Le Quotidien du 25 mars 2025

Le Quotidien

Accident du travail - Maladies professionnelles (AT/MP)

[Observations] Amiante : le préjudice moral indemnisé par le FIVA inclut le préjudice d'anxiété subi par les victimes après la déclaration de la maladie professionnelle

Réf. : Cass. civ. 2, 27 février 2025, n° 22-21.209, F-B N° Lexbase : A44356ZB

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par Charlotte Blanc Laussel, Avocate au Barreau de Paris, Docteure en droit

Le 24 Mars 2025

► Après la déclaration de maladie professionnelle, l'indemnisation d'un préjudice moral par le FIVA inclut la réparation du préjudice d'anxiété lié à la conscience permanente du risque d'aggravation de la maladie.

Périmètre du préjudice d’anxiété. Le salarié qui justifie d'une exposition à une substance nocive ou toxique telle que l’amiante, générant un risque élevé de développer une pathologie grave, peut agir contre son employeur pour manquement de ce dernier à son obligation de sécurité et obtenir réparation.

Le préjudice d’anxiété répare l'ensemble des troubles psychologiques, y compris les troubles liés au bouleversement dans leurs conditions d'existence, qu'engendre la connaissance par les salariés du risque élevé de développer une pathologie grave, pouvant être la cause de leur décès, créé par une exposition à une substance nocive ou toxique (Cass. soc., 25 septembre 2013, n° 12-12.883, FP-P+B N° Lexbase : A9515KLY ; Cass. soc., 3 mars 2015, n° 13-20.486, FP-P+B+R N° Lexbase : A9056NCE).

La Cour de cassation a ainsi eu l’occasion de préciser que le préjudice d’anxiété répare la « situation d'inquiétude permanente » dans laquelle les salariés se trouvaient par le fait de l'employeur alors qu’ils « étaient amenés à subir des contrôles et examens réguliers propres à réactiver cette angoisse » (Cass. soc., 11 mai 2010, n° 09-42.241, FP-P+B+R N° Lexbase : A1745EXW)

Incompétence matérielle de la juridiction prud’homale pour statuer sur la demande en réparation d’un préjudice d'anxiété en lien avec une pathologie déjà prise en charge par la Caisse. Dans cette affaire, un ancien salarié qui exerçait le métier de mécanicien industriel a déclaré une affection « plaques pleurales » qui a été prise en charge par la Caisse au titre du tableau n° 30 des maladies professionnelles.
Il a ensuite accepté une offre d'indemnisation du FIVA pour un montant de 22 519, 22 €, dont 15 400 € au titre de l'indemnisation de son préjudice moral. L'ancien salarié a postérieurement saisi le conseil de prud’hommes de Pau en référé, qui a ordonné à l'employeur de remettre au salarié une fiche d'exposition à l'amiante et de lui payer une provision de 2 500 € à valoir sur l'indemnisation de son préjudice d’anxiété. Cette ordonnance a été confirmée en appel.
Dans un second temps, le salarié a saisi au fond la juridiction prud’homale d'une demande tendant à la condamnation de son employeur à la réparation de son préjudice d'anxiété. Ce dernier a alors soulevé l'incompétence matérielle de cette juridiction pour statuer sur cette action.
En parallèle, le salarié a formé une demande de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur en lien avec sa maladie professionnelle, procédure à laquelle est intervenu le FIVA. La faute inexcusable de l’employeur a alors été reconnue par la juridiction de Sécurité sociale qui a fixé l'indemnisation des préjudices à 15 400 € au titre du préjudice moral et 200 € au titre du préjudice physique.

Par jugement du 8 mars 2016, le conseil de prud’hommes de Pau a rejeté l'exception d'incompétence matérielle et a reconnu le trouble psychologique du préjudice d'anxiété lié à une éventuelle aggravation de la maladie professionnelle du salarié provoqué par son exposition à l'amiante, en lui allouant la somme globale de 12 500 €.
L'employeur a interjeté appel devant la cour d’appel de Pau qui a infirmé la décision attaquée (CA Pau, 14 février 2019, n° 16/01193 N° Lexbase : A1220YXH), en se déclarant matériellement incompétente pour statuer sur une action en indemnisation d'un dommage résultant d'une maladie professionnelle, s'agissant au cas particulier d'un préjudice d'anxiété, en renvoyant l’affaire devant le tribunal spécialement désigné pour en connaître, soit le pôle social du tribunal judiciaire.

Pour ce faire, la cour d’appel de Pau a d’abord rappelé qu’en vertu d’une jurisprudence constante de la Cour de cassation (Cass. soc., 15 février 2012, n° 10-21.948, F-D N° Lexbase : A8742ICR ; Cass. soc., 29 mai 2013, n° 11-20.074, FS-P+B+R N° Lexbase : A9450KEQ ; Cass. soc. 6 novembre 2019, n° 18-20.837, F-D N° Lexbase : A3974ZUQ), l'indemnisation des dommages résultant d'un évènement professionnel, qu'il soit ou non la conséquence d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, relève de la compétence exclusive de la juridiction de Sécurité sociale.

Dès lors, et même s’ils sont intrinsèquement liés à l’exécution du contrat de travail, l’appréciation et l’indemnisation des manquements de l’employeur à son obligation de sécurité ne relèvent pas nécessairement de la compétence de la juridiction prud’homale.

Ainsi, un salarié ne peut former devant la juridiction prud'homale une action en dommages et intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité afin d’obtenir réparation de dommages résultant d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle.

Cela s’explique par le fait que lorsqu’un salarié est victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, les règles spécifiques tirées des articles L. 142-1 N° Lexbase : L1769LZK et L. 451-1 N° Lexbase : L4467ADS du Code de la Sécurité sociale, trouvent à s’appliquer.

À l’inverse, lorsque le salarié invoque une violation d’une obligation de sécurité de l’employeur alors que l’évènement invoqué n’a pas été pris en charge au titre de la législation professionnelle, seule la juridiction prud’homale est compétente pour examiner sa demande en dommages-intérêts à ce titre (Cass. soc., 3 mai 2018, n° 16-26.850 N° Lexbase : A4409XMA et n° 17-10.306 N° Lexbase : A1880XML, FS-P+B+R+I).

En l’espèce, la cour d’appel de Pau a relevé, dans un premier temps, que la victime sollicitait l’indemnisation d'un préjudice d'anxiété au titre d'une pathologie, dont le caractère professionnel avait été préalablement reconnu par la Caisse, comme étant consécutive à une exposition prolongée à l'amiante.

