La lettre juridique n°976 du 7 mars 2024

La lettre juridique - Édition n°976

Éditorial

[A la une] Sur les épaules d’un géant

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par Dr Nicolas Catelan, Maître de conférences à l'Université Paris Cité, Directeur ajoint de l'IEJ

Le 07 Mars 2024

2024 devait être l’occasion de célébrer le trentième anniversaire de l’entrée en vigueur du Code pénal. La fin de l’hiver charrie plutôt son lot d’amertume puisque nous pleurons la mort de celui qui fut un de ses principaux architectes en relançant son processus d’adoption dans les années 1980. Il ne fut pas aisé de sortir de l’ornière le projet de Code pénal (réforme envisagée dès les années 1930 avec la Commission Matter...) mais, à dire vrai, Robert Badinter n’était pas de ceux qui se confrontaient aux épreuves faciles. Son histoire restera éternellement marquée par des combats que beaucoup croyaient perdus d’avance donc inutiles à mener : abolition de la peine de mort, suppression de la Cour de sureté de l’État, alignement de l’atteinte homosexuelle sur l’atteinte hétérosexuelle, Cour pénale internationale…

Alors que nous devions fêter en grande pompe l’anniversaire du Code qui guide la plume de tous les pénalistes, nous nous retrouvons, bien malgré nous, à honorer la mémoire de celui dont l’humanité et les combats républicains devraient guider l’esprit de tous les juristes.

À 30 ans, le Code pénal est déjà orphelin et à dire vrai de nombreux pénalistes le sont un peu désormais. Nul ne doute de la postérité de celui qui a tant fait pour sortir la justice pénale des ténèbres de la peine de mort. Son souvenir dépassera à n’en pas douter celui du Code qui, comme toute norme, est voué à disparaître pour être remplacé par de nouvelles dispositions souvent portées par l’hubris de ceux qui ignorent qu’on ne choisit pas sa destinée ; on la construit à travers des choix toujours difficiles et des combats souvent homériques.  Non car on souhaite marquer l’histoire, mais car on sait que l’histoire doit changer.

Robert Badinter confessait, en privé, qu’en quittant le ministère de la Justice, il avait emporté avec lui un regret : n’avoir pu améliorer le sort des prisonniers. Ne parvenant à remporter les arbitrages décisifs avec Bercy il dut se résoudre à laisser croupir en prison ceux, qui privés de jure de leur seule liberté, sont le plus souvent de facto privés également de dignité. Le fait que la prison demeure l’étalon du Code et des sanctions démontre que la tâche sera d’ampleur pour celui qui désirera à terme s’attaquer à la question carcérale. Il est vrai qu’un tel projet ne rendra pas populaire dans les urnes. Robert Badinter était de ceux qui mènent des réformes non car on espère capitaliser politiquement sur leur adoption mais bien car elles doivent être menées. On se remémorera sans doute longtemps la phrase qu’il prononça devant le CNB durant une campagne présidentielle : « la France n’est pas la patrie des droits de l’homme mais la patrie de la Déclaration des droits de l’homme ». Nul homme ne sait mieux que lui la difficulté à transcrire les principes juridiques en réalités politiques. Il n’ignorait pas non plus avec quelle improbité certaines réformes pouvaient être menées. Alors qu’une ministre de la justice annonçait une énième réforme de l’Ordonnance du 2 février 1945 au nom de l’inadaptation de ce bateau de Thésée à la délinquance juvénile du XXIe siècle, il dénonça l’outrecuidance de ceux qui osaient comparer les enfants de 2007 avec ceux qui sortaient du plus grand conflit mondial, avaient connu les horreurs nazies et, pour certains, participé au prix de leur sang à l’œuvre de la Résistance...

Robert Badinter n’était pas qu’avocat, ministre de la Justice, président du Conseil constitutionnel ou encore sénateur. Il fut également Professeur. Ceux qui ont eu la chance de l’avoir comme enseignant savent avec quelle délicatesse celui-ci présentait ses raisonnements sans jamais chercher à les imposer ; ceux qui l’ont lu savent quelle rigueur présidait à ses démonstrations. Ceux qui l’ont côtoyé à l’Université savent avec quelles humanité et bienveillance il appréhendait ses pairs. Tous connaissaient sa passion sans limite pour la vertu de justice.

En ce mois de février 2024, alors que vient de nous quitter celui qui a eu l’honneur, au nom du Gouvernement de la République, de demander au Parlement l’abolition de la peine de mort, il est possible de surmonter notre tristesse en honorant celui qui a tant légué à notre pays, et au-delà.

L’œuvre de Robert Badinter nous oblige mais elle nous guide également. Lorsque le chemin nous paraît trop escarpé, quand l’objectif paraît inaccessible, rappelons-nous ce qu’un seul homme a su accomplir en une vie. 1000 de nos existences ne suffiront sans doute pas à égaler ses réussites mais le combat, lui, en vaudra toujours la peine. Comme l’écrit si bien à la fin du plus grand ouvrage sur la prison celui qui aimait croiser le fer intellectuel avec Robert Badinter : « il faut entendre le grondement de la bataille » [1]. Si la question carcérale a été, de son aveu-même, son échec, notre génération ne s’enorgueillira que le jour où elle aura achevé le plus humaniste, donc le plus difficile, des projets. Relater les exploits du Président Badinter ne suffira pas à honorer sa mémoire. Pour avoir la prétention d’y parvenir, reprenons là où son œuvre s’est arrêtée alors qu’il quittait la place Vendôme. Et n’ayons pas peur : à nos côtés, pour nous montrer le chemin, se trouve le plus grand ministre de la Justice que la France ait connu.

Voir plus loin en se tenant sur les épaules des géants.

[1]M. Foucault, Surveiller et punir – Naissance de la prison, 1975, Flammarion.

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Accident du travail - Maladies professionnelles (AT/MP)

[Jurisprudence] La confirmation de la finalité nouvelle de la rente versée aux victimes d'AT/MP : la couverture d’un préjudice économique de nature professionnelle

Réf. : Cass. civ. 2, 1er février 2024, n° 22-11.448, FS-B N° Lexbase : A01402IZ

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par Clara Ciuba, Avocate, cabinet Edgar Avocats

Le 06 Mars 2024

Mots-clés : accident du travail • réparation du préjudice • rente AT/MP • déficit fonctionnel permanent • indemnisation complémentaire • perte de gains professionnels futurs • incidence professionnelle • perte ou de la diminution de possibilités de promotion professionnelle

Dans un arrêt publié au Bulletin, rendu le 1er février 2024, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation rappelle le revirement opéré en Assemblée plénière en date du 20 janvier 2023 [1] et réaffirme que la rente indemnise, d’une part, les pertes de gains professionnels et, d’autre part, l’incidence professionnelle.

Elle confirme ainsi la position de la cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion qui a rejeté les demandes indemnitaires distinctes formées par un salarié victime d’un accident de travail au titre d’une perte de gains professionnels futurs et d’une incidence professionnelle dans le cadre d’une action en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur, aux motifs que sa rente AT/MP couvre ces postes de préjudices et qu’aucune perte de possibilités de promotion professionnelle n’est démontrée par le salarié.


Un salarié d’une entreprise de bâtiment est victime d’une chute de hauteur le 6 février 2014 alors qu’il procédait à la dépose de la couverture et de la charpente d’un cabanon sur un échafaudage sans garde-corps.

Aux termes d’un jugement rendu par le tribunal des affaires de Sécurité sociale (compétent matériellement à cette époque) de Saint-Denis de la Réunion le 26 décembre 2018, la faute inexcusable de la société est reconnue comme étant à l’origine de l’accident.

Le tribunal désigne dès lors un expert, chargé d’évaluer les préjudices personnels du salarié victime, limitant la mission de l’expert aux postes de préjudices suivants : souffrances physiques et morales endurées, préjudice esthétique et (ou) d’agrément, préjudice résultant de la perte ou de la diminution de possibilité de promotion professionnelle.

Après dépôt du rapport d’expertise, le salarié sollicite l’indemnisation de ses préjudices personnels en lien avec l’accident du travail.

La problématique juridique portera sur l’étendue des postes de préjudices indemnisés.

Par jugement du 25 septembre 2019, le tribunal de grande instance (compétent matériellement à cette époque) de Saint-Denis de la Réunion a :

  • rejeté la demande de réparation du préjudice subi par le salarié au titre de la perte de gains professionnels ;
  • rejeté la demande de réparation du préjudice subit le salarié au titre d’une incidence professionnelle ;
  • indemnisé le salarié au titre des souffrances endurées à hauteur de 8 000 euros ;
  • indemnisé le salarié au titre de son préjudice esthétique à hauteur de 3 000 euros.

Le salarié va interjeter appel de cette décision en ce qu’elle a rejeté sa demande de réparation des préjudices subis au titre de la perte de gains professionnels et de l’incidence professionnelle.

Par un arrêt du 21 juin 2021, la cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion [2] va confirmer la décision rendue par les premiers juges, rappelant que la rente dont bénéficie le salarié en application de l’article L. 452-2 du Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L7113IUY indemnise, d’une part, les pertes de gains professionnels et l’incidence professionnelle de l’incapacité, d’autre part, le déficit fonctionnel permanent, de sorte que les dommages dont le salarié demande réparation sont déjà indemnisés au titre du livre IV du Code de la Sécurité sociale et ne peuvent donner lieu à une réparation distincte.

Allant plus loin, la cour d’appel précise que le salarié ne fait état d’aucune formation ou processus de nature à démontrer l’imminence ou l’annonce d’un avancement dans sa carrière ou encore d’une création d’entreprise, échouant ainsi à prouver l’existence de chances de promotions professionnelles qui pourraient justifier l’allocation d’une indemnisation au titre de la réparation du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses chances de promotion professionnelle [3].

Le salarié forme un pourvoi en cassation.

Par un arrêt du 1er février 2024, la deuxième chambre de la Cour de cassation rejette le pourvoi.

Au visa des articles L. 452-2 et L. 452-3 N° Lexbase : L5302ADQ du Code de la Sécurité sociale, sur le premier moyen, la Cour de cassation valide le raisonnement de la cour d’appel qui a débouté la victime de sa demande d’indemnisation complémentaire au titre de la perte de gains professionnels futurs, au motif que la rente majorée répare les pertes de gains professionnels et l’incidence professionnelle de l’incapacité permanente qui subsiste le jour de la consolidation (I.).

Sur le second moyen, de la même manière, la Cour de cassation rappelle que la rente majorée répare les pertes de gains professionnels et l’incidence professionnelle de l’incapacité permanente qui subsistent le jour de la consolidation confirmant dès lors l’impossibilité pour le salarié d’obtenir une indemnisation complémentaire au titre de l’incidence professionnelle. La Cour relève par ailleurs que les juges du fond ont suffisamment caractérisé l’absence de démonstration d’une perte de possibilités de promotion professionnelle pour rejeter la demande du salarié (II.)

I. La rente majorée servie à la victime en application de l’article L. 452-2 du Code de la Sécurité sociale répare les pertes de gains professionnels et l’incidence professionnelle

Cette solution n’est pas nouvelle, toutefois, dans un contexte de modification profonde de l’indemnisation des victimes d’accidents du travail et de maladies professionnelles dans le cadre de la faute inexcusable de l’employeur, il convient d’en rappeler les étapes.

Depuis la loi du 9 avril 1898 (N° Lexbase : L2970AIT, dit « compromis de 1898 »), la réparation des accidents du travail ou des maladies professionnelles obéit à un régime spécial d'indemnisation qui se caractérise par le caractère forfaitaire de la réparation en échange d'une présomption d'imputabilité au travail du risque professionnel.

Au-delà de la reconnaissance du caractère professionnel de l’accident ou de la maladie, le salarié peut obtenir une indemnisation complémentaire auprès de son employeur qui aurait commis une faute dite inexcusable à l’origine du sinistre. 

Dans ce cas précis, la victime bénéficie d'une majoration de rente, mais également de la possibilité de demander l'indemnisation des préjudices complémentaires qui découlent de l’article L. 452-3 du Code de la Sécurité sociale, à savoir, les souffrances endurées, le préjudice esthétique, le préjudice d’agrément et l’indemnisation de la perte de possibilité de promotion professionnelle.

En raison du caractère forfaitaire de la réparation, cette liste a toujours été considérée comme limitative.

Par une décision en date du 18 juin 2010, le Conseil constitutionnel enterre le caractère limitatif de cette réparation, autorisant l’indemnisation de postes de préjudices complémentaires non couverts par le Livre IV du Code de la Sécurité sociale [4] : «  Mais attendu que si l'article L. 452-3 du Code de la Sécurité sociale, tel qu'interprété par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2010-8 QPC du 18 juin 2010, dispose qu'en cas de faute inexcusable, la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle peut demander à l'employeur, devant la juridiction de Sécurité sociale, la réparation d'autres chefs de préjudice que ceux énumérés par le texte précité, c'est à la condition que ces préjudices ne soient pas déjà couverts par le livre IV du Code de la Sécurité sociale ».

Depuis, la Cour de cassation est venue consacrer les postes de préjudices complémentaires indemnisables au titre de la faute inexcusable de l’employeur, dont :

- le déficit fonctionnel temporaire [5] ;

- l’assistance temporaire par une tierce personne [6] avant consolidation ;

- les frais d'assistance à expertise [7] ;

- les frais de déplacement à l’expertise [8] ;

- les frais d'aménagement du logement [9] ;

- les frais d'aménagement d'un véhicule [10] ;

- les préjudices permanents exceptionnels [11] ;

- le préjudice d'établissement [12] ;

- le préjudice scolaire ou universitaire [13] ;

- le préjudice sexuel [14].

Tout en s’élargissant, la liste est restée limitative, excluant des postes de préjudices indemnisables ceux couverts par le livre IV du Code de la Sécurité sociale.

Dans cette perspective, l’objet de la rente versée à la victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, prévue à l’article L. 434-2 du Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L4726MHI, est devenu central dans le contentieux de la faute inexcusable de l’employeur.

Jusqu’à récemment, la Cour de cassation définissait la rente AT/MP de la manière suivante :

« la rente dont bénéficiait M. X en application de l'article L. 452-2 de ce code indemnisait d'une part les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité, et d'autre part le déficit fonctionnel permanent, de sorte que les dommages dont la victime demandait réparation étaient déjà indemnisés au titre du livre IV du Code de la Sécurité sociale, la cour d'appel a décidé à bon droit qu'ils ne pouvaient donner lieu à indemnisation sur le fondement de l'article L. 452-3 du même code ».

Dès lors, ne pouvaient donner lieu à indemnisation complémentaire puisque couverts par la rente et donc par le livre IV du Code de la Sécurité sociale, les postes de préjudices suivants :

- les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle [15] ;

- le déficit fonctionnel permanent [16] ;

- la perte de droits à la retraite [17] ;

- la perte de droit à intéressement et à une participation [18] ;

- la perte d’emploi [19].

Par deux arrêts majeurs du 20 janvier 2023, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation est venue redéfinir les contours de la réparation des assurés victimes de risques professionnels, spécifiquement en cas de faute inexcusable, et s’est notamment intéressée, à ce titre, à l’objet de la rente AT/MP laquelle, désormais, ne répare plus le « déficit fonctionnel permanent » [20].

Dorénavant, la rente AT/MP n’indemnise plus que les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité.

La Cour de cassation s’aligne ainsi notamment sur la jurisprudence constante du Conseil d’État en circonscrivant l’objet de la rente à la stricte réparation, sur une base forfaitaire, des préjudices subis par la victime dans sa vie professionnelle en conséquence du sinistre (pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité).

Dans l’arrêt commenté rendu le 1er février 2024, la Cour de cassation s’inscrit dans la continuité de sa jurisprudence.

Au visa de l’article L. 452-3 du Code de la Sécurité sociale et citant les arrêts d’Assemblée plénière du 20 janvier 2023, la Cour de cassation rappelle que la rente majorée servie à la victime en application de l'article L. 452-2 du Code de la Sécurité sociale répare désormais d’une part les pertes de gains professionnels et d’autre part l’incidence professionnelle.

Tirant les conséquences de cette définition, elle valide la position de la cour d'appel qui a débouté la victime de sa demande d'indemnisation complémentaire au titre de la perte de gains professionnels futurs et de l’incidence professionnelle.

La Cour de cassation confirme ainsi le caractère « professionnel » ou « patrimonial » de la rente.

La rente AT/MP n’ayant plus qu’une finalité économique, aucune indemnisation complémentaire ne saurait être allouée à la victime au titre de la perte de ses gains professionnels ou d’une incidence professionnelle.

Cette nouvelle définition de la rente n’est pas sans poser de difficultés.

En effet, compte tenu de cette redéfinition de l’objet de la rente AT/MP, les modalités d’évaluation et d’attribution du taux d’incapacité permanente s’y rapportant sont désormais limitées à la seule détermination de l’incidence professionnelle et des pertes de gains éventuels.

La Cour de cassation exclut désormais du champ de réparation de la rente le déficit fonctionnel permanent (perte ou diminution de la mobilité physique, douleurs, perte de capacités cognitives ou respiratoires, séquelles psychologiques, etc.) jusqu’alors évalué par le médecin-conseil de la caisse primaire lors de l’évaluation du taux d’incapacité permanente du salarié.

Autrement formulé et au risque de générer une situation de double indemnisation d’un même poste de préjudice proscrite par la Cour de cassation [21] en cas d’action contentieuse diligentée sur le terrain de la faute inexcusable (risque explicitement identifié par la Cour de cassation elle-même), le taux d’incapacité permanente devra indemniser exclusivement les préjudices subis par la victime dans sa vie professionnelle.

