Réf. : Cass. soc., 15 janvier 2025, n° 23-15.239, FS-B N° Lexbase : A47886QE
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N1528B3Y
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par Charlotte Moronval, Rédactrice en chef
Le 06 Février 2025
L'entreprise de travail à temps partagé qui ne respecte pas les dispositions de l'article L. 1252-2 du Code du travail, à savoir la mise à disposition au profit d’entreprises utilisatrices, de personnel qualifié qu'elles ne peuvent recruter elles-mêmes en raison de leur taille ou de leurs moyens, se place hors du champ d'application du travail à temps partagé et se trouve liée au salarié par un contrat de droit commun à durée indéterminée.
Pour rappel, le recours au travail à temps partagé a pour objet la mise à disposition d'un salarié par une entreprise de travail à temps partagé, au bénéfice d'un client utilisateur pour l'exécution d'une mission. Chaque mission donne lieu à la conclusion :
Par ailleurs, est un entrepreneur de travail à temps partagé, toute personne physique ou morale dont l'activité exclusive, nonobstant les dispositions de l'article L. 8241-1, est de mettre à disposition d'entreprises utilisatrices du personnel qualifié qu'elles ne peuvent recruter elles-mêmes en raison de leur taille ou de leurs moyens (C. trav., art. L. 1252-2 N° Lexbase : L1635H9G).
En l’espèce, une salariée, comptable dans une entreprise dans le cadre d’un CDI à temps partagé, avait été mise à disposition d’une société.
Contestant son licenciement, afin d'obtenir la requalification de son contrat en CDI, les juges du fond ont considéré qu’il n’était démontré, ni par l’entreprise de travail à temps partagé, ni par l’entreprise utilisatrice, que la taille ou les moyens de cette dernière ne lui permettaient pas de recruter directement un salarié.
L'entreprise de travail à temps partagé n’ayant pas satisfait à la condition de recours au contrat de travail à temps partagé, la Cour de cassation juge, pour la première fois, qu’un tel manquement place l’entreprise de travail à temps partagé hors du cadre légal, justifiant ainsi la requalification en CDI.
Pour aller plus loin : v. aussi ÉTUDE : Le travail à temps partagé, Généralités relatives au travail à temps partagé, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E5881EX4. |
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newsid:491528
Réf. : Cass. civ. 1, 15 janvier 2025, n° 22-24.672, F-B N° Lexbase : A47856QB
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N1626B3M
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par Jérôme Casey, Avocat au barreau de Paris
Le 10 Février 2025
► Lorsqu'il existe une indivision entre descendants portant sur la nue-propriété des biens dépendant de la succession de leur mère, chacun d'eux est, en application de l'article 815 du Code civil, en droit d'en provoquer le partage.
Vu l'article 815 du code civil N° Lexbase : L9929HN3 :
Aux termes de ce texte, nul ne peut être contraint à demeurer dans l'indivision et le partage peut toujours être provoqué, à moins qu'il n'y ait été sursis par jugement ou convention.
Pour déclarer irrecevable l'action introduite par M. [G] [U], l'arrêt retient, d'une part, que la totalité du patrimoine de la communauté a été transmise à M. [D] [U] au jour du décès de son épouse par l'effet de leurs conventions patrimoniales, les droits des enfants étant différés au décès du parent survivant, d'autre part, que M. [D] [U] ayant opté pour l'usufruit de la totalité des biens appartenant en propre à son épouse, en application de la donation du 17 décembre 1983, M. [G] [U] et Mme [J] [U] ont la qualité de nus-propriétaires des biens de la succession de leur mère de sorte que, un partage n'étant pas possible entre usufruitiers et nus-propriétaires, la demande d'ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de la succession de [B] [C], telle qu'elle est présentée par M. [G] [U], nu-propriétaire, est irrecevable, et, de dernière part, que les demandes de rapport des donations ne pouvant être ordonnées que lors d'une instance en liquidation et partage d'une succession, celles-ci sont tout autant irrecevables.
En statuant ainsi, après avoir constaté l'existence d'une indivision successorale entre M. [G] [U] et sa sœur portant sur la nue-propriété des biens dépendant de la succession de leur mère, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte susvisé.