Dans un second temps, la juridiction du fond en a logiquement déduit que le préjudice dont cet ancien salarié demandait réparation était en réalité intimement lié à la maladie professionnelle ainsi prise en charge, l’anxiété découlant ici de l'incertitude relative à l’évolution de la pathologie dont il était déjà atteint.

En conséquence, l’incompétence matérielle de la juridiction prud’homale a été objectivée au motif que l’action en réparation de ce préjudice d'anxiété devait s'analyser comme une action en indemnisation d'un dommage résultant d'une maladie professionnelle.

Cette solution est parfaitement cohérente avec la jurisprudence ancienne de la Cour de cassation qui avait déjà eu l’occasion de juger que, dès lors que les salariés n'avaient pas déclaré souffrir d'une maladie professionnelle causée par l'amiante, les demandes indemnitaires fondées sur le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité relevaient de la compétence de la juridiction prud'homale (Cass. soc., 25 septembre 2013, n° 12-12.883, FP-P+B N° Lexbase : A9515KLY). Ainsi, il pouvait déjà s’en déduire, qu’à l’inverse, dès lors que les salariés avaient déclaré souffrir d’une maladie professionnelle causée par l’amiante et prise en charge comme telle par un organisme social, alors les demandes indemnitaires en lien avec un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité devaient relever de la juridiction de Sécurité sociale.
Inclusion du préjudice d'anxiété dans le préjudice moral indemnisé par le FIVA après la déclaration de maladie professionnelle. Par jugement du 30 août 2021, le pôle social du tribunal judiciaire de Pau a, sur renvoi, postérieurement déclaré irrecevable la demande d'indemnisation d’un préjudice d’anxiété de la victime et l’a condamné à rembourser à son ancien employeur la somme de 2 500 € qu’il avait initialement obtenue en référé à titre de provision.
La victime a interjeté appel de cette décision, soutenant qu'elle était recevable à agir dès lors que la transaction passée avec le FIVA portait sur la réparation de son seul préjudice moral et non sur l’indemnisation d’un préjudice d'anxiété. À l’appui de sa demande, elle faisait notamment valoir que ces deux préjudices ne se confondaient pas, car si le préjudice moral indemnisait les souffrances endurées, le préjudice d’anxiété indemnisait quant à lui l'appréhension d'une dégradation de l'état de santé.

L’ancien employeur s’opposait à cette indemnisation, en faisant valoir que la victime avait déjà été indemnisée de son préjudice d’anxiété suivant offre acceptée du FIVA, de sorte qu’en application des dispositions de l'article 53, IV, alinéa 3 de la loi du 23 décembre 2000 N° Lexbase : L5178AR9, qui prévoit que l'acceptation d'une offre d'indemnisation du FIVA vaut désistement des actions juridictionnelles en indemnisation en cours et rend irrecevable toute autre action juridictionnelle future en réparation du même préjudice, sa demande en réparation d’un préjudice d’anxiété était irrecevable à ce titre.

Par arrêt du 7 juillet 2022 (CA Pau, 7 juillet 2022, n° 21/03219 N° Lexbase : A15438GA), la cour d’appel de Pau a rejeté l’argumentation de la victime tendant à démontrer l’existence d’une distinction entre le préjudice moral et le préjudice d’anxiété, puis est venue juger que la victime avait déjà été intégralement indemnisée de son préjudice d'anxiété résultant de sa maladie professionnelle.

Pour ce faire, la juridiction du fond a d’abord rappelé, qu’en l’espèce, la somme de 15 400 € avait été versée à la victime par le FIVA en réparation d'un préjudice moral, et qu’ensuite le FIVA, subrogé dans les droits de cette dernière, avait obtenu la fixation judiciaire de ce même préjudice à ce même montant dans le cadre du contentieux parallèle en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur. Puis, la cour d’appel de Pau a estimé que l’indemnisation de ce préjudice moral avait donc vocation à réparer au cas d’espèce le préjudice d'anxiété allégué, compte tenu de la motivation tant de l’offre du FIVA que du jugement reconnaissant la faute inexcusable de l’employeur.
Irrecevabilité de l’action juridictionnelle en réparation du même préjudice après acceptation de l'offre du FIVA. Sur pourvoi de la victime, la Cour de cassation le rejette finalement, au visa de l'article 53 de la loi du 23 décembre 2000, en retenant que la cour d’appel de Pau avait exactement déduit que l’offre du FIVA portant réparation de divers préjudices résultant de la maladie professionnelle, ainsi acceptée par l’ancien salarié, comportait l'indemnisation d'un préjudice moral qui réparait également le préjudice d'anxiété, ici entendu comme le préjudice d’anxiété lié à la conscience permanente du risque d'aggravation de la maladie déjà déclarée.

C’est donc ensuite tout à fait logiquement que la Cour de cassation a fait une stricte application de l’article 53 de la loi du 23 décembre 2000 précitée, en retenant que la demande d'indemnisation d'un préjudice d'anxiété, postérieur à une déclaration de maladie professionnelle, présentée par la victime à l'encontre de son employeur, était irrecevable, s’agissant de la réparation d’un préjudice déjà indemnisé du fait de l’acceptation de l’offre du FIVA.

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : Les dispositions spécifiques aux maladies liées à l’amiante, Le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante, in Droit de la protection sociale, Lexbase N° Lexbase : E3188ETA.

 

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Actualité judiciaire

[A la une] Soupçons de corruption chez Renault : Rachida Dati demande l’annulation du réquisitoire du PNF la visant pour des faits de « corruption » et « trafic d’influence »

Lecture: 4 min

N1938B38

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par Vincent Vantighem

Le 24 Mars 2025

« Infamant » et « choquant à plus d’un titre ». Le 15 novembre 2024, Rachida Dati n’avait pas tourné sept fois son stylo dans sa main avant de rédiger un communiqué pour dénoncer le réquisitoire définitif rendu, le même jour, par le parquet national financier (PNF) et exigeant son renvoi devant la justice pour y être jugée pour « corruption » et « trafic d’influence » aux côtés de Carlos Ghosn, l’ancien patron de l’alliance Renault – Nissan. Quatre mois plus tard, l’actuelle ministre de la Culture n’a pas changé d’avis. Des mots rendus publics, elle est passée aux actes en déposant une requête devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris visant à faire annuler ce réquisitoire. Celle-ci a été examinée le jeudi 20 mars.

