Réf. : Loi n° 2023-668, du 27 juillet 2023, visant à protéger les logements contre l'occupation illicite N° Lexbase : L2872MI9
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par Simon Husser, Docteur en droit, Enseignant contractuel à l’Université Rouen-Normandie
Le 06 Novembre 2023
Mots-clés : violation de domicile • squat • concours de qualification • locataire défaillant • propagande
Les dispositions pénales de la loi n° 2023-668 du 27 juillet 2023 visant à protéger les logements contre l’occupation illicite concernent la lutte contre le squat. Celui-ci n’est plus seulement appréhendé comme une atteinte à la vie privée. Il s’agit également, désormais, d’une atteinte à la propriété. Dans cette optique, le législateur a adopté trois séries de mesures visant à réprimer plus sévèrement ce phénomène. Premièrement, le périmètre du squat est étendu à des lieux autres que le domicile, à savoir les logements non meublés et les locaux professionnels. Cette extension ne résulte pas de la nouvelle définition du domicile introduite par la loi, dès lors que sa portée a été réduite par le Conseil constitutionnel. Elle découle de la création d’un nouveau délit d’occupation frauduleuse distinct du délit de violation de domicile. L’innovation soulève de nombreuses questions. Deuxièmement, de nouveaux comportements en lien plus ou moins étroit avec le squat sont incriminés : le maintien d’un locataire défaillant dans une propriété, en violation d’une décision de justice, ainsi que la propagande ou la publicité en faveur du squat. Troisièmement, le législateur a aggravé les peines du délit de violation de domicile et du délit de mise à disposition frauduleuse du bien immobilier d’autrui.
1. Économie générale du texte. Au sortir de l’été 2023, la désignation « anti-squat » est fortement mobilisée dans l’espace public. Outre la sortie, dans les salles obscures, d’un film éponyme mettant en scène une société logeant des personnes dans des bureaux inoccupés pour les protéger contre les squatteurs [1], c’est également cette terminologie qui est utilisée, en pratique, pour décrire la loi n° 2023-668 du 27 juillet 2023 visant à protéger les logements contre l’occupation illicite N° Lexbase : L2872MI9, texte ayant pour origine une proposition de loi issue des rangs de la majorité [2]. Pour autant, seul le premier chapitre de la loi (« Mieux réprimer le squat ») traite du squat au sens fort du terme. Le deuxième chapitre (« Sécuriser les rapports locatifs ») comme le troisième (« Renforcer l’accompagnement des locataires en difficulté ») ont, quant à eux, davantage trait au contentieux locatif, ce qui renvoie aux impayés de loyers, à des comportements relevant d’une « zone grise » [3] qu’il serait excessif de qualifier de squats. La critique du traitement conjoint, par le législateur, de questions aussi différentes n’a pas manqué d’être soulevée lors des débats parlementaires [4]. Sur le plan juridique, il est certain que les branches du droit à mobiliser ne sont pas les mêmes selon la problématique considérée. Sans surprise, les dispositions pénales se situent dans le chapitre premier de la loi, sur lequel on se focalisera, tandis que le reste du texte fait la part belle au droit civil [5]. Au niveau politique, toutefois, l’objectif de la loi est sans équivoque : il s’agit « d’envoyer un signal aux bailleurs, afin de ne pas désinciter à l’investissement et de couper court au mouvement de déport du marché locatif traditionnel vers celui des meublés de tourisme » [6], ce qui suppose notamment de « mieux protéger la propriété […] contre les squatteurs » [7].
2. Nécessité alléguée d’un renforcement de la lutte contre le squat. La pénalisation du squat n’est, bien entendu, pas une préoccupation nouvelle pour le législateur. Le délit de violation de domicile commis par un particulier, défini par l’article 226-4 du Code pénal N° Lexbase : L3174MIE, est depuis longtemps mobilisé pour sanctionner les occupants sans droit ni titre d’un logement, c’est-à-dire les individus qui se maintiennent dans un domicile à la suite d’une introduction réalisée à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou de contrainte [8]. Ce délit est étroitement lié à la procédure administrative d’expulsion forcée prévue par l’article 38 de la loi n° 2007-290 du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale (loi « DALO ») N° Lexbase : L5929HU7. Ainsi, en cas de violation de domicile, le propriétaire du logement ou son locataire peut demander au préfet de mettre en demeure les occupants de quitter son domicile et, en l’absence de départ volontaire, de les expulser avec le concours de la force publique, sans devoir passer par la voie civile, longue et complexé [9]. Cette procédure a été modifiée par la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique (loi « ASAP ») N° Lexbase : L9872LYB pour lui conférer plus d’efficacité [10]. Malgré des résultats plutôt satisfaisants [11], qui traduisent d’ailleurs le caractère marginal du phénomène du squat [12], la médiatisation régulière de faits divers suscitant une forte émotion dans l’opinion publique a fait de cette question un terreau propice à la frénésie parlementaire : pas moins de quinze propositions de loi ont été déposées depuis 2020 [13]. La majorité a donc fini par entendre les voix réclamant un renforcement de la lutte contre le squat, notamment sur le plan pénal.
3. Procédure d’adoption et intervention du Conseil constitutionnel. La proposition de la loi a été enregistrée le 18 octobre 2022 et a été significativement modifiée lors des premières lectures devant l’Assemblée nationale et le Sénat, les deuxièmes lectures n’ayant été à l’origine que de modifications marginales sur les aspects pénaux du texte. Saisi par des parlementaires de l’opposition, le Conseil constitutionnel a censuré une disposition civile de la loi – censure qui fut d’ailleurs mal comprise par l’opinion publique et qui le contraignit à publier un communiqué pour préciser son interprétation [14] –, mais a validé l’ensemble des mesures pénales soumises à son appréciation, une seule disposition étant assortie d’une réserve d’interprétation [15].
4. Apports du texte en droit pénal. Loin d’être une simple loi d’ajustement, le texte étudié introduit de profonds bouleversements quant au traitement pénal du squat. Un véritable changement de paradigme est introduit sur le plan des valeurs sociales protégées, puisque le squat n’est plus appréhendé sous le seul angle de la protection pénale de la vie privée, mais également sous l’angle de la propriété, conformément aux intentions des concepteurs du texte[16]. Dès lors, l’innovation majeure de la loi est l’extension du périmètre du squat : l’occupation de lieux autres que le domicile est à présent répréhensible (I.). Outre cet élargissement du périmètre du squat, le législateur a également incriminé des comportements auparavant non punissables et gravitant autour de ce phénomène (II.). Enfin, les peines de plusieurs infractions sont aggravées (III.).
I. L’extension du périmètre du squat
5. L’extension du périmètre du squat à d’autres lieux que le domicile est l’innovation majeure de la loi du 27 juillet 2023 et un des objectifs principaux des rédacteurs du texte. Toutefois, la façon dont cette extension a été réalisée (A.) soulève de nombreuses questions (B.).
A. Les voies de l’extension
6. Une nouvelle définition du domicile a initialement été proposée pour élargir la commission du délit de violation de domicile à des hypothèses qui lui échappaient jusqu’alors, mais la définition finalement retenue ne fait que conforter certains acquis jurisprudentiels (1), si bien que la véritable extension tient au champ d’application d’un des nouveaux délits d’occupation frauduleuse introduits par la loi (2).
1) L’extension manquée : la nouvelle définition du domicile
7. Énoncé de la définition. La loi du 27 juillet 20223 introduit un second alinéa au sein de l’article 226-4 du Code pénal, aux termes duquel : « Constitue notamment le domicile d’une personne, au sens du présent article, tout local d’habitation contenant des biens meubles lui appartenant, que cette personne y habite ou non et qu’il s’agisse de sa résidence principale ou non ».
8. Contexte jurisprudentiel. Le domicile est la condition préalable de l’infraction de violation de domicile ; tout l’enjeu est donc de déterminer ce que cette notion recouvre. À cet égard, il est classiquement jugé que l’infraction de violation de domicile n’a pas pour objet de garantir les propriétés immobilières des citoyens contre une usurpation, même violente [17], mais de sauvegarder la liberté, la sécurité et l’indépendance des citoyens en organisant la protection de leurs demeures [18]. Le domicile est ainsi « le lieu où une personne, qu’elle y habite ou non, a le droit de se dire chez elle, quels que soient le titre juridique de son occupation et l’affectation donnée aux locaux, ce texte n’ayant pas pour objet de garantir d’une manière générale les propriétés immobilières contre une usurpation » [19]. Une telle solution suppose que le juge vérifie in concreto l’habitabilité du lieu privé. Dès lors, constituent des domiciles une chambre d’hôtel [20], une chambre d’hôpital [21] ou un bateau aménagé [22]. En revanche, ne constituent pas un domicile le local inhabité et vide de tout mobilier ou matériel [23], un château ni habité ni habitable [24], ou une maison en construction [25].
9. Élaboration du texte. C’est précisément pour contrer certaines des solutions évoquées [26] que la version initiale du texte proposait d’ajouter une précision à l’article 226-4 selon laquelle l’infraction concerne le domicile d’autrui, « qu’il s’agisse ou non de sa résidence principale et qu’il soit meublé ou non » [27]. L’intégration explicite de la résidence secondaire à la définition du domicile – déjà effectuée à l’article 38 de la loi « DALO » par la loi « ASAP » – n’était pas nécessairement utile, la jurisprudence précitée ne s’opposant pas à une telle solution [28]. En revanche, la référence au logement non meublé élargissait significativement le périmètre du délit, ce que le garde des Sceaux n’a pas manqué de relever lors de l’ouverture des débats à l’Assemblée nationale [29]. Au cours de ces débats, la définition précitée fut introduite par voie d’amendement [30]. Si l’extension projetée était moins large qu’initialement, une telle rédaction aurait tout de même permis de considérer qu’un logement non raccordé à l’eau ou à l’électricité constitue un domicile.
10. Réserve d’interprétation. C’était sans compter l’intervention du Conseil constitutionnel. Après s’être référés à la définition prétorienne du domicile précitée – si bien qu’on peut se demander pourquoi le législateur ne s’est pas inspiré davantage de celle-ci – les juges constitutionnels ont émis une réserve d’interprétation aux termes de laquelle « la présence de tels meubles ne saurait, sans méconnaître le principe de nécessité des délits et des peines, permettre, à elle seule, de caractériser le délit de violation de domicile ». Il appartiendra donc au juge d’apprécier « si la présence de ces meubles permet de considérer que cette personne a le droit de s’y dire chez elle » [31]. En somme, l’extension souhaitée par le législateur semble manquée, dès lors que la présence de meubles devra être cumulée avec d’autres éléments, tels que le raccordement du logement au réseau électrique, par exemple. Bien entendu, il reste à observer comment la réserve d’interprétation sera comprise par les magistrats en pratique. Quoi qu’il en soit, si la nouvelle définition du domicile consolide des acquis jurisprudentiels, tout en restant très ouverte – ce dont atteste l’adverbe « notamment » – la véritable innovation légale se situe ailleurs.
2) L’extension réalisée : le nouveau délit d’occupation frauduleuse
11. Énoncé du délit. La loi étudiée introduit un nouvel article 315-2 du Code pénal N° Lexbase : L3178MIK au sein d’un nouveau chapitre (« De l’occupation frauduleuse d’un local à usage d’habitation ou à usage commercial, agricole ou professionnel livre dédiée aux atteintes aux biens ») inséré dans le titre Ier (« Des appropriations frauduleuses ») du livre III (« Les atteintes aux biens ») dudit code. L’alinéa premier de l’article réprime l’« introduction dans un local à usage d’habitation ou à usage commercial, agricole ou professionnel à l’aide de manœuvres, de menaces, de voies de fait ou de contrainte, hors les cas où la loi le permet » et l’alinéa second le « maintien dans le local à la suite de l’introduction mentionnée au premier alinéa, hors les cas où la loi le permet ». On aura reconnu la définition de la violation de domicile, à ceci près que la condition préalable du délit est, cette fois, un « local à usage d’habitation ou à usage commercial, agricole ou professionnel ».
12. Contexte jurisprudentiel. La jurisprudence n’a pas attendu l’article précité pour sanctionner des immixtions dans un lieu autre que le domicile. Adoptant une interprétation extensive de cette notion, le juge pénal a pu qualifier comme tel de nombreux lieux à usage professionnel [32], si bien que les arrêts refusant de retenir cette qualification pour de tels lieux font figure d’exception [33]. Cette construction jurisprudentielle repose en réalité sur un « anthropomorphisme excessif » [34] ; considérer que le siège d’une personne morale est équivalent à son domicile pose de sérieuses difficultés au niveau de la théorie des droits de la personnalité [35]. Il était donc souhaitable que législateur reconnaisse la spécificité du lieu de travail en incriminant l’intrusion en son sein [36]. Après tout, cette spécificité était déjà partiellement prise en compte en matière de vol aggravé [37] et elle l’était pleinement en matière procédurale, plusieurs dispositions étant relatives aux visites de lieux à usage professionnel [38].
13. Élaboration du texte. Ce n’est que lors de la première lecture à l’Assemblée nationale que les « locaux à usage économique » ont été intégrés à la définition du nouveau délit d’occupation frauduleuse [39]. Les peines prévues étaient, à ce stade, alignées sur celle de la violation de domicile. Il revint au Sénat de les réduire dans une optique de proportionnalité entre atteinte à la vie privée et atteinte à la propriété [40]. Enfin, au cours de la seconde lecture dans la chambre basse, la terminologie de local « à usage commercial, agricole ou professionnel » a finalement été retenue. Le rapporteur du texte a fait valoir que cette terminologie était déjà présente en droit positif, mais en citant à l’appui de cette assertion des textes non relatifs à la matière pénale [41]. Pourtant, les dispositions procédurales précitées auraient pu être prises comme modèle. Cela aurait permis d’établir une cohérence entre droit pénal de fond et droit pénal de forme en retenant la formule « lieux à usage professionnel », plus ciselée que celle finalement adoptée. En effet, comme a pu le relever une députée : « logiquement, ce qui est commercial et agricole est aussi professionnel » [42]. En toute hypothèse, le squat de lieux de travail devrait être réprimé sur le fondement de l’article 315-1 du Code pénal N° Lexbase : L3177MII à l’avenir, et il est sans doute louable que les magistrats n’aient plus à interpréter la notion de domicile de façon discutable. Mais le texte va plus loin, puisqu’il évoque aussi « le local à usage d’habitation », lequel devient alors une notion distincte de celle de domicile. Il faut sans doute comprendre que cette mention a un seul objectif : permettre de sanctionner le squat lorsque les juges ne peuvent pas qualifier le logement de domicile, en particulier en l’absence de meubles [43]. En somme, c’est bien l’article étudié qui réalise l’extension du périmètre du squat en droit pénal, mais la façon dont cette modification a été opérée soulève des enjeux qu’il convient d’approfondir.
B. Les enjeux de l’extension
14. En admettant que l’occupation de lieux à usage professionnel et de locaux d’habitation non meublés soit pénalement répréhensible au titre d’une atteinte à la propriété, tout en maintenant le délit de violation de domicile comme une atteinte à la vie privée, le législateur s’inscrit pleinement dans l’objectif annoncé : mettre à l’honneur la propriété privée[44]. Toutefois, la dualité d’infractions introduite engendre nécessairement un concours de qualifications (1) ainsi que des enjeux d’articulation avec la procédure administrative d’expulsion forcée (2).
1) Le concours des qualifications
15. Argumentaire du Conseil constitutionnel. Devant le Conseil constitutionnel, les requérants faisaient notamment valoir l’imprécision des termes « local à usage d’habitation ou à usage commercial, agricole ou professionnel », dont il résulterait une confusion entre la nouvelle incrimination et le délit de violation de domicile. Le Conseil constitutionnel a balayé cet argument en assénant que « les notions de local à usage d’habitation et de local à usage commercial, agricole ou professionnel ne sont ni imprécises ni équivoques » et que « le législateur a entendu réprimer certains comportements de nature à porter atteinte aux biens » en vertu de son pouvoir général d’appréciation et de décision [45]. Puis, les Sages ont poursuivi leur argumentaire en se plaçant sur le terrain du principe d’égalité devant la loi. Ce principe est le fondement privilégié par le Conseil constitutionnel pour traiter des conflits de qualification. Dans une décision du 28 juin 2013, il a ainsi refusé qu’un même comportement puisse être sanctionné par deux infractions distinctes punies de peines différentes et répondant à un régime procédural distinct, et ce, sans que la différence de traitement soit justifiée par une différence de situation [46]. En 2023, telle n’est pas la solution retenue : selon les Sages, les deux incriminations considérées « se différencient, dès lors qu’un local à usage d’habitation ou à usage commercial, agricole ou professionnel visé à l’article 315-1 du Code pénal ne constitue pas nécessairement un domicile au sens de l’article 226-4 de ce code », si bien que « le délit d’occupation frauduleuse de certains locaux, qui réprime une atteinte aux biens, et le délit de violation de domicile, qui réprime une atteinte aux personnes, punissent des agissements de nature différente » [47].
16. Appréciation de l’argumentaire. Les juges constitutionnels persistent donc à appréhender la question des conflits de qualification à l’aune du critère des valeurs sociales protégées, auquel a pourtant renoncé la chambre criminelle de la Cour de cassation [48]. Mais c’est surtout l’emploi du terme « nécessairement », dans cet argumentaire, qui soulève une difficulté d’interprétation. Il a été suggéré plus haut que l’article 315-1 du Code pénal N° Lexbase : L3177MII ne concernerait que les lieux à usage professionnel et les logements non meublés (ou autres hypothèses marginales où la jurisprudence écarte la qualification de domicile), tandis que l’article 226-4 du même code N° Lexbase : L3174MIE ne n’aurait trait qu’au domicile au sens fort du terme. Pour autant, l’adverbe évoqué peut laisser penser que la délimitation n’est pas aussi nette que cela : affirmer que des qualifications peuvent être incompatibles laisse ouverte la possibilité qu’elles ne le soient pas forcément. Dès lors, un juge favorable à la reconnaissance du droit à la vie privée des personnes morales pourra-t-il décider de continuer à réprimer le maintien dans le siège social d’une société sur le fondement de la violation de domicile, au prétexte que la vie privée de celle-ci est en cause ? À l’inverse, pourra-t-on reprocher à un magistrat d’avoir cru logique de qualifier une maison non habitée de local d’habitation, alors, on l’a vu, qu’il s’agit d’un domicile au sens de la nouvelle définition légale de celui-ci ? Rappelons que la différence de pénalité (deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende pour l’occupation frauduleuse ; trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende pour la violation de domicile) n’est peut-être pas significative [49], mais qu’elle demeure réelle. Une articulation plus nette des deux délits aurait été préférable. Plus largement, si tant est que l’on accepte de considérer que le local d’habitation soit une notion plus large que celle de domicile, ou à tout le moins distincte de celle-ci, l’interprétation de nombreux textes pourrait être amenée à évoluer. En effet, le vol est aggravé lorsqu’il est commis dans un « local d’habitation » [50], la légitime défense nocturne est présumée lorsqu’il est question d’un « lieu habité » [51] et l’accès des enquêteurs au « lieu d’habitation » est encadré lorsqu’il s’agit, par exemple, d’installer un dispositif de captation d’images [52]. Or, la doctrine considère que tous ces termes sont synonymes de domicile [53]. Il apparaît donc le législateur et le Conseil constitutionnel n’ont pas pris la mesure de l’impact potentiel d’une distinction entre domicile et lieu à usage d’habitation sur la lisibilité de la notion de domicile en droit pénal [54], si ce n’est pour articuler les infractions avec la procédure administrative d’expulsion forcée.
2) L’articulation des infractions avec la procédure administrative d’expulsion forcée
17. Problématique. La procédure administrative d’expulsion forcée prévue par l’article 38 de la loi « DALO » a fait l’objet de nombreuses retouches par la loi du 27 juillet 2023. Si toutes ne sont pas en lien direct avec les infractions qui viennent d’être évoquées [55], les modifications les plus importantes le sont, dès lors que cette procédure administrative ne pouvait classiquement être mise en œuvre que si une plainte pour violation de domicile était déposée. L’enjeu est donc de déterminer si l’extension opérée sur le plan substantiel quant au périmètre du squat peut rejaillir sur le plan procédural. Ainsi, peut-on demander au préfet l’expulsion de la personne qui occupe un logement non meublé ? Quid de celle qui occupe un lieu de travail ?