Qu’indemnise alors la rente AT-MP de salariés retraités qui ne subissent aucune perte de gains professionnels ni aucune incidence professionnelle ?

De nombreuses juridictions de Sécurité sociale chargées désormais du contentieux de l’incapacité permanente (anciennement tribunaux du contentieux de l’incapacité) sont à ce jour saisies de cette problématique.  

En ce sens, dans une tentative de retranscription de l’ANI du 15 mai 2023 [22] relatif aux accidents du travail et aux maladies professionnelles, le projet de la loi de financement de la Sécurité sociale de 2024 prévoyait un article 39 [23] consacrant une définition duale de la rente permettant d’indemniser le déficit fonctionnel permanent de toutes les victimes d’accidents du travail et de maladies professionnelles et non seulement celles susceptibles de faire reconnaitre la faute inexcusable de leur employeur.

L'article 39 refondait les modalités de calcul de la rente AT-MP et modifiait l'article L. 434-2 du Code de la Sécurité sociale en prévoyant que la rente forfaitaire serait composée de deux parts : une part dite professionnelle qui reprend en partie les règles historiques et « une part, dite fonctionnelle, correspondant au déficit fonctionnel permanent de la victime ».

L’adoption d’un tel article aurait de facto mis en échec la jurisprudence initiée par les arrêts d’Assemblée plénière du 20 janvier 2023.

Cet article, très contesté, a finalement fait l’objet d’un retrait.

Enfin, peut-être convient-il de relever que l’argument développé par le demandeur au pourvoi, tenant à dire qu’il subsistait un solde non indemnisé entre la perte de revenus professionnels engendrée par l’accident du travail et la rente AT/MP qui lui est versée et que cela justifiait le versement d’un complément d’indemnisation, est écarté par la Cour de cassation.

Cette logique est à rapprocher de celle adoptée par la Cour de cassation en matière de refus d’indemnisation complémentaire au titre d’une assistance tierce personne postconsolidation.

En effet, une prestation complémentaire pour recours à tierce personne postconsolidation est prévue à l’article L. 434-2 du Code de la Sécurité sociale lorsque le taux d’incapacité permanente partiel est égal ou supérieur à 80 %.

Un salarié victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle ayant un taux inférieur à 80 %, mais ayant un besoin médicalement reconnu d’une assistance par une tierce personne ne pourra donc demander aucune indemnisation complémentaire à ce titre, au motif que le poste est couvert même de manière incomplète par le Code de la Sécurité sociale [24].

II. L’absence de caractérisation d’une perte ou d’une diminution de chance de possibilité de promotion professionnelle

En l’espèce, pour débouter le salarié victime d’un accident du travail de sa demande de réparation du préjudice d’incidence professionnelle, la Cour de cassation adopte le raisonnement de la cour d’appel qui procède en deux temps.

Dans un premier temps, la Cour de cassation rappelle comme il a été précédemment développé le fait que la rente majorée servie à la victime en application de l'article L. 452-2 du Code de la Sécurité sociale répare l’incidence professionnelle.

En conséquence, c'est à bon droit que la cour d'appel a débouté la victime de sa demande d'indemnisation complémentaire au titre de ce poste de préjudice.

Dans un deuxième temps, la Cour de cassation revient sur la notion de préjudice résultant de la perte ou la diminution des possibilités de promotion professionnelle.

Elle distingue ainsi le préjudice résultant de l’incidence professionnelle, couvert par la rente AT/MP et donc non indemnisable de manière autonome, et le préjudice résultant de la perte ou la diminution des possibilités de promotion professionnelle indemnisable à titre complémentaire sur le fondement de l’article L. 452-3 du Code de la Sécurité sociale.

S’agissant d’une appréciation souveraine des juges du fond, la Cour de cassation valide la position de la Cour d’appel qui a retenu que la victime ne démontrait pas que, lors de l'accident, elle présentait des chances de promotion professionnelle, à défaut de se prévaloir d'une formation ou d'un processus de nature à démontrer l'imminence ou l'annonce d'un avancement dans sa carrière ou encore d'une création d'entreprise.

Cette appréciation est conforme à la jurisprudence constante en la manière.

Rappelons qu’il appartient à la victime qui souhaite obtenir réparation de ce poste de préjudice d’établir que sa formation et ses aptitudes professionnelles lui permettaient de prétendre à une promotion professionnelle dont elle aurait été privée du fait de la survenance de l’accident.

L’existence d’un préjudice à ce titre doit s’apprécier in concreto en fonction de l’âge de la victime, ses diplômes et la nature de son contrat de travail au moment des faits [25].

La Cour de cassation considère, à cet égard, que la victime doit notamment justifier d’une formation professionnelle de nature à lui laisser espérer une promotion [26].

Le seul déclassement professionnel n’est pas de nature à caractériser l’existence d’une perte de possibilités de promotion professionnelle [27].

La Cour de cassation est notamment venue préciser que « la perspective d'avancement d'ordre statistique ne constitue pas un élément de preuve admissible » [28].

Dans le cas d’espèce soumis à la cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion, le salarié, victime d’un accident du travail, ne démontre pas que sa formation et ses aptitudes professionnelles lui auraient permis de prétendre à une promotion professionnelle dont il aurait été privé du fait de l’accident.

A contrario des arrêts d’Assemblée plénière rendus par la Cour de cassation le 20 janvier 2023 qui viennent ouvrir le champ d’indemnisation des victimes d'accidents du travail ou maladies professionnelles résultant de la faute inexcusable de leur employeur, l’arrêt commenté rendu par la Cour de cassation le 1er février 2024 rejette les demandes indemnitaires formulées par la victime. Cet arrêt vient pourtant confirmer le premier, consacrant une définition patrimoniale de la rente.

En l’espèce, l’étendue de l’indemnisation de ce salarié victime d’une chute de hauteur lors de la rénovation d’une toiture n’aurait pas été aussi réduite si les postes de préjudices sollicités ne se heurtaient pas au principe d’interdiction d’une double indemnisation. Tel n’aurait certainement pas été le cas d’une demande formulée au titre d’un déficit fonctionnel permanent ou d’autres postes de préjudices non couverts par la rente AT/MP.


[1] Ass. plén., 20 janvier 2023, n° 20-23.673, BR N° Lexbase : A962688Z ; Ass. plén., 20 janvier 2023, n° 21-23.947, BR N° Lexbase : A962588Y, D. Asquinazi-Bailleux, Un revirement de jurisprudence salutaire : la rente AT/MP ne répare plus le déficit fonctionnel permanent, Lexbase Social, février 2023, n° 933 N° Lexbase : N4223BZG.

[2] CA Saint-Denis de la Réunion, 21 juin 2021, n° 19/02667 N° Lexbase : A05164YR.

[3] CSS, art. L. 452-3 N° Lexbase : L5302ADQ.

[4] Cons. const., décision n° 2010-8 QPC, du 18 juin 2010 N° Lexbase : A9572EZK. V. également Cass. civ. 2, 30 juin 2011, n° 10-19.475, FS-P+B+R N° Lexbase : A6615HUK ; Cass. civ. 2, 4 avril 2012, n° 11-14.311, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A6498IH7 ; Cass. civ. 2, 4 avril 2012, n° 11-12.299, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A6497IH4 et Cass. civ. 2, 4 avril 2012, n° 11-15.393, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A6499IH8.

[5] Cass. civ. 2, 4 avril 2012, n° 11-14.311 et n° 11-14.594, préc..

[6] Cass. civ. 2, 20 juin 2013, n° 12-21.548, FS-P+B N° Lexbase : A2014KH3.

[7] Cass. civ. 2, 18 décembre 2014, n° 13-25.839, F-P+B N° Lexbase : A2797M84.

[8] Cass. civ. 2, 4 avril 2019, n° 18-13.704, F-D N° Lexbase : A3316Y8C.

[9] Cass. civ. 2, 5 octobre 2017, n° 16-22.353, F-P+B N° Lexbase : A1918WUL ; Cass. civ. 2, 6 mai 2021, n° 19-25.524, F-D N° Lexbase : A32504RS.

[10] Cass. civ. 2, 30 juin 2011, n° 10-19.475, FS-P+B+R N° Lexbase : A6615HUK.

[11] Cass. civ. 2, 2 mars 2017, n° 15-27.523, F-P+B N° Lexbase : A9941TRM.

[12] Cass. civ. 2, 2 mars 2017, n° 15-27.523, F-P+B, préc..

[13] Cass. civ. 2, 18 mai 2017, n° 16-11.190, F-D N° Lexbase : A5001WDL.

[14] Cass. civ. 2, 4 avril 2012, nos 11-14.311 et 11-14.594, préc..

[15] Cass. civ. 2, 13 octobre 2011, n° 10-15.649, FS-D N° Lexbase : A7707HY4 ; Cass. civ. 2, 4 avril 2012, n° 11-10.308, FS-P+B N° Lexbase : A1246IIY ; Cass. civ. 2, 4 avril 2012, n° 11-14.311 et 11-14.594, préc. ; Cass. civ. 2, 4 avril 2012, n° 11-15.393, préc. ; Cass. Cass. civ. 2, 4 avril 2012, n° 11-18.014, FS-P+B+I N° Lexbase : A1272IIX ; Cass. civ. 2, 28 juin 2012, n° 11-16.120, F-P+B N° Lexbase : A1215IQ3 ; Cass. civ. 2, 6 janvier 2022, n° 20-14.502, FS-B N° Lexbase : A48447HU.

[16] Cass. civ. 2, 4 avril 2012, n° 11-15.393, préc..

[17] Cass. soc., 3 mai 2018, n° 14-20.214, FS-P+B N° Lexbase : A4314XMQ.

[18] Cass. civ. 2, 12 mars 2015, n° 13-11.994, F-D N° Lexbase : A3275NDN.

[19] Cass. soc., 6 octobre 2015, n° 13-26.052, FS-P+B N° Lexbase : A0549NTI.

[20] Ass. plén., 20 janvier 2023, n°21-23.947, préc. et n° 20-23.673, préc..

[21]  Cass. civ. 2, 6 janvier 2022, n° 20-14.502, FS-B N° Lexbase : A48447HU.

[22] ANI du 15 mai 2023 [en ligne]. 

[23] PLFSS pour 2024, art. 39 [en ligne].

[24] Cass. civ. 2, 24 mai 2017, n° 16-16.678, F-D N° Lexbase : A0920WES.

[25] Cass. soc., 24 février 2000, n° 98-10.662, inédit N° Lexbase : A5123CZR ; Cass. soc., 28 juin 2001, n° 99-17.594, inédit N° Lexbase : A7870ATN.

[26] Cass. soc., 20 avril 2000, n° 98-16.246, inédit N° Lexbase : A5572CXN.

[27] Cass. civ. 2, 25 avril 2017, n° 06-11.852, F-D N° Lexbase : A0290DWN ; Cass. civ. 2, 30 juin 2011, n° 10-22.768, F-D N° Lexbase : A6649HUS.

[28] Cass. civ. 2, 14 mars 2013, n° 12-11.681, F-D N° Lexbase : A9715I9P.

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Accident du travail - Maladies professionnelles (AT/MP)

[Brèves] Est considéré comme un accident de trajet la chute liée au déneigement et dégagement du véhicule garé devant le domicile du salarié

Réf. : Cass. civ. 2, 29 février 2024, n° 22-14.592, F-B N° Lexbase : A26182QZ

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par Laïla Bedja

Le 06 Mars 2024

► Selon l’article L. 411-2 du Code de la Sécurité sociale, l'accident survenu pendant le trajet entre la résidence du salarié et le lieu de travail est considéré comme un accident devant être pris en charge au titre de la législation professionnelle ; tel est le cas du salarié qui a fait une chute, alors qu’il était sorti de son domicile, pour procéder au déneigement et au dégagement de son véhicule garé sur une place extérieure située devant celui-ci.

Les faits et procédure. Un salarié a été victime le 1er février 2019 d’un accident que la caisse primaire d’assurance maladie a refusé de prendre en charge au titre de la législation professionnelle comme accident de trajet. Le salarié a alors saisi la juridiction chargée du contentieux de la Sécurité sociale.

La cour d’appel ayant jugé que l’accident devait être pris en charge au titre de la législation professionnelle, la caisse primaire a formé un pourvoi en cassation selon le moyen que le trajet ne peut s’étendre à des actes le précédant ou le préparant tel que le déneigement ou le dégagement de son véhicule garé à l’extérieur de son domicile (CA Amiens, 9 décembre 2021, n° 20/03944 N° Lexbase : A30207LG).

La décision. Énonçant la solution précitée, la Haute juridiction rejette le pourvoi formé par la caisse.

Pour aller plus loin : Étude : La définition de l’accident de trajet, Les conditions du trajet protégé, in Droit de la protection sociale, Lexbase N° Lexbase : E98773X4.

 

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Comptabilité publique

[Focus] Vers une véritable sanction de la faute de gestion des gestionnaires publics ?

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N8631BZP

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par Henri Paul, Avocat à la Cour (cabinet TACTICS), Président de chambre honoraire à la Cour des comptes

Le 06 Mars 2024

Mots-clés : gestionnaires publics • Cour des comptes • juridictions financières • Cour de discipline budgétaire et financière

Une demande sociale à laquelle les pouvoirs publics et la Cour des comptes ont cherché à répondre

Il y a trois ans, le Premier président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, rendait public un document d’orientation stratégique des juridictions financières. Baptisé JF2025 [en ligne], ce rapport proposait des mesures afin de rendre l’action des juridictions financières plus efficace et de répondre à la demande d’un meilleur contrôle des gestionnaires et des organismes publics, en améliorant la confiance des citoyens dans l’action publique.


 

Le Premier président proposait une réforme de grande ampleur de la Cour des comptes et de la responsabilité des gestionnaires, qui unifierait complètement leur régime de responsabilité, qu’ils soient comptables ou ordonnateurs. Cette réforme, faite au pas de charge [1], a été inscrite au programme « Action publique 2022 », a fait l’objet d’une habilitation à légiférer par ordonnance dans le projet de loi de finances pour 2022, puis d’une ordonnance n° 2022-408, du 23 mars 2022 (Ordonnance n° 2022-408, du 23 mars 2022, relative au régime de responsabilité financière des gestionnaires publics N° Lexbase : L1017MCN). Le nouveau régime s’applique à compter du 1er janvier 2023. La Cour des comptes a installé les nouvelles formations de jugement prévues : la chambre du contentieux, qui exerce désormais les attributions juridictionnelles de la Cour des comptes [2], a rendu de premières décisions, et la Cour d’appel financière [3], qui juge en appel de ses décisions, un premier arrêt [4]. L’ancienne Cour de discipline budgétaire et financière, instituée par une loi de 1948, est supprimée. Le régime de responsabilité propre aux comptables publics (la fameuse « responsabilité personnelle et pécuniaire »), qui datait de l’Empire et de la création de la Cour des comptes elle-même, est donc aboli, même si demeure le jugement des comptes.

Comment cette nouvelle organisation de la responsabilité financière des gestionnaires publics, désormais unifiée, se situe-t-elle et innove-t-elle par rapport au système ancien ? Peut-on y voir un progrès, et quelle place va y prendre une nouvelle jurisprudence ?

Deux échelles de responsabilité et deux juges distincts, désormais unifiés

Jusqu’alors, le contrôle juridictionnel des comptables était du ressort de la Cour des comptes, tandis que la responsabilité des gestionnaires (sauf les ministres et les élus locaux dans l’exercice de leurs responsabilités d’ordonnateurs, qui bénéficient d’une immunité [5]) ne pouvait être appelée que devant la Cour de discipline budgétaire et financière, juridiction de nature répressive, associée à la Cour des comptes et présidée par le même Premier président, composée à parité de membres du Conseil d’État et de la Cour. Les procédures comme les règles de responsabilité qui s’appliquaient aux uns et aux autres étaient distinctes. D’un côté, des fautes de nature administrative propres au fonctionnement régulier du poste comptable et à l’application des règles de la comptabilité publique, et une juridiction spéciale et purement administrative (la Cour des comptes et les chambres régionales). De l’autre, des infractions sanctionnant essentiellement des fautes de gestion et des manquements aux règles, et une juridiction de nature répressive (la Cour de discipline). Le rapprochement des deux régimes conduit la nouvelle loi à définir dix infractions applicables à la fois aux ordonnateurs et aux comptables (la distinction historique est maintenue sur le plan de l’organisation des administrations publiques), qui font l’objet du même régime répressif et d’une unité de juridiction.

La responsabilité des comptables était jusqu’alors régulièrement mise en cause par la Cour, puisque lors de l’apurement des comptabilités publiques, la Cour jugeait des manquements en caisse (débets) et opérait des rectifications, mais infligeait peu de sanctions financières effectives en raison des possibilités de remise laissées au ministre. Ce système, qualifié d’obsolète, était loin de satisfaire  les comptables publics : la réforme vient donc satisfaire leurs revendications.

En revanche, la responsabilité des gestionnaires n’était pas fréquemment mise en jeu : la Cour de discipline, rarement saisie, jugeait peu (la moyenne glissante des arrêts rendus est passée de 4,8 en 2013 à 7,7 en 2022), et les sanctions financières restaient modiques, comme on va le voir. En outre, l’immunité des ordonnateurs élus et des ministres était fort critiquée, et la sanction financière des gabegies impossible. Dès lors, la responsabilité des gestionnaires a été recherchée plutôt devant le juge pénal, en particulier depuis la création du délit de favoritisme (C. pén., art. 432-14 N° Lexbase : L7454LBP[6], permettant d’aboutir à des sanctions plus lourdes, si ce n’est plus rapide.