Dans ce dossier, Rachida Dati est soupçonné d’avoir perçu 900 000 euros de la part de RNBV, une filiale néerlandaise de l’alliance Renault – Nissan, sans contrepartie d’un travail réel, entre 2010 et 2012, alors qu’elle était avocate et députée européenne. Soit une rémunération de 300 000 euros par an, pendant trois ans, pour des activités de conseil. La justice la soupçonne d’avoir en réalité exercé une activité de lobbying au Parlement européen en faveur du constructeur automobile, ce qu’elle conteste vigoureusement. D’abord placée sous le statut, plus favorable, de témoin assisté, Rachida Dati avait finalement été mise en examen en juillet 2021.

C’est donc ce qui a conduit le parquet national financier a requérir, le 15 novembre dernier, son renvoi devant le tribunal correctionnel pour y être jugée. Dans son analyse, le PNF note que les investigations n’ont permis « d’identifier que très peu de preuves de l’existence et de la réalité des prestations réalisées » par Rachida Dati et de n’objectiver « que quelques rendez-vous » avec Carlos Ghosn, alors patron du groupe automobile.

Les règles encadrant les perquisitions chez les avocats questionnées.

Jeudi dernier, devant la chambre de l’instruction, les avocats de l’ancienne Garde des Sceaux de Nicolas Sarkozy ont tenté d’obtenir l’annulation de ce réquisitoire et donc, par conséquent, de torpiller tout le dossier. Selon eux, le réquisitoire du PNF n’est pas valable car il s’appuierait sur des pièces ayant été annulées en avril 2022. Ces pièces concernent notamment d’autres clients de Rachida Dati, lorsqu’elle était avocate d’autres clients que Renault, comme Orange.

Les avocats de l’élue estiment en effet que les règles encadrant les perquisitions réalisées chez leurs pairs, tels que Rachida Dati, n’ont pas été respectées. En clair, ils jugent que les enquêteurs n’auraient pas dû saisir des documents relevant du secret entre un avocat et son ou ses clients et s’en servir dans les cadre des investigations en cours. « Personne n’a le droit de dévoiler le nom ou l’identité des clients d’un avocat… Cela s’appelle le secret professionnel », a ainsi affirmé Olivier Baratelli, l’un des avocats de la ministre auprès de l’Agence France-Presse, reprise par Europe 1, dénonçant une « entorse procédurale ».

La décision sera rendue le 26 juin.

De son côté, le parquet général a demandé le rejet de la requête déposée par Rachida Dati. Lors de cette audience, le ministère public a relevé que les pièces qui avaient bien été annulées par la chambre de l’instruction n’était pas citées dans le réquisitoire définitif. Il en a profité pour pointer du doigt le fait que Rachida Dati avait multiplié les recours tout au long de la procédure pour tenter d’éviter un procès. Sans succès à ce jour. La chambre de l’instruction avait, en effet, refusé en 2021 puis en 2024 de constater la prescription des faits reprochés.

Cette fois-ci, elle a prévu d’attendre le 26 juin pour rendre sa décision concernant ce nouveau recours. Avec dans les mains, donc, le sort judiciaire de Rachida Dati, ministre de la Justice dans les années 2000, ministre de la Culture actuellement et potentiellement candidate à la mairie de Paris dans un futur proche.

           

newsid:491938

Avocats/Accès à la profession

[Dépêches] Possibilité pour le juriste ayant assuré la mise en oeuvre des exigences de conformité en entreprise d’accèder directement à la profession d’avocat

Réf. : Cass. civ. 1, 19 mars 2025, n° 23-19.915, FS-B N° Lexbase : A502368K

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N1944B3E

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par Yann Le Foll

Le 25 Mars 2025

L'activité consistant, pour le juriste, à assurer la mise en oeuvre des exigences de conformité en entreprise, notamment en ce qui concerne la lutte contre le blanchiment et la corruption, et du règlement général de protection des données, peut lui permettre d’accèder directement à la profession d’avocat.

Selon l'article 93 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, organisant la profession d'avocat N° Lexbase : L8168AID, peuvent être inscrites au tableau d'un barreau les personnes bénéficiant d'une des dispenses de l'article 98 et ayant subi avec succès l'examen de contrôle des connaissances en déontologie et réglementation professionnelle.

Il résulte de l'article 98, 3°, de ce décret que peuvent bénéficier de la dispense de la formation pratique et théorique et du certificat d'aptitude à la profession d'avocat les juristes ayant exercé une activité exclusivement au sein d'un service spécialisé de l'entreprise, chargé de problèmes juridiques posés par l'activité de celle-ci.
La Cour suprême précise ici que l'activité consistant, pour le juriste, à assurer la mise en oeuvre des exigences de conformité, notamment en ce qui concerne la lutte contre le blanchiment et la corruption, et du règlement général de protection des données, peut relever du traitement des problèmes juridiques posés par l'activité de l'entreprise et constituer un service juridique spécialisé au sens de ce texte.

Celui-ci peut donc bénéficier de la dispense prévue par l'article 98, 3°, précité.

Pour aller plus loin : 

  • v. ÉTUDE, Les passerelles d'accès à la profession d'avocat, Le service juridique au sein duquel le juriste d'entreprise exerce ses fonctions, in La Profession d’avocat N° Lexbase : E33413R8.
  • Infographie, Accéder à la profession d'avocat pour les juristes d'entreprise N° Lexbase : X7403CRM.

 

newsid:491944

Domaine public

[Focus] Les ports et la conciliation du droit public et du droit privé

Lecture: 21 min

N1902B3T

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par Robert Rézenthel, docteur en droit

Le 24 Mars 2025

Mots clés : ports maritimes pouvoirs de police convention de terminal portuaire domaine public mise en concurrence 

Les ports en France sont des entités soumises au droit public, qu'il s'agisse des grands ports maritimes, du grand port fluvio-maritime de l'axe Seine, ou des ports relevant des collectivités territoriales ou de leurs groupements.


 

Parfois, certains ports français sont qualifiés abusivement de ports privés, en réalité il n'en est  rien. Le Conseil d'État a jugé que même lorsqu'il est établi sous le régime d'une autorisation d'occupation temporaire [1], un port relève nécessairement d'une personne de droit public.

Pour le Professeur Philippe Jestaz, « Les contours du droit fluctuent dans le temps et dans l'espace, se chevauchent ou se dissocient sans que jamais cette dissociation soit complète » [2]. Nous le verrons, cette analyse se vérifie dans la gestion portuaire, mais citons auparavant le rappel historique formulé par S. Gilbert, selon lequel : « l'étude des rapports entre les lois administratives et le droit civil, à la fin du XVIIIème siècle révèle que les usages initiaux de l'expression « droit civil » désignent de manière alternative des règles de droit public et de droit privé, en héritage du concept romain de droit civil » [3].