18. Articulation possible. Aux termes du premier alinéa de l’article précité, dans sa nouvelle rédaction, la mise en œuvre de la procédure suppose l’introduction et le maintien « dans le domicile d’autrui, qu’il s’agisse ou non de sa résidence principale ou dans un local à usage d’habitation » [56]. Le quatrième alinéa précise que « lorsque le local occupé ne constitue pas le domicile du demandeur », le délai assorti à la mise en demeure de quitter les lieux est de sept jours, et non de vingt-quatre heures. Il ne fait donc aucun doute que le législateur a souhaité étendre le champ d’application de la procédure à des lieux autres que le domicile, ce que suggère la nouvelle référence au « local d’habitation », soit essentiellement les logements non meublés. Or, on l’a vu, le squat de tels logements n’est répréhensible que sur le fondement de l’article 315-1 du Code pénal. Pour autant, les lieux à usage professionnel ne sont pas concernés ici. Logiquement, l’articulation suivante devrait alors être retenue : l’expulsion forcée est possible si le délit de violation de domicile ou le délit d’occupation frauduleuse d’un local d’habitation est constaté [57] ; l’expulsion forcée n’est pas possible si l’occupation frauduleuse concerne un lieu à usage professionnel [58]. En pratique, la victime du squat devra faire attention à viser l’infraction idoine dans sa plainte [59]. En toute hypothèse, le Conseil constitutionnel n’a rien trouvé à redire à cette extension du périmètre de la procédure d’expulsion forcée, mettant à nouveau l’accent sur le fait que le législateur « a cherché à protéger le droit de propriété » [60], objectif fondant également l’incrimination de nouveaux comportements en lien avec le squat.
II. L’incrimination de nouveaux comportements en lien avec le squat
19. Le squat renvoie normalement à l’occupation consécutive à une introduction irrégulière dans un lieu, si bien que qualifier le locataire ne payant plus son loyer de « squatteur » et l’exposer à la sanction pénale peut paraître excessif. C’est pourtant ce qui semble résulter de la loi étudiée. En effet, le maintien du locataire défaillant est à présent punissable au titre d’un nouveau délit d’occupation frauduleuse, lequel est introduit dans le chapitre de la loi visant à « mieux réprimer la lutte contre le squat » (A.). De façon plus anecdotique, un délit visant à sanctionner la promotion du squat a également été créé (B.).
A. Le maintien du locataire défaillant
20. Un délit assorti de causes d’exonération. Placé juste après le délit d’occupation frauduleuse dans un lieu autre que le domicile défini par l’article 315-1 du Code pénal, précédemment étudié, et inséré dans le même chapitre que celui-ci, l’article 315-2 du Code pénal énonce, en son premier alinéa, que « le maintien sans droit ni titre dans un local à usage d’habitation en violation d’une décision de justice définitive et exécutoire ayant donné lieu à un commandement régulier de quitter les lieux depuis plus de deux mois est puni de 7 500 euros d’amende ». Le second alinéa du texte assortit néanmoins ce délit de plusieurs causes d’exonération : l’infraction ne peut s’appliquer si la « trêve hivernale » est en cours [61], si un délai de grâce a été accordé (ou au moins sollicité) [62] et si le bailleur est une personne morale de droit public ou un bailleur social. Comme l’a souligné le rapporteur du texte au Sénat, cette dernière exclusion « peut s’interpréter comme une volonté de protéger surtout les petits propriétaires privés, plus vulnérables en cas d’impayés, et de tenir compte des moyens financiers plus limités des locataires du parc social » [63]. Il ressort nettement de ce texte que le locataire défaillant, s’il peut être exposé à la sanction pénale, n’est pas un squatteur comme un autre, dès lors qu’il est traité beaucoup moins sévèrement que l’auteur d’une violation de domicile ou que l’auteur d’une occupation illicite d’un lieu autre que le domicile. Il convient néanmoins de revenir sur le parcours de ce texte, afin de réaliser que les objectifs que s’étaient fixés ses concepteurs concernant l’élément matériel des infractions susceptibles de punir le squat sont loin d’être tous remplis.
21. Constat du double objectif initial. Tout au long du processus parlementaire, deux objectifs distincts ont interféré l’un avec l’autre : d’une part, élargir l’élément matériel de l’infraction de violation domicile en sanctionnant tout maintien dans un lieu consécutif une introduction régulière ; d’autre part, incriminer l’hypothèse spécifique du maintien dans une propriété en violation d’une décision de justice. S’agissant du premier objectif, il faut rappeler que le législateur avait lui-même involontairement restreint la définition de l’élément matériel du délit de violation de domicile par le passé. En effet, lors de l’entrée en vigueur du Code pénal de 1992, l’article 226-4 du Code pénal permettait de sanctionner le maintien de personnes se maintenant de façon irrégulière dans un lieu à la suite d’une introduction, elle, régulière. L’hypothèse n’est pas d’école. Il peut s’agir de l’ex-époux qui se maintient avec contrainte dans l’ancien domicile conjugal attribué par décision de justice à l’épouse [64] ; de l’individu à qui l’on aurait prêté son logement pour quelques jours et qui refuserait de quitter les lieux ; de militants qui se maintiendraient dans un domicile après y être entrés légalement [65] ; ou encore, tout simplement, de l’individu qui serait entré dans les lieux en trouvant la porte ouverte [66]. Néanmoins, afin de dissiper un doute sur la nature instantanée ou continue du délit en cas de maintien violent [67], une nouvelle rédaction a été adoptée par la loi n° 2015-714 du 24 juin 2015. Or, si cette loi a nettement tranché le débat en faveur du caractère continu de l’infraction, elle a, par la même occasion, conditionné la sanction du maintien à une introduction irrégulière préalable [68]. Il pouvait donc paraître nécessaire que le législateur intervienne afin de remédier à cette limitation injustifiée de la répression du squat [69]. S’agissant du second objectif, il est en cohérence avec l’esprit de la loi, mais c’est peu dire que l’idée de pénaliser le locataire défaillant ne fait pas l’unanimité [70].
22. Maintien du double objectif. Dans la proposition de loi, le double objectif était clairement rempli : un article de cette proposition remédiait à la carence évoquée en incriminant le maintien irrégulier « non précédé d’une introduction délictuelle », tandis qu’un autre article incriminait « l’occupation sans droit ni titre d’un logement appartenant à un tiers, lorsqu’elle se fait en violation d’une décision de justice définitive et exécutoire ayant donné lieu à un commandement régulier de quitter les lieux » [71]. Toutefois, ce dernier article fut vivement critiqué lors l’examen du texte par la commission des affaires économiques [72] de l’Assemblée nationale, si bien qu’une nouvelle rédaction fut proposée, laquelle prévoyait, de façon assez déroutante, que l’occupation « sans droit ni titre, de mauvaise foi, d’un immeuble bâti à usage d’habitation appartenant à un tiers s’apparente à un vol » tout en précisant qu’il « incombe au tiers occupant sans droit ni titre de présenter un titre de propriété, un contrat de bail en cours de validité le liant au propriétaire de l’immeuble occupé ou une convention d’occupation à titre gratuit signée par le propriétaire du bien » [73]. Les malfaçons de cette rédaction ont été d’emblée relevées par le garde des Sceaux lors des débats à l’Assemblée nationale [74], si bien que la distinction entre le délit d’occupation frauduleuse (le futur article 315-1 du Code pénal) et le délit visant le locataire défaillant (le futur article 315-2 Code pénal) était introduite. Les causes d’exonération précitées furent également ajoutées à ce stade, et une peine de prison était encore prévue. Par ailleurs, le maintien consécutif à une introduction régulière était bien réprimé, tant au titre de la violation de domicile que de l’occupation frauduleuse d’un lieu autre que le domicile.
23. Abandon du double objectif. Le Sénat a mis fin au double objectif poursuivi. Considérant que les deux textes qui lui étaient transmis permettaient de sanctionner les locataires défaillants, ce qu’il a jugé excessif, il a abandonné la sanction du maintien consécutif à une introduction régulière, pour ne retenir que le délit visant le locataire défaillant, non sans hésiter sur ce dernier point [75]. Quant à la peine de prison, elle fut supprimée lors des débats en séance publique devant la chambre haute, la peine de 7 500 euros d’amende étant, elle, conservée. En définitive, l’objectif le moins controversé n’a pas été atteint, tandis que la mesure la plus discutable a finalement été introduite. Pourtant, le locataire défaillant n’aurait pas forcément été concerné la sanction du maintien faisant suite à une introduction régulière. En effet, puisqu’un délit spécifique est introduit, les juges auraient pu considérer qu’il s’agit d’une infraction spéciale et juger, en vertu des principes de résolution de concours de qualification [76], que seul ce délit spécifique pouvait s’appliquer. Il faudra donc attendre la prochaine intervention législative pour qu’il soit remédié à l’impunité de certains squatteurs, ce qui est paradoxal au regard de l’objectif du texte étudié.
B. La propagande ou la publicité en faveur du squat
24. Énoncé du délit. Aux termes du nouvel article 226-4-2-1 du Code pénal N° Lexbase : L3175MIG, alinéa premier, « la propagande ou la publicité, quel qu’en soit le mode, en faveur de méthodes visant à faciliter ou à inciter à la commission des délits prévus aux articles 226-4 et 315-1 est punie de 3 750 euros d’amende ». L’alinéa second précise que les règles d’imputation prévues en matière d'infraction de presse lorsque la publication est effectuée par voie de presse ou par voie audiovisuelle sont applicables au délit.
25. Élaboration du délit. Ce nouveau délit n’était pas prévu dans la proposition de loi. Il a été introduit au stade des débats en séance publique devant l’Assemblée nationale, afin de lutter contre la diffusion de « guides du bon squatteur » [77]. Il revient au Sénat d’avoir précisé que la promotion illicite pouvait aussi concerner le délit d’occupation frauduleuse incriminé par l’article 315-1 du Code pénal et d’avoir ajouté la mention des règles d’imputation en matière d’infractions de presse [78].
26. Validation constitutionnelle. L’opposition a pu arguer que les documents de certaines associations d’aide au logement pourraient tomber sous le coup de cette incrimination. Le Conseil constitutionnel a jugé cette crainte injustifiée. Selon lui, le délit n’a « ni pour objet ni pour effet, en particulier [lorsque la diffusion] est effectuée par une association apportant, conformément à son objet, aide et assistance aux personnes en situation de précarité, d’incriminer la diffusion d’un message ou d’une information qui ne ferait pas directement ou indirectement la promotion de [méthodes visées par cette nouvelle infraction] » [79]. Les Sages ont également écarté de grief d’atteinte à la liberté d’expression et de communication [80].
III. L’aggravation des peines
27. Les peines du délit de violation de domicile. La loi du 27 juillet 2023 élève les peines encourues en matière de violation de domicile (anciennement d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende) à trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende. Cette aggravation avait déjà été envisagée par la loi « ASAP », mais le Conseil constitutionnel avait censuré l’innovation, dès lors qu’elle était sans lien avec l’objet du texte [81]. À l’appui de cette aggravation, le rapporteur à l’Assemblée nationale a avancé l’injustice tenant au fait que le propriétaire expulsant de force un squatteur de son logement encoure, en vertu de l’article 226-4-2 du Code pénal, une peine plus sévère que l’occupant illégitime [82]. Il a également invoqué l’effet dissuasif de l’augmentation du quantum de la peine et l’impact procédural de celle-ci, en ce qu’elle permet d’avoir recours à la comparution immédiate [83]. Le Conseil constitutionnel a, quant à lui, estimé que les peines étaient justifiées au regard de la nature des comportements incriminés [84]. En pratique, la modification n’aura pas d’incidence notable sur les sanctions prononcées, dès lors que les juges, en vertu de leur pouvoir de personnalisation de la peine, prononcent des peines très éloignées des maximums encourus. La possibilité de juger en comparution immédiate le délit est toutefois une véritable innovation dont le ministère public pourra se saisir.
28. Les peines du délit de mise à disposition frauduleuse du bien immobilier d’autrui. Le délit de mise à disposition frauduleuse du bien immobilier d’autrui, prévu par l’article 313-6-1 du Code pénal N° Lexbase : L3176MIH [85] sanctionne le fait de « de mettre à disposition d’un tiers, en vue qu’il y établisse son habitation moyennant le versement d’une contribution ou la fourniture de tout avantage en nature, un bien immobilier appartenant à autrui, sans être en mesure de justifier de l’autorisation du propriétaire ou de celle du titulaire du droit d’usage de ce bien ». À l’instar de l’aggravation précédente, les peines de ce délit sont passées d’un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende à trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende. À l’origine, les députés souhaitaient introduire un nouveau délit qui aurait consisté à « se dire faussement propriétaire de ce bien aux fins de le louer », pratique croissante chez les marchands de sommeil [86]. Autrement dit, il s’agissait de pallier l’impossible sanction d’un tel comportement sur le terrain de l’escroquerie, en l’absence de manœuvres frauduleuses et du fait que l’immeuble soit classiquement exclu du domaine de celle-ci [87]. Or, comme l’ont relevé les sénateurs, à juste titre, l’article 313-6-1 précité permet déjà de sanctionner « celui qui loue un bien en se faisant passer faussement pour son propriétaire, puisque l’auteur de l’infraction ne pourra jamais se prévaloir de l’autorisation du véritable propriétaire. Son champ d’application est plus large puisqu’il permet aussi de sanctionner par exemple des sous-locations accordées sans l’accord du propriétaire » [88]. La création d’une nouvelle infraction fut donc jugée inopportune et l’augmentation des peines de ce délit privilégiée. Étant donné que ce délit n’a été appliqué qu’une seule fois depuis sa création [89], l’innovation devrait rester purement symbolique.
À retenir.
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[1] Dispositif introduit à titre expérimental par la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique N° Lexbase : L8700LM8 et pérennisé par la loi commentée.
[2] G. Kasbarian, A. Bergé et L. Marcangeli (Renaissance et apparentés et Horizons et apparentés), Proposition de loi n° 360 visant à protéger les logements contre l’occupation illicite, 18 octobre 2022 [en ligne].
[3] G. Kasbarian, Rapport n° 491, fait au nom de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale sur la proposition de loi visant à protéger les logements contre l’occupation illicite, 16 novembre 2022, p. 5 [en ligne].
[5] La loi facilite ainsi la résiliation du bail des locataires défaillants en systématisant l’insertion d’une clause résolutoire. Elle raccourcit également les délais en matière de procédure d’expulsion locative.
[6] Rapport n° 491, préc., p. 6. Pour autant, comme le relève ce même rapport, les bailleurs ne sont pas les seules victimes du squat, dès lors qu’un quart des cas de squat répertoriés concernent des locataires momentanément absents de leur logement (p. 12).
[7] A. Reichardt, Rapport n° 278, 25 janvier 2023, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale sur la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à protéger les logements contre l’occupation illicite, p. 5 [en ligne].
[8] Sur les enjeux de cette définition, v. infra n° 21.
[9] V. G. Dumenil, Traitement juridique du « squat » : évolutions, interrogations et perspectives, Droit pénal 2022, étude 15.
[10] Le texte a notamment étendu le domaine de procédure à la résidence secondaire, déconnecté sa mise en œuvre du titre d’occupation du résident (propriétaire, locataire, occupant à titre gratuit) et introduit l’obligation pour le préfet de mettre en demeure l’occupant sous 48 heures à réception de la demande de quitter les lieux. Adde : N. Damas, Expulsion des squatteurs, vers plus d’efficacité ?, D. 2020, p. 2512.
[11] Rapport n° 491, préc., p. 11 : « au cours des six premiers mois de l’année 2021, 124 demandes de procédure avaient été déposées auprès des services préfectoraux dans des cas supposés de squats, avec un taux de traitement de 76 %. Dans l’Hexagone, quatre régions (Île-de-France, Hauts-de-France, Sud, Occitanie) concentraient 80 % des cas […] à la fin de l’année 2021, la ministre chargée du logement, Emmanuelle Wargon, avait rapporté que quelque 170 cas avaient pu être résolus par cette nouvelle procédure ».
[12] Pour étayer la nécessité de renforcer la pénalisation, l’expansion du phénomène du squat en Espagne a été fréquemment invoquée pendant les débats. Par ex., Rapp. n°491, préc, p. 68.
[13] Rapp. n° 491, préc., p. 14. Parmi ces propositions, dix provenaient du groupe Les Républicains.
[14] Communiqué du 29 juillet 2023, clarifiant la portée de la censure de l’article 7 de la loi qui introduisait un régime dérogatoire de responsabilité civile au profit des propriétaires de logements occupés illicitement [en ligne].
[15] Cons. const., n° 2023-853 DC, 26 juillet 2023. V. infra n° 10 N° Lexbase : A61471GR.
[16] Proposition de loi n° 360, préc., exposé des motifs, évoquant « les squats, à la fois violation de la sphère intime et privation de l’usage de la propriété » [en ligne].
[17] CA Paris, 16 juin 1987 : D. 1987, IR, p. 197. V. déjà, en droit romain, Digeste, 47, 10, § 2 : « Par maison on entend, non la propriété d’une maison, mais le domicile ».
[18] T. corr. Chalon-sur-Saône, 17 février 1950 ; JCP 1950, II, 5505, note G. Levasseur.
[19] Cass. crim., 22 janvier 1997, n° 95-81.186 N° Lexbase : A0863ACX.
[20] Cass. crim., 31 janvier 1914 : DP 1918, 1, p. 76 ; Cass. crim., 6 avril 1993, n° 93-80.185 N° Lexbase : A4679CNM.
[21] CA Paris, 17 mars 1986 ; Gaz. Pal. 1986, 2, p. 429.
[22] Cass. crim., 20 novembre 1984, n° 84-91.829 N° Lexbase : A3392AAU.
[23] T. corr. Chalon-sur-Saône, 17 février 1950, préc.
[24] Cass. crim., 26 juin 2002, n° 01-88.474 N° Lexbase : A6838C3N.
[25] Cass. crim., 1er avril 1992, n° 91-85.279 N° Lexbase : A9706CKP.
[26] Rapport n° 471, préc., p. 35 : « Cette clarification devrait permettre, sans s’écarter excessivement de la notion d’un lieu effectivement occupé, de sécuriser les biens qui sont sur le point d’être habités (déménagement, transaction, changement de locataire) mais sont temporairement vides de meubles. »
[27] Proposition de loi n° 360, préc., art. 2.
[28] En ce sens, G. Dumenil, art. préc.
[29] JOAN CR, préc., p. 6103.
[31] Cons. const., décision n° 2023-853 DC, 26 juillet 2023, préc., § 46-49 : il est également affirmé qu’ « en qualifiant en qualifiant certains locaux à usage d’habitation de domicile, le législateur n’a pas adopté des dispositions imprécises », ce dont on peut douter (v. infra n° 16).
[32] Par ex. : une usine (T. corr. Bar-le-Duc, 12 février 1936 : Gaz. Pal. 1936, 1, p. 847 ; TGI Épinal, 1er févr. 1972 ; Cah. prud’h. 1972, p. 143), le siège d’une personne morale (CEDH, 16 avril 2002, Req. 37971/97, Colas Est Sté c/ France, § 41 N° Lexbase : A5397AYK), un bureau (Cass. crim., 24 juin 1987, n° 87-82.333 N° Lexbase : A8481CIX ; Cass. crim., 7 février 1994, n° 93-80.520 N° Lexbase : A9319CNH).
[33] Par ex. : un bloc opératoire (Cass. crim., 27 novembre 1996, n° 95-84.118) ou le siège d’une association (Cass. crim., 27 septembre 1984, n° 84-93.474 N° Lexbase : A6481AAB).
[34] En ce sens, A. Lepage, v° « Droits de la personnalité », Rép. civ., n° 176.
[35] V. A. Lepage, op. cit., n° 165 et s. ; G. Dumenil, Le domicile en droit pénal, LGDJ, Paris, 2021, n° 170 et s.
[36] En ce sens : S. Husser, Privé et public en droit pénal, th. Paris-Panthéon-Assas, 2022, n° 270.
[37] C. pén., art. 311-4, 6° N° Lexbase : L7493L9E et 311-5, 3° N° Lexbase : L7624IP3, aggravant la répression du vol commis dans un « lieu utilisé ou destiné à l’entrepôt de fonds, valeurs, marchandises ou matériels », formule issue de la loi n° 81-82 du 2 février 1981, renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes N° Lexbase : L8215HI4. On notera que l’innovation avait précisément pour origine une jurisprudence interprétant trop largement l’ancienne notion de « maison habitée » (A. Vitu, Droit pénal spécial, t. 2, Cujas, 1982, n° 2276).
[38] C. proc. pén., art. 78-2-1 N° Lexbase : L9726L7D, habilitant les enquêteurs à entrer dans de tels lieux. V. aussi, en matière de visites administratives, C. com., art. L. 450-3 N° Lexbase : L6273L44 ; C. douanes, art. 63 ter N° Lexbase : L5938K8G ; C. conso., art. L. 512-5 N° Lexbase : L0968K7Y.
[39] Rapport n° 278, préc., p. 14.
[40] Rapport n° 278, préc., p. 71 : « il est logique que la peine soit plus sévère en cas de squat d’un domicile qu’en cas de squat de locaux commerciaux, qui sont parfois inoccupés depuis des années ».
[41] À savoir CCH, art. R. 122-1 N° Lexbase : L7510L9Z pour les bâtiments à usage agricole et l’article L. 329-1 du Code de l’urbanisme pour les locaux à usage commercial et professionnel (v. Rapp. n° 691, préc., p. 18).
[43] C’est ce que semble suggérer la distinction entre domicile et local d’habitation préconisée par les concepteurs du texte s’agissant de l’article 38 de la loi « DALO » (v. infra, n° 18).
[44] Comp., CEDH, 3 décembre 2020, Req. 12929/18, Papachela et Amazon c/ Grèce, § 63 N° Lexbase : A722138X, sanctionnant l’inaction de l’État n’ayant rien fait pour protéger les droits d’un propriétaire dont le bien avait été squatté.
