équitable et au principe de loyauté des preuves le stratagème qui en vicie la recherche par un agent de l'autorité publique". Toutefois, l'Assemblée plénière se démarque de la Chambre criminelle, d'abord en ajoutant au triple visa traditionnel, non seulement celui de l'article 63-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3163I3K) -qui énonce les droits des personnes placées en garde à vue- mais encore celui du droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination. Ensuite, pour motiver sa censure, l'Assemblée plénière vient énoncer "qu'au cours d'une mesure de garde à vue, le placement, durant les périodes de repos séparant les auditions, de deux personnes retenues dans des cellules contiguës préalablement sonorisées, de manière à susciter des échanges verbaux qui seraient enregistrés à leur insu pour être utilisés comme preuve, constitue un procédé déloyal d'enquête mettant en échec le droit de se taire et celui de ne pas s'incriminer soi-même et portant atteinte au droit à un procès équitable".

La loyauté, au delà de la légalité et de la provocation policière. L'Assemblée plénière vient ainsi confirmer l'expansion du domaine d'application du principe de loyauté de la preuve, lequel peut produire ses effets au-delà de la seule provocation policière à l'infraction, quand bien même les actes d'investigation litigieux auraient été réalisés dans le strict respect des règles imposées par le code. Concevant le principe de loyauté de la preuve comme un principe de portée générale, la solution témoigne ainsi d'un double dépassement, et du seul contrôle de la légalité de la preuve (I) et de la provocation policière à l'infraction (II).

I - Le dépassement de la légalité de la preuve

La réduction de la loyauté à la légalité. L'application du principe de loyauté de la preuve pourrait, de prime abord, surprendre en l'espèce dès lors que les enquêteurs s'étaient scrupuleusement conformés aux règles du Code de procédure pénale en matière de sonorisation de certains lieux ou véhicules. Conformément aux dispositions de l'article 706-96 (N° Lexbase : L9744HEM), applicable en matière de criminalité organisée, les enquêteurs avaient en effet obtenu, avant de procéder à la sonorisation des cellules, une ordonnance motivée du juge d'instruction les autorisant à mettre en place un tel dispositif sans le consentement des intéressés. Or, dans la mesure où les locaux de la garde à vue ne sont pas visés parmi les lieux pour lesquels la sonorisation est prohibée (cabinets d'avocats, locaux de presse, etc.), la règle de l'interprétation stricte des exceptions pouvait autoriser à considérer que la sonorisation des cellules était permise (2). C'est précisément cet argument qui conduisit les deux chambres de l'instruction à conclure, en se fondant sur un strict contrôle de la légalité des actes réalisés, au défaut de nullité des actes litigieux. En définitive, selon les juridictions du fond, un acte légal, accompli dans le respect des conditions posées par le code, ne saurait être considéré comme déloyal ; ce faisant, elles réduisaient le contrôle de la loyauté des preuves au seul contrôle de leur légalité, refusant ainsi de conférer au principe de loyauté une portée autonome.

Double contrôle de légalité et de loyauté de la preuve. Le raisonnement est censuré tant par la Chambre criminelle que par l'Assemblée plénière qui décident que ce n'est pas parce que les enquêteurs se sont conformés aux règles du code que la preuve administrée aura pour autant passé son examen de recevabilité ; encore faut-il que la preuve ait été obtenue de façon loyale : bien que nécessaire, le respect de la légalité (3) n'est pas à lui seul suffisant à garantir la recevabilité de la preuve, laquelle se trouve ainsi subordonnée à un double contrôle cumulatif, et de légalité, et de loyauté de la preuve. Au titre du premier type de contrôle, le juge de la nullité devra s'assurer non seulement de ce que la mesure coercitive ou intrusive fait l'objet, conformément à la jurisprudence européenne (4), d'une prévision légale, mais encore de ce que les conditions exigées par la loi ont été respectées dans le cas d'espèce (condition positive). Si ce premier filtre de recevabilité est franchi, encore faudra-t-il, au titre du contrôle de loyauté de la preuve, que celle -ci n'ait pas été obtenue par un "procédé déloyal" (condition négative) consistant en un "stratagème qui [...] vicie la recherche" des preuves, l'Assemblée plénière consacrant de la sorte "l'autonomie du principe de loyauté en tant que norme de contrôle de la preuve pénale" (5).

Suprématie du principe général de loyauté. Se trouvent ainsi clairement distingués les concepts de légalité et de loyauté de la preuve, le premier désignant la conformité d'un acte de procédure à une règle légale, là où le second renvoie à une norme de comportement devant être adoptée par les autorités publiques dans la recherche des preuves. Les autorités publiques doivent donc se conformer non seulement à la réglementation spéciale applicable à tel ou tel mode de preuve (perquisitions, sonorisations, etc.) mais encore au principe de loyauté de la preuve, lequel apparaît dès lors comme un principe général pouvant justifier l'irrecevabilité d'une preuve obtenue conformément à la réglementation en vigueur : bel exemple de suprématie des principes généraux sur le respect formel des règles légales en matière de preuve (6) ! Reste toutefois encore à déterminer le contenu de cette exigence de loyauté, laquelle peut étendre ses effets au-delà de la seule provocation à l'infraction.

II - Le dépassement de la provocation à l'infraction

Domaine du principe de loyauté : remise en cause de la distinction entre provocation à la preuve et provocation à l'infraction. Par la présente décision, l'Assemblée plénière étend le rayonnement du principe de loyauté de la preuve, traditionnellement cantonné au domaine des provocations policières (7). En la matière, il est de coutume d'établir une distinction entre la provocation à la preuve d'une infraction et la provocation à sa commission (8). Tandis que la première est admise dès lors que l'agent de l'autorité publique se contente, par sa provocation, de révéler l'existence d'une infraction déjà commise ou en passe de l'être (9), la seconde est sanctionnée dans la mesure où le stratagème de l'agent public pousse à la commission d'une infraction "en l'absence d'éléments antérieurs permettant d'en soupçonner l'existence" (10). Au fond, la recevabilité de la preuve n'est admise que lorsque le stratagème vise à rapporter la preuve d'une infraction qui, sans cela, aurait quand même été commise. La distinction, qui trouve sa source dans la jurisprudence, tant nationale qu'européenne (11), est d'ailleurs à ce point entrée dans les moeurs processuelles qu'elle a été ratifiée par la loi s'agissant des actes d'infiltration en matière de criminalité organisée (12). Toutefois, pour classique qu'elle soit, la distinction semble être remise en cause par la présente décision puisque l'Assemblée plénière qualifie de "procédé déloyal" ce qui ne constituait en réalité qu'une simple provocation à la preuve dès lors que, l'infraction ayant été commise plusieurs mois auparavant par les suspects, la sonorisation des cellules ne visait qu'à révéler son existence. De portée générale, le principe de loyauté déploie ainsi ses effets au-delà de la seule provocation à l'infraction pour s'étendre à la provocation à la preuve, jusqu'ici tolérée.

Contenu du principe de loyauté : destinataires du principe. Quoique le concept de déloyauté soit rétif à se laisser enfermer dans une définition générale, l'Assemblée plénière vient toutefois, à la suite de la Chambre criminelle, apporter d'importantes précisions sur le concept de "procédé déloyal" en le définissant comme un "stratagème qui vicie la recherche de la preuve par un agent de l'autorité publique". Sans surprise d'abord, l'Assemblée plénière vise les seuls membres de "l'autorité publique " -c'est-à-dire les magistrats instructeurs et les fonctionnaires de police (13)-, de sorte que le principe de loyauté ne trouverait pas à s'appliquer à l'égard des particuliers. La distinction est trop connue pour qu'il soit besoin d'y revenir sinon pour redire que, pour ces derniers, il est admis que la loyauté dans la discussion des preuves vient en quelque sorte "corriger" une certaine déloyauté dans leur recherche, au terme d'une appréciation globale du droit à un procès équitable (14) : c'est parce qu'elle peut être contradictoirement débattue à un stade ultérieur de la procédure et que le juge conserve un pouvoir souverain d'appréciation quant à sa valeur probante (15) que la preuve, même obtenue de façon déloyale, est jugée recevable (16).