Observations. Romeo et Juliette sont mariés en communauté légale et se consentent par la suite une donation entre époux (institution contractuelle) avant de changer de régime matrimonial pour adopter une communauté universelle, laissant hors communauté les biens propres de l’article 1404 du Code civil N° Lexbase : L1535ABH (biens propres par nature) ainsi que les biens propres de Juliette. Cette dernière décède en 2016, laissant à sa survivance Romeo et leurs deux enfants Juan et Gianni. Romeo opte pour l'attribution de la propriété de l'ensemble des biens communs et pour l'usufruit de la totalité des biens de la succession de son épouse (lesquels sont donc en nue-propriété entre Jema et Gianni). En 2021, Gianni assigne son père et sa sœur en ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de la succession de Juliette ainsi que, le cas échéant, de la communauté, le rapport à la succession des donations consenties à ses héritiers et la réduction des libéralités excédant la quotité disponible. Romeo et Jema ont saisi le juge de la mise en état aux fins de voir déclarer l'action irrecevable en l'absence d'indivision successorale. La cour d’appel déclare Gianni irrecevable en son action en partage (CA Rennes, 25 octobre 2022, n° 22/00318 N° Lexbase : A64668RW). Il se pourvoi en cassation, et l’arrêt d’appel est censuré.
C’est une erreur fréquente qui a été commise en l’espèce par les juges du fond. La défunte, Juliette, avait des biens propres (des biens immobiliers, outre quelques propres par nature). Son mari a opté pour l’usufruit de sa succession et pris toute la communauté (attribution intégrale). Il en résulte que Gianni et Jema étaient en indivision en nue-propriété sur les biens anciens bien propres de leur mère (et les quelques meubles propres par nature). Il était donc parfaitement loisible à Gianni de demander le partage de cette nue-propriété, afin de détenir une propriété divise en nue-propriété. Par voie de conséquence, Gianni pouvait aussi demander le rapport et la réduction éventuelle des donations consenties par sa mère. La solution n’est pas nouvelle (v., Cass. civ. 1, 2 mars 2004, n° 01-17.708 N° Lexbase : A3989DBD ; Cass. civ. 1, 12 janvier 2011, n° 09-17.298, F-P+B+I N° Lexbase : A8517GP7).
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Réf. : Cass. civ. 1, 29 janvier 2025, n° 23-16.310, F-B N° Lexbase : A54406SB
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N1627B3N
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par Yann Le Foll
Le 12 Février 2025
La diffusion hors de la salle d'audience, dans un couloir accessible au public, des échanges entre la personne placée en rétention administrative et son avocat porte atteinte aux droits de la personne concernée.
Une personne de nationalité algérienne, en situation irrégulière sur le territoire national, a été placée en rétention administrative, en exécution d'une obligation de quitter le territoire français. Le juge des libertés et de la détention (JLD) a été saisi par la préfète du Bas-Rhin d'une demande de prolongation de la rétention sur le fondement de l'article L. 742-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile N° Lexbase : L3458MKB.
L’ordonnance attaquée (CA Colmar, 15 septembre 2022, n° 22/03404 N° Lexbase : A98528IQ) a prolongé la rétention de l’intéressé, après avoir constaté que le son de son entretien en visio-conférence avec son avocat, avant l'audience devant le JLD, avait été diffusé hors de la salle d'audience, dans un couloir accessible au public, en raison d'un incident technique.
Elle a retenu qu'il n'est pas démontré qu'un tiers ait pu assister ou entendre l'entretien et que l'intéressé, qui avait pu s'entretenir librement avec son conseil avant l'audience, ne démontrait pas l'existence d'un grief découlant de cet incident.
La Cour suprême annule cette ordonnance. Elle énonce que le juge doit garantir la confidentialité des échanges entre une personne placée en rétention administrative et son avocat (CESDH, art. 8 N° Lexbase : L6799BHB et que l'absence de confidentialité de cet entretien porte nécessairement, au sens de l'article L. 742-1 précité, atteinte aux droits de la personne concernée.
