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par Romain Ollard, Professeur à l’université de Poitiers
Le 04 Octobre 2023
Mots-clés : cybercriminalité • numérique • internet • données à caractère personnel • traitement de données • STAD
Devenue une préoccupation majeure au regard de ses enjeux tant politiques qu’économiques, la cybercriminalité a progressivement pénétré les frontières de la loi pénale, pour irriguer tous les pans de son activité, n’épargnant aucune catégorie d’infractions, quelle qu’en soit la nature. Pour autant, la réception du fait cybercriminel s’est opérée de façon purement empirique, le plus souvent dispersée, pour faire face à l’émergence de faits sociaux nouveaux, d’essence numérique. Le constat est général, valant tant en droit spécial de la cybercriminalité que dans le champ des infractions de droit commun qui cherchent à s’adapter tant bien que mal aux spécificités du phénomène. Après le temps du désordre, celui de la réaction instinctive à un phénomène méconnu, le temps de la maturité pourrait être venu.
Enjeux de la cybercriminalité. Si la France s’est intéressée sur le tard au phénomène, la cybercriminalité est devenue une préoccupation majeure, à la fois politique et économique, tant elle forge la vulnérabilité des États [1], des particuliers, des entreprises [2]. En témoigne encore l’actualité récente, qu’il s’agisse de la cyberattaque ayant ciblé le système informatique du CHU de Rennes en juin 2023 ou, en juillet, de la publication, par un groupe de hackers dénommées Kromsec, d’un fichier contenant des données personnelles concernant plus d’un millier de magistrats. Aussi n’est-il guère surprenant que se soient emparés de la question tant les politiques, qui relaient le phénomène dans un discours volontiers emprunté au champ lexical de la guerre [3], que les juristes qui, après avoir délaissé la thématique, lui consacrent désormais de larges efforts. C’est que la cybercriminalité génère des problématiques – et une politique criminelle – spécifiques, de l’application de la loi dans l’espace, affectée par son caractère transfrontière, à la protection de la vie privée contre des procédés numériques intrusifs. Dans le champ du droit pénal spécial, la cybercriminalité interroge peut-être surtout les rapports du droit commun et du droit spécial car si le premier peut être façonné sous l’empreinte du numérique, l’œuvre d’adaptation trouve ses bornes dans le principe de légalité criminelle, contraignant la loi pénale à intervenir sous la pression des faits sociaux pour forger des incriminations spéciales.
Champ de la cybercriminalité. Aussi s’agira-t-il ici de retenir, non point une conception étroite de la cybercriminalité qui la cantonnerait aux seuls comportements ayant pour objet de porter atteinte aux systèmes informatiques ou aux réseaux de communication [4], mais une approche inclusive intégrant en outre les hypothèses où l’usage de procédés numériques ou de réseaux ne constitue qu’un moyen permettant de réaliser une infraction, quelle qu’en soit la nature, contre les personnes, les biens ou l’État [5]. Aussi bien, la cybercriminalité, largement comprise, n’intègre pas seulement les infractions ayant pour résultat ou finalité une atteinte aux systèmes informatiques mais encore les hypothèses où leur usage constitue l’instrument d’une atteinte d’une autre nature, bref un procédé illicite. Ainsi la cybercriminalité peut-elle être définie « comme l'ensemble des infractions pénales commises via le réseau internet » [6] ou, plus largement, « à l’encontre ou au moyen d’un système d’information et de communication » [7]. C’est qu’en effet, le cyberespace, conçu comme le cadre dans lequel se déploie la cybercriminalité, est mouvement, impliquant des réseaux de communication destinés à véhiculer l’information, qui peuvent constituer tantôt la cible même de l’attaque tantôt son vecteur.
Droit commun et droit spécial de la cybercriminalité. Dès lors, c’est tout le champ du droit pénal spécial qui est balayé, passé au crible, car aucune infraction, ou presque, n’échappe à l’emprise. Il est d’ailleurs devenu courant, presque banal, d’affubler du préfixe « cyber » tous les types de criminalité, qu’il s’agisse de « cyberfraude », de « cyberharcèlement », de « cyberpornographie », de « cyberviolences » – la liste est extensible à l’envi. Pour autant, deux catégories d’incriminations émergent en la matière, suivant qu’elles participent du droit spécial de la cybercriminalité ou qu’elles constituent des infractions de droit commun pouvant – par occasion – être commises au moyen de réseaux de communication. Au-delà d’une approche formelle, fondée sur la place des infractions dans le Code pénal, c’est le critère matériel de la spécificité des incriminations qui forge la distinction, une infraction relevant du droit spécial lorsque, par définition même, sa constitution implique des réseaux de communication, comme vecteurs ou objets de l’atteinte. Ici et là, en droit spécial (I.) ou en droit commun (II.), le constat est le même, celui d’une pénétration progressive, toujours plus prégnante, du fait cybercriminel dans le champ juridique répressif. Procédant tantôt d’un fait jurisprudentiel d’interprétation, tantôt d’un fait législatif de création, l’expansion est générale, affectant tous les pans du droit pénal spécial, confinant à une forme de surprotection, reflet d’un surinvestissement législatif. Pour autant, la qualité de la norme interroge en la matière, sans doute parce que le droit de la cybercriminalité s’est essentiellement construit de façon empirique, le plus souvent dispersée, sans effort d’harmonisation.
I. Droit spécial de la cybercriminalité
Des personnes et des biens. S’orientant dans deux directions principales [8], le droit spécial de la cybercriminalité s’attache tantôt à la protection des personnes, lorsque l’usage de procédés numériques est un moyen de porter atteinte à leurs données personnelles (A.), tantôt à la protection des biens, lorsqu’il a pour objet la sécurité des systèmes et des réseaux numériques (B.). Puisant leur source dans des lois anciennes, les deux corps de règles ont en commun leur longévité, témoin de leur capacité d’adaptation dans une matière pourtant sujette aux innovations technologiques. Les recettes du « succès » sont identiques, reposant sur des définitions larges, sinon évanescentes, offrant au juge le pouvoir de procéder aux adaptations nécessaires, quitte à prendre quelques latitudes avec le principe de légalité.
A. Atteintes à l’identité
Enjeux. L’usage de procédés informatiques renferme virtuellement des risques pour la vie privée, ce dont la loi française a tôt pris conscience en incriminant, par la loi du 6 janvier 1978, dite Informatique et libertés N° Lexbase : L8794AGS, diverses « atteintes aux droits de la personne résultant des fichiers ou des traitements informatiques » [9]. Quoi qu’on en dise, la menace affecte la vie privée des individus, laquelle, irréductible à la seule intimité, étend son empire à protection de l’identité des personnes. Tandis que les atteintes à l’intimité de la vie privée supposent un acte d’immixtion dans la sphère privée d’autrui ayant trait à des informations secrètes ou confidentielles, les atteintes à l’identité concernent quant à elles des informations identifiantes qui, sans être secrètes par nature, ne peuvent être collectées, traitées ou utilisées de façon libre, sans contrôle aucun [10]. La menace, toutefois, a changé de figure car si, aux origines, c’était le spectre d’un fichage massif opéré par l’État qui était redouté, faisant craindre une surveillance généralisée de la population, ce sont désormais les entreprises qui, pour l’essentiel, utilisent massivement les données personnelles à des fins commerciales [11]. La crainte du « big data » n’est plus une fiction mais une réalité économique puisque les données personnelles constituent des actifs patrimoniaux, cédés, échangés, vendus à des fins lucratives. De la même façon que les droits de l’homme ont muté au fil de leurs « générations » successives, pour n’être plus spécifiquement dédiés à la protection des citoyens contre le despote, le centre de gravité du droit des données personnelles s’est progressivement décentré, pour appréhender d’autres types de menaces, émanant des groupements économiques privés.
Données à caractère personnel. Le champ de la loi pénale se veut particulièrement large reposant d’abord sur le concept de « données à caractère personnel », conçu comme le pivot de la protection dont le contenu a évolué depuis les prémisses, dans le sens d’une extension progressive : après s’être substituée à celle d’ « informations nominatives » pour attraire en son sein l’image et la voix des individus, la notion est désormais définie, par renvoi au règlement général sur la protection des données (RGPD), comme « toute information se rapportant à une personne physique identifiée ou identifiable ». À cet égard, « est réputée être une personne physique identifiable [celle] qui peut être identifiée, directement ou indirectement, notamment par référence à un identifiant, tel qu'un nom, un numéro d'identification, des données de localisation, un identifiant en ligne, ou à un ou plusieurs éléments spécifiques propres à son identité physique, physiologique, génétique, psychique, économique, culturelle ou sociale » [12]. On ne saurait faire plus large car toute information identifiante entre dans le champ légal, quelle qu’en soit la nature, qu’elle ait trait à l’identité civile (nom, sexe, domicile), physique (image, voix, caractéristiques génétiques), professionnelle, patrimoniale sociale ou même numérique [13], la loi reconnaissant ainsi la réalité de la « personne numérique » – homo numericus –, protégée dans son identité.
Traitement des données à caractère personnel. C’est ensuite la notion – tentaculaire – de « traitement » des données personnelles qui est mobilisée, conçue comme l’épicentre du dispositif autour duquel gravitent divers comportements illicites, pénalement sanctionnés. La définition qui en est donnée, là encore par renvoi au RGPD, vise « toute opération ou tout ensemble d'opérations effectuées ou non à l'aide de procédés automatisés et appliquées à des données ou des ensembles de données à caractère personnel, telles que la collecte, l'enregistrement, l'organisation, la structuration, la conservation, l'adaptation ou la modification, l'extraction, la consultation, l'utilisation, la communication par transmission, la diffusion ou toute autre forme de mise à disposition, le rapprochement ou l'interconnexion, la limitation, l'effacement ou la destruction » [14]. Se trouve ainsi incluse « dans la notion de traitement la moindre opération effectuée sur des données personnelles, quelle qu’en soit la forme ou la nature » [15], y compris celles qui se déroulent avant (enregistrement, collecte) ou après (utilisation, diffusion) le traitement proprement dit, conçu comme une opération d’organisation structurée des données collectées. La seule restriction à cet égard a trait à la finalité du traitement des données qui doivent être « contenues ou appelées à figurer dans des fichiers » [16].
Afin d’embrasser tout le cycle des atteintes à l’identité, se trouvent sanctionné non seulement le traitement des données, incriminé lorsqu’il a été opéré en méconnaissance des formalités requises [17], en violation des droits des personnes physiques intéressées (droit à l’information, droit d’accès, de rectification, droit à l’effacement, droit d’opposition) [18] ou sans que soit préservée la sécurité des données traitées [19], mais encore tous les comportements qui se situent en amont ou en aval du traitement de données, de leur collecte illicite [20] à leur usage abusif (conservation illicite, détournement, divulgation non autorisée des données) [21].
Effectivité de la réponse pénale. Si la loi pénale, se voulant dissuasive, s’est attachée à sanctionner toute la chaîne des opérations relatives aux données personnelles, elle souffre pourtant d’une crise d’effectivité, ne donnant lieu qu’à un faible taux de poursuites et de condamnations [22]. Les maux de la législation, qui en sont la cause, sont connus tenant tant à l’accessibilité de la norme, en raison des renvois en cascade opérés par les textes, devenus illisibles, qu’à son défaut d’intelligibilité dû la sédimentation des textes qui s’empilent par strates successives – à la fois européennes et françaises – sans souci de cohérence d’ensemble. Si l’ordonnance n° 2018-1125 du 12 décembre 2018 N° Lexbase : L3271LNH ayant procédé à la réécriture partielle de la loi du 6 janvier 1978 se voulait être une œuvre de « simplification » et de « cohérence », elle a partiellement manqué son effet car cohabitent – et se superposent – encore aujourd’hui plusieurs régimes distincts, relatifs au RGPD, à la directive du 27 avril 2016 N° Lexbase : L9729K7H ou aux traitements intéressant l’État. Il en résulte une législation d’une rare complexité [23], concentrant toutes les tares inhérentes au droit pénal sanctionnateur, auxiliaire d’autres disciplines.
Aussi bien, après une importante crise de croissance du droit pénal en la matière, le temps de la décrue n’est-il pas venu ? Le mouvement est amorcé puisque l’autorité administrative – la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) – dispose déjà d’importants pouvoirs de sanctions en la matière ; son amplification permettrait de combler le déficit de compétences de nos magistrats « généralistes » dans cette matière de « spécialistes », où il n’a pas été jugé utile de créer des juridictions spécialisées [24]. Qu’il soit par ailleurs permis de se demander si la peine principale de référence que constitue l’emprisonnement est ici adaptée, surtout si ce sont les groupements privés qui sont dans le collimateur. Autrement plus dissuasives apparaissent les sanctions pécuniaires prononcées par la CNIL, qui peuvent atteindre des montants considérables, jusqu’à 20 millions d’euros ou 4 % du chiffre d’affaires annuel [25] ; elles le sont d’autant plus que les décisions de la CNIL sont parfois l’objet d’une importante publicité – faisant office de « shame and name » pour certains groupements –, comme celle, retentissante, ayant prononcé une amende administrative record de 50 millions d’euros à l’encontre de la société Google le 21 janvier 2019 [26]. Il resterait toutefois encore à déterminer, au terme d’un travail discriminateur, la mesure de cette dépossession de la loi pénale afin d’identifier ce qui relève du giron normatif du droit pénal, réservé à la sanction des comportements frauduleux, et ce qui participe d’un droit pénal purement sanctionnateur [27] relevant d’un objectif de régulation qui devrait appartenir à l’autorité administrative dont c’est là la mission.
B. Atteintes aux systèmes
Légistique. Conçues comme le cœur de la lutte contre la cybercriminalité, les atteintes aux systèmes de traitement automatisé des données [28] ont su, depuis leur acte fondateur marqué par la loi Godfrain du 5 janvier 1988 relative à la fraude informatique N° Lexbase : L7828IRD, traverser les âges, faisant preuve de remarquables capacités d’adaptation. Si le dispositif est encore efficace aujourd’hui, c’est que les promoteurs de la loi, fort peu retouchée depuis sa genèse, ont su rédiger les incriminations en des termes suffisamment généraux pour permettre leur adaptation aux évolutions technologiques, au risque de méconnaître le principe de précision de la loi pénale.
Systèmes de traitement automatisé des données. D’abord, la notion de système de traitement automatisé de données (STAD), socle du dispositif, n’est nullement définie par la loi, ce qui procède d’un choix délibéré, sans doute visionnaire, afin de ne pas soumettre la répression aux vicissitudes des évolutions affectant la matière. La doctrine n’est guère plus disserte, raisonnant davantage par illustrations que par voie de définition, peut-être parce que la notion, sinon introuvable, est pour le moins insondable, rétive à se laisser enfermer dans une définition synthétique. Deux traits saillants paraissent pourtant caractériser la notion de STAD, conçu comme un ensemble affecté à une fin déterminée, non accessible à tous.
Sur le premier point, la définition donnée par la cour d’appel de Paris dans l’affaire Kerviel, directement inspirée des travaux préparatoires de la loi Godfrain, mérite audience : « la notion même de système suppose que ces éléments soient unis dans le but de produire un résultat déterminé : le traitement automatisé de données » [29]. Le STAD y est conçu comme un « tout », comme un ensemble composé d’éléments hétérogènes – tant matériels (puces informatiques, disque dur, etc.) que fonctionnels (logiciels, applications) – trouvant leur unité en ce qu’ils concourent à une même fin, le traitement automatisé des données, ce qui implique que ces différentes composantes soient reliées entre elles (« unis ») pour parvenir à un tel « résultat ». La définition permet ainsi de distinguer les STAD, conçus comme un moyen d’action informatique, du traitement automatisé des données [30], envisagé comme le résultat d’une telle action, qui fonde la protection des données nominatives. Ses virtualités sont considérables permettant d’attraire dans le champ répressif non seulement les systèmes informatiques « indépendants » des particuliers, des entreprises, des administrations [31] – qu’il y soit accédé physiquement [32] ou à distance, par le biais de réseaux de communication [33] –, mais encore les réseaux interconnectés, qui intègrent en leur sein divers systèmes reliés entre eux [34]. Ainsi en est-il du système intranet d’une entreprise [35], du serveur extranet d’une administration [36], d’un réseau wifi [37] ou même, peut-être, des réseaux sociaux ou des comptes des particuliers qui y sont connectés dès lors que, composés de différents éléments – matériels et fonctionnels – interconnectés, ils sont reliés entre eux à des fins de traitement de données (messages privés, photos, vidéos, etc.) [38].
