Réf. : CAA Marseille, 3ème Ch. A, 1, 6 juin 2002, n° 98MA00940, Société Finestate c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie (N° Lexbase : A4632AZL)
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par Jean-Marc Priol, Avocat au barreau de Paris, Landwell & Associés
Le 21 Octobre 2014
Les faits de l'espèce révèlent en effet la situation paradoxale et peu courante dans laquelle s'est placé un contribuable qui, faute d'avoir utilement opposé, dans les délais, au Trésor la prescription de sa créance, à la suite de la délivrance d'un avis à tiers détenteur suivi d'un commandement de payer, se trouve contraint d'en assumer le règlement.
En effet, le contribuable, une société de droit liechtensteinien, avait fait l'objet d'un contrôle fiscal suivi d'un rappel d'impôt sur les sociétés en date du 31 mars 1983, contesté par voie de réclamation assortie d'une demande de sursis de paiement le 22 juillet 1983.
A la suite du rejet de sa réclamation le 13 août 1984, et près de 8 ans après ce rejet, un avis à tiers détenteur lui a été adressé le 16 juin 1992, suivi d'un commandement de payer notifié le 30 septembre 1992.
1. La société a saisi le tribunal administratif de Marseille d'une demande d'opposition à la contrainte résultant du commandement de payer puis a fait appel devant la cour administrative d'appel de Marseille du jugement de ce tribunal en date du 16 février 1998 ayant rejeté sa requête.
Par l'arrêt commenté, la cour administrative d'appel de Marseille a confirmé le jugement du tribunal administratif de Marseille en rappelant "qu'aucune disposition du livre des procédures fiscales, ni aucun principe n'autorise la société, qui n 'a pas présenté dans les délais requis une opposition à contrainte, à revendiquer utilement le bénéfice des dispositions de l'article L. 274 du Livre des procédures fiscales"
Il convient de souligner qu'aux termes des dispositions de l'article L. 274 du LPF , "les comptables du Trésor qui n'ont fait aucune poursuite contre un contribuable retardataire pendant quatre années consécutives à partir du jour de la mise en recouvrement du rôle, perdent leur recours et sont déchus de tous droits et de toute action contre ce redevable".
La cour ne fait pas autre chose que d'appliquer en la matière une jurisprudence bien établie (dernièrement, CAA Paris, 2ème ch., Contentieux, 12 mars 2003, n° 02PA02138 N° Lexbase : A0853B7Q et CAA Marseille, 25 mars 2003, n° 98MA00902 N° Lexbase : A7487B98), et intégralement reprise dans ses principes par la doctrine administrative (Doc. adm. 12-C-63, n° 1) qui rappelle que "n'opérant pas de plein droit, il ne suffit pas à un débiteur d'être dans une situation de pouvoir bénéficier [de la prescription] pour être libéré : il lui faut s'en prévaloir et cela dans certaines conditions. Ainsi, pour pouvoir être utilement invoquée, la prescription doit l'être devant le juge par le débiteur lui-même qui ne doit pas pouvoir y renoncer".
Pour la cour, le contribuable qui entend opposer la forclusion de l'action en recouvrement de l'administration doit donc respecter certaines conditions de procédure.
Il ne peut invoquer, en premier lieu, cette déchéance devant le juge de l'impôt que s'il a préalablement porté sa contestation (opposition à contrainte ou plus exactement opposition à l'obligation de payer) devant l'autorité compétente (Trésorier payeur général ou Directeur des services fiscaux) en matière de recouvrement, suivant la nature de l'impôt ou de la taxe objet du litige.
C'est ce que précisent clairement les dispositions combinées des articles L. 281 (N° Lexbase : L8541AE3) et R. 281-1 (N° Lexbase : L2291AEL) et suivants du LPF, en édictant que "les contestations relatives au recouvrement des impôts, taxes, redevances [...] dont la perception incombe aux comptables publics [...], portant sur l'existence de l'obligation de payer, doivent être adressées à l'administration dont dépend le comptable qui exerce les poursuites [...]" et doivent être formulées par le redevable par voie "d'une demande qui doit être adressée, appuyée de toutes justifications utiles, en premier lieu, au chef du service du département ou de la région dans lesquels est effectuée la poursuite".
