La lettre juridique n°978 du 21 mars 2024

La lettre juridique - Édition n°978

Accident du travail - Maladies professionnelles (AT/MP)

[Panorama] Panorama d’actualités jurisprudentielles relatif au contentieux accident du travail / maladie professionnelle (janvier - février 2024)

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par Yann Bougenaux, Avocat associé, cabinet Oren Avocats

Le 20 Mars 2024

Mots-clés : Accident du travail • maladie professionnelle • état antérieur • présomption d’imputabilité • réserves motivées • charge de la preuve • information de l’employeur • exposition au risque • malaise mortel • syndrome anxio-dépressif • faute inexcusable • CRRMP • expertise judiciaire • longueur d’arrêt

La revue Lexbase Social vous propose de retrouver, tous les deux mois, le panorama d’actualités jurisprudentielles dédié aux juridictions du fond, de Yann Bougenaux, Avocat associé du cabinet Oren Avocats, relatif au contentieux des accidents du travail et maladies professionnelles.


Sommaire

I. Définition d’accident du travail

- CA Rouen, 9 février 2024, n° 22/00683
- CA Bordeaux, 11 janvier 2024, n° 21/04527
- CA Amiens, 9 janvier 2024, n° 22/03996
- CA Nancy, 10 janvier 2024, n° 22/02580

II. Délai d’émission de réserves motivées

- CA Amiens, 16 février 2024, n° 22/00130

III. Condition de reconnaissance des maladies professionnelles

- CA Amiens, 30 janvier 2024, n° 22/03872
- CA Rouen, 9 février 2024, n° 23/03107
- CA Grenoble, 15 février 2024, n° 22/02596
- CA Orléans, 30 janvier 2024, n° 22/02267
- CA Amiens, 8 janvier 2024, n° 22/03903

IV. Faute inexcusable

- CA Grenoble, 8 février 2024, n° 22/02549
- CA Lyon, 16 janvier 2024, n° 21/05787

V. Procédure

- CA Orléans, 23 janvier 2024, n° 22/02822
- CA Grenoble, 8 janvier 2024, n° 19/04294

VI. Longueur d’arrêt

- CA Poitiers, 8 février 2024, n° 21/01343


I. Définition d’accident du travail

CA Rouen, 9 février 2024, n° 22/00683 N° Lexbase : A25312N3 : il appartient au salarié de démontrer l’existence d’un fait accidentel pour bénéficier de la présomption d’imputabilité des accidents du travail.

L’employeur contestait l’existence même d’un fait accidentel.

Le salarié indiquait s’être blessé à l’épaule en ouvrant une porte coupe-feu en forçant.

La cour d’appel suit l’argumentation de la CPAM et considère qu’il s’agit d’un fait accidentel, corroboré par d’autres éléments tels que le passage à l’infirmerie.

Il est donc fait application de la présomption d’imputabilité (CSS, art. L. 411-1 N° Lexbase : L4725MHH).

Pour aller plus loin : ÉTUDE : La définition de l’accident du travail, Le principe de la présomption d’imputabilité, in Droit de la protection sociale, Lexbase N° Lexbase : E95553WS

CA Bordeaux, 11 janvier 2024, n° 21/04527 N° Lexbase : A20062EZ : un employeur peut user d’une vidéosurveillance pour contester la réalité d’un fait accidentel.

Afin de contester la version du salarié qui affirmait avoir été victime d’un accident du travail, l’employeur verse aux débats devant le tribunal judiciaire, la vidéosurveillance.

La CPAM affirme qu’il s’agit d’un procédé déloyal.

Le tribunal rejette cette argumentation sur la loyauté en rappelant que l’employeur avait évoqué l’existence de cette vidéo au cours de l’instruction contradictoire.

Il relevait donc de la responsabilité de la CPAM de consulter ladite vidéo.

CA Amiens, 9 janvier 2024, n° 22/03996 N° Lexbase : A83922D8 : l’existence d’un état antérieur ne fait pas obstacle à la présomption d’imputabilité en présence d’un fait accidentel.

Un salarié se plaint de ressentir des douleurs aux dos après avoir porté un carton de 30 kg.

L’employeur conteste la réalité de l’accident en démontrant que le salarié avait indiqué à ses collègues s’être blessé dans un accident de vélo durant ses congés quelques jours avant.

Le tribunal rejette cette argumentation et rappelle que le salarié décrit un fait accidentel et que par conséquent la présomption d’imputabilité joue.

CA Nancy, 10 janvier 2024, n° 22/02580 N° Lexbase : A91282DG : Le salarié doit faire le lien entre le malaise survenu hors temps et lieu de travail et l’activité professionnelle pour obtenir la reconnaissance d’un accident du travail.

Un salarié est victime d’un AVC à son domicile.

Pour faire le lien avec son activité professionnelle, le salarié évoque un essoufflement survenu cinq jours avant sur le lieu de travail, et ayant été constaté médicalement.

La cour d’appel considère que cette argumentation est insuffisante pour reconnaître l’existence d’un accident du travail, compte tenu notamment du délai entre ledit essoufflement et l’AVC.

II. Délai d’émission de réserves motivées

CA Amiens, 16 février 2024, n° 22/00130 N° Lexbase : A15852PE : le délai de dix jours permettant à l’employeur d’émettre des réserves motivées expire au jour de l’expédition du courrier.

La CPAM considère que l’employeur a émis des réserves motivées hors délai.

Selon la caisse il conviendrait qu’elle reçoive le courrier de réserve dans le délai de dix jours.

L’employeur, quant à lui, affirme qu’il doit bénéficier d’un délai complet de dix jours et qu’il doit donc envoyer son courrier dans ce délai.

La cour valide la position de l’employeur rappelant que le délai doit nécessairement inclure l’expédition et non la réception par la CPAM.

III. Condition de reconnaissance des maladies professionnelles

CA Amiens, 30 janvier 2024, n° 22/03872 N° Lexbase : A01702KI : c’est la CPAM qui supporte la charge de démontrer que les conditions du tableau sont remplies et que la désignation de la pathologie correspond.

La CPAM décide d’une prise en charge d’une maladie professionnelle n° 98 relative à une hernie discale.

L’employeur conteste en relevant que le tableau n° 98 concerne les sciatiques par hernie discale L4-L5 ou L5-S1 avec atteinte radiculaire de topographie concordante.

La CPAM doit donc démontrer l’atteinte radiculaire.

Or, aucun élément du dossier ne fait référence à une telle atteinte.

La décision de prise en charge doit dès lors être déclarée inopposable.

CA Rouen, 9 février 2024, n° 23/03107 N° Lexbase : A24202NX : un changement de date de première constatation médicale en cours de procédure doit faire l’objet d’une justification et d’une information à l’employeur.

La CPAM instruit une maladie professionnelle en retenant une date de première constatation médicale qu’elle modifie par la suite, après transmission du dossier au CRRMP.

L’employeur se plaint de découvrir un changement de date de première constatation médicale dans le courrier de prise en charge.

La cour déclare inopposable la décision de prise en charge, dans la mesure où la CPAM ne justifie aucunement du changement de date.

CA Grenoble, 15 février 2024, n° 22/02596 N° Lexbase : A11472P8 : pour démontrer l’exposition au risque du salarié, la CPAM doit tenir compte des changements de poste du salarié.

Il apparaît que la CPAM a instruit une déclaration de maladie professionnelle et que l’employeur et le salarié ne décrivent pas le même poste de travail.

L’employeur démontrait que le salarié était en formation durant le délai de prise en charge du tableau (14 jours en l’occurrence) et qu’il n’était dès lors pas exposé au risque.

La cour valide cette démonstration et reproche à la CPAM de ne pas avoir tenu compte de cette situation auprès du salarié.

CA Orléans, 30 janvier 2024, n° 22/02267 N° Lexbase : A37132L4 : un malaise mortel au temps et au lieu du travail n’exonère pas la CPAM d’une véritable enquête sur les causes du malaise et du décès.

La cour constate que la CPAM a diligenté une enquête contradictoire au terme de laquelle elle a obtenu l’information selon laquelle le salarié était suivi pour des problèmes cardiaques.

Pourtant la CPAM n’a pas poursuivi l’enquête sur ce point.

La cour reproche ainsi à la CPAM d’avoir réalisé une enquête purement formelle et déclare inopposable la décision de prise en charge (CSS, art. R. 441-11 N° Lexbase : L6173IED, anc.).

CA Amiens, 8 janvier 2024, n° 22/03903 N° Lexbase : A60272DL : l’existence d’un syndrome anxio-dépressif est insuffisant pour caractériser une maladie professionnelle.

S’agissant d’une maladie hors tableau, la cour rappelle qu’elle doit être « essentiellement et directement causée par le travail de la victime » pour être reconnu comme étant d’origine professionnelle.

La cour constate l’existence d’un syndrome anxio-dépressif, mais considère que les éléments du dossier ne permettent pas de démontrer un lien suffisant pour reconnaître l’existence d’une maladie professionnelle.

IV. Faute inexcusable

CA Grenoble, 8 février 2024, n° 22/02549 N° Lexbase : A61402DR : les conditions de reconnaissance d’une faute inexcusable ne sont pas réunies lorsque les circonstances de l’accident du travail sont indéterminées.

Un salarié est victime d’un malaise en sortant d’une réunion.

Les parties s’opposent sur la façon dont la réunion se serait déroulée. Or, la charge de la preuve pèse sur le demandeur en matière de reconnaissance de faute inexcusable.

La cour constate que l’employeur n’était pas informé de la fragilité psychologique de son salarié et qu’il n’avait donc pas conscience d’un danger.

La cour rejette la demande de reconnaissance de faute inexcusable.

CA Lyon, 16 janvier 2024, n° 21/05787 N° Lexbase : A99332EM : une faute inexcusable ne peut être reconnue en présence d’un évènement imprévisible.

Une salariée est victime d’un accident du travail constitué d’une chute à la suite d’une glissade.

L’employeur justifie avoir évalué le risque de chute, et avoir sensibilisé ses salariés aux règles de prévention.

Par ailleurs l’accident s’est déroulé de manière imprévisible la salariée ayant glissé à la suite d’un verre d’eau renversé par un collègue.

Pour la cour cet évènement était imprévisible et ne peut conduire à la reconnaissance d’une faute inexcusable.

V. Procédure

CA Orléans, 23 janvier 2024, n° 22/02822 N° Lexbase : A87012I4 : l’acte de décès ne peut remplacer le certificat médical de décès dans les pièces consultées par l’employeur.

La cour rappelle sans surprise les pièces qui doivent être présentes dans le dossier lors de la phase de consultation.

En l’occurrence, la cour constate que le dossier était constitué notamment de l’acte de décès, mais non du certificat médical de décès.

Pour la cour l’acte de décès n’est qu’un acte administratif dépourvu de toute constatation médicale et ne peut se substituer au certificat médical de décès.

En l’absence d’une telle pièce, la décision de prise en charge est déclarée inopposable.

CA Grenoble, 8 janvier 2024, n° 19/04294 N° Lexbase : A61402DR : le second CRRMP doit disposer des mêmes pièces que le premier CRRMP, et donc d’un dossier complet, pour que la procédure soit régulière.

La cour constate que le premier CRRMP disposait d’un avis du médecin du travail alors que le second CRRMP n’y fait pas référence.

Par conséquent la procédure est irrégulière et entraîne l’inopposabilité de la décision de prise en charge.

VI. Longueur d’arrêt

CA Poitiers, 8 février 2024, n° 21/01343 N° Lexbase : A30382NT : un changement de dénomination de maladie dans les certificats médicaux peut constituer un commencement de preuve suffisant permettant la mise en œuvre d’une expertise médicale.

Un salarié est victime d’un malaise vagal pris en charge en accident de travail.

Par la suite les arrêts font état d’un épuisement professionnel et d’une dépression réactionnelle.

L’employeur affirmait ainsi qu’il était peu probable qu’une dépression réactionnelle soit imputable à un malaise vagal.

Pour la cour ce changement justifie la mise en œuvre d’une expertise judiciaire portant sur l’imputabilité des arrêts et soins à l’accident initial.

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Baux d'habitation

[Brèves] Le locataire d’un bien acheté moyennant un PTZ peut-il se prévaloir du non-respect des engagements incombant au propriétaire pour s’affranchir du paiement du loyer ?