Mais cette incursion du droit pénal et des juridictions judiciaires dans l’action publique, parfaitement légitime, car les poursuites devant la Cour ne font pas obstacle à l’exercice de l’action pénale (et même de l’action disciplinaire),  soulève des questions : faut-il pénaliser l’action publique ? Cela ne va-t-il pas paralyser l’initiative ? L’échelle des sanctions est-elle adaptée ? Le juge pénal a-t-il une compréhension suffisante de l’action publique et de ses contraintes, alors que la Cour de discipline envisageait souvent des circonstances atténuantes ? Comment  apprécier la valeur d’éventuelles circonstances atténuantes ?

La création récente d’une chambre du contentieux à la Cour des comptes et d’une Cour d’appel financière, et la fusion des régimes de responsabilité des gestionnaires et des comptables laissent espérer qu’elle va « rapatrier » la sanction des fautes de gestion au sein de la juridiction administrative. Elles ébranlent la séparation des ordonnateurs et des comptables, et ouvrent la voie à de nombreuses simplifications, et peut-être à un meilleur contrôle, ou bien à de réels dangers si le contrôle reste insuffisant.

La sanction des fautes de gestion s’est complexifiée sans être beaucoup plus efficace  

Certes, la Cour contrôle et évalue les politiques publiques, mais reste largement dépourvue de sanctions vis-à-vis de ceux qui les mènent. La publication au Rapport public de la Cour d’une insertion blâmant les errements du nouveau logiciel de gestion de la paie militaire ou la création catastrophique d’une piste artificielle de ski et d’un zoo au beau milieu de la campagne lorraine ont permis de dénoncer des gaspillages avérés. Elle n’a donné lieu à aucune autre sanction que la condamnation au pilori médiatique d’une administration, qui ne dure qu’un temps, de plus en plus bref. Elle visait à mettre en évidence une chaîne de responsabilités fautives sans en individualiser une, et à braquer le projecteur sur un gaspillage pour éviter qu’il ne se reproduise. Avec la récente réforme du Rapport public annuel, cette arme a été pratiquement abandonnée.

C’était donc la mission de la Cour de discipline budgétaire et financière de sanctionner des errements individuels par le biais des poursuites disciplinaires qu’elle pouvait mener contre leurs auteurs, ou ceux qui auraient donné leur approbation aux décisions incriminées. Les infractions réprimées par la CDBF étaient énoncées aux anciens articles L. 313-1 N° Lexbase : L6429DYR et suivants du Code des juridictions financières et ont été précisées progressivement : ainsi ont été créées une infraction visant à sanctionner l’omission de déclarations fiscales en 1963, des infractions nouvelles en matière d’inexécution de décisions de justice en 1980 et 1987, la faute grave de gestion dans les entreprises publiques en 1995 (Loi n° 95-1251, du 28 novembre 1995, relative à l'action de l'État dans les plans de redressement du Crédit lyonnais et du Comptoir des entrepreneurs N° Lexbase : L8239IQ9). Les conditions constitutives de l’octroi à autrui d’un avantage injustifié (CJF, art L. 313-6 N° Lexbase : L6430DYS) ont été revues en 1971. Au total, huit catégories d’infractions étaient réprimées par la Cour de discipline, dont la violation des règles relatives à l’exécution des recettes, des dépenses et à la gestion des biens des collectivités publiques ou des organismes publics ou privés soumis au contrôle de la Cour des comptes et des chambres régionales et territoriales des comptes (CJF, arts. L. 313-1 N° Lexbase : L6429DYR à L. 313-4 N° Lexbase : L1644ADA). Elles visaient aussi l’octroi d’avantages injustifiés à autrui entraînant un préjudice pour l’organisme ou le Trésor public (CJF, art. L. 313-6 N° Lexbase : L6430DYS), l’omission faite sciemment de souscrire les déclarations à produire aux administrations fiscales (CJF, art. L. 313-5 N° Lexbase : L1645ADB).

Plusieurs arrêts, entre 2018 et 2022, ont caractérisé la faute de gestion dans le cas de manquements aux principes de bonne gestion et à la préservation des intérêts patrimoniaux de l’organisme géré, et d’infractions aux règles comptables et administratives visées par l’art. L 313-4, souvent combiné avec larticle 313-6. On verra qu’à quelques exceptions près, ils n’ont pas sanctionné de très graves errements et surtout que les peines infligées sont restées relativement légères.

Un arrêt du 12 octobre 2018 « École nationale de formation agronomique ENFA », sur la gestion financière et administrative de cette école, a traité de la construction d’une plate-forme de recherche et de son financement, qui a donné lieu à une série de fautes, constitutives de l’infraction prévue à l’article L. 313-4 du Code des juridictions financières, et dans certains cas aussi à l’article L. 313-3 du CJF (engagement de dépenses sans en avoir le pouvoir ou sans avoir reçu de délégation de signature à cet effet). Tout d’abord, la directrice de l’École a décidé, sans en avoir fait délibérer son conseil, de recourir à un marché unique de travaux. Ensuite, elle a engagé ces travaux sans en avoir reçu et sans en avoir garanti le financement et alors même que la situation financière de l’école était peu sûre, et enfin elle a dû souscrire un emprunt dépassant les possibilités financières de l’École. La décision du conseil d’administration de contracter cet emprunt, alors que sa composition était irrégulière, est imputée à la directrice par intérim de l’École qui a convoqué cette instance. D’autres manquements justiciables de l’ancien art. L. 313-4 du CJF sont également relevés mettant en cause d’autres responsables de l’école : présentation et approbation d’états financiers non sincères, absence de suivi de conventions de recherche qui comportaient des risques financiers pour l’établissement, paiement d’heures complémentaires sans fondement réglementaire.

Deux arrêts du 28 juillet 2020 ont été rendus sur la télévision publique (« France Télévisions ») en faisant application de l’ancien art. L. 313-4. Le premier a sanctionné trois directeurs de cet établissement pour avoir signé des protocoles transactionnels et un avenant à un contrat de travail en l’absence d’une saisine préalable du contrôleur général économique et financier, et pour n’avoir pas vérifié le respect des conditions de contrôle économique et financier de l’entreprise. La Cour n’a pas retenu comme circonstances atténuantes que ces accords avaient pu procurer des économies. Le second arrêt a sanctionné trois directeurs de la société pour leurs agissements directs (signature de contrats ou de bons de commande irréguliers) et pour leurs agissements indirects caractérisés par un défaut de contrôle de surveillance et d’organisation. Les amendes ont été très modérées (2500 euros, 2000 euros et 1500 euros), la Cour ayant voulu tenir compte de l’ancienneté de ces pratiques et de la période de flottement qui a accompagné la fusion des sociétés publiques de télévision en une seule.

Un arrêt, du 10 décembre 2020, concerne « l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des infections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) ». Le cas de lONIAM est dautant plus typique que cet établissement public a fait lobjet de critiques de la Cour à plusieurs reprises sans que des améliorations notables aient été apportées à son fonctionnement. À l’occasion de cette dernière affaire, la Cour combine à plusieurs reprises les anciens articles L. 313-4 et L. 313-6 (avantage injustifié procuré à autrui entraînant un préjudice pour le Trésor ou l’organisme intéressé), et elle se prononce sur des irrégularités comptables en matière de recettes. Elle a observé notamment, pour ce qui concerne les recettes de l’Office, que l’Oniam avait failli en ne constatant pas par exemple des droits acquis à son bénéfice, en ne recouvrant pas des frais d’expertise, ou en manquant de rigueur dans l’encaissement des virements et des chèques.

Des arrêts rendus en 2021 ont marqué un certain « durcissement » de la jurisprudence.

Un premier arrêt du 9 mars 2021, « CDC Entreprises- Plan d’attribution gratuite d’actions » a prononcé de lourdes amendes à l’encontre de trois dirigeants d’entreprise publique, qui ont participé à et bénéficié d’une attribution gratuite d’actions pour un montant total de 15 millions d’euros. La Cour a considéré qu’elle pouvait appliquer l’art. 313-4 à des manquements aux principes de bonne gestion et de préservation des intérêts patrimoniaux de l’entreprise, en ce que la distribution de 17 % des dividendes en 2010, et de 16 % en 2011 aux seuls président et directeur général de CDC Entreprises ne pouvait pas trouver de justification dans les objectifs de cette opération, qui aurait consisté à « fidéliser » les cadres de l’entreprise, mais avait lésé l’entreprise du fait d’une remontée de dividendes moindre que celle à laquelle elle pouvait prétendre. Les deux responsables avaient bénéficié respectivement de 533 000 euros sur 40 mois, et 867 000 euros sur 69 mois, ce qui a été considéré par la Cour comme des circonstances aggravantes. Les peines qui leur ont été infligées se sont montées à 70 000 euros dans le premier cas, et 100 000 euros dans le second. Cette jurisprudence apparaît exceptionnelle à bien des points de vue, mais son intérêt est largement minoré du fait qu’elle a fait l’objet d’une cassation par le Conseil d’État pour erreur de droit (CE 5° et 6° ch.-r., 21 avril 2023, n° 452310 N° Lexbase : A41659QC). Après un renvoi devant la chambre du contentieux, le procureur général a classé l’affaire.

Le second arrêt concerne la « Commune de Saint-Denis de La Réunion » (30 septembre 2021). Le maire de la commune a réquisitionné le comptable, engageant ainsi sa responsabilité propre, en lui enjoignant de payer des compléments de rémunérations à des agents communaux. Or ce versement ne respectait pas les règles applicables en matière de justification de la dépense, à savoir une délibération régulière du conseil municipal. La Cour a donc considéré qu’il s’agissait d’un avantage injustifié portant préjudice à la commune, faisant application de l’art L. 313-6, et a fait observer que l’infraction prévue à cet article n’exigeait pas que l’agent responsable ait eu l’intention de procurer à autrui un avantage injustifié ayant causé un préjudice, mais seulement que les décisions prises par cet agent, en méconnaissance de ses obligations, aient abouti à un tel résultat. Elle a accordé des circonstances atténuantes au maire notamment en raison du fait que le comptable public ne s’était pas opposé au paiement de ces rémunérations avant l’intervention d’une délibération, reconnue postérieurement illégale, qui avait pour objet l’amélioration du pouvoir d’achat de ces agents.

Un arrêt du 15 novembre 2021, « Commission du film d’Île-de-France », sanctionne l’ancien directeur de l’établissement qui s’était accordé des primes exceptionnelles sans que cet avantage soit prévu par son contrat ou par une décision de son conseil d’administration. La Cour a fait application des art. L. 313-3 et L. 313-4 et a considéré que ces faits constituaient un manquement particulièrement grave aux devoirs d’un agent public, ce qui en faisait une circonstance aggravante. La condamnation a été fixée à 5 000 euros alors que les primes avaient représenté plus de 66 000 euros entre 2013 et 2016.

En 2022, avant de disparaître, la Cour de discipline budgétaire a un peu accéléré le rythme et rendu dix arrêts dont on ne retiendra que les plus significatifs.

Dans un arrêt du 6 mai 2022, « Conférence des parties à la convention des Nations-Unies sur les changements climatiques COP 21 », la Cour a fait une nouvelle fois application de l’art L. 313-4 pour condamner trois hauts fonctionnaires du Quai d’Orsay à de faibles amendes : le secrétaire général  de la COP 21 à 1000 euros, le responsable du protocole à 1000 euros et le sous-directeur de la logistique, de l’interprétation et de la traduction à 500 euros.

Cependant, les irrégularités n’étaient pas négligeables. En matière de marchés publics, de nombreux errements avaient été observés : absence de publicité et de mise en concurrence pour la construction de la salle plénière du congrès, abusivement commandée par simple avenant (3,84 millions d’euros), désignation irrégulière d’une agence d’architecture comme sous-traitante d’un attributaire à seule fin d’exécuter des prestations non prévues au marché principal, fractionnement de la commande de prestations de conseil, non-respect des seuils des marchés de prestations d’assistance, dépassement des commandes du marché de traiteur. En outre, les personnes en cause avaient confié sans titre la perception de  recettes issues de location d’espaces à un prestataire privé.

La Cour a retenu comme circonstances aggravantes globales le fait que ces personnes étaient conscientes des irrégularités, et comme circonstances atténuantes globales le fait qu’il s’agissait d’un évènement exceptionnel dont les conditions financières étaient maîtrisées. Elle n’a pas admis l’urgence comme circonstance atténuante. Dans le cas du sous-directeur, qui avait alerté par note sur les irrégularités commises, elle a admis des circonstances atténuantes.

L’arrêt « Société publique locale de Mayotte », du 5 juillet 2022 est intéressant en ce qu’il a condamné le président, membre élu de la collectivité territoriale de Mayotte, et le directeur général de la SPL sur le fondement de la faute de gestion et de l’avantage injustifié procuré à autrui entraînant un préjudice pour l’organisme intéressé. Il s’agissait essentiellement de paiements sur quatre marchés litigieux sans que le service fait puisse être établi, mais surtout de graves insuffisances dans le fonctionnement de la société publique, qui s’était avérée incapable d’assurer ses missions. L’amende a été fixée à 5000€ pour chacun.

L’infraction définie à l’article L. 313-4 a été relevée dans l’arrêt du 7 novembre 2022, « Fédération Française d’athlétisme » à l’encontre du directeur financier, de l’ancien trésorier général et de l’ancien président de cet organisme. Les infractions concernaient de nombreuses irrégularités comptables qui avaient été complètement ignorées par les commissaires aux comptes (circonstances atténuantes) : inscription de créances sans justification juridique, écritures comptables erronées ou omises, le tout ayant abouti à majorer les résultats et à porter atteinte à la sincérité des comptes. Les amendes ont été de 2000 euros au directeur financier, 800 euros à l’ancien trésorier général et 500 euros à l’ancien président.

Le bilan de la Cour de discipline budgétaire, en dépit de quelques efforts récents, reste donc maigre.

Le nouveau régime reste complexe

Comme on vient de le voir, l’ancien article L. 313-4 était le point central de la responsabilité des gestionnaires, et sa définition large permettait, combinée notamment avec l’application de l’avantage injustifié à autrui de l’ancien art L. 313-6, de réprimer des fautes de gestion rencontrées lors des contrôles menés par la Cour des comptes. Mais ce système n’avait pas probablement l’ampleur voulue, ni en ce qui concerne les faits réprimés, ni la fréquence et l’ampleur des condamnations.

En quoi consiste le nouveau régime ?

Le nouvel article L 131-9 modifie profondément le régime de responsabilité des gestionnaires publics en restreignant le champ de la faute. Ainsi, désormais : « Tout justiciable au sens de l'article L. 131-1  [7] qui, par une infraction aux règles relatives à l'exécution des recettes et des dépenses ou à la gestion des biens de l'État, des collectivités, établissements et organismes mentionnés au même article L. 131-1, commet une faute grave ayant causé un préjudice financier significatif, est passible des sanctions prévues à la section 3.
Les autorités de tutelle de ces collectivités, établissements ou organismes, lorsqu'elles ont approuvé les faits mentionnés au premier alinéa, sont passibles des mêmes sanctions.
Le caractère significatif du préjudice financier est apprécié en tenant compte de son montant au regard du budget de l'entité ou du service relevant de la responsabilité du justiciable. »

Il appartient donc désormais au nouvel ordre de justice financière, la chambre juridictionnelle de la Cour des comptes, la Cour d’appel financière, et en cassation, au Conseil d’État, d’apprécier désormais, d’une part « l’infraction aux règles relatives à l’exécution des recettes et des dépenses ou à la gestion des biens de l’organisme », ce qui lui permettra de faire application de sa jurisprudence classique, dont on vient de voir quelques exemples, mais aussi d’apporter la démonstration d’une « faute grave » et du caractère « significatif » du préjudice entraîné par cette « faute grave », ce qui est nouveau dans ce cas précis, et enfin d’imputer la responsabilité personnelle du préjudice à un ou des gestionnaires publics.

Par ailleurs, larticle L. 313-6 du CJF désormais abrogé, disposait que  « Toute personne visée à larticle L. 312-1 qui, dans lexercice de ses fonctions ou attributions, aura, en méconnaissance de ses obligations, procuré à autrui un avantage injustifié, pécuniaire ou en nature, entraînant un préjudice pour le Trésor, la collectivité ou lorganisme intéressé, ou aura tenté de procurer un tel avantage sera passible dune amende dont le minimum ne pourra être inférieur à 300 euros et dont le maximum pourra atteindre le double du montant du traitement ou salaire brut annuel qui lui était alloué à la date de linfraction ». Cette disposition ne créait pas pour autant une infraction autonome et définie comme telle, s’il n’existait pas de manquement aux règles d’exécution des recettes et des dépenses.

Depuis le 1er janvier 2023, il a été substitué à cette disposition une infraction codifiée à larticle L. 131-12 du CJF, aux termes duquel « Tout justiciable au sens des articles L. 131-1 et L. 131-4 qui, dans lexercice de ses fonctions ou attributions, en méconnaissance de ses obligations et par intérêt personnel direct ou indirect, procure à une personne morale, à autrui, ou à lui-même, un avantage injustifié, pécuniaire ou en nature, est passible des sanctions prévues à la section 3 ».

Ainsi, dans le nouveau régime, la combinaison de ces deux dispositions reste possible, mais seulement dans la mesure où les conditions plus restrictives de la nouvelle définition de l’infraction se trouvent réunies. Et l’avantage injustifié peut-il être sanctionné de manière autonome.

Un arrêt de la chambre du contentieux (n°S-2023-1184 du 26 septembre 2023) « Régie régionale des transports des Landes » est venu faire jurisprudence sur ce sujet.