En second lieu, la revendication par le contribuable de la prescription de l'action en recouvrement d'impositions ou de taxes du fisc n'est valide que pour autant que cette dernière ait été présentée dans les délais visés par les dispositions de l'article R. 281-2 (N° Lexbase : L7657AEC) et R. 281-3 (N° Lexbase : L7658AED) du LPF qui précisent "que la demande [...] doit, sous peine de nullité être adressée" à l'autorité compétente "dans un délai de deux mois [...] après le premier acte qui permet d'invoquer", comme au cas d'espèce, un motif tiré de la forclusion.
Il doit être précisé, en outre, que les dispositions de l'article R. 281-4 (N° Lexbase : L2023AEN) ajoutent que "le chef de service se prononce dans un délai de deux mois à partir du dépôt de la demande [...]" et "si aucune décision n'a été prise dans ce délai ou si la décision rendue ne lui donne pas satisfaction, il doit à peine de forclusion, porter l'affaire devant le juge compétent [...]" dans un délai "de deux mois à partir soit de la décision du chef de service, soit de l'expiration du délai de deux mois accordé au chef de service pour prendre sa décision".
C'est donc cette réponse qu'a apportée la cour à la question posée par tout contribuable de savoir comment il peut se prévaloir de la prescription à l'égard de l'administration à tout moment de la procédure.
La cour a ainsi validé une imposition prescrite, pour non-respect des règles de forclusion posées par les articles L. 281 et R. 281-1 à R. 281-4 du LPF, dans la mesure où le contribuable aurait dû contester, préalablement la saisine du juge, le premier acte de poursuite, par voie de réclamation portée devant l'administration.
La cour tire la conclusion que le contribuable ne peut s'affranchir des règles de procédure pré-contentieuse pour faire valoir utilement ses droits en justice.
La cour en a également profité pour rappeler qu'en application de l'article L. 281-5 du LPF (N° Lexbase : L2024AEP), elle ne peut se prononcer que sur des moyens qui ont été soumis au Trésorier payeur général, et qu'en l'espèce, l'avis à tiers détenteur n'ayant jamais été présenté par le contribuable dans une demande préalable, il ne peut, par suite, être accepté favorablement s'agissant d'un moyen de fait nouveau qui ne peut être valablement accueilli pour la première fois devant les juridictions administratives (Tribunal administratif puis cour administrative d'appel).
2. Le rejet par la cour de la demande du contribuable de constater la prescription de son imposition, appelait toutefois une autre question, celle de la compatibilité des règles de la procédure de recouvrement avec la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (CESDH) sur le terrain des articles 6-1 (N° Lexbase : L7558AIR) et 13 de ladite convention.
En réalité, deux questions se trouvaient posées ; la première ayant trait à l'invocabilité de la CESDH en matière de contentieux du recouvrement et la seconde ayant trait à l'effectivité de l'accès au juge.
A. Sur la question de l'invocabilité de la CESDH, la cour répond par la négative contrairement à l'avis rendu par son Commissaire du gouvernement, M. Duchon-Doris.
Selon la cour, le contribuable ne pouvait utilement invoquer la méconnaissance des stipulations du 1 de l'article 6 de ladite Convention dans la mesure où "le juge de l'impôt ne statue pas en matière pénale, sauf lorsqu'il connaît de contestations relatives aux pénalités fiscales ; qu'il ne tranche pas non plus des contestations sur des droits et obligations de caractère civil, même si, lorsqu'il statue sur un litige relatif au recouvrement de l'impôt, sa décision est susceptible de produire des effets de caractère patrimonial".
La décision de la cour sur ce point est contraire aux conclusions de son Commissaire du gouvernement selon lequel bien que "la CEDH ne s'est jamais clairement prononcée sur ce terrain [le contentieux du recouvrement]", il convient de relever que "c'est à l'occasion d'un litige de recouvrement que la jurisprudence de la Cour de cassation a accepté pour la première fois de reconnaître l'applicabilité de l'article 6-1" en considérant "que le contentieux fiscal ressortait des contestations sur les droits et obligations de caractère civil au sens de l'article 6-1" (Cass. com., 20 novembre 1990, n° 89-16.473 N° Lexbase : A4593AC4 ; Cass. com., 4 janvier 1994, n° 91-15.601 N° Lexbase : A6450ABI). Il en est de même pour certaines juridictions d'appel (CAA Paris, 15 juin 2000, n° 97PA01897 N° Lexbase : A9937BHI ; CAA Marseille, 1er juillet 1999, n° 96MA01848 [LXB=A2010BME ]).