Sur le second point, après valse-hésitation, la jurisprudence a rompu, à rebours des travaux préparatoires, avec l’exigence d’un système « protégé par des dispositifs » de sécurité [39], tels que des codes d’accès ou mots de passe [40], refusant ainsi de réserver la répression aux seuls hackers qui savent briser de tels dispositifs. Particulièrement inclusive, la notion de STAD n’est pourtant pas sans limite puisque ses contours sont façonnés par l’exigence d’un accès restreint, la qualification impliquant – sur le modèle du concept de lieu privé – que le système ne soit pas accessible à tous, de façon permanente et inconditionnelle. C’est qu’en effet, si le système pénétré n’a pas à être « fermé » [41] par un dispositif de sécurité, son accès doit toutefois être réservé, ce qui regroupe tant l’hypothèse où le système est verrouillé (accès interdit) que celle où l’accès au système, même ouvert, est restreint par le maître du système (accès non autorisé) : il faut – mais il suffit – que « le maître du système ait manifesté l’intention d’en restreindre l’accès aux seules personnes autorisées » [42] (plateformes payantes, système intranet d’une entreprise, etc.). La notion de STAD s’identifie ainsi moins par la mise en œuvre matérielle d’un dispositif de sécurité que par une manifestation de volonté – subjective – du maître du système d’en restreindre l’accès.
Atteintes aux systèmes de traitement automatisé des données. Au-delà de la notion de STAD, cette arlésienne enveloppante aux contours nébuleux, l’attraction de la loi se manifeste ensuite à travers la grande variété de comportements incriminés. À cet égard, une évolution significative de la matière tient à la modification progressive de l’objet de la protection car si, aux origines, la protection était essentiellement dirigée vers la protection des systèmes informatiques, envisagés en tant que contenant, elle s’est progressivement décentrée vers la protection des données qu’ils contiennent.
Lorsqu’elle s’attache à la protection des systèmes eux-mêmes, la loi vise deux sortes de comportements fautifs en sanctionnant soit l’intrusion dans un STAD, soit l’altération du fonctionnement du système, ayant pour effet de paralyser ses fonctionnalités mêmes. Dans le premier cas, c’est l’inviolabilité du système qui est protégée, non seulement contre les accès illicites, lorsque l’intrus s’y est introduit sans droit, mais encore contre les actes de maintien frauduleux, lorsque l’agent, après s’être introduit de façon licite dans le système, s’y maintient frauduleusement, en dépassant les termes de l’autorisation qui lui a été conférée par son maître [43]. Dans le second cas, c’est l’intégrité du système qui est en cause, sa capacité à produire les services de traitement de données attendu de lui, lorsque la loi pénale vient sanctionner le fait d’« entraver » ou de « fausser » le fonctionnement d'un STAD [44], qui se trouve ainsi altéré.
L’objet de la protection pénale s’est toutefois progressivement déplacé vers la protection des données que les systèmes informatiques contiennent ou hébergent. Sans doute la loi pénale s’est-elle toujours attachée à réprimer les faits de modification ou de suppression des données informatiques. Mais la loi n° 2014-1353 du 13 novembre 2014 N° Lexbase : L8220I49, marquant un tournant décisif à cet égard, est venue enrichir ce corpus normatif d’autres comportements illicites en visant, en outre, l’extraction, la reproduction, la détention et la transmission de données [45]. Ce ne sont plus seulement des faits de destruction des données – hacking destructeur – qui se trouvent sanctionnés mais des actes d’appropriation frauduleuse visant le contenu informationnel du système – hacking accaparateur, animé par d’autres mobiles, souvent d’ordre lucratif.
Concours. C’est ainsi toute la chaîne des atteintes aux systèmes d’information qui se trouve incriminée, depuis l’intrusion illicite dans un STAD jusqu’à l’appropriation des données recueillies, sans compter les délits obstacles qui prétendent prévenir les atteintes aux STAD [46]. Si l’intérêt répressif d’une telle méthode – chronologique – est évident, elle n’en comporte pas moins des écueils car les comportements visés sont parfois très proches les uns des autres, souvent redondants [47], certains d’entre eux n’apparaissant que comme la suite – nécessaire – de celui qui précède. À vouloir trop embrasser, en resserrant à l’excès le maillage répressif, le risque est de mal étreindre puisque, ce faisant, la loi pénale a créé de nombreuses situations de concours – de qualifications ou d’infractions –, parfois extrêmement délicates à résoudre.
Les concours – réels d’infractions – sont d’abord internes à la loi spéciale elle-même, irriguant parfois un même texte d’incrimination, par exemple lorsque le maintien frauduleux dans un STAD fait suite à une introduction illicite ou lorsque l’extraction de données précède leur détention. Quoique plusieurs faits matériels distincts puissent être alors identifiés, une seule qualification pourrait être retenue, en présence de qualifications incompatibles, parce que la seconde n’apparaît que comme la suite – inéluctable – de la première. D’autres qualifications pourraient encore être conçues comme absorbantes lorsque la première n’est que le moyen de parvenir à une finalité plus lointaine, incluse dans la seconde, par exemple lorsqu’un accès illicite précède une entrave au fonctionnement du système ou que l’extraction de données n’est qu’un préalable à leur transmission. Ces solutions sont pourtant loin d’être certaines, surtout depuis que la décision de principe rendue par la Chambre criminelle le 15 décembre 2021 a fait de l’ancien principe d’unicité de qualifications l’exception, notamment en réduisant les hypothèses de qualifications absorbantes à peau de chagrin [48].
Les concours – de qualifications cette fois – sont encore d’origine externe, lorsqu’un même fait peut tomber tout à la fois sous le coup d’une qualification de droit commun et d’une atteinte à un STAD. Un tel concours est susceptible de se produire, tout particulièrement, à propos de la reproduction ou de l’extraction de données, depuis que la jurisprudence a pu admettre, par deux fois, le vol par téléchargement de données [49]. Il n’est toutefois pas certain que ces deux décisions aient la portée qu’on a bien voulu leur prêter dès lors qu’elles concernent des faits qui sont antérieurs à la réforme du 13 novembre 2014 ayant incriminé spécialement l’extraction et la reproduction de données. Anticipant l’application de la loi nouvelle, c’est comme si les juges avaient voulu appliquer les nouveaux principes répressifs à des faits antérieurs à son entrée en vigueur, en ayant recours à la qualification de vol issue du droit commun. Aussi, l’admission du vol d’informations par téléchargement pourrait-elle n’être que provisoire car, en cas de concours avec les atteintes à un STAD, c’est cette seconde qualification qui nous semble devoir être appliquée, quel que soit le mode d’arbitrage du concours privilégié dès lors qu’elle est à la fois plus spéciale et plus sévèrement sanctionnée. Procédant d’une volonté de ne laisser aucun interstice dans le champ répressif, un tel désordre normatif irrigue encore le droit commun.
II. Droit commun de la cybercriminalité
Voies de l’adaptation. Bien que n’ayant pas spécialement vocation à sanctionner des faits cybercriminels, les infractions de droit commun ont néanmoins dû s’adapter face à l’ampleur du phénomène qui n’épargne aucune d’elles, ni les infractions contre les personnes, ni celles contre les biens ou l’État. Si l’adaptation peut revêtir une nature duale, selon qu’elle procède d’un fait jurisprudentiel d’interprétation ou d’un fait légal de création [50], elle s’est opérée de façon empirique pour répondre à des faits sociaux émergeants, ainsi qu’en témoignent les infractions sexuelles ou assimilées, ici conçues comme des exemples privilégiés, symboles du désordre qui règne en la matière.
Adaptation-interprétation. À défaut d’intervention législative, les voies de l’adaptation – qui relève de l’office du juge – sont étroites car son pouvoir d’interprétation est bridé par le principe de l’interprétation stricte de la loi pénale. Sans doute certaines qualifications sont-elles propices à la dématérialisation lorsque, n’impliquant aucun contact physique, elles sont constitutives d’« atteintes morales » à la liberté sexuelle. Ainsi, de la même façon qu’un harcèlement sexuel peut être réalisé à travers un écran, lorsque l’agent impose de façon répétée à sa victime des propos ou comportements à connotation sexuelle par voie de communications électroniques [51], le délit d’exhibition sexuelle [52] peut être constitué lorsqu’un individu s’exhibe devant des témoins involontaires au moyen de sa webcam : peu importe que les faits se déroulent dans un lieu privé dès lors qu’il se mue, par la grâce des réseaux de communication, en un lieu « accessible aux regards du public » [53]. Mais à l’inverse, les « atteintes physiques » à la liberté sexuelle apparaissent rétives à une telle dématérialisation. Certes, dans une affaire où un septuagénaire s’était fait passer pour un fringant jeune homme, au moyen d’un faux profil numérique publié sur un site de rencontres, afin d'obtenir de sa victime des relations sexuelles, les juges ont-ils pu admettre qu’un stratagème numérique « destiné à dissimuler l’identité et les caractéristiques physiques de son auteur » puisse constituer le procédé de « surprise » constitutif du viol [54]. Mais une chose est de considérer que le procédé trompeur ou contraignant puisse être réalisé par des moyens numériques ; autre chose est d’admettre la dématérialisation de la pénétration sexuelle elle-même, conçue comme le résultat du viol impliquant une atteinte au corps. Ainsi, le prétendu « viol » subi par l’avatar d’une utilisatrice dans le monde virtuel du « metavers » ne saurait être qualifié tel dans le monde réel, à défaut d’acte de pénétration physique subi par la victime [55]. Il y a là une limite infranchissable que le pouvoir d’interprétation du juge ne saurait combler, sauf à violer le principe de l’interprétation stricte. C’est précisément cette logique qui anima la Chambre criminelle lorsqu’elle décida que la pratique du caming – consistant à proposer, moyennant rémunération, une diffusion en direct d’images ou de vidéos à contenu sexuel – ne pouvait être qualifiée de prostitution, si bien que les responsables des sites diffusant de telles images ne pouvaient être condamnés du chef de proxénétisme : les pratiques de caming « n’entrent pas dans le cadre de la définition » de la prostitution « dès lors qu'ils n'impliquent aucun contact physique entre la personne qui s'y livre et celle qui les sollicite, de sorte que l'assimilation de ces comportements à des actes de prostitution suppose[rait] une extension de cette définition » [56].
Adaptation-création. Aussi bien, lorsque les juges sont enfermés dans le carcan de la loi, l’adaptation au fait cybercriminel ne peut procéder que d’un acte législatif, portant création soit d’incriminations nouvelles, soit de circonstances aggravantes liées à l’usage du numérique.
Incriminations. Comme si chaque fait social numérique émergeant devait justifier une réponse pénale, des infractions nouvelles ont pullulé ces dernières années, de façon dispersée, comme en témoignent l’incrimination du revenge-porn [57] ou celle du « harcèlement en meute » qui, permettant notamment de saisir les hypothèses dites de « raids numériques », a conduit à un élargissement de la définition du harcèlement sexuel dont la répétition peut être caractérisée en la personne d’auteurs différents ayant agi de concert à l’encontre d’une même victime [58]. Symbole du désordre, l’infraction – spéciale – improprement dite de « sextorsion » vient réprimer « le fait pour un majeur d'inciter un mineur, par un moyen de communication électronique, à commettre tout acte de nature sexuelle [...] sur lui-même, y compris si cette incitation n'est pas suivie d'effet » [59]. Alors qu’aux origines, l’incrimination fut conçue pour sanctionner ceux qui menacent de divulguer des photos intimes consenties afin d’obtenir des images ou vidéos plus dégradantes, à caractère pornographique, il ne reste assurément pas grand-chose de cette volonté originelle dès lors que le fait d’incitation incriminé, pour le moins évanescent, ne requiert nul procédé de contrainte. Pire, l’infraction – dont la pertinence du champ d’application, réservé aux rapports entre majeurs et mineurs, peut être mise en doute – crée des situations de concours multiples, tant avec le délit de propositions sexuelles faites à un mineur par un moyen de communication électronique [60] qu’avec les qualifications d’agressions sexuelles, lorsque l’incitation prend la forme d’une contrainte suivie d’effet [61]. Si la dématérialisation des infractions sexuelles est assurément en marche [62], la marche (forcée) s’opère de façon dispersée.
Répression. Le désordre est plus prégnant encore s’agissant des circonstances aggravantes liées à l’usage du numérique, pour le moins hétérogènes. La diversité, qui confine au morcellement, est double, temporelle d’abord, dès lors que l’emploi d’un procédé numérique est susceptible d’intervenir à différents moments [63] : ante delictum, en tant qu’acte préparatoire des infractions, lorsqu’un « réseau de communication électronique » est utilisé pour entrer en contact avec la victime[64] ; in delicto, comme procédé de réalisation de l’infraction [65] ; ou même post delictum, lorsque le support numérique est utilisé pour véhiculer un contenu illicite [66]. La diversité est sémantique, ensuite, car là ou certaines causes d’aggravation font alternativement référence à « l'utilisation d'un service de communication au public en ligne » ou à l’usage d'un « support numérique ou électronique » [67], d’autres, en revanche, visent exclusivement l’usage d’un réseau de communication à « destination d'un public non déterminé » [68], ce qui évince les communications électroniques privées. Or, si l’exigence de publicité peut parfois se concevoir, lorsque le support numérique est utilisé pour diffuser un contenu illicite au plus grand nombre, l’on perçoit mal ce qui justifie une telle restriction lorsque le support numérique est utilisé comme un procédé permettant de faciliter ou de réaliser une infraction.
Retour au droit pénal général ? Une remise en ordre serait salutaire, qui pourrait emprunter la voie – minimale – d’une harmonisation rédactionnelle des causes d’aggravation numériques contenant une alternative permettant d’embrasser tous les procédés numériques, qu’ils soient individuels, réalisés au moyen de communications privées, « par le biais d'un support numérique ou électronique », ou collectifs, résultant de messages publics véhiculés par un « service de communication au public en ligne ». Une optique plus ambitieuse, délaissant la partie spéciale du code pour sa partie générale, pourrait consister en la création d’une circonstance aggravante générale qui, sur le modèle de celle tenant à l’usage d’un moyen de cryptologie [69], prendrait acte de la potentialité de nuisance décuplée que renferme l’usage de supports numériques, soit en raison de la démultiplication des auteurs, lorsque des réseaux publics sont utilisés, soit en raison des abus de faiblesse qu’ils renferment, lorsque des moyens de communication privés sont employés pour cibler des victimes vulnérables. La voie du droit pénal général pourrait encore être explorée dans le champ des incriminations, en insérant, dans le Livre 1er du Code pénal, une disposition générale suivant laquelle les éléments matériels d’une infraction – de toute infraction – pourraient être indifféremment commis physiquement ou par voie numérique [70]. L’harmonisation, ici réalisée par assimilation, pourrait toutefois apparaître excessive si l’on veut admettre que certaines infractions – notamment celles portant atteinte à l’intégrité physique – sont, par nature même, réfractaires à la dématérialisation, sinon dans leurs procédés, du moins dans leur résultat. Il n’est de toute façon pas certain que telle soit la voie – légistique – suivie par le législateur, qui préfère procéder de façon dispersée, par touches impressionnistes, au seul gré des faits sociaux émergeants. Au regard de son ampleur et de sa généralité, affectant toutes les infractions ou presque, le fait cybercriminel, mériterait pourtant mieux, une grande loi pénale qui, sans faire entièrement table rase du passé, viendrait simplifier et harmoniser cet ensemble largement disparate.
[2] La cybermenace et la protection des entreprises, Dossier, Dalloz IP/IT, janvier 2016, p. 7 et s.
[3] Ainsi, dans un discours sur la cybersécurité, prononcé à Lille le 8 septembre 2021, la ministre des armées invitait à « considérer le cyberespace comme un champ de bataille à part entière, [à] reconnaître que le cyber [est] une arme, avec un potentiel qui peut être bien plus nuisible et dangereux qu'un missile » [en ligne].