Contenu du principe de loyauté : stratagème. Ensuite, en définissant le "procédé déloyal" comme un "stratagème", l'Assemblée plénière invite, conformément à la définition courante du terme, à le concevoir à la fois comme un acte impliquant un procédé trompeur, c'est-à-dire l'emploi d'une ruse ou d'une machination, mais encore comme le résultat de cette tromperie, de sorte que le procédé déloyal sanctionné se définit tout autant en lui-même, en tant que procédé, que par ses effets, le stratagème devant avoir fait échec, nous dit l'Assemblée plénière, au "droit de se taire et [...] de ne pas s'incriminer soi-même et portant atteinte au droit à un procès équitable".

Stratagème en tant que procédé trompeur. Envisagé en tant que procédé trompeur en premier lieu, le stratagème n'a pas à être nécessairement caractérisé -négativement- par la combinaison d'une pluralité d'actes qui, en eux-mêmes légaux, ne deviendraient déloyaux qu'en raison de leur conjugaison, au regard du stratagème globalement appréhendé. L'Assemblée plénière n'a pas en effet jugé opportun de faire sienne la formule de la Chambre criminelle selon laquelle ce serait "la conjugaison des mesures de garde à vue, du placement dans des cellules contiguës et de la sonorisation des locaux" qui constituerait un stratagème déloyal ayant amené le suspect à s'incriminer. L'élimination de la référence à la "conjugaison des mesures" paraît judicieuse dès lors qu'une interprétation a contrario de la formule -quoiqu'incertaine, comme toujours- pouvait conduire à considérer, à rebours de nombreuses décisions jurisprudentielles (17), qu'une ruse ou une tromperie isolée ne saurait être considérée comme un procédé déloyal.

Positivement, l'Assemblée plénière semble subordonner la caractérisation du stratagème à deux conditions cumulatives tenant, d'abord, à la clandestinité du procédé trompeur, les échanges verbaux devant avoir été "enregistrés à l'insu" des suspects. Mais, prépondérant en procédure civile, le critère de la clandestinité est à lui seul insuffisant à caractériser un stratagème condamnable en matière pénale où nombre d'actes d'investigation légalement prévus sont réalisés dans la clandestinité (écoutes téléphoniques, sonorisation, etc.). Aussi, sauf à exposer ces actes d'investigation -clandestins par nature- au couperet de la déloyauté de la preuve, l'Assemblée plénière vient poser une condition supplémentaire tenant, ensuite, à l'existence d'une provocation policière, ainsi que l'atteste la référence faite au but poursuivi par les autorités ayant sonorisé les cellules "de manière à susciter" des échanges enregistrés à l'insu des suspects "pour être utilisés comme preuve". Si ce critère de l'existence d'une provocation policière, en l'occurrence à la preuve, n'est pas sans rappeler celui du "guet-apens" posé par la Cour européenne (18), l'Assemblée plénière semble toutefois se montrer plus exigeante. Dans une affaire dont les faits étaient très proches de ceux ici jugés, la Cour de Strasbourg a pu en effet établir une distinction selon que les aveux, enregistrés clandestinement dans la cellule d'un poste de police, ont été prononcés spontanément par les suspects, sans aucune coercition policière (19), ou qu'ils ont été obtenus par l'emploi d'un "subterfuge" utilisé par les enquêteurs pour "soutirer les aveux" (20). Pour la Cour européenne, le critère de recevabilité des aveux résiderait donc dans le caractère libre et volontaire des déclarations, suivant qu'elles ont été prononcées spontanément ou qu'elles ont été provoquées par les manoeuvres des enquêteurs. Résolument offensive, l'assemblée plénière va au -delà de ce schéma en l'espèce dans la mesure où les déclarations incriminantes, non directement provoquées par la sonorisation des lieux, furent spontanées.

Définition du stratagème par ses effets. Défini comme un procédé trompeur, le stratagème l'est encore, en second lieu, au regard du résultat qu'il provoque puisque le procédé est considéré comme déloyal en tant qu'il met "en échec le droit de se taire et celui de ne pas s'incriminer soi-même" et porte "atteinte au droit à un procès équitable". Il apparaît ainsi que le stratagème n'est pas illicite en soi, au regard du seul procédé employé ; il le devient en contemplation de ses effets, lorsque le procédé trompeur aura modifié le cours normal des évènements au point de conduire le suspect à s'incriminer lui-même. Est-ce à dire pour autant qu'à défaut d'auto-incrimination du suspect (absence de résultat), le procédé déloyal ne pourrait pas être sanctionné en lui-même, au regard de ses seules modalités (21) ? Si la question n'est guère susceptible de se poser à l'égard du suspect lui-même, puisqu'à défaut de propos auto-incriminants, il n'y aurait à proprement parler rien à annuler, elle pourrait en revanche se poser dans le cas où il incriminerait d'autres personnes. Certes, le procédé déloyal provoquerait bien alors un résultat mais pas à l'égard du suspect victime du stratagème, de sorte que le droit de ne pas s'incriminer "soi-même" ne serait plus en cause. Mais ne serait-il pas possible, alors, de constater, sinon une atteinte effective, du moins une atteinte potentielle au droit de ne pas s'incriminer soi-même, en considérant qu'un stratagème simplement de nature à provoquer un tel résultat est suffisant à constituer un procédé déloyal ? L'analyse pourrait d'ailleurs être confirmée par la motivation de l'Assemblée plénière qui, si elle exige une atteinte effective au droit à un procès équitable ("portant atteinte"), semble se contenter d'une atteinte potentielle au droit de ne pas s'incriminer soi-même ("faisant échec").

De la déloyauté au détournement de procédure ? En dépit des efforts conjugués de la Chambre criminelle et de l'Assemblée plénière pour cerner les contours du procédé déloyal illicite, le concept de déloyauté souffre d'une irréductible indétermination rendant les solutions jurisprudentielles en matière d'administration de la preuve pour le moins imprévisibles (22), ce qui n'est satisfaisant pour personne, ni pour les justiciables, ni évidemment pour les enquêteurs. Dès lors, il est permis de se demander s'il n'eût pas été plus satisfaisant de fonder l'irrecevabilité de la preuve en l'espèce sur l'existence d'un détournement de procédure en observant que la garde à vue avait été instrumentalisée aux fins de mise en place d'un stratagème, prévu à l'avance, destiné à obtenir les aveux d'un suspect (23). Peut-être mais, s'il peut apparaître comme l'une des manifestations possibles du principe de loyauté, le détournement de procédure ne saurait épuiser, à lui seul, toutes les hypothèses aujourd'hui régies par le principe. Aussi, la substitution du concept de détournement de procédure à celui de stratagème aurait pour effet de réduire, peut-être exagérément, le rayonnement du principe de loyauté de la preuve, à l'opposé de l'objectif poursuivi par l'Assemblée plénière en l'espèce.