Le Commissaire du gouvernement poursuit dans ses conclusions en considérant "que du point de vue de l'opportunité, il ne fait guère de doute que le contentieux du recouvrement, contrairement au contentieux de l'assiette, est un contentieux fortement inéquitable et inégalitaire".
Toutefois, se pose la question de savoir si les jurisprudences négatives du Conseil d'Etat (CE 19 avril 2000, n° 200043 N° Lexbase : A3054B8M) et de la CEDH (CEDH, 12 juillet 2001, n° 44759 /98 N° Lexbase : A7683AWH) suivant laquelle "le contentieux fiscal échappe au champ des droits et obligations de caractère civil, en dépit des effets patrimoniaux qu'il a nécessairement quant à la situation des contribuables", sont susceptibles d'infléchir cette position.
Selon le Commissaire du gouvernement, s'agissant spécifiquement du contentieux du recouvrement, "on peut douter que la même solution s'applique [...] alors que le litige n'est plus [...] relatif à la détermination de la nature et de l'importance de l'obligation fiscale mais à la quotité ou l'exigibilité de la créance du Trésor et qu'il s'agit de prélever une somme d'argent sur le patrimoine du contribuable".
Seule l'évolution jurisprudentielle à venir permettra probablement de mieux fixer le droit sur le sujet.
B. Sur la question de "l'effectivité du recours au juge", la cour répond également par la négative, suivant en cela son Commissaire du gouvernement, mais sur des motifs plus nuancés que les siens.
Selon la cour, le contribuable ne pouvait également invoquer utilement les stipulations de l'article 13 de la convention dans la mesure où "la société qui revendique d'opposer la prescription de l'action en recouvrement en dépit de la tardiveté de sa demande, n'établit pas quel droit ou liberté reconnu par la convention aurait été méconnu".
La décision de la cour sur ce point est conforme aux conclusions du Commissaire du gouvernement. Ce dernier soutient que si "rien ne [...] paraît a priori s'opposer à l'invocation de l'article 13 de la Convention en matière fiscale [...], une réponse négative [...] paraît s'imposer, sans qu'il y ait lieu de s'interroger [...] sur un recours effectif [...]. La possibilité d'opposer la prescription" ne se trouve pas "au rang de droit ou de liberté reconnus" par la Convention.
Concernant spécifiquement ce point, au cas d'espèce, le Commissaire du gouvernement propose, donc, à la cour de ne pas accéder à la demande du contribuable.
Enfin, poursuivant sur le sujet, la cour rejette l'invocation à l'article 1er du premier protocole additionnel à la CESDH au motif "que si la société soutient que le service, en engageant des poursuites alors que la créance était prescrite, a porté atteinte à ses droits patrimoniaux et à ses biens, la règle selon laquelle la reconnaissance par le juge qu'une prescription soit subordonnée au respect de règles de recevabilité relatives en particulier aux délais de recours ne saurait être regardée compte tenu de son objectif et de sa portée, comme portant par elle-même, ni en l'espèce, atteinte au respect des biens du contribuable au sens de cet article"
En fait, selon le Commissaire du gouvernement, dès lors que le contribuable "n'entendait pas en effet, [dans ses écritures] protester de ce que les règles de procédure seraient trop complexes pour assurer un droit d'accès concret et effectif au juge", sa demande ne pouvait qu'être rejetée.
Cela veut dire a contrario que, si le contribuable avait "fait porter la discussion sur le contenu de ses règles de forclusion et sur les effets quant à l'effectivité de l'accès au juge", un avis favorable à cette demande aurait pu être donné dans le même sens que la décision qu'a prise la CEDH qui a sanctionné la procédure française de contestation des décrets de classement de site (CEDH, 16 décembre 1992, n° 87 /1991/339/412 (N° Lexbase : A6547AWE).
En d'autres termes, il apparaît que "les recours trop brefs" (délais de deux mois ) ou encore le fait que les litiges en matière de contentieux du recouvrement sont "très largement cristallisés au stade de la réclamation préalable" puissent constituer des moyens de contrariété de la procédure de recouvrement avec les stipulations de la Convention que pourrait invoquer tout contribuable dans des litiges de cette nature l'opposant à l'administration fiscale.
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