Réf. : Cass. civ. 2, 11 janvier 2024, n° 20-23.379, F-B N° Lexbase : A20922DT
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N8046BZZ
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par Laïla Bedja
Le 17 Janvier 2024
► Il résulte des articles L. 136-2, II, 5°, du Code de la Sécurité sociale, 14 de l'ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996 et L. 1233-71 du Code du travail, que les sommes versées par l'employeur à un tiers, en vue de financer des actions de formation et d'accompagnement prévues par un plan de sauvegarde de l'emploi, qui ont pour objet de favoriser le reclassement et le retour à l'emploi des salariés dont les licenciements pour motifs économiques sont envisagés, n'entrent pas dans l'assiette de la contribution sociale généralisée, ni de la contribution au remboursement de la dette sociale.
Les faits et procédure. Quatre sociétés, aux droits desquelles vient une société, ont été avisées d’un redressement par l’URSSAF. Contestant le bienfondé de plusieurs chefs de redressement, elles ont saisi d’un recours la juridiction chargée du contentieux de la Sécurité sociale.
Les cotisantes contestaient notamment la réintégration dans l’assiette des cotisations sociales ddes sommes versées à une société extérieure en contrepartie de la réalisation d’actions de formation et d’accompagnement des salariés dans leur recherche d’emploi, pendant le congé de reclassement.
La cour d’appel. Pour valider le chef de redressement et la réintégration pour le calcul de la fraction des indemnités soumises à la CSG et à la CRDS, les juges du fond retiennent en substance que ce congé de reclassement est proposé aux salariés au moment de la mise en place de la procédure de licenciement, s'effectue pendant le préavis dont le salarié est dispensé d'exécution et que ces sommes versées pour le congé de formation se substituent ainsi aux indemnités de préavis auxquelles le salarié peut prétendre dans le cadre d'un tel licenciement. Ils en déduisent que, dans la mesure où le contrat de travail sera nécessairement rompu à l'issue de ce congé de reclassement, les sommes versées à ce titre à l'organisme prestataire doivent entrer dans la catégorie des indemnités versées à l'occasion de la rupture du contrat de travail, et sont donc à ce titre soumises à cotisations.
La décision. Énonçant la solution précitée, la Haute juridiction casse et annule la solution rendue par les juges du fond (violation CSS, art. L. 136-2, II, 5°, dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 N° Lexbase : L1397IZR, et L. 242-1 N° Lexbase : L8965MKA, C. trav., art. L. 1233-71 N° Lexbase : L1600LZB et R. 1233-32 N° Lexbase : L5761L47 et ord. n° 96-50 du 24 janvier 1996 N° Lexbase : L1330AI4, art. 14 en leur rédaction applicable en la cause).
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Réf. : AMF, communiqué, du 18 janvier 2024
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N8102BZ4
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par Perrine Cathalo
Le 19 Janvier 2024
► Le 18 janvier dernier, l’AMF a tenu à rappeler aux sociétés cotées les bonnes pratiques en matière de diffusion de l’information privilégiée dans un contexte où la protection des données des entreprises est un enjeu majeur, rendu encore plus complexe par la digitalisation.
À noter. – Le Règlement « Abus de marché » (Règlement n° 596/2014 du 16 avril 2014 N° Lexbase : L4814I3P) oblige les sociétés cotées à rendre publique, dès que possible, toute information privilégiée. Cette obligation concerne :
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La protection d'une information privilégiée doit être assurée tout au long de sa durée de vie jusqu’à sa diffusion effective et intégrale encadrée dans les conditions fixées par le Règlement « Abus de marché ». Le Règlement n° 2016/1055 du 29 juin 2016 N° Lexbase : L0521K98 exige notamment que la communication de l’information privilégiée soit « transmise par des moyens électroniques qui préservent l’exhaustivité, l’intégrité et la confidentialité des informations durant la transmission de celles-ci ».
Une attention toute particulière doit ainsi être apportée à la préservation de la confidentialité de l’information privilégiée en amont de sa diffusion intégrale et effective. Lorsque la société utilise les services d’un hébergeur externe et d’un système de gestion de contenu de type CMS (« Content Management System ») pour la gestion de son site internet, elle doit s’assurer que personne ne puisse avoir accès à l’information privilégiée avant sa diffusion, notamment par l’exploitation d’éventuelles failles liées à la sécurité informatique et/ou à des modes opératoires inadaptés.