[45] Cons. const., décision n° 2023-853 DC, 26 juillet 2023, préc., § 7-8.
[46] Cons. const., décision n° 2013-328 QPC, 28 juin 2013, § 6 N° Lexbase : A7733KHU.
[47] Cons. const., décision n° 2023-853 DC, 26 juillet 2023, préc., § 12-13.
[48] Cass. crim., 15 déc. 2021, n° 21-81.864. Adde : J.-C. Saint-Pau, Cumul des qualifications d’ usage de faux et d’escroquerie. Évolution de la règle ne bis in idem, Lexbase Pénal, 2022 N° Lexbase : N0178BZM ; X. Pin, Conflit de qualifications : beaucoup de bruit..., RSC 2022, p. 311 ; L. Saenko, Les concours d’infractions en matière pénale : la fractura temporis ?, D. 2022, p. 1762.
[49] Comp. Cons. const., décision n° 213-328 QPC, 28 juin 2013, où il était question de 5000 euros d’amende pour la première infraction et de cinq ans d’emprisonnement et 375 000 euros d’amende pour la seconde.
[50] C. pén., art. 311-4, 6° N° Lexbase : L7493L9E et 311-5, 3° N° Lexbase : L7624IP3.
[51] C. pén., art. 122-6 N° Lexbase : L2098AMN.
[52] C. proc. pén., art. 706-96 N° Lexbase : L7418LPG.
[53] G. Dumenil, op. cit., n° 254 ; S. Husser, op. cit., n° 242. V. déjà, A. Vitu, op. cit., t. 2, n° 2275.
[54] En ce sens, G. Dumenil, Loi visant à protéger les logements contre l'occupation illicite. De l'inflation législative à l'incohérence, Droit pénal, 2023, act. 990.
[55] La nouvelle mouture du texte prévoit que les maires et commissaires de justice pourront constater l’occupation illicite (al. 1er), elle instaure l’obligation, pour le préfet, de s’adresser dans un délai de 72 heures à l’administration fiscale pour établir la preuve des droits de la personne lésée par le squat, lorsque celle-ci ne peut en apporter la preuve par elle-même (al. 2) ; elle prend enfin en compte une réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel (Const. const., décision n° 2023-1038 QPC, 24 mars 2023 N° Lexbase : A50169KY) en précisant que la décision préfectorale de mise en demeure est prise « en considération de la situation personnelle et familiale de l’occupant » (al. 3).
[56] La référence au « local d’habitation » a été introduite par le Sénat au stade de l’examen du texte en commission, à la place de la référence au domicile « meublé ou non » (Rapport n° 278, préc., p. 26).
[57] Ce qui n’était pas le cas auparavant : v. CE, 25 mars 2021, n° 450651 N° Lexbase : A59164NG.
[58] Rapport n° 691, préc., p. 27 : « deviendraient ainsi éligibles à la procédure d’évacuation forcée les logements occupés par des squatteurs entre deux locations ou juste après l’achèvement de la construction, avant que le propriétaire n’ait eu le temps d’emménager » ; v. aussi la réponse du rapporteur du texte à une critique d’une députée de l’opposition : « Vous dites que [la modification] étend la notion de domicile à tout lieu vide, mais ce n’est pas le cas. Les locaux à usage économique, par exemple, sont traités à l’article 1er A. L’article 38 de la loi Dalo n’a pas vocation à couvrir tout lieu vide et il est fait une distinction entre le domicile et les locaux à usage d’habitation » (Rapp. n° 1010, préc., p. 79).
[59] L’article 38 de la loi « DALO » n’ayant jamais fait explicitement référence à la violation de domicile, rien ne s’oppose à ce que la plainte vise le délit de l’article 315-1 du Code pénal.
[60] Cons. const., n° 2023-853 DC, 26 juillet 2023, préc., § 54 à 64.
[61] Soit du 1er novembre au 31 mars de l’année suivante (CPCE, art. L. 412-6).
[62] CPCE, art. L. 412-3 ; v. Rapport n° 278, préc. p. 15 : « Il est logique qu’aucune sanction pénale ne soit encourue lorsque le maintien dans les lieux est autorisé par une décision du juge civil. »
[63] Rapp. n° 278, préc., loc. cit.
[64] V. not., Cass. crim., 9 décembre 1998, n° 97-80.578 N° Lexbase : A5895CQE.
[65] G. Dumenil, Traitement juridique du « squat », art. préc.
[66] En ce sens, Rapport n° 278, préc., p. 7.
[67] L’enjeu étant la possibilité d’ouvrir une enquête de flagrance et de permettre, par suite, de justifier le recours à la procédure d’expulsion forcée de la loi « DALO ».
[68] En revanche, le maintien consécutif à une introduction irrégulière n’a plus à être commis à l’aide de violence.
[69] En ce sens, G. Dumenil, art. préc.
[70] Un député de l’opposition a pu fustiger une « proposition de loi Jean Valjean » (Rapport n° 491, p. 92).
[71] Prop. de loi n° 360, préc., art. 2 et 3.
[72] Rapp. n° 491, préc., p. 91.
[73] Art. 1er A du texte élaboré par ladite commission.
[74] JOAN CR, 28 novembre 2022, préc., p. 6103, relevant l’absence de définition de la mauvaise foi en droit pénal, un champ d’application trop large du délit et l’instauration d’une présomption de culpabilité.
[75] Rapport n° 278, préc., p. 16. Après avoir relevé les critiques tenant à « l’effet de stigmatisation [que le délit] pourrait entraîner », « son caractère peu opérant », et le fait qu’il pourrait concerner 35 000 ménages, la commission « a toutefois décidé de [le] maintenir compte tenu de son potentiel effet dissuasif ».
[76] Cass. crim., 15 décembre 2021, n° 21-81.864, préc.
[77] JOAN CR, 2 décembre 2022, préc., p. 6397.
[78] Rapp. n° 278, préc., p. 22. Sur le souci d’efficacité répressive inhérent à l’extension de ces règles d’imputation, v. S. Husser, op. cit., n° 322.
[79] Cons. const., décision n° 2023-853 DC, 26 juill. 2023, préc., § 37
[80] Cons. const., décision n° 2023-853 DC, 26 juill. 2023, préc., § 42.
[81] Cons. const., décision n° 2020-807 DC, 3 déc. 2020, § 69.
[82] Rapport n° 491, préc., p. 28. Cet argumentaire a été validé par le garde des Sceaux : « Il est totalement anormal, en effet, qu’un propriétaire qui tente de récupérer son appartement – ou sa maison – d’habitation, occupé de façon tout à fait illégale, soit puni davantage que le squatteur » (JOAN CR, 2 décembre 2022, préc., p. 6396). En sens contraire, pour un député de l’opposition, « si un propriétaire qui commet un délit d’expulsion illégale est plus sévèrement puni, c’est parce qu’il s’en prend physiquement à des familles, qu’il met dehors, souvent violemment. Lorsqu’un squatteur entre dans un domicile, la violence n’est pas la même : il occupe un bien mais ne se confronte pas physiquement à un propriétaire absent » (Rapport n° 491, préc., p. 75).
[83] Rapport n° 491, préc., p. 28.
[84] Cons. const., décision n° 2020-807 DC, 3 décembre 2020, § 31 N° Lexbase : A721138L.
[85] Le délit a été introduit par loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure N° Lexbase : L9731A9B.
[86] Proposition de loi n° 360, préc., art. 1er bis.
[87] Rapport n° 491, préc., p. 29.
[88] Rapport n° 278, préc. p. 24.
[89] CA Paris, 18 oct. 2005 : M. Véron, obs., Droit pénal 2006., comm. 90.
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Réf. : Cass. civ. 3, 12 octobre 2023, n° 22-18.580, FS-B N° Lexbase : A29451LN
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par Anne-Lise Lonné-Clément
Le 19 Octobre 2023
► Pour apprécier, au jour de la délivrance du congé, le caractère réel et sérieux de l'intention du bailleur de reprendre le logement pour l'habiter à titre de résidence principale, le juge peut tenir compte d'éléments postérieurs, dès lors qu'ils sont de nature à établir cette intention.
Le présent arrêt rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation mérite l’attention en ce qu’il permet de reclarifier certains points en matière de congé pour reprise délivré par le bailleur.
La Haute juridiction rappelle ainsi la teneur des dispositions de l'article 15, I, de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 N° Lexbase : Z00030UY : « lorsque le bailleur donne congé à son locataire, ce congé doit être justifié soit par sa décision de reprendre ou de vendre le logement, soit par un motif légitime et sérieux, notamment l'inexécution par le locataire de l'une des obligations lui incombant. A peine de nullité, le congé donné par le bailleur doit indiquer le motif allégué et, en cas de reprise, les nom et adresse du bénéficiaire de la reprise ainsi que la nature du lien existant entre le bailleur et le bénéficiaire de la reprise qui ne peut être que le bailleur, son conjoint, le partenaire auquel il est lié par un pacte civil de solidarité enregistré à la date du congé, son concubin notoire depuis au moins un an à la date du congé, ses ascendants, ses descendants ou ceux de son conjoint, de son partenaire ou de son concubin notoire. Lorsqu'il donne congé à son locataire pour reprendre le logement, le bailleur justifie du caractère réel et sérieux de sa décision de reprise. Le délai de préavis applicable au congé est de six mois lorsqu'il émane du bailleur. »
Comme le relève la Cour suprême, ce texte ajoute qu'en cas de contestation, le juge peut, même d'office, vérifier la réalité du motif du congé et le respect des obligations prévues par celui-ci.
La première clarification apportée par le présent arrêt est de préciser que la prescription de la justification dans le congé du caractère réel et sérieux de la décision de reprise, à titre de condition de forme, n'est pas édictée à peine de nullité.
La précision est inédite, étant rappelé que l’obligation, pour le bailleur délivrant un congé pour reprise, de justifier du caractère réel et sérieux de sa décision est seulement issue de la loi « ALUR » (loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 N° Lexbase : L8342IZY), qui a modifié en ce sens l’article 15 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989.
La seconde clarification est celle énoncé supra, concernant la prise en compte d'éléments postérieurs à la délivrance du congé.
En l’espèce, la cour d'appel de Douai (CA Douai, 19 mai 2022, n° 21/02279 N° Lexbase : A47777X9), avait, par motifs propres et adoptés, d'une part, retenu, procédant à la recherche prétendument omise, qu'expliquant son projet de reprise par sa volonté, étant devenu veuf, de retourner vivre dans sa région d'origine où résident nombre de ses proches, le bailleur pouvait ainsi décider d'établir sa résidence principale dans le logement loué tout en conservant une résidence secondaire dans le sud de la France, d'autre part, constaté qu'il rapportait la preuve de son inscription sur les listes électorales de la commune le 7 décembre 2020, celle de la réalisation d'importants travaux dans ce logement par la production de factures postérieures à la libération des lieux par les locataires le 25 juin 2021, qu'il justifiait de la souscription de contrats de fourniture d'eau, de gaz et d'électricité, en juillet 2021, d'un abonnement Internet et d'une téléalarme ainsi que de l'information délivrée aux services fiscaux sur son lieu d'habitation en novembre 2021.
Selon la Haute juridiction, la cour d'appel, qui pouvait tenir compte d'éléments postérieurs dès lors qu'ils étaient de nature à établir cette intention, en a souverainement déduit le caractère réel et sérieux de l'intention du bailleur, au jour de la délivrance du congé, de reprendre le logement pour l'habiter à titre de résidence principale, et a ainsi légalement justifié sa décision.
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Réf. : CAA Paris, 22 septembre 2023, n° 22PA02509 N° Lexbase : A63221HM
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par Emma Veran, Avocate associée au cabinet Vigier Veran Avocats
Le 18 Octobre 2023
Mots clés : résiliation anticipée • bail emphytéotique administratif • non-subventionnement • loi du 9 décembre 1905 • libéralités
Par une décision du 22 septembre 2023, la cour administrative d’appel de Paris a jugé que la loi de 1905 ne fait pas obstacle à la résiliation anticipée d’un bail emphytéotique administratif pour permettre à une association cultuelle de devenir propriétaire du terrain communal et de l’édifice cultuel. En revanche, cette résiliation anticipée doit être effectuée dans des conditions excluant toute libéralité et, partant, toute aide directe ou indirecte à un culte. En l’occurrence, le fait d’octroyer à l’association cultuelle un paiement échelonné pour le quart du montant total de la somme due et ce, sans intérêts, doit être analysé comme une subvention proscrite.
En l’espèce, la commune de Bagnolet a conclu en 2005 avec l’association de bienfaisance et de fraternité de Bagnolet (ABFB) un bail emphytéotique administratif (BEA) en vue de l’édification d’une mosquée sur un terrain communal.
Ce bail, initialement consenti pour une durée de soixante-trois ans, avait pour objet de conférer des droits réels sur le terrain communal à l’association. L’association cultuelle s’engageait ainsi à construire la mosquée et, en contrepartie, devait verser à la commune un loyer d’un euro annuel et, surtout, à l’issue du bail, devait transférer à la commune l'intégralité des constructions réalisées.
Par une délibération du 11 avril 2019, le conseil municipal de Bagnolet a, d'une part, approuvé la résiliation anticipée de ce bail et, d'autre part, autorisé la cession du bien à l'association au prix de 950 000 euros hors taxes conformément au montant évalué par le service des domaines, dont 700 000 euros versés à la signature de l'acte de vente et 250 000 euros versés en quarante-huit mensualités sans intérêt de 5 208,33 euros.
Cette délibération a été contestée par une conseillère municipale d’opposition devant le tribunal administratif de Montreuil.
Le tribunal administratif de Montreuil a annulé la délibération en litige et la commune de Bagnolet a interjeté appel de ce jugement devant la cour administrative d’appel de Paris.
En appel, la cour a confirmé le jugement du tribunal et la censure de la délibération en litige en jugeant que la loi de 1905 ne fait pas obstacle à la résiliation anticipée du BEA cultuel, sauf à ce que les conditions de cette résiliation mettent en lumière l’octroi d’un avantage prohibé à l’association cultuelle. Tel était le cas en l’espèce : la commune de Bagnolet, d’une part, avait accordé un avantage à l’association cultuelle en ayant autorisé le paiement échelonné sans intérêt d'une partie de la somme due et, d’autre part, n’avait pas tenu compte de cet avantage dans l’estimation du prix de vente. Les modalités de la résiliation anticipée traduisant une libéralité, la délibération du conseil municipal de Bagnolet autorisant la résiliation anticipée du BEA est donc entachée d’illégalité.
Cette décision illustre le caractère libéral de la loi du 9 décembre 1905, concernant la séparation des Églises et de l'État N° Lexbase : L0978HDL, qui, si elle pose un principe d’interdiction de subventionnement public aux cultes, comporte en réalité nombre de dérogations, à l’instar du recours au BEA cultuel (I.). Cela étant, les conditions de recours à ces dispositifs dérogatoires doivent exclure toute libéralité et, par suite, toute aide directe ou indirecte. La décision commentée constitue une illustration de ce principe en matière de résiliation anticipée d’un BEA cultuel (II.).
I. Rappel du cadre applicable : le principe général d’abstention financière en matière de culte et ses dérogations à l’instar du BEA cultuel
Rappelons que la loi du 9 décembre 1905, qui a mis fin au système concordataire [1], s’articule autour de deux grands principes : la liberté de culte [2] et le principe de séparation des Églises et de l’État, impliquant à la fois l’absence de reconnaissance des cultes par l’État et l’interdiction du subventionnement public des cultes [3].
Le principe de non-subventionnement n’est toutefois pas absolu et connaît des tempéraments contenus dans le texte même de la loi de 1905 ainsi que des tempéraments instaurés ultérieurement par le législateur.
S’agissant des tempéraments issus de la loi de 1905, ainsi que l’a rappelé la cour dans la décision commentée, les collectivités publiques peuvent financer les dépenses d’entretien et de conservation des édifices servant à l'exercice public d'un culte dont elles sont demeurées ou devenues propriétaires lors de la séparation des églises et de l'État [4] ou accorder des concours aux associations cultuelles pour des travaux de réparation d'édifices cultuels [5]. Il peut en outre être rappelé que les personnes publiques conservent la faculté d’inscrire dans leurs budgets publics les « dépenses relatives à des services d'aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons » [6]. Faculté qui constitue une obligation dès lors que la contribution de l’administration est nécessaire pour garantir le libre exercice des cultes [7].
Le législateur est ultérieurement intervenu pour faciliter l’intervention des collectivités territoriales, au soutien de la construction de nouveaux édifices cultuels. En effet, comme le soulignait le rapporteur public Edouard Geffray [8] : « la principale difficulté soulevée par le cadre juridique défini par la loi de 1905, est qu'il s'agit d'une « loi de stock », et non d'une « loi de flux » (…), la construction des futurs lieux de culte n'étant appréhendée qu'à travers les questions d'aides ou de subventions au culte, et non de gestion du bâti. »
Aussi, en 1961 [9], le législateur a permis aux communes, aux départements et à l'État pour les associations à caractère national, de garantir « les emprunts contractés pour financer la construction dans les agglomérations en voie de développement d'édifices répondant à des besoins collectifs de caractère religieux par des groupements locaux ou par des associations cultuelles ». Il s’agit là d’une dérogation substantielle au principe de non-subventionnement puisque, en cas de défaillance du débiteur, la collectivité publique doit assumer l’exécution de l’obligation à sa place.
Les collectivités territoriales ont également été autorisées à conclure un bail emphytéotique avec une association cultuelle pour permettre l'édification des lieux de culte. En recourant à ce dispositif, une collectivité peut ainsi louer sur une longue durée et pour un coût modique un bien immobilier à une association cultuelle en vue de la construction d’un édifice cultuel, dont la collectivité deviendra propriétaire à l’issue du bail. Le cas d’espèce en est un parfait exemple.
D’abord développé sur le domaine privé des collectivités (bail emphytéotique privé), à compter de 1988 [10], le recours au bail emphytéotique s’est étendu sur leur domaine public (BEA). En 2006, pour mettre fin aux incertitudes juridiques liées à la possibilité de conclure un BEA cultuel, l’ordonnance du 21 avril 2006 [11] a modifié les dispositions de l’article L. 1311-2 du Code général des collectivités territoriales N° Lexbase : L7478L74 pour préciser qu’un BEA peut notamment être conclu « en vue de l’affectation à une association cultuelle d’un édifice du culte ouvert au public ». Dans une décision d’assemblée du 19 juillet 2011 [12], le Conseil d’État a toutefois jugé que l’ordonnance de 2006 n’avait fait qu’expliciter la portée exacte de l’article L. 1311-2 du CGCT.
II. L’esprit général de la loi de 1905 implique l’exclusion de toute libéralité : illustration de ce principe en matière de résiliation anticipée d’un BEA
Si des dérogations au principe général de non-subventionnement sont ainsi admises, il reste que, en application d’une jurisprudence constante, le recours à ces dispositifs et plus généralement toute intervention publique en matière cultuelle doit être réalisé dans des conditions excluant toute libéralité et, par suite, toute aide directe ou indirecte. Il s’agit là d’un garde-fou permettant de garantir le respect des principes de neutralité et d'égalité entre les cultes, corolaires du principe de laïcité.
À titre d’illustration, le Conseil d’État a rappelé ce principe s’agissant de la possibilité pour les cultes de bénéficier des règles de droit commun relatives à l’utilisation des locaux communaux par des associations. Ainsi, les dispositions de l'article L. 2144-3 du CGCT N° Lexbase : L7228K9L permettent à une commune, en tenant compte des nécessités qu'elles mentionnent, d'autoriser, dans le respect du principe de neutralité à l'égard des cultes et du principe d'égalité, l'utilisation d'un local qui lui appartient pour l'exercice d'un culte par une association, dès lors que les conditions financières de cette autorisation excluent toute libéralité et, par suite, toute aide à un culte. Dans ce cadre, constitue une libéralité et par suite une aide à un culte le fait de décider qu'un local dont une collectivité est propriétaire sera laissé de façon exclusive et pérenne à la disposition d'une association pour l'exercice d'un culte [13]. En revanche, dans une espèce où une association cultuelle sollicitait la mise à disposition d'un local de réunion une heure par semaine pendant un mois et n'avait pas sollicité une mise à disposition exclusive et pérenne du local, le Conseil d’État a jugé que la brièveté et le nombre très limité des périodes d'utilisation sollicitées, ainsi que la modestie de l'avantage accordé, ne permettaient pas de conclure que l'association avait bénéficié d'une libéralité [14].
En l’espèce, l’arrêt de la cour administrative d’appel s’inscrit dans cette jurisprudence, en développant un raisonnement en trois temps. La cour juge d’abord que la loi du 9 décembre 1905 ne fait pas obstacle à la résiliation anticipée d'un BEA cultuel conclu sur le fondement des dispositions de l'article L. 1311-2 du CGCT pour permettre à une association cultuelle de devenir propriétaire du terrain communal et de l’édifice cultuel. Elle rappelle ensuite que les dispositions de l’article L. 1311-2 du CGCT ne peuvent être regardées comme ayant entendu exclure l'application de la loi de 1905 en ce qui concerne les conditions financières dans lesquelles le bien objet du bail est cédé. Par conséquent, l’application de la loi de 1905 implique que la cession du terrain soit effectuée dans les conditions qui excluent toute libéralité et, par suite, toute aide directe ou indirecte à un culte.