(1) Cass. crim., 7 janvier 2014, n° 13-85.246, FS-P+B+I (N° Lexbase : A0243KT8), D.P., 2014, étude 7, note A. Bergeaud ; D., 2014, 264, entretien S. Détraz ; JCP éd. G, 2014, 272, note A. Gallois ; D., 2014, 407, note E. Vergès.
(2) Comp., pour l'admission de la sonorisation d'un parloir de prison, Cass. crim., 1er mars 2006, n ° 05-87.251, F-P+F (N° Lexbase : A6240DNG).
(3) Pour une critique du concept de légalité de la preuve, v. toutefois, E. Vergès, Loyauté et licéité, deux apports majeurs à la théorie de la preuve pénale, D., 2014, 407.
(4) V. par exemple CEDH, 24 avril 1990, Req. 7/1989/167/223 (N° Lexbase : A6323AW4), D., 1990, Chron., 32, R. Koering -Joulin.
(5) A. Bergeaud, Du bon usage du principe de loyauté des preuves ?, D.P., 2014, étude 7, n° 6.
(6) V. E. Vergès, Loyauté et licéité, deux apports majeurs à la théorie de la preuve pénale, D., 2014, 407.
(7) V. toutefois, pour des exemples récents dans lesquels le domaine du principe de loyauté dépasse le cadre des seules provocations policières, Cass. crim., 3 avril 2007, n° 07-80.807, F-P+F+I (N° Lexbase : A0391DWE) (irrecevabilité de "la transcription effectuée, contre le gré de l'intéressé, par un OPJ, des propos qui lui sont tenus, officieusement, par une personne suspecte") ; Cass. crim., 5 mars 2013, n° n ° 12-87.087, FS-P+B (N° Lexbase : A3135I9Y), D., 2013, 1993, obs. J. Pradel ; D.P., 2013, comm., 63, obs. A. Maron, M. Hass, (annulation du procès-verbal relatant les confidences opérées dans un fourgon de police par une personne mise en examen au motif qu'un tel procédé "avait pour effet d'éluder les droits de la défense").
(8) P. Maistre du Chambon, précité.
(9) V. par exemple Cass. crim. 30 octobre 2006, n° 06-86.176 (N° Lexbase : A0189CXB) (procédure d'infiltration) ; Cass. crim., 16 janvier 2008, n° 07-87.633, F-P+F ([LXB=A7379D43 ]) (filature).
(10) Cass. crim., 4 juin 2008, n° 08-81.045, F-P+F (N° Lexbase : A9418D8C) (création par des policiers d'un site pédopornographique pour attirer des pédophiles).
(11) CEDH, 9 juin 1998, Req. 44/1997/828/1034 (N° Lexbase : A7578AWL), RSC 1998, p. 401.
(12) C. pr. pén.,, 706-81, alinéa 2, in fine (N° Lexbase : L5762DY3) : "à peine de nullité, ces actes (d'infiltration) ne peuvent constituer une incitation à commettre des infractions".
(13) Sans qu'aucune distinction ne soit établie entre eux, ce qui permet peut -être de remettre en cause l'idée d'une "appréciation graduée" du principe de loyauté (P. Maistre du Chambon, La régularité des provocations policières : l'évolution de la jurisprudence, JCP éd. G., 1989, I, 3422, n° 13) qui s'appliquerait de manière moins absolue aux fonctionnaires de police (sur la question, v. A. Bergeaud, op. cit., n° 15).
(14) Sur la question, v. Fourment, Procédure pénale, Larcier, 11ème éd., 2011, n° 77, spéc. E7. Sur la critique d'une telle solution, v. Ph. Conte, La loyauté dans la jurisprudence de la Cour de cassation : vers la solution de la quadrature du cercle, D.P., 2009, étude 8, n° 5.
(15) C. pr. pén., art. 427 (N° Lexbase : L3263DGX).
(16) V., particulièrement net en ce sens, Cass. crim., 30 mars 1999, n° 97-83.464 (N° Lexbase : A5361CKR), D., 2000, 391, note T. Garé. Adde, CEDH, 9 juin 1998, op. cit., RSC, 1998, p. 401.
(17) V. par exemple, Cass. crim., 3 avril 2007, précité ; Cass. crim., 5 mars 2013 (irrecevabilité de la transcription effectuée, contre le gré de l'intéressé, par un OPJ, des propos qui lui sont tenus, officieusement, par suspect).
(18) CEDH, 12 mai 2000, n° 35394/17, § 36 (N° Lexbase : A1272IZ7).
(19) CEDH, 5 novembre 2002, Req. 48539/99, § 46 (N° Lexbase : L4063IP8).
(20) Ibid., § 52 (procédé consistant à avoir placé dans la même cellule qu'un suspect un informateur de la police équipé d'un dispositif d'écoute ayant incité, par ses questions, le suspect à livrer ses aveux).
(21) A. Gallois, Loyauté des preuves pénales : la Cour de cassation est-elle allée trop loin ?, JCP éd. G, 2014, 272.

newsid:446665

Procédures fiscales

[Brèves] Pas de dispense de conclusions du Rapporteur public dans un litige relatif à une taxe foncière sur les propriétés bâties pour des biens dont la valeur locative n'a pas été déterminée

Réf. : CE 8° s-s., 27 mars 2015, n° 382741, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A6871NE9)

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N6678BUU

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Le 09 Avril 2015

Le Rapporteur public ne peut être dispensé de prononcer des conclusions dans un litige relatif à une taxe foncière sur les propriétés bâties pour des biens dont la valeur locative n'a pas été déterminée en application de l'article 1496 du CGI (N° Lexbase : L9535ITC) (méthode d'évaluation par comparaison). Ainsi, la dispense de conclusions permise par les dispositions de l'article R. 732-1-1 du CJA (N° Lexbase : L0864IYN) ne peut s'appliquer au jugement d'un litige portant sur l'évaluation de locaux affectés à une activité commerciale. Telle est la solution dégagée par le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 27 mars 2014 (CE 8° s-s., 27 mars 2015, n° 382741, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A6871NE9). En effet, aux termes de ce dernier article, le président de la formation de jugement ou le magistrat statuant seul peut dispenser le Rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience sur tout litige relevant notamment de la taxe d'habitation et de la taxe foncière sur les propriétés bâties afférentes aux locaux d'habitation et à usage professionnel au sens de l'article 1496 du CGI ainsi que de la contribution à l'audiovisuel public. En l'espèce, la société requérante a demandé au tribunal administratif de Nice de prononcer la décharge de la cotisation de taxe foncière sur les propriétés bâties à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2010 à raison d'un immeuble qui est affecté à une exploitation hôtelière et dont la valeur locative a, de ce fait, été évaluée en application de l'article 1498 du CGI (N° Lexbase : L0267HMT). Dès lors, selon le Conseil d'Etat, le Rapporteur public ne pouvait être dispensé de prononcer des conclusions sur un tel litige. Ainsi, le jugement attaqué (TA Nice, 16 mai 2014, n° 1103778), intervenu à la suite d'une audience qui n'a pas donné lieu au prononcé de conclusions du Rapporteur public, a été rendu à l'issue d'une procédure irrégulière, ce qui permet donc à la société requérante de fonder sa demande d'annulation du jugement .

newsid:446678

Propriété intellectuelle

[Evénement] Quelle protection juridique pour les fragrances ? - Compte rendu de la réunion du 11 février 2015 de la Commission ouverte Droit de la Propriété intellectuelle du barreau de Paris

Lecture: 27 min

N6688BUA

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par Vincent Téchené, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition affaires

Le 02 Avril 2015

La Commission ouverte Droit de la Propriété intellectuelle (COMPI) a tenu, avec la participation des étudiants de Master II Propriété littéraire, artistique et industrielle de l'Université Paris II Panthéon-Assas, le 11 février 2015, une réunion sous la responsabilité de Maître Fabienne Fajgenbaum, Avocate au barreau de Paris, ayant pour thème "Quelle protection juridique pour les fragrances ?", à laquelle sont intervenus Alice Pezard et Jean-Christophe Tristant, Avocats à la cour. Les éditions juridiques Lexbase, présentes à cet événement, vous en proposent un compte rendu.
  • Présentation de la problématique de la protection juridique des fragrances (par Chloé Chircop, étudiante du Master II Propriété littéraire, artistique et industrielle de l'Université Paris II Panthéon-Assas)

La question de la protection juridique des fragrances se pose car, comme l'a exposé le Professeur Bruguière, les odeurs présentent un double aspect : un aspect maléfique car source de dommages (nuisances olfactives, indice sérieux pour constater un délit, Cass. crim, 4 novembre 1999, n° 99-85397, publié N° Lexbase : A5709AWD avec l'odeur de cannabis), et partant de responsabilité, et un aspect bénéfique car l'odeur est, pour un individu, source d'avantages et de droits individuels. Cette question est particulièrement importante car les parfums représentent aujourd'hui une part de plus en plus importante dans l'industrie du luxe français.

En droit des brevets, tout d'abord, il est tout à fait possible de déposer un brevet sur une fragrance, puisque les parfums sont cités dans la classification internationale. De plus, la fragrance caractérise l'invention ou le procédé en tant que produit chimique et industriel. Cependant, cette protection n'apparaît pas adaptée au vu de sa durée limitée et de l'obligation de divulgation complète ; en outre, les fragrances se heurtent en majorité à des refus de breveter des choses abstraites et les créations esthétiques.

En droit des marques, ensuite, la CJCE, dans un arrêt du 12 décembre 2002 (CJCE, 12 décembre 2002, aff. C-273/00 N° Lexbase : A3717A4G), a répondu par la négative à la question de la validité de la marque olfactive en considérant qu'il y avait un défaut de représentation graphique et qu'une formule chimique, une description de la fragrance par des mots ou encore un échantillon ne peuvent pas remplir l'exigence de représentation graphique. Cette décision a été reprise par le TPICE dans un arrêt du 27 octobre 2005 (TPICE, 27 octobre 2005, aff. T-305/04 N° Lexbase : A0973DLM).

Il apparaît aujourd'hui que les fragrances sont protégées par le secret et par l'action en concurrence déloyale ou le parasitisme fondés sur l'article 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ), qui permettent de sanctionner le risque de confusion ou le fait de profiter d'un investissement fait par autrui. Cependant ces actions ont vocation à protéger l'enveloppe de la fragrance, c'est-à-dire son nom, son flacon, la publicité..., et non la fragrance elle-même.