L’AMF rappelle qu’elle a défini des bonnes pratiques en matière de diffusion de l’information à destination des sociétés cotées, qui sont reprises dans son guide de l’information permanente et de la gestion de l’information privilégiée (DOC-2016-08). Elle renouvelle sa recommandation auprès des émetteurs afin de renforcer leurs bonnes pratiques.
En particulier, ils devraient :
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Réf. : Cass. civ. 3, 14 décembre 2023, n° 22-11.505, FS-B N° Lexbase : A550218B
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N8073BZZ
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par Anne-Lise Lonné-Clément
Le 18 Janvier 2024
► L'action en nullité de la déclaration de préemption, prévue à l'article L. 412-8, alinéa 4, du Code rural et de la pêche maritime, se prescrit par cinq ans à compter de la date d'expiration du délai imparti au préempteur par la mise en demeure, que lui a adressée le propriétaire vendeur ou l'acquéreur évincé pour réaliser l'acte de vente authentique.
En vertu de l'article L. 143-8 du Code rural et de la pêche maritime N° Lexbase : L1860KGY (applicable dans le cadre du droit de préemption de la SAFER), qui renvoie à l'article L. 412-8 N° Lexbase : L4062AE8 (applicable dans le cadre du droit de préemption du preneur), en cas de préemption, la SAFER bénéficie alors d'un délai de deux mois à compter de la date d'envoi de sa réponse au propriétaire vendeur pour réaliser l'acte de vente authentique ; passé ce délai, sa déclaration de préemption sera nulle de plein droit, quinze jours après une mise en demeure à lui faite par acte d'huissier de justice et restée sans effet. L'action en nullité appartient au propriétaire vendeur et à l'acquéreur évincé lors de la préemption.
Quel est alors le point de départ du délai de prescription (quinquennale) de cette action en nullité ?
Réponse 1 : s’agit-il de la date d'expiration du délai de deux mois suivant la déclaration de préemption de la SAFER ?
Réponse 2 : ou bien de la date d'expiration du délai imparti au préempteur par la mise en demeure ?
La question se posait avec d’autant plus d’importance dans l’affaire soumise à la Cour de cassation à l’occasion de l’arrêt rendu le 14 décembre 2023, qu’un délai de plus de dix ans s’était écoulé entre la notification par la SAFER de son intention de préemption (en 2006), et la mise en demeure de réaliser sous quinze jours l’acte de vente authentique, adressée par le vendeur et l’acquéreur évincé (en 2016).
En l’espèce, pour déclarer prescrite l'action en nullité exercée par ces derniers en 2017, la cour d’appel d’Orléans (CA Orléans, 6 décembre 2021, n° 19/00694 N° Lexbase : A29247EZ) avait opté pour la première réponse. Elle avait retenu que, si la loi ne fixe aucun délai au propriétaire vendeur pour exercer son droit de mise en demeure de réaliser l'acte authentique, il était certain que ce droit naît dès l'expiration du délai de deux mois suivant la déclaration de préemption de la SAFER, qui constitue le point de départ du délai quinquennal de prescription.
Mais la Haute juridiction ne l’entend pas ainsi. Elle retient la deuxième réponse.
Elle rappelle d’abord qu’aux termes de l’article 2224 du Code civil N° Lexbase : L7184IAC, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
Après avoir énoncé ensuite les dispositions précitées des articles L. 143-8 et L. 412-8, alinéa 4, du Code rural et de la pêche maritime, la Cour de cassation rappelle sa jurisprudence dont il ressort, d'une part, qu'une déclaration de préemption d'une SAFER n'encourt la nullité pour n'avoir pas respecté le délai de deux mois prévu à l'article L. 412-8, alinéa 4, du Code rural et de la pêche maritime que si la SAFER a été préalablement mise en demeure par voie d'huissier de justice de réaliser l'acte authentique (Cass. civ. 3, 15 novembre 2006, n° 05-15.475, FS-P+B N° Lexbase : A3380DSY) et, d'autre part, en matière de promesse de vente, que le fait justifiant l'exercice d'une action en résolution ne peut consister que dans la connaissance, par la partie titulaire de ce droit, du refus de son cocontractant d'exécuter son obligation principale de signer l'acte authentique de vente (Cass. civ. 3, 1er octobre 2020, n° 19-16.561, FS-P+B+I N° Lexbase : A68323WX).
Elle en déduit alors que l'action en nullité de la déclaration de préemption prévue à l'article L. 412-8, alinéa 4, susvisé, se prescrit par cinq ans à compter de la date d'expiration du délai imparti au préempteur par la mise en demeure, que lui a adressée le propriétaire vendeur ou l'acquéreur évincé pour réaliser l'acte de vente authentique.