Réf. : Cass. civ. 3, 14 mars 2024, n° 21-25.798, FS-B N° Lexbase : A21172UX

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par Anne-Lise Lonné-Clément

Le 21 Mars 2024

► La seule sanction prévue par l'article L. 31-10-7 du Code de la construction et de l'habitation en cas de non-respect des conditions attachées au maintien d'un prêt à taux zéro, en cas de location d'un logement acquis au moyen de ce prêt, étant l'obligation pour l'emprunteur de rembourser le capital restant dû, le locataire d'un bien dont l'acquisition a été financée par un tel prêt ne peut se prévaloir de ce non-respect pour justifier le défaut de paiement du loyer stipulé par le contrat de location.

Voilà une question intéressante que la Cour de cassation vient trancher dans son arrêt rendu le 14 mars 2024 : le locataire d’un bien acheté moyennant un PTZ peut-il se prévaloir du non-respect des engagements incombant au propriétaire pour s’affranchir du paiement du loyer ?

La question pouvait inversement être formulée ainsi : le bailleur peut-il se prévaloir de stipulations d'un bail conclu en violation des dispositions légales lui interdisant le louer le bien lui appartenant ou limitant à tout le moins le montant du loyer exigible ?

La réponse à cette dernière question était négative selon la locataire en l’espèce, ainsi qu’elle le prétendait au soutien de son pourvoi formé contre l’arrêt auquel elle faisait grief de constater l'acquisition de la clause résolutoire, de rejeter sa demande de fixation du montant du loyer, et de la condamner à payer une certaine somme au titre de l'arriéré locatif ainsi qu'une indemnité d'occupation.

Mais la Haute juridiction ne l’entend pas ainsi : selon elle, il résulte des articles L. 31-10-6 N° Lexbase : L3195KWA et R. 31-10-6 N° Lexbase : L0294LCU du Code de la construction et de l'habitation que le maintien du prêt à taux zéro, en cas de location d'un logement acquis au moyen de ce prêt, est soumis au respect de certaines conditions dont la méconnaissance peut avoir pour effet, en application de l'article L. 31-10-7 du même code N° Lexbase : L2649IXE, de rendre exigible le remboursement du capital restant dû.

Ayant relevé que la seule sanction prévue en cas de non-respect des conditions de maintien d'un tel prêt est l'obligation de rembourser l'intégralité de ce prêt, la cour d'appel en a exactement déduit que la locataire ne pouvait s'en prévaloir pour justifier le défaut de paiement du loyer stipulé par le contrat de location.

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Congés

[Brèves] Congés payés et arrêts maladie : zoom sur l'avis rendu par le Conseil d’État

Réf. : CE, avis, 11 mars 2024, n° 408112 N° Lexbase : A01452WB

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N8780BZ9

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par Lisa Poinsot

Le 20 Mars 2024

Le 11 mars, le Conseil d’État a rendu un avis portant sur la mise en conformité des dispositions du Code du travail en matière d’acquisition de congés pendant les périodes d’arrêt maladie.

Contexte juridique. Interrogé par le Gouvernement lors d’une demande d’avis portant sur la mise en conformité des dispositions du Code du travail en matière d’acquisition de congés pendant les périodes d’arrêt maladie, le Conseil d’État s’est penché sur les points suivants :

  • acquisition dans la limite de quatre semaines de congés payés pour les salariés en arrêt maladie d’origine non professionnelle ;
  • acquisition pour le passé dans la limite de quatre semaines de congés payés pour les salariés en arrêt maladie non professionnelle et fixation de cette règle dans la loi ;
  • délai de report des congés payés inférieur à quinze mois ;
  • point de départ du délai de report des congés payés acquis au titre de l’arrêt maladie ;
  • délais de report différents selon que les congés payés ont été acquis avant l’arrêt maladie ou au titre de l’arrêt maladie ;
  • application rétroactive de la durée maximale de report des congés ;
  • possibilité d’extinction par une loi de validation des contentieux de salariés au titre des congés qui auraient dû être générés pour les arrêts maladie passés.

Acquisition de congés payés pendant l’arrêt maladie. Le projet d’amendement prévoit une acquisition différenciée de congés pour les arrêts maladie d’origines professionnelle et non-professionnelle.

Le Conseil d’État considère que cette distinction ne méconnaît pas le principe constitutionnel d’égalité ni le principe de discrimination. Il propose néanmoins une limite d’acquisition de quatre semaines de congés payés pour les salariés en arrêt de travail d’origine non professionnelle.

Limitation de cette acquisition à quatre semaines. Le Conseil d’État propose que le droit aux congés payés soit toutefois limité à quatre semaines (vingt-quatre jours ouvrables) par an, même si un salarié en arrêt maladie pour une année entière aurait pu prétendre à plus. 

Pour le Conseil d’État, cette limitation est conforme au droit de l'Union européenne, qui exige un minimum de quatre semaines de congés payés annuels pour tous les travailleurs.

En pratique, sauf dispositions conventionnelles contraires, le salarié absent en raison d’une maladie d’origine non professionnelle pendant moins de deux mois continuera de ne pas acquérir de congés payés. L’acquisition ne sera rétablie qu’à partir du troisième mois d’arrêt maladie.

Le projet d’amendement ne peut avoir d’effet rétroactif pour les périodes antérieures au 1er décembre 2009.

Report de quinze mois et point de départ du délai de report. Pour le Conseil d’État, la durée de report de quinze mois est suffisamment substantielle. Il n’est pas possible de fixer un délai de report inférieur. Cette durée doit faire l’objet d’une information de la part de l’employeur auprès du salarié à son retour d’arrêt maladie. La date de la délivrance de cette information est la date du point de départ du délai de report des congés payés acquis.

En pratique, pour les congés payés acquis avant l’arrêt maladie ou au cours de l’arrêt maladie, la période de report débute lorsque le salarié est informé de ses droits, sauf pour les longs arrêts maladie (les salariés qui ne sont pas revenus avant le terme de la période de report perdent leurs droits).

Rétroactivité des mesures. La rétroactivité des mesures sera limitée à trois ans.

En pratique, seuls les arrêts maladie survenus depuis 2020 peuvent ouvrir droit à une demande de congés payés supplémentaires, dans la limite de quatre semaines par an. Les périodes d'arrêt maladie antérieures à 2020 ne donneront pas lieu à un recours pour l'acquisition de congés payés supplémentaires.

Prescription et forclusion. Pour éviter les accumulations illimitées de congés lorsque la maladie s’étend sur plusieurs périodes de référence, le Conseil d’État propose l’instauration d’un délai de forclusion de deux ans à compter de l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, applicable même en l’absence de démarche d’information de l’employeur pour les actions introduites par les salariés encore en poste.

Sur la question de la possible extinction par une loi de validation des contentieux, le Conseil d’État estime qu’une telle loi sera susceptible de violer les dispositions du droit de l’Union européenne. Néanmoins, plusieurs dispositions législatives pourraient être envisagées, concernant la période du 1er décembre 2009 à la date d’entrée en vigueur de la loi nouvelle, afin de se confirmer au droit de l’Union européenne.

Il est ainsi envisagé d’établir que la prescription soit acquise pour les salariés ayant quitté leur entreprise depuis plus de trois ans.

Conséquences en entreprise :

  • pour le salarié, il s’agit d’une évolution importante assurant ainsi une meilleure protection de ses droits en conformité aux dispositions européennes ;
  • pour l’employeur, il faut adapter les pratiques de gestion des congés payés, mais aussi les coûts pour courir les périodes antérieures et intégrer le changement des règles de calcul pour l’avenir.

Pour aller plus loin :

  • pour un récapitulatif des différentes positions judiciaires, lire L. Poinsot, Congés payés pendant les arrêts maladie : limiter légalement leur acquisition est conforme à la Constitution, Lexbase Social, février 2024, n° 974 N° Lexbase : N8385BZL ;
  • v. infographies, INFO603, Les congés payés, Droit social N° Lexbase : X7382CNQ ; INFO769, Calculer les jours de congés payés acquis N° Lexbase : X3897CQE ; INFO770, Calculer les jours de congés payés acquis en cas de présence incomplète N° Lexbase : X3901CQK ; INFO771, Calculer les jours de congés payés acquis : tableau d'équivalence N° Lexbase : X3900CQI, Ressources humaines (RH) 
  • v. formulaires, MDS0049, Lettre de l'employeur refusant une demande de congés payés N° Lexbase : X3221AKI ; MDS0050, Lettre de demande de report de congés payés prévu par accord collectif  N° Lexbase : X3222AKK ; MDS0051, Demande par le salarié de prise de congés payés anticipés non acquis N° Lexbase : X3223AKL ; MDS0062, Lettre de demande de report de congés payés jusqu'au départ en congé pour création d'entreprise ou sabbatique N° Lexbase : X3234AKY, Droit social ;
  • v. fiche pratique, FP248, Accorder aux salariés leurs congés payés, Droit social - RH  N° Lexbase : X3560CQW ; 
  • lire Ch. Willmann, Acquisition de droits ou exercice des droits à congés payés : des risques judiciaires, en attendant une réforme législative, Lexbase Social, octobre 2023, n° 960 N° Lexbase : N7062BZL ;
  • lire aussi P. Pomerantz et P. Lopes, Congés payés et maladie : quels impacts et quelles solutions à la suite des arrêts du 13 septembre 2023 ?, Lexbase Social, octobre 2023, n°9 60 N° Lexbase : N7070BZU ;
  • v. ÉTUDE : Les congés payés annuels, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E0003ETB ;
  • v. ÉTUDE : L’incidence de la maladie non professionnelle sur le contrat de travail, Les effets de la suspension du contrat pour maladie sur les congés, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E3213ET8.

 

newsid:488780

Droits d'enregistrement

[Brèves] L'option prise lors du dépôt de la demande de paiement différé des droits de succession est irrévocable !

Réf. : Cass. com., 13 mars 2024, n° 22-16.190, F-B N° Lexbase : A05092UE

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N8758BZE

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par Marie-Claire Sgarra

Le 02 Août 2024

Gare aux options irrévocables en matière de succession ! Un bel exemple nous est donné dans un arrêt de la Chambre commerciale en date du 13 mars 2024.

Faits. Une épouse a opté, dans le cadre de la succession de son mari, pour le bénéfice de l’usufruit des biens et droits immobiliers composant la succession. Les deux enfants ont reçu la nue-propriété de ces biens, chacun pour moitié.

La déclaration de succession, adressée par le notaire chargé de la succession, était accompagnée d'une demande des nus-propriétaires tendant à obtenir l'autorisation de différer au jour du décès du conjoint survivant le paiement des droits de succession, dans la limite de six mois à compter de la réunion de l'usufruit et de la nue-propriété. Les enfants demandaient également à bénéficier d'une dispense du paiement des intérêts ayant couru sur les droits de succession, en contrepartie d'un calcul de leur montant sur la valeur imposable, à la date du décès, de la propriété entière des biens recueillis et non de la seule nue-propriété.

Procédure. L'administration fiscale a accueilli leur demande. Les enfants ont demandé la rectification de la demande initiale, en indiquant opter pour le paiement différé des droits calculés sur la valeur de la nue-propriété des biens, sans être dispensés du paiement des intérêts : rejet de l’administration fiscale au motif que l'option prise lors du dépôt de la demande de paiement différé des droits de succession était irrévocable.

Après rejet implicite de leur réclamation, les enfants ont assigné l'administration fiscale aux fins d'obtenir l'annulation de cette décision de rejet.

Solution de la Chambre commerciale. Il résulte des articles 1717 du Code général des impôts N° Lexbase : L3371HMS, 397 N° Lexbase : L1736MLU et 404 B, alinéa 4 N° Lexbase : L1743ML7, de l'annexe III du même code, que le paiement des droits de succession sur des biens dévolus en nue-propriété peut, par dérogation aux dispositions de l'article 1701 du Code général des impôts N° Lexbase : L3342HMQ, être différé jusqu'à l'expiration d'un délai qui ne peut excéder six mois à compter de la date de la réunion de l'usufruit à la nue-propriété.