La Cour de discipline budgétaire et financière avait été saisie par un réquisitoire introductif du procureur général près la Cour des comptes en date du 16 avril 2021, de fait susceptible de constituer des infractions sanctionnées par cette juridiction, qui remontaient aux années 2016, 2017 et 2018. Ils consistaient en trois séries de faits commis par le directeur de cette  régie, susceptibles d’être constitutifs d’une infraction aux règles d’exécution des dépenses qui auraient conduit ce directeur à l’octroi d’avantages à lui-même [8]. Mais ils n’avaient pas été jugés par la CDBF au moment de l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2022-408, du 23 mars 2022, et, par conséquent, en vertu des dispositions du II de l’article 30 de cette ordonnance, l’affaire a été transmise à la Cour des comptes.

Cet arrêt a permis d’abord à la chambre du contentieux de rappeler les principes constitutionnels de l’application de la nouvelle loi dans le temps ; ainsi, « s’agissant des infractions, le justiciable est susceptible de se prévaloir de l’application immédiate, au présent contentieux, des dispositions plus douces édictées par l’ordonnance ». Or, les nouvelles dispositions sont indéniablement plus douces.

En second lieu, de faire le point des règles de prescription. L’arrêt fait application du nouvel  article L. 142-1-3 du CJF, qui dispose que « la Cour des comptes ne peut être saisie par le ministère public après l’expiration d’un délai de cinq années révolues à compter du jour où a été commis le fait susceptible de constituer une infraction ». La communication du procureur financier près la chambre régionale des comptes de Nouvelle-Aquitaine transmettant le déféré à cette chambre a été enregistrée le 23 décembre 2020. En conséquence, les faits postérieurs au 23 décembre 2015 ne peuvent pas être considérés comme prescrits.

Enfin, la décision de renvoi du procureur général faisait grief au directeur d’avoir signé les feuilles de déplacement et les notes de frais et d’avoir prescrit en tant qu’ordonnateur les dépenses correspondantes, en s’octroyant des remboursements auxquels il ne pouvait prétendre. Elle invitait la Cour à sanctionner exclusivement sur le fondement du nouvel article L. 131-12 l’avantage injustifié, en relevant que le directeur se serait procuré à lui-même cet avantage injustifié, tout en relevant que, si l’avantage injustifié ne pouvait être sanctionné de manière autonome à l’époque des faits, il pouvait l’être sous l’empire de la nouvelle loi.

La Cour des comptes a donné tort au procureur général en rappelant que l’infraction autonome d’octroi d’un avantage injustifié à soi-même nouvellement créée ne saurait avoir un caractère rétroactif et qu’elle ne peut donc pas être retenue pour des faits antérieurs au 1er janvier 2023, même s’ils ne sont pas prescrits.  Le directeur de la régie a été relaxé, au bénéfice de cette interprétation favorable.

Un arrêt de la chambre du contentieux (n°S-2023-1382 du 26 octobre 2023) « Caisse du crédit municipal de Bordeaux », rendu sur réquisitoire supplétif du procureur général en date du 10 janvier 2023, a cette fois-ci condamné un ancien directeur général et un ancien directeur général  adjoint de cet établissement public communal sur la base du nouvel article L 131-9 du Code des juridictions financières en raison de faute grave dans la gestion des crédits octroyés par l’établissement. C’est le premier arrêt à retenir un préjudice financier significatif.

Il s’agissait d’une saisine de la Cour de discipline à lorigine,  transmise à la Cour aux termes de l’ordonnance du 23 mars 2022. Le présumé coupable de l’infraction prétendait que les faits qui lui étaient reprochés étaient prescrits, considérant que les infractions qui avaient justifié le déféré  initial (sur la base des anciens articles L. 313-3, L. 313-4 et L. 313-6) étaient abrogées, et que toute condamnation sur la base d’une infraction abrogée était prescrite, même pour des faits antérieurs à l’abrogation. La chambre du contentieux a confirmé que le législateur avait maintenu la définition de l’infraction, et que le manquement aux règles relatives à l’exécution des recettes et des dépenses, ou à la gestion des biens de l’État, restaient constitutifs d’une infraction avant comme après l’intervention de l’ordonnance.

Elle a fait application des nouvelles dispositions de l’article L. 131-9 du CJF, qui soumettent la constatation de l’infraction à la double condition de la gravité de la faute et de l’existence d’un préjudice financier en résultant. Elle a d’abord veillé à définir la gravité de la faute de gestion en mettant en évidence les défauts du contrôle interne de l’établissement, les manquements relatifs à l’établissement des dossiers de crédit et l’insuffisance des sûretés  prises lors de l’octroi des crédits. Elle ne s’est pas interdit de « retenir l’importance de l’enjeu financier pour qualifier la gravité de la faute » (considérant 113).

Puis, elle s’est attachée à démontrer le caractère significatif du préjudice financier. Dans sa décision de renvoi, le procureur général fait l’effort d’évaluer le préjudice, en additionnant la sanction infligée à l’établissement par la commission des sanctions de l’Autorité de contrôle prudentiel, les honoraires d’avocats et frais d’huissiers induits par le recouvrement des prêts litigieux, le coût du portage de certains prêts litigieux, et une « partie non négligeable » des provisions passées pour les créances litigieuses. La chambre évalue « a minima » le préjudice à 3 940 000 euros. Sans doute gênée par la notion de « budget » contenue dans le texte,  elle assimile de manière un peu hardie le produit net bancaire (entre 7 et 10 millions d’euros par an) au budget de l’entité, mais l’ampleur des provisions passées d’un côté (9 M €), le montant des pertes générées par les prêts litigieux (4,7 millions d’euros) de l’autre, ne laissent pas de doute quant au caractère significatif du préjudice. Les anciens dirigeants ont été condamnés respectivement à 20 000 euros (pour le directeur général) et 10 000 euros (pour le directeur général adjoint) d’amendes.

Enfin, un arrêt rendu le 22 décembre 2023 par la première chambre de la Cour d’appel financière (n° 2024-01 « Société ALPEXPO ») vient confirmer la jurisprudence de l’arrêt « Régie régionale de transport des Landes » sur l’application rétroactive de l’article L. 131-12 du Code des juridictions financières. Le considérant est très clair sur le sujet, qui expose « si, avant le 1er janvier 2023, l’octroi d’un avantage à soi-même pouvait résulter d’une infraction aux règles d’exécution des recettes et des dépenses et constituer par suite une circonstance aggravante de l’infraction définie à l’article L. 313-4, un tel agissement ne constituait pas, en lui-même, une infraction punissable sur le fondement des dispositions de ce Code ». 

L’arrêt d’appel écarte le raisonnement du ministère public en ce qu’il n’apporte pas la preuve de la faute de gestion, et surtout qu’il n’établit pas l’existence d’un préjudice financier significatif, le préjudice ne paraissant pas dépasser 15 000 euros pour un chiffre d’affaires annuel de la société de 6 millions d’euros et un montant de charges d’exploitation annuelles compris entre 8,8 et 6,7 millions d’euros pendant la période.

La chambre du contentieux et la cour d’appel financière ont précisément défini les limites de leurs compétences dans leurs premiers arrêts, quitte à contredire le parquet général soucieux d’une sanction rigoureuse des fautes de gestion.  Les règles de prescription en particulier semblent clarifiées, ainsi que celles touchant au droit applicable dans le temps. Mais, pour que le nouveau régime  puisse nous convaincre de son efficacité, il va falloir que l’évaluation des préjudices et leur exacte imputabilité soient précisées par la jurisprudence, ce qui va demander aux juridictions financières un important et difficile travail d’enquête. En même temps, il faudra également que les déférés concernent des erreurs de gestion suffisamment graves non seulement pour être sanctionnées, mais aussi pour remplir l’objectif pédagogique affiché par la loi. La jurisprudence devra probablement évoluer pour mieux sanctionner notamment l’avantage à soi-même, si l’on veut que la Cour fasse jeu égal avec le juge pénal.

 

[1] Un projet de loi qui transférait à la Cour les compétences de la CDBF en créant une cour d’appel des juridictions financières a échoué en 2009 après son examen en commission des finances de l’Assemblée nationale.

[2] Elle comporte désormais des magistrats de la Cour des comptes et des chambres régionales des comptes

[3] Elle est composée de deux personnalités qualifiées, de quatre membres du Conseil d’État et de quatre membres de la Cour des comptes

[4] Arrêt n° 2024-01, du 12 janvier 2024, commenté ci-après.

[5] Cette disposition fort contestée demeure dans le nouveau régime.

[6] Le détournement de fonds étant sanctionné par l’article 432-15 du Code pénal N° Lexbase : L5517LZD.

[7] Cet article désigne les justiciables de la Cour des comptes.  

[8] Prise en charge de frais de déplacement et de repas sans lien avec les besoins ou nécessités du service, remboursement de déplacements de son domicile à son lieu de travail, au surplus sur la base d’un kilométrage ne correspondant pas à la  distance entre ces deux , prise en charge de frais de repas sur le lieu de travail.

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Construction

[Brèves] Contrat de construction de maison individuelle (CCMI) avec ou sans fourniture de plan : chronique trimestrielle d’actualité

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par Juliette Mel, Docteur en droit Avocat au barreau de Paris, M2J Avocats et Thi-Minh N’Guyen, Docteur en droit, Juriste, M2J Avocats

Le 06 Mars 2024

Mots-clés : CCMI • contrat d’entreprise • maîtrise d’œuvre • condition suspensive • terrain • propriété • droits réels • travaux réservés • chiffrage • résiliation • indemnité forfaitaire contractuelle • réception tacite • réserves • responsabilité du constructeur • désordres retard de livraison • pénalités de retard • garantie de livraison

La profession est en crise. Nombreux sont les constructeurs de maisons individuelles qui risquent la déconfiture cette année, mais encore selon les prochaines années à venir. Pour autant, la jurisprudence demeure toujours aussi sévère dans l’interprétation des dispositions légales et règlementaires, pour l’essentiel d’ordre public, particulièrement protectrices des accédants à la propriété, comme en témoignent les dernières décisions de la Cour de cassation et de différentes cours d’appel, relevées dans la présente chronique.


 

Le régime du contrat de construction de maison individuelle (CCMI) est instauré depuis l’adoption de la loi n° 90-1129 du 19 décembre 1990 relative au contrat de construction d’une maison individuelle. Plus de trente ans ont été passés, le CCMI devient un outil essentiel et indispensable pour tous les constructeurs qui construisent des maisons ne comportant pas plus de deux logements.

L’emploi des modèles de CCMI avec des clauses type est courant, voire obligatoire dans la mesure où les marchés privés aux fins de construire une maison peuvent être requalifiés en CCMI par le juge, en fonction du périmètre de la mission de l’entrepreneur. Dans son arrêt en date du 12 décembre 2023 (CA Toulouse, 12 décembre 2023, n° 20/02839 N° Lexbase : A06692EI), la cour d’appel de Toulouse a confirmé la décision rendue par le juge en première instance en ce qu’il qualifie le contrat d’entreprise sous intitulé « contrat de maîtrise d’œuvre » en CCMI, malgré l’insertion d’une clause dans ce contrat qui indique que le maître d’ouvrage conclut directement des marchés en lots séparés avec les entreprises de divers corps d’état. Le juge a retenu qu’en réalité, le maître d’œuvre a suggéré les choix des entreprises, avec des recommandations personnelles, au maître d’ouvrage et présenté un descriptif des différents lots du marché des travaux et une fiche détaillée listant des différents corps d’état, afin de conclure que la mission réelle du maître d’œuvre n’est pas compatible avec un contrat de maîtrise d’œuvre et de le requalifier en CCMI.

Dès lors, les obligations de l’entreprise en charge de la construction d’une maison individuelle sont hautement exigées. L’emploi d’un CCMI dans ce type d’opération est fortement recommandé.

Il sera présenté, ci-après, une sélection des décisions rendues par la Cour de cassation ainsi que les juridictions du fond, lors de trois derniers mois, à propos de la conclusion du CCMI (I), de son exécution (II) et enfin au sujet des responsabilités de différents acteurs intervenants à la conclusion du CCMI (III).

I. La conclusion du CCMI

La conclusion du CCMI est soumise aux conditions suspensives, dont les droits du maître d’ouvrage sur le terrain (A), et doit comporter des éléments obligatoires parmi lesquels se trouve le chiffrage des travaux réservés (B).

A. Les droits réels sur le terrain du maître de l’ouvrage

La validité du CCMI dépend de la réalisation des conditions suspensives, en application des dispositions de l’article L. 231-4, I, du Code de la construction et de l’habitation (CCH) N° Lexbase : L7279AB9.

Fait partie des conditions suspensives, la condition sur les droits réels du maître d’ouvrage à l’égard du terrain lors de la signature du CCMI. Soit le maître d’ouvrage possède un titre de propriété, soit il bénéfice des droits réels permettant de construire lors qu’il s’agit d’une promesse de vente.

Dans son arrêt du 7 février 2024 (CA Paris, 4, 5, 7 février 2024, n° 21/09726 [LXB=A73312L4), la cour d’appel de Paris a estimé, en retenant que lors de la signature du CCMI, la promesse de vente du terrain n’a pas été signée par tous les promettants, que le maître d’ouvrage n’avait pas bénéficié d’une promesse de vente valable et, en conséquence, déclaré que le CCMI signé est nul.

B. Le chiffrage des travaux réservés

Le prix du CCMI est composé du coût des travaux à la charge du constructeur et, dans plusieurs cas, du chiffrage des travaux dits « réservés » dont le maître d’ouvrage se réserve l’exécution. Il reste donc, dans certains cas, des travaux qui s’avèrent indispensables à l’implantation et à l’habitabilité de la maison, mais non prévus, ni dans le coût des travaux à la charge du constructeur, ni dans le chiffrage des travaux réservés à la charge du maître d’ouvrage. La position de la Cour de cassation à propos de la prise en charge de ces travaux est claire : le coût des travaux indispensables et non chiffrés parmi les postes des travaux figurant sur la notice descriptive obligatoirement annexé au contrat est réputé compris dans le coût forfaitaire à la charge du constructeur.

Dans un arrêt en date du 21 décembre 2023 (Cass. civ. 3, 21 décembre 2023, n° 22-14.740, F-D N° Lexbase : A66652A4 ; v. J. Mel, Lexbase Droit privé, n° 970, 18 janvier 2024 N° Lexbase : N8090BZN), la Haute juridiction a, encore une fois, confirmé sa position, en condamnant, sans renvoi, in solidum, le constructeur et son garant de livraison à payer le maître d’ouvrage le coût des travaux d’aménagement d’accès au chantier qui sont indispensables à l’implantation de l’immeuble mais non prévus et non chiffrés dans la notice descriptive.

II. L’exécution du CCMI

Les décisions présentées ci-après concernant les situations particulières lors de la phase d’exécution du CCMI, à savoir la résiliation du CCMI après la réalisation des conditions suspensives (A) et la réception tacite (B).

A. La résiliation du CCMI après la réalisation des conditions suspensives

Il arrive que le maître d’ouvrage demande la résiliation du CCMI pour ses propres raisons, et avant le démarrage des travaux en demandant la restitution par le constructeur des sommes déjà versées. Toutefois, dans un contexte où l’ensemble des conditions suspensive sont réalisés et le constructeur s’est déjà investi dans l’avancement des travaux, il est question pour le constructeur le paiement du coût de son travail réalisé, ainsi que l’indemnité en dédommageant ce que ce dernier aurait pu gagner.

Tel fut le cas de l’affaire dans laquelle la cour d’appel de Paris a rendu son arrêt le 13 décembre 2023 (CA Paris, 4, 5, 13 décembre 2023, n° 20/14623 N° Lexbase : A73322DW). Malgré la réalisation des conditions suspensives, le maître d’ouvrage a tenté l’action en nullité du CCMI pour obtenir le remboursement des sommes versées. La cour a rejeté les demandes de voir prononcer la nullité et la résolution judiciaire du CCMI formées par le maître d’ouvrage, ordonné la résiliation du CCMI en appliquant la clause spécifique du contrat de construction dans les termes suivants « cette clause vise à compenser l’exercice d’une faculté de résiliation accordée au maître d’ouvrage », pour enfin accorder au constructeur l’indemnité forfaitaire contractuelle en cas de résiliation du contrat par le maître d’ouvrage.

B. La réception tacite

La réception permet au maître d’ouvrage de prendre possession de l’ouvrage et au constructeur de solder son marché. Quand elle est prononcée avec réserve, le solde du prix sera donc consigné avec l’accord du constructeur, dans l’attente que ce dernier lève les réserves. Il s’agit d’un rendez-vous aux fins de réception de l’ouvrage et à l’issue de ce rendez-vous, un procès-verbal de réception pourrait être établi et signé par les deux parties, sans ou avec réserve.

Toutefois, il se peut que ce rendez-vous n’ait pas lieu et aucun procès-verbal de réception ne soit établi, et que le maître d’ouvrage prenne quand-même possession de la maison. Dans ce cas, il est donc question d’évoquer la réception tacite. La Cour de cassation a retenu, aux termes de son arrêt du 21 décembre 2023 (Cass. civ. 3, 21 décembre 2023, n° 22-15.655, F-D N° Lexbase : A65992AN), la volonté non équivoque du maître d’ouvrage de recevoir l’ouvrage en ce qu’il a pris possession des maisons au mois de juillet 2009 et réglé, au 1er octobre 2009, le solde de la facture « en ce compris la retenue de garantie de 5% », pour fixer la réception tacite « à la dernière de ces dates ».