L’arrêt rendu par la cour d’appel d’Orléans est donc censuré par la Cour régulatrice dès lors que la cour d’appel avait constaté que la SAFER avait été, par acte du 27 mai 2016, mise en demeure de réaliser l'acte de vente authentique dans un délai de quinze jours. L’action exercée en 2017 ne pouvait donc être déclarée prescrite.
On relèvera que la solution rendue à l’occasion du droit de préemption de la SAFER est évidemment applicable dans le cadre du droit de préemption du fermier.
Pour aller plus loin : cf. ÉTUDE : Le droit de préemption de la SAFER, spéc. Réalisation de la vente en cas de préemption de la SAFER, et Délai de réalisation de la vente en cas de préemption du preneur, in Droit rural (dir. Ch. Lebel), Lexbase N° Lexbase : E9951E9G et N° Lexbase : E9295E97. |
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newsid:488073
Réf. : Cass. soc., 10 janvier 2024, n° 22-13.200, FS-B N° Lexbase : A05642DA
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N8031BZH
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par Lisa Poinsot
Le 17 Janvier 2024
► En cas de mise en œuvre de convention de forfait en jours, l’employeur doit, d’une part, s’assurer régulièrement que la charge de travail du salarié est raisonnable et permet une bonne répartition dans le temps de son travail, notamment par la tenue régulière d’un entretien au cours de l’année et, d’autre part, prendre les mesures nécessaires pour s’assurer la sécurité et protégé la santé physique et mentale du travailleur.
Faits et procédure. Le contrat de travail d’un salarié prévoit une convention de forfait annuel de 217 jours.
Le salarié, ayant démissionné, saisit la juridiction prud’homale de demandes au titre de la convention individuelle de forfait en jours.
La cour d’appel (CA Limoges, 12 janvier 2022, n° 20/00759 N° Lexbase : A16737IS) constate qu’aucun entretien annuel n’a eu lieu en 2018.
En outre, l’employeur justifie qu’en raison de la démission de son directeur général et de la prise de fonction par la suite du nouveau directeur des opérations, les directions des différents hôtels sont convoquées à l’entretien individuel de suivi du forfait-cadre au titre de l’année 2018, en mars 2019.
Les juges du fond relèvent qu’eu égard à la nécessité de décaler l’ensemble des entretiens des directeurs du fait des contraintes de la société, le recueil de la date d’entretien du salarié au 6 mars 2019 est admissible et légitime.
Par ailleurs, relevant que le salarié a parfois travaillé plus de 6 jours de suite en 2016, 2017 et 2018, les juges du fond retiennent qu’à compter de 2018, les tableaux mentionnent une alerte de l’employeur (115 repos hebdomadaires à prendre au lieu de 104) et que le salarié bénéficie de jours de récupération.
Également, le dépassement du nombre de jours travaillés en 2016 et en 2017 ainsi que le fait pour l’employeur d’imposer au salarié un forfait annuel de 170 jours pour compenser la différence de 51 jours travaillés démontrent sa préoccupation que le temps de travail du salarié ne dépasse pas 217 jours par an afin de préserver sa santé et sa sécurité. Le dépassement de 30 jours en 2018 a été payé par l’employeur.
Enfin, la responsable des ressources humaines a expliqué au salarié le fonctionnement du fichier forfait cadre et a invité le salarié à poser ses congés. Les juges du fond relèvent que la note de service relative au report des congés a été signée, que la fiche relative à la durée du temps de travail a été remise et que les informations sur le forfait en jours ont été données aux directeurs d’hôtels.
Ils en déduisent que le salarié ne peut pas prétendre que son employeur ne portait pas un regard attentif sur le nombre de jours travaillés.
Les juges du fond déboutent alors le salarié de ses demandes.
Ce dernier forme un pourvoi en cassation.