Aussi, face à ces lacunes, la protection des fragrances par le droit d'auteur apparaît-elle totalement d'actualité. Le Code de la propriété intellectuelle ne donne pas de définition de l'oeuvre de l'esprit et l'article L. 112-2 (N° Lexbase : L3334ADT) en dresse une liste qui, de par l'utilisation de l'adverbe "notamment", n'est pas limitative. Au regard des textes, la protection des fragrances par le droit d'auteur semble donc possible. La jurisprudence l'a, cependant, exclue à la faveur d'un arrêt rendu le 13 juin 2006 par la première chambre civile de la Cour de cassation (Cass. civ. 1, 13 juin 2006, n° 02-44.718, FS-P+B+I N° Lexbase : A9280DPE), en considérant que "la fragrance d'un parfum, qui procède de la simple mise en oeuvre d'un savoir-faire, ne constitue pas [...] la création d'une forme d'expression pouvant bénéficier de la protection des oeuvres de l'esprit par le droit d'auteur". Une partie de la doctrine a approuvé le visa de l'article L. 112-2 du Code de la propriété intellectuelle en considérant que, même s'il s'agit d'une liste limitative, il ne mentionne que des oeuvres accessibles par la vue ou par l'ouïe entraînant donc une exclusion de toutes les oeuvres accessibles par d'autres sens. Une autre partie de la doctrine a, au contraire, critiqué cette interprétation, estimant que l'article L. 112-1 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3333ADS) interdit de prendre en compte la forme d'expression de l'oeuvre pour accorder ou nier une protection au titre du droit d'auteur. Au motif retenu par la Cour de cassation que la fragrance procèderait d'un simple savoir-faire, la doctrine a, en outre, objecté que toutes les oeuvres, quelles qu'elles soient, procèdent d'un savoir-faire. Le fait que le parfum mette en oeuvre ce savoir-faire dans le processus de création ne devrait pas empêcher le juge de prendre en compte l'aboutissement de cette création, et qu'à ce stade, un effort personnalisé, qui justifierait le statut d'oeuvre de l'esprit, peut avoir eu lieu. La Cour de cassation a confirmé sa position à deux reprises, le 1er juillet 2008 (Cass. com., 1er juillet 2008, n° 07-13.952, FS-P+B N° Lexbase : A4863D9Y) et le 22 janvier 2009 (Cass. civ. 1, 22 janvier 2009, n° 08-11.404, F-D N° Lexbase : A6520ECH), malgré une résistance assez cohésive des juges du fond. Puis en 2013, elle a de nouveau confirmé l'exclusion de la protection des fragrances par le droit d'auteur mais elle fait reposer ce refus sur un autre motif (Cass. com., 10 décembre 2013, n° 11-19.872, F-D N° Lexbase : A3660KRY) : elle a considéré que le droit d'auteur ne protège les créations dans leur forme sensible, qu'autant que celle-ci est identifiable avec une précision suffisante pour permettre sa communication, ce qui ne serait pas le cas du parfum. Cet arrêt a été beaucoup commenté par la doctrine qui a, dans son ensemble, estimé que, si le précédent critère du savoir-faire n'était pas adapté et incertain, le nouveau motif a pour effet d'exclure systématiquement les fragrances du droit d'auteur, alors qu'il n'apparaît pas impossible mais seulement difficile d'appréhender une forme sensible pour les fragrances. Cet arrêt très attendu n'a pas été publié au Bulletin, ce qui interroge, par ailleurs, sur sa réelle portée.

A l'inverse, il convient d'évoquer les Pays-Bas qui, dans un arrêt "Trésor" du 16 janvier 2006, ont accepté d'accorder aux fragrances la protection par le droit d'auteur, en retenant que ce qui importe est qu'il s'agisse d'une création susceptible d'être perçue par l'Homme et que la fragrance peut avoir un caractère propre et original portant l'emprunte personnelle de son auteur. Dans son raisonnement juridique, la Cour suprême des Pays-Bas n'a pas du tout pris en compte les difficultés liées à la mise en oeuvre des droits d'auteur en matière de fragrance. D'une manière générale, la doctrine néerlandaise a pointé du doigt la difficulté d'appréhender l'objet de la fragrance pour lui accorder la protection, mais les juges ont retenu qu'une discussion sur les similarités des fragrances n'était pas plus complexe que pour d'autres oeuvres de l'esprit et qu'il est possible d'utiliser une combinaison d'outils. Les juridictions néerlandaises considèrent, en outre, que l'existence d'un droit moral peut être bénéfique pour le statut du parfumeur qui pourrait ainsi obtenir une plus grande reconnaissance et, à terme, évoluer vers un statut similaire à celui des grands couturiers. En matière de respect, par exemple, le fait que le nez puisse s'opposer à la modification de son parfum n'est pas un point négatif et permet de garantir l'authenticité de l'oeuvre.

  • Quelle protection juridique pour les fragrances ? (par Alice Pezard et Jean-Christophe Tristant, Avocats à la cour)

Introduction

Sur le plan économique, tout d'abord, l'industrie de la parfumerie est un immense marché : les prévisions de chiffre d'affaires pour 2018 sont de 45 milliards de dollars. Il s'agit, en outre, d'un des fleurons de l'industrie française du luxe qui génère de nombreux emplois. Elle bénéficie d'un rayonnement très fort avec des produits leader sur le marché mondial. En droit, ensuite, il existe une protection périphérique importante par le droit de la propriété intellectuelle, qui ne sera pas traitée ici : le droit d'auteur, le droit des marques et le droit des dessins et modèles couvrent souvent le nom du parfum, le slogan qui l'accompagne ou la forme de son flacon.

La fragrance correspond à l'odeur qui se perçoit sensoriellement et qui se distingue donc du jus et de la formule du parfum. Pour certains, la protection des fragrances semble dans une impasse (T. Lambert). On a aussi pu dire qu'il s'agissait d'un "objet non identifié de la propriété intellectuelle" (D. Prokhorov) ou encore d'une "curiosité [...] source de paradoxes et d'interrogations" (P. Hénaff).

Au final, différents types de protections juridiques sont envisageables (1), lesquels se heurtent, néanmoins, à certains obstacles juridiques et/ou pratiques (2). Mais, des perspectives pourraient s'ouvrir (3).

1 - Les protections envisageables

1.1 - Le droit des brevets : la fragrance, une invention ?

La fragrance n'est pas brevetable en tant que telle mais la formule peut l'être. Encore faut-il pour cela respecter les conditions de brevetabilité posées par l'article L. 611-10, alinéa 1er, du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L2782IBN) : "sont brevetables [...] les inventions nouvelles impliquant une activité inventive et susceptibles d'application industrielle". L'exclusion des créations esthétiques de la brevetabilité, posée par l'alinéa 2, b, de cet article, ne s'appliquerait bien évidemment pas à la formule chimique du parfum. Il ne s'agit pas véritablement d'opérer un choix entre la protection par le droit des brevets et celle par le droit d'auteur car là où le premier s'appliquerait à la formule ou même à certains de ses éléments, voire à des procédés d'extractions, le second aurait pour objet la fragrance elle-même, sa création originale.

La protection de la formule par le droit des brevets est suggérée par des auteurs souvent hostiles à la protection par le droit d'auteur. Ainsi, pour Pierre-Yves Gautier, "la protection des fragrances [...] fruit d'une recherche en laboratoire et exprimée dans sa formule chimique, relève plutôt du droit des brevets -rappelons qu'une invention à un résultat esthétique est parfaitement brevetable-" (Propriété littéraire et artistique, PUF, 9ème éd., 2015, n° 52). Pour Frédéric Pollaud-Dullian, "la formule d'un parfum relève de la technique industrielle dans le secteur des cosmétiques [...]. Leur protection relève du droit des brevets ou de l'action en concurrence déloyale et non du droit d'auteur, car c'est le procédé ou le produit industriel que l'on cherche à protéger" (Le droit d'auteur, Economica, 2004, n° 153).

Mais, l'odeur en tant que telle, qui correspond à la diffusion et à la dispersion dans l'air d'un certain nombre de molécules, ne semble pas brevetable.

Il n'y a pas véritablement de jurisprudence sur l'éventuelle application de l'exclusion des créations esthétiques au parfum. Seul un arrêt de la chambre sociale de la cour d'appel de Versailles en date du 5 mars 2002 a pu être relevé qui, dans une affaire de rémunération supplémentaire d'un inventeur salarié, a considéré incidemment que "la création de parfum n'entre pas dans les exclusions des inventions brevetables de l'article L. 611-10".