III. Les responsabilités des acteurs intervenants à la conclusion du CCMI

Hormis les parties contractuelles, d’autres intervenants jouent un rôle indispensable lors de la conclusion du CCMI, tel est le cas du garant de livraison. Le maître d’ouvrage, en payant son marché, peut réclamer le dédommagement de son préjudice en mettant en cause soit la responsabilité du constructeur (a), soit de la responsabilité du garant de livraison (b), ou des deux.

A. La responsabilité du constructeur

Au titre du CCMI, le constructeur exécute les prestations détaillées dans les documents contractuel, moyennant le prix payé. Il s’agit donc de sa responsabilité contractuelle. Toutefois, la responsabilité du constructeur peut être recherchée dans le résultat de son travail, lorsque ces travaux sont affectés des désordres et non-conformité

La cour d’appel de Nîmes s’est récemment prononcée à ce sujet, dans son arrêt rendu le 25 janvier 2024 (CA Nîmes, 25 janvier 2024, n° 22/01393 N° Lexbase : A61262HD). En l’espèce, les travaux de couverture réalisés par le constructeur auraient été, selon le maître d’ouvrage, l’origine des coulures anormales sur les façades de sa maison. La cour a retenu, à partir du rapport d’expertise judiciaire que ces travaux ne sont pas conformes aux règles de l’art, que le constructeur était entièrement responsable des préjudices subis par le maître d’ouvrage en raison de cette non-conformité.

Les engagements du constructeur ne s’arrêtent pas à ce que les travaux soient réalisés dans les règles de l’art. D’ailleurs, il s’agit d’une particularité du CCMI car on évoque ci-après la responsabilité du constructeur en cas de retard de livraison.  Si le contrat contient une clause sur le paiement des pénalités de retard par le constructeur en cas de retard de livraison, dont le montant journalier ne peut être fixé à un montant inférieur à 1/3000 du prix, de nombreux contentieux actuels se forment, encore et toujours, à propos du terme pour le calcul des pénalités de retard contractuelles ainsi que des préjudices conséquence du retard pris dans la réalisation des travaux. Ainsi, dans son arrêt du 5 décembre 2023 (CA Lyon, 5 décembre 2023, n° 23/02031 N° Lexbase : A8938178), la cour d’appel de Lyon, a accordé une provision au titre du retard pris dans la réalisation des travaux, au motif que ce dernier justifiait « de manière incontestable d’un préjudice résultant du retard pris dans les travaux et excédant la simple application des pénalités de retard ».

B. La responsabilité du garant de livraison

La garantie de livraison fait partie des conditions suspensives au sens de l’article L. 231-4 du Code la construction et de l’habitation. Il s’agit d’un élément essentiel du CCMI en ce que le garant porte caution solidaire du constructeur contre les risques d’inexécution ou de mauvaise exécution des travaux prévus au contrat par ce dernier. Dès lors, lorsque le maître d’ouvrage constate le retard de livraison ou les désordres affectant les travaux, peut solliciter l’intervention du garant, en dépit d’une procédure collective ordonnée à l’encontre du constructeur.

Ainsi et dans une situation comparable, la Cour de cassation, aux termes de son arrêt en date du 21 décembre 2023 (Cass. civ. 3, 21 décembre 2023, n° 22-15.655, F-D N° Lexbase : A65992AN), a retenu que la garantie de livraison est mobilisable. Dans un autre arrêt rendu par la Haute juridiction du même jour (Cass. civ. 3, 21 décembre 2023, n° 22-14.740, F-D N° Lexbase : A66652A4 ; v. J. Mel, Lexbase Droit privé, n° 970, 18 janvier 2024 N° Lexbase : N8090BZN), la responsabilité du garant en sa qualité de caution solidaire a été étendue à plusieurs postes mettant en cause la responsabilité contractuelle du constructeur qui était, pourtant, in bonis lors de la première instance judiciaire.

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Copropriété

[Brèves] Le quitus donné au syndic fait-il obstacle à une action en responsabilité délictuelle engagée par un copropriétaire ?

Réf. : Cass. civ. 3, 29 février 2024, n° 22-24.558, FS-B N° Lexbase : A26212Q7

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par Anne-Lise Lonné-Clément

Le 06 Mars 2024

► Le copropriétaire, qui vote en faveur d'une résolution de l'assemblée générale d'un syndicat des copropriétaires donnant quitus au syndic, s'il n'est pas recevable à demander, en application de l'article 42, alinéa 2, de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965, l'annulation de cette résolution, peut rechercher la responsabilité délictuelle du syndic pour obtenir réparation d'un préjudice personnel né de sa faute.

Ce faisant la Cour de cassation apporte une réponse claire à une question qui restait en suspens devant les juridictions du fond, et sur laquelle elle n’avait encore jamais, à notre connaissance, été amenée à se prononcer.

Elle confirme ainsi la position de certaines cours d’appel (CA Paris, 23e, B, 10 février 2005, n° 04/07762 N° Lexbase : A1329DHP ; CA Caen, 1ère, 7 décembre 2010, n° 09/01093 N° Lexbase : A0871GQC), qui avaient effectivement pu retenir que le quitus donné au syndic ne saurait valoir décharge de responsabilité pour celui-ci à l'égard d'un copropriétaire déterminé dans le cas où les manquements qui lui sont reprochés à titre personnel ont causé un préjudice personnel et direct à ce copropriétaire.

Toutefois, dans un autre arrêt, les juges parisiens avaient retenu qu’une telle action en responsabilité (quasi) délictuelle contre le syndic ne pouvait être ouverte qu’aux seuls copropriétaires opposants ou abstentionnistes s’agissant de la résolution relative au quitus donné au syndic (CA Paris, 19e, A, 23 juin 2004, n° 2002/15179 N° Lexbase : A3029DDK).

Mais comme avait pu le relever un auteur, cette dernière solution paraissait néanmoins discutable « dans la mesure où le copropriétaire votant ès qualité en assemblée générale exprime la position du syndicat des copropriétaires, dans ses rapports contractuels avec le syndic, et non sa position personnelle avec le syndic qui est un tiers pour lui » (P.-E. Lagraulet, ETUDE : Le syndic de copropriété, v. spéc. Le quitus, in Droit de la copropriété (dir. P.-E. Lagraulet), Lexbase N° Lexbase : E75834D9).

C’est bien ce que confirme ici la Cour suprême dans son arrêt rendu le 29 février 2024, en énonçant clairement que « le copropriétaire, qui vote en faveur d'une résolution de l'assemblée générale du syndicat des copropriétaires donnant quitus au syndic, s'il n'est pas recevable à demander, en application de l'article 42, alinéa 2, de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 N° Lexbase : L4849AH3, l'annulation de cette résolution, peut rechercher la responsabilité délictuelle du syndic pour obtenir réparation d'un préjudice personnel né de sa faute ».

La cour d'appel de Rouen avait, dès lors, retenu, à bon droit, que le quitus donné par l'assemblée générale des copropriétaires était sans effet sur la responsabilité délictuelle du syndic vis-à-vis d’un copropriétaire (CA Rouen, 12 octobre 2022, n° 21/01091 N° Lexbase : A71738PD).

En l’espèce, la cour avait relevé qu'en 2010, le syndic avait été alerté sur l'urgence de remédier à des infiltrations causées par le défaut de jointoiement de briques et au gondolement d'une poutre de façade mais qu'il n'avait alors pas sollicité l'avis d'un architecte ou d'un technicien de structure, qu'en 2013, il avait saisi un architecte qui, assisté d'un bureau d'études, avait préconisé la pose en urgence d'un étaiement sur l'ensemble des niveaux afin de stabiliser l'immeuble, et qu'il n'avait pas soumis à l'assemblée générale, avant le 5 octobre 2016, les travaux nécessaires qui, votés, n'avaient cependant été mis en oeuvre qu'en 2018.

Selon la Haute juridiction, la cour avait pu en déduire que la négligence du syndic, à compter de 2010, était à l'origine du retard de réalisation des travaux et de la pose d'un étaiement qui avait dû être maintenu du 3 octobre 2013 au 1er octobre 2018, et avait ainsi légalement justifié sa décision de condamner le syndic à indemniser la copropriétaire des préjudices financier et de jouissance subis.

Pour aller plus loin : cet arrêt fera l’objet d’un commentaire approfondi par Martine Dagneaux, à paraître prochainement dans la revue Lexbase Droit privé.

newsid:488644

Droit des étrangers

[Brèves] Validation de l’expulsion d’un imam ayant tenu des propos polémiques

Réf. : TA Paris, 4 mars 2024, n° 2404728 N° Lexbase : A77142R7

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par Yann Le Foll

Le 06 Mars 2024

Est justifiée l’expulsion d’un imam ayant tenu des propos de nature, notamment, à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l’État.

Grief. Le requérant demande la suspension de l’exécution de l’arrêté du 21 février 2024 par lequel le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer lui a, d’une part, retiré son titre de séjour et l’a expulsé du territoire français et a, d’autre part, fixé le pays de destination duquel il sera éloigné.

Rappel. En vertu de l’article L. 631-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile N° Lexbase : L7590L7A, « l’autorité administrative peut décider d'expulser un étranger lorsque sa présence en France constitue une menace grave pour l'ordre public /…/. ». Aux termes de l’article L. 412-7 de ce code : « L'étranger qui sollicite un document de séjour s'engage, par la souscription d'un contrat d'engagement au respect des principes de la République, à respecter la liberté personnelle, la liberté d'expression et de conscience, l'égalité entre les femmes et les hommes, la dignité de la personne humaine, la devise et les symboles de la République (…) ».

Position TA. L’intéressé développe un discours théorisant la soumission de la femme à l’homme et impliquant que les femmes ne puissent bénéficier des mêmes libertés ou des mêmes droits que les hommes, en méconnaissance du principe constitutionnel d’égalité.

Il tient des propos contre les principes de la République en s’en prenant au drapeau français, emblème national et en faisant l’éloge de la charia. Les propos proférés sont des actes de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur non-appartenance à la religion musulmane ou à l’appartenance à un autre courant de l’Islam.

En outre, ses propos envers les Juifs désignés, notamment, comme les ennemis historiques des musulmans qu’il faut combattre sont constitutifs d’actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre les Juifs. Il a aussi tenu des propos incitant au terrorisme en faisant une apologie du djihad.

Ce comportement, d’une particulière gravité, entre dans le champ de la loi (CESEDA, art. L. 631-3) permettant son expulsion, en urgence absolue, en dépit de la durée de sa résidence habituelle en France et de son séjour régulier depuis plus de vingt ans.

Décision TA. Cette décision d’expulsion ne porte pas une atteinte grave et manifestement illégale à sa liberté d’aller et venir et à sa vie privée et familiale (voir pour une décision dans le même sens, CE référé, 30 août 2022, n° 466554 N° Lexbase : A52988GC).

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Droit pénal de l'environnement

[Jurisprudence] Droit pénal de l’environnement : l’exploitation agricole, cette terre inconnue

Réf. : Cass. crim., 16 janvier 2024, n° 22-81.559, FP-B N° Lexbase : A18192E4

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N8483BZ9

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par Tom Bonnifay, Avocat, Vouland Avocats

Le 06 Mars 2024

Mots-clés : droit pénal de l’environnement • Office de la biodiversité • inspecteurs de l’environnement • contrôle • exploitation agricole • information préalable • procureur de la République

L'arrêt commenté ne calmera pas la colère des agriculteurs. Selon la Cour de cassation, une terre agricole ne constitue ni un domicile, ni un établissement, ni un local, ni une installation professionnelle. Elle demeure un objet juridique non identifié, dépourvu de toute protection spécifique. En réaction, l'auteur suggère une réforme des procédures de recherches et constatations en droit pénal de l'environnement, basée sur la notion de lieu professionnel clos. Une telle réforme conférerait à la matière davantage de cohérence et de légitimité.

Dans la seconde partie du commentaire, nous aborderons l'émergence croissante de la notion prétorienne de "déclarations sommaires", qui autorise la Cour de cassation à contourner les formalités relatives aux auditions libres ou aux gardes à vue. Nous examinerons également la possibilité de contester la validité des déclarations sommaires émises par un tiers.


 

Peu savent que sur cette île gracieuse qu'est la Corse, se cachent les cohortes les plus imposantes de tortues d'Hermann. Comme l'auteur de ces mots, ces reptiles sédentaires affectionnent les campagnes, les prairies fauchées, les pâturages, les étendues dégarnies de bosquets et de haies.

Vivre de concert avec les paysans n'est pas toujours une sinécure. Les méthodes agricoles modernes, en particulier le débroussaillage mécanique à l'aide de gyrobroyeurs, conspirent à l'extinction de cette espèce en voie de disparition.

Un plan d’action national a été établi pour les années 2018 à 2027. Il s'emploie à préserver cette espèce dont la protection est garantie par la Convention de Washington du 3 mars 1973, la Convention de Berne du 19 septembre 1979, et l'arrêté du 19 novembre 2007, l'inscrivant sur la liste des reptiles sous protection sur tout le territoire [1].

Ainsi, fin décembre 2018, lorsque les services de l’Agence française de la biodiversité (devenu Office de la Biodiversité) constatent des travaux au Mont Sant'Angelo, niché à 1 200 mètres entre la Casinca et Castaniccia, ils se rendent rapidement sur les lieux. Ce site renommé pour son rassemblement imposant de tortues d'Hermann.

À l’occasion d’un premier déplacement en janvier 2019, les inspecteurs de l’environnement découvrent une dizaine de cadavres de tortues sur les parcelles en chantier. Au cours de leur deuxième inspection, arpentant la zone dévastée par le gyrobroyage, ils dénichent vingt-quatre carapaces et cadavres de ces créatures lentes.

Un rapport de la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement de Corse du Sud (DREAL) estime, sur les vingt-trois hectares de terrain, qu’entre cent seize et trois cent quarante-neuf tortues ont été tuées. Le gain financier, évalué au regard du référentiel « ERC » (éviter-réduire-compenser), est évalué entre 115 000 et 190 000 euros.

Au terme de cette enquête, l'agriculteur à l'origine des travaux se retrouve devant le tribunal correctionnel d'Ajaccio. Il est prévenu de destruction non autorisée d'espèce animale non domestique et espèce protégée et altération ou dégradation non autorisée de l'habitat d'une espèce animale protégée non domestique, ainsi que de mutilation non autorisée d'espèce animale non domestique - espèce protégée.

En première instance comme en appel, il est condamné à la peine de deux ans d’emprisonnement avec sursis probatoire et 35 000 euros d’amende sur le plan pénal. Sur les intérêts civils, la cour d’appel reçoit les constitutions de parties civiles de trois associations de protection de l’environnement et des animaux, et condamne le prévenu au paiement de dommages et intérêts.

Ce dernier forme un pourvoi en cassation.

Sur le fond, le prévenu ne conteste pas avoir effectué des travaux d’aménagement des parcelles agricoles qu’il louait, même s’il en minimise l’impact sur l’environnement.

L’intérêt du pourvoi est ailleurs.

L’auteur du pourvoi conteste le rejet par les juridictions du fond de ses deux moyens de nullité. Il demande l’annulation des procès-verbaux de constatations et d’investigations dressés par les inspecteurs de l’environnement lors de leurs visites en faisant valoir que le procureur de la République n’a pas été avisé des différentes visites des parcelles closes en violation de l’article L. 172-5 du code de l’environnement (I.). Il sollicite également l’annulation des procès-verbaux qui rapportent des propos qu’il a tenus aux inspecteurs de l’environnement hors le cadre d’une audition formelle (II.).

I. La constatation des infractions sur un terrain agricole par l’Agence française de la biodiversité

Identification du problème et réponse de la Cour de cassation. L’article L. 172-5 du Code de l’environnement N° Lexbase : L5244LRN, dans sa version en vigueur à l’époque des faits, permet aux inspecteurs de l’environnement de rechercher et constater les infractions prévues par le Code de l’environnement « en quelque lieu qu’elles soient commises ».

Ils sont tenus d’informer le procureur de la République, qui peut s’y opposer, avant d’accéder à certains établissements, tels que les locaux professionnels et installations dans lesquels sont réalisées des activités de production, de fabrication, de transformation, d'utilisation, de conditionnement, de stockage, de dépôt, de transport ou de commercialisation (C. env., art. L. 172-5 1°). Le défaut d’information du parquet affecte nécessairement la validité des actes effectués par le fonctionnaire ou l’agent (Cass. crim., 21 mars 2023, n° 22-82.343, F-B N° Lexbase : A88349IZ).

Au cours de la visite, ils peuvent demander à se faire communiquer tous les documents relatifs à l’objet du contrôle (C. env., art. L. 172-11 N° Lexbase : L5247LRR). On précise que « seuls les documents volontairement communiqués peuvent être copiés ou saisis » (Cons. const, décision n° 2023-1044 QPC, du 13 avril 2023, § 33 N° Lexbase : Z398382W).

La question posée est celle-ci : une exploitation agricole, ceinturée de clôtures, peut-elle être assimilée à un « établissement, local ou installation professionnels » au sens de l’article L. 172-5 du Code de l’environnement ?

Deux perspectives diamétralement opposées s'offrent à la réflexion.

Fallait-il se conformer à une lecture textuelle stricte de l'article L. 172-5 pour affirmer qu'un champ agricole n'était ni un établissement, ni un local, ni une installation ? Devait-on considérer que le régime de protection instauré par cet article était une exception interprétée à la lettre et qu'il distinguait non seulement entre lieux privés et lieux professionnels, mais également au sein des lieux professionnels, selon les activités qui s'y déroulaient ?