L'intérêt général constitue l'objectif fondamental de toute personne de droit public, le Conseil d'État y a réalisé une étude très complète [4] sur ce thème, et le principe a été consacré par le Code des relations entre le public et l'administration, dont l'article L. 100-2 N° Lexbase : L1765KNP dispose que « L'administration agit dans l'intérêt général ».   


Si l'exploitation des ports maritimes présente un intérêt majeur pour l'économie nationale et régionale, l'intérêt général qu'elle représente ne saurait contrarier inutilement les intérêts particuliers des opérateurs. La concurrence entre les grands ports des États membres de l'Union européenne ne saurait être compromise discrétionnairement par une multitude de procédures adoptées au nom de l'intérêt général.

I. Les prescriptions impératives

Le cadre légal et réglementaire s'impose de manière nuancée, tantôt par des prescriptions impératives, parfois par des mesures optionnelles comme par exemple le choix laissé aux grands ports maritimes de conclure, soit une concession, soit une convention de terminal portuaire.

Le caractère d'ordre public peut être précisé dans le texte, ou constaté par le juge [5]. L'article 1162 du Code civil N° Lexbase : L0884KZR dispose que « Le contrat ne peut déroger à l'ordre public, ni par ses stipulations, ni par son but... ».

Il résulte de l'article L. 1224-1 du Code du travail N° Lexbase : L0840H9Y que le changement d'employeur résultant du transfert d'une activité à une entité économique autonome a un caractère d'ordre public [6]. Toutefois, à propos du transfert d'une concession de port de plaisance, une distinction est faite par la jurisprudence. En effet, si la Cour de cassation a jugé que « si les dispositions de l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail (aujourd'hui L. 1224-1), interprétées à la lumière de la Directive n° 98/50/CE, imposent le maintien des contrats de travail en cours y compris dans le cas où l'entité économique transférée constitue un service public administratif dont la gestion, jusqu'ici assurée par une personne privée, est reprise par une personne morale de droit public normalement liée à son personnel par des rapports de droit public, elles n'ont pas pour effet de transformer la nature juridique des contrats de travail en cause, qui demeurent des contrats de droit privé tant que le nouvel employeur public n'a pas placé les salariés dans un régime de droit public » [7] ; en revanche, le Conseil d'État a jugé que les fonctions de directeur d'un port de plaisance, salarié d'une chambre de commerce et d'industrie concessionnaire, ne pouvaient pas donner lieu  à un transfert de contrat de travail, en raison de la qualité d'agent public de l'intéressé [8].

Parfois, certains usagers des ports tentent d'imposer une compensation de créances à l'autorité gestionnaire du port. Cette démarche n'est pas envisageable en raison du principe selon lequel la non compensation des créances publiques présente un caractère d'ordre public [9], et ce, même lorsque la personne publique gère un service public à caractère industriel et commercial comme un port de plaisance [10]. Alors que la compensation peut être imposée dans le cadre de rapport de droit privé,  ainsi que le prévoient les articles 1347 N° Lexbase : L1002KZ7 et suivants du Code civil [11].

L'exercice des pouvoirs de police constitue une activité qui ne peut être négociée. D'ailleurs, le concessionnaire ne peut disposer d'un tel pouvoir en application du cahier des charges de la concession [12]. À propos de la police portuaire, il a été jugé que : « s'il appartient aux collectivités et personnes morales publiques, auxquelles sont affectées ou concédées les installations des ports maritimes, de permettre l'accès aussi large que possible des armements à ces installations, elles n'en sont pas moins corollairement en charge de fixer, par une réglementation adaptée à la configuration des ports concernés, des conditions d'utilisation de ces installations propres à assurer la sécurité des usagers et la protection des biens du domaine public maritime ; qu'en outre, si ces mêmes collectivités et personnes morales publiques ne sont autorisées par aucune disposition législative à consentir aux entreprises chargées d'un service public de transport maritime le monopole de l'utilisation des ouvrages portuaires et, dès lors, en l'absence de circonstances exceptionnelles à réserver à ces entreprises l'exclusivité de l'accès aux installations portuaires, il leur appartient, dans des limites compatibles avec le respect des règles de concurrence et du principe de la liberté du commerce et de l'industrie, d'apporter aux armements chargés d'un tel service public l'appui nécessaire à l'exploitation du service et, le cas échéant, de leur accorder des facilités particulières pour l'utilisation du domaine public » [13].

La Cour de justice de l'Union européenne a jugé, quant à elle, que des modifications des propositions d'horaires des armateurs d'accès dans un port pouvaient être imposées par l'autorité portuaire pour des raisons impérieuses d'intérêt général, dont la sécurité dans les eaux portuaires [14], et ce, sous réserve de répondre aux conditions de proportionnalité et de non-discrimination. Un éventuel retard d'accès des navires dans un port pour un tel motif ne saurait engager la responsabilité de l'autorité portuaire, malgré l'existence de préjudices occasionnés dans les rapports des armateurs et des chargeurs avec leurs clients.

Les contrevenants à la police de la grande voirie peuvent échapper aux poursuites devant les juridictions administratives, par exemple s'ils s'engagent à prendre en charge l'intégralité des dommages occasionnés au domaine public. Ce fut le cas à la suite de la pollution occasionnée par le naufrage du navire pétrolier l' « Érika » au large des côtes bretonnes, le « chargeur » avait pris l'engagement de traiter les déchets polluants résultant de ce sinistre [15]. Il a été admis par ailleurs que le gestionnaire du domaine public avait la possibilité de mettre en cause la responsabilité civile de l' auteur des dommages devant les juridictions judiciaires [16].

Bien que la procédure ne soit pas spécifique à la gestion des ports, celle-ci doit respecter l'ordre public financier qui donne lieu à l'application d'un régime spécial [17] de responsabilité personnelle et pécuniaire des ordonnateurs et des comptables publics devant les juridictions financières. Ainsi, les montages juridiques ayant une finalité frauduleuse ou des opérations illégales occasionnant un préjudice financier à une collectivité publique peuvent conduire à la condamnation de leurs auteurs tant dans le cadre de ce régime spécial, qu'au titre du droit pénal. C'est le cas par exemple lorsque l'on procure, en connaissance de cause, un avantage injustifié pécuniaire ou en nature à autrui ou à soi-même [18]. Il a été jugé qu'il est interdit de céder à des fins d'intérêt privé des biens des personnes publiques à des prix inférieurs à leur valeur [19] ; de même, les établissements publics (grands ports maritimes) ne peuvent disposer de leur patrimoine à titre gratuit [20].