Or, en l’espèce, le fait d’avoir accordé à l’association cultuelle un paiement échelonné sans intérêt d’une partie de la somme due, sans contrepartie, à l’instar d’une fixation à la hausse du prix de vente, constitue un avantage, ayant pour effet de minorer le prix de cession du bien en deçà de sa valeur réelle. La cour en déduit que la commune a versé à l'association une subvention proscrite par les dispositions de la loi du 9 décembre 1905.
À retenir :
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[1] Quelques exceptions perdurent toutefois. Ainsi, la loi de 1905 ne s’applique pas en Alsace-Moselle et dans certains territoires d'outre-mer (Guyane, Mayotte, Nouvelle-Calédonie, Polynésie, Wallis-et-Futuna et Saint-Pierre-et-Miquelon).
[2] Loi du 9 décembre 1905, art. 1.
[3] Loi du 9 décembre 1905, art. 2, al. 1.
[4] Loi du 9 décembre 1905, art. 13.
[5] Loi du 9 décembre 1905, art. 19, dernier al.
[6] Loi du 9 décembre 1905, art. 2, al. 2.
[7] CE, Sect., 28 janvier 1955, Sieurs Aubrun et Villechenoux, au Recueil. V. récemment : CE, 27 juin 2018, n° 412039 N° Lexbase : A0418XUZ, au Recueil.
[8] Conclusions sur CE, Ass., 19 juillet 2011, n°s 308544, 308817, 309161, 313518, 320796 N° Lexbase : A0572HW4, au Recueil (conclusions en accès libre sur Ariane Web).
[9] Article 11 de la loi n° 61-825 du 19 juillet 1961 de finances rectificative pour 1961, aujourd’hui codifié aux articles L. 2252-4 N° Lexbase : L7481L79 et L. 3231-5 N° Lexbase : L7483L7B du Code général des collectivités territoriales.
[10] Loi n° 88-13 du 5 janvier 1988 d'amélioration de la décentralisation, art. 13, II, codifié à l’article L. 1311-2 du Code général des collectivités territoriales.
[11] Ordonnance n° 2006-460 du 21 avril 2006, relative à la partie législative du Code général de la propriété des personnes publiques N° Lexbase : L3736HI9.
[12] CE, Ass., 19 juillet 2011, n° 320796 N° Lexbase : A0576HWA, au Recueil.
[13] CE Ass., 19 juillet 2011, n° 313518 N° Lexbase : A0575HW9, au Recueil.
[14] CE, référé, 26 août 2011, n° 352106 N° Lexbase : A7595HXL.
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Réf. : Cass. com., 11 octobre 2023, n° 21-19.896, F-B N° Lexbase : A85251KX
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N7106BZ9
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par Marie-Claire Sgarra
Le 18 Octobre 2023
► La discordance entre un avis de mise en recouvrement, qui ne faisait référence qu'au procès-verbal d'infraction, et ce dernier est source de confusion quant à la base juridique précise du redressement et induit une ambiguïté quant à une éventuelle requalification des faits par l'administration des douanes L’AMR, qui ne constitue pas un acte de procédure soumis aux dispositions de l'article 114 du CPC, est irrégulier.
Les faits :
Procédure :
Cadre juridique
Aux termes de l’article 114 du Code de procédure civil N° Lexbase : L1395H4G, aucun acte de procédure ne peut être déclaré nul pour vice de forme si la nullité n'en est pas expressément prévue par la loi, sauf en cas d'inobservation d'une formalité substantielle ou d'ordre public. La nullité ne peut être prononcée qu'à charge pour l'adversaire qui l'invoque de prouver le grief que lui cause l'irrégularité, même lorsqu'il s'agit d'une formalité substantielle ou d'ordre public.
Aux termes de l’article 345, alinéa 3 du Code des douanes N° Lexbase : L3309LCK, l'avis de mise en recouvrement indique le fait générateur de la créance ainsi que sa nature, son montant et les éléments de sa liquidation. Une copie est notifiée au redevable.
Solution de la Chambre commerciale. C'est par une interprétation souveraine, exclusive de dénaturation, de l'AMR, qui n'était ni clair ni précis, que la cour d'appel a estimé qu'il existait une discordance manifeste entre l'AMR, qui visait la prise en compte de taux de taxation erronés, et le procès-verbal d'infraction du 1er décembre 2016, qui se rapportait à une minoration de l'assiette de la TICPE.
Après avoir rappelé qu'aux termes de l'article 345, alinéa 3, du Code des douanes, l’AMR indique le fait générateur de la créance, la cour d'appel a retenu que la discordance entre l'AMR, qui ne faisait référence qu'au procès-verbal d'infraction, et ce dernier était source de confusion quant à la base juridique précise du redressement et induisait une ambiguïté quant à une éventuelle requalification des faits par l'administration des douanes, et en a exactement déduit que l'AMR, qui ne constitue pas un acte de procédure soumis aux dispositions de l'article 114 du CPC, était irrégulier.
Le pourvoi de l’administration des douanes est rejeté.
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Réf. : CE, 2°-7° ch. réunies, 10 octobre 2023, n° 472831, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A13031LT
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N7129BZ3
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par Yann Le Foll
Le 06 Décembre 2023
► Le demandeur d'asile sollicitant (hors délai) une admission au séjour sur un autre fondement peut voir sa demande examinée en cas de circonstances nouvelles apparues postérieurement à l'expiration de ce délai.
Principe. Dans le cas où un étranger ayant demandé l'asile a été dûment informé, en application des dispositions de l'article L. 431-2 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile N° Lexbase : L3316LZT, des conditions dans lesquelles il peut solliciter son admission au séjour sur un autre fondement et où il formule une demande de titre de séjour après l'expiration du délai qui lui a été indiqué pour le faire, l'autorité administrative peut rejeter cette demande motif pris de sa tardiveté.
Ceci n’est cependant pas valable si l'étranger a fait valoir, dans sa demande à l'administration, une circonstance de fait ou une considération de droit nouvelle, c'est-à-dire un motif de délivrance d'un titre de séjour apparu postérieurement à l'expiration de ce délai.
Si tel est le cas, aucun nouveau délai ne lui est opposable pour formuler sa demande de titre. L'étranger ne peut se prévaloir pour la première fois devant le juge d'une telle circonstance.
La tardiveté de la demande de titre formulée par l'étranger ayant présenté une demande d'asile peut constituer l'un des motifs de la décision de refus de titre prise après le rejet définitif de sa demande d'asile ou fonder un refus d'enregistrement de la demande de titre, dont l'étranger sera recevable à demander l'annulation pour excès de pouvoir.
Précision. Le refus d'enregistrer une demande de titre de séjour motif pris du caractère incomplet du dossier ne constitue pas une décision faisant grief susceptible d'être déférée au juge de l'excès de pouvoir lorsque le dossier est effectivement incomplet (CE, 28 janvier 1998, n° 158973 N° Lexbase : A6035ASC).
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Réf. : Cass. soc., 10 octobre 2023, n° 23-17.506, FS-B N° Lexbase : A56011KN
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N7077BZ7
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par Lisa Poinsot
Le 19 Novembre 2023
► La sanction du non-respect des règles de représentation équilibrée homme / femme résulte d’un juste équilibre entre la représentation équilibrée des sexes aux élections professionnelles et l’intérêt de conserver une diversité syndicale résultant du principe constitutionnel de participation des travailleurs.
Faits et procédure. Dans le cadre du renouvellement de la délégation du personnel au comité social et économique, une société saisit le tribunal judiciaire afin de juger que la liste de candidats présentée par un syndicat au premier tour des élections professionnelles organisées en son sein pour le 1er collège, non-cadres, est irrégulière au regard des règles relatives à la présentation équilibrée des hommes et des femmes et à l’interdiction de présenter un unique candidat si plusieurs sièges sont à pourvoir. Il est demandé en conséquence de juger ce syndicat comme non représentatif et d'annuler les élections professionnelles.
Le tribunal a débouté la société de l’ensemble de ses demandes au motif que, statuant après les élections professionnelles, la demande d’annulation de la liste de candidats contestée est devenue « sans objet ».
À l’occasion du pourvoi formé contre ce jugement, la société a demandé de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité : la sanction, prévue à l’article L. 2314-32 du Code du travail N° Lexbase : L8318LG8, du non-respect des règles de représentation équilibrée homme / femme est-elle conforme à la Constitution en ce qu’elle se limite à entraîner l’annulation de l’élection des salariés élus en violation de ces règles, sans porter atteinte à la représentativité obtenue par l’organisation syndicale qui a présenté une liste non-conforme ?
La Cour de cassation s'est principalement penchée sur le caractère sérieux de cette question. Elle a relevé que le législateur n'a pas porté atteinte au principe d'égalité devant la loi, la sanction étant appliquée de la même manière à tous les syndicats placés dans la même situation. Le législateur a opéré une conciliation équilibrée entre les exigences de l'alinéa 3 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et celles des alinéas 6 et 8 de ce Préambule en choisissant, en cas d'irrégularité de la liste de candidats aux élections des membres de la délégation du personnel au comité social et économique, lorsque le tribunal statue après l'élection, la seule sanction de l'annulation de l'élection d'un nombre d'élus du sexe surreprésenté égal au nombre de candidats du sexe surreprésenté en surnombre sur la liste de candidats au regard de la part de femmes et d'hommes que celle-ci devait respecter, sans remettre en cause la qualité représentative des organisations syndicales leur permettant d'accéder à la négociation collective, notamment des conditions de travail des salariés de l'entreprise.
La solution. Énonçant la solution susvisée, la Chambre sociale de la Cour de cassation refuse de transmettre la QPC au Conseil constitutionnel.
Pour aller plus loin :
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Réf. : Cass. com., 4 octobre 2023, n° 22-14.439, F-B N° Lexbase : A17201KW
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N7128BZZ
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par Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences - HDR à l’Université Côte d’Azur, Membre du CERDP, Directrice du Master 2 Droit des entreprises en difficulté de la faculté de droit de Nice
Le 18 Octobre 2023
Mots-clés : Vérification des créances • contestation sérieuse • saisine du tribunal compétent pour trancher la contestation sérieuse • délai du mois à compter de la notification de l’ordonnance • nécessité de la remise au greffe dans le délai du mois (non)
Le tribunal compétent pour trancher une contestation sérieuse est réputé saisi dès la date de la délivrance de l'assignation, dès lors que celle-ci est remise au greffe.
Lorsqu’une législation est trop stricte, elle finit souvent par s’adoucir sous l’impulsion interprétative de la jurisprudence. Un bon exemple de cette tendance nous est ici donné, dans le domaine bien connu des lecteurs de cette chronique, celui de la contestation sérieuse de la créance.
On sait que le juge-commissaire a une compétence de principe pour statuer sur les créances déclarées.
Il est d’abord, sauf l’hypothèse de l’instance en cours au jour du jugement d’ouverture, le seul juge de la régularité de la déclaration de créance et il doit, selon une lecture a contrario de l’article L. 624-2 du Code de commerce N° Lexbase : L9131L7C, rendre une décision d’irrecevabilité de la déclaration de créance en présence d’une déclaration de créance irrégulière.
Ensuite, il est le juge de principe pour statuer sur le fond de la créance déclarée. Il en ira cependant différemment, d’une part, en présence d’une instance en cours et, d’autre part, en présence d’une incompétence stricto sensu, en raison de la compétence d’ordre public d’une autre juridiction. Dans ces deux hypothèses, le juge-commissaire doit rendre une ordonnance qui le dessaisit définitivement.
En dehors de ces deux cas, le juge-commissaire a, par principe, une plénitude de juridiction pour admettre ou rejeter la créance déclarée. Il peut donc connaître de tous les moyens soulevés par le mandataire de justice, en charge de la vérification des créances ou par le débiteur. Il existe une exception : le cas de la contestation sérieuse.
Il y a contestation sérieuse lorsque, d’une part, la contestation ne relève pas de l’évidence et que, d’autre part, elle a des chances de prospérer.
Lorsqu’il y a contestation sérieuse, le juge-commissaire doit rendre une ordonnance constatant qu’il y a contestation sérieuse, indiquant qu’il sursoit à statuer, et désignant l’une des parties, le mandataire judiciaire, le débiteur ou le créancier, comme ayant la charge de saisir la juridiction compétente pour trancher la contestation sérieuse. Une fois celle-ci tranchée, il y a place à révocation du sursis à statuer et le juge-commissaire peut admettre ou rejeter la créance en fonction de la décision rendue par la juridiction qui a tranché la contestation sérieuse.
Lorsque le juge-commissaire, comme il en a l’obligation, désigne une partie ayant la charge de trancher la contestation sérieuse, celle-ci doit saisir la juridiction compétente dans le mois de la notification de l’ordonnance constatant l’existence d’une contestation sérieuse. La solution est posée par l’article R. 624-5, alinéa 1, du Code de commerce N° Lexbase : L7228LEG, selon lequel « Lorsque le juge-commissaire se déclare incompétent ou constate l'existence d'une contestation sérieuse, il renvoie, par ordonnance spécialement motivée, les parties à mieux se pourvoir et invite, selon le cas, le créancier, le débiteur ou le mandataire judiciaire à saisir la juridiction compétente dans un délai d'un mois à compter de la notification ou de la réception de l'avis délivré à cette fin, à peine de forclusion à moins d'appel dans les cas où cette voie de recours est ouverte ».
Ainsi, faute pour la partie désignée dans l’ordonnance de saisir le tribunal compétent pour faire trancher la contestation sérieuse, l’intéressé encourt la forclusion. Encourue par le mandataire judiciaire ou par le débiteur, la forclusion empêchera l’intéressé de soutenir la contestation de la créance et celle-ci devrait être admise dans les conditions de sa déclaration [1]. Encourue par le créancier, la forclusion empêchera l’intéressé de prétendre à l’admission de sa créance [2] ou, à tout le moins, lui interdira de contester la proposition de rejet émise par le mandataire judiciaire.
On le voit, le danger lié à la forclusion est très important, que ce soit du côté du débiteur qui perdrait le droit de voir minorer son passif ou du côté du créancier qui ne pourrait plus prétendre être admis au passif dans les conditions de sa déclaration.
Mais, que faut-il entendre exactement par l’expression « saisir la juridiction compétente dans un délai d'un mois à compter de la notification » ? Faut-il que le tribunal soit effectivement saisi par dépôt à son greffe de l’assignation avec demande d’enrôlement ? Suffit-il que l’assignation du défendeur ait été délivrée ? C’est à cette question que répond pour la première fois la Cour de cassation.
En l’espèce, la société Tim Joh Vic a été mise en redressement puis en liquidation judiciaires les 21 juillet 2016 et 25 janvier 2018. La société Nord Europe Lease devenue Bail Actéa Immobilier (le créancier), a déclaré une créance qui a été contestée. Par une ordonnance notifiée au débiteur le 5 février 2019, le juge-commissaire a constaté que la contestation ne relevait pas de ses pouvoirs juridictionnels et a invité le débiteur à saisir la juridiction compétente.
Le débiteur a assigné le liquidateur et le créancier pour qu'il soit statué sur sa créance devant le tribunal de grande instance. La remise au greffe de l’assignation pour enrôlement est intervenue le 4 avril 2019, postérieurement au délai d'un mois de la notification de l'ordonnance du juge-commissaire. La cour d’appel [3] a tiré de cette constatation la conclusion que le tribunal apte à trancher la contestation sérieuse n’avait pas été saisi dans le mois de la notification.
Pourvoi est formé par le débiteur qui soutient que le tribunal avait été saisi par l'assignation des 25 et 26 février 2019, soit moins d'un mois après la notification, le 5 février 2019, de l'ordonnance du 31 janvier 2019. Par conséquent, les juges du fond ont violé l'article R. 624-5 du Code de commerce, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 N° Lexbase : L2696LEL.
Cette interprétation va faire mouche et la Cour de cassation, par un arrêt appelé à la publication au Bulletin, en raison de son importance pratique considérable, va casser l’arrêt rendu par la cour d’appel de Rouen, en jugeant, au visa des articles R. 624-5 du code de commerce, rendu applicable à la liquidation judiciaire par l'article R. 641-28 du même code N° Lexbase : L1056HZ7, qu’il « résulte de ce texte que le tribunal est réputé saisi dès la date de la délivrance de l’assignation, dès lors que celle-ci est remise au greffe. Pour déclarer irrecevables en leurs demandes les sociétés Tim Joh Vic et Mandateam, ès qualités, l’arrêt, après avoir relevé que l’ordonnance du juge-commissaire du 31 janvier 2019 avait été notifiée le 5 février 2019 à la société Tim Joh Vic qui avait assigné les sociétés Nord Europe Lease et Diesbeck-Zolotarenko les 25 et 26 février 2019, retient que la remise au greffe est intervenue le 4 avril 2019, postérieurement au délai d’un mois de la notification de l’ordonnance du juge-commissaire. En statuant ainsi, alors que le tribunal était réputé saisi dès la date de la délivrance de l’assignation, dès lors que celle-ci avait ensuite été remise au greffe, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».
La cause est entendue : il faut, mais il suffit, que l’assignation ait été délivrée dans le mois de la notification de l’ordonnance du juge-commissaire constatant la contestation sérieuse pour que la forclusion soit évitée. Peu importe, en revanche, que l’assignation n’ait été placée au rôle de la juridiction que postérieurement au délai du mois, l’assignation dans le délai, suffisant à éviter la forclusion, dès lors que cette assignation est effectivement ensuite remise au greffe.
La Cour de cassation a pris le soin de viser l’article R. 624-5 du Code de commerce. Pourtant sa lettre n’est absolument pas conforme à la solution qu’elle pose. Par une fiction, la Cour de cassation fait comme si la délivrance de l’assignation dans le délai du mois emportait rétroactivement saisine de la juridiction dans le délai, dès lors que l’assignation est ensuite effectivement remise au greffe.
Ce n’est pas la première fois que la Cour de cassation apporte des assouplissements dans cette matière de la contestation sérieuse, si piégeuse pour les parties.
C’est ainsi que la Cour de cassation a précisé que, en dépit de l’indivisibilité du lien d’instance qui existe en la matière, il faut, mais il suffit, que l’une des parties soit assignée dans le délai du mois de la notification de l’ordonnance, peu important que les autres ne le soient qu’ultérieurement [4].
En outre, la Cour de cassation a précisé que, dès lors que la juridiction était saisie, il importait peu qu’elle le soit par la personne désignée dans l’ordonnance du juge-commissaire [5].
Ce sont bien là deux assouplissements incontestables dans cette matière de la contestation sérieuse, auquel s’ajoute l’assouplissement apporté par le présent arrêt.
En résumant les assouplissements apportés en la matière, on peut donc affirmer que la juridiction est valablement saisie dès lors que l’assignation a été délivrée dans le délai du mois, peu important la date de remise au greffe, peu important que l’assignation émane de la partie désignée dans l’ordonnance par le juge-commissaire, et peu important que toutes les parties aient été assignées dans le délai du mois, dès lors que l’une d’elles au moins a été assignée dans ce délai.
Dura lex, sed lex, sous réserve de l’interprétation lénifiante de la jurisprudence.
[1] Cass. com., 14 juin 2023, n° 21-25.799, F-D N° Lexbase : A217093R.
[2] Cass. com., 27 septembre 2016, n° 14-18.998, F-P+B N° Lexbase : A7070R4M.
[3] CA Rouen, 27 janvier 2022, n° 21/00808 N° Lexbase : A58677KI.
[4] Cass. com., 14 juin 2023, n° 21-24.458 et n° 21-25.638, F-B N° Lexbase : A79869ZS.
[5] Cass. com., 2 mars 2022, n° 20-21.712, F-B N° Lexbase : A10537PP, Dalloz Actualité, 24 mars 2022, obs. B. Ferrari ; Act. proc. coll., 2022/7, comm. 88, note J. Vallansan ; E. Le Corre-Broly, Lexbase Affaires, mars 2022, n° 710 N° Lexbase : A10537PP.
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Réf. : CE 3° et 8° ch.-r., 29 septembre 2023, n° 473972, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A57171IL
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par Jérôme Bissardon, Avocat Fiscaliste – FBT AVOCATS SA
Le 18 Octobre 2023
Mots-clés : pacte Dutreil • location meublée • droits de mutation à titre gratuit • entreprise individuelle • activité patrimoniale
Le Conseil d’État, dans un arrêt du 29 septembre 2023, affirme que l’activité de location meublée est une activité commerciale et qu’aucune disposition légale n’exclut expressément cette activité du bénéfice du dispositif « Dutreil ».
Lire en ce sens, les commentaires de la Rapporteure publique, Karin Ciavaldini dans le numéro de cette semaine N° Lexbase : N7142BZK.
À titre liminaire, rappelons que les transmissions à titre gratuit d’actions et de parts de sociétés peuvent bénéficier d’une exonération, dans le respect de certaines conditions, de droits de mutation à titre gratuit (droits de donation et droits de succession) à concurrence des trois quarts de leur valeur. Il s’agit du dispositif « Dutreil-transmission » prévu à l’article 787 B du Code général des impôts N° Lexbase : L8080MHQ. En sus de cet avantage fiscal, les donations en pleine propriété peuvent bénéficier d'une réduction de droits de donation liée à l’âge du donateur de 50 % (s’il a moins de 70 ans).