Encore faudra-t-il que les critères de la brevetabilité soient réunis. Ainsi, dans certains cas la nouveauté pourra faire défaut, notamment si l'élaboration de la substance s'appuie sur des procédés éculés (par exemple l'utilisation d'une base alcoolique). En outre, la formule brevetée sera soumise à l'exigence d'apporter "une solution technique à un problème technique", ce qui pourra constituer un obstacle.

1.2 - Le droit des marques : la fragrance, une marque ?

Comme il a été précédemment exposé, par l'utilisation de l'adverbe "notamment", la liste de l'article L. 711-1 du Code de la propriété intellectuelle n'est pas limitative et n'exclut donc pas les odeurs. La question de savoir si la marque olfactive présente un intérêt se pose. Certains en doutent, à l'image de Nicolas Bouche, selon lequel "le parfum-fragrance est généralement conçu lui-même pour être un produit commercialisé ; il est rarement créé pour servir de signe d'identification d'un produit ou d'un service (parfumer des boutiques ou autres lieux visités par la clientèle, des emballages ou des produits de consommation" (RJDA, 2006, n° 1086). Pourtant certaines marques investissent dans leur "image olfactive" comme Abercrombie & Fitch qui diffuse une senteur identique dans ses points de ventes ou Vinci qui a créé un parfum spécial d'ambiance pour ses parkings.

A l'origine, l'OHMI avait admis que certaines odeurs puissent être déposées à titre de marque. Il a ainsi validé une odeur "d'herbe fraîchement coupée" à titre de marque pour des balles de tennis, car c'est une "odeur distincte que tout le monde reconnaît aisément" (OHMI, 11 février 1999, Vennootschap). De même, la représentation graphique indirecte de "l'arôme de framboises" par une description a été considérée suffisamment précise, même si la protection a en définitive été refusée pour absence de caractère distinctif (OHMI, 5 décembre 2001, aff. R 711/1999-3, Myles Ltd). Dans cette décision l'OHMI a indiqué que "les odeurs, considérées de façon abstraite, peuvent être aptes à se caractériser dans le commerce, au sens de ladite disposition, comme un moyen autonome de distinguer les entreprises [...]. Les signes olfactifs peuvent, en principe, être reconnus comme susceptibles de constituer une marque [...]. Il n'est pas nécessaire qu'un signe puisse être représenté directement graphiquement". Donc a contrario, la description par une phrase serait suffisante.

Toutefois, il s'agissait, dans ces affaires, d'odeurs bien connues du public et la CJCE a ultérieurement adopté une position différente (cf. infra).

1.3 - Le droit d'auteur : la fragrance, une oeuvre de l'esprit ?

Selon Michel Roudniska, la création d'une fragrance consiste à assembler des matières premières selon des formes olfactives complexes et harmonieuses. C'est donc cette définition, qu'il faut traduire en termes juridiques. Le droit d'auteur peut-il protéger cette forme olfactive complexe ?

La fragrance ne fait pas partie des oeuvres citées par l'article L. 112-2 du Code de la propriété intellectuelle, mais, à l'instar du droit des marques, la liste n'est pas limitative (utilisation de l'adverbe "notamment"). L'article L. 112-1 interdit d'ailleurs toute discrimination : "les dispositions du présent code protègent les droits des auteurs sur toutes les oeuvres de l'esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination".

Les textes n'excluent donc pas expressément les fragrances de la protection par le droit d'auteur.

Pour bénéficier de la protection du droit d'auteur, l'oeuvre doit néanmoins répondre à deux conditions qui sont l'originalité et la création de forme. L'originalité, qui est un critère sans fondement légal, est généralement définie par la jurisprudence comme l'empreinte personnelle de l'auteur, c'est-à-dire ici du parfumeur. La création de forme emporte l'exclusion des idées et des concepts ; et c'est là que réside toute la difficulté de la protection de la fragrance par le droit d'auteur. En effet, la fragrance peut-elle être décrite ?

De nombreux auteurs sont favorables à la protection par le droit d'auteur :

- pour Michel Vivant, "considérer le droit d'auteur hors tout préjugé, tel que textes et jurisprudence permettent de le cerner, conduit inéluctablement à l'idée que la fragrance doit être protégée" (RLDI, mars 2013, n° 3043) ;

- pour Christophe Caron, "si la porte d'entrée du royaume du droit d'auteur est incontestablement étroite pour les fragrances de parfum, elle ne devrait être pas entièrement fermée [...] le droit d'auteur n'aime pas les belles odeurs, et [...] ignore un pan entier de la création" (CCE, n° 2, février 2014, comm. 13) ;

- selon Jean-Michel Bruguière, "selon la première chambre civile, lorsqu'une fragrance d'un parfum consiste en un simple savoir-faire, il n'est pas possible d'envisager un droit d'auteur. Quoi de plus normal ? A contrario, cela signifie qu'une fragrance qui ne procède pas de la simple mise en oeuvre d'un savoir-faire peut être protégeable" (Prop. intell., 2007, n° 23, p. 203)

- pour André et Henri-Jacques Lucas, "aucune objection, selon nous, ne justifie une exclusion de principe [...] la démarche du créateur est bien de même nature que dans le domaine des arts plastiques et musicaux (Traité de la propriété intellectuelle, LexisNexis, 4ème éd., 2012, p. 93)

- selon Nicolas Binctin, "l'approche retenue par la Cour de cassation est contraire au régime du droit d'auteur qui ne s'intéresse pas à la méthode de production mais à l'originalité du résultat final" (CCE, n° 12, décembre 2006, étude 36).

D'autres auteurs s'interrogent sans être a priori hostiles à la protection des fragrances par le droit d'auteur. Ainsi,

- pour Pierre Sirinelli, "si la position adoptée par la Cour est compréhensible, du point de vue du raisonnement, on peut s'interroger sur la signification à lui donner, à savoir une exclusion de principe du droit d'auteur pour les fragrances" (D., 2014, p. 2078)

- selon Thierry Lambert, "ce qui est en cause, n'est pas la classification de la création olfactive parmi les oeuvres de l'esprit, mais la possibilité d'assurer [...] la mise en oeuvre du droit d'auteur éventuellement ouvert par la reconnaissance d'une expression formelle opposable [...] l'existence de l'oeuvre n'est pas discutable, mais sa forme l'est" (D., 2013, p. 2039).

De longue date, les juges du fond ont été majoritairement favorables à la possibilité de protection de la fragrance par le droit d'auteur. Ainsi, dès 1975, la cour d'appel de Paris a, certes refusé la protection, mais a affirmé en même temps l'absence d'exclusion a priori par la Code de la propriété intellectuelle des créations perceptibles par les sens autres que la vue et l'ouïe, entrouvrant la porte à une possible protection. Le 28 mai 2002, le TGI de Paris a jugé que "la fragrance peut être considérée comme le résultat d'une recherche intellectuelle d'un compositeur faisant appel à son imagination et ses connaissances accumulées pour aboutir à la création d'un bouquet original de matériels odorants choisis dans un but esthétique, constituant une oeuvre de l'esprit". En 2006, la cour d'appel de Paris a retenu que "l'existence de familles de parfums n'exclut pas que les fragrances qui s'y rattachent, par l'emprunt de leurs composants dominants, soient protégeables, dès lors qu'elles sont le fruit d'une combinaison inédite d'essences dans des proportions telles que leurs effluves, par les notes olfactives finales qui s'en dégagent, traduisent l'apport créatif de l'auteur, ce qui est le cas en l'espèce" (CA Paris, 4ème ch., sect. A, 25 janvier 2006, n° 04/18300 N° Lexbase : A2678DNI).

Dans ces deux décisions on voit bien que les juges collent à la définition pratique de la fragrance donnée par Michel Roudniska.

1.4 - Le savoir-faire et la concurrence déloyale

- Le savoir-faire

La protection accordée par le savoir-faire porte comme c'est le cas pour le brevet sur la formule et non sur la fragrance en tant que telle. A l'heure actuelle, il ne s'agit pas d'une protection spécifique à caractère général, elle est fondée sur l'article 1382 du Code civil et nécessite donc de démontrer une faute, un dommage et un lien de causalité entre ces deux éléments. Il existe en parallèle l'infraction de divulgation du "secret de fabrique" par un dirigeant ou un salarié qui est pénalement sanctionnée (C. prop. intell., art. L. 621-1 N° Lexbase : L9818ICM et C. trav., art. L. 1227-1 N° Lexbase : L1058H93).