Il résulte de la combinaison des articles 401 N° Lexbase : L1740MLZ et 404 B, alinéa 3, de l'annexe III du même code que les droits dont le paiement est différé donnent lieu au versement d'intérêts dont le taux est égal à celui de l'intérêt légal au jour de la demande de crédit, acquittés annuellement, le premier terme venant à échéance un an après l'expiration du délai imparti pour souscrire la déclaration de succession, et que, par dérogation, le bénéficiaire du paiement différé peut être dispensé du paiement des intérêts à la condition que les droits de mutation par décès soient assis sur la valeur imposable, au jour de l'ouverture de la succession, de la propriété entière des biens qu'il a recueillis.

L'option offerte au contribuable entre le paiement différé des droits, assis sur la valeur imposable, au jour de l'ouverture de la succession, de la nue-propriété des biens recueillis, avec versement d'intérêts annuels, et le paiement différé des droits, assis sur la valeur imposable de la propriété entière de ces biens, avec dispense d'intérêts, qui ne constitue pas un avantage fiscal offert au contribuable mais une option pour le paiement d'une imposition, implique un choix irrévocable du contribuable.

Le pourvoi des requérants est rejeté.

Précisions. La Chambre commerciale par cet arrêt rejoint la position de l’administration fiscale (BOI-ENR-DG-50-20-30 N° Lexbase : X7782ALS). « L'élargissement de l'assiette constitue la contrepartie de la dispense du versement d'intérêts. L'option pour ce régime est irrévocable et fait perdre définitivement aux successibles la possibilité de se placer sous le régime du paiement différé avec intérêt, même si la cession des biens intervient peu de temps après l'option. »

 

newsid:488758

Fiscalité des entreprises

[Conclusions] Report d’imposition des plus-values réalisées lors d’opérations d’apport de titres et réinvestissement – Conclusions de la Rapporteure publique

Réf. : CE 3° et 8° ch.-r., 16 février 2024, n° 472835, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A72812MM

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N8794BZQ

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par Karin Ciavaldini, Rapporteure publique au Conseil d’État

Le 20 Mars 2024

Mots-clés : fiscalité • plus-values mobilières • apport de titres • report d’imposition • sociétés

Le Conseil d’État devait trancher un litige relatif aux conditions permettant le maintien du report d’imposition de la plus-value d’apport.

Lexbase Fiscal vous propose cette semaine les conclusions de la Rapporteure publique, Karin Ciavaldini sur cette affaire.


 

1. La Compagnie française des Établissements Gaillard, créée en 1909, s’est spécialisée dans les années 1950 dans la fourniture de bois de mine pour Charbonnages de France puis pour d’autres usages industriels. Elle a cédé en 2006 son patrimoine d’immeubles bâtis à une autre société, le reste de son activité, principalement exercée au travers de deux groupements forestiers et d’une société de magasins généraux, étant transféré à une nouvelle société, la société anonyme Gaillard, dont les actionnaires, tout comme pour la Compagnie française des Établissements Gaillard, étaient constitués par les quatre branches familiales issues des quatre enfants du fondateur, dont Mme Gabrielle G, épouse de C.

Entre juillet et octobre 2016, Mme de C a abandonné les 42 % du capital de la société Gaillard qu’elle détenait contre 50,2 % du capital du plus important des deux groupements forestiers détenus par cette société, le Groupement Forestier de la Forêt de Bauzon. Cette opération s’est réalisée en trois étapes, entre juillet et octobre 2016 :

  • Le 28 juillet 2016, Mme de C a constitué, avec ses enfants, la société par actions simplifiée GA7, à laquelle elle a apporté ses 6 451 actions de la société Gaillard. Elle a reçu en contrepartie 2 741 675 actions de la société GA7, d’une valeur nominale d’un euro.
  • Le 26 septembre 2016, la société Gaillard a procédé à une réduction de capital par rachat puis annulation de titres, notamment ceux détenus par la société GA7.
  • Enfin, le 27 octobre 2016, la société GA7 a réinvesti une partie du produit de la cession de ces titres dans l’acquisition de parts de la société Groupement Forestier de la Forêt de Bauzon.

L’opération initiale d’apport de titres à la société GA7 a entraîné la constatation d’une plus-value, que M. et Mme de C ont déclarée au titre de l’année 2016. Toutefois, ils ont ensuite présenté une réclamation afin d’obtenir le dégrèvement intégral de l’imposition de cette plus-value, qu’ils souhaitaient voir placée en report d’imposition sur le fondement des dispositions de l’article 150-0 B ter du Code général des impôts N° Lexbase : L0705MLP.

L’administration a rejeté cette réclamation, pour les raisons suivantes.

L’administration ne contestait pas que les conditions posées à l’article 150-0 B ter du CGI, dans sa rédaction applicable à la date de réalisation de la plus-value, pour le placement de  celle-ci en report d’imposition étaient satisfaites (l’apport devait être réalisé en France ou dans un État membre de l’Union européenne ou dans un État ou territoire ayant conclu avec la France une convention fiscale contenant une clause d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales ; la société bénéficiaire de l’apport devait être contrôlée par le contribuable).

Mais le rachat et l’annulation des titres apportés, dans un délai de trois ans à compter de l’apport, correspond à l’un des événements susceptibles de mettre fin au report d’imposition de la plus-value d’apport. Cet événement est intervenu le 26 septembre 2016. Le texte prévoit toutefois qu’il n’est pas mis fin au report d’imposition lorsque la société bénéficiaire de l’apport, qui cède les titres, prend l’engagement d’investir le produit de leur cession, dans un délai de deux ans à compter de la date de la cession et à hauteur d’au moins 50 % du montant de ce produit, dans le financement d’une activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale, agricole ou financière, à l’exception de la gestion d’un patrimoine mobilier ou immobilier, ou dans l’acquisition d’une fraction du capital d’une société exerçant une telle activité, sous la même exception, et qui a pour effet de lui en conférer le contrôle au sens du 2° du III de l’article 150-0 B ter.

La société GA7 a investi plus de 50 % du prix de cession des titres de la société Gaillard en procédant, le 27 octobre 2016, à l’acquisition de 291 parts sociales de la société Groupement Forestier de la Forêt de Bauzon, qui exerce l’une des activités mentionnées ci-dessus. À l’issue de cette opération, la société GA7 détenait le contrôle de la société Groupement Forestier de la Forêt de Bauzon, au sens du 2° du III de l’article 150-0 B ter du CGI. Mais l’administration fiscale a estimé que la condition pour que le bénéfice du report d’imposition soit maintenu n’était pas satisfaite, dès lors que la société GA7 détenait selon elle déjà le contrôle de la société Groupement Forestier de la Forêt de Bauzon, au sens du 2° du III de l’article 150-0 B ter, à l’issue de l’opération d’apport [1] et ne l’avait perdu qu’à la suite du rachat en vue de leur annulation, le 26 septembre 2016, des titres de la société Gaillard qui lui avaient été précédemment apportés.

M. et Mme de C ont contesté devant le tribunal administratif de Montpellier l’imposition de la plus-value litigieuse maintenue par l’administration. Celui-ci a rejeté leur demande mais la cour administrative d’appel de Toulouse leur a donné raison [2]. Elle s’est placée à la date de l’investissement réalisé le 27 octobre 2016 par la société GA7 et a regardé comme sans incidence la circonstance qu’à l’issue de l’opération d’apport ayant généré la plus-value litigieuse, la société GA7 aurait déjà détenue le contrôle de la société Groupement Forestier de la Forêt de Bauzon, même si elle l’avait perdu ensuite (cette absence de contrôle, juste avant l’opération d’investissement, n’est pas contestée par le ministre).

2. Le ministre se pourvoit en cassation pour faire trancher cette question de droit inédite.

Il soutient que l’opération de réinvestissement ne peut être envisagée séparément, dès lors que l’article 150-0 B ter du CGI vise à régir l’opération d’apport-cession dans son ensemble. « Conférer le contrôle » signifie donc, selon lui, qu’il ne devait y avoir un tel contrôle ni à la date de l’apport des titres, ni à aucun moment ensuite jusqu’à la prise de contrôle résultant de l’opération de réinvestissement.

L’article 150-0 B ter du CGI, applicable dans le cadre d’apports de titres à des sociétés contrôlées par l’apporteur, a été créé par l’article 18 de la loi n° 2012-1510, du 29 décembre 2012, de finances rectificative pour 2012 N° Lexbase : L7970IUQ. Il a eu pour objectif de mettre un terme aux schémas d’apport-cession abusifs, qui s’éloignaient de l’intention du législateur consistant à faciliter les restructurations d’entreprises. Ces schémas abusifs pouvaient auparavant être sanctionnés par la voie de la répression des abus de droit. Vous aviez en effet estimé qu’une opération de report d’imposition, dont l’intérêt fiscal était de différer l’imposition, entrait dans le champ d’application de l’article L. 64 du livre des procédures fiscales, dès lors qu’elle avait nécessairement pour effet de minorer l’assiette de l’année au titre de laquelle l’impôt est normalement dû à raison de la situation et des activités réelles du contribuable (cf. CE 3° et 8° ssr., 8 octobre 2010, n° 313139, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3503GBD [3]). L’objectif économique poursuivi par le législateur était regardé comme rempli lorsque le produit de la cession était réinvesti dans une activité économique, pour une part significative [4] et à bref délai, ce délai étant toutefois apprécié en tenant compte des démarches préalables impliquées par la nature et l’importance de ce réinvestissement [5].

L’article 150-0 B ter du CGI rompt avec la logique anti-abus pour fixer des conditions précises à respecter pour bénéficier et conserver le bénéfice du report d’imposition. L’objectif du législateur reste de « favoriser les restructurations d’entreprises susceptibles d’intervenir par échange de titres en évitant que l’imposition immédiate de la plus-value constatée à l’occasion d’une telle opération, alors que le contribuable ne dispose pas des liquidités lui permettant d’acquitter cet impôt, fasse obstacle à sa réalisation [6] ».

Le texte ne nous paraît pas se prêter à la lecture que souhaite en faire le ministre.

Tout d’abord, le texte impose que l’opération d’investissement ait pour effet de conférer le contrôle de la société dans laquelle il est investi, ce qui signifie que l’opération permet d’acquérir un tel contrôle (tel qu’il est défini au 2° du III de l’article 150-0 B ter du CGI). Il n’y a pas de débat sur ce point et le texte nous semble clair.

Il faut bien ensuite constater que le texte ne fixe aucune autre condition et n’exclut notamment pas qu’un tel contrôle ait pu être détenu antérieurement, puis perdu. Quant à la date à laquelle la condition du contrôle est appréciée, il nous semble qu’elle ne peut être que celle du réinvestissement. Le texte laisse en effet un délai de deux ans pour procéder à cette opération et, en cas de non-respect de la condition de réinvestissement, le report d’imposition prend fin au titre de l’année au cours de laquelle ce délai de deux ans expire. Si la société bénéficiaire de l’apport doit prendre l’engagement d’investir le produit de la cession des titres conformément aux prescriptions du texte, cet engagement reste d’ordre général et ne vise bien sûr pas un investissement précis, que la société a deux ans pour choisir. La lettre claire du texte nous semble donc conduire à la solution retenue par la cour de Toulouse.

La voie de l’abus de droit reste bien sûr ouverte pour sanctionner des opérations pouvant être regardées comme des montages artificiels dépourvus de toute justification économique et élaborés dans un but exclusivement fiscal.

PCMNC :

  • au rejet du pourvoi du ministre ;
  • à ce que l’État verse à M. et Mme de C la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du Code de justice administrative N° Lexbase : L1303MAI.
 

[1] Elle possédait alors 42 % des titres de la société Gaillard, qui possédait elle-même 97,5 % des parts du capital de la société Groupement Forestier de la Forêt de Bauzon.

[2] CAA Toulouse, 23 février 2023, n° 21TL00748 N° Lexbase : A97649DY, RJF, 8-9/23, n° 637.

[3] Aux T., RJF, 12/10, n° 1205, cl. L. Olléon, BDCF, 12/10, n° 132.

[4] CE 9° et 10° ssr., 24 août 2011, n° 316928, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A3490HXK (RJF, 11/11, n° 1186, cl. J. Boucher, BDCF, 11/11, n° 129).

[5] Voir CE 9° et 10° ch.-r., 22 septembre 2017, n° 412408, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A7392WSL (aux T., RJF, 12/17, n° 1227, cl. A. Bretonneau au C 1227) ainsi que la décision n° 313139 (CE 3° et 8° ssr., 8 octobre 2010, n° 313139, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3503GBD).