[4] M. Jaeger, La fraude informatique, RD pén. crim. 1985, p. 323.
[5] J. Devèze, La fraude informatique. Aspects juridiques, JCP 1987, I, 3289. Adde, définissant la cybercriminalité comme « des infractions pénales commises à l’aide de réseaux de communication et de systèmes d’information ou contre ces réseaux et systèmes » (Comm. europ. 2007, 267, § 1, Point 1).
[6] F. Chopin, Cybercriminalité, Rép. pén. Dalloz, 2020, n° 7.
[8] V. toutefois, faisant le jeu de l’efficacité policière, C. pén., art. 434-15-2 N° Lexbase : L4889K8L (refus de remettre aux autorités le code « de déchiffrement d’un moyen de cryptologie »). Adde, Ass. plén., 7 novembre 2022, n° 21-83.146 N° Lexbase : A04948S4.
[9] C. pén., art. 226-16 N° Lexbase : L4525LNW et s.
[10] J.-Ch. Saint-Pau, L’anonymat et le droit, Thèse Bordeaux, 1998, n° 762 et s.
[11] A. Lepage, P. Maistre du Chambone et R. Salomon, Droit pénal des affaires, LexisNexis, 6ème éd., 2020, n° 533.
[12] Règl. (UE) n° 2016/679, 27 avril 2016, art. 4, 1° N° Lexbase : L0189K8I auquel renvoie la loi n° 78-17, du 6 janvier 1978, relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, art. 2, al. 3 N° Lexbase : L8794AGS.
[13] V., à propos de de l’adresse IP, M. Teller, Les difficultés de l’identité numérique : quelle qualification juridique pour l’adresse IP ?, D., 2009, 1988. V., depuis lors, CJUE, 24 novembre 2011, aff. C-70/10, Scarlet Extended SA c/ Société belge des auteurs, compositeurs et éditeurs SCRL N° Lexbase : A9797HZU.
[14] Règl. préc., art. 4, 2° auquel renvoie l’art. 2, al. 3, Loi du 6 janvier 1978.
[15] R. Perray, Données à caractère personnel, JCl. Communication, Fasc. 930, 2019, n° 108.
[16] Loi n° 78-17, du 6 janvier 1978, préc., art. 2, al. 1er.
[17] C. pén., art. 226-16 N° Lexbase : L4525LNW.
[18] C. pén., art. 226-18-1 N° Lexbase : L4481GT7 et 226-19-1 N° Lexbase : L4482GT8. Adde, C. pén., art. R. 625-10 N° Lexbase : L7323LQB à R. 625-13 N° Lexbase : L5969IMZ.
[19] C. pén., art. 226-17 N° Lexbase : L4524LNU.
[20] C. pén., art. 226-18 N° Lexbase : L4480GT4. Adde, C. pén., art. 226-19 N° Lexbase : L4522LNS (données personnelles « sensibles »).
[21] C. pén., art. 226-20 N° Lexbase : L4484GTA ; art. 226-21 N° Lexbase : L4485GTB ; art. 226-22 N° Lexbase : L4486GTC. Adde, art. 226-22-1 N° Lexbase : L4521LNR.
[22] A. Lepage, P. Maistre du Chambon et R. Salomon, op. cit., n° 545.
[23] A. Debet et N. Metallinos, Comm. com. electr. 2018, Étude 17.
[24] À l’inverse des atteintes aux STAD : v. C. proc. pén., art. 706-72-1 N° Lexbase : L4806K8I.
[25] Loi n° 78-17, du 6 janvier 1978, préc., art. 20, III, 7°.
[26] Délibération CNIL, n° SAN-2019-001, 21 janvier 2019 N° Lexbase : X0990BDZ ; CE 19 juin 2020, Req. n° 430810 N° Lexbase : A96783NR.
[27] Ainsi des traitements de données en violation des formalités administratives (C. pén., art. 226-16 N° Lexbase : L4525LNW).
[28] C. pén., art. 323-1 N° Lexbase : L6507MG4 et s.
[29] CA Paris, 5, 12, 24 octobre 2012, n° 11/00404 N° Lexbase : A2194IW8 : J. Lasserre Capdeville, note, JCP G, 2012, 1371,.
[30] F. Chopin, Cybercriminalité, op. cit., n° 14.
[31] Cass. crim., 22 novembre 2005, n° 05-82.200 N° Lexbase : A31281EL ; Cass. crim., 20 mai 2015, n° 14-81.336, F-P+B N° Lexbase : A5424NIQ.
[32] Cass. crim., 10 mai 1997, n° 16-81.822, F-D N° Lexbase : A8859WC4.
[33] Cass. crim., 9 mars 2016, n° 14-86.795, F-D N° Lexbase : A1674Q77.
[34] CA Paris, 6 décembre 2000 : Ch. Le Stanc, note, CCE 2001, comm. 28, (réseau GIE carte bleue).
[35] Cass. crim., 28 juin 2017, n° 16-81.113, FS-P+B N° Lexbase : A7053WLS (en matière de vol).
[36] Cass. crim., 20 mai 2015, préc.
[37] Ch. Féral-Schuhl, Cyberdroit, Dalloz, 8ème éd., 2020, n° 712-43.
[38] En ce sens, S. Stella, L’adaptation du droit pénal aux réseaux sociaux en ligne, Thèse Nancy, 2019, n° 123 et s.
[39] J. Thyraud, Rapport sur la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale, relative à la fraude informatique, Sénat 1987-1988, n° 3, 2 octobre 1987, p. 51 [en ligne] et s. Texte n° 1009, transmis à l'Assemblée nationale, le 4 novembre 1987.
[40] Cass. crim., 3 octobre 2007, n° 07-81.045, F-P+F N° Lexbase : A8223DY9 ; CA Paris, 9 septembre 2009 : CCE 2009, comm. 120.
[41] E. Dreyer, Droit pénal spécial, LGDJ, 1ère éd., 2020, n° 475.
[42] CA Paris, 5 avril 1994, JCP E 1995, I, 461 ; CA Paris 9 septembre 2009, préc.
[43] C. pén., art. 323-1.
[44] C. pén., art. 323-2 N° Lexbase : L0871KCA.
[45] C. pén., art. 323-3 N° Lexbase : L0872KCB.
[46] C. pén., art. 323-3-1 N° Lexbase : L0414IZD ; art. 323-3-2 N° Lexbase : L6508MG7.
[47] H. Christodoulou, Les attaques informatiques dans le Code pénal : de la redondance à la simplification, Gaz. Pal., n° 20, 13 juin 2023.
[48] Cass. crim., 15 décembre 2021, n° 21-81.864, FP-B N° Lexbase : A17417GL : L. Saenko, note, D. 2022, 1762, Chr. Adde, Cass. crim., 9 juin 2022, n° 21-80.237, FS-B N° Lexbase : A793074H.
[49] Cass. crim., 20 mai 2015, n° 14-81.336, F-P+B N° Lexbase : A5424NIQ : L. Saenko, note, D. 2015, 1466 ; Cass. crim., 28 juin 2017, n° 16-81.113, FS-P+B N° Lexbase : A7053WLS : G. Beaussonie, note, D. 2017, p. 1885.
[50] Le plan – non apparent – de cette partie est le fruit d’un travail collectif mené avec les étudiants du master 2 Droit et justice pénale de l’université de Poitiers, présenté oralement à Bordeaux le 31 mars 2023, lors des journées de l’Atlantique consacrées à la thématique des « infractions sexuelles commises par voie numérique ».
[51] Pour preuve, la loi Shiappa n° 2018-703 du 3 août 2018 N° Lexbase : L6141LLZ a créé une circonstance aggravante tenant au « cyberharcèlement » (C. pén., art. 222-33, 6° N° Lexbase : L6229LLB).
[52] C. pén., art. 222-32 N° Lexbase : L2629L47.
[53] CA Nîmes, 12 février 2009 : A. Lepage, obs., Dr. pén. 2009, Chron. 11, § 12. Adde, F-X. Roux-Demare, RPDP 2015, n° 1, p. 44.
[54] Cass. crim., 23 janvier 2021, n° 18-82.833, FS-P+B N° Lexbase : A3070YUA : J.-Ch. Saint-Pau, note, JCP G, 2019, 203.
[55] V. également, M.-E. Carbonnier, Un nouveau concept : le cyber-viol virtuel, AJ pénal, 2008, p. 295.
[56] Cass. crim., 18 mai 2022, n° 21-82.283, FS-B N° Lexbase : A33797XG : Ph. Conte, Dr. pén., 2022, comm. 121 ; M. Bouchet et B. Auroy, Panorama de droit pénal spécial (2022), Lexbase pénal, juin 2022 N° Lexbase : N1917BZZ ; R. Ollard, obs., Dr. pén. 2022, Chr. 12, n° 9.
[57] C. pén., art. 226-2-1, al. 2 N° Lexbase : L4894LAI.
[58] C. pén., art. 222-33, I, 1° et 2° N° Lexbase : L6229LLB.
[59] C. pén., art. 227-22-2 N° Lexbase : L2647L4S.
[60] C. pén., art. 227-22-1 N° Lexbase : L2648L4T.
[61] Dès lors que les agressions sexuelles permettent désormais de sanctionner des atteintes sexuelles accomplies sur soi-même (C. pén., art. 222-22-2).
[62] C. Dubois, P. Le Monnier de Gouville, Les infractions sexuelles à l’épreuve du numérique, Mare et Martin, 2022.
[63] J. Jombard, Les violences numériques en droit pénal, Thèse, Lille, 2021, n° 105.
[64] C. pén., art. 222-24, 8° N° Lexbase : L2625L4Y (viol) ; art. 227-22 N° Lexbase : L2646L4R (corruption de mineur).
[65] C. pén., art. 222-33, III, 6° (harcèlement sexuel).
[66] C. pén., art. 227-23 al. 3 N° Lexbase : L2649L4U (diffusion de l’image d’un mineur à caractère pornographique).
[67] C. pén., art. 222-33, III, 6° ; art. 222-33-2-2, 4° N° Lexbase : L7985MBD (harcèlements sexuel et moral).
[68] C. pén., art. 222-24, 8° N° Lexbase : L2625L4Y ; 222-26, 6° N° Lexbase : L2627L43 (agressions sexuelles) ; 227-22 (corruption de mineur).
[69] C. pén., art. 132-79 N° Lexbase : L9877GQU.
[70] En ce sens, R. Mésa, Le droit pénal général à l’épreuve de l’infraction digitalisée, D., 2022, 125.
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par Robert Rézenthel, docteur en droit, Avocat au barreau de Montpellier
Le 04 Octobre 2023
Mots clés : contravention de grande voirie • contentieux domanial • gestion des ports • plaisance • domaine public
Les contraventions de grande voirie alimentent beaucoup le contentieux en matière domaniale. L'expression « grande voirie » est surprenante car l'article L. 2132-2 du Code général de la propriété des personnes publiques N° Lexbase : L4571IQD exclut du champ d'application du régime des contraventions de grande voirie les dépendances de la voirie routière. Dans les ports, les infractions constatées par les agents du gestionnaire du port concernent pour une large part les usagers, c'est-à-dire en termes familiers « les clients ».
Le domaine public bénéficie d'une protection renforcée, mais il convient de rappeler la jurisprudence du Conseil constitutionnel selon laquelle la protection de la propriété de personnes publiques doit être assurée « à un titre égal » à celle des propriétés privées [1]. Certains feront remarquer que la protection de la propriété est distincte de celle de l'usage d'un bien [2], mais la sanction d'une occupation irrégulière du domaine public fluvial (par exemple, l'amarrage d'un bateau-logement) peut entraîner la confiscation de l'embarcation [3].
Il est indéniable que la procédure de contravention de grande voirie présente un réel intérêt pour la protection du domaine public maritime et fluvial dans les ports, mais sa rigueur paraît parfois excessive.
Des infractions à la police de la grande voirie sanctionnent les atteintes à la consistance et à l'utilisation du domaine public, indépendamment de l'existence ou de la nature d'un service public. Par exemple, si un plaisancier n'obtempère pas à une interdiction d'amarrer son navire à un poste d'amarrage déterminé dans un port de plaisance, c'est un usager d'un service public à caractère industriel et commercial [4], mais l'ordre donné par un surveillant de port émane d'un agent chargé d'un service public à caractère administratif [5].
I. Une procédure simple en apparence
Si l'amende encourue par l'auteur d'une contravention de grande voirie est une sanction pénale prononcée dans le cadre de l'action publique [6], ce n'est pas le cas pour la réparation des dommages occasionnés au domaine public imposée au titre de l'action domaniale [7], qui n'est pas une sanction [8].
La police de la grande voirie assure la protection non seulement des infrastructures portuaires comme les bassins [9], les quais [10], les écluses [11], une forme de radoub [12]..., mais également des superstructures comme les terre-pleins [13], les hangars, les silos faisant partie de l'outillage public. Toutefois, il a été jugé que la seule présence en surplomb de la mer d'une passerelle appartenant à une personne de droit privé, qui ne faisait pas obstacle à l'utilisation du domaine public maritime, ne constituait pas une contravention de grande voirie [14].
En raison de l'importance des ports pour le développement économique de la France et de son commerce international, l'existence d'une procédure de protection forte s'avère nécessaire pour la consistance et l'utilisation du domaine public portuaire, encore faut-il que l'identification de ce domaine soit clairement établie.
La délimitation administrative d'un port ne suffit pas à elle seule à définir la consistance du domaine public portuaire [15], qu'il soit maritime ou fluvial. Tous les terrains et bâtiments situés dans cette limite ne font pas systématiquement partie de ce domaine. Ainsi, les terrains faisant partie des réserves foncières [16], les immeubles à usage de bureaux [17], les ouvrages réalisés par les occupants [18] du domaine public jusqu'à l'expiration de leur autorisation ne relèvent pas de la domanialité publique. Selon le Conseil d'État « l'appropriation privative d'installations superficielles édifiées par le titulaire d'une autorisation d'occupation temporaire du domaine public n'est pas incompatible avec l'inaliénabilité de celui-ci, lorsque l'autorisation de l'occuper et d'y édifier des constructions n'a pas été accordée en vue de répondre aux besoins du service public auquel le domaine est affecté » [19].
C'est l'absence d'autorisation d'occuper le domaine public portuaire qui est répréhensible, ou lorsque l'occupant se maintient après le terme fixé. Le juge administratif rappelle dans cette hypothèse que la tolérance n'est pas un droit [20], tandis qu'il a été jugé que « Le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées avec le temps, fait obstacle à ce que puisse être contesté indéfiniment par les tiers un acte administratif » [21].
Le domaine public portuaire doit demeurer disponible afin de permettre l'adaptation à tout moment du service public, c'est en quelque sorte pour justifier la mise en œuvre du principe mutabilité de ce service [22]. C'est un moyen d'affronter la concurrence des autres ports.
La circonstance que le contrevenant ne contestait pas la domanialité publique du terrain d'assiette qu'il occupait irrégulièrement, ne permettait pas à elle seule de considérer que le juge était dispensé d'apprécier les limites dudit domaine [23].
En raison de la nécessité de réparer les dommages occasionnés au domaine public portuaire, on ne peut pas faire supporter cette charge par la collectivité. Mais du côté de l'auteur des faits incriminés, si l'on peut admettre que le gestionnaire du domaine public n'est pas tenu de réaliser les travaux correspondants, le contrôle minimum par le juge du montant réclamé par l'autorité administrative est cependant discutable. Il a été jugé à propos des dommages occasionnés à un portique portuaire qu'il n'y avait pas lieu de déduire le produit de la vente de tout ou partie du portique du montant du préjudice, et qu'en tout état de cause, « le préjudice indemnisable correspond aux frais de remise en état de l'ouvrage, quelle que soit l'utilisation qu'en fait l'autorité gestionnaire » [24]. Ce principe s'écarte de celui fixé par la Cour de cassation selon lequel « le préjudice doit être intégralement réparé, sans perte ni profit pour la victime » [25].