Par ailleurs, doivent être mentionnés, ici, le projet de Directive et la proposition de loi qui visent à protéger plus largement et plus efficacement le "secret des affaires".

- La concurrence déloyale

L'imitation est traditionnellement considérée comme un acte de concurrence déloyale, en particulier en cas de copie servile et/ou de risque de confusion.

Il doit être noté que la jurisprudence est devenue plus libérale et conciliante et admet les demandes subsidiaires sur le fondement de la concurrence déloyale.

2 - Les limites et obstacles

2.1 - Le droit des brevets : une protection inadéquate

La protection par le brevet soulève un certain nombre de difficultés :

- le périmètre de la protection est restreint, puisque seule la formule est protégeable et pas la fragrance ;

- l'identification de la formule est parfois difficile ;

- la satisfaction des critères de brevetabilité peut s'avérer délicate ;

- la durée de la protection est insatisfaisante puisqu'elle est limitée à 20 ans et donc très inférieure à celle conférée par le droit d'auteur (70 ans post-mortem) ou par le droit des marques (potentiellement infinie) -or certains parfums existent depuis près d'un siècle : Chanel N° 5 (1921), Shalimar (1925)...- ;

- la publication de la demande de brevet puis du brevet délivré conduit à une divulgation qui facilite potentiellement la contrefaçon ;

- la contrefaçon est parfois difficile à sanctionner car il est souvent possible d'obtenir des résultats olfactifs très similaires par d'autres moyens, tels que les "twist" (formule reprise avec des modifications) ou les "remix" (accords empruntés à différents produits combinés).

2.2 - Le droit des marques : l'impasse graphique

Prenant le contre-pied de l'OHMI (cf. supra), les juridictions communautaires ont opposé leur veto à la protection des fragrances par le droit des marques.

- Dans son arrêt "Sieckman" (CJCE, 12 décembre 2012, préc.), la CJCE a refusé l'enregistrement d'une marque olfactive car : "peut constituer une marque un signe qui n'est pas en lui-même susceptible d'être perçu visuellement, à condition qu'il puisse faire l'objet d'une représentation graphique, en particulier au moyen de figures, de lignes ou de caractères, qui soit claire, précise, complète par elle-même, facilement accessible, intelligible, durable et objective. S'agissant d'un signe olfactif, les exigences de la représentation graphique ne sont pas remplies par une formule chimique, par une description au moyen de mots écrits, par le dépôt d'un échantillon d'une odeur ou par la combinaison de ces éléments".

- Le TPICE a confirmé cette position le 27 octobre 2005 en énonçant que "malgré le fait que [...] la mémoire olfactive est probablement la plus fiable dont dispose l'être humain et que [...] les opérateurs économiques ont un intérêt évident à recourir à des signes olfactifs pour identifier leurs produits, il n'en reste pas moins que la représentation graphique d'un signe doit permettre que celui-ci puisse être identifié avec exactitude afin de garantir un bon fonctionnement du système d'enregistrement des marques".

Le raisonnement des juges communautaires s'appuie sur la Directive 89/104 du 21 décembre 1988 sur les marques (N° Lexbase : L9827AUI), selon laquelle "peuvent constituer des marques tous les signes susceptibles de représentation graphique" (art. 3). Il doit être relevé que le Règlement 2007/2009 du 26 février 2009 sur la marque communautaire (N° Lexbase : L0531IDZ) reprend les même critères (art. 4) et que les accords ADPIC du 15 avril 1994, prévoient que "les membres pourront exiger comme condition à l'enregistrement que les signes soient perceptibles visuellement" (art 15.1 in fine)

Ce raisonnement est d'ailleurs suivi par le juge français. La cour d'appel de Paris a ainsi jugé le 3 octobre 2003 (CA Paris, 4ème ch., sect. B, 3 octobre 2003, n° 2003/02153 N° Lexbase : A9013C9P), pour "l'indication la la marque est constituée par le goût suivant'", que "si elle constitue bien une représentation graphique accessible et intelligible au public, elle ne remplit en aucun cas les critères de précision et d'objectivité requis. En effet, l'arôme de fraise n'est pas constant mais se modifie en fonction de la variété considérée et de la maturité du fruit ; la précision arome artificiel' ne suffit pas à donner à cette mention une constance, plusieurs arômes de fraise pouvant être également synthétiques".

2.3 - Le droit d'auteur : obstacles juridiques ou pratiques ?

2.3.1 - La jurisprudence de la Cour de cassation de 2006 à 2013 : un refus de protection dicté par la méthode de conception (savoir-faire)

Par un arrêt du 13 juin 2006, la première chambre civile de la Cour de cassation a posé en principe que "la fragrance d'un parfum, qui procède de la simple mise en oeuvre d'un savoir-faire, ne constitue pas au sens des textes précités, la création d'une forme d'expression pouvant bénéficier de la protection des oeuvres de l'esprit par le droit d'auteur" (Cass. civ., 13 juin 2006, n° 02-44.718, FS-P+B+I, préc., affaire "Dune"). Certains estiment qu'il s'agit d'un arrêt de règlement.

Le 14 février 2007, la cour d'appel de Paris n'a pas pour autant repris à son compte ce principe (CA Paris, 4ème ch., sect. C, 14 février 2007). Elle énonce que "la fixation de l'oeuvre ne constitue pas un critère exigé [...] dès lors que sa forme est perceptible. Tel est le cas d'une fragrance dont la composition olfactive est déterminable, peu important qu'elle soit différemment perçue, à l'instar des oeuvres littéraires, picturales ou musicales qui, elles aussi, requièrent un savoir-faire". Elle ajoute que "l'existence de familles de parfums n'exclut pas que les fragrances qui s'y rattachent, par l'emprunt de leurs composants dominants, soient protégeables, dès lors qu'elles sont le fruit d'une combinaison inédite d'essences dans des proportions telles que leurs effluves, par les notes olfactives finales qui s'en dégagent, traduisent l'apport créatif de l'auteur".

En 2008, sur pourvoi formé contre cet arrêt, la Chambre commerciale de la Cour de cassation (affaire "Le Mâle") reprend l'attendu de principe dégagé par la première chambre civile le 13 juin 2006 (Cass. com., 1er juillet 2008, n° 07-13.952, FS-P+B N° Lexbase : A4863D9Y). L'avocat général Sainte Rose, dans l'affaire "Dune" de 2006, comme Madame le conseiller rapporteur Alice Pezard, dans l'affaire "Le Mâle", s'étaient prononcés favorablement à une protection des fragrances par le droit d'auteur.

Il est intéressant de reprendre les thèses en présence dans l'affaire "Le Mâle". Pour les demandeurs au pourvoi qui s'opposaient à la protection par le droit d'auteur des fragrances :

- la fragrance n'est pas une oeuvre de l'esprit mais un produit de consommation et elle ne présente en tout cas aucune originalité au niveau de sa mise au point, qui ne requiert que le sens de l'odorat et non de la pensée, ni à travers de sa forme perceptible, en sorte qu'elle ne peut entrer dans le domaine de la propriété artistique ;

- il ne peut y avoir, sauf exception légale (par ex. le logiciel, les dessins et modèles), cumul de la propriété industrielle et cumul de la propriété artistique, or le parfum peut être protégé par le brevet ;

- la fragrance d'un parfum, volatile et subjectivement perçue, n'est pas susceptible de description objective, claire et précise ;

- il ne s'agit pas d'une activité intellectuelle mais uniquement sensorielle ;

- il n'est pas indifférent que les catégories d'oeuvres visées par l'article L. 112-2 du Code de la propriété intellectuelle se traduisent exclusivement par une forme sensible à la vue et à l'ouïe.

Au niveau des conséquences pratiques, ils soutenaient :

- que la protection d'une fragrance par le droit d'auteur aurait pour effet de paralyser toute innovation, soit en usant d'un droit moral qui est perpétuel, inaliénable et imprescriptible, soit en mettant en oeuvre ses droits patrimoniaux dans une action en contrefaçon ;

- qu'elle aurait pour effet d'étendre la protection à tous les produits gustatifs (apéritifs, plats cuisinés, vins) ;

- qu'elle aboutirait à assimiler à des oeuvres de l'esprit tout produit nouveau dont l'élaboration suppose un minimum de savoir-faire, de sorte que la propriété artistique deviendrait le droit commun de la commercialisation des produits nouveaux.