Un dispositif comparable existe également pour les entreprises individuelles. Prévu à l’article 787 C du Code général des impôts N° Lexbase : L8958IQT, l’exonération s’applique à concurrence de 75 % de la valeur de l’entreprise individuelle détenue depuis plus de deux ans par le donateur (ou le défunt), lorsque le ou les donataires (ou héritiers, légataires) prennent l'engagement de conserver pendant quatre ans les biens affectés à l'exploitation, et que l'un d'entre eux s'engage à poursuivre l'exploitation pendant trois ans. La réduction de 50 % des droits liée à l'âge du donateur est applicable au surplus, aux donations en pleine propriété de la totalité de l’entreprise individuelle (ou une quote-part indivise) qui respectent certaines conditions, si le donateur a moins de soixante-dix ans.
I. L’exposé du litige et de la procédure
Un contribuable exploite une entreprise individuelle exerçant une activité de loueur en meublé. Il a revendiqué l’exonération à l’occasion de la succession de son père. L’administration fiscale a remis en cause l’application du dispositif en raison de l’activité de location meublée qu’elle n’estimait pas éligible et notifié des rappels d’impôts.
Le 23 janvier 2023, le contribuable a demandé au ministre de l'Économie, des Finances et de la souveraineté industrielle et numérique d’abroger le paragraphe n° 15 et plus particulièrement l’exclusion des activités de location de locaux meublés à usage d'habitation du bénéfice du dispositif « Dutreil ».
L’administration fiscale, dans sa doctrine mise à jour le 21 décembre 2021 (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, §15), précise en effet que : « Seules sont susceptibles d'ouvrir droit à l'exonération les parts ou actions d'une société qui exerce une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale, à l'exclusion des activités de nature civile. Pour l’appréciation de la nature de l’activité, il est admis de se reporter aux indications données dans la documentation afférente à la détermination de l’assiette de l’impôt sur la fortune immobilière (BOI-PAT-IFI-20-20-20-30). Ainsi, pour l'application de l'article 787 B du CGI, sont considérées comme activités commerciales les activités mentionnées à l'article 34 du CGI et à l'article 35 du CGI, à l'exclusion des activités de gestion par une société de son propre patrimoine immobilier […]. Sont en revanche exclues […] les activités de location de locaux meublés à usage d’habitation […] ».
En l’absence de réponse du ministre, le contribuable a par suite demandé au Conseil d'État d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet du ministre. Il a demandé également l’annulation des commentaires contestés.
II. La motivation de l’arrêt du Conseil d’État
Dans son arrêt, le Conseil d’État souligne que « le fait de donner habituellement en location des locaux d'habitation garnis de meubles ne saurait être systématiquement regardé, pour l'application de la loi fiscale, comme une activité civile dépourvue de caractère commercial ». Il en conclut que « si le législateur a précisé que, pour l'application des dispositions relatives à l'impôt sur la fortune immobilière, comme du reste pour d'autres régimes fiscaux, une activité de gestion de son propre patrimoine immobilier n'est pas considérée comme une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale, aucune disposition de portée similaire ne permet, en revanche, de dénier de manière générale à la location de locaux meublés à usage d'habitation le caractère d'activité commerciale au sens des articles 787 B et 787 C du Code général des impôts ». Autrement dit, ce n’est pas parce que le législateur a pris le soin pour un certain nombre de dispositifs fiscaux d’exclure l’activité de location meublée, que celle-ci se trouverait être exclue pour l’application du dispositif « Dutreil ». Les articles 787 B et 787 C du Code général des impôts n’excluent en effet nullement l’activité de location meublée pour le bénéfice de l’exonération. |
Le Conseil d’État annule par conséquent la décision implicite de rejet du ministre.
Il rejette toutefois l’annulation des commentaires en litige pour cause de tardiveté de la demande, soulignant que lesdits commentaires sont en ligne depuis le 21 décembre 2021.
III. La portée de cet arrêt : quelles perspectives ?
Le 6 novembre 2015, le Comité de l’abus de droit fiscal avait rendu un avis dans lequel il relevait qu’une activité de location de locaux d’habitation meublés constituait une activité civile, non éligible à l’exonération partielle prévue par le dispositif « Dutreil » (CADF/AC n° 07/2015) [en ligne]. L’administration fiscale a décidé dans cette affaire de ne pas suivre l’avis émis par le Comité. Elle estimait que cette activité, accompagnée ou non de prestations de services, était bien éligible à l’exonération partielle.
Le 21 décembre 2021, l’administration fiscale a toutefois mis à jour sa doctrine en prenant le soin d’exclure notamment les activités de location de locaux meublés à usage d’habitation (cf. supra).
La chambre commerciale de la Cour de cassation a pris position dans deux arrêts du 1er juin 2023 et du 21 juin 2023 (Cass. com., 1er juin 2023 n° 22-15.152, F-D N° Lexbase : A12479YT ; Cass. com. 21 juin 2023 n° 21-18.226, F-D N° Lexbase : A424294U) :
Ces deux arrêts de la chambre commerciale de la Cour de cassation précèdent de quelques mois celui du Conseil d’État. Les deux juridictions partagent donc la même position.
À première vue, ces arrêts offrent de réelles opportunités. Le dispositif « Dutreil » est donc applicable, toutes autres conditions devant être réunies :
Malheureusement, notre enthousiasme pour appliquer le dispositif « Dutreil » dans ces cas de figure pourrait bien être gâché prochainement.
En préambule de l’intervention probable du législateur, un rapport d’information a été préparé par la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire de l’Assemblée nationale aux termes d’une mission d’information. Il a été enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale deux jours avant l’arrêt du Conseil d’État, le 27 septembre 2023. Les recommandations n°1 4 et 15 concernent en particulier le dispositif « Dutreil » et retiennent notre attention :
« Les rapporteurs rappellent que le législateur a visé expressément les sociétés exerçant une activité « industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale ». Cela exclut logiquement les activités civiles de gestion par une société de son propre patrimoine immobilier, ce qui a conduit la doctrine fiscale à indiquer de façon expresse que sont exclues du bénéfice du Dutreil les « activités de loueurs d’établissements commerciaux ou industriels munis du mobilier ou du matériel nécessaire à leur exploitation » […], c’est-à-dire les activités de location meublée. [Ndlr : On remarquera au passage que les rapporteurs confondent l’activité de location « équipée » avec celle de location de locaux meublés à usage d'habitation].
Or dans le cadre d’un contentieux opposant l’administration à des donataires de parts d’une société civile immobilière exerçant l’activité de location meublée qui avaient souhaité bénéficier du Dutreil, la Cour de cassation vient de rendre un jugement [Ndlr : un arrêt] considérant que cette activité y est éligible, au motif que, bien que de nature civile, la location meublée est fiscalement imposée dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux (Cass. com., 1er juin 2023, n° 22-15.152, F-D N° Lexbase : A12479YT). [Ndlr : il n’était pas question de location meublée au cas d’espèce mais de location équipée].
Le risque est donc considérable d’un détournement massif du Dutreil pour faciliter les donations de SCI exerçant une activité de location meublée, ce qui est manifestement contraire à l’intention du législateur qui a toujours voulu réserver le régime de faveur à la transmission de sociétés opérationnelles.
Pour faire échec à cette jurisprudence, le législateur doit donc intervenir, dès la prochaine loi de finances, pour prévoir expressément que les activités de location meublée sont exclues du bénéfice du Dutreil ».
Le message est entendu par le Gouvernement, qui par un amendement du 17 octobre 2023 [en ligne], a modifié les articles 787 B et 787 C du code général des impôts afin que l’exonération partielle ne puisse pas s'appliquer aux activités patrimoniales, dont la location de locaux meublés ou d’établissements commerciaux ou industriels équipés. Si cette modification est adoptée, elle s'appliquerait aux transmissions intervenant à compter de la date de présentation de l’amendement, c’est-à-dire le 17 octobre 2023. Avant d’envisager d’appliquer le dispositif « Dutreil » aux transmissions de titres de sociétés ou d’entreprises individuelles exerçant une activité de location meublée, il semble donc indispensable de ne pas se précipiter et d’être particulièrement attentif à l’évolution des débats dans le cadre du projet de loi de finances pour 2024. |
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Réf. : Cass. ass. plén., 28 juillet 2023, n° 21-86.418, 21-87.457, 22-80.634, 22-81.029, 22-83.929, 22-83.930, 22-83.949 et 22-85.784 N° Lexbase : A49341CQ
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par Maxime Cléry-Melin et Jean-Baptiste Boué-Diacquenod, avocats au barreau de Paris
Le 20 Octobre 2023
Mots-clés : CJR • perquisition • saisie • impartialité • procureur général
Le 28 juillet 2023, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a confirmé le renvoi du garde des Sceaux devant la Cour de justice de la République (CJR) afin d’y être jugé pour prise illégale d’intérêts. En rejetant les pourvois formés par le ministre contre les différents arrêts rendus par la commission d’instruction de la CJR, la Cour de cassation apporte des éclairages utiles sur cette procédure à part dans l’ordre judiciaire.
Éric Dupond-Moretti, ministre de la Justice, garde des Sceaux, comparaîtra devant la Cour de Justice de la République (CJR) du 6 au 17 novembre 2023. Il devra répondre de deux accusations de prise illégale d’intérêts, une première pour un ministre en exercice. À l’origine de la procédure devant la CJR, une plainte pour prise illégale d’intérêts déposée fin 2020 par Anticor, l’Union syndicale des magistrats et le Syndicat de la magistrature.
Les faits sont connus : il est reproché à M. Dupond-Moretti d’avoir, après sa prise de fonction place Vendôme en juillet 2020, ordonné à l’inspection générale de la Justice d’engager des enquêtes administratives à l’encontre de trois magistrats du Parquet national financier (PNF) et d’un juge d’instruction avec lesquels il avait eu affaire lorsqu’il était encore avocat.
Le 8 janvier 2021, la commission des requêtes de la CJR transmettait ces plaintes au procureur général près la Cour de cassation, à l’époque François Molins, afin qu’il saisisse la commission d’instruction, conformément à la procédure régie par la loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993 N° Lexbase : L5413ASB. La commission des requêtes émettait dans le même temps un avis favorable à la saisine d’office de la commission d’instruction par le procureur général.
Saisie par un réquisitoire du 13 janvier 2021, la commission d’instruction mettait en examen M. Dupond-Moretti le 16 juillet 2021 du chef de prise illégale d’intérêts.
Au cours de l’instruction, celui-ci déposait deux requêtes en nullité des pièces de la procédure portant principalement sur l’irrecevabilité des plaintes déposées, l’irrégularité des perquisitions et le défaut d’impartialité de la commission d’instruction et du procureur général près la Cour de cassation. Il déposait également cinq demandes d’actes afin de procéder à des mesures d’instruction complémentaires, notamment l’exploitation des factures téléphoniques du procureur général et diverses auditions de témoins, dont ce dernier. Chaque demande était successivement rejetée par la commission d’instruction, de sorte que M. Dupond-Moretti se pourvoyait en cassation contre chacune de ces décisions de rejet.
Le 3 octobre 2022, il était renvoyé devant la formation de jugement de la CJR pour être jugé des faits de prise illégale d’intérêts. Il formait également un pourvoi contre cette décision, soulevant le défaut de notification du droit au silence.
C’est donc sur l’ensemble de ces pourvois que l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a statué dans son arrêt rendu le 28 juillet 2023 [1]. La Cour valide le renvoi de M. Dupond-Moretti en rejetant la majeure partie de ses recours ; seule la saisie de documents réalisée par une greffière lors de la perquisition du 1er juillet 2021 au ministère de la Justice était annulée.
Le présent article se propose de commenter deux moyens particulièrement intéressants de cet arrêt, portant l’un sur la régularité de la saisie évoquée et l’autre sur le défaut d’impartialité du procureur général.
La saisie irrégulière de documents lors des perquisitions. Lors de la perquisition menée dans les locaux du ministère de la Justice le 1er juillet 2021, de nombreux documents ont été saisis par les membres de la commission d’instruction puis pour partie triés par l’une des greffières présentes.
La participation de cette greffière aux opérations de tri a donné lieu à un moyen de nullité : un greffier ne peut recevoir pour mission de trier les objets découverts au cours d’une perquisition afin d’identifier ceux qui pourraient intéresser la procédure.
Pour rejeter ce grief, la commission d’instruction, dans son arrêt du 3 novembre 2021, avait tout d’abord rappelé que le greffier a un rôle d’assistance du juge d’instruction auquel il est soumis à l’autorité fonctionnelle et qu’il exécute à ce titre les consignes qui lui sont données. Il authentifie à cette occasion les actes auxquels il participe et est lui-même tenu au secret de l’instruction. Enfin, la commission d’instruction avançait qu’aucun texte n’interdit au greffier de participer, sous la direction du juge d’instruction, au bon ordonnancement des opérations de tri de documents.
La Cour de cassation censure toutefois cette analyse de la commission d’instruction.
En effet, la circonstance principale qu’aucun texte n’empêche le greffier de participer à ces opérations de tri n’est pas suffisante : il faut qu’il y soit expressément autorisé, ce qui n’est prévu ni par les dispositions réglementaires relatives au statut des greffiers [2] ni par les dispositions légales régissant la perquisition [3]. Par ailleurs, il est prévu certaines dérogations permettant à des personnes qualifiées ou des experts ayant prêté serment de prendre connaissance des documents saisis au cours d’une perquisition. Le greffier est exclu de ces dérogations, même s’il agit sous le contrôle du juge d’instruction puisque ce contrôle ne saurait intervenir qu’a posteriori.
Dès lors, constatant qu’aucun texte n’autorise le juge d’instruction à déléguer au greffier tout ou partie de ses pouvoirs d’investigations, la Cour de cassation en déduit que la commission d’instruction ne pouvait confier au greffier le soin de trier les documents découverts en perquisition.
Si l’arrêt de la Cour de cassation est silencieux sur le grief qui naîtrait de cette irrégularité, il semble qu’il puisse être caractérisé par la délégation d’une mission à une personne que la loi n’habilite pas pour ce faire. La Cour censure ainsi de ce chef l’arrêt du 3 novembre 2021 et annule en conséquence la saisie des documents saisis litigieux, sans que cela ne remette en cause la décision de renvoi.
L’impartialité ambigüe du procureur général. M. Dupond-Moretti reprochait également à M. Molins un défaut d’impartialité, dans la mesure où ce dernier avait dénoncé lui-même les faits reprochés au ministre par voie de presse le 29 septembre 2020 [4], ce qui avait engagé les dépôts de plainte. Il avait également été consulté par le conseiller justice de l’Élysée et la directrice du cabinet du garde des Sceaux sur la décision d’engager une enquête administrative à l’égard des magistrats du PNF, ce qui est précisément l’objet de poursuites contre le ministre.
La proximité du procureur général avec les faits avait conduit la défense de M. Dupond-Moretti à solliciter son audition comme témoin, ce qui avait été refusé par la commission d’instruction.
Il est vrai que M. Molins était simultanément investi des fonctions de procureur général près la Cour de cassation, de président du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), de vice-président du conseil d’administration de l’ENM et de représentant du ministère public près la CJR. C’est en sa qualité de président du CSM qu’il avait adressé le 22 juillet 2021 à la commission d’instruction un courrier à l’en-tête du CSM confirmant l’existence de contacts avec la directrice de cabinet du ministre. Ce cumul de fonctions tout à fait inédit était dénoncé par la défense comme une immixtion de l’autorité poursuivante dans les faits objets de la poursuite.
Dans son arrêt du 28 juillet 2023, la Cour de cassation valide le raisonnement de la commission d’instruction qui avait rejeté ces critiques en se contentant de rappeler que la notion d’impartialité diffère selon qu’elle concerne un magistrat du siège ou un magistrat du parquet. La Cour européenne des droits de l’Homme tient en effet pour acquis que les garanties d’indépendance et d’impartialité découlant de l’article 6, § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme ne concernent que l’organe appelé à statuer sur l’accusation pénale dirigée contre le requérant et ne s’appliquent pas aux représentants de l’accusation, qui ne sont que des parties à la procédure [5]. En outre, la Cour de cassation rappelle souvent, comme en l’espèce, que « le représentant du ministère public ne décidant pas du bien-fondé d’une accusation en matière pénale, le moyen pris de la partialité supposée de ce magistrat est inopérant » [6]. Cette jurisprudence est classique et ne saurait surprendre : la Cour de cassation juge ainsi régulièrement qu’aucune atteinte à l’équité de la procédure n’est commise lorsque le représentant du ministère public a un lien personnel avec les personnes mises en cause [7].
Cette pétition de principe s’accommode toutefois mal avec l’article 31 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L4927IXR [8] qui précise que « le ministère public exerce l'action publique et requiert l'application de la loi, dans le respect du principe d'impartialité auquel il est tenu ». Le recueil des obligations déontologiques des magistrats ajoute que « l’impartialité concerne tous les magistrats du siège comme du parquet » [9]. Il est difficile de s’expliquer comment cette précision apportée par le législateur il y a à peine dix ans sur un des « principes cardinaux » de la mission des magistrats puisse rester lettre morte et être écartée sans ménagement comme un moyen inopérant.
En outre, pour écarter sur la qualité de témoin de M. Molins dans cette affaire, comme le sollicitait la défense du ministre, la commission d’instruction avait recouru à une étrange motivation : « Soutenir que M. Molins a été témoin ou a conseillé la directrice de cabinet du garde des Sceaux omet de prendre en compte la large expérience de la procédure disciplinaire acquise par celle-ci, notamment au cours de ses précédentes fonctions de directrice des services judiciaires ». Une telle justification entretient le trouble sur la confusion des rôles de témoin et d’autorité de poursuite, puisqu’elle laisse penser que le défaut d’impartialité reproché au procureur général aurait été différemment apprécié si la directrice de cabinet du ministre avait eu moins d’expérience. Un tel raisonnement ouvrirait la porte à une analyse in concreto de l’impartialité du représentant du ministère public, à rebours de la jurisprudence évoquée précédemment.
La situation à laquelle le ministère public est confronté dans cette affaire est finalement inédite. Soumis au contrôle du pouvoir exécutif, le parquet est néanmoins chargé de poursuivre les membres du gouvernement devant la Cour de justice de la République. Cette situation inconfortable interroge nécessairement sur l’impartialité du parquet, ce qui explique peut-être pourquoi le nouveau procureur général Rémy Heintz a jugé utile d’insister, lors de son discours d’installation le 8 septembre dernier [10], sur son exigence d’impartialité dans l’exercice de ses fonctions devant la CJR.
Quelles que soient les réquisitions de ce dernier sur le fond de l’affaire, la CJR devra prochainement apprécier si, en engageant des enquêtes administratives à l’encontre de magistrats du PNF, M. Dupond-Moretti a pris « un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont [il avait], au moment de l'acte, en tout ou partie, la charge d'assurer la surveillance, l'administration, la liquidation ou le paiement », selon l’ancienne rédaction de l’article 432-12 du Code pénal N° Lexbase : L1290MAZ réprimant la prise illégale d’intérêts à l’époque des faits. La loi n° 2021-1729, du 22 décembre 2021, pour la confiance dans l'institution judiciaire N° Lexbase : Z459921T a certes substitué la notion d’« intérêt quelconque » par un « intérêt de nature à compromettre son impartialité, son indépendance ou son objectivité » [11], mais la Cour de cassation a précisé , dans un arrêt du 5 avril 2023, que les deux rédactions étaient équivalentes [12]. Affaire à suivre, donc.
[1] Cass. ass. plén., 28 juillet 2023, n° 21-86.418, 21-87.457, 22-80.634, 22-81.029, 22-83.929, 22-83.930, 22-83.949 et 22-85.784 N° Lexbase : A49341CQ.
[2] Décret n° 2015-1275, du 13 octobre 2015, portant statut particulier des greffiers des services judiciaires, art. 4 N° Lexbase : L9351KLW.
[3] L’article 97 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L7467LPA dispose que seuls le juge d’instruction et l’officier de police judiciaire agissant par délégation sont habilités à prendre connaissance de documents ou de données au cours d’une perquisition.
[4] Le Monde, 29 septembre 2020.
[5] CEDH, 31 mai 2011, Req. 59000/08, Kontalexis c/ Grèce, § 57 ; CEDH, 23 novembre 2017, Req. 66847/12, Haarde c/ Islande, § 94 ; CEDH, 18 octobre 2018, Req. 80018/12, Thiam c/ France, § 71 N° Lexbase : A6697YG7.
[6] Cass. crim., 13 juin 2019, n° 18-80.291, F-D N° Lexbase : A5857ZEN ; Cass. crim., 9 mars 2016, n° 14-86.795, F-D N° Lexbase : A1674Q77 ; Cass. crim., 1er septembre 2009, n° 08-87.765 N° Lexbase : A3623ELR ; Cass. crim., 6 janvier 1998, n° 97-81.466 N° Lexbase : A3014ACM.