Ou bien, ne devait-on pas privilégier le critère du caractère professionnel et clos du lieu visité ? Une terre agricole bordée de clôtures, où paissent les bovins, ne constituait-elle pas nécessairement un endroit à vocation professionnelle, méritant la même protection légale qu'une usine, un entrepôt, un moulin, un atelier... ?

La Chambre criminelle, suivant l’exemple des juridictions de fond, retient l’analyse littérale pour exclure les terres agricoles, même entièrement barricadées, de la catégorie susmentionnée. Celle-ci s'appliquait non pas à tous les lieux à usage professionnel, mais uniquement à ceux envisagés dans le 1° de ce texte, à savoir les établissements, locaux professionnels et installations où s'exercent les activités de production, de fabrication, de transformation, d'utilisation, de conditionnement, de stockage, de dépôt, de transport ou de commercialisation.

Par conséquent, l'avis du procureur de la République ne s'avérait pas nécessaire lorsqu'il s'agissait de constater des infractions sur un terrain agricole, même si ce dernier était cloisonné de toutes parts.

Analyse. D’un point de vue sémantique, il est clair qu’une exploitation agricole n’est ni une installation ni un local.

En revanche, à lire la définition d’ « établissement » dans le Littré, la réponse est moins évidente. Il s’agit du « lieu où une personne fixe […] le siège de ses affaires. […] Ce qui sert essentiellement à l’exercice d’une profession, d’un métier. » Cette définition, ample, semblerait englober le domaine clos où l'éleveur exerce son activité.

Toutefois, il demeurait essentiel que ces terres soient le théâtre d'activités de production, de fabrication, de transformation, d'utilisation, de conditionnement, de stockage, de dépôt, de transport ou de commercialisation.

Il semble que, pour la Cour de cassation, la mission professionnelle de l'éleveur ne s'inscrive dans aucune de ces activités.

Si la sémantique est sauve, la cohérence juridique, elle, est quelque peu sacrifiée.

Le droit pénal de l'environnement, territoire morcelé, se dessine souvent dans des contours peu perceptibles.

C'est certainement du ressort du législateur, mais la Chambre criminelle, elle, a manqué l'opportunité d'insuffler un peu d'homogénéité.

Dans l'état actuel de cette décision, la terre agricole partage le même statut juridique qu'un bien délaissé ou abandonné, alors même qu'elle est un lieu de labeur.

Cette absence totale de protection suscite bien des interrogations, surtout au regard du principe constitutionnel d'égalité devant la loi. Pour quelle raison objective un terrain agricole clos, où paissent les bovins, ne bénéficierait-il d'aucune protection, à la différence d'un entrepôt de stockage, par exemple ?

Ne serait-il pas judicieux d'étendre la protection de l'article L. 172-5 à tous les lieux à usage professionnel, pourvu qu'ils soient clôturés ?

Le législateur connait la catégorie spécifique des « terrains clos » ou des « enclos ».

Ainsi, en matière de visite d’agents de l’administration aux fins de constatation et recherche d’infractions, il est fait état de « terrains clos » dans l’article L. 205-5 du Code rural et de la pêche maritime N° Lexbase : L3869LTH, et encore sous la réserve qu’y soient présents certains produits et réalisées certaines opérations. Le législateur sait aussi préciser, lorsqu’il le souhaite, qu’il doit s’agir de lieux où l’accès est autorisé au public, ce qu’il n’a pas fait dans l’article L. 172-5.

De la même manière, l’article L. 171-1 du Code de l’environnement N° Lexbase : L7375MGA relatif aux contrôles administratifs comporte une référence aux « enclos ». Cette rédaction résulte de la loi n° 2023-54 du 2 février 2023 visant à limiter l'engrillagement des espaces naturels et à protéger la propriété privée N° Lexbase : L7097MGX.

D’autres textes se réfèrent à des terrains clos, comme l’article L. 424-3 du Code de l'environnement N° Lexbase : L7377MGC, en matière de chasse, ou l’article 413-7 du Code pénal N° Lexbase : L1829AMP, s’agissant de l’introduction dans un lieu protégé au titre de la défense nationale. La portée de ces textes ne revêt toutefois pas la même pertinence que celle de l’article L. 205-5 du Code rural et de la pêche maritime N° Lexbase : L3869LTH qui concerne des opérations de visite d’agents de l’administration.

La notion de lieu de travail clos pourrait constituer la base commune sur laquelle reposerait un régime de protection spécifique.

Il revient aux avocats d’obliger le législateur à s’emparer du sujet.

II. Le recueil des déclarations à l’occasion d’investigations

Identification du problème et réponse de la Cour de cassation. Les inspecteurs de l’environnement peuvent consigner, par procès-verbal, les déclarations de toute personne, qu'elles soient faites sur convocation ou sur place, pour étayer leurs constatations sur place (C. env., art. L. 172-8 N° Lexbase : L5245LRP).

Les personnes entendues procèdent elles-mêmes à sa lecture, peuvent y faire consigner leurs observations et y apposent leur signature. Tout refus de signature est noté sur le document.

Dans notre affaire, deux procès-verbaux dressés par l'office de la Biodiversité étaient contestés. Le premier rapportait de manière indirecte les propos du prévenu, le second ceux d'un de ses employés. Ce dernier avait confirmé avoir vu des centaines de tortues sur les terrains des travaux et avoir « essayé d’en tuer le moins possible », bien qu'il en ait vu des mortes.

La cour d'appel a rejeté l'exception de nullité, affirmant que les procès-verbaux se contentaient de rapporter les paroles spontanées du prévenu, n'étant pas une audition au sens de l'article 172-8 du Code de l'environnement. Les juges du premier degré ont également noté que le procès-verbal ne portait pas préjudice au prévenu, car il ne s'incriminait pas dans les brèves déclarations retranscrites.

La Cour de cassation a dû trancher deux questions. Premièrement, le demandeur peut-il contester la nullité de la collecte des déclarations d'un tiers ? Ensuite, cette collecte est-elle assujettie aux formalités de l’article L. 172-8 du Code de l’environnement ?

En ce qui concerne les déclarations du prévenu, la Cour suprême souligne que le procès-verbal se limite à « transcrire les propos sommaires (du prévenu) sur les travaux qu'ils observaient sur place. »

La collecte de tels propos échappe aux formalités de l'article L. 172-8 du Code de l'environnement.

En ce qui concerne les déclarations de l'employé, la Cour de cassation estime que le prévenu peut demander l'annulation, car le procès-verbal n'est pas signé, une formalité visant à « authentifier les déclarations de l'intéressé ».

Elle précise toutefois que les agents, interrogeant l'ouvrier sur plusieurs mois d'opérations, ont ainsi recueilli ses déclarations indirectes sur divers points, obligeant à respecter les formalités de l'article L. 172-8.

Cependant, elle atténue la portée de cette irrégularité en soulignant que le requérant n'a pas contesté dans ses conclusions l'exactitude de la transcription de l'ouvrier, ne soulevant pas de grief justifiant l'annulation du procès-verbal.

Ainsi, elle écarte le moyen, le requérant n'ayant pas démontré l'existence d'un grief.

Analyse. Une double analyse s’impose.

Sur la notion de « propos sommaires », récente invention de la Cour de cassation, une forme dégradée d'audition émerge, graduelle dans son formalisme selon la portée des propos et les modalités de collecte. Récemment, la Haute juridiction a déclaré que la simple collecte de « déclarations sommaires » dans l'espace public par la DREAL ne nécessite pas de notification préalable du droit au silence (Cass. crim., 6 juin 2023, n° 22-86.685, F-B N° Lexbase : A24279YK). La Chambre criminelle distingue ces déclarations sommaires de l'audition libre, évitant une interprétation extensive de cette dernière.

Approuvant l'arrêt, le professeur Robert souligne : « Interprétée de manière extensive, la notion d'audition libre obligerait à l'abstention totale des fonctionnaires avant toute notification des droits. Pour éviter cette absurdité, la Chambre criminelle a créé une notion distincte, le recueil de 'déclarations sommaires » [2].

Quant à la question du grief, elle revêt un intérêt particulier pour les avocats.

L'absence de signature d'un procès-verbal offre une exception à la règle selon laquelle l'irrégularité d'une audition ne peut être soulevée que par les personnes concernées.

Cependant, pour contester efficacement, l'avocat doit souligner dans ses conclusions écrites que les déclarations transcrites diffèrent de celles effectuées. Sans cette mise en évidence, le moyen de nullité sera rejeté, faute de grief.

Ainsi, il n’y a pas de présomption d’insincérité. Une pensée contraire aurait pu surgir, car, sauf exception, la valeur probante d'un procès-verbal dépend de sa régularité formelle (C. proc. pén., art. 429 N° Lexbase : L3835AZ3). Lorsqu'un procès-verbal n'est pas signé, son irrégularité formelle devrait susciter la prudence quant à la fiabilité des propos rapportés. D’autant que l’avocat et son client ne connaissent pas toujours les véritables propos qui ont été tenus par le tiers dont l’audition a été irrégulièrement réalisée.

En tout cas, l’avocat ne doit pas négliger le grief.

Conclusion.

Les agriculteurs, tout comme les praticiens du droit pénal de l'environnement, attendent avec impatience le « choc de simplification » annoncé par le Premier ministre Gabriel Attal. Ils espèrent que cette initiative apportera cohérence et unicité à la matière.

Il est temps pour le législateur de démêler l'écheveau du droit pénal de l'environnement, en édictant des règles de procédure pénale claires, notamment en ce qui concerne les constatations et les recherches.

La légitimité et l’efficacité de cette matière en dépendent.

 

[1] Arrêté du 19 novembre 2007, fixant les listes des amphibiens et des reptiles protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection N° Lexbase : L5391H33.

[2] J.-H. Robert, Ch. Claverie-Rousset, S. Detraz et J. Leroy, chron., Édition générale n° 39, 2 octobre 2023, doctr. 1111.

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Entreprises en difficulté

[Jurisprudence] Subsidiarité de la garantie AGS, étendue et modalités du recours subrogatoire dans les droits des salariés

Réf. : Cass. com., 17 janvier 2024, deux arrêts, n° 22-19.451, FS-B+R N° Lexbase : A43472EQ et n° 23-12.283, F-B+R N° Lexbase : A43382EE

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par Philippe Duprat - Avocat à la Cour - ancien Bâtonnier du Barreau de Bordeaux - chargé d’enseignement à l’Université de Bordeaux et Bernard Saintourens - Professeur émérite de l’Université de Bordeaux

Le 05 Mars 2024

Mots clés : liquidation judiciaire • AGS • avances • subsidiarité • subrogation • droits propres • salarié • répétition de l’indu.

La subrogation dont bénéficient les institutions de garantie mentionnées à l’article L. 3253-14 du Code du travail a pour effet de les investir de la créance des salariés avec tous ses avantages et accessoires, présents et à venir. Il en résulte que le super privilège garantissant le paiement de créances, lequel n’est pas exclusivement attaché à la personne des salariés, est transmis à l’AGS qui bénéficie ainsi du droit à recevoir un paiement qui, opéré sur les premières rentrées de fonds, ne constitue pas un paiement provisionnel au sens de l’article L. 643-3 et ne donne lieu à aucune répétition (n° 22-19.451 et n° 23-12.283).

Par ailleurs, sans instituer une présomption irréfragable, ni méconnaître la subsidiarité de l’intervention de l’AGS, l’obligation de justification préalable par le mandataire judiciaire de l’insuffisance des fonds disponibles de la procédure collective et la possibilité de sa contestation immédiate par l’AGS ne sont prévues qu’en cas de sauvegarde, de sorte qu’en dehors de cette procédure, aucun contrôle a priori n’est ouvert à l’AGS, elle est, dès lors, tenue de verser les avances demandées (n° 23-12.283).


 

Par deux décisions du 17 janvier 2024 [1] promises à la publicité des arrêts les plus prestigieux, au Bulletin et au Rapport, la Cour de cassation a, par un arrêt de rejet (n° 22-19.451) du pourvoi formé contre un arrêt de la cour d'appel de Rennes du 7 juin 2022 [2] et par un arrêt de cassation partielle (n° 23-12.283) d'une décision rendue par la cour d'appel de Toulouse du 20 janvier 2023 [3], décidé que la subrogation dont bénéficiaient les institutions de garantie prévues à l'article L. 3253-14 du Code du travail N° Lexbase : L5777IA9, a pour effet de les investir de la créance des salariés dans tous ses avantages et accessoires, en ce compris le super privilège, garantissant le paiement de leurs créances, lequel n'est pas exclusivement attaché à la personne des salariés. Le pourvoi dont l'arrêt de la cour d’appel de Toulouse a été frappé a, par ailleurs, été rejeté sur un point particulier. Pour les Hauts magistrats, c'est à bon droit que les juges d’appel avaient considéré que l’AGS était dépourvue de toute possibilité d'invoquer le principe tiré de la subsidiarité de sa garantie pour refuser d'avancer les sommes dont le mandataire judiciaire lui avait fait la demande.

Par les deux arrêts sous examen, la Cour de cassation rejetant le premier moyen de pourvoi dirigé à l'encontre de la cour d’appel de Toulouse, confirmait une position déjà exprimée dans un arrêt du 7 juillet 2023 [4], tandis que par le second moyen du pourvoi dirigé contre le même arrêt et, au résultat du rejet du pourvoi engagé à l'encontre de l'arrêt de la cour d'appel de Rennes, elle vient énoncer une solution nouvelle.

Les circonstances de fait qui ont présidé aux solutions ainsi adoptées par la Cour de cassation méritent d'être brièvement rappelées.

Pour ce qui est des faits qui avaient été soumis à l'appréciation de la cour d'appel de Toulouse, le mandataire liquidateur d'une société, dont le tribunal avait arrêté le plan de cession des actifs, avait sollicité l’AGS pour qu'elle procède à l'avance du paiement des salaires dus pour la période antérieure au jugement de cession. L’AGS avait cru pouvoir refuser en faisant valoir que, dans la mesure où la cession de l'entreprise était définitive, le liquidateur disposait du prix de cession et d'une trésorerie suffisante pour assurer le paiement des sommes dont il demandait l'avance. Sur assignation en paiement de l’AGS par le mandataire devant le tribunal de la procédure collective, l’organisme de garantie demandait, reconventionnellement, à recevoir le paiement sur les premières rentrées de fonds de la procédure collective au titre de sa créance super privilégiée. La cour de Toulouse faisait droit à la demande du mandataire, mais rejetait la demande reconventionnelle de l'AGS. Sur pourvoi de cette dernière, la Cour de cassation rejetait le moyen tiré de la violation de la loi s'agissant de la demande principale, mais cassait l'arrêt s'agissant de la solution adoptée par la cour d'appel sur la demande reconventionnelle.

En ce qui concerne les circonstances dont a eu à connaître la cour d'appel de Rennes, la situation était plus simple. Sur conversion en liquidation judiciaire du redressement judiciaire d'une société, le mandataire liquidateur avait été saisi, à la requête de l’AGS, d'une demande aux fins d'être payé à titre provisionnel de la créance super privilégiée qui en résultait. Le mandataire avait ultérieurement souhaité obtenir le remboursement des sommes qu'il considérait avoir acquitté à titre simplement provisionnel. Si le juge-commissaire de la procédure lui donnait satisfaction, la cour d'appel réformait l'ordonnance du premier juge. Sur pourvoi du mandataire, la Cour de cassation juge que c'était à bon droit que la cour d'appel avait retenu que le super privilège garantissant le paiement des créances salariales n'était pas exclusivement attaché à la personne des salariés, mais qu'il était transmis à l'AGS, laquelle bénéficiait ainsi du droit à recevoir un paiement définitif insusceptible de donner lieu à répétition.

Par les décisions sous examen, la Cour de cassation énonce deux solutions, dont la portée mérite à l'évidence d'être appréciée au regard des droits et obligations de l’AGS, mais aussi, plus généralement, en considération de l’impact sur le traitement des entreprises en difficulté. Si, selon une interprétation littérale de l’article L. 3253-20 du Code du travail N° Lexbase : L5778IAA, la Cour de cassation délimite le champ d’intervention de l'AGS (I), c’est par une interprétation extensive de l’article L. 3253-16 du Code du travail N° Lexbase : L5779IAB qu’elle détermine l’étendue de l’effet translatif de la subrogation de l’AGS dans les droits des salariés (II).

I. Le champ d’intervention de l’AGS : une interprétation littérale de la loi

La défaillance des entreprises place inévitablement les salariés en situation extrêmement délicate. Alors qu'ils ne sont, a priori, pas responsables des difficultés de leur employeur et qu’ils ne peuvent sérieusement envisager la poursuite de leur activité que s'ils savent pouvoir compter sur la poursuite des contrats de travail, la nécessité est historiquement apparue de concevoir un système protecteur des salariés qui doivent être assurés de percevoir leur rémunération.

Créée à l'origine pour les gens de service, le privilège des rémunérations a été très rapidement étendu aux rémunérations des six derniers mois de salaires des apprentis. Cette disposition figure désormais à l'article 2331, 4° du Code civil N° Lexbase : L0189L8I. Ce privilège s'est cependant avéré très rapidement insuffisant. L’on doit ainsi à un décret-loi du 8 août 1835 d'avoir octroyé une garantie supplémentaire à une fraction restreinte des créances salariales, en cas de procédure collective de l'employeur, portant sur les rémunérations de toute nature dues aux salariés pour les soixante derniers jours de travail. Il s'agit de ce que la pratique nomme habituellement le super privilège des salaires, actuellement inscrit à l'article L. 3253-2 du Code du travail N° Lexbase : L0955H9A.