Cette argumentation est étonnante et très loin de la réalité lorsque l'on sait que certaines huiles essentielles sont le résultat de plus de 500 composants, ou encore qu'il a fallu 5 500 essais et trois nez de chez Lancôme pour mettre au point "La Vie est Belle" devenu en 2015 leader des fragrances féminines en France.

Selon la défenderesse au pourvoi, au contraire, qui reprend la thèse soutenue en demande devant la première chambre civile dans l'affaire "Dune" :

- la combinaison des deux textes précités ne permet pas d'exclure ipso facto la fragrance du parfum des oeuvres de l'esprit, dès lors qu'elle résulte d'un travail de création de la part de son auteur, qu'elle est l'aboutissement d'une activité créatrice, souvent appréhendée comme un effort personnalisé ou un apport intellectuel, qui doit dès lors bénéficier de la protection si elle remplit les conditions nécessaires d'originalité ;

- le terme "forme d'expression" figurant à l'article L. 122-1 doit s'entendre au sens large et englober les cinq sens, en ce compris l'odorat ;

- la doctrine pour la majeure part est favorable à la protection des fragrances par le droit d'auteur.

Pour l'avocat général Sainte Rose dans son avis devant la première chambre civile dans l'affaire "Le Mâle", le parfum qui nous intéresse ici en tant qu'éventuel objet de la protection du droit d'auteur ne peut être que le parfum au sens de l'odeur, de la fragrance, qui est au coeur de la création du parfumeur, la formule de composition chimique n'étant qu'un moyen technique qui donne la possibilité de reproduire à l'identique l'odeur étudiée et créée.

L'avocat général Main n'a pas suivi pour sa part l'avis de son collègue et a repris la position traditionnelle de la première chambre civile de la Cour de cassation dans l'affaire "Dune", l'argument sans doute le plus décisif, selon lui, étant que la fragrance n'est pas objectivable, elle est par nature rebelle à toute tentative d'appréhension objective.

La première chambre civile de la Cour de cassation a ensuite rappelé cette position dans un arrêt du 22 janvier 2009. Pour Patrick Saint-Yves, président de la Société française des parfumeurs, "cela revient à nier le geste créatif, à ignorer un processus de maturation intellectuelle qui peut durer plusieurs mois, voire plusieurs années [...]. En France, les nez n'ont pas de statut officiel. Un pan entier de notre patrimoine est laissé sans protection".

2.3.2 - L'arrêt de la Cour de cassation du 10 décembre 2013 : un refus de protection reposant désormais sur l'absence de caractère identifiable avec une précision suffisante

Selon l'arrêt de la Chambre commerciale du 10 décembre 2013, "le droit d'auteur ne protège les créations dans leur forme sensible, qu'autant que celle-ci est identifiable avec une précision suffisante pour permettre sa communication ; que la fragrance d'un parfum, qui, hors son procédé d'élaboration, lequel n'est pas lui-même une oeuvre de l'esprit, ne revêt pas une forme présentant cette caractéristique, ne peut dès lors bénéficier de la protection par le droit d'auteur". La Chambre commerciale semble presque prête à franchir le pas et à opérer un revirement pour admettre la protection des fragrances par le droit d'auteur, revirement qui ne pourra venir que d'un arrêt d'Assemblée plénière.

Il faudra donc convaincre la première chambre civile. Cette opposition marquerait en quelque sorte la querelle des anciens et des modernes, celle entre la première chambre civile, formation "gardienne" de la grande tradition civiliste, et la Chambre commerciale, beaucoup plus en prise avec les problèmes économiques. Il n'est donc pas étonnant que l'évolution soit initiée par cette dernière.

En effet, dans l'arrêt du 10 décembre 2013, la référence à la "simple mise en oeuvre d'un savoir-faire" disparaît et fait place à une protection subordonnée à l'existence d'une forme descriptible avec précision, objectivement et intégralement. Cette position, en apparence moins réductrice, a néanmoins pour conséquence de priver -jusqu'à nouvel ordre- de l'action en contrefaçon la victime dont la fragrance est copiée.

2.3.3 - Tentative de décryptage pratique

Il est possible de penser que la décision de la Chambre commerciale ait été dictée par la crainte de la difficulté, pour les magistrats, d'avoir à faire face, non seulement à la volatilité de la fragrance copiée, mais également :

- à la part de subjectivité de la perception de la fragrance copiée ;

- à la part de subjectivité de la comparaison de la fragrance copiée avec des fragrances antérieures pour l'appréciation de son originalité ;

- à la part de subjectivité de la comparaison de la fragrance copiée avec les copies de cette dernière ;

- au risque d'extension de la protection du droit d'auteur à tous les produits gustatifs (apéritifs, vins, plats cuisinés).

2.4 - Le savoir-faire et la concurrence déloyale : une protection limitée

- Le savoir-faire

Si la protection par le brevet est inadéquate, la protection par le savoir-faire est quant à elle limitée car il ne s'agit pas d'un véritable droit privatif constitutif d'un monopole. En outre, il n'y a pas de mesures probatoires et réparatrices propres aux droits de propriété intellectuelle, ce qui pourrait changer si la proposition de loi sur le secret des affaires était votée en l'état par le Parlement, puisqu'il y a un quasi alignement en la matière sur le droit de la propriété intellectuelle. Dans un domaine où l'on n'est pas en présence d'un monopole, appliquer les mêmes recettes au cas dans lequel on est en présence d'un titre de propriété intellectuelle peut s'avérer néanmoins dangereux et dévaloriser au final les droits de propriété intellectuelle. En outre, le secret et la protection par le savoir-faire sont de plus en plus illusoires, compte tenu de l'amélioration constante des techniques de copiage (chromatographie en phase gazeuse, spectrométrie de masse, analyse headspace)

- La concurrence déloyale

Au vu de l'évolution jurisprudentielle en matière de concurrence déloyale et de parasitisme, la protection a un champ d'application large mais a caractère subjectif et aléatoire et ne bénéficie pas de l'arsenal propre à la contrefaçon.

3 - Quelles perspectives ?

3.1 - En droit d'auteur : influence des droits étrangers ?

Les droits anglais, américain et allemand connaissent sensiblement les mêmes hésitations que le droit français. En droit anglais, notamment, les oeuvres susceptibles d'être protégées sont limitativement énumérées et ne semblent pas inclure d'oeuvres appréhendables par d'autres sens que l'ouïe ou la vue.

Seul le doit néerlandais a franchi le cap avec l'arrêt "Hoge Raad" de la Haute juridiction de La Haye du 16 juin 2006 qui, comme cela a été rappelé en introduction, a retenu que la fragrance d'un parfum est protégeable par le droit d'auteur en principe en tant qu'oeuvre. Pourtant le droit néerlandais et le droit français sont assez similaires : une oeuvre doit être originale et perceptible. Or, pour la Haute cour néerlandaise, la perceptibilité doit se distinguer de la composition du jus (de la même manière, selon elle, que les lettres de l'alphabet ou le papier d'un livre, qui sont des éléments de composition, ne sont pas protégeables en tant que tels, seul le contenu issu de mélange -liquide ou littéraire- l'est) et peut n'être qu'olfactif.

3.2 - En droit des marques : pas d'impact des droits étrangers mais évolution du droit communautaire ?

Le droit américain ne pose pas de prohibition mais refuse l'enregistrement d'une marque olfactive. En effet, n'est pas proscrit en tant que telle la marque olfactive ou gustative dès lors qu'elle est devenue distincte par l'usage et qu'elle est perçue non comme une caractéristique du produit ou du service, mais comme l'indication de l'origine de ceux-ci. Toutefois, à l'instar des juges européens, le Trade Mark and Appeal Board américain refuse l'enregistrement de tels signes (aff. Pohl-Boskamp, TTAB, 25 février 2013).

Le droit anglais, quant à lui, ne couvre pas les fragrances.

En droit communautaire va-t-on assister à un renouveau de la marque olfactive ?

Les projets de Directive de refonte du droit des marques et de Règlement sur la marque européenne visent à moderniser et à améliorer les dispositions existantes en revoyant la définition de la marque. La Commission considère l'exigence de "possibilité de représentation graphique" obsolète car "source de grande insécurité juridique pour certaines marques atypiques consistant, par exemple, en un simple son" (considérant 5.1). La proposition de nouvelle définition "ne restreint pas les modes de représentation admissibles aux représentations graphiques ou visuelles, mais laisse la porte ouverte à l'enregistrement d'objets pouvant être représentés par des moyens technologiques offrant des garanties satisfaisantes". Le but est ainsi de "permettre plus de souplesse en la matière, tout en renforçant la sécurité juridique". Les nouveaux articles 3 de la Directive et 4 du Règlement prévoiraient ainsi que peuvent constituer des marques les signes qui sont propres à distinguer des produits ou des services et qui peuvent "être représentés d'une manière qui permette aux autorités compétentes et au public de déterminer l'objet exact de la protection conférée au titulaire".