[6] Cf. notamment : CE 3° et 8° ch.-r., 20 décembre 2017, n° 414935, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A4799W9M (aux T. sur un autre point, RJF, 3/18, n° 297, cl. B. Bohnert au C 297) ; CE 3° et 8° ch.-r., 31 mai 2022, n° 454288, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A61847YP (aux T., RJF, 8-9/22, n° 736, cl. R. Victor, C 735 et 736).

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Marchés publics

[Jurisprudence] La nature d’une statue de Jeanne d’Arc boute la concurrence et l’allotissement hors de la consultation

Réf. : TA Nice, 23 février 2024, n° 2400418 N° Lexbase : A81572UN

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par Elisabeth Fernandez Begault, Avocat associé, spécialiste en droit public et Romain Denilauler, Avocat à la Cour, cabinet Seban Occitanie

Le 20 Mars 2024

Mots clés : alotissement • régie • voirie • réalisations artistiques • marchés publics

La statue est-elle indissociable du socle sur lequel elle repose ? La question semble davantage relever de la réflexion poncive d’étudiants aux Beaux-Arts que du champ des marchés publics. Et pourtant, une ordonnance rendue par le juge des référés du tribunal administratif de Nice invite les juristes à se pencher sur cette épineuse problématique. Foin de considérations esthétiques, cependant ; c’est d’allotissement qu’il s’agit.


Une régie dédiée au stationnement hors voirie, dotée de la personnalité morale et de l’autonomie financière, a conclu avec un atelier de sculpture un marché public pour la conception et la réalisation d’une statue de Jeanne D’Arc dans le cadre de l’aménagement de surface d’un parc de stationnement, sans publicité ni mise en concurrence, sur le fondement de l’article R. 2122-3 du Code de la commande publique N° Lexbase : L4790LRT.

Après avoir sollicité, et obtenu, les pièces du marché, le préfet entreprit d’en contester la légalité, et assortit son déféré d’une demande de suspension de l’exécution du marché. Le jugement commenté rappelle à cet égard, qu’en application de l’article L. 2131-6, alinéa 1 et 3, du Code général des collectivités territoriales N° Lexbase : L4930L84 : « Le représentant de l'État dans le département défère au tribunal administratif les actes mentionnés à l'article L. 2131-2 qu'il estime contraires à la légalité dans les deux mois suivant leur transmission. […] Le représentant de l'État peut assortir son recours d'une demande de suspension. Il est fait droit à cette demande si l'un des moyens invoqués paraît, en l'état de l'instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de l'acte attaqué. Il est statué dans un délai d'un mois ».

Le contrôle de légalité soulevait, d’une part, que la régie aurait méconnu les dispositions des articles R. 2172-7 N° Lexbase : L3990LR9 et suivants du Code de la commande publique, relatives aux marchés portant sur la commande d’une ou plusieurs réalisations artistiques à créer et qui prévoient notamment l’intervention d’un comité artistique, que le recours à une procédure sans publicité ni mise en concurrence aurait été insuffisamment justifié et que les négociations sur le prix menées avec l’unique candidat auraient été fictives ; d’autre part, que les prestations du marché auraient dû être alloties, en application des dispositions de l’article L. 2113-10 N° Lexbase : L4431LRK du Code de la commande publique.

Le juge des référés écarte l’ensemble de ces moyens.

En ce qui concerne le choix de la procédure de passation, le juge considère qu'« au regard de la nature de l’œuvre commandée, la régie 'Parc d’Azur' justifie, en l’état de la présente procédure, d’une part qu’elle ne pouvait être confiée qu’à un opérateur économique unique, l’atelier Missor, pour des raisons artistiques et techniques tenant à son caractère propre, et , d’autre part, que le marché a été régulièrement passé en suivant la procédure de l’article R. 2122-3 du Code de la commande publique qui permet de contracter sans publicité ni mise en concurrence pour l’acquisition ou la création d’une œuvre d’art. Il s’ensuit qu’en l’état de l’instruction, les moyens tirés de la méconnaissance de l’article R. 2172-7 du Code de la commande publique, de l’absence de motivation suffisante du recours à une procédure sans publicité ni mise en concurrence et du caractère fictif de la négociation avec l’attributaire n’apparaissent pas propres à créer un doute sérieux quant à la légalité du marché litigieux ».

Aux termes de l’article R. 2172-7 du Code de la commande publique : « Les collectivités publiques soumises à l'obligation de décoration des constructions publiques passent des marchés ayant pour objet de satisfaire cette obligation conformément aux dispositions de la présente section ». Lorsque le montant estimé du marché est supérieur au seuil de la procédure formalisée, la consultation est menée selon les règles définies aux titres Ier à VI et VIII du Livre Ier de la deuxième partie du Code de la commande publique (CCP, art. R. 2172-17 N° Lexbase : L3993LRC) ; lorsque, comme au cas d’espèce, le marché est inférieur au seuil de procédure formalisée, le code de la commande publique prévoit l’application de dispositions particulières, selon que le marché porte sur l’œuvre artistique à créer (CCP, art. R. 2172-8 N° Lexbase : L3992LRB à R. 2172-14) ou que l’œuvre existe déjà (CCP, art. R. 2172-15 N° Lexbase : L2683LRS et R. 2172-16 N° Lexbase : L4078LRH). Dans tous les cas, la procédure prévoit l’intervention d’un comité artistique, consulté pour avis.

L’article R. 2172-11 du Code de la commande publique N° Lexbase : L3855LR9 dispose : « Lorsque la commande ne peut être confiée qu'à un prestataire déterminé en application des dispositions de l'article R. 2122-3, l'acheteur peut négocier sans publicité ni mise en concurrence préalables le marché de décoration des constructions publiques. / Dans les autres cas, il doit procéder à une publicité adaptée du programme de la commande artistique permettant une information suffisante des artistes en fonction de la nature et du montant de la commande. L'avis de publicité précise le nombre d'artistes qui seront sélectionnés ». L’article R. 2122-3 1° N° Lexbase : L4790LRT prévoit que « L'acheteur peut passer un marché sans publicité ni mise en concurrence préalables lorsque les travaux, fournitures ou services ne peuvent être fournis que par un opérateur économique déterminé, pour l'une des raisons suivantes : 1° Le marché a pour objet la création ou l'acquisition d'une œuvre d'art ou d'une performance artistique unique ».

Le juge administratif fait une interprétation de ces dispositions de manière stricte. Ainsi, sous l’empire des dispositions de l’article 35 II 8° du Code des marchés publics, il avait déjà pu être jugé que « ces dispositions n'ont pas pour objet d'instituer une dérogation générale permettant à la personne publique souhaitant commander la réalisation d'une œuvre d'art, de s'affranchir de toute procédure de publicité et de mise en concurrence, hormis le cas où la personne publique justifie de raisons artistiques particulières faisant obstacle à la mise en œuvre de cette procédure ». Le choix du recours à une procédure sans publicité ni mise en concurrence étant subordonnée à des justifications sérieuses et effectives : « Considérant que la commune du Barcarès soutient que dès lors qu'elle a fait le choix de ne recourir qu'à un artiste déterminé, M.C..., la décision en cause ne méconnaît pas les dispositions précitées de l'article 35 II 8° du Code des marchés publics ; que, toutefois, la commune n'établit pas que des raisons artistiques particulières, lesquelles ne sont pas mêmes exposées, auraient exigé que la commande d'une sculpture monumentale devant être implantée à l'avenue Coudalère, soit confiée exclusivement à cet artiste ; que, dès lors, ce moyen doit être écarté » (CAA Marseille, 30 septembre 2013, n° 11MA00299 N° Lexbase : A8254MLB).

Au cas, d’espèce, le juge des référés motive sa décision en invoquant « la nature de l’œuvre commandée », dont le « caractère propre » justifierait qu’un seul opérateur économique identifié puisse la réaliser, « pour des raisons artistiques et techniques ». Par-delà le caractère quelque peu évanescent, voire sibyllin, de la motivation, l’on pourra retenir la référence aux motifs artistiques et techniques, qui découlent de la nature de l’œuvre elle-même.

Sur le choix de ne pas avoir alloti les prestations objet du marché, la nature de l’œuvre est, là encore, prise en considération : « compte tenu de la particularité de l’œuvre commandée et du caractère indissociable de la statue et de son socle, le moyen tenant à la méconnaissance de l’obligation d’allotir n’est pas de nature à faire naître un doute sérieux sur la régularité du marché litigieux ».

Le principe est à ce jour celui de l’allotissement, ainsi que le précise l’alinéa 1er de l’article L. 2113-10 du Code de la commande publique : « Les marchés sont passés en lots séparés, sauf si leur objet ne permet pas l'identification de prestations distinctes ». L’absence d’allotissement constituant, dès lors, une exception, dont l’emploi doit être motivée par l’un des cas prévus à l’article L. 2113-11 du Code de la commande publique : « L'acheteur peut décider de ne pas allotir un marché dans l'un des cas suivants : / 1° Il n'est pas en mesure d'assurer par lui-même les missions d'organisation, de pilotage et de coordination ; / 2° La dévolution en lots séparés est de nature à restreindre la concurrence ou risque de rendre techniquement difficile ou financièrement plus coûteuse l'exécution des prestations ; / 3° Pour les entités adjudicatrices, lorsque la dévolution en lots séparés risque de conduire à une procédure infructueuse. / Lorsqu'un acheteur décide de ne pas allotir le marché, il motive son choix en énonçant les considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de sa décision ».

La motivation retenue par l’ordonnance ne permet pas de savoir si le juge a considéré que « le caractère indissociable de la statue de son socle » empêchait de voir des prestations distinctes, ce qui pourrait renvoyer aussi bien à des considérations artistiques (unicité de l’œuvre) que techniques (insécabilité matérielle entre piédestal et statue) ; ou s’il a estimé que cette indissociabilité relevait de la justification prévue à l’article L. 2113-11 2° du Code de la commande publique, N° Lexbase : L9547MIG et qu’elle aurait, en particulier, rendu techniquement difficile l’exécution des prestations.

Le résultat est, in fine, invarié : le moyen, et avec lui le « déféré-suspension » se trouvent rejetés, au motif pris de la nature de l’œuvre artistique commandée, qui semble résolue à passer outre le conseil de l’écrivain polonais Stanislas Jerzy Lec : « Si vous détruisez les statues, préservez les socles. Ils peuvent toujours servir ».

Quel impact dans la pratique ?

  • L’allotissement est en principe obligatoire, dès lors que l’on peut identifier des prestations distinctes.
  • Lorsque l’acheteur décide de ne pas allotir pour l’un des motifs prévus à l’article L. 2113-11 du Code de la commande publique, la motivation déterminant la décision de ne pas allotir doit être indiquée dans le règlement de la consultation.
  • Attention à l’application de l’article R. 2122-3 du Code de la commande publique permettant de conclure un marché sans publicité ni mise en concurrence pour l’acquisition ou la création d’une œuvre d’art.

newsid:488767

Procédure administrative

[Brèves] Expulsion avec destruction du mobilier : la voie de fait n’est pas constituée

Réf. : T. confl., 11 mars 2024, n° 4301 N° Lexbase : A59772UW

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par Yann Le Foll

Le 25 Mars 2024

► Une expulsion d’un terrain illégalement occupé, même avec destruction du mobilier garnissant les lieux, n’est pas constitutive d’une voie de fait.

Rappel. Hors l’hypothèse d’une voie de fait, il appartient à la juridiction administrative de connaître d’un litige tendant à la réparation par l’État du préjudice subi par la personne viséen par un jugement ordonnant son expulsion à raison de la décision de l’administration de faire procéder à l’exécution forcée de ce jugement au moyen de la force publique.

Depuis l’arrêt « Bergoend » de 2013 (T. confl., 17 juin 2013, n° 3911 N° Lexbase : A2154KHA), il n’y a voie de fait qu’en cas d’atteinte à une « liberté individuelle » et non plus d’atteinte à une « liberté fondamentale ».

Faits. Le juge des référés du tribunal de grande instance a ordonné l’expulsion, avec l’aide de la force publique, de la requérante et de quarante-neuf autres occupants d’un terrain départemental sur lequel ils avaient installé un campement et qu’ils occupaient sans droit ni titre, et autorisé le préfet à séquestrer, vendre ou déclarer abandonné le mobilier garnissant les lieu.