Il convient d'ajouter que dans le cadre des poursuites pour contravention de grande voirie, le contrevenant ne peut pas demander une réduction du montant du préjudice au titre d'un abattement pour vétusté de l'ouvrage endommagé. Il a été jugé que : « à supposer que l'ouvrage se soit trouvé extrêmement affaibli du fait d'avaries causées par un accident antérieur ou par la vétusté, la faute commise par l'administration, en ne procédant ni à leur réparation, ni à la signalisation de leur état, n'est pas assimilable à un cas de force majeure » [26].
Par ailleurs, un vice de conception de l'ouvrage endommagé ne permet pas en principe au contrevenant d'être exonéré, fût-ce partiellement des frais de réparation de l'ouvrage endommagé [27]. En regard de cette particularité, il convient de rappeler que l'autorité portuaire doit subir la limitation de responsabilité des propriétaires de navires. C'est-à-dire que le juge administratif doit fixer normalement le montant de la réparation des dommages occasionnés au domaine public, et le gestionnaire du port doit présenter sa créance au liquidateur du fonds de limitation de responsabilité constitué par l'armateur, et c'est à ce niveau que l'établissement portuaire obtiendra le paiement de tout ou partie de sa créance lors de la répartition du montant du fonds [28].
La rigidité de la procédure de contravention de grande voirie à l'égard des contrevenants paraît parfois excessive, bien que des assouplissements aient été apportés au fil du temps.
II. Une rigidité pas nécessairement utile
Si le Code des transports définit des infractions à la police de la grande voirie dans les ports, il convient parfois de se reporter au Code général de la propriété des personnes publiques pour en connaître les sanctions. C'est le cas de l'occupation sans titre du domaine public maritime, ou lorsque les textes ne prévoient pas de peine d'amende.
Sur ce dernier point, l'article L. 2132-26, alinéa 3, du Code général de la propriété des personnes publiques N° Lexbase : L4590IQ3 dispose que « Dans tous les textes qui ne prévoient pas d'amende, il est institué une peine d'amende dont le montant maximum est celui prévu par le 5° de l'article 131-13 du Code pénal N° Lexbase : L0781G8G ». Or, il peut être difficile d'identifier une contravention de grande voirie, la définition de cette infraction est donnée par l'article L. 2132-2 dudit code, ce texte vise les contraventions instituées par la loi ou par décret. Le non-respect d'une disposition du règlement particulier de police d'un port résultant d'un arrêté constitue-t-il un comportement entrant dans le champ des contraventions de grande voirie ? La question peut se poser à propos de la navigation de plaisance puisque selon l'article R. 5333-1 du Code des transports N° Lexbase : L3656I7K, le règlement général de police des ports maritimes (approuvé par décret) ne s'applique pas « dans les bassins exclusivement destinés à la plaisance ». L'adverbe « exclusivement » doit s'interpréter comme visant l'affectation à titre principal aux navires de plaisance [29].
S'agissant de la détermination de la consistance du domaine public maritime et du domaine public fluvial dans les ports d'estuaire, si dans le fleuve la limite entre ces deux domaines est claire selon la loi [30] qui se réfère à la limite transversale de la mer, cette limite ne concerne que le lien d'une rive à l'autre et n'a pas vocation à se prolonger sur la partie terrestre du port. Ainsi, doit-on considérer par exemple que les terrains situés dans les limites administratives du port de Bordeaux ou des ports de Nantes et Saint-Nazaire font partie du domaine public maritime parce qu'ils relèvent d'un établissement public qualifié de « grand port maritime » ?
La contravention de grande voirie peut être établie, même lorsque l'atteinte à l'intérêt général n'est que potentielle. Pour le Conseil d'État, la préoccupation du gestionnaire du domaine public est de « s'assurer de l'affectation du domaine public ainsi constitué à l'utilité publique ou à d'autres objectifs légitimes, tirés notamment… de la protection de l'environnement ou de l'aménagement du territoire » [31]. S'agissant de la répression des infractions de la police de la grande voirie, on s’éloigne du principe de l'interprétation stricte des textes de droit pénal [32].
Un procès-verbal de contravention de grande voirie n'est pas au nombre des décisions devant être motivées [33] en application des dispositions de l'article L. 211-2 du Code des relations entre le public et l'administration N° Lexbase : L1815KNK, il ne doit pas faire l'objet d'une procédure contradictoire préalable [34]. Il s'agit d'une infraction matérielle [35] qui nécessite seulement la constatation des faits consistant en une atteinte au domaine public portuaire ou à son utilisation.
À propos de la procédure de la contravention de grande voirie, le Conseil d'État a jugé que « si la disparition de l'atteinte à l'intégrité du domaine ou la fin de son occupation irrégulière peuvent être de nature à priver d'objet l'action domaniale, un tel changement de circonstance ne saurait priver d'objet l'action publique » [36]. Si un tel principe est logique, en pratique la poursuite de l'action publique contre des usagers du port est susceptible d'être mal comprise par les intéressés, surtout que l'aboutissement de la procédure peut intervenir longtemps après les faits, sauf si les conditions de la prescription sont réunies.
La jurisprudence extensive de l'action publique ne respecte pas scrupuleusement les principes [37] d'accessibilité, de clarté [38] et de prévisibilité de la loi. À propos de la notion d'empêchement à l'utilisation du domaine public fluvial, il a été jugé que ce fait était caractérisé [39] lorsqu'un éleveur faisait paître des bovins sans autorisation sur ledit domaine, ou qu'un bateau y stationne sans autorisation [40], et ce, même si cette situation ne provoque pas de gêne pour la navigation [41]. L'absence de publication des actes concernant les règles de stationnement des bateaux logements, et notamment des règles afférentes à la gestion des listes d'attente, cette omission à la supposer établie, ne caractérise pas un fait de l'administration de nature à exonérer le contrevenant [42].
On peut encore citer l'arrêt [43] selon lequel le patron d'un chalutier ayant amarré celui-ci sans autorisation d'un agent de la capitainerie ne peut soutenir que l'interdiction d'accoster n'était pas mentionnée sur les lieux ou qu'il n'était pas nécessaire d'obtenir une autorisation pour l'amarrage.
Contrairement à ce que permet l'article 132-59 du Code pénal N° Lexbase : L2173AMG, la personne condamnée pour contravention de grande voirie ne peut obtenir une dispense de peine [44]. Toutefois, il est admis qu'une transaction puisse justifier l'abandon des poursuites [45]. En revanche, la circonstance qu'un ouvrage réalisé sans autorisation sur le domaine public réponde à un besoin de la population, ne saurait faire disparaître l'infraction [46]. Le juge de la contravention de grande voirie ne cherche pas à comparer les motifs d'intérêt général en présence, c'est une position rigide mais qui s'explique par le respect du principe de séparation des pouvoirs.
L'auteur d'une contravention de grande voirie ne saurait échapper à l'obligation de remettre les lieux en l'état imposée par le juge en invoquant l'impossibilité d'effectuer les travaux dans un site remarquable [47]. Par ailleurs, lorsque les propriétaires d'un ouvrage maintenu sans titre sur le domaine public sont condamnés solidairement à le démolir, l'impécuniosité de l'un d'entre eux ne suffit pas à dispenser les autres d'exécuter cette obligation [48].
Lorsque l'occupation sans titre du domaine public concerne un navire amarré dans un port, le juge administratif saisi d'une contravention de grande voirie peut en prononcer la confiscation, laquelle ne constitue pas une sanction, mais une mesure qui a pour seul objet de garantir le gestionnaire du domaine public du remboursement des frais d'enlèvement, lequel doit déduire le coût de l'opération de la valeur du navire, et si ce coût est inférieur, il doit reverser le surplus au propriétaire [49].
Les mesures que le juge des référés peut ordonner sur le fondement de l'article L. 521-3 du Code de justice administrative N° Lexbase : L3059ALU ont nécessairement un caractère provisoire et conservatoire. Si tel peut être le cas d'une mesure ordonnant le déplacement ou le démontage d'un ouvrage immobilier, le juge des référés ne saurait ordonner la destruction d'un tel ouvrage sur le domaine public maritime [50]. De même, il peut enjoindre au gardien d'un navire de le déplacer, mais le gestionnaire du domaine public portuaire ne peut pas procéder à sa démolition sans y avoir été précédemment autorisé dans le cadre d'une procédure d'expulsion du domaine public dirigée à l'encontre du propriétaire du navire [51].
Afin d'obtenir l'exécution de la décision de remettre les lieux en l'état ou de déplacer le navire ou bateau stationné irrégulièrement sur le domaine public, le juge peut condamner le contrevenant à une astreinte.
Lorsqu’une astreinte est prononcée, « il incombe au juge de procéder à sa liquidation, en cas d’inexécution totale ou partielle ou d’exécution tardive de l’injonction. Il peut toutefois modérer ou supprimer l’astreinte provisoire, même en cas d’inexécution de la décision juridictionnelle » [52]. Le juge de l'astreinte n'est jamais tenu de la liquider, dès lors qu'il ne lui a pas expressément conféré un caractère définitif [53].
L'existence de pourparlers avec le gestionnaire du domaine public pour le démontage des ouvrages maintenus sans titre sur ledit domaine n'est pas de nature à justifier, à elle seule, qu'il soit fait droit à la demande de modération ou de suppression de l'astreinte [54].
L'astreinte qui a pour objet de contraindre la personne qui s'y refuse à exécuter les obligations que le juge a fixées ne constitue pas une peine ou une sanction [55] au sens de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 N° Lexbase : L1372A9P. De même, la faculté pour le juge administratif de liquider une astreinte à l'encontre d'une personne privée occupant irrégulièrement le domaine public même si elle n'est pas prévue par la loi, ne méconnaît aucune disposition de valeur constitutionnelle, notamment pas l'exigence de la séparation des pouvoirs [56].
Conclusion
Tandis que l'amende sanctionnant une contravention de grande voirie présente le caractère d'une sanction pénale, le principe de l'interprétation stricte du droit pénal ne semble pas s'appliquer aux personnes poursuivies pour ce type d'infraction dans un port. L'étendue du pouvoir discrétionnaire du juge administratif pour déterminer la consistance du domaine public, les conditions restreignant la possibilité d'invoquer l'exception d'illégalité d'un texte réglementaire, l'impossibilité d'obtenir une réduction du montant de la réparation des dommages en raison de la vétusté de l'ouvrage, le caractère accidentel [57] des dommages occasionnés au domaine public portuaire, l'amélioration du site par des travaux réalisés sans autorisation sont sans incidence sur l'exercice des poursuites.
Une clarification des conditions de la répression et l'application de sanctions administratives plutôt que pénales permettraient peut-être une plus grande efficacité dans la lutte contre les atteintes au domaine public portuaire.
[1] Cons const. décision n° 94-346 DC du 21 juillet 1994 N° Lexbase : A8307ACN, JO 23 juillet 1994, p. 10635.
[2] L'obligation de déplacer une embarcation occupant sans autorisation sur le domaine public fluvial ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit du propriétaire de mener une vie familiale normale (CE, 10 octobre 2012, n° 338753 N° Lexbase : A2677IUP).
[3] CE, 12 mars 2021, n° 448007 N° Lexbase : A93034KR.
[4] CE, 13 décembre 2002, n° 248591 N° Lexbase : A6485A4X.
[5] L'exercice de la police portuaire relève d'une mission de service public à caractère administratif (CE, Sect., 17 avril 1959, Abadie, Rec. p. 239 concl. Henry).
[6] CE, 7 mars 2022, n° 355009 N° Lexbase : A3383IEZ.
[7] CE, 15 octobre 2000, n° 195209 N° Lexbase : A1473AIE.
[8] CE, 6 mars 2002, n° 217646 N° Lexbase : A2508AYK. Ce n'est pas une accusation pénale (CE, 6 avril 2001, n° 208608 N° Lexbase : A4215B7A).
[9] CE, 11 juillet 1919, ministère des Travaux publics c/ Couston, Rec. p. 629 ; en matière de pollution d'un bassin, voir CE, 1er juillet 1983, n° 403893 N° Lexbase : A9640ALM, Rec. p. 297, DMF, 1983 p. 715 note R. Rézenthel ; CE, 7 janvier 1983, n° 31741 N° Lexbase : A8353ALX.
[10] CE, 17 avril 1959, Société d'armement Haudy et Fourgassié, Rec. p. 247.
[11] CE, 8 juin 1966, n° 64496 N° Lexbase : A5654B7K, Rec. p. 383.
[12] Une échelle de coupée dans une forme de radoub ne fait pas partie du domaine public et n'est pas protégée par la police de la grande voirie (CE, 27 juillet 1990, n° 77773 N° Lexbase : A7758AQE, Dr. Adm. 1990 n° 493).
[13] CE, 7 novembre 1973, n° 84081 N° Lexbase : A5271B7D.
[14] CE, 6 juin 2018, n° 410651 N° Lexbase : A8089XQN.
[15] R. Rézenthel, Le domaine public portuaire et le concept fluvio-maritime, Rev. Droit voirie, 2021, n° 221, p. 147.
[16] CGPPP, art. L. 2211-1 N° Lexbase : L4595IQA.
[17] CGPPP, art. L. 2211-1.
[18] CE, 23 juin 1993, n° 111569 N° Lexbase : A9846AMM.
[19] CE, 21 avril 1997, n° 147602 N° Lexbase : A9303ADW.
[20] CE, 10 octobre 2012, n° 338750 N° Lexbase : A2674IUL.
[21] CE, 16 juin 2023, n° 468841 N° Lexbase : A204293Z.
[22] CE, ass., 8 avril 2009, n° 271737 N° Lexbase : A9541EE4.
[23] CE, 10 mars 2017, n° 391177 N° Lexbase : A4835T3H.
[24] CE, 7 décembre 2015, n° 362766 N° Lexbase : A0400NZT.
[25] Cass. civ. 2, 8 février 1995, n° 93-12.672 N° Lexbase : A7630AB9 ; Cass. civ. 2, 29 mars 2006, n° 04-15.776, F-D N° Lexbase : A8565DNK.
[26] CE, 8 juillet 1955, Société générale des transports, Rec. p. 404.
[27] CE, 17 avril 1959, Société d'armement Hardy et Fourgassié, Rec. p. 247.
[28] La constitution du fonds de limitation de responsabilité des propriétaires de navires est indépendante de la procédure de contravention de grande voirie (CE, 22 avril 1988, n° 55419 N° Lexbase : A7631APC, Rec. p. 152, Dr adm 1988 n° 302).
[29] CE, 21 mars 2001, n° 197076 N° Lexbase : A1515ATB ; CE, 25 octobre 2002, n° 214428 N° Lexbase : A1113A4Y.
[30] CGPPP, art. L. 2111-6 N° Lexbase : L2750IN8 pour le domaine public maritime artificiel et CGPPP, art. L. 2111-10 4° N° Lexbase : L4511IQ7 pour le domaine public fluvial artificiel.
[31] CE, 22 septembre 2017, n° 400825 N° Lexbase : A7379WS4.
[32] Cons const, décision n° 2022-846 DC du 19 janvier 2023 N° Lexbase : A936588D, JO, 25 janvier 2023 ; Cass crim, 22 janvier 2020, n° 19-84.084, F-P+B+I N° Lexbase : A14973CG ; Cass, ass plén., 13 février 2009, n° 01-85.826 N° Lexbase : A1394EDY, Bull ass plén. n° 1.
[33] CAA Bordeaux, 9 juillet 2020 n° 18BX04009 N° Lexbase : A24053RI.
[34] CAA Paris, 17 mai 2023, n° 22PA04184 N° Lexbase : A83899UA.
[35] CE, 13 mars 2013, n° 365115 N° Lexbase : A5467I9D.
[36] CE, 31 mars 2023, n° 470216 N° Lexbase : A83139MT.
[37] Cass 1ère ch civ, 13 février 2019, n° 18-13.748, FS-P+B+I N° Lexbase : A3441YXQ ; Cass crim, 9 juillet 2014, n° 14-90.019, F-D N° Lexbase : A5469MU4.
[38] Le principe de clarté est un principe de valeur constitutionnelle (Cons const, décision n° 2023-850 DC du 17 mai 2023 N° Lexbase : A69879UC, JO, 20 mai 2023).