[7] Cass. crim., 6 janvier 1998, n° 97-81.466 N° Lexbase : A3014ACM ; Cass. crim., 22 mai 2001, n° 00-83.793 N° Lexbase : A6494CY8 ; Cass. crim., 13 juin 2019, n° 18-80.291, F-D N° Lexbase : A5857ZEN.
[8] Dans sa version en vigueur depuis la loi n° 2013-669, du 25 juillet 2013, relative aux attributions du garde des sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et de mise en œuvre de l'action publique N° Lexbase : L9267IXI.
[9] Recueil des obligations déontologiques des magistrats, chapitre II, § 2.
[10] Allocution de procureur général, Rémy Heitz, lors de son audience de présentation, 8 septembre 2023 [en ligne].
[11] M. Cléry-Melin et J.-B. Boué-Diacquenod, Prise illégale d’intérêts : une nouvelle définition du délit mais toujours autant d’incertitudes sur son champ d’application, Lexbase Pénal, novembre 2021 N° Lexbase : N9439BYA.
[12] Cass. crim., 5 avril 2023, n° 21-87.217, FS-B N° Lexbase : A61569MX.
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Réf. : Cass. soc., 11 octobre 2023, n° 22-13.770, F-B N° Lexbase : A85231KU
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N7130BZ4
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par Charlotte Moronval
Le 18 Octobre 2023
► Les documents fixant les objectifs nécessaires à la détermination de la rémunération variable d'un salarié, rédigés en anglais, ne lui sont pas opposables.
Faits et procédure. Un salarié saisit la juridiction prud’homale d’une demande en paiement de rappels de rémunération variable, au motif que les documents fixant les objectifs nécessaires à sa détermination étaient rédigés en langue anglaise.
La cour d'appel (CA Versailles, 20 janvier 2022, n° 20/00585 N° Lexbase : A88437ID) déboute le salarié de sa demande, après avoir constaté que la langue anglaise était utilisée au sein de l'entreprise, par ailleurs filiale d'une société américaine. Elle retient que cette circonstance ne pouvait suffire à rendre inopposables au salarié les plans de rémunérations.
La solution. Énonçant la solution susvisée, la Chambre sociale de la Cour de cassation censure le raisonnement des juges du fond.
Rappel. Tout document comportant des obligations pour le salarié ou des dispositions dont la connaissance est nécessaire pour l'exécution de son travail doit être rédigé en français. Elle précise que cette règle n'est pas applicable aux documents reçus de l'étranger ou destinés à des étrangers (C. trav., art. L. 1321-6 N° Lexbase : L1851H9G). |
En statuant comme elle l’a fait, alors qu’elle avait relevé que les documents fixant les objectifs nécessaires à la détermination de la rémunération variable contractuelle n’étaient pas rédigés en français, la cour d’appel, qui n’a pas constaté qu’ils avaient été reçus de l’étranger, a violé l'article L. 1321-6 du Code du travail.
Pour aller plus loin :
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Réf. : Cass. soc., 13 septembre 2023, n° 22-12.970, F-B N° Lexbase : A47981GS
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N7139BZG
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par Laurène Joly, Maître de conférences en droit privé à l’Université de Bordeaux, COMPTRASEC - UMR CNRS 5114
Le 18 Octobre 2023
Mots clés : inaptitude • dispense de reclassement • périmètre • groupe • établissement public administratif
La Cour de cassation, dans un arrêt du 13 septembre 2023, interprète strictement les termes de l’article L. 1226-2-1 du Code du travail, en approuvant les juges d’appel d’avoir jugé que « l’employeur n’était pas dispensé de procéder à des recherches de reclassement et de consulter les délégués du personnel », dès lors qu’avaient été ajoutés par le médecin du travail les termes « dans l’entreprise » à la formule « tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé » sur l’avis d’inaptitude.
Le régime juridique de l’inaptitude a été remanié à plusieurs reprises, notamment par la loi « Travail » du 8 août 2016 puis par les ordonnances « Macron » du 22 septembre 2017 avec la volonté de renforcer les garanties offertes aux salariés, d’une part, et de simplifier la procédure, d’autre part. Les employeurs continuent néanmoins à dénoncer l’insécurité juridique générée par les incertitudes liées à l’obligation de reclassement et à l’hétérogénéité des pratiques des médecins du travail et force est de constater que le contentieux du droit de l’inaptitude est loin de se tarir. Des décisions ont ainsi récemment livré des éclaircissements sur les conditions d’application des dispenses de recherche de reclassement pour le salarié inapte. C’est sur ce point que la Cour de cassation est invitée à se prononcer dans l’arrêt du 13 septembre 2023.
Un salarié, administrateur de base de données, au sein de l’Établissement public de sécurité ferroviaire, a été déclaré inapte après plus de deux ans d’arrêt de travail pour maladie non professionnelle. L’avis d'inaptitude du médecin du travail, daté du 23 août 2017, est ainsi rédigé : « Inapte. Étude de poste, étude des conditions de travail et échanges entre le médecin du travail et l’employeur réalisés le 16 août 2017. Tout maintien du salarié dans un emploi dans cette entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé ». L’employeur en déduit qu’il est dispensé de rechercher un reclassement et de consulter les représentants du personnel. Il licencie le salarié pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 18 septembre 2017.
Le salarié conteste la validité de son licenciement, en faisant notamment valoir que l’employeur n’a pas cherché à le reclasser préalablement à son licenciement et obtient gain de cause devant les juges du fond. Ces derniers soulignent en effet l’emploi des termes « tout maintien du salarié dans un emploi dans cette entreprise » au lieu des termes « tout maintien dans un emploi » dans la rédaction de l’avis médical d’inaptitude. Or, ces termes n'impliquaient pas l'éloignement du salarié de toute situation de travail. Une recherche de reclassement aurait donc dû avoir lieu en dehors de l’entreprise. La cour d’appel fait donc droit à la demande du salarié. L’employeur, condamné à indemniser le salarié pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, forme alors un pourvoi et saisit la Cour de cassation. La solution des magistrats du second degré est confirmée par la Haute juridiction : l’employeur n'était ni dispensé de procéder à des recherches de reclassement ni de consulter les élus.
L’arrêt sous commentaire s’inscrit dans le droit fil de la position adoptée par la Cour de cassation sur l’interprétation des dispenses légales de reclassement du salarié déclaré inapte (I.). Toutefois, la décision est rendue dans un contexte très particulier suscitant des interrogations liées à la mise en œuvre de la solution qu’elle propose (II.).
I. Les limites de la dispense de recherche de reclassement du salarié inapte
En cas d’inaptitude du salarié, l’employeur doit impérativement chercher une solution de reclassement avant de le licencier.
En effet, quel que soit l’origine professionnelle ou non de l’inaptitude, selon les articles L. 1226-2 N° Lexbase : L8714LGT et L. 1226-10 N° Lexbase : L8707LGL du Code du travail, l’employeur doit proposer au salarié déclaré inapte à son emploi un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l’entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant. Cette proposition doit tenir compte des conclusions écrites du médecin du travail et des indications qu’il formule sur les capacités du salarié à exercer l’une des tâches existantes dans l’entreprise. Le médecin du travail formule également des indications sur la capacité du salarié à bénéficier d’une formation le préparant à occuper un poste adapté. Une seconde obligation pèse sur l’employeur : avant tout licenciement pour inaptitude, l’employeur - qu’il ait ou non des postes à proposer - doit consulter le comité social et économique (CSE) sur les possibilités de reclassement.
L'employeur ne peut rompre le contrat de travail que s'il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi, dans les conditions prévues aux articles L. 1226-2 et L. 1226-10 du Code du travail, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions [1].
Toutefois, le législateur a introduit deux cas de dispense à ces deux obligations permettant à l’employeur de procéder directement au licenciement du salarié déclaré inapte [2]. L’employeur est, en effet, dispensé de la recherche de reclassement et de la consultation du CSE, si l’avis d’inaptitude du médecin du travail mentionne expressément que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi.
En conséquence, dès lors que l’un des deux cas de dispense est mentionné expressément dans l’avis d’inaptitude, l’employeur est dispensé de reclasser le salarié inapte et peut procéder à son licenciement [3].
En pratique, depuis 1er novembre 2017, des modèles d’avis d’inaptitude sont entrés en vigueur, intégrant la dispense de reclassement [4]. Le médecin du travail peut donc, en principe, se contenter de cocher une case correspondant à l’un des deux cas de dispense précédemment cités. Néanmoins, il n’est pas exclu que le médecin du travail puisse utiliser le modèle type en cochant une des deux cases libérant l’employeur de son obligation de reclasser le salarié inapte, mais en annotant le document de façon à modifier le périmètre associé à la dispense de reclassement. Il est donc recommandé à l’employeur d’être particulièrement vigilant quant à la formulation de l’avis médical d’inaptitude.
Tel était bien le cas, en l’espèce, puisque le médecin du travail avait indiqué dans l’avis d’inaptitude que « tout maintien du salarié dans un emploi dans cette entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé » et non pas que tout maintien dans un emploi serait gravement préjudiciable à santé.
Au soutien de son pourvoi, l’employeur a tenté de faire valoir que l’article L. 1226-2-1 du Code du travail n’impliquait pas que le médecin du travail fasse mention de ce que le maintien du salarié dans un emploi, quel qu’il soit, même en dehors de l’entreprise, serait gravement préjudiciable à sa santé pour que la dispense de reclassement puisse s’appliquer. La Cour de cassation rejette le pourvoi et approuve les juges d’appel qui ont relevé que la rédaction de l’avis d’inaptitude n'impliquait pas un éloignement du salarié de toute situation de travail et n’exonérait, par conséquent, pas l’employeur de son obligation de rechercher un reclassement et de consulter les représentants du personnel, en l’occurrence les délégués du personnel à l’époque des faits. Autrement dit, la Haute juridiction n'écarte pas toute recherche de reclassement, extérieure à l’entreprise. Ainsi, elle juge que le licenciement du salarié était sans cause réelle et sérieuse, car l’employeur devait procéder à ces recherches de reclassement et ne pouvait rompre le contrat de travail de l’intéressé que si ces recherches n’aboutissaient pas ou que le salarié refusait l’emploi proposé.
La lecture de cet arrêt confirme que la Cour de cassation adopte une interprétation très stricte des cas de dispense de l’obligation de reclassement du salarié inapte à la charge de l’employeur. Pour les Hauts magistrats, les formules retenues par le législateur doivent se retrouver « telles quelles » dans l’avis médical d’inaptitude pour que l’employeur soit exempté d’une recherche de reclassement. Cette rigueur se justifie sans doute par le caractère, en principe, exceptionnel de la dispense de reclassement.
Cette attention, portée à la rédaction de l’avis d’inaptitude, n’est pas nouvelle et, de ce point de vue, la décision commentée peut être rapprochée de décisions antérieures de la Cour de cassation dans lesquelles celle-ci avait jugé que le principe d’exonération ne vaut pas si le médecin du travail a entendu modifier la portée de l’une des mentions légales de dispense de reclassement, par exemple en limitant l’exonération au seul périmètre de l’entreprise lorsque celle-ci appartient à un groupe. Dans cette hypothèse, une recherche de reclassement doit ainsi être effectuée au sein du groupe. Tel était le cas dans une affaire où l’avis d’inaptitude mentionnait expressément que l’état de santé d’une salariée faisait obstacle à tout reclassement dans un emploi dans l’entreprise [5] et non « dans un emploi ». La Cour de cassation a pu ainsi en déduire que la dispense de reclassement n’était pas totale dans un arrêt du 8 février 2023 [6]. En caractérisant l’existence d’un groupe de reclassement entre le comité d’établissement qui employait la salariée et la société au sein duquel il était mis en place, en raison d’une permutabilité du personnel, elle juge que le comité d’établissement n’était donc pas dispensé de son obligation de rechercher un reclassement au sein de la société. Autrement dit, en cas de dispense de reclassement dans le seul cadre d’une entreprise faisant partie d’un groupe, l’employeur reste tenu de rechercher un poste de reclassement dans les autres sociétés du groupe.
Dans l’affaire commentée, la Haute juridiction cantonne la dispense au seul périmètre de la société qui emploie le salarié concerné, mais n’exonère pas l’employeur de toute recherche de reclassement dans la mesure où l’avis d’inaptitude, en l’espèce, semble s’apparenter à une mesure thérapeutique d’éloignement de la situation de travail dans laquelle se trouvait le salarié. Si cette solution doit être approuvée en ce qu’elle s’inscrit dans une logique de préservation de l’emploi, elle n’en suscite pas moins certaines interrogations quant à sa mise en œuvre. En effet, il ne ressort pas de la formulation employée par la Cour de cassation que le non-respect de l’obligation de reclassement tient à l’absence de recherche d’un emploi dans un groupe alors que l’avis d’inaptitude mentionne uniquement l’inaptitude à un emploi « dans cette entreprise ». Pourquoi la Haute juridiction ne mentionne-t-elle expressément pas l’existence d’un groupe ?
II. L’étendue du périmètre de reclassement du salarié inapte embauché par un établissement public administratif
Dans cette affaire, l’employeur du travailleur déclaré inapte est l'Établissement public de sécurité ferroviaire qui est un établissement public national à caractère administratif (EPA). Doté de la personnalité morale, l’EPA dispose d’une autonomie administrative et financière afin de remplir une mission d’intérêt général, précisément définie. L’EPA est placé sous le contrôle de la collectivité publique dont il dépend (État, région, département ou commune). Les personnels des EPA sont essentiellement des agents publics, ils peuvent être des fonctionnaires relevant du statut général de la fonction publique ou des agents non titulaires contractuels de droit public en CDD ou CDI, pouvant relever le cas échéant de statuts particuliers [7].
On peut donc s’étonner que l’ordre judiciaire soit compétent pour connaître du litige opposant un agent non titulaire et l’Établissement public de sécurité ferroviaire qui l’a embauché par contrat de travail. En effet, la compétence devait revenir au juge administratif puisque les personnels non statutaires travaillant dans un EPA sont des agents contractuels de droit public, quel que soit leur emploi. Or, aux termes de l'article L. 2221-3 du Code des transports N° Lexbase : L2240H9T, l’Établissement public de sécurité ferroviaire, bien qu’étant un EPA, peut employer du personnel dans les conditions fixées par le Code du travail. Le Tribunal des conflits indique que, par cette disposition, le législateur a entendu donner à l’établissement public la possibilité de recruter une partie de son personnel, selon les règles du droit privé. Il en déduit par conséquent que, dans ce cas particulier, en raison d’une disposition législative spécifique, il y a compétence judiciaire [8]. Sur le site internet de l’Établissement public de sécurité ferroviaire, on peut du reste lire que « les collaborateurs de l’EPSF sont majoritairement des salariés de droit privé possédant une qualification professionnelle reconnue et/ou une expérience professionnelle significative dans le domaine ferroviaire » [9].
Le cas d’espèce examiné est donc très spécifique puisqu’il concerne un salarié embauché par un EPA.
Faut-il transposer les règles relatives aux obligations de l’employeur public pour déterminer l’étendue de l’obligation de reclassement à la charge de l’EPA ?
En ce qui concerne le reclassement des fonctionnaires, plusieurs décisions de cours administratives d’appel indiquent qu’« il résulte des dispositions combinées des articles L. 826-1 et suivants du Code général de la fonction publique et des décrets propres à chaque fonction publique relatifs au reclassement des fonctionnaires que si l’agent demande son reclassement, il incombe alors à l’administration de tenter de le reclasser dans un emploi d’un autre corps ou cadre d’emplois, en priorité dans son administration d’origine ou, à défaut, lorsqu’aucun poste n’est disponible dans son administration d’origine, dans toute administration ou établissement public relevant des trois fonctions publiques » [10]. Autrement dit, en l’absence de poste administratif vacant au sein de l’établissement susceptible d’être proposé à l’agent pour permettre son reclassement interne, il appartient à l’administration d’étendre ses recherches de reclassement dans toute administration ou établissement public relevant des trois fonctions publiques aux fins de trouver une solution de reclassement externe.
Toutefois, le périmètre très large de l’obligation de reclassement de l’employeur public ne vaut a priori que pour les fonctionnaires. Or, ce n’est pas le statut du travailleur, en l’espèce, ce qui ne permet pas l’application stricte et entière des dispositions issues du statut général de la fonction publique.
A priori, ce sont plutôt les règles du Code du travail qui devraient s’appliquer. Ainsi, aux termes des articles L. 1226-2 et L. 1226-10 du Code du travail, l’employeur doit proposer « un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l’entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient, le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l’organisation, les activités ou le lieu d’exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel ». Autrement dit, le périmètre de l’obligation de reclassement est fixé par la réunion de trois critères cumulatifs : l'existence d'un groupe, la permutabilité du personnel et l'implantation des sociétés sur le territoire national.
La notion de groupe [11] désigne le groupe formé par une entreprise, appelée entreprise dominante, et les entreprises qu'elle contrôle, dans les conditions définies à l’article L. 233-1 N° Lexbase : L9087KB8, aux I et II de l'article L. 233-3 N° Lexbase : L5817KTM et à l'article L. 233-16 N° Lexbase : L9089KBA du Code de commerce.
La Chambre sociale de la Cour de cassation a, certes, fait évoluer ces dernières années sa jurisprudence, en ne limitant pas la notion de « groupe de reclassement » aux groupes juridiquement constitués. Un « groupe » a, par exemple, pu être considéré comme constitué par un simple réseau de franchises [12]. L’arrêt du 8 février 2023, précédemment cité, paraît ainsi attester que la notion de groupe à prendre en considération pour l’appréciation des efforts de reclassement ne doit pas être strictement subordonnée à la reconnaissance de l’existence d’une société-mère et de liens capitalistiques entre différentes sociétés. Pour autant, la notion de groupe permet-elle de circonscrire le périmètre de l’obligation de reclassement dans l’arrêt sous examen ? La réponse semble négative et c’est peut-être pourquoi la Chambre sociale a pris soin de ne pas s’y référer. Il semble, en réalité, au gré des arrêts [13], que le critère clé soit la permutabilité [14], même si cette notion n’est jamais vraiment explicitée.
Une piste peut être explorée pour déterminer le périmètre de reclassement : transposer la jurisprudence relative au reclassement des salariés déclarés inaptes employés au sein d’un établissement public industriel et commercial (EPIC).
Dans un arrêt du 13 juillet 2010 [15], des salariés licenciés pour motif économique en 1999 et 2000 reprochaient à leur employeur - l’Economat des armées - de ne pas avoir satisfait à son obligation de reclassement [16]. L’Economat des armées est un EPIC placé sous la tutelle du ministère de la Défense, dont l'activité s'exerçait principalement en Allemagne et qui s'était réorganisé à la suite de la réunification allemande et du retrait des Forces françaises de ce pays, en réduisant le nombre de ses succursales et les effectifs du personnel civil employé par contrat de droit privé. La cour d’appel avait fait droit à leur demande en affirmant que les possibilités de reclassement devaient être recherchées dans les trois EPIC placés sous la tutelle du ministère de la Défense. Toutefois, le périmètre des « entités » au sein desquelles le reclassement aurait dû être recherché devrait être restreint par l’application des articles L. 1226-2 et L. 1226-10 du Code du travail aux seules « entités » dont l’activité, l’organisation ou le lieu d’exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel. C’est précisément ce qu’arguait l’employeur, au soutien de son pourvoi, dans l’arrêt précité : « l'Economat des armées exposait qu'aucune permutation de personnel n'était jamais intervenue entre les trois autres EPIC placés sous la tutelle du ministère de la Défense, que ces trois EPIC n'avaient jamais eu et, au regard du principe de spécialité des personnes morales, ne pouvaient avoir une activité et une organisation similaires permettant d'effectuer la permutation de leur personnel, que la tutelle du ministère de la Défense, qui consistait en un contrôle a priori de la légalité des actes de ces EPIC et ne portait en aucun cas sur la gestion de leur personnel, ne lui donnait pas le pouvoir de permuter leur personnel et qu'il n'existait entre ces EPIC aucun lien d'influence ou de dépendance nécessaire à la caractérisation d'un groupe définissant le périmètre des recherches de reclassement ». Ce raisonnement est d’ailleurs adopté par la Cour de cassation puisqu’elle estime « qu'en se bornant à reprocher à l'Economat des armées de n'avoir pas proposé aux salariés de reclassement dans les deux autres EPIC placés sous la tutelle du ministère de la Défense, sans nullement caractériser une permutabilité de droit ou de fait de leur personnel, au regard notamment de leur activité, de leur organisation ou de leur lieu d'exploitation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 321-1, alinéa 3, devenu l'article L. 1233-4 du Code du travail ».
On ne peut que déplorer l’absence de précisions concernant les possibilités de reclassement de ce salarié. Un reclassement au sein du ministère chargé des Transports ou de ses établissements de tutelle aurait-il dû être recherché ? Telle est la question que la Cour de cassation pourrait opportunément venir trancher dans une prochaine décision. La seule certitude tient à ce que le périmètre à prendre en compte est celui qui correspond aux possibilités effectives de permutabilité du personnel.