Pour autant, en présence d'une procédure collective, l'efficacité de ces deux garanties n'est réellement vérifiée que si le salarié est en mesure d'encaisser ce qu'il est dû. C'est à ce stade qu’intervient l’AGS en qualité d'institution visée à l'article L. 3253-6 du Code du travail N° Lexbase : L0963H9K.

Pour éviter que le salarié n'ait à subir les contraintes de la procédure collective, l'article L. 3253-19 du Code du travail N° Lexbase : L1000H9W fixe les délais dans lesquels le mandataire judiciaire doit établir les relevés des créances. Il dispose à ce titre d'un délai de dix jours suivant le prononcé du jugement d'ouverture de la procédure collective pour établir le relevé des créances mentionnées à l'article L. 3253-2 et L. 3253-4 du Code du travail, c'est-à-dire celles couvertes par le super privilège.

L'efficacité commande deux choses : d'une part, que les créances ainsi établies soient payées dans le délai visé à l'article L. 3153-19 et, d'autre part, dès lors qu'elles sont payées par voie d'avances réalisées par l'institution AGS, que celle-ci dispose du droit éventuel de discuter le bien-fondé des avances auxquelles on lui demande de consentir.

Un contentieux s’est souvent instauré entre le mandataire, qui demande à l’AGS de procéder à l'avance des créances visées aux relevés, et l'institution de garantie, qui soutient qu'il appartient au mandataire de payer sur les fonds de l'entreprise, soit parce que celle-ci détient une certaine trésorerie, soit parce qu’il n’est pas établi une prétendue insuffisance, soit encore parce qu'il est avéré, qu'au résultat d'une cession, le mandataire a encaissé un prix sur lequel il doit pouvoir payer les créances. L'arbitre de ce contentieux ne pouvant pas être la patience du salarié, la Cour de cassation, dans un arrêt désormais de principe intervenu le 7 juillet 2023 [5], a tranché en distinguant les deux situations prévues à l'article L. 3253-20 du Code du travail.

Selon la Cour de cassation, le principe général est énoncé à l'alinéa premier du texte qui prévoit que si les créances ne peuvent être payées en tout ou partie sur les fonds disponibles avant l'expiration des délais prévus par l'article L. 3253-19, le mandataire est en droit de demander le paiement à l’AGS sur présentation du relevé de créances. Le principe est donc que le mandataire dispose seul du pouvoir d’apprécier si la procédure collective détient ou non des fonds suffisants pour procéder au règlement des créances salariales. Par principe, l'AGS ne peut discuter la position du mandataire. L'affirmation par le mandataire de l'insuffisance des fonds crée ainsi une présomption irréfragable d’impécuniosité, justifiant l’intervention de l’institution de garantie.

Il n'en va différemment qu'en cas de procédure de sauvegarde. En effet, dans cette hypothèse, il appartient au mandataire de justifier à l'AGS, lors de sa demande, que l'insuffisance des fonds disponibles est caractérisée, ce qui ne lui permet pas de procéder au paiement des créances couvertes par le super privilège. Cela rend alors légitime la demande d'avance à l'AGS. Celle-ci bénéficie, dès lors, du droit de contester le bien-fondé de la demande du mandataire. Pour ce faire, elle dispose du délai de dix jours visé à l’article R. 3253-6 du Code du travail N° Lexbase : L6136ICA. Il appartiendra au juge-commissaire à la procédure, qui a seule compétence pour y procéder, de trancher la difficulté.

Lorsqu'elle rejette le premier moyen du pourvoi dirigé contre l'arrêt de la cour d'appel de Toulouse, la Cour de cassation (n° 23-12.283) confirme la décision de principe énoncée par l'arrêt du 7 juillet 2023 [6]. Elle rappelle que l’AGS ne dispose en matière de redressement ou de liquidation judiciaire d'aucun contrôle a priori sur le principe de son intervention. Il lui appartient, sans pouvoir instaurer une quelconque discussion, de procéder au versement des avances demandées. Plus aucun contentieux ne saurait apparaître sur ce point. Cela ne signifie pas pour autant que l’AGS perde le droit de contester et de refuser sa garantie, mais il s’agit alors du contentieux de la garantie qui relève du conseil des prud’hommes, en ce qu’il est lié à la relation de travail.

Au-delà de la simple interprétation littérale des textes applicables, la Cour de cassation justifie la solution retenue par l'impératif de célérité, qui doit permettre la prise en charge rapide des créances relevant de la garantie de l’AGS. On retiendra également que la procédure de sauvegarde ne suppose pas un état de cessation de paiement. Il devient alors logique, dans cette seule occurrence, de subordonner l’intervention de l’AGS à la démonstration d’une préalable insuffisance.

Une fois intervenue, l’AGS, qui a procédé entre les mains du mandataire au paiement des avances demandées, dispose d’un droit, en sa qualité de subrogée, d’en obtenir le remboursement. Par une interprétation extensive des textes, les arrêts sous examen adoptent une solution favorable à l’institution de garantie.

II. L’étendue de l’effet translatif de la subrogation de l’AGS dans les droits des salariés : une interprétation extensive de la loi

Au terme des deux arrêts sous examen, la Cour de cassation juge que le super privilège garantissant le paiement des créances salariales n'est pas exclusivement attaché à la personne des salariés, mais qu’étant transmis à l'AGS, celle-ci bénéficie d'un droit à recevoir un paiement sur les premières rentrées de fonds de la procédure collective sans avoir à s'exposer ultérieurement à une action en répétition de l'indu.

La loi énonce expressément que les institutions de garantie mentionnées à l'article L. 3253-14 sont subrogées dans les droits des salariés pour lesquels elles ont réalisé des avances (C. trav., art. L. 3253-16, al. 1er).

Depuis l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 N° Lexbase : L4857KYK, la subrogation est définie à l'article 1346 du Code civil N° Lexbase : L0992KZR. Cette dernière a lieu de plein droit au profit de celui qui y ayant un intérêt légitime paie, dès lors que son paiement libère envers le créancier celui sur qui doit peser la charge définitive de tout ou partie de la dette. Si l'on s'accorde généralement à considérer que la réforme du 10 février 2016 a rénové et simplifié le droit de la subrogation [7], il demeure un certain nombre d'incertitudes quant au périmètre exact de la subrogation. L'effet translatif de la subrogation au profit de celui qui a payé souffre d'une limite importante. De tradition, il a toujours été considéré que la subrogation ne portait pas sur les prérogatives trop intimement attachées à la personne du subrogeant. Leur caractère personnel interdisant toute transmission. Cette exception a été clairement reprise par l'article 1346-4 nouveau du Code civil N° Lexbase : L0697KZT, qui énonce que la subrogation transmet à son bénéficiaire, dans la limite de ce qu'il a payé, la créance et ses accessoires, à l'exception des droits exclusivement attachés à la personne du créancier.

La question demeure de savoir ce que l'on entend par droit exclusivement attaché à la personne du créancier. En l'absence de toute définition légale, la jurisprudence offre quelques illustrations. Dans le temps, on a pu ainsi retenir que devaient être considérés comme des avantages personnels insusceptibles de transmission, le droit de se constituer partie civile [8] ainsi que le bénéfice de la présomption d'imputabilité en matière de contamination transfusionnelle par le virus de l'hépatite C, qui ne profite qu'à la victime et non à l'établissement français du sang exerçant son recours subrogatoire [9]. Il semble que les droits exclusivement attachés à la personne du créancier se rapprochent de la notion de droits propres du débiteur, qui suppose un lien fort entre le droit et son titulaire au point que seul ce dernier puisse l’exercer.

En matière de subrogation de l’AGS dans les droits des salariés au titre du super privilège, une partie de la doctrine [10] et la jurisprudence [11] considéraient que le caractère alimentaire des rémunérations acquises sur les soixante derniers jours, ainsi que le régime dérogatoire du paiement de ces créances instauré par l'article L. 625-8 du Code de commerce N° Lexbase : L3391ICL, n'ayant été inspirés que dans le but exclusif de protéger les salariés, ne pouvaient pas rentrer dans l'effet translatif de la subrogation. Selon cette approche, l’AGS avance le paiement, mais la garantie au titre de la subrogation ne lui était pas transmise.

En décidant, par les arrêts rapportés du 17 janvier 2024, que le super privilège garantissant le paiement des créances salariales n'est pas exclusivement attaché à la personne des salariés et qu'il est, de ce fait, transmis à l’AGS, qui bénéficie du droit de recevoir un paiement sur les premières rentrées de fonds de la procédure collective, la Cour de cassation balaye les arguments de la doctrine qui y voyait une limite au périmètre de la subrogation et met ainsi fin à l'incertitude jurisprudentielle qui jusqu'alors régnait ; la cour d'appel de Rennes [12] ayant déjà adopté cette position, ce qui justifie le rejet du pourvoi.

Il en résulte un certain nombre de conséquences dont, pour certaines, il est difficile d'évaluer la portée réelle.

Tout d'abord, au regard des dispositions de l'article L. 643-3 du Code de commerce, toutes les fois que l’AGS aura obtenu sur les premières rentrées de la procédure collective un paiement provisionnel, soit de la totalité de l'avance consentie au titre du paiement du super privilège, soit d'une quote-part de cette avance, elle ne sera pas tenue de la restituer, alors même que des créances préférables viendraient à se signaler. Le contentieux de la restitution se trouve ainsi vraisemblablement tari.

Ensuite, et de manière générale, la solution adoptée par la Cour de cassation fait craindre que l'équilibre déjà extrêmement fragile des procédures collectives ne soit remis en cause au détriment même de la finalité assignée au droit des procédures collectives. Comment, par exemple, peut-on imaginer vouloir, tout à la fois, privilégier les créanciers de la procédure (C. com., art. L. 622-17 N° Lexbase : L9123L7Z) si, sur les premières rentrées de fonds, l’AGS, subrogée dans le super privilège des salariés, est autorisée à se faire rembourser sans jamais avoir à craindre d'être dans l'obligation de restituer.

Le risque est que l’AGS, en se faisant rembourser sur les premières rentrées, n’assèche les forces de la procédure qui ne pourra plus régler les créanciers méritants. Il est à craindre qu’ils ne veuillent plus faire l’effort de prendre des risques. À préserver l’institution de garantie, il est possible que le prix définitif ne soit payé par l’entreprise.

Si l’on comprend bien que la solution de la Cour de cassation participe efficacement au financement de l’AGS, peut-être vaudrait-il mieux régler cette difficulté réelle par un  financement adapté, plutôt que d’adopter une position dont l’avenir pourrait révéler les conséquences pernicieuses. Il n'est cependant pas certain que la décision de la Cour de cassation soit si nouvelle que cela. Elle avait déjà eu l'occasion de juger, il y a plus de quarante ans, que le super privilège des salariés peut être transmis à une banque qui avait réglé à des salariés le montant de leur salaire moyennant subrogation dans leurs droits [13]. En 2024, la Haute juridiction reviendrait ainsi vers sa position historique.

 

[1] V. V. Téchené, Lexbase Affaires, janvier 2024, n° 782 N° Lexbase : N8146BZQ.

[2] CA Rennes, 7 juin 2022, n° 21/07704 N° Lexbase : A131577T.

[3] CA Toulouse, 29 janvier 2023, n° 22/02135 N° Lexbase : A47932B7.

[4] Cass. com., 7 juillet 2023, n° 22-17.902, FS-B+R N° Lexbase : A3799989, H. Nasom-Tissandier, Lexbase Social, octobre 2023, n° 959 N° Lexbase : N6958BZQ ; Dalloz Actualité, 13 juillet 2023, note Ch. Gailhbaud.

[5] Ibid.

[6] Ibid.

[7] V. notamment Droit du contrat, Lamy, § 1712 ; B. Fages, Droit des obligations, 9ème éd., LGDJ, n° 540.

[8] Cass. crim., 2 mai 1956.

[9] Cass. civ. 2, 17 juin 2010, n ° 09-10.786, FS-P+B N° Lexbase : A0924E3M.

[10] J. Théron, Le droit au paiement immédiat exclusivement attaché à la personne du salarié, la limite à la subrogation de l'AGS, D., 2023 p. 1605.

[11] CA Toulouse, 20 janvier 2023, n° 22/02135, préc. – CA Paris, 5-9, 6 juillet 2023, n° 22/08880 N° Lexbase : A443899A.

[12] CA Rennes, 7 juin 2022, n° 21/07704, préc.

[13] Cass. com., 3 juin 1982, n° 80-15.573, publié N° Lexbase : A8879CEL.

newsid:488495

Fiscalité locale

[Brèves] Champ d’application de la taxe d’aménagement : le Conseil d’État donne des précisions sur la notion de « locaux destinés à héberger les animaux »

Réf. : CE 9° et 10° ch.-r., 19 février 2024, n° 471114, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A31742NU

Lecture: 4 min

N8606BZR

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par Marie-Claire Sgarra

Le 06 Mars 2024

Les bâtiments « destinés à héberger les animaux », au sens et pour l’application de l’article L. 331-7 du Code de l’urbanisme, s’entendent de ceux hébergeant les animaux de l’exploitation agricole, ainsi que, le cas échéant, ceux pris en pension à titre d’activité complémentaire et sont ainsi exonérés de taxe d’aménagement.

Les faits. Le requérant a obtenu l'autorisation de construire, sur un terrain situé à Francilly-Selency, une écurie d'une surface de plancher de 156 m² pour loger en boxs individuels les chevaux qu'il prend en pension.

Consécutivement, ont été émis à son encontre deux titres de perception en vue du recouvrement de la somme globale de 5 553 euros au titre de la taxe d'aménagement ainsi qu'un titre de perception en vue du recouvrement de la somme de 444 euros au titre de la redevance d'archéologie préventive.

Procédure. Le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'obligation de payer résultant de ces titres. Le requérant se pourvoit en cassation contre ce jugement, en tant qu'il a rejeté sa demande d'annulation des titres de perception relatifs à la taxe d'aménagement, et contre l’arrêt de la CAA de Douai rejetant l’appel formé contre ce jugement en tant qu'il a statué sur le titre de perception relatif à la redevance d'archéologie préventive.

Principes :

  • la taxe d’aménagement était due à la date du litige, en vertu de l’article L. 331-6 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L7411LZI, à raison des opérations de construction de bâtiments ou installations de toute nature soumises à un régime d’autorisation en vertu de ce code ;
  • l’article L. 331-7 N° Lexbase : L5587MA8 exonère de la part communale et intercommunale de cette taxe un certain nombre de constructions, et notamment, dans son 3° « dans les exploitations et coopératives agricoles, les surfaces de plancher des serres de production, celles des locaux destinés à abriter les récoltes, à héberger les animaux, à ranger et à entretenir le matériel agricole, celles des locaux de production et de stockage des produits à usage agricole, celles des locaux de transformation et de conditionnement des produits provenant de l’exploitation et, dans les centres équestres de loisir, les surfaces des bâtiments affectées aux activités équestres » ;
  • si les travaux affectant le sous-sol soumis à autorisation d’urbanisme sont, en vertu de l’article L. 524-2 du Code du patrimoine N° Lexbase : L1415MDR, assujettis à la redevance d’archéologie
  • préventive, l’article L. 524-3 N° Lexbase : L1460MDG en exonère les constructions mentionnées au 3° de l’article L. 331-7 du Code de l’urbanisme précité.

Le requérant fait valoir qu’il pouvait bénéficier de cette exonération, dès lors que le bâtiment en cause était situé dans son exploitation agricole et qu’il était destiné à héberger des chevaux.

Réponse du Conseil d’État. Les bâtiments « destinés à héberger les animaux », au sens et pour l’application du 3° de l’article L. 331-7 du Code de l’urbanisme précité, s’entendent de ceux hébergeant les animaux de l’exploitation agricole, ainsi que, le cas échéant, ceux pris en pension à titre d’activité complémentaire.

En l’espèce, le requérant, maraîcher qui exerce également à titre complémentaire une activité de prise en pension de chevaux, a obtenu l'autorisation de construire sur son exploitation agricole un bâtiment destiné à l'hébergement de ces chevaux. L'écurie en cause  au litige doit être regardée comme « hébergeant les animaux » au sens et pour l'application des dispositions du 3° de l'article L. 331-7 du Code de l'urbanisme dès lors que l'activité de prise en pension des chevaux qu'elle est destinée à accueillir est exercée en complément de l'activité agricole.

Par suite, cette écurie bénéficie de l'exonération de la taxe d'aménagement, ainsi que, par voie de conséquence, de l'exonération de la redevance d'archéologie préventive.

Les titres de perception émis à l'encontre du requérant, relatifs à la taxe d'aménagement et à la redevance d'archéologie préventive sont annulés.

newsid:488606

Santé et sécurité au travail

[Brèves] Résiliation judiciaire du contrat de travail : charge de la preuve en cas de manquement de l’employeur à son obligation de sécurité

Réf. : Cass. soc., 28 février 2024, n° 22-15.624, F-B N° Lexbase : A14872Q7

Lecture: 2 min

N8615BZ4

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par Charlotte Moronval

Le 06 Mars 2024

► Lorsque le salarié invoque un manquement de l'employeur aux règles de prévention et de sécurité à l'origine de l'accident du travail dont il a été victime, il appartient à l'employeur de justifier avoir pris toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé du salarié.

Faits. Un salarié est victime d’un accident du travail et sollicite la résiliation judiciaire de son contrat de travail pour manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.

La position de la cour d’appel. Pour débouter le salarié de sa demande, la cour d’appel (CA Orléans, 30 avril 2020, n° 17/00572 N° Lexbase : A14033LK) retient notamment que l’intéressé n’explique pas les circonstances dans lesquelles il a été blessé sur son lieu de travail. Elle relève aussi que puisqu’il sollicite la résiliation de son contrat de travail, c’est à lui de démontrer la réalité des manquements qu’il invoque.  