Parfois, l'autorité portuaire dispose d'un choix entre plusieurs régimes, mais celui qu'elle a retenu doit être appliqué selon les prescriptions légales ou réglementaires en vigueur.

II. La faculté de choix laissée à l'autorité portuaire

Le Code des transports évoque de manière discrète certains régimes domaniaux susceptibles de s'appliquer dans les ports. C'est le cas de la concession d'outillage public et de la convention de terminal portuaire.

À l'origine, la convention d'exploitation de terminal avait été instituée afin de proposer aux opérateurs un régime juridique plus souple [21] que celui de la concession d'outillage public. À la suite d'une mise en concurrence pour l'attribution d'une convention de terminal, un candidat évincé a contesté le choix de l'opérateur retenu. À l'occasion de ce contentieux, le Conseil d'État a requalifié [22] en concession le contrat conclu pour l'exploitation du terminal. Souhaitant maintenir le régime de la convention de terminal portuaire le Gouvernement a introduit à cet effet diverses dispositions dans le projet de loi d'orientation des mobilités, dont le texte a été amendé au regard de l'avis [23] du Conseil d'État sur le projet.

Désormais, la convention de terminal doit s'analyser en autorisation d'occupation du domaine public dès lors qu'elle ne contient pas de stipulations répondant aux besoins de l'autorité portuaire ; dans le cas contraire, il s'agit d'une concession.  Il résulte de l'article L. 5312-14-1 du Code des transports N° Lexbase : L5614L4P que : « I - … Sans préjudice de l'avant-dernier alinéa de l'article L 2122-6 du même code, les conventions peuvent également prévoir qu'à leur échéance et dans des conditions qu'elles définissent, le grand port maritime indemnise les cocontractants pour les ouvrages, constructions et installations de caractère immobilier réalisés pour l'exercice de l'activité autorisée par les conventions et acquiert certains biens meubles corporels et incorporels liés à cette activité, afin de pouvoir les mettre à disposition ou les céder à d'autres cocontractants ou, le cas échéant, les utiliser dans les conditions prévues à l'article L. 5312-4 du présent code, qui n'est pas applicable au secteur fluvial d'un grand port fluvio-maritime.

« II.-Toutefois, lorsque le contrat a pour objet de répondre aux besoins spécifiques exprimés par le grand port maritime, celui-ci conclut des contrats de concession auxquels est applicable la troisième partie du code de la commande publique... ». 

Le régime de la concession présente moins de garanties pour le concessionnaire que la convention de terminal pour l'opérateur.  Certes, des droits réels [24] peuvent être accordés  au titulaire de l'un ou l'autre des contrats, mais pour la concession, il résulte de la jurisprudence que « lorsque des ouvrages nécessaires au fonctionnement du service public, et ainsi constitutifs d'aménagements indispensables à l'exécution des missions de ce service, sont établis sur la propriété d'une personne publique, ils relèvent de ce fait du régime de la domanialité publique ; que la faculté offerte aux parties au contrat d'en disposer autrement ne peut s'exercer, en ce qui concerne les droits réels dont peut bénéficier le cocontractant sur le domaine public, que selon les modalités et dans les limites définies aux articles L. 2122-6 à L. 2122-14 du Code général de la propriété des personnes publiques ou aux articles L. 1311-2 à L. 1311-8 du Code général des collectivités territoriales et à condition que la nature et l'usage des droits consentis ne soient pas susceptibles d'affecter la continuité du service public » et que  « le contrat peut attribuer au délégataire ou au concessionnaire, pour la durée de la convention, la propriété des ouvrages qui, bien que nécessaires au fonctionnement du service public, ne sont pas établis sur la propriété d'une personne publique, ou des droits réels sur ces biens, sous réserve de comporter les garanties propres à assurer la continuité du service public, notamment la faculté pour la personne publique de s'opposer à la cession, en cours de délégation, de ces ouvrages ou des droits détenus par la personne privée » [25].                                                

En d'autres termes, l'opérateur titulaire d'une convention de terminal portuaire ne subit pas le régime des biens de retour [26] pour les biens meubles qui participent au fonctionnement du service public portuaire global [27], compte tenu de la faculté d'indemnisation [28] de l'exploitant  à l'échéance de sa convention. 

Le droit public emprunte certains concepts au  droit privé, c'est le cas du bail emphytéotique administratif, ou des droits réels sur le domaine public. À propos de ces derniers, ils sont moins facilement négociables que ceux reconnus par le droit privé. Toutefois, l'article 132 de la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019, d'orientation des mobilités N° Lexbase : L6050MSU (article L. 5311-3 du Code des transports N° Lexbase : L3628LUW) étend la possibilité d'utiliser ces droits sur l'ensemble du domaine public portuaire [29], par dérogation à l'article L. 2122-8 du Code général de la propriété des personnes publiques N° Lexbase : L4522IQK. Il convient  de rappeler que l'octroi de droits réels sur le domaine public n'a pas un caractère automatique, l'autorité portuaire a la faculté d'en refuser le bénéfice aux occupants dudit domaine.                                               

Parmi les particularités portant sur des situations donnant lieu à une combinaison du droit public avec le droit privé, il y a les contrats et le droit des sociétés.

III. Les contrats et le droit des sociétés

L'autonomie de la volonté dans les rapports contractuels trouve sa limite dans l'existence d'un texte [30] législatif ou réglementaire. Bien que la liberté contractuelle constitue un droit fondamental pour chacun [31], elle n'est pas absolue [32]. C'est ainsi que les cahiers de charges des concessions de ports de plaisance ou d'outillages publics peuvent comporter des clauses réglementaires concernant l'organisation du service public et modifiables unilatéralement par la personne publique. Elles sont détachables du contrat [33], et peuvent faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir [34]. Par dérogation au principe de l'effet relatif des contrats, la clause réglementaire est susceptible de produire des effets à l'égard des tiers [35].

Si la jurisprudence judiciaire admet l'interdépendance des contrats [36], ce régime ne semble pas s'appliquer. Ainsi, la résiliation d'une convention de terminal portuaire ne saurait justifier automatiquement celles des contrats de manutention conclus par l'opérateur, le caractère précaire et révocable d'une telle autorisation d'occupation du domaine public étant prévisible, la force majeure ne saurait être retenue [37].