La requérante a formé un recours en réparation du préjudice qu’elle estime avoir subi en raison de la décision, selon elle fautive, du préfet de procéder à l’exécution forcée du jugement d’expulsion au moyen de la force publique.

Position T.confl. Si les opérations mises en œuvre par le préfet ont été exécutées de manière forcée et ont abouti à l’extinction d’un droit de propriété sur des biens meubles, il ne ressort pas des pièces du dossier que ces opérations, décidées en exécution d’une décision de justice, seraient intervenues dans des conditions irrégulières.

En particulier, le préfet n’était pas tenu de faire précéder la mise en œuvre de l’expulsion de la mise en demeure de quitter les lieux prévue par l’article L. 411-1 du Code des procédures civiles d’exécution N° Lexbase : L9116IZN en cas d’expulsion d’un immeuble ou d’un lieu habité, dès lors que l’expulsion avait en l’espèce été prononcée en vue de prévenir un dommage imminent.

Ces opérations ne sont pas non plus manifestement insusceptibles d’être rattachées à un pouvoir appartenant à l’autorité administrative. Elles ne peuvent, par suite, être qualifiées de voie de fait.

Décision. La juridiction administrative est seule compétente pour connaître du litige.

  • À ce sujet : Lire C. De Bernardinis, Le point sur le contentieux de la voie de fait, Lexbase Public, juillet 2019, n° 553 N° Lexbase : N0009BYY.
  • Pour aller plus loin : v. ÉTUDE, L'encadrement de l'action administrative, La voie de fait, in Procédure administrative (dir. C. De Bernardinis), Lexbase N° Lexbase : E3411E44.

newsid:488802

Propriété intellectuelle

[Brèves] Nullité d’un dessin ou modèle communautaire pour divulgation anticipée sur les réseaux sociaux par une artiste internationale

Réf. : Trib. UE, 6 mars 2024, aff. T-647/22 N° Lexbase : A01262WL

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par Vincent Téchené

Le 20 Mars 2024

► Un dessin ou modèle communautaire de chaussures sportives qui avait été enregistré au profit du fabricant doit être annulé dès lors qu’une artiste mondialement connue avait porté des chaussures montrant un dessin ou modèle antérieur possédant les mêmes caractéristiques que le dessin ou modèle enregistré, douze mois avant le dépôt de la demande d’enregistrement, et avait posté sur les réseaux sociaux des photos la montrant avec le modèle litigieux.

Faits et procédure. Par décision de l'EUIPO du 11 août 2022, Handelsmaatschappij J. Van Hilst (HJVH) a obtenu la nullité d’un dessin ou modèle communautaire de chaussures sportives qui avait été enregistré au profit de Puma en août 2016. Pour fonder sa décision, l’EUIPO a relevé que Robyn Rihanna Fenty (dite Rihanna) avait porté des chaussures montrant un dessin ou modèle antérieur possédant les mêmes caractéristiques que le dessin ou modèle enregistré, et ce douze mois avant le dépôt de la demande d’enregistrement. Dans ces conditions, l’EUIPO a considéré que ledit dessin ou modèle antérieur avait été rendu public, ce qui justifiait l’annulation du dessin ou modèle enregistré.

La société Puma a donc introduit un recours contre cette décision.

Décision. Le Tribunal rejette le recours introduit par Puma contre cette décision.

À l’appui de sa demande en nullité, HJVH avait notamment produit des images tirées du compte Instagram « badgalriri » datées de la mi-décembre 2014, faisant état de la nomination de Rihanna en tant que nouvelle directrice artistique de Puma. Ces images montraient Rihanna portant une paire de baskets blanches avec une semelle noire épaisse. Lesdites images étaient reproduites dans plusieurs articles sur des journaux en ligne.

Le Tribunal confirme l’appréciation de l‘EUIPO suivant laquelle lesdites images suffisent pour démontrer la divulgation du dessin ou modèle antérieur et que les milieux spécialisés du secteur concerné ont pu avoir connaissance de cette divulgation. À cet égard, il constate que les images tirées du compte Instagram intitulé « badgalriri », diffusées en décembre 2014, permettent d’identifier, à l’œil nu ou à l’aide d’un agrandissement de ces photos, toutes caractéristiques essentielles du dessin ou modèle antérieur.

Dans ce contexte, le Tribunal rejette les arguments de Puma selon lesquels personne ne se serait intéressé aux chaussures de Rihanna en décembre 2014 et n’aurait donc perçu le dessin ou modèle antérieur. En effet, en décembre 2014, Rihanna était une star de la pop mondialement connue. Cela implique que ses fans et les milieux spécialisés dans le domaine de la mode avaient, à cette date, développé un intérêt particulier pour les chaussures qu’elle portait le jour de la signature du contrat en vertu duquel la star était devenue la directrice artistique de Puma. Compte tenu de ces éléments, selon le Tribunal, l‘EUIPO était en droit de retenir que le dessin ou modèle antérieur avait été divulgué en décembre 2014 de manière à permettre l’annulation du dessin ou modèle enregistré.

 

newsid:488787

Régimes matrimoniaux

[Projet, proposition, rapport législatif] Avantages matrimoniaux, où est la logique ? - Réflexions croisées à propos de la proposition de réforme de l’article 265 du Code civil

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N8818BZM

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par Laure Gaschignard, Notaire à Paris, Angle droit notaires, et Benoît Chaffois, Maître de conférences à CY Cergy Paris université, Membre du Laboratoire d'études juridiques et politiques (LEJEP) - EA n° 4458

Le 20 Mars 2024

Mots-clés : avantage matrimonial • dissolution du mariage • divorce • révocation • participation aux acquêts • clause d’exclusion des biens professionnels • proposition de réforme

Alors que, dans le cadre de la proposition de réforme de l’article 265 du Code civil, un amendement propose de prévoir expressément que « la clause d’exclusion des biens professionnels du calcul de la créance de participation ne constitue pas un avantage matrimonial qui est révoqué de plein droit en cas de divorce », il convient de s’interroger sur la cohérence et l’opportunité de la modification envisagée.


 

L’Assemblée nationale vient d’adopter une proposition de loi n°1961 visant à assurer une justice patrimoniale au sein de la famille, dont la disposition phare viendrait combler un vide législatif insoutenable [1], puisqu’elle permettrait d’exclure des avantages matrimoniaux l’époux « condamné, comme auteur ou complice, à une peine criminelle ou correctionnelle pour avoir volontairement donné ou tenté de donner la mort à son époux ou pour avoir volontairement commis des violences ayant entraîné la mort de l’époux sans intention de la donner » [2].

Si le Sénat, désormais saisi du texte, vote cette partie de la proposition, ce qu’il y a tout lieu d’espérer, l’indignité des avantages matrimoniaux intégrerait enfin le droit positif [3]. Pour résumer, l’époux auteur d’un acte odieux portant atteinte à la vie de son époux ne pourrait plus bénéficier d’un avantage matrimonial prenant effet par le décès qu’il a provoqué.

Le législateur aurait pu s’en tenir à cette avancée du droit. Mais, emporté par un élan réformateur, c’est un autre sujet sans rapport avec l’indignité qui a été traité : celui de la clause d’exclusion des biens professionnels en régime de participation aux acquêts. Il est désormais acquis que cette clause constitue un avantage matrimonial, lequel, en application de l’article 265 alinéa second du Code civil est révoqué de plein droit par l’effet du divorce [4]. Probablement interpellé par la situation des époux-entrepreneurs ayant inséré ces clauses dans leur contrat de mariage, et influencés par les propositions du congrès des notaires [5], une poignée de députés a déposé un amendement visant, selon les termes du dossier législatif y afférant, « à tenir compte » des décisions de la Cour de cassation en prévoyant « explicitement » que : « La clause d’exclusion des biens professionnels du calcul de la créance de participation ne constitue pas un avantage matrimonial qui est révoqué de plein droit en cas de divorce ».

La loi viendrait ainsi ouvertement combattre la jurisprudence pour sauver les clauses d’exclusion des biens professionnels, afin de renforcer l’attractivité somme toute mesurée du régime de participation aux acquêts.

Si l’objectif est louable, la méthode suscite des interrogations. En cantonnant l’exclusion de la révocation d’un avantage matrimonial prenant effet à la dissolution du régime matrimonial à la clause d’exclusion des biens professionnels en régime de participation aux acquêts, le domaine de la proposition apparaît trop restreint, tant à l’égard du régime concerné que du type d’avantages visés.

À titre d’exemple, il faut songer à la clause, courante en pratique, aménageant le calcul de récompenses en régime communautaire. L’exemple est loin d’être isolé et nous aurons l’occasion d’exposer d’autres clauses oubliées du législateur. L’essentiel est de noter qu’en dépit de la réforme proposée, pour les époux ayant contracté sur un avantage prenant effet à la dissolution du régime les difficultés résultant de l’article 265 N° Lexbase : L2598LBT du Code civil persisteront. L’avantage matrimonial sera révoqué de plein droit par l’effet du divorce, l’insertion d’une stipulation contraire dans le contrat de mariage étant, semble-t-il [6], sans effet.

Face à cet écueil, la proposition de réforme de l’article 265 apparaît trop spécifique [7]. Au lieu de ne viser qu’un avantage matrimonial pour un régime matrimonial, il aurait été préférable de traiter de tous les avantages matrimoniaux prenant effet à la dissolution du mariage sans distinction quant au régime. Comment ? En se rappelant que la stipulation d’un avantage matrimonial fait appel à la technique contractuelle de sorte qu’il suffit de conférer une force obligatoire aux clauses stipulées irrévocables.

Sur la base de cette suggestion, nous envisagerons, en premier lieu, le traitement incohérent des avantages matrimoniaux par la proposition commentée (I), pour, en second lieu, proposer une alternative, en autorisant la conclusion de clauses d’avantages matrimoniaux stipulés irrévocables (II).

I. Le traitement incohérent des avantages matrimoniaux

Comme mentionné précédemment, l’avantage matrimonial peut être défini comme un profit que l'un ou l'autre des époux retire des clauses de son contrat de mariage, étant précisé que le législateur n’a pas défini la notion. Cette tâche est revenue à la doctrine et la jurisprudence, cette dernière ayant fait le choix d’une approche large des avantages, puisque la notion n’est pas restreinte à un régime. Elle s’applique en présence de régimes communautaires classiques [8], d’une séparation de biens avec société d'acquêts assortie de clauses inégalitaires [9] ou encore d’une participation aux acquêts [10].

Dans ces conditions, le lecteur ne peut que s’interroger, pourquoi l’amendement proposé est-il aussi limité ? Certes, il faut concéder que le sort réservé à la clause d’exclusion des biens professionnels a dérouté de nombreux époux. Créée par la pratique, la clause d’exclusion des biens professionnels était censée faire œuvre de prophylaxie pour l’époux exerçant une profession indépendante, afin de lui éviter de devoir aliéner son outil de travail en cas de séparation. Or, force est de constater que le résultat escompté n’y est guère… Suite aux décisions de la Cour de cassation, de nombreux clients ont fait le choix de changer de régime pour adopter la séparation de biens pure et simple, quitte à stipuler une contribution aux charges du mariage large, solution assez frustrante en pratique.

Aussi, était-il logique qu’une réaction soit attendue de la part du législateur. Mais fallait-il pour autant l’interpeller uniquement sur la clause d’exclusion des biens professionnels en régime de participation aux acquêts ? À suivre la pratique, la réponse est négative pour deux raisons.

Premièrement, l’avantage matrimonial n’est pas une notion limitée au régime de participation aux acquêts. Cette notion embrasse tous les régimes, de sorte que la préférence accordée à la participation aux acquêts ne s’explique pas. Du reste, en pratique, ce régime est perçu comme complexe en ce qu’il nécessite une bonne compréhension de la technique liquidative et ne peut pas être proposé à tous les époux [11]. L’amendement soumis à commentaire créerait ainsi une distorsion difficilement justifiable entre les régimes, dont et surtout la communauté légale, laquelle demeure le régime préféré des Français. À trop vouloir redorer le blason de la participation aux acquêts, c’est l’attractivité de la communauté légale qui pourrait pâtir.