Dans l’attente d’une plus grande lisibilité sur la portée exacte de leurs obligations, les employeurs pourront utilement, lorsque la rédaction de l'avis d'inaptitude est équivoque sur les contours de la dispense de reclassement, demander au médecin du travail des précisions. À cet égard, la Cour de cassation a jugé que « les réponses apportées, postérieurement au constat régulier de l'inaptitude, par le médecin du travail sur les possibilités éventuelles de reclassement concourent à la justification par l'employeur de l'impossibilité de remplir cette obligation » [17] : une façon d’inciter au dialogue entre l’employeur et le médecin du travail.
[1] C. trav., art. L. 1226-2-1, al. 2 N° Lexbase : L6778K9W pour l’inaptitude d’origine non professionnelle ; C. trav., art. L. 1226-12, al. 2 N° Lexbase : L7392K9N pour l’inaptitude d’origine professionnelle.
[2] Ibid.
[3] Cass. soc., 8 juin 2022, n° 20-22.500, FS-B N° Lexbase : A791674X ; Cass. soc., 16 novembre 2022, n° 21-17.255, F-B N° Lexbase : A29178T9 ; Cass. soc., 8 février 2023, n° 21-19.232, FS-B N° Lexbase : A97089B8.
[4] Arrêté du 16 octobre 2017, fixant le modèle d'avis d'aptitude, d'avis d'inaptitude, d'attestation de suivi individuel de l'état de santé et de proposition de mesures d'aménagement de poste N° Lexbase : L1295LHG, modifié par un arrêté 20 décembre 2017 N° Lexbase : L1122LIE ; Arrêté du 7 mai 2018, modifiant l'arrêté du 20 décembre 2017, fixant le modèle d'avis d'aptitude, d'avis d'inaptitude, d'attestation de suivi individuel de l'état de santé et de proposition de mesures d'aménagement de poste N° Lexbase : L3796LKS.
[5] La salariée avait été déclarée inapte à son poste, suivant avis du médecin du travail libellé en ces termes : « Inapte. L’état de santé de la salariée fait obstacle à tout reclassement dans un emploi dans cette entreprise. Echange avec l’employeur en date du 4 juillet 2017 (étude de poste faite) ».
[6] Cass. soc., 8 février 2023, n° 21-11.356, FS-D N° Lexbase : A66409CW.
[7] T. confl., 25 mars 1996, n° 03000, Préfet de la région Rhône-Alpes c/ Conseil de prud’hommes de Lyon (Berkani) N° Lexbase : A2712ATM.
[8] T. confl., 9 octobre 2017, n° 4096 N° Lexbase : A5275WUW.
[10] V. par exemple : CAA Lyon, 6 janvier 2022, n° 19LY03515 N° Lexbase : A34607KD ; CAA Bordeaux, 31 janvier 2022, n° 19BX03136 N° Lexbase : A508773S ; CAA Lyon, 28 septembre 2022, n° 20LY00592 N° Lexbase : A76138LK. Ces décisions font application de l’article L. 826-3 du Code général de la fonction publique N° Lexbase : L6958MBC.
[11] V. en dernier lieu, Cass. soc., 5 juillet 2023, n° 22-10.158, FS-B N° Lexbase : A330498U.
[12] Cass. soc., 20 février 2008, n° 06-45.335, F-D N° Lexbase : A0584D7R ; Cass. soc., 15 janvier 2014, n° 12-22.944, F-D N° Lexbase : A7836KTE.
[13] L’arrêt sous commentaire ne démentira pas ce constat.
[14] Dans un arrêt du 11 février 2015, la Cour de cassation reconnaît l'existence d’un « groupe de permutabilité », indépendamment de l'existence d'une structure sociétaire : Cass. soc., 11 février 2015, n° 13-23.573, FS-P+B N° Lexbase : A4456NBN.
[15] Cass. soc., 13 juillet 2010, n° 09-42.839, F-D N° Lexbase : A6849E4G.
[16] La notion de groupe en matière d’inaptitude physique et de licenciement économique a été unifiée par l’ordonnance du 20 décembre 2017 N° Lexbase : L6578LH4.
[17] Cass. soc., 6 janvier 2021, n° 19-15.384, F-D N° Lexbase : A89134BQ.
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Réf. : Cass. com., 11 octobre 2023, n° 21-24.776, F-B N° Lexbase : A85271KZ
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par Perrine Cathalo
Le 18 Octobre 2023
► Il résulte de la combinaison des articles L. 214-8-8 du Code monétaire et financier et L. 533-22 du même code, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2013-676 du 25 juillet 2013, que les sociétés de gestion disposent du pouvoir d'agir au nom des porteurs de parts des fonds communs de placement qu'elles gèrent pour faire valoir les droits attachés aux actions détenues par ces fonds, y compris celui d'agir dans l'intérêt social. Il en découle que les sociétés de gestion sont recevables à exercer l'action ut singuli prévue à l'article L. 225-252 du Code de commerce.
Faits et procédure. Une SCA, qui a pour associé commandité et gérant une SA, compte parmi ses associés commanditaires deux fonds communs de placement qui ont pour société de gestion une SAS.
Soutenant que la décote du cours de bourse de la SCA par rapport à son actif net résultait de sa gestion et des frais supportés au profit de la SA, la société de gestion a assigné, dans le cadre d’une action ut singuli, les deux sociétés aux fins de les voir condamnées à réparer le préjudice causé à la SCA du fait de leurs fautes de gestion.
Par décision du 16 septembre 2021, la cour d’appel de Paris (CA Paris, 5-9, 16 septembre 2021, n° 20/07397 N° Lexbase : A652744I) a déclaré l’action de la société de gestion au nom des fonds de placement irrecevable pour défaut de qualité à agir.
La société de gestion a formé un pourvoi devant la Cour de cassation.
Décision. La Haute juridiction commence par rappeler que l’article L. 225-252 du Code de commerce N° Lexbase : L2093LY8 habilite les actionnaires à intenter l’action sociale en responsabilité contre les administrateurs ou le directeur général, avant de constater qu’il résulte de l’article L. 214-8-8 du Code monétaire et financier N° Lexbase : L6408IXM que le fonds commun de placement est représenté à l'égard des tiers par la société chargée de sa gestion, qui peut agir en justice pour défendre ou faire valoir les droits ou intérêts des porteurs de parts.
En ce sens, la Cour remarque qu’il résulte de l'article L. 533-22 du Code de commerce N° Lexbase : L9094KBG, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2013-676 du 25 juillet 2013 N° Lexbase : L9338IX7, que les sociétés de gestion exercent les droits attachés aux titres détenus par les fonds qu'elles gèrent dans l'intérêt exclusif des actionnaires ou des porteurs de parts de ces fonds et rendent compte de leurs pratiques en matière d'exercice des droits de vote dans des conditions fixées par le règlement général de l’AMF.
L’ensemble de ces constatations permet à la Chambre commerciale d’affirmer la solution précitée – à savoir que les sociétés de gestion sont recevables à exercer l'action ut singuli prévue à l'article L. 225-252 du code de commerce – et de censurer l’arrêt d’appel.
Pour en savoir plus : v. ÉTUDE : Les caractéristiques de la société anonyme non cotée, La responsabilité des membres de la SA, in Droit des sociétés (dir. B. Saintourens), Lexbase N° Lexbase : E0237038. |
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
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Réf. : Cass. civ. 2, 5 octobre 2023, no 20-23.523, FS-B N° Lexbase : A17071KG
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par Marilyn Guez, Maître de conférences Université Paris Nanterre
Le 26 Avril 2024
Mots-clés : acte juridictionnel • exécution forcée • délai • titre exécutoire • force exécutoire • prescription • signification
Le délai de dix ans pendant lequel l’exécution d’une décision de justice mentionnée à l’article L. 111-3, 1° du Code des procédures civiles d’exécution peut être poursuivie court à compter du jour où, ayant acquis force exécutoire, cette décision constitue un titre exécutoire au sens de ce texte. Pour constituer un tel titre, le jugement exécutoire doit avoir été notifié au débiteur, à moins que l’exécution n’en soit volontaire, et être revêtu de la formule exécutoire, à moins que la loi n’en dispose autrement.
La décision commentée, rendue par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, le 5 octobre 2023, qui a les honneurs d’une publication au bulletin, se prononce, de façon inattendue, sur le point de départ du délai décennal, de l’article L.111-4 du Code des procédures civiles d’exécution N° Lexbase : L5792IRX, fixé pour l’exécution forcée des titres exécutoires de nature juridictionnelle. De façon incidente, la décision revient également sur la notion de titre exécutoire au sens de l’article L. 111-3 du même code N° Lexbase : L3909LKY. Elle met en lumière les difficultés que suscite l’application de ces dispositions, dont les enjeux théoriques et pratiques sont considérables.
Dans cette affaire, un arrêt condamnant un débiteur au paiement d’une certaine somme est prononcé le 29 mai 2007, puis rectifié le 4 septembre suivant. La décision obtenue n’est, semble-t-il, signifiée que le 16 décembre 2016, puis, à nouveau, le 22 mai 2017. Sur le fondement de cette condamnation, une saisie-attribution est entreprise le 3 août 2018, soit plus de dix ans après le prononcé de la décision. Des contestations s’élèvent sur l’exécution. La saisie-attribution est validée, par le juge de l’exécution, avant que la cour d’appel en ordonne la mainlevée, déclarant prescrite l’action en recouvrement. La cour d’appel juge « que l’arrêt du 29 mai 2007, […] non susceptible d’un recours suspensif, avait, dès son prononcé, autorité et force de chose jugée et que le point de départ de la prescription court donc à compter du 29 mai 2007, l’arrêt rectifié n’ayant pas pour nature de reporter la date d’effet de l’arrêt qu’il rectifie ». Elle ajoute qu’un arrêt ne peut être exécuté, même ayant acquis autorité et force de chose jugée, qu’une fois la copie exécutoire délivrée et après notification ou signification ; cette signification, qui est une condition préalable, n’étant toutefois pas assimilée à un acte d’exécution. La cour juge, en conséquence, tardive la saisie-attribution du 3 août 2018. Le délai d’exécution était-il réellement expiré ? La signification intervenue près de dix ans après le prononcé de la décision pouvait-elle suffire à sauver la saisie-attribution ?
La deuxième chambre civile de la Cour de cassation, sur un moyen de pur droit relevé d’office, fixe le point de départ du délai d’exécution de l’article L.111-4 au jour de la signification du titre exécutoire. L’arrêt commenté, rendu au visa des articles L. 111-3, 1° et L. 111-4 du Code des procédures civiles d’exécution et des articles 501 N° Lexbase : L6618H7A, 502 N° Lexbase : L6619H7B et 503 N° Lexbase : L6620H7C du Code de procédure civile relatifs aux conditions de l’exécution, se fonde sur une analyse détaillée des textes. La cassation est prononcée pour violation de la loi. La cour d’appel, qui avait relevé que l’arrêt du 29 mai 2007, passé en force de chose jugée dès son prononcé, n’avait été signifié que le 16 décembre 2016, aurait dû, selon la Haute juridiction, constater que la saisie-attribution avait été pratiquée dans le délai de l’article L. 111-4 précité. L’arrêt commenté témoigne d’une réelle pédagogie et détaille chacune des étapes du raisonnement ayant permis à la Cour de cassation de parvenir à cette décision. Difficile, pour autant, d’adhérer tant à la motivation de l’arrêt, qu’à la solution retenue. La fixation du point de départ du délai d’exécution au jour de la signification présente, en effet, de sérieux inconvénients (I), que rien ne semble justifier (II).
L’exclusion d’un décompte du délai d’exécution de l’article L. 111-4 du Code des procédures civiles d’exécution au jour du prononcé de la décision (A), conduit la deuxième chambre civile à fixer le point de départ de ce délai à la signification de la décision servant de fondement aux poursuites. La solution retenue présente de sérieux inconvénients (B).
A. L’exclusion d’un décompte au jour du prononcé de la décision
L’article L. 111-4 N° Lexbase : L5792IRX, qui figure, désormais, au sein d’un titre du Code des procédures civiles d’exécution dédié aux conditions de l’exécution forcée, énonce, en son alinéa 1er que « l’exécution des titres exécutoires mentionnés aux 1° à 3° de l’article L. 111-3 N° Lexbase : L3909LKY ne peut être poursuivie que pendant dix ans, sauf si les actions en recouvrement des créances qui y sont constatées se prescrivent par un délai plus long ». Cette disposition, initialement introduite à l’article 3-1 de la loi no 91-650 du 9 juillet 1991 par la loi no 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, consacre, sur le plan législatif, l’application après le prononcé du jugement de condamnation d’un délai de prescription spécifique, qui, sauf exceptions, se substitue au délai plus court normalement applicable à l’action en justice. Le délai d’exécution de l’article L.111-4 reprend en le modernisant, un phénomène très ancien, de filiation romaine, conceptualisé dès les années mille-neuf-cent-soixante comme une hypothèse particulière d’interversion des prescriptions. Initialement, l’interversion substituait la prescription trentenaire, de droit commun, au délai plus court de l’action en justice primitive. Après la réforme, ce délai d’exécution, dont la durée est réduite à dix ans, continue de susciter de nombreuses interrogations, quant à la nature du délai extinctif [1], quant à son champ d’application [2], y compris territorial [3], ou encore quant aux modalités selon lesquelles le délai doit être décompté. Le délai décennal pose, entre autres, la question de son point de départ qui n’est pas unanimement résolue.
Des divergences jurisprudentielles. La jurisprudence du 5 octobre 2023 a le mérite de fixer la position de la deuxième chambre civile sur la question du point de départ du délai d’exécution, mais elle intervient dans un contexte de divergences jurisprudentielles entre les chambres de la Cour de cassation. Or, il n’est pas certain que l’arrêt commenté, compte tenu des inconvénients attachés à la solution retenue, suffise à y mettre un terme. Les solutions jurisprudentielles sont, en effet, hétérogènes. Quand certains arrêts prolongent l’effet interruptif de la prescription résultant de la demande en justice jusqu’aux dates les plus diverses – la signification [4] ou l’acquisition par le jugement civil d’un caractère « définitif » qui en résulterait [5] ; la connaissance par le demandeur de l’arrêt rendu devenu irrévocable [6] –, d’autres arrêts, le plus souvent dans le cadre de la procédure de référé, décident que l’interruption cesse au jour du prononcé de la décision [7]. La première chambre civile de la Cour de cassation a, par exemple, jugé dans une décision du 4 novembre 2015, que l'exécution d’un jugement rendu en Allemagne pouvait être poursuivie pendant le délai prévu à l'article L. 111-4 du Code des procédures civiles d’exécution courant à compter de la décision d’exequatur pour la dette globale représentant le montant des arrérages capitalisés à cette date [8]. Dans l'arrêt commenté, la cour d’appel, se fondant sur le fait que l’arrêt dont l’exécution était poursuivie, n’était pas susceptible de recours suspensif d’exécution et était doté de l’autorité et de la force de chose jugée dès son prononcé, retient, dans le même sens, pour point de départ du délai d’exécution le moment du prononcé de la décision. La deuxième chambre civile de la Cour de cassation n'est pas de cet avis.
L’absence d’incidence de la signification sur le cours du délai extinctif. La cour d’appel apporte, toutefois, une importante précision, qui n’est pas démentie par la Cour de cassation. En refusant, à juste titre, d’assimiler la signification de l’arrêt à un acte d’exécution, la cour d’appel juge, implicitement, que la signification n’a pu avoir pour effet d’interrompre le délai d’exécution, qui, selon elle, aurait commencé de courir à compter du prononcé de la décision. En l’espèce, la solution inverse aurait permis de sauver sur ce seul motif la saisie-attribution. L’article 2244 du Code civil N° Lexbase : L4838IRM précise, sur ce point, que « le délai de prescription ou le délai de forclusion est également interrompu par une mesure conservatoire prise en application du code des procédures civiles d'exécution ou un acte d'exécution forcée ». Si la deuxième chambre civile casse et annule l’arrêt d’appel, l’alternative qu’elle propose, la fixation du point de départ du délai d’exécution au jour de la signification, prête le flanc à la critique.
B. Les inconvénients d’une reprise du délai de prescription au jour de la signification
La date incertaine de la signification. La fixation du point de départ du délai d’exécution au jour de la signification présente une difficulté majeure, liée à l’impossibilité de déterminer, avec certitude, à la seule lecture du jugement civil la date à laquelle l’exécution ne peut plus être poursuivie. Dans cette approche, la reprise du cours de la prescription intervient, en effet, à une date aléatoire, au gré des diligences des parties. Elle est un repère temporel subjectif, qui dépend étroitement de leur comportement après le prononcé de la décision de justice. Avec un tel repère, la date exacte est impossible à déterminer de façon théorique. Pour la connaître, il conviendra de vérifier, dans chaque situation concrète, les démarches accomplies par les parties postérieurement au prononcé du jugement civil. Or, une telle vérification est particulièrement difficile. La mention de la signification n’est pas portée en marge des jugements civils et il n’existe aucun fichier central qui répertorierait, au niveau national, les significations des décisions de justice. Dans ces conditions, sauf à tenir entre ses mains le procès-verbal de signification, il est impossible de savoir si une décision de justice a ou n’a pas été signifiée, partant, si les droits sont ou ne sont pas prescrits. La difficulté est d’autant plus grande que la créance de somme d’argent est un droit disponible, par nature transmissible, dont pourraient se prévaloir les ayants-droits des parties à distance du prononcé de la décision. La solution retenue pose, ainsi, de sérieuses difficultés probatoires, qu’accentue l’absence de délai butoir tant pour la signification, que pour l’exécution des décisions de justice.
Le risque d’imprescriptibilité. La signification du jugement civil n’est, en effet, enfermée dans aucune limite temporelle. Quant à l’exécution des titres exécutoires, l’article L. 111-4, alinéa 2, du Code des procédures civiles d’exécution précise expressément que le délai butoir de l’article 2232 du Code civil N° Lexbase : L7744K9P n’est pas applicable. Cette dernière disposition précise que les causes de report du point de départ, de suspension ou d’interruption ne peuvent, sauf exceptions, avoir pour effet de porter le délai de la prescription extinctive au-delà de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit. En d’autres termes, en l’absence de délai butoir, tant pour la signification, que pour l’exécution, celle-ci pourrait être poursuivie sans limite de temps. La solution retenue a pour effet de rendre potentiellement imprescriptibles les créances qui résultent de décisions de justice qui n’ont pas été signifiées. En reportant le point de départ de la prescription à un événement aléatoire dans sa réalisation et qui pourrait bien ne jamais intervenir, la deuxième chambre civile prend le risque que resurgissent d’anciennes décisions de justice, à une date où le dépérissement des preuves – preuves de la signification ou du paiement – est un vrai sujet. La solution retenue est évidemment source d’insécurité juridique. La situation n’est pas maîtrisable pour le débiteur, sauf à ce qu’il procède lui-même à la signification. Or, plus le temps passe, plus il est difficile d’imaginer que la partie condamnée prenne le risque de signifier une décision de justice, dont le créancier semble se désintéresser, au seul motif de faire courir le délai d’exécution.
L’incidence d’une nullité de la signification. À l’incertitude juridique et au risque d’imprescriptibilité, s’ajoute un autre inconvénient qui tient aux conséquences d’une éventuelle nullité de la signification. Si la nullité devait être judiciairement déclarée, l’anéantissement rétroactif de l’exploit d’huissier aurait nécessairement pour conséquence faire échec au décompte du temps imparti pour l’exécution. Ainsi, un créancier peu diligent, qui aurait laissé plus de dix ans s’écouler depuis le prononcé du jugement civil, trouverait ici un argument décisif, lorsque le débiteur est à l’origine d’une signification irrégulière. Or, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a déjà jugé que la nullité des actes de signification des décisions de justice, qui tend à contester le caractère exécutoire des décisions sur le fondement desquelles la procédure de saisie immobilière est pratiquée constitue non une exception de procédure, mais une défense au fond qui peut être proposée en tout état de cause [9].
Les incidences pratiques de la décision commentée. Les incidences pratiques sur l’exécution forcée sont évidemment considérables. D’une part, la décision commentée ressuscite des créances que l’on croyait définitivement éteintes par l’effet de la prescription, au seul motif que le titre exécutoire qui les consacre n’aurait pas été signifié. La jurisprudence du 25 octobre 2023 permet de poursuivre le recouvrement sur le fondement d’anciennes décisions faute de signification, mais, y compris, faute de preuve de la signification. L’exécution est confortée par le régime juridique de la fin de non-recevoir tirée de la prescription extinctive, qui n’est pas d’ordre public, mais d’intérêt privé et ne peut être relevée d’office par le juge de l’exécution [10]. Du reste, comment le pourrait-il alors qu’aucune mention de la signification n’est portée en marge du jugement civil ? D’autre part, la décision commentée maintient artificiellement en vie les créances constatées par des décisions de justice tant que celles-ci n’ont pas été signifiés. Indirectement, elle offre au créancier la faculté d’allonger ab initio le délai d’exécution en différant la signification [11]. Ce qui est, côté débiteur, source d’insécurité juridique et constitue une perturbation majeure du cours de l’exécution, se transforme, côté créancier, en un atout, lui permettant de façon injustifiable, de reprendre la main sur l’exécution.