Rappel. Aux termes de l'article L. 3121-60 du Code du travail N° Lexbase : L7344LHH, dont les dispositions sont d'ordre public, l'employeur s'assure régulièrement que la charge de travail du salarié est raisonnable et permet une bonne répartition dans le temps de son travail. Selon l'article L. 3121-64, II, du Code du travail N° Lexbase : L7344LHH, l'accord collectif autorisant la conclusion de conventions individuelles de forfait en jours détermine les modalités selon lesquelles l'employeur et le salarié communiquent périodiquement sur la charge de travail du salarié, sur l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle, sur sa rémunération, ainsi que sur l'organisation du travail dans l'entreprise. En outre, l'employeur, tenu d'une obligation de sécurité envers les salariés, doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Il ne méconnaît pas cette obligation légale s'il justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 N° Lexbase : L8043LGY et L. 4121-2 N° Lexbase : L6801K9R du Code du travail. Par conséquent, l’employeur est tenu de :
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La solution. Énonçant la solution susvisée, la Chambre sociale de la Cour de cassation casse la décision de la cour d’appel sur le fondement des articles L. 3121-60, L. 3121-64, II, du Code du travail, 2.4 de l'avenant n° 22 du 16 décembre 2014 à la Convention collective nationale des hôtels, cafés restaurants (HCR) du 30 avril 1997, relatif aux cadres autonomes
La Haute juridiction relève un non-respect des obligations légales et conventionnelles de l’employeur puisque :
Or, la Convention collective nationale des hôtels, cafés et restaurants prévoit que chaque salarié ayant conclu une convention de forfait en jours devra bénéficier chaque année d'un entretien avec son supérieur hiérarchique au cours duquel seront évoquées la charge de travail du salarié, l'amplitude de ses journées d'activité, l'organisation du travail dans l'entreprise, l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle et familiale ainsi que sa rémunération.
La Haute juridiction relève qu’il importe peu que le non-respect à ces obligations par l’employeur soit lié à des contraintes internes à l’entreprise. En outre, la récupération ou le paiement des jours de dépassement du forfait en jours et les alertes mentionnées sur les tableaux tenus par celui-ci, ne permettent pas de dire qu’il a mis en place des mesures de nature à remédier en temps utile à la charge de travail du salarié incompatible avec la durée raisonnable de travail dont il a été informé.
Pour aller plus loin :
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N8039BZR
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par Marie-Claire Sgarra
Le 17 Janvier 2024
Dans le cadre du dossier spécial de la revue Lexbase Fiscal « Loi de finances pour 2024 » nous vous proposons de tester vos connaissances sur le sujet. À vous de jouer !
Pour commencer le quiz, cliquez ici.
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newsid:488039
Réf. : CE, 5°-6° ch. réunies, 28 décembre 2023, n° 474289, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A98782A4
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N8054BZC
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par Yann Le Foll
Le 17 Janvier 2024
► Est justifiée la révocation d'un policier ayant tenu des propos racistes et discriminatoires sur un groupe d'un service de messagerie instantanée.
Faits. La sanction de la révocation prononcée à son encontre l'a été à raison de ces faits mais également pour le motif que, témoin des propos violemment racistes, misogynes, antisémites et discriminatoires émis par les autres membres du groupe, il n'a eu aucun comportement modérateur ou dissuasif.
Rappel. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes (CE, 2°-7° s-s-r., 27 février 2015, n° 376598, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A5178NCR).
Position CE. La cour administrative d’appel (CAA Douai, 23 mars 2023, n° 21DA02968 N° Lexbase : A27289LM annulant TA Rouen, 26 octobre 2021, n° 2003804 N° Lexbase : A52138AC) a pu, sans erreur de droit, estimer que les faits reprochés à l’intéressé étaient constitutifs d'une faute de nature à justifier légalement une sanction, même si les propos incriminés avaient été tenus au sein d'un groupe de discussion composé de collègues et si ces échanges étaient intervenus, en partie, en dehors du service.
En jugeant, en outre, qu'eu égard à la gravité des manquements commis par l'intéressé, par nature incompatibles avec la qualité de fonctionnaire de police, et alors même que ce dernier pouvait se prévaloir de bons états de service, les faits qui lui étaient reprochés justifiaient la sanction de la révocation, la cour s'est livrée à une appréciation des faits de l'espèce qui ne conduit pas au maintien d'une sanction hors de proportion avec les fautes commises.
Pour aller plus loin : v. ÉTUDE, La fin de carrière des fonctionnaires dans la fonction publique d'État, La révocation et la mise à la retraite d’office dans la fonction publique d'État, in Droit de la fonction publique (dir. P. Tifine), Lexbase N° Lexbase : E07703L4. |
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Réf. : CEDH, 18 janvier 2024, n° 20275/20 N° Lexbase : A23352GL
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N8103BZ7
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par Lisa Poinsot
Le 25 Janvier 2024
► La condamnation pénale d’une salariée en raison de son courriel contenant des allégations de harcèlement et d’agression sexuelle et envoyé à plusieurs personnes au sein et en dehors de l’entreprise constitue une ingérence dans sa liberté d’expression et comporte, par nature, un effet dissuasif susceptible de décourager les intéressés de dénoncer des faits aussi graves que ceux caractérisant, à leurs yeux, un harcèlement moral ou sexuel, voire une agression sexuelle.