3.3 - Le nouveau secret des affaires, bras armé du savoir-faire ?

Il est intéressant de noter que le préambule de la proposition de loi n° 2139 du 16 juillet 2014, relative à la protection du secret des affaires, cite explicitement la fragrance d'un parfum et l'assemblage du champagne comme illustrations de la valeur économique de l'information -l'un des trois critères cumulatifs proposés pour protéger le secret des affaires- qui "procède de son caractère secret et, par voie de conséquence, de l'avantage concurrentiel qu'elle peut procurer". Cette protection serait quasiment alignée sur la contrefaçon.

3.4 - Evolution ou révolution du droit ?

L'évolution pourrait provenir d'un revirement de jurisprudence qui intégrerait le parfum dans la catégorie des oeuvres protégeables tandis que la marque olfactive serait reconnue comme telle. Cette option a l'avantage d'éviter une refonte en profondeur de la matière par le législateur mais présente un inconvénient majeur, celui d'un étirement à l'extrême des catégories qui soulèverait certaines difficultés, notamment celles de l'inapplicabilité potentielle du droit moral, de la caractérisation de l'originalité et/ou de la contrefaçon, et du cumul et du conflit entre régimes et titulaires.

La révolution proviendrait quant à elle de l'introduction dans le Code de la propriété intellectuelle d'une "oeuvre olfactive" et/ou d'une "marque olfactive" qui reviendrait alors à créer un droit sui generis adapté à l'objet spécial qu'il couvre, à l'image du droit sur les semi-conducteurs et sur les obtentions végétales. Quoi qu'il en soit la protection par le droit d'auteur impose d'aménager une protection spécifique de plus de 70 ans post-mortem car beaucoup de parfums sont très anciens.

Le point essentiel en pratique est de savoir s'il existe ou non des contrefacteurs de la fragrance. Si la réponse est positive et que cette contrefaçon gène l'économie, alors que la parfumerie est une activité très importante pour la France, stopper ceux qui perturbent ce marché s'impose.

Conclusion

Le droit semble avoir -pour le moment- choisi ses "sens préférés", ceux qui sont dits mécaniques, c'est-à-dire la vue et l'ouïe et délaissé les sens dits chimiques que sont l'odorat et le goût. On peut toutefois espérer, à la lumière de la porte ouverte par l'arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation de 2013, que les obstacles à la protection des fragrances sont davantage techniques que juridiques. A ce sujet Thierry Lambert déclare, très justement, que "le chemin de l'appropriation de l'oeuvre et de la marque olfactive passe par une innovation de rupture consacrant une avancée décisive dans la représentation formelle graphique ou technologique acceptable par le droit de la propriété intellectuelle. C'est du dialogue des savoirs et de la recherche scientifique que viendra alors, en notre matière, une proposition de solution" (D., 2013, p. 2039).

Ainsi, l'avenir de la protection de la fragrance par le droit d'auteur réside vraisemblablement dans le progrès technique permettant, notamment par la fixation sur un support/vecteur pérenne, de palier sa nature éphémère, variable et difficilement objectivable.

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Rupture du contrat de travail

[Brèves] Validité de la rupture conventionnelle conclue au cours des périodes de suspension du contrat de travail auxquelles la salariée a droit au titre de son congé de maternité, ainsi que pendant les quatre semaines suivant l'expiration de ces périodes

Réf. : Cass. soc., 25 mars 2015, n° 14-10.149, FS-P+B (N° Lexbase : A6728NEW)

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N6722BUI

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Le 02 Avril 2015

Sauf en cas de fraude ou de vice du consentement, non invoqués en l'espèce, une rupture conventionnelle peut être valablement conclue en application de l'article L. 1237-11 du Code du travail (N° Lexbase : L8512IAI) au cours des périodes de suspension du contrat de travail auxquelles la salariée a droit au titre de son congé de maternité, ainsi que pendant les quatre semaines suivant l'expiration de ces périodes. Telle est la solution dégagée par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 25 mars 2015 (Cass. soc., 25 mars 2015, n° 14-10.149, FS-P+B N° Lexbase : A6728NEW).
En l'espèce, Mme X a été engagée le 15 septembre 2003 en qualité d'ingénieur commercial par la société Y. Son contrat de travail comportait en son article 4 une clause dite de non concurrence. A l'issue du congé de maternité dont la salariée a bénéficié du 18 avril 2009 au 7 août 2009, les parties ont convenu le 10 août d'une rupture conventionnelle, qui a fait l'objet d'une homologation par l'autorité administrative le 7 septembre 2009. La salariée a saisi la juridiction prud'homale de demandes relatives tant à l'exécution de son contrat de travail qu'à la rupture de celui-ci.
La cour d'appel ayant débouté la salariée de sa demande en dommages-intérêts pour licenciement nul, cette dernière s'est pourvue en cassation.
Cependant, en énonçant la règle susvisée, la Haute juridiction rejette son pourvoi (cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E0218E79).

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Rupture du contrat de travail

[Brèves] Précisions relatives aux conditions applicables à la conclusion d'une transaction après la signature d'une convention de rupture

Réf. : Cass. soc., 25 mars 2015, n° 13-23.368, FS-P+B (N° Lexbase : A6723NEQ)

Lecture: 2 min

N6757BUS

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Le 03 Avril 2015

Un salarié et un employeur ayant signé une convention de rupture ne peuvent valablement conclure une transaction, d'une part, que si celle-ci intervient postérieurement à l'homologation de la rupture conventionnelle par l'autorité administrative, d'autre part, que si elle a pour objet de régler un différend relatif non pas à la rupture du contrat de travail mais à son exécution sur des éléments non compris dans la convention de rupture. Telle est la solution dégagée par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 25 mars 2015 (Cass. soc., 25 mars 2015, n° 13-23.368, FS-P+B N° Lexbase : A6723NEQ).
Dans cette affaire, M. X a été engagé le 3 juillet 1965 en qualité de technicien viticole. Au dernier état de la relation de travail, il occupait les fonctions de directeur de production et directeur de sites viti-vinicoles. Les parties ont signé le 22 juillet 2009 une convention de rupture du contrat de travail fixant la fin de la relation de travail au 31 août 2009, homologuée par l'autorité administrative le 12 août 2009. Elles ont, entre le 22 juillet et le 28 août 2009, conclu une transaction destinée à mettre fin à toute contestation résultant de la conclusion, de l'exécution et de la rupture du contrat de travail. Le salarié a été licencié le 11 septembre 2009 pour faute lourde et a saisi la juridiction prud'homale d'une demande en paiement de l'indemnité prévue à la transaction.
La cour d'appel (CA Angers, 2 juillet 2013, n° 11/01941 N° Lexbase : A8618MTD) déboute l'employeur de sa demande en annulation de la transaction et accueille la demande du salarié en paiement d'une somme au titre de celle-ci. Après avoir relevé, par motifs adoptés, que cette transaction a été signée entre le 22 juillet 2009, date de signature de la rupture conventionnelle et le 12 août 2009, date d'homologation de celle-ci, la cour d'appel retient, par motifs propres, d'une part qu'un différend s'étant élevé au sujet de cette rupture conventionnelle, les parties ont entendu régler de façon globale, forfaitaire et définitive tous litiges pouvant se rattacher à l'exécution du contrat de travail et à la rupture de celui-ci, et que moyennant le paiement d'une indemnité, ce salarié a renoncé à contester le principe et les modalités de la rupture conventionnelle, ensuite que la nullité d'une transaction résultant du fait qu'elle a été conclue avant la date de la rupture du contrat de travail est une nullité relative qui ne peut pas être invoquée par l'employeur. L'employeur s'est alors pourvu en cassation.
En énonçant la règle susvisée, la Haute juridiction casse l'arrêt d'appel au visa des articles L. 1237-11 (N° Lexbase : L8512IAI), L. 1237-13 (N° Lexbase : L8385IAS) et L. 1237-14 (N° Lexbase : L8504IA9) du Code du travail, ensemble l'article 2044 du Code civil (N° Lexbase : L2289ABE) (cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E0210E7W).

newsid:446757