[39] CAA Douai, 27 juin 2013, n° 12DA00360 N° Lexbase : A6540KKG.
[40] CAA Nancy, 25 octobre 2012, n° 12NC00137 N° Lexbase : A0638IXW ; CAA Versailles, 20 décembre 2012, n° 11VE03601 N° Lexbase : A0520MRP.
[41] CAA Marseille, 18 octobre 2010, n° 08MA04741 N° Lexbase : A8562GPS ; CAA Paris, 22 mai 2008, n° 07PA00631 N° Lexbase : A89261IG. Selon le Conseil d'État, « Si la disparition de l'atteinte à l'intégrité du domaine ou la fin de son occupation irrégulière peuvent être de nature à priver d'objet l'action domaniale, un tel changement de circonstances ne saurait priver d'objet l'action publique (CE, 31 mars 2023, n° 470216 N° Lexbase : A83139MT).
[42] CE, 10 octobre 2012, n° 338749, préc.
[43] CE, 25 octobre 2017, n° 392578 N° Lexbase : A4470WXT.
[44] CAA Lyon, 8 janvier 2015, n° 13LY01481 N° Lexbase : A9370M9W.
[45] CE, Sect. 30 septembre 2005, n° 263443 N° Lexbase : A6066DKU ; CE, 18 janvier 2017, n° 399893 N° Lexbase : A3272S93.
[46] CAA Paris, 15 avril 2016, n° 15PA00895 N° Lexbase : A1115RKI.
[47] CAA Marseille, 28 mai 2021, n° 17MA04807 N° Lexbase : A36864U3.
[48] CAA Marseille, 1er octobre 2021, n° 21MA02130 N° Lexbase : A033648X.
[49] CAA Lyon, 8 décembre 2022, n° 21LY02018 N° Lexbase : A47138ZL.
[50] CE, 14 avril 2023, n° 466993 N° Lexbase : A18559QR.
[51] CAA Marseille, 9 janvier 2023, n° 21MA03713 N° Lexbase : A30899AN,
[52] CAA Marseille, 26 juin 2020, n° 18MA00338 N° Lexbase : A22433RI.
[53] CAA Marseille, 5 mai 2023, n° 14MA05057 N° Lexbase : A38639TA.
[54] CAA Marseille, 12 mai 2015, n° 13MA01227 N° Lexbase : A6741NQQ.
[55] CE, 6 mai 2015, n° 377487 N° Lexbase : A5838NHP.
[56] CAA Marseille, 13 octobre 2015, n° 14MA00852 N° Lexbase : A2832NT3.
[57] CE, 1er juillet 1983, n° 40393 N° Lexbase : A9640ALM, DMF, 1983, p. 715 note R. Rézenthel.
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Réf. : Cass. soc., 27 septembre 2023, n° 21-24.782, F-B N° Lexbase : A11611IT
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N6932BZR
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par Lisa Poinsot
Le 04 Octobre 2023
► Le dépassement de la durée maximale de travail du travailleur de nuit, calculée sur une période quelconque de 12 semaines consécutives ouvre, à lui seul, droit à la réparation.
Faits et procédure. Licencié avec une dispense d’exécuter son préavis, un salarié, travaillant de nuit, saisit la juridiction prud’homale d’une demande en paiement d’une indemnité pour non-respect des durées maximales quotidiennes, hebdomadaires et mensuelles de travail.
La cour d’appel (CA Paris, 30 septembre 2021, n° 19/05960 N° Lexbase : A861047Z) relève tout d’abord que le salarié soutient avoir régulièrement dépassé la durée maximale hebdomadaire de 46 heures.
Ensuite, elle retient qu’il ressort de la synthèse conducteur que l’amplitude horaire avancée par l’intéressé dans ses écritures ne correspond pas au travail effectif. En outre, le salarié dispose de temps de repos et de mise à disposition.
Enfin, les juges du fond constatent que le salarié ne justifie pas d’un préjudice distinct de celui réparé au titre du repos compensateur.
Par conséquent, la demande du salarié en paiement de dommages et intérêts pour non-respect des durées maximales de travail est rejetée.
Ce dernier forme dès lors un pourvoi en cassation.
La solution. Énonçant la solution susvisée, la Chambre sociale de la Cour de cassation casse et annule la décision de la cour d’appel sur le fondement de l'article L. 3122-35 du Code du travail N° Lexbase : L0391H9D, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 N° Lexbase : L8436K9C, les articles L. 3122-7 N° Lexbase : L6852K9N et L. 3122-18 N° Lexbase : L6841K9A du même code, dans leur rédaction issue de ladite loi, l'article 2.2 de l'accord du 14 novembre 2001 relatif au travail de nuit, attaché à la Convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires du transport du 21 décembre 1950 N° Lexbase : X8152APM et l'article 1315 N° Lexbase : L0965KZR, devenu 1353, du Code civil.
En l’espèce, la cour d’appel n’a pas constaté que l’employeur justifiait avoir respecté la durée hebdomadaire maximale de travail du travailleur de nuit calculée sur une période quelconque de 12 semaines consécutives.
→ Quel impact en pratique ? Cette solution rappelle aux employeurs leurs obligations de garantir la santé et la sécurité des travailleurs par la prise d’un repos suffisant. Il faut être prudent dans la gestion des horaires des travailleurs de nuit puisque tout dépassement des durées maximales de travail, prévues par la loi ou la convention ou accord collectif applicable, entraîne automatiquement des sanctions financières.
Pour aller plus loin :
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Réf. : Cass. crim., 27 septembre 2023, n° 21-83.673, FS-B N° Lexbase : A11491IE
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N7009BZM
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par Anne-Lise Lonné-Clément
Le 05 Octobre 2023
► Dès lors qu'une reconnaissance de paternité n'atteste en elle-même aucune réalité biologique, l'acte par lequel une personne souscrit une telle reconnaissance alors qu'elle sait ne pas être le père biologique de l'enfant est insusceptible de caractériser l'altération frauduleuse de la vérité constitutive d'un faux au sens des articles 441-1 et 441-2 du Code pénal.
Dans cet arrêt en date du 27 septembre 2023, la Chambre criminelle de la Cour de cassation statue enfin dans cette affaire où le prévenu était poursuivi du chef de faux document administratif, pour avoir été l'auteur d'une reconnaissance de paternité, tout en sachant ne pas être le père biologique de l'enfant.
Par un précédent arrêt rendu le 23 novembre 2022, la Chambre criminelle avait décidé de surseoir à statuer, soumettant à la première chambre civile une demande d’avis qu’elle avait formulé ainsi : « L'objet de la reconnaissance de paternité est-il d'affirmer l'existence d'un lien de filiation biologique susceptible d'une démonstration de son exactitude ou de son inexactitude ou bien seulement l'affirmation de la volonté de créer une situation juridique par laquelle le déclarant s'engage à prendre en charge l'éducation et l'entretien de l'enfant, indépendamment de l'existence d'un lien biologique? » (Cass. crim., 23 novembre 2022, n° 21-83.673, FS-D N° Lexbase : A97518UP).
C’est alors que la première chambre civile de la Cour de cassation a rendu l’avis suivant, le 5 avril 2023 (Cass. Avis, 5 avril 2023, n° 22-70.018, FS-D N° Lexbase : A44059NH) : « la reconnaissance est l'acte libre et volontaire par lequel un homme ou une femme déclare être le père ou la mère d'un enfant et s'engage à assumer toutes les conséquences qui en découlent selon la loi, notamment celle de prendre en charge l'entretien et l'éducation de l'enfant ; inscrite au titre VII du livre I du code civil, elle repose sur une présomption de conformité de la filiation ainsi établie à la réalité biologique et peut être contestée, dans les conditions et dans les délais strictement définis par la loi, si la preuve contraire en est apportée ».
Suivant l’avis ainsi rendu, la Chambre criminelle de la Cour de cassation, a donc estimé que c'est à bon droit que la cour d'appel avait relaxé du chef de faux document administratif, au sens des articles 441-1 N° Lexbase : L2006AMA et 441-2 N° Lexbase : L7211ALN du Code pénal, l'auteur d'une reconnaissance de paternité qui savait ne pas être le père biologique de l'enfant, dès lors qu'une telle reconnaissance, qui n'atteste en elle-même d'aucune réalité biologique, est insusceptible de caractériser une altération frauduleuse de la vérité.
Les juges avaient relevé que le prévenu, qui savait donc ne pas avoir de lien biologique avec l'enfant, s'était engagé par une telle reconnaissance à assumer les conséquences du lien de filiation, notamment, l'obligation de pourvoir à l'entretien et à l'éducation conformément à l'intérêt de l'enfant.
Les juges avaient ajouté que l'enfant n’était pas privé de la réalité de sa filiation ni de son droit à connaître ses origines alors que sa filiation maternelle était établie et que la reconnaissance ainsi faite pouvait faire l'objet d'une contestation.
Enfin, selon la Cour, la circonstance que les prévenus avaient cherché à contourner les règles de l'adoption, qui est susceptible de constituer une fraude à la loi au sens de l'article 336 du Code civil N° Lexbase : L8872G9H, est indifférente à caractériser le délit de faux document administratif et par voie de conséquence celui d'obtention indue d'un document administratif prévus par les articles 441-1, 441-2 et 441-6 N° Lexbase : L0848IZG du Code pénal (pour un exemple de caractérisation de reconnaissance paternelle frauduleuse d’un enfant : Cass. civ. 1, 13 juillet 2022, n° 21-13.190, F-D N° Lexbase : A56718BN ; cf. ÉTUDE : La filiation fondée sur la biologie, in La filiation (dir. A. Gouttenoire), Lexbase N° Lexbase : E24017LI).
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Réf. : CE 3° et 8° ch.-r., 18 septembre 2023, n° 466868, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A20851HP
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N6938BZY
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par Couderc Dinh & Associés
Le 04 Octobre 2023
► Par une décision rendue le 18 septembre 2023, le Conseil d’État vient de mettre un terme au feuilleton judiciaire portant sur la mise en œuvre de la procédure de l’abus de droit en cas de recours à la « correction Quéméner [1] ».
Ce mécanisme vise à assurer une neutralité fiscale lors du calcul de la plus-value imposable sur la cession des parts d’une société relevant de l’article 8 du Code général des Impôts (CGI), dont les bénéfices sont imposés entre les mains des associés. Il permet de ne pas imposer une seconde fois à titre de plus-values, les revenus générés par la société et déjà imposés entre les mains de l’associé, qui n’ont pas été distribués. Le Conseil d’État avait jugé dès 2015 que le mécanisme Quemener s’applique également aux opérations de restructurations (CE 9° et 10° ssr., 27 juillet 2015 n° 362025, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A0733NNH).
La saga jurisprudentielle « Lupa » se prononce sur le cas de dissolutions sans liquidation (TUP), qui ont été réalisées dans un ordre contesté par l’Administration fiscale, au motif qu’elles auraient permis d’« abuser de la correction Quéméner » pour réévaluer des actifs en franchise d’impôt.
Les parts de deux SCI françaises (« les SCI ») – possédant chacune un immeuble situé en France – étaient détenues par deux sociétés anonymes de droit luxembourgeois (« les SA »). La série s’opérations contestée débutait par la cession des titres de ces deux SA à la société française SARL Lupa Immobilière France (« la SARL »). Les SA avaient réévalué les parts des SCI à la suite de cette cession : leur valeur comptable dans leurs comptes correspondait alors au prix d’acquisition des SA par la SARL déterminée sur la base de la valeur vénale des immeubles.
La SARL avait ensuite procédé à une dissolution sans liquidation des SA, entrainant un transfert des parts des SCI dans son patrimoine pour leur valeur réévaluée. Dans la foulée, chaque SCI avait procédé à la réévaluation de l’immeuble inscrit à son bilan. Suivant les termes de la convention fiscale alors en vigueur, ces réévaluations en chaîne n’avaient été imposées ni en France ni au Luxembourg.
La SARL avait ensuite procédé à la dissolution sans liquidation des SCI entrainant la transmission des immeubles précédemment détenus par les SCI. Pour déterminer le résultat de cette opération imposable en France, la SARL avait appliqué le mécanisme Quemener et réduit le boni de confusion du profit de réévaluation des immeubles, alors même que ce profit théoriquement imposable entre les mains de la SARL, en tant qu’associée des SCI, n’avait pas été effectivement imposé en France en raison des termes de la convention fiscale.
Dans une première décision de 2016, le Conseil d’État avait restreint la portée du mécanisme Quemener en considérant que celui-ci n’avait vocation à s’appliquer que pour remédier à la double imposition supportée par l’associé d’une société relevant de l’article 8 du CGI N° Lexbase : L1176ITQ, à raison de l’imposition des résultats sociaux lors de leur réalisation par la société et de l’imposition par ce même associé des plus-values à hauteur de ces mêmes résultats lorsqu’ils n’ont pas été distribués (CE 8° et 3° ch.-r., 6 juillet 2016 n° 377904, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6113RWC).
Dans cet arrêt, le juge avait considéré que dès lors que les réévaluations n’avaient pas été effectivement imposées, l’application du mécanisme Quemener n’était pas justifiée.
Lire en ce sens, L'avenir de la jurisprudence "Quemener" - Questions à Maître Christine Daric, Lexbase Fiscal, septembre 2016, n° 668 N° Lexbase : N4325BW4. |
Cette position avait par la suite été abandonnée dans un arrêt concernant une autre affaire (CE 3°/8°/9°/10° ch., 24 avril 2019, n° 412503, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A7394Y9Q).
Lire sur cet arrêt les conclusions de la Rapporteure publique, K. Ciavaldini, Lexbase Fiscal, juin 2019, n° 785 N° Lexbase : N9172BXY. |
À la suite de ce revirement, l’administration fiscale a modifié son argumentaire et considéré que l’enchaînement des opérations litigieuses constituait en fait un abus de droit, pour maintenir le redressement dans le cas de la société Lupa. Dans un arrêt après renvoi, la cour administrative d’appel de Paris a admis le recours à la procédure d’abus de droit au cas particulier, dans son principe (CAA de Paris, 8 juillet 2022, n° 16PA02400 N° Lexbase : A26298AM). En revanche la Cour a relevé que l’Administration n’a pas établi l’existence d’un abus de droit, faute d’avoir démontré la contrariété à l’objectif de neutralité poursuivi dans l’application du correctif faite par la SARL.
Dans sa décision du 18 septembre 2023, le Conseil d’État confirme l’absence d’abus dans l’application du mécanisme Quéméner. L’administration ne démontre pas l’existence d’un abus de droit en se limitant à soutenir que l’ordre dans lequel les opérations ont été réalisées a conduit à un allègement de la charge fiscale du contribuable, sans établir que l’un ou plusieurs des actes de cette série d’opérations aurait(ent) comme but exclusif de rechercher le bénéfice d’un dispositif fiscal contre l’intention de son auteur.
Le Conseil d’État n’a, par ailleurs, pas retenu l’argument subsidiaire soulevé par l’administration, par substitution de motifs, selon lequel un abus de droit pourrait être caractérisé du fait d’une utilisation abusive de la convention fiscale franco-luxembourgeoise dans un but exclusivement fiscal. En justifiant sa décision de rejet par le caractère tardif de l’évocation de cet abus, contrevenant aux garanties formelles offertes au contribuable concernant en particulier la saisine du comité consultatif des abus de droit, l’arrêt ne permet pas d’apprécier la pertinence de cet argument.
[1] CE 3° et 8° ssr., 16 février 2000 n° 133296, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0346AUD.
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Réf. : Cass. soc., 6 septembre 2023, n° 22-13.783, F-B N° Lexbase : A77741EN
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N6977BZG
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par Guillaume Bossy, Avocat associé et Aude Poirier, Avocate, CMS Francis Lefebvre Lyon
Le 04 Octobre 2023
Mots-clés : client mystère • preuve • licenciement • contrôle des salariés • évaluation des salariés
Dans un arrêt du 6 septembre 2023, la Cour de cassation considère que la pratique du client mystère est licite. L’employeur peut donc valablement utiliser les résultats de la visite d’un client mystère au soutien d’une procédure disciplinaire dès lors que le salarié a été préalablement informé de l’existence de cette pratique.