Le salarié forme un pourvoi en cassation.

La solution. La Chambre sociale de la Cour de cassation censure la décision rendue par les juges du fond, au visa de l’article 1353 du Code civil N° Lexbase : L1013KZK et des articles L. 4121-1 N° Lexbase : L8043LGY et L. 4121-2 N° Lexbase : L6801K9R du Code du travail, dans leur version antérieure à l’ordonnance n° 2017-1389, du 22 septembre 2017, leur reprochant d’avoir inversé la charge de la preuve.

En l’espèce, il appartenait à l’employeur de démontrer qu’il avait pris les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé du salarié.

Pour aller plus loin :

  • v. déjà Cass. soc., 12 janvier 2011, n° 09-70.838, FS-P+B N° Lexbase : A9810GPZ : il appartient à l'employeur qui considère injustifiée la prise d'acte de la rupture par un salarié qui, étant victime d'un accident du travail, invoque une inobservation des règles de prévention et de sécurité, de démontrer que la survenance de cet accident est étrangère à tout manquement à son obligation de sécurité de résultat ;
  • v. aussi ÉTUDE : L’incidence de la faute dans la réalisation de l’accident de travail ou de la maladie professionnelle, La preuve du manquement, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E3145ETN.

 

newsid:488615

Sociétés

[Brèves] Sociétés commerciales : modification des seuils qui rendent obligatoire la désignation d’un commissaire aux comptes

Réf. : Décret n° 2024-152, du 28 février 2024, relatif à l’ajustement des critères de taille pour les sociétés et groupes de sociétés N° Lexbase : L6841MLX

Lecture: 1 min

N8576BZN

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par Perrine Cathalo

Le 07 Mars 2024

► Publié au Journal officiel du 29 février 2024, le décret n° 2024-152 contient des dispositions intéressant les sociétés commerciales, leurs commissaires aux comptes et les organismes tiers indépendants.

Le décret n° 2024-152, du 28 février 2024, transpose la Directive déléguée n° 2023/2775, du 17 octobre 2023, modifiant la Directive n° 2013/34 N° Lexbase : L9453IXE en ce qui concerne l’ajustement des critères de taille pour les micro, petites, moyennes et grandes entreprises ou pour les groupes N° Lexbase : L0646MLI.

Plus en détail, le texte modifie le montant des seuils relatifs au chiffre d’affaires et au bilan des sociétés et des groupes de sociétés prévus au sein des livres II et VIII du Code de commerce, afin de tenir compte de l’inflation (v. C. com., art. D. 123-200 N° Lexbase : L7086MLZ, D. 221-5 N° Lexbase : L7087ML3, D. 230-1 N° Lexbase : L7038MLA, D. 230-2 N° Lexbase : L7036ML8, D. 232-8-1 N° Lexbase : L7037ML9, D. 821-172 N° Lexbase : L7032MLZ et D. 950-1-1 N° Lexbase : L8735MEA). Ces seuils contribuent à définir la taille des sociétés et groupes de sociétés, qui est notamment prise en compte dans le cadre des obligations portant sur l’établissement et la certification des comptes et des informations en matière de durabilité.

Ces nouvelles dispositions s'appliquent aux comptes et rapports afférents aux exercices sociaux ouverts à compter du 1er janvier 2024. Les mandats de commissaires aux comptes en cours à l’entrée en vigueur du décret – le 1er mars 2024 – se poursuivent quant à eux jusqu’à leur date d’expiration dans les conditions prévues à l’article L. 821-44 du Code de commerce N° Lexbase : L5503MKZ.

newsid:488576

Soins psychiatriques sans consentement

[Brèves] Soins sans consentement : le juge d’appel doit se prononcer sur la mesure, y compris lorsqu’elle a pris la forme d’un programme de soins

Réf. : Cass. civ. 1, 28 février 2024, n° 22-15.888, F-B N° Lexbase : A14852Q3

Lecture: 2 min

N8583BZW

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par Laïla Bedja

Le 06 Mars 2024

► Il résulte des articles L. 3211-12-1 et  L. 3211-12-4 du Code de la santé publique qu'il incombe au premier président, saisi de l'appel d'une ordonnance du juge des libertés et de la détention maintenant une mesure de soins sans consentement sous la forme d'une hospitalisation complète, formé par la personne faisant l'objet des soins sans consentement aux fins d'en obtenir la mainlevée, de statuer sur la demande de mainlevée de la mesure, y compris lorsqu'entre-temps, celle-ci a pris la forme d'un programme de soins.

Les faits et procédure. Le 10 mai 2016, Mme S a été admise en soins psychiatriques sans consentement et a bénéficié, à compter du 15 juillet 2021 d’un programme de soins. Par arrêté du 19 novembre 2021, le préfet a pris une décision de réadmission en hospitalisation complète. Par requête du même jour, le préfet a saisi le juge des libertés et de la détention aux fins de poursuite de la mesure, sur le fondement de l’article L. 3211-12-1 du Code de la santé publique N° Lexbase : L1619LZY. Le juge des libertés et de la détention a confirmé la mesure le 29 novembre 2021.

Le 1er décembre 2021, la patiente a relevé appel de la décision et, à compter du 22 décembre 2021, sa prise en charge a été poursuivie sous la forme d’un programme de soins.

Le premier président de la cour d’appel. Pour décider que l’appel relevé par la patiente était devenu sans objet, le premier président de la cour d’appel retient qu'elle fait désormais l'objet d'un programme de soins, qu'il ne résulte pas des pièces du dossier qu'elle a formé un nouveau recours contre cette décision et que le premier président ne statue que dans les limites de sa saisine (CA Pau, 24 décembre 2021, n° 21/00060 N° Lexbase : A09837HU).

Un pourvoi en cassation a alors été formé par la patiente.

La décision. Énonçant la règle précitée, la Haute juridiction annule l’arrêt rendu par le premier président de la cour d’appel. Le premier président ayant été saisi d’une demande de mainlevée de la mesure de soins sans consentement, ce dernier devait se prononcer dessus, y compris lorsque la mesure a pris la forme d’un programme de soins (visa CSP, art. L. 3211-12-1 et L. 3211-12-4 N° Lexbase : L7883MA9).

Pour aller plus loin. Étude : Les soins psychiatriques sans consentement, Le contrôle des mesures d'admission en soins psychiatriques par le juge des libertés et de la détention, in Droit médical, Lexbase N° Lexbase : E7544E9B.

 

newsid:488583

Urbanisme

[Jurisprudence] Recours contre un permis de construire délivré par le maire de la Ville et obligation de notification au maire d’arrondissement recevable

Réf. : CE, 9°-10° ch. réunies, 30 janvier 2024, n° 471649, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A00812IT

Lecture: 9 min

N8584BZX

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par Valérie Gueguen, juriste expert urbanisme-aménagement-environnement, Lab Cheuvreux

Le 06 Mars 2024

Mots clés : permis de construire • notification du recours • destinataire de la notification • Ville de Paris • maire d'arrondissement

Dans un arrêt rendu le 30 janvier 2024, la Haute juridiction administrative juge régulière, au sens de l’article R. 600-1 du Code de l’urbanisme, la notification d’un recours contentieux contre un permis de construire délivré par le maire de la ville, au maire de l’arrondissement dans lequel se situe le terrain d’assiette du projet. Celle-ci vaut notification faite à l’auteur de la décision au sens de l’article R. 600-1 précité.


 

Depuis la loi du n° 94-112 du 9 février 1994 portant diverses dispositions en matière d'urbanisme et de construction N° Lexbase : L8040HHA, le Code de l’urbanisme pose le principe de la notification des recours exercés contre les décisions d’urbanisme, notification qui doit être faite à l’auteur de la décision comme à son titulaire.

Pour rappel, l’article R. 600-1 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L9492LPA impose à l’auteur d’un recours contentieux à l'encontre d'un certificat d'urbanisme, ou d'une décision relative à l'occupation ou l'utilisation du sol régie par ce code, de notifier son recours à l'auteur de la décision et au titulaire de l'autorisation, à peine d'irrecevabilité. Cette notification doit également être effectuée par l’auteur d’un recours administratif préalable et en cas de demande d’annulation ou de réformation d'une décision juridictionnelle concernant un certificat d'urbanisme, ou une décision relative à l'occupation ou l'utilisation du sol.

En l’espèce, par un arrêté du 3 juillet 2019, la ville de Paris a délivré à la société civile immobilière (SCI) Financière Saint Louis un permis de construire portant sur la surélévation d’un immeuble situé en fond de cour dans le XIIème arrondissement de Paris.

Saisi par des voisins du projet, le tribunal administratif de Paris a, par un jugement du 6 juillet 2021, annulé cet arrêté, la décision rejetant le recours gracieux formée à son encontre ainsi que l'arrêté du 6 octobre 2020 portant délivrance d'un permis modificatif.

En appel, la cour administrative d’appel de Paris a annulé ce jugement au motif, d’une part, que les conclusions tendant à l’annulation du permis initial étaient irrecevables, faute pour les demandeurs d’avoir notifié leur recours au maire de Paris et, d’autre part, que les conclusions dirigées contre le permis modificatif étaient également irrecevables, en raison de l’absence d’intérêt à agir des demandeurs au regard des modifications apportées par ce permis au permis initial.

En effet, la cour a jugé, sur la notification du recours au maire du XIIème arrondissement, qui n’est pas l’auteur de la décision, contrairement au maire de Paris, que :

« Il ressort toutefois des pièces du dossier du dossier de première instance que le recours contentieux, tout comme le recours gracieux formé par M. I et autres, a été adressé à « Hôtel de Ville du 12ème arrondissement de Paris Madame R 130 avenue Daumesnil 75012 Paris », soit à R du XIIème arrondissement de Paris. Or, l’arrêté du 3 juillet 2019 a été signé par un agent de la direction de l’urbanisme de la Ville de Paris, bénéficiant d’une délégation de signature accordée par le maire de Paris, autorité compétente pour délivrer les permis de construire au nom de la commune. Les maires d’arrondissement, qui ne sont pas les délégués du maire de Paris non plus que placés sous son autorité hiérarchique, sont seulement chargés, en vertu de l’article L. 2511-30 du Code général des collectivités territoriales, d’émettre un avis sur toute autorisation d’utilisation du sol délivrée dans l’arrondissement. Ainsi, le recours contentieux formé devant le tribunal administratif de Paris à l'encontre du permis de construire délivré le 3 juillet 2019 n’a été notifié ni à l’auteur de cet acte, ni même à un délégataire de son auteur ou un agent placé sous l’autorité de son auteur ».

Un pourvoi en cassation a été introduit par les voisins du projet et a permis au Conseil d’État de se prononcer sur la régularité de la notification du recours effectuée par les requérants au maire du XIIème arrondissement.

Dans sa décision du 30 janvier 2024, la Haute Juridiction considère que la notification d'un recours gracieux ou d'un recours contentieux contre un permis de construire délivré par le maire de Paris, au maire de l'arrondissement dans lequel se situe le terrain d'assiette du projet, à l'adresse de la mairie d'arrondissement, doit être regardée comme une notification faite à l'auteur de la décision au sens de l'article R. 600-1 du Code de l'urbanisme, alors même que l'affichage de ce permis sur ce terrain ne fait pas mention de cette adresse.

En effet, pour appliquer ce raisonnement, le Conseil d’État rappelle notamment les dispositions du Code général des collectivités territoriales (plus précisément son article L. 2511-30 N° Lexbase : L4128LIQ) relatives au rôle dévolu dans l'instruction des demandes d'autorisation d'utilisation du sol au maire d'arrondissement, élu de la personne morale que constitue la Ville de Paris.

Il suit ainsi les conclusions du rapporteur public Laurent Domingo qui rappelle que la mairie d’arrondissement est associée à l’instruction de la demande d’autorisation. En effet, en vertu de l’article L. 2511-30 du Code général des collectivités territoriales, le maire d’arrondissement émet un avis sur toute autorisation d’utilisation du sol dans l’arrondissement délivrée par le maire de Paris. La mairie d’arrondissement, bien que ne disposant pas de compétence en matière d’urbanisme, est donc impliquée dans l’examen de la demande de permis.

On relèvera également que dans ses conclusions, très largement suivies par le Conseil d’État, le rapporteur public indique que « en pratique, les autorisations d’urbanisme délivrées par la maire de Paris dans un arrondissement sont affichées non seulement sur le terrain comme le prévoit l’article R. 424-15 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L3490L7E et en ligne sur le site de la mairie comme il est envisagé par le même article 7, mais aussi dans les locaux de la mairie d’arrondissement, ce qui marque plus encore le lien entre l’autorisation et l’arrondissement ». Il conclut logiquement avec pragmatisme que « l’on peut donc raisonnablement du point de vue de l’usager, regarder la mairie d’arrondissement comme un interlocuteur à qui s’adresser en ce qui concerne les autorisations d’urbanisme délivrées dans cet arrondissement, du moins comme une adresse où le recours peut valablement être notifié à l’entité « Ville de Paris » prise en la personne de son maire, qui est, juridiquement, l’auteur de l’arrêté ».

Ainsi, le Conseil d’État estime que la cour administrative d’appel de Paris a commis une erreur de droit « en estimant que ce recours contentieux n’avait pas fait l’objet d’une notification à l’auteur du permis litigieux, pour en déduire que les conclusions tendant à l’annulation du permis de construire initial étaient irrecevables » et annule son arrêt.

Ce pragmatisme dont ont fait preuve les juges du Palais Royal concorde avec la souplesse accordée, par exemple, aux requérants qui notifient au siège social d’une société pétitionnaire au lieu de l’avoir fait à l’adresse mentionnée dans l’acte attaqué [1].

La jurisprudence administrative fait preuve d’une certaine souplesse dans l’application des dispositions de l’article R. 600-1 du Code de l’urbanisme et notamment s’agissant de l’auteur de l’autorisation, comme cela est rappelé par le rapporteur public dans ses conclusions en citant notamment des décisions dans lesquelles le Conseil d’État a admis la notification, lorsque le permis de construire est délivré par le maire au nom de l’État, aussi bien à l’adresse de la commune qu’à celle de la préfecture [2].

En effet, il convient de rappeler que la notification prévue par l’article R. 600-1 du Code de l’urbanisme a pour objet de renforcer la sécurité juridique des titulaires d’autorisation de construire.

Les conclusions du rapporteur public sous cet arrêt rappellent les dispositions de l’article L. 114-2 du Code des relations entre le public et l’administration N° Lexbase : L1788KNK qui imposent, lorsqu'une demande est adressée à une administration incompétente, que cette dernière la transmette à l'administration compétente et en avise l'intéressé. Ces dispositions s’appliquent bien aux recours gracieux, qui font partie des demandes visées par cet article [3], mais il n’en va pas de même de la notification prévue par l’article R. 600-1 du Code de l’urbanisme, qui n’est pas une demande, mais une simple mesure d’information [4].

Enfin, au cas d’espèce, la Haute juridiction n’a pas admis l’argumentation du demandeur au pourvoi qui invoquait la violation du droit au recours effectif au sens de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales N° Lexbase : L7558AIR, en se référant notamment à la jurisprudence de la Cour européenne selon laquelle les tribunaux doivent, en appliquant des règles de procédure, éviter une interprétation par trop formaliste de la légalité ordinaire qui empêcherait, effectivement, l’examen au fond du recours exercé [5].

Contrairement à ce que soutiennent les requérants dans leur pourvoi, force est de constater que, depuis 2006, la jurisprudence considère que l’obligation de notification de l’article R. 600-1 ne fait pas, en tant que telle, obstacle à l’application du principe du droit à un recours effectif.

En effet, le Conseil d’État a déjà eu l’occasion de préciser que cette obligation de notification n’était pas contraire au principe du droit au recours effectif « rappelé » par les articles 6 § 1 et 13 N° Lexbase : L4746AQT de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales [6].

Par conséquent, il ne s’agit pas d’une règle dont le Conseil d’État souhaite voir assouplir l’application au motif du droit à un recours effectif.

Ainsi, par cette décision, les juges du Palais Royal ont fait preuve de souplesse dans l’application de ces dispositions en considérant que les formalités de notification imparties par l’article R. 600-1 du Code de l’urbanisme ont été régulièrement accomplies à l’égard du seul maire de l’arrondissement dans lequel se situe le terrain d’assiette du projet et non au maire de la Ville qui a délivré le permis de construire.


[1] CE, 20 octobre 2021, 444581 N° Lexbase : A650649T.

[2] CE, 22 avril 2005, n° 257743 N° Lexbase : A9340DHE ; CE, 13 juillet 2011, n° 320448 N° Lexbase : A0244HWX.

[3] Pour les recours administratifs préalables, v. CE, 6 avril 2018, n° 403339 N° Lexbase : A4098XKY, T. pp. 555- 761- 817.

[4] Pour l’exclusion des mesures d’information du champ de l’article L. 114-2 du Code des relations entre le public et l’administration, v. CE, 9 mars 2018, n° 407842 N° Lexbase : A6323XGB, T. pp. 520- 573.

[5] V. par ex. CEDH 5 novembre 2015, Req. 21444/11 N° Lexbase : A7326NUU, § 58.

[6] CE, 5 avril 2006, n° 266777 {"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 2392517, "corpus": "sources"}, "_target": "_blank", "_class": "color-sources", "_title": "CE 9/10 SSR, 05-04-2006, n\u00b0 266777", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: A9446DN8"}}.

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