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Réf. : Cass. com., 18 décembre 2024, n° 23-19.659, F-D N° Lexbase : A74066NM
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N1513B3G
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par Adèle Chikouche, Avocate, Droit des affaires
Le 06 Février 2025
L'arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 18 décembre 2024 s'inscrit dans le cadre d'un litige relatif à l'évaluation fiscale des parts sociales pour l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF). Cet arrêt est marqué par une cassation pour contradiction de motifs, illustrant les exigences de rigueur et de cohérence dans la motivation des décisions judiciaires en matière fiscale.
En l’espèce, la Cour de cassation était saisie d'un pourvoi formé par l'administration fiscale contre un arrêt de la Cour d'appel de Paris, rendu le 23 janvier 2023 (CA Paris, 23 janvier 2023, n° 20/10608 N° Lexbase : A40509AA). Le litige portait sur la méthode d'évaluation des parts sociales détenues par Mme [N], contribuable assujettie à l'ISF et à la contribution exceptionnelle sur la fortune pour les années 2010 à 2012.
La cour d'appel avait adopté une formule combinant différentes méthodes d'évaluation, préconisée par la contribuable, mais en l'accompagnant de motifs contradictoires. Elle retenait que cette formule conduisait à une sous-évaluation des participations tout en écartant les arguments de l'administration fiscale sur une autre méthode jugée plus cohérente.
La Cour de cassation a cassé cette décision au motif que la contradiction des motifs équivaut à une absence de motifs, en violation de l'article 455 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6565H7B. Elle a estimé que la Cour d'appel, en adoptant une formule qu'elle semblait pourtant critiquer, n'avait pas satisfait aux exigences de motivation.
Cet arrêt illustre une exigence renforcée en matière de motivation des décisions judiciaires, notamment dans des affaires complexes où les méthodes d'évaluation financière font l'objet de controverses.
Deux aspects méritent une attention particulière :
1. La cohérence entre les motifs et le dispositif. La contradiction de motifs dans l'arrêt de la cour d'appel reflète une ambiguïté dans l’appréciation des méthodes d'évaluation fiscale. La Cour de cassation rappelle que l'articulation logique entre les motifs et le dispositif est essentielle pour garantir la clarté et la prévisibilité des décisions.
2. L’approche multicritères en matière fiscale. La méthode combinatoire retenue par la contribuable - intégrant la valeur mathématique (VM) et la valeur de productivité (VP) - soulève des questions sur son applicabilité dans le cadre des litiges fiscaux. La Cour semble favoriser une approche plus uniforme, à condition qu'elle soit étayée par des motifs clairs.
La décision met en lumière les défis liés à l'évaluation des parts sociales dans un contexte fiscal. Tout en affirmant une exigence de motivation rigoureuse, elle soulève plusieurs questions :
En définitive, en cassant l’arrêt de la cour d'appel pour contradiction de motifs, la Cour de cassation réaffirme l’importance de la cohérence et de la rigueur dans les décisions judiciaires. Cet arrêt souligne les enjeux liés à l’évaluation fiscale, où la précision méthodologique et la sécurité juridique apparaissent comme des exigences incontournables. Toutefois, il appelle à une meilleure structuration des critères d'évaluation afin de garantir l'équité et la prévisibilité des litiges fiscaux à venir.
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Réf. : TA Paris, 16 janvier 2025, n° 2022217 N° Lexbase : A38446RS
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N1615B39
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par Clémence Vanduÿnslaeger, Avocate au Barreau de Lille, et Caroline De Lambilly, Doctorante à Paris Panthéon Sorbonne et enseignante en droit public à l’Université Catholique de Lille
Le 04 Février 2025
Mots clés : magistrats • responsabilité de l’État • secret professionnel • écoutes téléphoniques • corruption
Par le présent jugement, si, d’une part, le tribunal administratif de Paris réaffirme le principe selon lequel l’illégalité fautive doit être la cause directe et certaine d’un préjudice pour ouvrir réparation devant la justice administrative dans le cadre de la responsabilité de l’État, il consacre, d’autre part, que la mise en cause publique de magistrats sur la base d’allégations erronées constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l’État.