I. Définition de la pratique des clients mystères
Cette pratique du client mystère consiste pour une personne, opérant sous un faux nom, à se rendre au sein d’une société et à se faire passer pour un simple client afin de contrôler tous les aspects du service ou de l’accueil. Le client mystère remet, ensuite, à la société un rapport précis sur tout ce qu’il a pu observer au cours de sa visite.
Ce rapport est, en particulier, un outil d’amélioration de l’expérience client et de la performance de l’entreprise. Il peut permettre d’identifier des actions correctives devant être appliquées telles que notamment des actions de formation des salariés.
Il peut aussi arriver qu’il mette en lumière des insuffisances professionnelles ou des comportements fautifs de salariés (violations de procédures internes, vols au moment des encaissements, etc.) et que l’employeur décide alors de mener, sur le fondement de ce rapport, une procédure de licenciement à l’égard des collaborateurs concernés.
II. L’arrêt de la Cour de cassation du 6 septembre 2023 et ses enseignements
Dans la présente affaire, un salarié d’un restaurant libre-service est licencié pour ne pas avoir respecté les procédures d’encaissement mises en place au sein de la société. Il lui est, plus précisément, reproché de ne pas avoir remis de ticket de caisse après encaissement des sommes.
Pour prouver les faits fautifs, l’employeur produit une fiche d’intervention d’une société qu’il a mandatée pour effectuer des contrôles en tant que client mystère.
Le salarié conteste son licenciement et invoque l’irrecevabilité de cette preuve recueillie au moyen d’un client mystère, considérant qu’il s’agit d’un stratagème déloyal rendant cette preuve illicite.
Néanmoins, selon la Cour de cassation, la méthode du client mystère utilisée pour démontrer les faits litigieux est licite et la société peut en utiliser les résultats au soutien de la procédure disciplinaire dès lors que le salarié a été expressément et préalablement informé de cette méthode du client mystère mise en œuvre à son égard, conformément à l’article L. 1222-3 du Code du travail N° Lexbase : L0811H9W :
« Ayant ainsi constaté que le salarié avait été, conformément aux dispositions de l'article L. 1222-3 du Code du travail, expressément informé, préalablement à sa mise en œuvre, de cette méthode d'évaluation professionnelle mise en œuvre à son égard par l'employeur, ce dont il résultait que ce dernier pouvait en utiliser les résultats au soutien d'une procédure disciplinaire, la cour d'appel a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision ».
Pour considérer le salarié comme valablement informé de l’existence du dispositif d’investigation, la Cour de cassation relève que l’employeur est en mesure de produire :
Il faut noter que la Cour de cassation aurait peut-être pu se prononcer au regard de sa nouvelle jurisprudence sur le droit à la preuve [1].
En principe, en cas de litige, l'employeur ne peut utiliser que des éléments de preuve d'une faute du salarié obtenus au moyen d'un dispositif de contrôle licite.
Toutefois, la Cour de cassation a décidé qu’« il résulte des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde de droits de l'Homme et des libertés fondamentales que l'illicéité d'un moyen de preuve n'entraîne pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant, lorsque cela lui est demandé, apprécier si l'utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie personnelle d'un salarié à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.
En présence d'une preuve illicite, le juge doit d'abord s'interroger sur la légitimité du contrôle opéré par l'employeur et vérifier s'il existait des raisons concrètes qui justifiaient le recours à la surveillance et l'ampleur de celle-ci. Il doit ensuite rechercher si l'employeur ne pouvait pas atteindre un résultat identique en utilisant d'autres moyens plus respectueux de la vie personnelle du salarié. Enfin le juge doit apprécier le caractère proportionné de l'atteinte ainsi portée à la vie personnelle au regard du but poursuivi ».
Dans l’arrêt du 6 septembre 2023, la Cour de cassation ne s’est pas prononcée sur cette question, car elle relève que le salarié n’avait pas soutenu ce moyen devant la cour d’appel et que son moyen de cassation en la matière était donc irrecevable.
Nous pourrions, néanmoins, considérer que, sur la base de la jurisprudence sur le droit à la preuve, le système du client mystère pourrait être recevable s’il s’agissait notamment du seul moyen de prouver la faute disciplinaire du salarié.
Pour autant, et afin de ne prendre aucun risque quant à la recevabilité du mode de preuve, il est fortement recommandé de respecter les formalités suivantes.
III. Formalités préalables à la mise en place d’un dispositif de contrôle et d’évaluation
Si, dans le cadre de son pouvoir de direction, l’employeur est en droit de surveiller et contrôler l’activité de ses salariés sur le lieu et pendant le temps de travail ainsi que d’évaluer leur travail, ce droit ne s’exerce pas sans limite.
Comme le rappelle cet arrêt de la Cour de cassation, l’instauration de dispositifs de contrôle et d’évaluation de l’activité des salariés au sein de la société est strictement encadrée par le Code du travail et la jurisprudence sociale.
Tout d’abord, le comité social et économique (CSE) doit être informé et consulté sur les moyens ou les techniques permettant un contrôle de l'activité des salariés et ce, préalablement à leur mise en œuvre dans la société [2].
Ensuite, les exigences d’exécution du contrat de travail de bonne foi[3] et de loyauté dans les relations de travail interdisent à l’employeur de recourir à des dispositifs cachés de contrôle et d’évaluation des salariés.
Ainsi, aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n'a pas été porté préalablement à sa connaissance [4].
En outre, le salarié doit être expressément informé, préalablement à leur mise en œuvre, des méthodes et techniques d'évaluation professionnelles mises en œuvre à son égard [5].
À titre d’exemples, la Cour de cassation a précisé que constituent un mode de preuve illicite en raison de leur caractère clandestin et déloyal :
Le dispositif doit être aussi justifié par la nature de la tâche à accomplir et proportionné au but recherché [9] .
Enfin, si le dispositif donne lieu à un traitement automatisé de données à caractère personnel, des exigences particulières complémentaires sont à la charge de l’employeur.
IV. Précautions à prendre par l’employeur avant la visite du client mystère
Comme l’illustre l’arrêt de la Cour de cassation, les enquêtes des clients mystères peuvent avoir notamment pour finalité l’évaluation et/ou le contrôle de l’activité des salariés et doivent, dès lors, respecter les règles énoncées ci-dessus.
À défaut, un des risques pour les employeurs est que le rapport émis par le client mystère puisse être considéré, par le conseil de prud’hommes, comme un mode de preuve illicite et donc rendre sans cause réelle et sérieuse le licenciement qui serait seulement fondé sur celui-ci.
Dans son arrêt, la Cour de cassation ne mentionne pas si, à l’époque des faits, le comité d’entreprise (désormais, le comité social et économique) de la société a été simplement informé ou s’il a bien été consulté.
Au regard de l’article L. 2312-38 du Code du travail précité, il est essentiel de procéder à la consultation du CSE préalablement à toute visite de client mystère dans la société.
Par ailleurs, s’agissant de l’information préalable des salariés, les articles du Code du travail précités ne précisent pas si cette information doit être individuelle ou si elle peut être collective.
En l’espèce, la Cour de cassation considère que l’information des salariés par voie d’affichage d’une note d’information est suffisante.
Les modalités précises de l’information transmise au comité social et économique et aux salariés sur la pratique du client mystère doivent être bien pensées. Il apparaît dans l’arrêt de la Cour de cassation qu’une information sur le fonctionnement des enquêtes des clients mystères, incluant la mention du nombre de passages, et sur l’objectif, c’est-à-dire la finalité, de ces enquêtes est essentielle.
Les obligations de loyauté et de transparence, s’imposant à l’employeur en vertu du Code du travail et de la jurisprudence, ne devraient pas, en revanche, le contraindre à aller jusqu’à informer les salariés du jour exact de la venue du client mystère. Une telle obligation n’apparaît pas dans l’arrêt de la Cour de cassation et aurait, en outre, pour conséquence de largement priver d’utilité l’enquête du client mystère.
Il faudra également se poser la question d’une éventuelle information des salariés au travers du règlement intérieur de la société.
Pour conclure, sur le fondement de cet arrêt, les secteurs, tels que l’hôtellerie ou la restauration, peuvent continuer à avoir recours au dispositif d’investigation dit du client mystère, sous réserve, toutefois, d’avoir bien respecté au préalable certaines formalités, afin d’assurer la licéité des investigations et donc des preuves écrites en résultant.
[1] Cass. soc., 8 mars 2023, n° 21-20.798, FS-D N° Lexbase : A08949HL, n° 21-17.802, FS-B N° Lexbase : A92179GH et n° 20-21.848, FS-B N° Lexbase : A08979HP.
[2] C. trav., art. L. 2312-38 N° Lexbase : L8271LGG.
[3] C. trav., art. L. 1222-1 N° Lexbase : L0806H9Q.
[4] C. trav., art. L. 1222-4 N° Lexbase : L0814H9Z.
[5] C. trav., art. L. 1222-3 N° Lexbase : L0811H9W.
[6] Cass. soc., 18 mars 2008, n° 06-40.852, FS-P+B N° Lexbase : A4765D7M.
[7] Cass. soc., 18 mars 2008, n° 06-45.093, FS-P+B N° Lexbase : A4784D7C.
[8] Cass. soc., 19 novembre 2014, n° 13-18.749, F-D N° Lexbase : A9255M38.
[9] C. trav., art. L. 1121-1 N° Lexbase : L0670H9P.
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Réf. : Décret n° 2023-357, du 11 mai 2023, relatif à la tentative préalable obligatoire de médiation, de conciliation ou de procédure participative en matière civile N° Lexbase : L6288MHD
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N6961BZT
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par Alexandra Martinez-Ohayon
Le 05 Octobre 2023
► Le décret du 11 mai 2023 a rétabli, à compter du 1er octobre 2023 pour certaines catégories de litiges, l’obligation d’une tentative de résolution amiable du conflit.
Pour rappel, cette obligation est prévue lorsque l’action tend au paiement d'une somme n'excédant pas 5 000 euros ainsi que dans certaines matières limitativement énumérées.
Dès lors, le demandeur à l’action en justice devra démontrer au juge, qu’il a tenté une conciliation, une médiation ou une procédure participative avant la saisine du tribunal, sauf dans les cas d’exceptions.
Les parties sont dispensées de l'obligation dans les cas suivants :
Pour aller plus loin :
Par ailleurs, une formation consacrée aux dernières actualités des MARD avec un focus sur l’audience de règlement amiable et la césure du procès civil se déroulera le 18 octobre 2023, avec les interventions de :
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Réf. : Cass. crim., 4 octobre 2023, n° 23-81.287, F-B N° Lexbase : A03671KS
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N7014BZS
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par Adélaïde Léon
Le 18 Octobre 2023
► C’est à tort qu’une chambre de l’instruction écarte l’annulation du procès-verbal d’une confrontation au cours de laquelle les deux témoins étaient assistés d’un avocat et avant laquelle la procédure avait été communiquée à l’un de ces deux conseils. D’une part, l’assistance d’un témoin par un avocat lors de son audition constitue une irrégularité touchant aux conditions d’administration de la preuve, laquelle fait nécessairement grief. D’autre part, l’accès au dossier de la procédure par l’avocat d’un témoin constitue une violation du secret de l’instruction.
Rappel de la procédure. Une femme a porté plainte pour des faits de viol et d’agression sexuelle commis à son encontre par son père lorsqu’elle était enfant et adolescente.
Lors de l’information ouverte des chefs de viol et agression sexuelle aggravés le père de la plaignante a été placé sous le statut de témoin assisté.
Au cours de cette procédure, le juge d’instruction a procédé à une confrontation entre la partie civile, son père et deux témoins (la mère et la sœur de la partie civile).
Ces deux témoins étaient assistées d’un avocat, dont l’un a eu communication de la procédure avant la confrontation.
À la fin de l’acte, l’avocat de la partie civile a contesté cette dernière communication du dossier d’instruction au conseil d’une des témoins.
Le juge d’instruction a lui-même saisi la chambre de l’instruction afin qu’il soit statué sur la nullité éventuelle de cette confrontation.
En cause d’appel. La chambre de l’instruction a écarté l’annulation du procès-verbal de la confrontation en estimant que l’irrégularité constituée par la présence des avocats des témoins et à communication du dossier à l’un d’entre eux n’a pas fait grief à la partie civile et n’a pas porté atteinte au secret de l’instruction.
La partie civile a formé un pourvoi contre l’arrêt de la chambre de l’instruction.
Moyens du pourvoi. Il était fait grief à la chambre de l’instruction d’avoir :
Décision. La Chambre criminelle affirme qu’il se déduit des articles 11 N° Lexbase : L1309MAQ, 101 N° Lexbase : L3434AZ9, 102 N° Lexbase : L1003DYS, 113-3 N° Lexbase : L3174I3X et 114 N° Lexbase : L2767KGL du Code de procédure pénale que :
La Cour de cassation précise que l’assistance d’un témoin par un avocat lors de son audition constitue une irrégularité touchant aux conditions d’administration de la preuve, laquelle fait nécessairement grief.
L’accès au dossier de la procédure par l’avocat d’un témoin constitue quant à lui une violation du secret de l’instruction.
En l’espèce, les témoins étaient tous deux assistés d’un avocat pendant la confrontation et l’un de ces deux conseils a eu accès au dossier de la procédure.
Dès lors, c’est à tort que la chambre de l’instruction a écarté l’annulation du procès-verbal de confrontation.
Pour aller plus loin : ÉTUDE : Les actes de l’instruction, Les auditions de témoins (C. proc. pén., art. 101 et s.), in Procédure pénale (dir. J.-B. Perrier), Lexbase N° Lexbase : E87583AM. |
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newsid:487014
Réf. : Cass. com., 27 septembre 2023, n° 21-25.334, F-B N° Lexbase : A11511IH
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N6931BZQ
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par Vincent Téchené
Le 05 Octobre 2023
► Il résulte de l'application combinée des articles L. 721-2 et L. 721-7, 4°, du Code de la propriété intellectuelle que, pour être protégé par une indication géographique, un produit doit être caractérisé par un savoir-faire traditionnel ou une réputation qui peuvent être attribués essentiellement à cette zone géographique, ces caractéristiques étant alternatives et non cumulatives.
Faits et procédure. Le syndicat des tisseurs du linge basque d'origine a déposé à l'Institut national de la propriété industrielle (l'INPI) une demande d'homologation portant sur l'Indication Géographique (IG) « Linge basque », accompagnée du projet de cahier des charges. L’INPI a homologué le cahier des charges de l'IG « Linge basque » et reconnu le syndicat déposant comme organisme de défense et de gestion du produit bénéficiant de cette IG.
Une société a formé un recours contre cette décision, que la cour d’appel de Bordeaux a rejeté (CA Bordeaux, 12 octobre 2021, n° 20/04960 N° Lexbase : A011249Z). La société requérante a donc formé un pourvoi en cassation.
Décision. La Cour de cassation énonce qu’il résulte de l'application combinée des articles L. 721-2 N° Lexbase : L7690IZT et L. 721-7, 4° N° Lexbase : L2034KGG, du Code de la propriété intellectuelle que, pour être protégé par une indication géographique, un produit doit être caractérisé par un savoir-faire traditionnel ou une réputation qui peuvent être attribués essentiellement à cette zone géographique, ces caractéristiques étant alternatives et non cumulatives.
Par ailleurs, aux termes de l'article L. 721-3, alinéa 4, du même code N° Lexbase : L7691IZU, lorsqu'il instruit la demande d'homologation ou de modification du cahier des charges, l'INPI s'assure que les opérations de production ou de transformation décrites dans le cahier des charges, ainsi que le périmètre de la zone ou du lieu, permettent de garantir que le produit concerné présente effectivement une qualité, une réputation ou d'autres caractéristiques qui peuvent être essentiellement attribuées à la zone géographique ou au lieu déterminé associés à l'indication géographique.
La Cour de cassation approuve alors la cour d’appel en ce qu’elle a retenu que la réalisation du tissage du linge dans les Pyrénées-Atlantiques résultait d'un savoir-faire local historique, fût-il non exclusif à cette zone géographique. Elle précise que dès lors qu'elle a fait ressortir que la réalisation du tissage dans les Pyrénées-Atlantiques était la caractéristique propre et essentielle du linge basque et qu’elle a établi que le linge tissé dans les Pyrénées-Atlantiques selon un savoir-faire traditionnel développé dans cette zone géographique jouissait d'une réputation de qualité, la cour d’appel a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision.