Deuxièmement, la clause d’exclusion des biens professionnels n’est qu’une clause, certes célèbre, parmi la multitude de clauses stipulant d’un avantage matrimonial. Sans prétendre dresser une liste exhaustive, il faut d’abord songer, s’agissant de la participation aux acquêts, à la clause de plafonnement de la créance de participation ou la clause d’inclusion dans le patrimoine originaire des revenus des biens originaires. Ensuite, pour ce qui est de la communauté légale, il suffit de rappeler l’existence de la clause aménageant le calcul de récompenses. Enfin, en matière de séparation de biens, comment ne pas évoquer la société d'acquêts assortie de clauses inégalitaires ? [12]

En conséquence de ce qui vient d’être exposé, comment le notaire conseillant les futurs époux pourra-t-il expliquer la différence de traitement entre les régimes et les clauses ? Faudra-t-il attendre que le législateur soit interpellé et qu’il ajoute un énième alinéa à l’article 265 du Code civil ? L’exigence de clarté et de lisibilité de la loi aurait-elle été oubliée ? À trop vouloir traiter de détails, c’est la cohérence du système qui est remise en cause.

C’est pourquoi, sommes-nous d’avis de suivre une autre voie, celle d’une réforme de l’article 265 du Code civil permettant de maintenir tous les avantages matrimoniaux stipulés irrévocables sans distinction quant au régime.

II. L’irrévocabilité conventionnelle des avantages matrimoniaux

 Toute la difficulté pour les époux réside dans les effets que produira le divorce lorsque l’avantage stipulé déploie ses effets à la dissolution du régime.

En application de l’article 265, alinéa second, du Code civil, l'avantage initialement convenu est de plein droit révoqué par le divorce, sauf « volonté contraire de l'époux qui les a consentis. Cette volonté est constatée dans la convention signée par les époux et contresignée par les avocats ou par le juge au moment du prononcé du divorce et rend irrévocables l'avantage ou la disposition maintenus ».

La rédaction actuelle de l’article 265 est certainement défaillante à l’égard de l’expression de la volonté des époux quant au maintien de l’avantage. Pour une part conséquente de la doctrine, à laquelle nous nous rallions, il serait possible d’admettre que les époux peuvent exprimer « dans la convention matrimoniale leur volonté mutuelle de maintenir la clause d'exclusion des biens professionnels » [13]. Pour autant, cette interprétation du texte n’a pas les faveurs de la Cour de cassation, selon le dernier état de la jurisprudence, la volonté doit être « exprimée au moment du divorce » [14].

En conséquence, pour parfaire l’article 265, à notre opinion la solution adéquate consisterait à remodeler la partie du texte portant sur l’expression de la volonté des époux quant au maintien de l’avantage. À cet égard, il faut rappeler qu’en application de l’article 1193 N° Lexbase : L0911KZR du Code civil « Les contrats ne peuvent être modifiés ou révoqués que du consentement mutuel des parties, ou pour les causes que la loi autorise ». Cet article, siège de la force obligatoire du contrat, pose un principe simple. Sauf exception prévue par la loi, le contrat ne sera révoqué que du consentement mutuel des parties. Si l’on garde à l’esprit que l’avantage matrimonial résulte d’une stipulation conventionnelle au sein d’un contrat, certes particulier puisqu’il s’agit d’un contrat de mariage, il n’y a alors rien de choquant à considérer que l’article 1193 puisse s’appliquer aux clauses stipulant d’un avantage matrimonial.

Dans ces conditions, il suffirait d’autoriser la stipulation de clauses d’avantages matrimoniaux stipulés irrévocables. Ce type de clause serait d’autant plus bienvenue qu’en présence d’un divorce conflictuel, il est courant, si ce n’est constant, que l’époux froissé revienne sur sa parole.

Dans cette perspective, l’article 265 pourrait alors être rédigé comme suit :

« Le divorce est sans incidence sur les avantages matrimoniaux qui prennent effet au cours du mariage et sur les donations de biens présents quelle que soit leur forme. 
Le divorce emporte révocation de plein droit des avantages matrimoniaux qui ne prennent effet qu'à la dissolution du régime matrimonial ou au décès de l'un des époux et des dispositions à cause de mort, accordés par un époux envers son conjoint par contrat de mariage ou pendant l'union, sauf volonté contraire des époux constatée dans le contrat de mariage. Cette volonté pourra être révoquée d’un commun accord dans la convention signée par les époux et contresignée par les avocats ou par le juge au moment du prononcé du divorce. 
En outre, si le contrat de mariage le prévoit, les époux pourront toujours reprendre les biens qu'ils auront apportés à la communauté ».

 

[1] Sur l’intérêt d’une telle réforme : A. Tani,  pour une ingratitude matrimoniale,  Defrénois n°21 du 25 mai 2023.

[2] Proposition de loi n°1961 visant à assurer une justice patrimoniale au sein de la famille, art. 1er venant modifier l’article 1399-1 du Code civil [en ligne].

[3] À l’image de l’indignité successorale, déjà présente en droit positif.

[4] Parachevant sa jurisprudence, le 13 décembre 2023 la première chambre civile a considéré que la plus-value industrielle accroît les acquêts nets de l’époux propriétaire : B. Chaffois, La plus-value industrielle, Acte III : accroissement des acquêts nets par la plus-value industrielle en régime de participation aux acquêt, D. 2024. 454, com. sous : Cass. civ. 1, 13 décembre 2023, n° 21-25.554, FS-B N° Lexbase : A526818M.

[5] Rapport du 106e Congrès des Notaires de France, Couples, Patrimoine : les défis de la vie à deux, spéc. n° 3493 s., p. 813.

[6] Cass., Rapport annuel 2019, [en ligne], Doc. fr., 2020, spéc. p. 36 ; Rép. min. n° 14362, JO Sénat 28 mai 2020, p. 2446 N° Lexbase : L2112L3M.

[7] Rappelons l’injonction de Portalis : « L’office de la loi est de fixer, par de grandes vues, les maximes générales du droit ; d’établir des principes féconds en conséquence, et non de descendre dans le détail des questions qui peuvent naître sur chaque matière » (J.-E.-M. Portalis, Discours préliminaire sur le projet de Code civil : Extrait de ce discours, présenté le 1er pluviôse an IX).

[8] Cass. civ. 1, 31 janvier 2006, n° 02-21.121, FS-P+B N° Lexbase : A6438DME, D. 2006. 2066, obs. M. Nicod ; Cass. civ. 1, 3 décembre 2008, n° 07-19.348, FS-P+B N° Lexbase : A5212EBN ; D. 2009. 98, obs. V. Égéa.

[9] Cass. civ. 1, 29 novembre 2017, n° 16-29.056, F-D N° Lexbase : A4745W4I, D. 2019. 265, obs. S. Pellet.

[10] Cass. civ. 1, 18 décembre 2019, n° 18-26.337, FS-P+B+I N° Lexbase : A1355Z93, D. 2020. 635, note T. Le Bars et L. Mauger-Vielpeau. Elle a, ensuite, persisté et signé en rendant deux arrêts dans le même sens les 31 mars 2021 (Cass. civ. 1, 31 mars 2021, n° 19-25.903, F-D N° Lexbase : A47944NU) et 15 décembre 2021 (Cass. civ. 1, 15 décembre 2021, n° 20-15.623, F-D N° Lexbase : A25877HB).

[11] Ce régime postule que les époux sauront, malgré le principe d’indépendance en cours de régime, accepter le partage des acquêts et qu’ils conservent les preuves d’emploi ou de remplois de fonds issus de leur patrimoine originaire. Or la tâche est déjà difficile pour le régime légal, elle est d’autant plus compliquée pour le régime de participation que ce dernier est méconnu, même de certains professionnels du droit. Ceci explique, parmi d’autres raisons, que la participation aux acquêts ne soit pas le régime préféré des Français.

[12] Un cas topique suffit d’exposer les difficultés : deux époux adoptent une séparation de biens avec société d’acquêts qui sera composée :

  • D’un apport de somme d’argent destiné à financer le domicile conjugal par Madame,
  • De tout logement mise à disposition de la famille et du passif y afférent

Quelques mois après leur mariage, les époux acquièrent un immeuble pour le compte de la société d’acquêts au moyen de l’apport de Madame et d’un emprunt, remboursé par l’époux au moyen de ses revenus, son épouse n’ayant pas de revenus. Quelques temps plus tard, le couple divorce avec fracas.

Monsieur réclame, une créance pour les sommes remboursés au moyen de ses revenus affectés au remboursement du prêt depuis ses comptes personnels non inclus dans la société d’acquêts (Une solution serait d’inclure les fonds déposés sur un compte dédié à l’emprunt dans la société d’acquêts, mais certains auteurs ont pu avancer qu’il s’agirait alors d’une société d’acquêts à objet variable dépendant de la volonté unilatérale d’un époux et heurtant le principe d’immutabilité des régimes matrimoniaux. L’efficacité d’une telle clause pourrait donc être discutée). Le contrat prévoit une clause de dispense de récompenses qui devra s’appliquer même en cas de divorce, ce que Monsieur refuse finalement de faire en application de la jurisprudence. S’agissant de Madame, son apport à la société d’acquêts (sans prévoir de reprise en cas de divorce ou de récompense) ne pourra pas être récupéré, dans la mesure où ce dernier était chiffré et « ab initio ».

Lorsque le notaire ou le juge, saisis de la question, feront droit à Monsieur en dépit des stipulations du contrat initialement convenue, la frustration sera pour le moins patente.

[13] C. Blanchard, La clause d'exclusion des biens professionnels dans l'impasse, comm. ss Cass. civ. 1, 15 décembre 2021, n° 20-15.623, F-D N° Lexbase : A25877HB, RDC 2022, n° 200v03, spéc. n° 11. V. aussi : A. Karm, Nature juridique et efficacité de la clause d'exclusion des biens professionnels, JCP N 2020. 1059 ; B. Chaffois,  La plus-value industrielle, Acte III : accroissement des acquêts nets par la plus-value industrielle en régime de participation aux acquêts, D. 2024. 454, com. sous : Cass. civ. 1, 13 décembre 2023, n° 21-25.554, FS-B N° Lexbase : A526818M.

[14] Cass. civ. 1, 31 mars 2021, n° 19-25.903, F-D N° Lexbase : A47944NU. V. aussi : Cass., rapport annuel 2019, préc., Doc. fr., 2020, spéc. p. 36 ; ; Rép. min. n° 14362, JO Sénat 28 mai 2020, p. 2446, préc..

newsid:488818

Responsabilité

[Brèves] Contamination par le VIH et faute d’imprudence de la victime ?

Réf. : Cass. civ. 2, 14 mars 2024, n° 22-10.324, FS-B N° Lexbase : A21182UY

Lecture: 3 min

N8806BZ8

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par Hélène Nasom-Tissandier, Maître de conférences HDR, Université Paris Dauphine-PSL, CR2D

Le 20 Mars 2024

Le fait pour une personne d'avoir des relations sexuelles non protégées, en méconnaissance des recommandations des autorités sanitaires, avec un partenaire qui lui a dissimulé sa séropositivité, ne constitue pas, à lui seul, une faute.

Faits et procédure. En l’espèce, une femme a été testée positive au virus de l'immunodéficience humaine (VIH) à l'occasion d'une hospitalisation. Estimant que la personne avec laquelle elle avait entretenu une relation amoureuse et qui ne lui avait pas révélé sa séroposivité, était responsable de sa contamination, elle a porté plainte contre elle.

Un tribunal correctionnel, devant lequel son partenaire avait été renvoyé du chef d’administration de substance nuisible à la santé, a constaté la prescription de l’action publique.

Elle assigne donc son partenaire devant un tribunal de grande instance à fin d'indemnisation de son préjudice. Toutefois, selon la cour d’appel elle aurait commis une faute d’imprudence limitant ses droits à réparation (CA Aix en Provence, 21 janvier 2021, n° 19/05255). L'arrêt retient qu'elle a eu des relations sexuelles non protégées avec son partenaire, qu'elle ne connaissait que depuis quelques jours et dont elle ignorait la sérologie et s'est ainsi exposée à la possibilité d'une contamination, alors que les recommandations du comité de lutte contre le sida, établies en 2006, prônaient l'usage du préservatif pour se protéger du VIH et des autres maladies sexuellement transmissibles.