Les faits
Le tribunal administratif de Paris a été saisi d’un litige trouvant son origine dans l’affaire judiciaire impliquant Nicolas Sarkozy, Thierry Herzog et Gilbert Azibert, poursuivis pour trafic d’influence et corruption.
Dans ce cadre, le Parquet National Financier (PNF) avait ouvert, le 4 mars 2014, une enquête préliminaire dite enquête « 306 » pour violation du secret professionnel, en vue d’identifier un tiers au sein du milieu judiciaire susceptible d’avoir informé les mis en cause qu’ils faisaient l’objet d’écoutes téléphoniques. Cette enquête, suivie par deux magistrats du PNF jusqu’au 7 octobre 2016, a impliqué à l’exploitation des factures détaillées de plusieurs avocats, notamment celles d’Éric Dupond-Moretti. Pour cette raison, ce dernier a déposé une plainte contre X pour atteinte à la vie privée, violation du secret des correspondances et abus d’autorité, le 30 juin 2020.
Le 1ᵉʳ juillet 2020, la garde des sceaux, ministre de la justice, a saisi l’Inspection Générale de la Justice (IGJ) d’une enquête de fonctionnement concernant cette affaire. Rendu le 15 septembre 2020, le rapport de l’IGJ a relevé notamment un manque de rigueur dans le traitement de la procédure de l’enquête dite 306.
Par un communiqué du 18 septembre 2020 publié sur le site du ministère de la justice, M. Dupond-Moretti, désormais Garde des Sceaux, ministre de la Justice, annonçait avoir saisi l’IGJ d’une enquête administrative sur le comportement professionnel des deux magistrats en charge de l’enquête 306 ainsi que de leur supérieure hiérarchique de l’époque, en mentionnant expressément leurs identités.
En conséquence, les magistrats concernés ont sollicité devant la justice administrative la réparation des préjudices qu’ils estiment avoir subis en raison des fautes commises par le Garde des Sceaux, ministre de la Justice, dans l’exercice de ses fonctions.
Commentaire
À titre liminaire, il y a lieu de souligner que le tribunal administratif de Paris a jugé recevable la requête indemnitaire collective conformément à la position constante du Conseil d’État selon laquelle une requête indemnitaire émanant de plusieurs requérants est recevable si les conclusions qu’elle comporte présentent entre elles un lien suffisant [1].
Pour solliciter la condamnation de l’État à réparer les préjudices subis, deux fondements de responsabilité ont été soulevés devant le juge administratif et examinés par ce dernier : l’illégalité d’un acte administratif (I) et la mise en cause publique des requérants (II).
I. La responsabilité de l’État en raison de l’illégalité d’un acte administratif
Tout d’abord, le tribunal administratif réaffirme le principe, issu de la jurisprudence « Driancourt » [2] et énoncé explicitement dans la jurisprudence « Imbert » [3], selon lequel toute illégalité commise par l’administration constitue une faute susceptible d’engager sa responsabilité, pour autant qu’il en ait résulté un préjudice direct et certain.
Ce principe s’applique lorsqu’un acte administratif est entaché d’une illégalité. La légalité de l’acte est alors examinée par le juge administratif, qui, sans pour autant annuler l’acte litigieux, peut reconnaître que ce dernier est susceptible d’engager la responsabilité de l’administration.
En l’espèce, le tribunal administratif de Paris a considéré que l’acte de saisine de l’IGJ, révélé par le communiqué de presse du 18 septembre 2020, avait été pris en méconnaissance du principe d’impartialité et était donc entaché d’illégalité.
Toutefois, il est de jurisprudence constante que si toute illégalité est fautive, elle n’ouvre pas automatiquement droit à réparation.
En effet, dans sa décision du 24 juin 2019, le Conseil d’État a précisé la méthode à suivre pour établir si l’illégalité d’une décision administrative a effectivement causé un préjudice [4] : lorsqu'une personne sollicite le versement d'une indemnité en réparation du préjudice subi du fait de l'illégalité d'une décision administrative, il appartient au juge administratif de rechercher, en forgeant sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties, si la même décision aurait pu légalement intervenir. Dans l’affirmative, le préjudice allégué ne peut alors être regardé comme la conséquence directe et certaine de l’illégalité invoquée.