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Réf. : Cass. mixte, 21 juillet 2023, quatre arrêts, n° 20-10.763 N° Lexbase : A85511BC, n° 21-15.809 N° Lexbase : A85501BB, n° 21-17.789 N° Lexbase : A85491BA, n° 21-19.936 N° Lexbase : A85481B9, B+R
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N6996BZ7
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par Aude Denizot, Professeur à l’université du Mans, Membre du Themis-Um
Le 04 Octobre 2023
Mots-clés : vente • vices cachés • prescription • forclusion • délai butoir • droit transitoire
Marquée par des divergences profondes au sein même de la Cour de cassation, l’irritante question des délais de l’action en garantie des vices cachés vient d’être résolue par quatre arrêts de chambre mixte. Ces décisions fort attendues et d’une rare clarté viennent ainsi donner une solution simple et opportune à des problèmes récurrents. La messe est dite ? Peut-être pas. Car à les observer de près, on y découvre quelques failles qui pourraient bien mener un jour à faire rebondir le débat.
Par quatre arrêts rendus le 21 juillet 2023, une chambre mixte de la Cour de cassation a mis fin à des divergences et fluctuations jurisprudentielles relatives à la prescription de l’action en garantie des vices cachés [1].
De quoi s’agissait-il ? Dans la première affaire (pourvoi n° 21-15.809 [2]), un vendeur de poches de conditionnement alimentaire soutenait que le délai de deux ans de l’article 1648 du Code civil était un délai de forclusion, par conséquent insusceptible de suspension. Il se prévalait ainsi d’une jurisprudence récente de la troisième chambre civile de la Cour de cassation [3], alors que la cour d’appel s’était inspirée de la solution contraire de la première chambre civile [4]. Dans deux autres affaires soumises à la chambre mixte (pourvois n° 21-17.789 [5] et n° 21-19.936 [6]), les vices cachés étaient ceux de véhicules automobiles. Les fabricants reprochaient aux juges du fond d’avoir déclaré les actions recevables, alors que, selon eux, la prescription était acquise par le jeu du délai butoir de droit commun. Leurs prétentions pouvaient s’autoriser de la jurisprudence de la Chambre commerciale [7] et de la première chambre civile [8], laquelle on le sait, s’inscrivait en porte-à-faux avec celle de la troisième chambre civile [9]. Enfin, le dernier litige (pourvoi n° 20-10.763 [10]) concernait un vendeur italien de plaques de fibrociment. Et c’est cette fois l’acquéreur de ces plaques qui contestait que son action fût prescrite, avec un moyen inspiré de la jurisprudence de la troisième chambre civile [11].
Ces arrêts de chambre mixte ont d’abord l’immense mérite d’exister. Même s’il est possible de ne pas adhérer pleinement au raisonnement suivi, au moins cette jurisprudence met-elle fin à un inconfortable désaccord, dont on peut se demander s’il n’était pas inévitable. En effet, le législateur a fort mal pensé la rédaction des textes relatifs aux vices cachés et à la prescription, et a ainsi laissé juges et justiciables dans l’embarras, avec de nombreuses questions auxquelles le Code civil, à lui seul, ne pouvait répondre. Or, cette lacune législative - à l’origine d’un véritable casse-tête [12] - est d’autant plus regrettable que le contentieux est important, ce dont ces quatre arrêts témoignent. Il revenait donc à la Cour de cassation de dire le droit au sens dynamique du terme, car, même si la solution est solidement fondée sur l’analyse des textes, il fallait nécessairement les dépasser, et choisir la voie la meilleure pour notre droit.
Chaque fois qu’il est question de prescription, on croit normal d’invoquer la sécurité juridique, et l’adage quieta non movere : au-delà d’un certain temps, il vaut mieux sacrifier les intérêts du créancier [13]. Tant pis pour lui s’il n’a pas fait preuve de diligence, car la sécurité juridique du débiteur doit être assurée. Or, cette justification nous semble aujourd’hui complétement dépassée dans le domaine de la vente de produits industrialisés, dans lequel l’impératif de durabilité devrait être largement prépondérant, - étant rappelé que le bien le moins polluant est d’abord celui qu’on ne produit pas. La protection de l’environnement oblige donc à vendre des produits de qualité qu’il ne faudra pas remplacer. Dès lors, les règles de la prescription doivent s’adapter. On n’imagine plus, en 2023, qu’un vendeur de voitures ou de plaques de fibrociment puisse brandir avec succès l’argument de la « sécurité juridique » pour mettre sur le marché des produits viciés, et si mal conçus qu’ils ne puissent pas être utilisés normalement au-delà de cinq ans, ce que permettait la jurisprudence de la première chambre civile et de la Chambre commerciale. On ne peut donc qu’approuver la chambre mixte d’avoir sur ce point préféré la solution de la troisième chambre civile, bien plus en harmonie avec cet impératif environnemental puisqu’elle allonge ce délai à vingt ans.
L’autre mérite de ces arrêts de chambre mixte est leur grande clarté. Le raisonnement des juges s’enchaîne selon une logique rigoureuse et détaillée avec un grand talent de pédagogie. Il y est même expliqué le régime des ventes civiles qui pourtant n’était pas applicable dans ces espèces. Nul besoin, donc, d’aller consulter la doctrine ou le communiqué de la Cour de cassation pour comprendre ces arrêts : il suffit de les lire ! Dès lors, le rôle du commentateur en est singulièrement rétréci : entre les innombrables notes consacrées à l’ancienne divergence jurisprudentielle, l’exposé limpide dressé par la Cour de cassation, et le résumé synthétique et numéroté de son communiqué, il reste peu à dire, et, plutôt que de juger le vêtement, on est mené à en discuter les ourlets. Pour dire les choses autrement, si ces quatre arrêts nous semblent bien rendus, ils prêtent malgré tout, dans leurs interstices, le flanc à quelques critiques que l’on développera.
La chambre mixte résout non seulement la question difficile du régime de la prescription de l’action en garantie des vices cachés, mais encore celle, tout aussi délicate, de l’application dans le temps des normes de prescription ainsi établies. Le temps est donc convoqué dans une double perspective. Quel est l’effet du temps sur l’action en garantie des vices cachés ? Et, une fois la réponse à cette question opérée, quelle règle transitoire choisir, sachant que la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription a modifié les délais utilisés ? La chambre mixte répond tour à tour à ces questions en nous disant en premier lieu comment encadrer le temps dans l’action en garantie des vices cachés (I), avant d’expliquer en second lieu comment appliquer dans le temps cet encadrement de l’action en garantie des vices cachés (II).
I. Encadrer le temps dans l’action en garantie des vices cachés
Cet encadrement est dessiné en partie par l’article 1648 du Code civil N° Lexbase : L9212IDK : le délai de l’action en garantie des vices cachés est de deux ans à compter de la découverte du vice [14]. Cependant, le code n’en dit pas plus. Dès lors, et comme le montre la chambre mixte, c’est la nature de ce délai biennal (A) qui permet de justifier le jeu d’un autre délai, celui de l’article 2232 du Code civil (B).
A. Déterminer la nature du délai biennal
La jurisprudence du 21 juillet 2023 est très éclairante quant à la nature du délai de l’action en garantie des vices cachés, puisqu’elle nous apprend que le délai biennal est un délai de prescription (1), et qu’il est un double délai (2).
1) Un délai de prescription
La jurisprudence était hésitante sur la qualification à donner au délai de deux ans de l’article 1648 du Code civil. L’arrêt relatif aux poches de conditionnement (pourvoi n° 21-15.809) relate ces tâtonnements en listant des décisions favorables tantôt à la qualification de délai de forclusion [15], tantôt à la qualification de délai de prescription [16]. L’arrêt vient ainsi mettre fin à cette première divergence. Ce faisant, les Hauts magistrats s’engagent à rechercher la volonté du législateur, une entreprise périlleuse tant cette volonté s’avère bien obscure. Ayant rappelé que, contrairement à l’alinéa 2 de l’article 1648 du Code civil N° Lexbase : L9212IDK, l’alinéa premier est muet quant à cette qualification à donner au délai biennal, la chambre mixte se réfère ensuite à de multiples rapports qui concordent et soutiennent la qualification de délai de prescription [17]. Par ailleurs, les juges rappellent que l’intention du législateur a été d’offrir à l’acheteur une réparation en nature, une diminution du prix ou la restitution du bien lorsque ce dernier est affecté d’un vice caché. Or, ces remèdes supposent que l’acheteur soit en mesure d’agir contre le vendeur dans un délai qui ne soit pas préfix, et donc susceptible d’interruption et de suspension. En somme, les dispositions protectrices de l’acheteur seraient vaines si une forclusion empêchait ce dernier de s’en prévaloir.
La chambre mixte en conclut que le délai biennal de l’article 1648 du Code civil N° Lexbase : L9212IDK est un délai de prescription. La solution est claire ; elle est bienvenue [18]. Elle permet que les plaideurs ne soient pas piégés par les délais de l’expertise et puissent se prévaloir de la suspension de la prescription jusqu’au dépôt du rapport de l’expert [19]. Il n’en reste pas moins que nous ne savons toujours pas ce qui distingue un délai de prescription d’un délai de forclusion, alors même que leurs régimes respectifs divergent sur des points importants. Ainsi en va-t-il pour le fameux délai « butoir », lequel ne peut se greffer en principe que sur un délai de prescription [20]. C’est d’ailleurs là le second intérêt des arrêts de la chambre mixte : celui de nous dire que l’action en garantie des vices cachés est bornée par un tel délai butoir.
2) Un double délai
En effet, la chambre mixte décide d’enserrer le délai de prescription dans un second délai, dit « délai butoir », faisant ainsi du délai biennal un « double délai ». En ce sens, elle valide un courant jurisprudentiel solide, ébauché en 2001, et selon lequel l’action en garantie des vices cachés devait être exercée non seulement dans le délai de l’article 1648 N° Lexbase : L9212IDK, mais encore au sein même du délai de prescription de droit commun [21]. Bien qu’elle fût, cette fois, approuvée par toutes les chambres de la Cour de cassation, cette solution n’allait pas de soi [22], et la doctrine n’avait pas manqué de la critiquer : « L'acquéreur est privé de l'action en garantie des vices cachés avant d'avoir pu agir ! » s’était exclamé le Professeur Patrice Jourdain ; « quelle solution discutable ! » avait abondé le Professeur Laurent Leveneur. Or, il nous semble que ces critiques, vingt ans après, n’ont pas perdu de leur pertinence et auraient mérité d’être reconsidérées.
De même, la chambre mixte entérine-t-elle la jurisprudence en matière de point de départ de ce délai butoir, en dépit, là encore, de critiques doctrinales solides à cet égard [23]. Elle considère que le délai-butoir de vingt ans court à compter du jour de la vente conclue par la partie recherchée en garantie, alors même que, comme l’avaient souligné les auteurs, l’action n’est pas encore née à cette date puisque les vices n’ont pas encore été découverts. Dès lors, cette solution peut s’avérer injuste lorsque la vente porte sur un bien dont les vices, pourtant présents dès l’origine, ne sont apparus que tardivement.
Par conséquent, et au regard de l’importance que revêt désormais la préservation du droit d’accès au juge [24], soumettre l’action en garantie des vices cachés à un double délai ne relevait pas de l’évidence. Or, sur ce point, la chambre mixte ne sonde pas l’intention du législateur, ce qui est regrettable. On se souvient en effet que la doctrine avait montré comment l’application du délai butoir était, entre autres, justifiée par la lettre de l’article L. 217-15 du Code de la consommation N° Lexbase : L2153L8A, lequel renvoyait expressément à l’article 2232 du Code civil N° Lexbase : L7744K9P [25]. Or, cet article L. 217-15 a été depuis modifié, et son contenu initial s’est trouvé transporté, dans le même code à l’article R. 111-1 N° Lexbase : L2986MDX, lequel, depuis le décret du 29 juin 2022, ne mentionne plus l’article 2232 du Code civil. Cette nouvelle rédaction n’a-t-elle pas eu pour objectif - ou au moins pour effet - de contredire la jurisprudence de la Cour de cassation, en excluant expressément le jeu du délai butoir ? On avouera ne pas comprendre pourquoi l’intention du législateur est si importante pour dire que le délai biennal est un délai de prescription, et pourquoi elle est occultée au moment de savoir s’il s’agit d’un double délai. De notre point de vue, la nouvelle rédaction de l’article R. 111-1 du Code de la consommation N° Lexbase : L2986MDX pourrait justifier l’exclusion du délai butoir en matière de garantie des vices cachés pour les ventes soumises à ce code. Toujours est-il que ce n’est pas, pour le moment, la solution de la Cour de cassation. Ayant opté pour un double délai, il lui restait à faire le choix d’un délai butoir, - les chambres de la cour étant en conflit sur ce point.
B. Choisir un délai butoir
On observera que, tant l’abandon de la solution de la première chambre civile et de la Chambre commerciale (1), comme la sélection de la jurisprudence de la troisième chambre civile (2) soulèvent un certain nombre d’interrogations.
1) L’abandon du délai de prescription de droit commun
Commençons par rappeler que, selon la première chambre civile et la Chambre commerciale, le délai butoir de l’action en garantie des vices cachés était le délai de prescription de droit commun de dix ou trente ans. Or, après la réforme de la prescription de 2008, ces deux chambres n’ont fait que poursuivre la lignée jurisprudentielle amorcée en 2001 [26], en se bornant à raccourcir les délais à cinq ans, sans changer les termes du débat.
Or, explique la chambre mixte, il fallait tenir compte de ce que cette réforme avait aussi modifié le point de départ de la prescription de droit commun, en le fixant au jour où le titulaire a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer l’action, point de départ qui s’applique aussi pour les actions commerciales à défaut d’indication contraire à l’article L. 110-4, I du Code de commerce N° Lexbase : L4314IX3 [27]. Ce changement de la date du point de départ de la prescription ne pouvait être ignoré puisque, comme le fait remarquer la chambre mixte, il aboutit à ce que le point de départ pour agir en garantie des vices cachés se confonde avec le point de départ de droit commun de l’article 2224 du Code civil N° Lexbase : L7184IAC. Pour la chambre mixte en effet, la découverte du vice, évoquée par l’article 1648 du Code civil N° Lexbase : L9212IDK, est équivalente à la connaissance du fait permettant d’agir de l’article 2224 du Code civil. Dès lors, les points de départ étant identiques, il n’était plus possible d’utiliser le délai de prescription de droit commun comme délai butoir pour les vices cachés.
La doctrine a pu montrer que cette équivalence entre les deux points de départ n’était pas totale [28], puisque l’article 2224 se réfère aussi au jour où le titulaire du droit aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer l’action. Or, il semblerait qu’en matière de vices cachés, la jurisprudence incline plutôt à retenir, dans une approche in concreto, le jour de la découverte réelle du vice, sans exiger de l’acquéreur une attitude dynamique appréciée in abstracto [29]. Il y a donc bien une légère différence entre les deux points de départ. Dès lors, il est permis de ne pas être entièrement d’accord avec la chambre mixte lorsqu’elle affirme que « l’encadrement dans le temps de l’action en garantie des vices cachés ne peut plus désormais être assuré que par l’article 2232 du code civil N° Lexbase : L7744K9P ». En somme, l’abandon de la solution de la première chambre civile et de la Chambre commerciale, s’il nous paraît justifié, méritait sans doute un raisonnement juridique plus solide.