La femme se pourvoit en cassation en invoquant une violation de l’article 1241 du Code civil N° Lexbase : L0949KZ8 et de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales N° Lexbase : L4798AQR. Elle fait grief aux juges du fond de dire qu'elle a commis une faute réduisant son droit à indemnisation de 20 %, de dire que l'indemnité lui revenant s'établit à 80 242,40 euros seulement et de condamner son partenaire à lui payer cette seule somme en réparation de son préjudice corporel, alors que « le fait de la victime n'emporte exonération partielle du responsable que s'il est fautif » et que « n'est pas fautif, en raison du droit fondamental qu'a toute personne d'entretenir librement des relations sexuelles, tant qu'elle ne porte pas atteinte aux droits de son partenaire, le fait de consentir à des rapports sexuels sans requérir l'usage d'un préservatif, même à l'occasion d'une relation nouvelle, lorsque le partenaire a sciemment passé sous silence sa séropositivité au VIH ».

Solution. La Cour de cassation casse et annule la décision des juges du fond. Elle rappelle au visa de l’article 1241 du Code civil que « chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence ». Elle énonce que le fait pour une personne d'avoir des relations sexuelles non protégées, en méconnaissance des recommandations des autorités sanitaires, avec un partenaire qui lui a dissimulé sa séropositivité, ne constitue pas, à lui seul, une faute. La Haute juridiction ne se prononce pas sur le droit fondamental invoqué, pas plus qu’elle n’apporte d’élément expliquant le rejet de la qualification de faute d’imprudence, ce qui n’allait pas de soi.

Certes, les recommandations des autorités sanitaires ne présentent aucun caractère impératif. Néanmoins, tout comme l’a fait cour d’appel, il était concevable de caractériser un manquement au devoir de prudence de la victime qui a accepté des relations sexuelles sans préservatif avec un partenaire qu’elle venait de rencontrer et dont elle ignorait le statut sérologique, alors que perdure le risque majeur de contamination par le VIH par voie sexuelle.

Peut-être est-ce l’intrusion dans un domaine qui relève de l’intimité des personnes qui a incité la Cour de cassation à trancher en sens contraire.

Pour aller plus loin : le présent arrêt fera l'objet d'un commentaire approfondi par Vincent Rivollier, à paraître prochainement dans Lexbase Droit privé.

 

newsid:488806

Santé et sécurité au travail

[Brèves] Inaptitude : le refus de la proposition de reclassement conforme aux préconisations du médecin du travail constitue un motif de licenciement

Réf. : Cass. soc., 13 mars 2024, n° 22-18.758, FS-B N° Lexbase : A05042U9

Lecture: 2 min

N8779BZ8

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par Laïla Bedja

Le 20 Mars 2024

► Il résulte des articles L. 1226-2 et L. 1226-2-1 du Code du travail que l'employeur peut licencier le salarié s'il justifie du refus par celui-ci d'un emploi proposé dans les conditions prévues à l'article L. 1226-2 du Code du travail, conforme aux préconisations du médecin du travail, de sorte que l'obligation de reclassement est réputée satisfaite ; viole ces dispositions la cour d'appel qui juge dépourvu de cause réelle et sérieuse le licenciement pour inaptitude d'un salarié qui avait refusé un poste à mi-temps conforme aux préconisations du médecin du travail, proposé par l'employeur au motif qu'il entraînait, par la baisse de rémunération qu'il générait, une modification de son contrat de travail que le salarié pouvait légitimement refuser.

Faits et procédure. Embauchée en qualité d’employée commerciale, une salariée a été déclarée inapte à son poste de travail par le médecin du travail, ce dernier préconisant un poste à mi-temps sans station debout prolongée ni manutention manuelle de charges. L’avis fut confirmé le 4 février 2019.

Après consultation des représentants du personnel, l’employeur a transmis une proposition de reclassement à la salariée qu’elle a refusée. Elle a alors été licenciée pour inaptitude le 14 mai 2019. Le licenciement a alors été contesté devant la juridiction prud’homale.

Cour d’appel. Pour dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse et l’obligation de reclassement non satisfaite, la cour d’appel a déduit que la proposition de poste à temps partiel (dix-heures heures et trente minutes) entraîne une diminution substantielle de la rémunération de la salariée et qu’en conséquence, la salariée pouvait légitimement refuser le poste proposé. En effet, la cour analyse cette baisse de rémunération comme une modification de son contrat de travail (CA Reims, 11 mai 2022, n° 21/01774 N° Lexbase : A67457WQ).

L’employeur a formé un pourvoi en cassation.

Décision. Énonçant la solution précitée, la Haute juridiction casse et annule l’arrêt rendu par la cour d’appel. Dès lors que l’employeur a proposé un poste conforme aux préconisations du médecin du travail, le refus de la salariée d’accepter la proposition constitue un motif de licenciement (C. trav., art. L. 1226-2 N° Lexbase : L8714LGT et L. 1226-2-1 N° Lexbase : L6778K9W).

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : L’inaptitude médicale au poste de travail du salarié d’une maladie non professionnelle, Les justifications de licenciement du salarié déclaré inapte, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E3282ETQ.

 

newsid:488779

Sociétés

[Jurisprudence] La requalification en dirigeant de fait des membres du conseil de surveillance d’une SAS

Réf. : Cass. civ. 2, 1er février 2024, n° 21-25.175, F-D N° Lexbase : A23952KW

Lecture: 14 min

N8735BZK

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par Deen Gibirila, Professeur émérite, Université Toulouse 1 Capitole

Le 20 Mars 2024

Mots-clés : membres du conseil de surveillance • SAS • direction de fait • rémunération • cotisations sociales

S’il est établi que les membres du conseil de surveillance d’une SAS ont exercé en réalité une fonction de direction, leur rémunération peut valablement être réintégrée à l’assiette des cotisations sociales.


 

Si les membres du conseil de surveillance d’une SA ou d’une SAS, à l’inverse de ceux du directoire ou du conseil d’administration, n’ont pas vocation officiellement à exercer des attributions directoriales consistant à gérer la société, en revanche ils peuvent en certaines circonstances être qualifiés de dirigeants de fait. Pareil dirigeant est la personne physique ou morale qui assure la direction d’une société, sans avoir été régulièrement désignée à cette fin par les organes sociaux. Autrement dit, bien que n’ayant pas été nommée conformément aux statuts et qu’elle ne soit pas le représentant légal de la société, elle apparait comme le dirigeant aux yeux de tous en raison des actes de direction qu’elle accomplit en tant que tel.

C’est la situation rencontrée dans l’arrêt du 1er février 2024 de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation rejetant le pourvoi formé contre la décision de la cour de Paris du 8 octobre 2021 [1], confirmative du jugement rendu le 30 Juin 2017 par le tribunal des affaires de Sécurité sociale de Paris [2], au motif de l’accomplissement en toute indépendance des actes positifs de gestion et de direction par le conseil de surveillance (I) et à l’appui d’autres motifs caractérisant la direction de fait (II).

I. L’accomplissement en toute indépendance d’actes positifs de gestion et de direction, critère principal d’appréciation de la direction de fait du conseil de surveillance

1. Le présent arrêt a pour cadre une société par actions simplifiée (SAS) qui a fait l’objet d’un redressement par l’URSSAF pour avoir omis d’intégrer à l’assiette des cotisations sociales les rémunérations versées au président et au vice-président du conseil de surveillance de la société.

Ce redressement ayant été confirmé par la juridiction d’appel, la société s’est pourvue en cassation en arguant de ce que les rémunérations litigieuses ne relèvent pas de la Sécurité sociale pour une double raison : d’une part, seuls les présidents et dirigeants de SAS doivent être affiliés au régime général de Sécurité sociale en vertu de l’article L. 311-3, 23°, du Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L6985LNZ, ce qui exclut les présidents et vice-présidents de conseils de surveillance de SAS ; d’autre part, conformément aux statuts sociaux, le conseil de surveillance ne dispose d’aucun pouvoir de gestion, pas plus que d’administration, dans la mesure où son rôle se limite au contrôle de gestion opérée par le directoire et son président, lequel est expressément investi du pouvoir de diriger la société : « seul peut être qualifié de dirigeant celui qui exerce à titre habituel une activité de direction à travers des actes positifs d'administration et de gestion ».

Vaine tentative puisque ce recours en cassation est rejeté en l’espèce par la deuxième chambre civile, qui consacre donc la position de la juridiction de seconde instance.

2. Il existe une différence entre l’organisation directionnelle de la SA et celle de la SAS. Comparativement à la SA, dont l’organisation et le fonctionnement reposent sur une structure pyramidale ou hiérarchique, les règles applicables à la direction de la SAS relèvent essentiellement de la volonté des rédacteurs des statuts.

S’agissant précisément du conseil de surveillance, si la SA moniste est caractérisée par la présence d’un conseil d’administration et la SA dualiste par celle d’un directoire et d’un conseil de surveillance, une combinaison entre ces deux systèmes étant exclue, elle demeure en revanche possible dans la SAS, notamment par la présence d’un conseil d’administration et d’un conseil de surveillance, quoique les attributions du conseil d’administration et de son président de la SA soient exercées par le président dans la SAS, ce qui suppose très souvent qu’il est le seul dirigeant en poste.

Dans la société anonyme à directoire, le président du conseil de surveillance, dont les pouvoirs sont fixés par la loi, n'est pas assujetti au régime général en vertu de l'article L. 311-3, 12°, qui ne vise que « les présidents du conseil d'administration, les directeurs généraux et les directeurs généraux délégués des sociétés anonymes ».

Dans la SAS, les associés peuvent confier un pouvoir de gestion, de direction, d’administration et/ou de surveillance à des personnes autres que le président, sous réserve de préciser leurs rôles et missions dans les statuts. Il convient alors que les membres de ces organes collégiaux soient déclarés au registre du commerce et des sociétés, si les statuts leur confèrent individuellement ou collectivement le pouvoir de diriger, gérer ou engager à titre habituel la société. Selon une décision d’appel, dès lors qu'elles se dotent d'un directoire et/ou d'un conseil de surveillance, les SAS doivent mentionner au RCS les présidents et membres de ces organes, quels que soient leurs pouvoirs octroyés par les statuts [3].

3. Dans la présente affaire, les motifs de l’arrêt de la cour d’appel de Paris, préalablement rendu le 8 octobre 2021 [4] et confirmé par la Cour de cassation, mettent bien en évidence la liberté contractuelle dont disposent les fondateurs dans la rédaction des statuts aux termes desquels « il ne peut être exclu par principe que les statuts d'une société par actions simplifiée confient au président de son conseil de surveillance de véritables pouvoirs de direction ». Dès lors, il revient aux juges du fond de déterminer avec précision la situation de dirigeant au regard de la règle d’assujettissement au régime général à la date du fait générateur de l’avantage [5].

En définitive, les associés peuvent à leur gré choisir n’importe quel type d’organe de direction. Cette particularité, qui constitue un des aspects les plus prégnants de la liberté statutaire de la SAS, est également source de risques à maints égards. Une des principales difficultés réside notamment dans la définition des pouvoirs et responsabilités au sein de la société où peuvent être créés des organes non prévus par la loi, tel qu’un conseil de surveillance, et de lui octroyer des pouvoirs de veto sur certaines décisions. Les membres de ce conseil courent alors le risque d’être traités comme des dirigeants de fait, avec l’incertitude dans la détermination de l’organe effectivement investi des attributions directoriales et les conséquences inhérentes à la responsabilité en cas de faute de gestion éventuellement commises par eux.

Ainsi, dans une autre affaire, les associés avaient choisi d'instituer, aux côtés du président et des directeurs généraux de la société, un conseil de surveillance à qui ils avaient confié les missions et les pouvoirs du conseil d'administration de société anonyme, la clause statutaire relative au conseil de surveillance reproduisant les dispositions de l'article L. 225-35 du Code de commerce N° Lexbase : L7980MB8, notamment : « le conseil d'administration détermine les orientations de l'activité de la société et veille à leur mise en œuvre [...] il se saisit de toute question intéressant la bonne marche de la société et règle par ses délibérations les affaires qui la concernent ». En outre, la clause confiait à cet organe des pouvoirs de PDG (adoption ou modification des budgets annuels, acquisition, cession ou hypothèque de biens immobiliers, cession de fonds de commerce, apport d'actif, fusion) [6].