En l’occurrence, faisant application de cette jurisprudence, le tribunal administratif a considéré que la même décision de saisine de l’IGJ aux fins d’enquête administrative aurait pu légalement intervenir. Dès lors, il ne pouvait qu’écarter la condamnation de l’État aux motifs que les préjudices invoqués par les requérants ne sauraient être regardés comme la conséquence directe de l’illégalité entachant la décision du Garde des Sceaux, ministre de la Justice.
Ainsi, le jugement commenté rappelle une nouvelle fois que la seule constatation d’une illégalité ne peut suffire sans qu’elle n’ait causé un préjudice direct et certain pour ouvrir droit à réparation.
II. La responsabilité de l’État à raison de la mise en cause publique des requérants
Dans un second temps, le tribunal administratif de Paris a examiné un nouveau fondement de responsabilité : la responsabilité de l’État à raison de la mise en cause publique des requérants.
Par ce jugement, le tribunal administratif de Paris affirme que les membres du Gouvernement ne sont pas, à la différence des fonctionnaires, formellement soumis à l’obligation de réserve. Cette obligation, trouvant notamment son fondement dans l’article L. 121-7 du Code général de la fonction publique N° Lexbase : L6217MBU, limite la liberté d’expression des agents publics dans l’exercice de leurs fonctions. Ces derniers sont en effet tenus de faire preuve de « discrétion professionnelle pour tous les faits, informations ou documents dont il a connaissance dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ».
Si le juge écarte l’application des obligations pesant sur les fonctionnaires aux membres du Gouvernement, il ne considère pas pour autant que ces derniers disposent d’une liberté d’expression sans limite.
En effet, le juge administratif vient poser la limite suivante : l’allégation publique de faits matériellement inexacts portant atteinte à la réputation professionnelle, à l’honneur ou à la considération d’une personne est susceptible de constituer une faute de nature à engager la responsabilité de l’État. Sans citer directement le mot « diffamation », le juge administratif fait ainsi référence à la définition présente à l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881, sur la liberté de la presse N° Lexbase : L7589AIW.
En l’espèce, le tribunal administratif relève que le Garde des Sceaux, ministre de la Justice, a imputé à deux magistrats des faits matériellement inexacts, en affirmant publiquement qu’ils avaient refusé de déférer aux convocations de l’inspection générale de la justice et de répondre à ses questions, alors même que ces allégations étaient contredites par le rapport remis au ministre quelques jours auparavant. Le juge administratif insiste également sur le large traitement médiatique donné à ces propos erronés, ce qui a aggravé leur portée et leurs conséquences.
Ainsi, en diffusant publiquement des informations inexactes portant atteinte à la réputation de ces magistrats, le Garde des Sceaux, ministre de la Justice, a commis une faute de nature à engager la responsabilité de l’État. Par conséquent, le tribunal administratif a condamné l’État à verser respectivement aux requérants une somme de 15 000 et 12 000 euros en réparation des préjudices subis.
Ce faisant, le jugement commenté semble créer un nouveau fondement de responsabilité de l’État fondé sur la faute de service résultant de l’affirmation de propos erronés par un membre du Gouvernement, dès lors que ceux-ci ont été intentionnellement médiatisés.
***
Avec la présence de plus en plus fréquente des membres du Gouvernement dans les médias, la question se pose de l’éclosion d’un nouveau type de contentieux. En tout état de cause, il ne fait nul doute que pour le juge administratif, l’État doit être le garant de la véracité des déclarations ministérielles sous peine d’engager sa responsabilité pour faute devant la juridiction administrative [5].
[1] CE, 9° et 10° ch.-r., 10 décembre 2021, n° 440845, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A83287E8.
[2] CE Contentieux, 26-01-1973, n° 84768 N° Lexbase : A7586B8H.
[3] CE, 1°-6° s-s-r., 30 janvier 2013, n° 339918, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4379I4X.
[4] CE, 3°-8° ch.-r., 24 juin 2019, n° 407059, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3716ZGQ.
[5] M. Lhéritier, La faute de l’État dans la mise en cause publique de deux magistrats du parquet national financier, Le Quotidien, 24 janvier 2025 N° Lexbase : N1551B3T.
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