Parfois l'octroi d'une concession est conditionné par la cession gratuite par le concessionnaire d'une bande de terrain bord à quai, en contrepartie du droit de mettre un bassin en communication directe avec la mer. Cette prescription résulte de l'article 22 de la loi n° 86-2 du 3 janvier 1986, relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral N° Lexbase : L7941AG9 (aujourd'hui article L. 341-7 du Code du tourisme N° Lexbase : L0144HGG), elle avait pour objectif de lutter contre la construction de marinas intérieures et par voie de conséquence de ports de plaisance privés. Le Conseil d'État a jugé pour sa part que « la signature d'un acte authentique n'étant pas une condition de la validité de la cession gratuite de terrains, cette dernière peut résulter de l'accord de volonté des parties » [38]. Il considère [39] toutefois que le projet doit être suffisamment précis pour justifier cette cession.

La même remarque pourrait être faite pour la contribution financière demandée aux plaisanciers pour leur accorder une garantie d'usage d'un poste d'amarrage dans un port de plaisance. Selon l'article R. 5314-34 du Code des transports N° Lexbase : L8285MK3 dispose que : « Il peut être accordé des garanties d'usage de postes d'amarrage ou de mouillage pour une durée maximale de trente-cinq ans, en contrepartie d'une participation au financement d'ouvrages, de bâtiments ou équipements ayant un rapport avec l'exploitation du port ou de nature à contribuer au développement de celui-ci et constituant une dépendance du domaine public de l'État ou des collectivités territoriales et de leurs groupements ». Il ne s'agit pas d'un contrat aléatoire [40], car lors de sa signature le plaisancier doit connaître précisément le projet auquel il va participer financièrement et dans quelle proportion.

Il est parfois prévu dans les statuts d'une société concessionnaire d'un port de plaisance que la détention d'actions de celle-ci confère un droit d'amarrage à l'actionnaire. Il s'agit d'une confusion entre le droit des concessions et le droit des sociétés. Le Conseil d'État statuant en matière fiscale a admis que la cession d'actions  de la société concessionnaire pouvait conférer à leur détenteurs un droit de jouissance sur des fractions d'immeubles, en l'espèce des postes d'amarrage, et que cette cession était passible de la taxe sur la valeur ajoutée [41]. Pour sa part, la Cour de cassation a justement considéré que l'actionnaire de la société concessionnaire titulaire d'une autorisation d'occupation d'un poste d'amarrage était tenu de payer la redevance d'occupation du domaine public [42]. Selon le Conseil d'État, la simple cession de leurs titres par des actionnaires n'équivaut pas à une cession de concession [43], laquelle n'est réalisée que lorsque le contrat est transféré par le concessionnaire lui-même. Cette faculté est devenue caduque en raison de l'évolution du droit de la domanialité public [44], de la concurrence de l'Union européenne et des dispositions du code de la commande publique, qui impliquent une mise en concurrence. C'est également le cas pour les autorisations d'occupation temporaire du domaine public pour des activités économiques [45].


La question se pose en ce qui concerne les sociétés portuaires quant à la nécessité ou non de recourir à la sélection des actionnaires. Selon l'article 35 de la loi n° 2006-10 du 5 janvier 2006 N° Lexbase : L6671HES : « I.-Par dérogation aux articles L. 2253-1, et L 3231-6, L 4211-1 et L 5111-4 du Code général des collectivités territoriales, les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent prendre des participations dans des sociétés dont l'activité principale est d'assurer l'exploitation commerciale d'un ou plusieurs ports visés au I de l''article 30 de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales lorsqu'au moins l'un d'entre eux se trouve dans leur ressort géographique.

II.-La collectivité territoriale propriétaire d'un port visé au I de l'article 30 de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 précitée peut, à la demande du concessionnaire du port, autoriser la cession ou l'apport de la concession à une société portuaire dont le capital initial est détenu entièrement par des personnes publiques, dont la chambre de commerce et d'industrie dans le ressort géographique de laquelle est situé ce port. Un nouveau contrat de concession est alors établi entre la collectivité territoriale et la société portuaire pour une durée ne pouvant excéder quarante ans. Ce contrat précise notamment les engagements que prend la société portuaire en termes d'investissements et d'objectifs de qualité de service ».

Peut-on considérer que ce type de société permet un transfert de concession d'outillage public portuaire sans le recours à une procédure de mise en concurrence ? À présent, seuls les grands ports maritimes d'outre-mer et les ports territoriaux, ainsi que les ports maritimes de Saint-Pierre-et-Miquelon peuvent accorder de telles concessions. La Cour de justice a jugé que « Dans le cadre d'une attribution in house, le pouvoir adjudicateur est réputé avoir recours à ses propres moyens.  En effet, même si l’entité attributaire est juridiquement distincte de lui, elle fait quasiment partie des services internes de celui-ci dès lors que deux conditions sont réunies. Premièrement, le pouvoir adjudicateur doit exercer sur l’entité attributaire un contrôle analogue à celui qu’il exerce sur ses propres services. Deuxièmement, cette entité doit réaliser l’essentiel de ses activités au profit du ou des pouvoirs adjudicateurs qui la détiennent » [46].

Pour la Cour de justice, « La question se pose ensuite de savoir si, dans le cas où une autorité publique devient associée minoritaire d’une société par actions à capital entièrement public en vue d’attribuer à celle-ci la gestion d’un service public, le contrôle que les autorités publiques associées au sein de cette société exercent sur celle-ci doit, pour être qualifié d’analogue au contrôle qu’elles exercent sur leurs propres services, être exercé individuellement par chacune de ces autorités ou peut l’être conjointement par celles-ci » [47]. Elle constate cependant que « La jurisprudence n’exige pas que le contrôle exercé sur la société adjudicataire dans un tel cas soit individuel » [48].  

Pour les sociétés portuaires, si le capital initial est détenu entièrement par des personnes publiques, la loi n'interdit pas l'entrée ultérieure dans le capital d'investisseurs privés. Si cette coopération entre des investisseurs publics et privés ne peut justifier le non-respect des dispositions relatives à l'attribution des concessions, toutefois, « le recours à une double procédure de mise en concurrence serait difficilement compatible avec l'économie procédurale qui inspire les partenariats public-privé institutionnalisés » [49].

Pour la Cour de justice;, « Dans la mesure où les critères de sélection de l’associé privé sont fondés non seulement sur les capitaux apportés, mais également sur la capacité technique de cet associé et sur les caractéristiques de son offre au regard des prestations spécifiques à fournir, et que cet associé se voit... confier l’activité opérationnelle du service en question et donc la gestion de celui-ci, l’on peut considérer que la sélection du concessionnaire résulte indirectement de celle dudit associé qui a eu lieu au terme d’une procédure respectant les principes du droit communautaire, en sorte qu’une seconde procédure de mise en concurrence en vue de la sélection du concessionnaire ne se justifierait pas » [50].