4. Ce n’est pas le cas en l’espèce, où l'article 19 des statuts sociaux énonce expressément que le conseil de surveillance ne dispose d'aucun pouvoir de gestion ni d'administration, son rôle se limitant à contrôler la gestion opérée par le directoire et son président, lequel est investi du pouvoir de diriger la société.

Quand bien même les statuts permettraient au conseil de surveillance de donner son autorisation « préalable à certaines opérations accomplies par le directoire qui le nécessitent » [7], le rôle d’organe de contrôle de ce conseil ne saurait être modifié, si bien qu’il ne pourrait se voir reconnaître la qualité de dirigeant de droit. En conséquence, le président et le vice-président du conseil de surveillance de la SAS n'ont pas la qualité de dirigeant susceptible d'être rattaché au régime des salariés au regard des dispositions de l'article L. 311-3, 23°, du Code de la Sécurité sociale, sauf à démontrer qu'ils exercent en réalité une fonction de direction. Hormis cette hypothèse de direction, seuls les présidents et dirigeants des sociétés par actions simplifiées et de sociétés d'exercice libéral par actions simplifiées sont obligatoirement affiliés aux assurances sociales du régime général.

La mission de contrôler les organes de direction de la société, sans assumer la gestion de celle-ci à laquelle il ne doit pas s’immiscer est exclusivement dévolue au conseil de surveillance, à l’instar de ce qui se passe dans la SA. Seule peut être qualifiée de dirigeante la personne qui exerce habituellement une activité de direction à travers des actes positifs d’administration et de gestion. En conséquence, les membres du directoire peuvent exclusivement revêtir la qualité de dirigeant et non ceux du conseil de surveillance, sauf à ce que soit démontré l'exercice effectif par ces derniers d'une mission de direction. Cette affirmation justifie aisément que, sans surprise, les différentes juridictions du fond et du droit statuant en l’espèce s’accordent pour reconnaitre au conseil de surveillance une immixtion dans la gestion de la société par le directoire lui conférant ainsi la qualité de dirigeant de fait. Cette situation de direction de fait justifie alors la réintégration de la rémunération des président et vice-président du conseil de surveillance dans l’assiette des cotisations sociales.

Toujours est-il que pour reconnaître au conseil de surveillance la qualité de dirigeant de fait, la deuxième chambre civile ne se limite pas au motif ci exposé ; elle complète son dispositif par d’autres arguments.

II. Les autres éléments, critères accessoires d’appréciation de la direction de fait du conseil de surveillance

5. Pour octroyer au conseil de surveillance pareille qualité de dirigeant, la deuxième chambre civile complète son dispositif par d’autres arguments.

L’arrêt commenté rappelle que la société avait été initialement constituée sous la forme d’une société anonyme dont l’actuel président du conseil de surveillance de la SAS était le président-directeur général avant la transformation de celle-ci en société par actions simplifiée. Cette dernière comprend depuis 2016 un directoire, dont les deux membres appartiennent à la famille du président du conseil de surveillance, sans toutefois constater une quelconque collusion frauduleuse. Par ailleurs, la décision relève que si la mission dudit conseil est en principe limitée à l'exercice d'un contrôle permanent de la gestion du directoire, l'article 15 des statuts énonce que le directoire ne peut accomplir certains actes sans l'autorisation préalable dudit conseil. Elle ajoute que par cette autorisation nécessaire, limitant à tout moment l'exercice du pouvoir de décision du directoire, le conseil de surveillance présidé par le PDG de l’ancienne SA, de surcroît détenteur avec son épouse de la majorité du capital de la SAS, exerçait tant en droit qu'en fait, durant les années 2012 et 2013, une fonction de direction au sein de cette société en plus de celle de contrôle et de surveillance.

Cette situation n’est pas nouvelle. Auparavant, la juridiction de seconde instance parisienne [8] avait estimé que le pouvoir statutaire d’autorisation préalable du conseil de surveillance d’une SAS à l’égard du président de celle-ci permettait de conférer la qualité de dirigeant aux membres de cet organe [9]. Néanmoins, dans cette décision, pour justifier l’existence d’un pouvoir d’immixtion dans la gestion, les juges avaient mentionné que le seuil d’autorisation (15 000 euros pour toute opération hors budget) était modeste au regard des investissements de la société, cette précision n’apparaissant pas dans l’arrêt rapporté.

De ces différents constats, la cour d’appel de Paris, usant de son pouvoir souverain d’appréciation des éléments de fait et de preuve dont elle a eu connaissance, a constaté qu’en dépit de la présence d’un directoire, les président et vice-président du conseil de surveillance ont continué à accomplir en toute indépendance des actes positifs de gestion et de direction de la société.

Enfin, outre la détention majoritaire du capital social par l’intéressé mis en cause et son épouse, leur rémunération globale était nettement supérieure à celle habituellement perçue en pareille circonstance, au point de susciter des soupçons légitimes. Elle s’élevait à un montant deux fois supérieur à celui globalement perçu par les deux membres du directoire. Or, si la fonction de membre du directoire est une occupation de gestion à temps plein, en revanche celle de membre du conseil de surveillance constitue une activité ponctuelle de contrôle qui n’occasionne pas l’attribution d’une rémunération aussi importante.

6. Ces derniers éléments, conjugués à ceux précédemment exposés, ont permis à l’Urssaf d’emporter gain de cause auprès des différentes juridictions ayant statué dans la présente affaire. Pour autant, ils ne mettent pas en exergue des « actes positifs de gestion et de direction de la société » qui caractérisent habituellement une direction de fait et sur lesquels la deuxième chambre civile fonde sa décision de rejet du pourvoi. Celle-ci se contente de conclure à l’existence de tels actes à partir d’éléments se rapportant à la situation juridique des intéressés : pouvoirs conférés par les statuts, qualité d’associé majoritaire, rémunération exorbitante. En cela, elle a une appréciation souple et large de la notion de dirigeant de fait.

La démarche de la deuxième chambre civile diffère notablement de celle plus classique de la Chambre commerciale qui, pour caractériser la direction de fait, exige l’exercice d’une activité positive de gestion et de direction engageant la responsabilité civile de la personne physique ou morale mise en cause [10].

Reste à savoir si pour mettre fin à cette relative divergence jurisprudentielle, une Chambre mixte doit se réunir en vue d’adopter une position commune en la matière. On ne saurait donner une réponse ferme et certaine à cette interrogation. Pour autant, cette mise au point pourrait être opportune, dans la mesure où la notion de dirigeant de fait, qualifiée de « couteau suisse prétorien » [11], n’est pas toujours aisée à cerner, la loi ne la définissant pas. Il n’en demeure pas moins que la doctrine [12] et la jurisprudence jusqu’ici en vigueur [13] s’accordent pour considérer que le dirigeant de fait est une personne physique ou morale qui, bien que dépourvue d’un mandat social, s’est immiscée dans la direction, l’administration ou la gestion d’une société, afin d’y exercer continuellement et régulièrement une activité positive en toute souveraineté et indépendance [14]. Sous couvert des représentants légaux de la société, elle a exercé en réalité les pouvoirs de direction ou de gestion.

 

[1] CA Paris, 6-12, 8 octobre 2021, n° 17/12879 N° Lexbase : A739348C.

[2] TASS Paris, 30 juin 2017, n° 16/01973.

[3] CA Paris, 5-8, 18 mai 2010, n° 10/00710 N° Lexbase : A8470EXY, Bull. Joly Sociétés, septembre 2010, p. 716, note P. Le Cannu ; Dr. sociétés, octobre 2010, comm. 182, note D. Gallois-Cochet ; Rev. sociétés, 2011, p. 172, note L. Godon. En ce sens, T. com. Paris, 2 octobre 2009, BRDA, 5/2010, n° 5 ; Bull. Joly Sociétés, 2010, p. 45, note P. Le Cannu – V., ANSA, avis n° 23-016, du 1er mars 2023, P. Cathalo, Lexbase Affaires, avril 2023, n° 754 N° Lexbase : N5095BZQ, pour qui s’il n’est pas légalement requis d’inscrire au RCS les membres d’un conseil de surveillance de SAS, rien n’interdit toutefois à une société de demander une telle inscription sur une base facultative.

[4] CA Paris, 6-12, 8 octobre 2021, n° 17/12879, préc.

[5] Cass. civ. 2, 4 avril 2019, n° 17-24.470, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A1552Y8Y, Ingénierie patrimoniale, avril 2019, p. 102, note R. Poirier.

[6] CA Paris, 5-9, 20 juin 2013, n° 13/03892 N° Lexbase : A7131MTB, BRDA, 18/2013, n° 2.

[7] Toute décision d’investissement mobilier ou immobilier d’un montant s’élevant à plus de 250 000 euros ; toute cession d’un élément d’actif isolé d’une valeur excédant 50 000 euros ; toute création ou cession de filiale ou participation supérieure à 10 % pour un montant net excédant 250 000 euros s’il s’agit d’une filiale ou 250 000 euros s’il s’agit d’une simple participation ; tout engagement financier au-dessus de 150 000 euros, ainsi que tout aval ou caution et toute sûreté réelle quel que soit son montant.

[8] CA Paris, 6-12, 8 octobre 2021, n° 17/12879, préc.

[9] CA Paris, 5-8, 23 février 2016, n° 14/24308 N° Lexbase : A1177QDX, Bull. Joly Sociétés, 2016, n° 9, p. 481, note M. Germain et P.-L. Périn, arrêt rendu en matière de responsabilité civile selon lequel les membres d’un comité de surveillance de SAS doivent être considérés comme des dirigeants de la société dès lors qu’ils sont investis d’un véritable pouvoir de décision. V. aussi, CA Paris, 5-8, 22 mars 2016, n° 15/14846 N° Lexbase : A4763Q8W, BRDA, 8/2016, n° 5 ; RJDA, 7/2016, n° 536, qualité de dirigeant de fait d’une filiale du président du conseil de surveillance d’une société mère. Sur cet arrêt, D. Gibirila, Caractérisation de la direction de fait et responsabilité des dirigeants sociaux, Journal Spécial des Sociétés, octobre 2016, n° 145, p. 44.

[10] Cass. com., 10 janvier 2012, n° 10-28.067, F-D N° Lexbase : A7871IAR.

[11]  Cass. com., 3 février 1998, RTD com., 1998, p. 614., obs. C. Champaud et D. Danet.

[12] D. Tricot, Les critères de la gestion de fait, Dr. et patrimoine, janvier 1996, p. 24 ; P. Le Cannu, Direction de fait et contrat avec la société, Bull. Joly Sociétés, 1998, p. 5 ; C. Delattre, L’inlassable travail de la Cour de cassation quant à la détermination de la notion de direction de fait, JCP E, 2007, n° 27, 1872.

[13] Parmi les décisions les plus récentes, v. CA Paris, 5-8, 14 mars 2018, n° 16/19330 N° Lexbase : A8636XGX, BRDA, 11/2018, n° 5, actionnaire majoritaire d’une société de construction (SAS) qui est l’interlocuteur des prestataires de la société (notaire, expert-comptable et liquidateur judiciaire) alors que le dirigeant de droit n’a qu’un rôle technique – Cass. com., 8 janvier 2020, n° 18-20.270, F-P+B N° Lexbase : A47733AZ, V. Téchené, Lexbase Affaires, janvier 2020, n° 621 N° Lexbase : N1946BYQ ; Dr. sociétés, avril 2020, comm. 55, note J.-P. Legros ; Rev. sociétés, 2020, p. 425, note L. Watrin ; LPA, 27 avril 2020, n° 84, p. 19, note D. Gibirila, directrice salariée d’une association mise en liquidation judiciaire ayant exercé, en toute indépendance, une activité positive de gestion et de direction de l'association, excédant ses fonctions de directrice salariée – Cass. com., 2 juin 2021, n° 20-13.735, F-D N° Lexbase : A24514UC, BRDA, 14/2021, n° 1 ; Rev. sociétés, 2021 p. 548, note L.-C. Henry ; Gaz. Pal., 14 décembre 2021, n° 44, p. 68, note A.-F. Zattara-Gros, personne physique ni salariée, ni mandataire d’une société, dont toutes les décisions importantes étaient prises sur son avis et qui donnait des instructions sur des sujets essentiels touchant au fonctionnement social.

[14] Par ex., Cass. com., 24 mai 2005, n° 03-19.656, F-D N° Lexbase : A4200DIE.

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