Alors comment la deuxième chambre civile de la Cour de cassation parvient-elle à cette décision ?
II. La qualification de titre exécutoire au sens de l’article L. 111-3, 1° du CPCE subordonnée à la signification
L’analyse du raisonnement suivi par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation laisse entrevoir que la décision commentée retient une définition trop restrictive du titre exécutoire, dont elle devrait, en réalité, s’émanciper pour mieux atteindre les finalités de l’article L. 111-4 du Code des procédures civiles d’exécution, qui visent à encadrer le délai d’exécution forcée et, surtout, à mettre un terme définitif à toute insécurité juridique à distance de dix ans du prononcé des décisions de justice (A). Or, l’absence de toute référence au droit commun de la prescription, dans l'arrêt commenté, n’interdit pas de s’y référer et de proposer un point du départ du délai extinctif plus en adéquation avec les finalités poursuivies (B).
A. L’adoption d’une définition trop restrictive du titre exécutoire
Le champ d’application de l’article L. 111-4 du CPCE. Le raisonnement de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation est fondé sur une analyse ordonnée des textes rappelés au visa. Elle déduit, d’abord, de la combinaison des articles L. 111-3, 1° N° Lexbase : L3909LKY et L. 111-4 N° Lexbase : L5792IRX du Code des procédures civiles d’exécution que le délai de dix ans pendant lequel l’exécution d’une décision de justice mentionnée à l’article L. 111-3, 1° peut être poursuivie court « à compter du jour où, ayant acquis force exécutoire, cette décision constitue un titre exécutoire au sens de ce texte ». La décision commentée déduit, ensuite, des dispositions des articles 501 N° Lexbase : L6618H7A à 503 du Code de procédure civile que « pour constituer un tel titre, le jugement exécutoire […] doit […] avoir été notifié au débiteur, à moins que l’exécution n’en soit volontaire, et être revêtu […] de la formule exécutoire à moins que la loi n’en dispose autrement ». Ce faisant, la décision commentée s’attache dans un premier temps à mettre en lumière le champ d’application de l’article L. 111-4, qui est, en effet, strictement limité aux titres exécutoires de nature juridictionnelle. La première difficulté tient, toutefois, à la définition restrictive qu’elle en donne, qui, indirectement, a une incidence décisive sur la détermination du point de départ du délai d’exécution.
L’interprétation restrictive. Il faut admettre que le titre exécutoire, « notion essentielle des procédures civiles d’exécution » [12], n’est défini ni dans le Code des procédures civiles d’exécution, ni dans le Code de procédure civile [13]. La notion ne l’était pas davantage dans la loi no 91-650 du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d’exécution N° Lexbase : L9124AGZ. Le législateur a fait le choix de n’établir qu’une liste des titres exécutoires, codifiée à l’article L. 111-3 du Code des procédures civiles d’exécution. Cela explique que la deuxième chambre civile de la Cour de cassation ait eu à s’interroger précisément sur ce qui, au sens de ce texte, constitue un titre exécutoire entrant dans le champ d’application de l’article L.111-4. D’après l’arrêt commenté, la qualification de titre exécutoire serait subordonnée, par application des articles 501 à 503 précités, à l’apposition de la formule exécutoire et à la signification de la décision. Seule la décision de justice « ayant acquis force exécutoire » serait, ainsi, susceptible d’une telle qualification. Les prémisses du raisonnement ont pour conséquence de retarder l’application du délai décennal au jour de la signification, date à laquelle la décision de justice constituerait, enfin, aux termes des articles 501 et suivants, un titre exécutoire. Cette définition restrictive, pourtant, ne s’impose pas à la lecture des textes invoqués.
Formalisme et utilité du titre exécutoire. « Considéré comme instrumentum » [14], le titre exécutoire se définit, tant par l’aspect extérieur de l’outil, son caractère formel (a), que par les finalités qu’il poursuit (b). (a) Quant à la forme, le titre exécutoire est un acte écrit, en principe revêtu de la formule exécutoire [15], qui puise son autorité dans la nature profonde de l’acte sous-jacent, qui peut être de nature juridictionnel, – l’acte de juridiction qui dit le droit, en restituant alors le negotium. Quant à ses finalités, qui sont plurielles, le titre exécutoire permet, pour l’essentiel, l’exécution forcée directe, immédiate (ou presque) des obligations consacrées par le negotium, laquelle vise à remédier à la résistance ou à l’inertie du débiteur. Les caractères direct et immédiat de l’exécution renvoient au fait que les mesures entreprises sur le fondement du titre exécutoire ne sont subordonnées à aucune autorisation judiciaire préalable [16].
Le respect des conditions générales de l’exécution. Or, lorsque le titre exécutoire assortit une décision de justice, le caractère exécutoire du titre ne résulte pas du seul prononcé de la décision. L’article 501 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6618H7A énonce, à cet égard, que « le jugement est exécutoire, sous les conditions qui suivent, à partir du moment où il passe en force de chose jugée à moins que le débiteur ne bénéficie d'un délai de grâce ou le créancier de l'exécution provisoire ». Le passage en force de chose jugée constitue ainsi l’instant clé, qui détermine, à la fois, la consolidation de la norme juridictionnelle à l’expiration des voies ordinaires de recours et, sauf exceptions, le moment d’acquisition du caractère exécutoire [17]. Or, la rédaction de l’article 501 paraît, à première lecture, subordonner le caractère exécutoire du titre aux « conditions qui suivent », qui sont les conditions générales de l’exécution des articles 502 N° Lexbase : L6619H7B à 508. Elle paraît, en conséquence, ériger notamment la signification de la décision de justice en un élément déterminant de la qualification. Faut-il nécessairement s’en convaincre ? Peut-être pas, notamment à la lecture de l’article 504 N° Lexbase : L6621H7D. Cette disposition énonce que « la preuve du caractère exécutoire ressort du ugement [ndlr. : indépendamment donc de sa signification] lorsque celui-ci n’est susceptible d’aucun recours suspensif ou qu’il bénéficie de l’exécution provisoire. Dans les autres cas, cette preuve résulte : - soit de l’acquiescement de la partie condamnée ; - soit de la notification de la décision et d’un certificat permettant d’établir, par rapprochement avec cette notification, l’absence, dans le délai, d’une opposition, d’un appel, ou d’un pourvoi en cassation lorsque le pourvoi est suspensif ». S’il est certainement difficile de tirer d’une règle probatoire un critère notionnel, reste qu’au cas présent, elle constitue, a minima, un indice de ce que la signification, dont nul ne conteste qu’elle est une condition préalable à l’exécution, n’est peut-être pas indispensable à la définition du titre exécutoire.
L’interprétation utile. Au-delà de l’interprétation littérale des textes et de la discussion, à laquelle invite l’arrêt commenté, quant aux éléments constitutifs du titre exécutoire, l’interprétation des dispositions des articles L. 111-3, 1° et L. 111-4 doit avoir pour objectif d’assurer que l’article L. 111-4 constitue une règle efficace, fonctionnelle, qui permette, à la fois, de garantir le droit à l’exécution et la sécurité juridique, en encadrant et limitant le temps de l’exécution. Retenir une définition moins restrictive du titre exécutoire, en décorrélant l’existence du titre de la signification du jugement civil, permet ainsi d’envisager d’autres points de départ au délai d’exécution, qui seraient plus en adéquation avec les objectifs poursuivis. Du reste, des solutions divergentes apparaissent régulièrement en jurisprudence. En doctrine, différents points de départ ont été proposés, soit l’irrévocabilité du jugement civil, soit le prononcé de la décision de justice. C’est cette dernière solution qui, à notre sens, devrait être retenue [18]. Or, l’un des points surprenants de la décision commentée tient à l’absence de toute référence au droit commun de la prescription.
B. L’absence de toute référence au droit commun de la prescription
La confrontation de l’article L. 111-4 du CPCE au droit commun de la prescription. Dans l’arrêt commenté, il est remarquable que la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, qui relève d’office le moyen de pur droit, fonde son raisonnement exclusivement sur la confrontation des dispositions des articles L. 111-3, 1° N° Lexbase : L3909LKY et L. 111-4 N° Lexbase : L5792IRX du Code des procédures civiles d’exécution et des articles 501 N° Lexbase : L6618H7A à 503 du Code de procédure civile. À la lecture de la décision, la Haute juridicition ne semble pas, un seul instant, tourner le regard vers les articles 2219 N° Lexbase : L7189IAI à 2254 du Code civil. Autrement dit, elle n’a d’yeux que pour les conditions générales de l’exécution et passe sous silence, volontairement ou involontairement, les règles relatives à la prescription extinctive. Ces dernières ont pourtant vocation à s’appliquer. Le droit de l’exécution est à la croisée de la procédure et du droit substantiel ; l’un et l’autre éclairent les dispositions de l’article L. 111-4. Le délai décennal doit, ainsi, être replacé dans le droit commun de la prescription extinctive, autant que dans le droit de l’exécution.
L’application du droit commun de la prescription. Après le prononcé du jugement civil, les droits consacrés par la décision de justice conservent leur nature originelle, les droits prescriptibles le demeurent. Au stade de l’exécution, la durée du délai extinctif demeure profondément liée à la nature des droits subjectifs [19]. La durée décennale est, ainsi, écartée chaque fois que la nature des droits le commande [20]. Les causes de report, de suspension, d’interruption du délai d’exécution sont à rechercher en les confrontant aux solutions dégagées en droit commun, afin de vérifier, non pas tant leur application, que leur pertinence à un stade où le rapport de droit substantiel est clarifié par la décision de justice. Les finalités du délai extinctif ex judicio, c’est-à-dire après le prononcé du jugement civil, sont identiques à celles que poursuit le délai de prescription originel. Ce délai n’est, du reste, qu’interrompu par la demande en justice et il faut bien qu’il reparte. Si survient, au passage, une modification de son quantum, qui relève pour l’essentiel d’une question de politique juridique, celle-ci n’altère en rien la nature du délai de prescription. C’est au droit commun de la prescription extinctive qu’il convient de se référer.
L’apport du droit commun de la prescription. Or, le Code civil demeure peu disert quant à la portée temporelle de l’interruption de la prescription par l’effet de la citation. L’article 2242 du Code civil N° Lexbase : L7180IA8, dans sa rédaction issue de la loi du 17 juin 2008, précise, seulement, que l’interruption résultant de la demande en justice produit ses effets « jusqu’à l’extinction de l’instance ». Cette disposition fixe le point d’ancrage du délai d’exécution. L’analyse de son point de départ ne saurait être menée sans une interprétation de l’article 2242. L’absence de toute référence dans l’arrêt commenté à la disposition précitée explique peut-être que le point de départ du délai décennal paraît déterminé sans aucune considération pour le moment de l’extinction de l’instance, qui techniquement n’est pas fixé au jour de la signification. En doctrine, comme en jurisprudence, l’interprétation de l’article 2242 du Code civil est débattue. Techniquement, l’instance s’éteint, en effet, à titre accessoire, par l’effet du jugement civil [21], qui, dès son prononcé, a autorité de la chose jugée et dessaisit le juge de la contestation qu’il tranche. Certains auteurs lui reconnaissent, toutefois, une signification plus souple qui inclurait « toute la période du procès » jusqu’à l’irrévocabilité du jugement civil [22].
Quid d’un point de départ du délai de l’article L.111-4 du CPCE, au jour du prononcé de la décision ? L’irrévocabilité, parfois choisie comme point de départ du délai d’exécution, ne résout qu’en partie les difficultés que suscitent la solution de l’arrêt commenté. L’irrévocabilité correspond à la clôture des voies extraordinaires de recours. Elle dépend indirectement de la signification de la décision de justice et présente, dès lors, des inconvénients similaires à ceux qui résultent d’une fixation du point de départ du délai d’exécution au jour de la signification. Le jeu des articles 528-1 N° Lexbase : L6677H7G et 478 N° Lexbase : L6592H7B du Code de procédure civile est envisagé comme correctif, mais il ne gomme qu’en partie les difficultés. Le premier de ces textes a pour effet de rendre irrévocable, à l’égard de la partie comparante, le jugement civil faute d’avoir été signifié dans les deux ans de son prononcé. Le second répute non avenu, à défaut de signification dans les six mois de sa date, le jugement par défaut ou réputé contradictoire au seul motif qu’il est susceptible d’appel. Ces correctifs, qui auront, le plus souvent, vocation à jouer, sont d’une portée limitée. Leur combinaison laisse de côté un certain nombre d’hypothèses dans lesquelles il est certain que la prescription ne repartira pas. En réalité, les jalons d’une détermination du point de départ de la prescription au jour du prononcé du jugement sont posés par les dispositions du Code civil. En droit commun, la prescription de l’action personnelle ou mobilière ne court qu’à compter du jour où le créancier a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ; tandis qu’elle ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l’impossibilité d’agir par suite d’un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure. Dès lors, sous la double réserve de la connaissance effective des droits et, le cas échéant, de leur liquidité et exigibilité, rien ne semble s’opposer à la fixation du point de départ du délai d’exécution au jour du prononcé du jugement civil exécutoire. Le point de départ proposé, qui est souvent retenu en jurisprudence [23], présente, d’une part, l’avantage de constituer un repère temporel objectif, indépendant d’éventuelles diligences subséquentes que les parties accompliront ou n’accompliront pas. D’autre part, il est immédiatement décelable à la lecture de la décision. Certains objecteront, peut-être, qu’au jour du prononcé du jugement civil, le créancier ne dispose pas encore entre les mains du titre exécutoire. C’est dire que les droits consacrés par la décision de justice commencent de se prescrire avant même que le créancier ne dispose d’une réelle faculté de procéder à l’exécution [24]. L’empêchement n’est, toutefois, que temporaire et ne fait obstacle à l’exécution qu’au seuil d’un délai qui a vocation à durer dix ans, sous réserve des rares hypothèses de prescriptions plus courtes liées à la nature de la créance, mais qui se comptent toujours en années, et dont le court est interrompu et repart de zéro à chaque mesure d’exécution forcée.
[1] V. sur cette question, M. Guez, L’extinction du jugement civil, Contribution à l’étude des effets de l’acte juridictionnel, L. Cadiet (dir.), th. Paris 1, 2017, spéc. p. 149-242.
[2] V. notamment, Cass. avis, 4 juillet 2016, no 16006 N° Lexbase : A6160RW3, Gaz. Pal. 19 nov. 2016, 80, note Lauvergnat (délai inapplicable aux créances périodiques nées en application du titre exécutoire). Cass. civ. 2, 6 septembre 2018, no 17-18.953, Bull. civ. II, no 167 (délai inapplicable à l’action du créancier, sur le fondement de l’art. R. 211-5, al. 1er du CPCEx, contre le tiers saisi) ; Cass. civ. 2, 17 mai 2023, n° 21-17.853, F-B N° Lexbase : A39699UK (délai inapplicable au jugement d’orientation rendu par le juge de l’exécution statuant, à l’occasion de la procédure de saisie immobilière). – Cass. civ. 2, 21 mars 2019, n° 17-22.241, FS-P+B N° Lexbase : A8961Y4N (délai inapplication à l’action en liquidation de l’astreinte soumise au délai de l’article 2224 du Code civil N° Lexbase : L7184IAC). Mais, Cass. civ. 2, 8 juin 2023, no 21-18.615, F-D N° Lexbase : A37439ZN (délai applicable à la créance initialement soumise à la prescription biennale de l'article L. 218-2 du Code de la consommation N° Lexbase : L1585K7T).
[3] V. Cass. civ. 2, 19 mars 2020, n° 18-22.908, FS-P+B+B+I N° Lexbase : A49653K4 ; LEDB 2020, no 6, p. 6, obs. Mignot ; Gaz. Pal., 3 novembre 2020, p. 68, note Hoffschir ; Rev. prat. rec. 2020, no 5, p. 17, note Laher : « Le délai de 10 ans instauré par l’article 23 de la loi du 17 juin 2008 n’est pas applicable en Nouvelle-Calédonie et qu’en l’absence, sur ce territoire, de délai spécifique au-delà duquel un titre exécutoire ne peut plus être mis à exécution, il y avait lieu de considérer qu’il pouvait l’être dans le délai de prescription de droit commun, qui est celui des actions personnelles ou mobilières, ramené en Nouvelle-Calédonie de trente ans à cinq ans ».
[4] En ce sens, Cass. civ. 3, 15 février 2006, n° 04-19.864, FS-P+B N° Lexbase : A9837DMB.
[5] En ce sens, Cass. civ. 1, 16 février 1994, n° 92-11.955, publié au bulletin N° Lexbase : A6150AHA.
[6] En ce sens, Cass. civ. 1, 9 décembre 1997, précit. : « L'effet interruptif de la prescription résultant d'une action en justice cesse à compter du jour où le litige trouve sa solution ; il s'ensuit qu'en cas d'appel l'effet interruptif de la prescription prend fin à la date à laquelle le demandeur a eu connaissance de l'arrêt rendu, devenu irrévocable, peu important que cette décision ait été interprétée par un arrêt ultérieur ».
[7] En ce sens, Cass. com., 10 octobre 1995, précit. : « L'effet interruptif de prescription produit par une assignation en référé devant le président du tribunal de commerce, en vue de la désignation d'un expert, ne se prolonge, si cette assignation est remise au greffe, que pendant la durée de l'instance, tant que le litige n'a pas trouvé sa solution définitive, c'est-à-dire seulement jusqu'à la désignation de l'expert par le juge ». – Cass. com., 30 juin 2004, n° 03-10.751, FS-P+B N° Lexbase : A9042DCU : « Une assignation en référé aux fins de rendre commune à un tiers les opérations d'expertise précédemment ordonnées interrompt la prescription à l'égard de ce tiers jusqu'à ce que le litige ait trouvé sa solution, c'est-à-dire jusqu'à la décision rendant communes les opérations d'expertise ». – Cass. civ. 2, 3 octobre 2013, n° 12-18.845, F-D N° Lexbase : A3315KMQ : « L'assignation en référé-expertise n'interrompait le délai de prescription que pendant la durée de l'instance, laquelle se terminait par l'ordonnance commettant un expert ».
[8] Cass. civ. 1, 4 novembre 2015, n° 14-11.881, FS-P+B+I N° Lexbase : A6503NUE ; JCP 2015. 1262, obs. Salati; D. 2016. 1059, obs. Jault-Seseke; Gaz. Pal. 9 février 2016, 78, note Lauvergnat.
[9] V. Cass. civ. 2, 5 septembre 2019, n° 17-28.471, F-P+B+I N° Lexbase : A3904ZMK.
[10] V. C. civ., art. 2247 N° Lexbase : L7175IAY. – Adde. Cass. civ. 1, 8 novembre 1978, n° 77-13.150, publié au bulletin N° Lexbase : A6700CGA. – Cass. soc., 29 juin 2005, n° 03-41.966, FS-P+B N° Lexbase : A8506DIU.
[11] Ce qui ne présente qu’une utilité relative dès lors que toute mesure d’exécution est interruptive du délai de prescription (C. civ., art. 2244).
[12] V. C. Brenner et P. Crocq † (dir.), Le Lamy Droit de l’exécution forcée, Wolters Kluwer France SAS, Mise à jour : 02/2023, nos 205-5 et s.
[13] V. sur cette question, V. C. Brenner et P. Crocq † (dir.), op. cit., ibid.
[14] L. Cadiet et E. Jeuland, Droit judiciaire privé, LexisNexis, 12e éd., 2023, n° 739.
[15] V. CPC, art. 502 N° Lexbase : L6619H7B.
[16] V. sur ces développements, l’analyse de C. Brenner et P. Crocq † (dir.), op. cit., ibid.
[17] Comp. CPC, art. 500 N° Lexbase : L6617H79 : « A force de chose jugée le jugement qui n'est susceptible d'aucun recours suspensif d'exécution.
Le jugement susceptible d'un tel recours acquiert la même force à l'expiration du délai du recours si ce dernier n'a pas été exercé dans le délai ».
[18] Sur cette question, V. M. Guez, L’extinction du jugement civil, Contribution à l’étude des effets de l’acte juridictionnel, th. Paris 1, L. Cadiet (dir.), 2017.
[19] Comp. Ass. plén., 10 juin 2005, n° 03-18.922 N° Lexbase : A6766DIG : « Si le créancier peut poursuivre pendant trente ans l'exécution d'un jugement condamnant au paiement d'une somme payable à termes périodiques, il ne peut, en vertu de l'article 2277 du Code civil, applicable en raison de la nature de la créance, obtenir le recouvrement des arriérés échus plus de cinq ans avant la date de sa demande ».
[20] Qu’il s’agisse d’appliquer un délai plus long (V. CPCE, art. L. 111-4 N° Lexbase : L5792IRX) ou plus courts (V. par ex. pour les créances à échéances périodiques qui demeurent soumises à un délai de prescription quinquennal).
[21] V. CPC, art. 384 N° Lexbase : L2272H4W.
[22] V. notamment, L. Mayer, Le point de départ prévu pour l’exécution du jugement, Gaz. Pal., 2012, p. 2256.
[23] Comp. Cass. civ. 1, 29 juin 2022, n° 19-17.125, F-D N° Lexbase : A068779C.
[24] Comp. CPC, art. 502 N° Lexbase : L6619H7B.
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