Conclusion

Malgré les différences de régimes, les tentatives de rapprochement du droit public et du droit privé  se multiplient. Par exemple, au regard du droit des aides d'État, le juge est invité à vérifier que la personne publique  se comporte ou non comme un « investisseur avisé en économie de marché » [51]. On relève également l'application de la théorie des « facilités essentielles » qui permet de limiter le pouvoir discrétionnaire des gestionnaires de ports dans l'accueil des usagers [52].

Enfin, si le concept d'ordre public économique a une connotation de droit public, c'est-à-dire placé sous le contrôle d'une entité publique, il a cependant pour fonction de réguler des activités relevant du droit privé [53]. Le Conseil constitutionnel a jugé les enquêtes conduites par l'Autorité de la concurrence étaient destinées « à garantir le respect des règles de concurrence nécessaires à la sauvegarde de l'ordre public économique » [54].

La conception ouverte du Code civil s'est heurtée souvent au caractère autoritaire du droit administratif pour les administrés, cependant l'approche libérale du droit des activités portuaires est soutenue par le droit de l'Union européenne [55]. Même s'il est parfois marginalisé, le droit privé constitue une branche incontournable du droit portuaire.


[1] CE, 4 décembre 1995, n° 124977 N° Lexbase : A6978ANR.

[2] Ph. Jestaz, Définir le droit… ou l'observer, RTDCiv, 2017, p. 775 et suiv.

[3] S. Gilbert, Quelques réflexions sur le droit civil dans ses rapports avec le droit administratif et la raison d'État, RTDCiv 2020, p. 547 (notamment p. 548).

[4] L'intérêt général, p. 239 et suiv. en annexe du rapport public 1999 du Conseil d'État, Etudes et documents n° 50, La documentation française (1999).

[5] CE, 8 décembre 2021, n° 435492 N° Lexbase : A27627HR ; CE, 30 janvier 2019, n° 409954 N° Lexbase : A6301YUW ; CE, 30 juin 2014, n° 365071 N° Lexbase : A2861MT7.

[6] Cass. soc., 27 juin 2002, n° 00-44.006 N° Lexbase : A0067AZI, Bull. civ. V, n° 221 ; cf. concl. R. Chambon sous CE, 14 juin 2021, n° 438431 N° Lexbase : A00774WR (site arianeweb).

[7] Cass. soc., 12 juin 2007, n° 05-44.337 et 05-44.743 N° Lexbase : A7858DWX

[8] CE, 14 mai 2003, n° 245628 N° Lexbase : A0408B7A, DMF, 2003, p. 689 note R. Rézenthel.

[9] CE, 29 mai 1963, E…, Rec. T. p. 965 ; CE, 23 mai 2012, n° 346352 N° Lexbase : A0926IMA ; CE, 7 octobre 2021, n° 427999 N° Lexbase : A560948A.

[10] CE, 13 décembre 2002, n° 248591 N° Lexbase : A6485A4X.

[11] Selon l'article 1347-1 du Code civil N° Lexbase : L0720KZP, pour que la compensation puisse intervenir, il faut que les deux obligations soient fongibles, certaines, liquides et exigibles.

[12] CE, 10 décembre 1962, Rec. p. 675 ; CE, 1er avril 1994, n° 144152 et 144241 N° Lexbase : A0666ASH, Rec p. 176.

[13] CE, 30 juin 2004, n° 250124 N° Lexbase : A8172DCN, DMF, 2004, p.1047, observ. R. Rézenthel.        

[14] CJUE, 17 mars 2011, aff C-128/10 et C-129/10, Naftiliaki Etaireia Thasou AE N° Lexbase : A0087HC9, points 43 à 45.

[15] CE, 30 septembre 2005, n° 263442 N° Lexbase : A6065DKT.

[16] Cass. civ. 1, 13 janvier 1982, n° 80-16.461 N° Lexbase : A2536CHE ; T. confl., 13 avril 2015, n° 3993 N° Lexbase : A9547NGP ; Cass. civ. 1, 1er juillet 2015, n° 13-17.820 N° Lexbase : A5442NMI.

[17] CE, 17 février 2023, n° 446136 N° Lexbase : A31799D4 ; C. comptes (7 ème ch), 13 avril 2022, Direction départementale des finances publiques de la Vienne (DDFIP), exercice 2018, N° S-2022-0744.

[18] CJF, art. L. 131-12 N° Lexbase : L1205MCM.

[19] C. const., décision n° 96-380 DC du 23 juillet 1986 N° Lexbase : A8345AC3, JO, 27 juillet 1986, p. 11408.

[20] CDBF, 20 décembre 1982, n° 35, JO 16 octobre 1983, éd. NC, p. 9393.

[21]  R. Rézenthel, La convention de terminal portuaire, Dr. Voirie, 2010, n° 146, p. 140 ; R. Rézenthel, Le régime d'exploitation des terminaux portuaires, in Mélanges P. Bonassies, p. 291, éd. Moreux (2001) ; L. Fédi et R. Rézenthel, L'exploitation des terminaux portuaires face aux enjeux maritimes du 21 ème siècle, DMF, 2007, p. 828. 

[22] CE, 14 février 2017, n° 405157 et 405183 N° Lexbase : A5671TND.       

[23] CE Ass., 15 novembre 2018, avis n° 395539 N° Lexbase : A97908PB, § 94 à 97.

[24] Pour la concession, CCP, art. L. 3132-2 N° Lexbase : L3765LRU ; pour la convention de terminal,  C. transports, art. L. 5312-14-1-III.

[25] CE Ass., 21 décembre 2012, n° 342788 N° Lexbase : A1341IZP.

[26] Ces biens appartiennent au concédant dès leur acquisition ou leur aménagement, sauf stipulation contraire du cahier des charges de concession ; R. Rézenthel, Les biens de retour dans les ports de plaisance et leur rapport avec le droit de propriété, Dr voirie, 2022, n° 228, p. 143 ; ce régime a été validé par la CEDH (CEDH, 5 octobre 2023, Req. 24300/20, Sarl Couttolenc frères c/ France N° Lexbase : A67901MG) et par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE, 11 juillet 2024, aff C-598/22, Societa italiana imprese balneari Srl c/ Comune di Rosignano maritimo N° Lexbase : A29325PB, DMF, 2024, n° 873, p. 930). 