Faits et procédure interne. Une salariée est condamnée pénalement en France pour diffamation publique, à la suite d’allégations de harcèlement et d’agression sexuelle dirigées contre un dirigeant de l’association qui l’emploie et adressées par courriel à 6 personnes au sein et en dehors de ladite association.
Le tribunal correctionnel de Paris la condamne à une amende de 1 000 euros, assortie de sursis, outre le montant de 2 000 euros pour les frais du procès.
La cour d’appel de Paris confirme partiellement ce jugement en considérant que les faits sont attentatoires à l’honneur et à la considération suffisamment précis pour faire l’objet d’un débat sur leur véracité. Elle juge, en outre, que s’il existe des éléments permettant d’établir la réalité d’un harcèlement moral, voire sexuel, dans la perception qu’a pu en avoir la salariée, rien ne permet de prouver l’existence d’une agression sexuelle, en l’absence de preuve.
L’intéressée soutient la violation de l’article 10 de la CESDH ainsi que son droit d’alerte reconnu par le Code du travail français devant la Cour de cassation pour contester la décision d’appel. La Haute juridiction rejette le pourvoi formé en considérant que les faits dénoncés sont suffisamment précis pour faire l’objet d’un débat sur leur vérité. De plus, l’existence de l’agression sexuelle n’est pas démontrée par la salariée.
Procédure devant la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH). Devant la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), la requérante invoque la violation de l’article 10 de la CESDH au motif que sa condamnation pénale pour diffamation a violé sa liberté d’expression.
Raisonnement de la CEDH. Concernant le courriel envoyé par la salariée, les juridictions françaises ont interprété strictement les conditions légales d’exonération de la responsabilité pénale du salarié puisqu’elles ont reconnu le caractère public du courriel.
Rappel. Le |
Or, ce courriel envoyé par la requérante constitue un texte envoyé à un nombre limité de personnes, n’ayant pas vocation à être diffusé au public, mais dont le seul but est d’alerter les intéressés sur la situation de la requérante afin de trouver une solution permettant d’y mettre fin.
La CEDH souligne sur ce point le contexte tendu consécutif aux démarches infructueuses de la requérante ayant alerté sur le comportement du prétendu agresseur à son égard.
Sur la nature des propos litigieux, les juridictions françaises ont estimé qu’il ne peut pas être reproché à la requérante, dans le contexte qu’elle subissait, de s’exprimer de manière vive et qu’il existe des éléments permettant d’établir la réalité d’un harcèlement moral, voire sexuel, dans la perception de l’intéressée. Pour autant, elles ont estimé que la salariée ne pouvait pas bénéficier de l’excuse de bonne foi puisque ses propos relatifs à l’agression sexuelle ne disposaient pas d’une base factuelle suffisante.
Or, la requérante a agi en qualité de victime alléguée des faits qu’elle dénonçait, et non en qualité de citoyen ou de lanceur d’alerte. Les propos contenus dans le courriel sont des déclarations de faits. L’absence de témoins pour les faits dénoncés ainsi que l’absence de plainte relative à de tels agissements ne peuvent conduire à caractériser la mauvaise foi de la requérante.
S’agissant des effets des propos tenus par la requérante sur la réputation de la personne dénoncée, ce n’est pas tant le courriel litigieux en soi que le billet publié sur Facebook par l’époux de l’intéressée, qui ont suscité de vifs échanges et ont porté l’affaire à la connaissance du public, de sorte que le courriel envoyé n’a entraîné que des effets limités sur la réputation du prétendu agresseur.
La solution. Énonçant la solution susvisée, la CEDH conclut à l’absence de rapport raisonnable de proportionnalité entre la restriction au droit de la requérante à la liberté d’expression et le but légitime poursuivi, de sorte qu’il y a une violation de l’article 10 de la CESDH.
La Cour souligne la nécessité, au regard de l’article 10, d’apporter la protection appropriée aux personnes dénonçant des faits de harcèlement moral ou sexuel dont elles s’estiment les victimes. Elle considère que les juridictions françaises, en refusant d’adapter aux circonstances de l’espèce la notion de base factuelle suffisante et les critères de la bonne foi, ont fait peser sur la requérante une charge de la preuve excessive en exigeant qu’elle rapporte la preuve des faits qu’elle entendait dénoncer.
Elle condamne ainsi la France à verser à la requérante 8 500 euros pour dommages moral et matériel.
Pour aller plus loin :
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newsid:488103