[27]  À propos de terminaux méthaniers, le Conseil d'État a considéré que « ces installations, qui participent du bon fonctionnement global du port, n’en demeurent pas moins affectées à l’objet d’utilité générale qui en a déterminé la création. Dès lors, la circonstance qu’elles relèvent d’une exploitation privative, fût-ce pour le compte propre d’une entreprise, n’a pas pour effet de les soustraire au service public portuaire, dont elles ne sont pas dissociables » (Avis CE sect trav Publ, 14 avril 2009, n° 382669 N° Lexbase : A79474MB). 

[28] C. transports, art. L 5312-14-1.

[29] R. Rézenthel, Les droits réels sur le domaine public portuaire : une réforme insuffisante, Dr voirie, 2024, n° 236, p. 6.                                                                                                                                                     

[30] CJUE, 9 novembre 2017, aff C-227/16 N° Lexbase : A0029WYQ points 19 et 20.

[31] CJUE, 18 juillet 2013, aff C-426/11 N° Lexbase : A0853KKS, point 32.

[32] CEDH, 5 juillet 2022, Req. 70133/16, Dimitri c/ Turquie N° Lexbase : A257779C, point 142.

[33] Concl G. Pellissier sous CE, 9 mars 2018, n° 409972 N° Lexbase : A6325XGD.

[34] CE Ass, 10 juillet 1996, n° 138536 N° Lexbase : A0215APN, Rec. p. 274.

[35] Concl Odent sous CE Sect., 5 mars 1943, n° 68015 et 68110, Compagnie générale des eaux, Rec. Dalloz, 1944, p. 121 ; Concl. O. Henrard sous CE, 23 décembre 2016, n° 397096, 397160 N° Lexbase : A8796SX3.

[36] Cass. com., 17 février 2021, n° 268575 N° Lexbase : A1413DTI.

[37] Cass. civ. 3, 4 mai 1994, n° 92-12.699 N° Lexbase : A8533AG7.

[38] CE, 26 février 2016, n° 374734 N° Lexbase : A4464QDP.

[39] CE, 1er avril 1994, n° 133210 N° Lexbase : A0594ASS ; CE, 17 février 2010, n° 316669 N° Lexbase : A0228ESA. Pour le Conseil constitutionnel, la loi doit définir les usages publics auxquels les terrains cédés gratuitement doivent être affectés (Cons. const., décision n° 2011-176 QPC du 7 octobre 2011 N° Lexbase : A5943HYR, JO, 8 octobre 2011, p. 1701.

[40] V. Prud'homme et R. Rézenthel, La garantie d'usage des postes d'amarrage : une réforme incomplète, DMF, 2024, n° 865, p.162.

[41] CE, 29 janvier 1982, n° 17449 N° Lexbase : A2531ALC ; la Cour de cassation a également admis l'assujettissement à l'impôt de la cession d'actions d'un port de plaisance (Cass. com., 23 février 1999, n° 96-22836 N° Lexbase : A9750CYR).

[42] Cass. civ. 3, 29 septembre 2010, n° 09-16.547 N° Lexbase : A7588GAB.

[43] CE, 9 juillet 1920, compagnie française du Congo occidental, Rec. p. 676.

[44] CGPPP, art. L. 2122-1-1 N° Lexbase : L9569LDR.           

[45] CJUE, 14 juillet 2016, aff. C-458/14 et C-67/15, Promoimpresa N° Lexbase : A2158RX9.   

[46] CJCE, 18 novembre 1999, aff n° C-107/98, Teckal N° Lexbase : A0591AWS point 50 ; CJUE, 18 juin 2020, aff. C-328/19 N° Lexbase : A81913NP, point 66.

[47] CJCE, 10 septembre 2009, aff. C-573/07, Sea Srl N° Lexbase : A8897EKQ, point 54.

[48] CJCE,  13 novembre 2008, aff. C‑324/07, Coditel Brabant N° Lexbase : A2174EB7, point 46

[49] CJCE, 15 octobre 2009, aff. C-196/08, point 58.                                                                                                                                                                

[50] CJCE, 15 octobre 2009, aff. C-196/08, point 60.        

[51] CE, 13 juillet 2012, n° 347073 N° Lexbase : A8407IQG ; CE, 27 février 2006, n° 264406 N° Lexbase : A3969DNC.

[52] Décision de la Commission du 21 décembre 1993, relative au refus d'accès aux installations du port de Rodby (Danemark), JOCE, n° L 55 du 26 février 1994, p. 52 ; Décision de la Commission du 21 décembre 1993, relative à une procédure d'application de l'article 86 du traité CE (IV/34.689) – Sea containers c/ Stena Sealink (accès au port de Holyhead).

[53] R. Rézenthel, Les ports maritimes et le droit privé, DMF, 2023, n° 861, p. 863.

[54] Cons. const., décision n° 2021-892 QPC du 26 mars 2021 N° Lexbase : A40354ME, JO, 27 mars 2021, point 21.

[55] R Rézenthel, Les ports maritimes et le bicentenaire du Code civil, DMF, 2004, n° 644, p. 78.

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Procédure pénale

[Dépêches] Prestation de serment obligatoire pour l’inspecteur de l’environnement entendu comme témoin

Réf. : Cass. crim., 4 mars 2025, n° 24-82.160, F-B N° Lexbase : A168863W

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N1931B3W

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par Pauline Le Guen

Le 26 Mars 2025

► Un inspecteur de l’environnement, fût-il assermenté, ne relevant pas d’une administration ayant qualité pour exercer conjointement avec le ministère public les poursuites pénales, doit prêter serment avant d’être entendu comme témoin. 

Dans une affaire d’infraction au Code de l’environnement, un inspecteur de l’environnement avait été entendu comme témoin sur les constatations qu’il avait effectuées sur le terrain du prévenu, au cours d’une enquête préliminaire. Néanmoins, cet inspecteur n’avait pas prêté serment avant sa déposition, alors même qu’il ne pouvait être considéré comme partie intervenante au procès. 

C’est au visa de l’article 446 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L3203DGQ que la Chambre criminelle rappelle ainsi que les témoins entendus à l’audience doivent, avant leur déposition, prêter serment. Or, en s’abstenant de faire prêter serment à ce fonctionnaire, qui ne relève pas d’une administration ayant qualité pour exercer les poursuites pénales conjointement avec le ministère public, la cour d’appel a méconnu l’article précité en se fondant sur les dépositions du fonctionnaire pour écarter les moyens de la défense. La cassation est par conséquent encourue. 

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