2) La désignation du délai butoir de droit commun
De même, c’est sans grand enthousiasme que l’on voit la chambre mixte opter pour la solution de la troisième chambre civile, laquelle se référait de son côté au délai butoir de l’article 2232 [30]. Bien que la doctrine y soit très majoritairement favorable [31], il n’est pas certain que cet article, qui pose un délai butoir en cas de « report » de la prescription, soit applicable à celle de l’article 1648, laquelle n’est pas vraiment « reporté » au jour de la découverte du vice, mais tout simplement fixée dès l’origine à cet instant. Établir le point de départ de la prescription au jour de la découverte du vice, comme le fait l’article 1648, est-ce vraiment « reporter » ce point de départ [32] ? La chambre mixte se réfère à l’arrêt d’Assemblée plénière du 17 mai 2023 [33] pour dire que ce délai de l’article 2232, alinéa 1er, est le délai-butoir de droit commun, ce qui ressort aussi du plan du code puisque l’article se trouve dans la section 1 intitulée « dispositions générales » du chapitre III relatif au cours de la prescription extinctive. Mais précisément, soumettre l’action en garantie des vices cachés au droit commun de l’article 2232 devrait simplement signifier que le délai biennal lui-même ne peut pas dépasser vingt ans. Ainsi, plus qu’une addition de deux délais, l’un de deux ans, et l’autre de vingt ans, le droit commun du délai butoir devrait conduire à ce que le délai de deux ans ne dure jamais plus de vingt ans en dépit des éventuels reports, suspensions et interruptions. Car c’est bien là le but de ce délai : éviter qu’une prescription ne dure trop longtemps par l’effet de la suspension et de l’interruption. C’est donc le cours de la prescription qui est stoppé par le butoir, ce dernier n’étant pas un autre délai qui se superpose à la prescription, comme c’est le cas dans la responsabilité du fait des produits défectueux [34].
Par conséquent, il n’est pas sûr non plus qu’il faille choisir le jour de la vente conclue par la partie recherchée en garantie comme point de départ de ce délai butoir, puisque ce mode de computation pourrait aboutir à ce que l’action s’éteigne avant la découverte du vice [35]. Certes, avec un délai de vingt ans, l’hypothèse sera rare, et les injustices peu nombreuses [36]. Et pourtant, n’est-ce pas vingt-cinq ans après sa vente que le Boeing 747-131 du vol TWA 800 a explosé en plein vol à cause d’un vice provoquant un court-circuit ? Ne sommes-nous pas victimes d’une illusion avec ce délai de vingt ans à compter de la vente, qui nous paraît suffisant parce que nous sommes habitués à ce que les biens ne durent pas, et que nous pensons qu’il est normal que des vices apparaissent au bout de vingt ans ? Or, le contentieux soumis à la Cour de cassation, qui porte essentiellement sur des bateaux, des voitures [37] et des immeubles, montre qu’il est des biens dont on peut espérer qu’ils dureront plus que d’autres.
De même, ce délai de vingt ans peut faire illusion dans les chaînes de contrat, car il permettra le plus souvent au vendeur intermédiaire de se retourner contre le fabricant, ce qui était rarement possible quand le délai était de cinq ans à compter de la vente initiale [38]. Pourtant, comme cela a été rappelé, la prescription de l’action récursoire du vendeur intermédiaire (par exemple de l’installateur de plaques de fibrociment) contre le fabricant ne devrait courir qu’au jour où l’acquéreur lui-même agit en garantie parce que les vices sont apparus [39], et non pas au jour de la vente initiale. La solution de la chambre mixte est donc, en théorie, contraire à l’adage Actioni non natae, non praescribitur, même si le délai de vingt ans est suffisamment long pour ne pas le heurter dans la majorité des cas. Mais doit-on sacrifier et l’adage, et une minorité de vendeurs intermédiaires pour sauver les producteurs ?
Enfin, à supposer que l’on tienne absolument à l’idée du double délai, il ne faudrait pas croire qu’il n’y ait aucun intérêt à avoir deux délais qui courent depuis le même point de départ, celui de la date de la découverte du vice [40]. En effet, le délai butoir a pour objectif de neutraliser les causes de suspension et d’interruption. On pourrait donc parfaitement imaginer, dans un cas complexe où le délai biennal aurait été plusieurs fois suspendu et interrompu, que les vingt ans s’écoulent finalement avant l’expiration des deux ans de la prescription.
La solution de la chambre mixte n’est donc pas parfaite, mais elle est sans doute la meilleure. On fera la même observation pour le second axe développé par ces arrêts : celui de l’application dans le temps de la norme de prescription.
II. Appliquer dans le temps l’encadrement de l’action en garantie des vices cachés
Il y a quelques années, des critiques s’étaient élevées contre un arrêt de la troisième chambre civile qui avait exclu le jeu de l’article 2232 pour une situation où le droit était né avant l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 [41]. Tous les contrats conclus avant le 19 juin 2008 échappaient donc à cet encadrement, ce qui ne semblait pas correspondre aux règles communes en matière de droit transitoire. La chambre mixte opte pour une autre règle transitoire (A), de laquelle on déduira les calculs des délais de prescription pour les contrats conclus antérieurement à la réforme de 2008 (B).
A. Choisir une règle transitoire
La chambre mixte se réfère aux dispositions transitoires de la loi du 17 juin 2008 (1), dont le contenu est conforme au droit commun de la prescription (2).
1) La référence à l’article 26 de la loi du 17 juin 2008
En choisissant de superposer à la prescription biennale de l’article 1648 N° Lexbase : L9212IDK un délai butoir de vingt ans, la chambre mixte utilise une technique qui n’est née qu’après l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008. En effet, ce délai butoir de l’article 2232 N° Lexbase : L7744K9P n’existait pas auparavant. Pouvait-on, dès lors, l’appliquer à des situations contractuelles nées avant le 19 juin 2008 ? Fallait-il, comme l’avait fait la troisième chambre civile, décider que l’article 2232 ne s’appliquait pas du tout ?
La chambre mixte répond par la négative, et se réfère au droit transitoire de l’article 26 de la loi du 17 juin 2008, lequel distingue les dispositions de cette loi qui allongent un délai de prescription de celles qui le raccourcissent. Ce choix pouvait paraître évident. Mais pour être exact, aucune disposition de la loi du 17 juin 2008 n’allonge ou ne réduit le délai de prescription de l’action en garantie des vices cachés [42] : c’est la solution jurisprudentielle confirmée par la chambre mixte qui y conduit, comme par un jeu de dominos. En effet, si la Cour de cassation n’avait pas, en 2001, ajouté au délai biennal un délai de prescription de droit commun, la loi du 17 juin 2008 n’aurait rien raccourci ni allongé. À suivre le raisonnement de la chambre mixte en effet, le délai butoir de l’article 2232 s’applique parce que la prescription de droit commun ne peut plus être utilisée en raison de son nouveau point de départ. En somme, les dispositions de la loi du 17 juin 2008 qui sont ici en jeu n’ont pas directement trait à un allongement ou à une réduction des délais [43], mais à la fixation du point de départ de la prescription de droit commun. Et c’est parce que ce point de départ est désormais presque le même que celui de l’article 1648 qu’il y a eu, via l’abandon du délai butoir initial, un allongement et une réduction des délais applicables.
2) Le contenu de la règle transitoire
Quoi qu’il en soit, cette référence à l’article 26 de la loi du 17 juin 2008 nous semble pertinente puisqu’elle correspond en substance à la disposition générale de l’article 2222 du Code civil N° Lexbase : L7186IAE [44], lequel est d’ailleurs conforme à une jurisprudence bien établie[45]. C’est donc tout simplement le droit commun transitoire que la chambre mixte applique. Rappelons les trois règles de l’article 26 de la loi du 17 juin 2008 qui s’en font l’écho :
- premièrement, on ne remet pas en cause les prescriptions et forclusions acquises, mais les nouveaux délais s’appliquent immédiatement aux situations en cours ;
- deuxièmement, si la règle nouvelle allonge le délai, il faut tenir compte du délai déjà écoulé ;
- troisièmement, si la règle nouvelle réduit le délai, la durée totale ne peut pas excéder la durée de l’ancien délai.
En résumé, sauf si le délai est déjà écoulé à l’entrée en vigueur de la loi, les nouveaux délais s’appliquent immédiatement, mais sont ajustés au prorata du temps déjà écoulé. Observons à présent comment calculer les délais en application de ces règles transitoires
B. Calculer les délais
L’application de la règle transitoire choisie par la chambre mixte la mène à distinguer les ventes commerciales ou mixtes d’un côté, et les ventes civiles de l’autre, puisque pour les premières, il y a eu un allongement du délai butoir de dix à vingt ans (1), tandis que pour les secondes, ce dernier a été raccourci (2).
1) Comment calculer le délai pour les ventes commerciales ou mixtes ?
Pour les ventes commerciales ou mixtes, le calcul du délai opère en principe en trois temps :
- on commence par se demander si le délai butoir de dix ans autrefois applicable a expiré au jour de l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008. Si par exemple une vente a été signée en 1996, le délai aura expiré en 2006. Dans ce cas, l’acquéreur ne peut plus agir ;
- si le délai de dix ans n’est pas expiré, on peut passer à la seconde étape du calcul. Les choses sont simples alors car il suffit d’appliquer le nouveau délai, celui de vingt ans à compter de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle ;
- toutefois, - troisième étape -, il faut tenir compte de la durée déjà écoulée : on va donc retrancher à ces vingt ans les jours écoulés entre la conclusion de la vente et le 19 juin 2008.
Prenons l’exemple d’un contrat de vente conclu en 2003, comme dans l’arrêt sur les plaques de fibrociment (pourvoi n° 20-10.763) :
- le délai de dix ans n’est pas expiré au 19 juin 2008 ;
- on applique donc le délai de vingt ans à compter du 19 juin 2008 ;
- on déduit de ces vingt ans les cinq ans déjà écoulés depuis la vente jusqu’à l’entrée en vigueur de la réforme. Le délai est donc de quinze ans à compter du 19 juin 2008. Il expirera en 2023.
Cet exemple permet d’observer qu’il suffit d’appliquer directement le délai de vingt ans à compter de la date de la conclusion de la vente (2003) pour aboutir au même résultat (2023). En effet, si l’article 2222 du Code civil N° Lexbase : L7186IAE prévoit une règle de calcul plus complexe, c’est parce qu’il a été écrit pour des délais de prescription, susceptibles de suspension et d’interruption, pour lesquels il faut chiffrer avec précision le délai déjà écoulé. Mais cette étape préalable n’est plus nécessaire lorsque le nouveau délai est fixe et insusceptible d’être suspendu. En effet appliquer le délai de vingt ans à compter de 2008, tout en soustrayant le temps écoulé depuis la vente jusqu’à 2008, aboutit toujours à appliquer un délai de vingt ans à compter de la vente.
On retiendra donc que, pour les ventes commerciales et mixtes conclues avant l’entrée en vigueur de la réforme de 2008, le délai butoir est de vingt ans à compter de la vente [46], sauf à ce que le délai de dix ans ait déjà expiré au jour de la réforme. Le changement est donc radical pour la première chambre civile et la chambre commerciale, qui appliquaient un délai de cinq ans à compter de la vente [47]. Il n’est pas non plus négligeable pour la troisième chambre civile qui considérait que le délai de vingt ans ne s’appliquait pas pour les contrats conclus avant le 19 juin 2008.
2) Comment calculer le délai pour les ventes civiles ?
S’agissant des ventes civiles, nous sommes en présence d’une réduction du délai de trente à vingt ans. Si le délai de trente ans n’est pas expiré au jour de l’entrée en vigueur de la loi, on applique donc le nouveau délai de vingt ans à compter de la loi nouvelle, sans que la durée totale puisse excéder trente ans. Ici encore, il faut en principe procéder en trois étapes.
Prenons l’exemple d’un contrat de vente civile conclu en 2005 :
- le délai de trente ans n’a pas expiré au 19 juin 2008 ;
- on applique alors le délai de vingt ans à compter de la loi nouvelle, et l’action sera éteinte en 2028 ;
- on vérifie que la durée totale n’excède pas la durée prévue par la loi antérieure. Ici, le délai butoir aura duré au total vingt-trois ans. Il n’y a donc pas lieu à réduction.
Prenons maintenant l’exemple d’un contrat de vente conclu en 1995 :
- le délai de trente ans n’est pas expiré au 19 juin 2008 ;
- on applique le délai de vingt ans, et l’action sera éteinte en 2028 ;
- toutefois, le délai butoir durerait alors trente-trois ans. Il doit être réduit de trois ans : l’action s’éteindra en 2025.
Ici encore, une simplification est envisageable compte tenu de la fixité du délai de vingt ans. On peut considérer que pour les ventes civiles :
- le délai expirera toujours en 2028 pour les ventes conclues entre 1998 et 2008 ;
- le délai sera toujours de trente ans à compter du jour de la vente pour celles qui ont été conclues avant 1998.
On ne pouvait clore notre propos sans dire un mot des propositions de réforme du droit des contrats spéciaux. L’offre de réforme du droit des contrats spéciaux de l’Association Henri Capitant propose, en son article 32, un délai de dix ans après la délivrance du bien, ce qui nous semble bien trop court. L’avant-projet du groupe présidé par le Professeur Stoffel-Munck offre une alternative : conserver la référence au délai butoir de l’article 2232 et donc le délai de vingt ans, ou adopter le délai de dix ans à compter de la délivrance. Il se pourrait donc que notre droit régresse en ce domaine et que la préservation des intérêts des industriels l’emporte sur d’autres considérations, y compris la lettre de l’article 2232. Quant à nous, on l’aura compris, nous suggérons, - à défaut de le neutraliser pour la vente -, d’appliquer cet article en respectant sa nature : il n’est en effet qu’un butoir au délai de deux ans [48], lequel court à compter de la découverte des vices. Le délai butoir devrait donc courir, lui aussi, à compter de cette date.
[1] M. Mignot, Le double délai applicable à l'action en garantie des vices cachés, JCP G 2023, act. 1060 ; M. Latina, Le régime de la prescription de l’article 1648 du code civil, LEDC 2023, n°8, p. 1 ; H. Périnet-Marquet, Le pragmatisme bienvenu de la Cour de cassation, Constr. - Urb. n° 9, sept. 2023, rep. 8 ; E. Hung Kung Sow, Délai d'action en garantie des vices cachés : prescription et délai butoir de vingt ans, LPA sept. 2023, n°9, p. 55.
[2] Cass. mixte, 21 juillet 2023, n° 21-15.809.
[3] Cass. civ. 3, 5 janvier 2022, n° 20-22.670, FS-B N° Lexbase : A42167HM ; D. 2022, 548, note M. Mille Delattre ; AJDI 2022, 471, obs. F. Cohet ; RDI 2022, 115, obs. C. Charbonneau et J.-P. Tricoire ; JCP N 2022, 208, obs. S. Mazeaud-Leveneur ; RDC 2022, n° 2, p. 55, note L. Thibierge. V. égal., Ph. Brun, Forclusion ou prescription ? Incertitude jurisprudentielle sur la nature du délai biennal de l'article 1648 du Code civil, RCA 2022, n° 3, alerte 7. Dans le même sens : Cass. com., 28 juin 2017, n° 15-29.013, F-D N° Lexbase : A7009WL8.
[4] V., par exemple, Cass. civ. 1, 20 octobre 2021, n° 20-15.070, F-D N° Lexbase : A01237AS (navire) ; RTDCom. 2021. 901, obs. B. Bouloc ; Cass. civ. 1, 25 novembre 2020, n°19-10.824, F-D N° Lexbase : A174838A (véhicule automobile) ; RTDCom. 2021. 177, obs. B. Bouloc.
[5] Ch. mixte, 21 juillet 2023, n° 21-17.789 (véhicule automobile Nissan).
[6] Ch. mixte, 21 juillet 2023, n° 21-19.936 (véhicule automobile Hyundai).
[7] Cass. com., 9 septembre 2020, n° 19-12.728, F-D N° Lexbase : A53673TX (véhicule automobile) ; RDC 2021, n°1, p. 45, note J.-S. Borghetti ; RTDCom. 2020, 938, obs. B. Bouloc.
[8] Cass. civ. 1, 8 avril 2021, n° 20-13.493, F-P N° Lexbase : A12774PY (véhicule automobile Mercedes) ; D. 2021, 2032, obs. C.-E. Bucher.
[9] Cass. civ. 3, 25 mai 2022, n° 21-18.218, FS-B N° Lexbase : A25537Y9 (plaques de fibrociment Eternit) ; RTDCom. 2022, 637, note B. Bouloc ; CCC 2022, comm. 113, note L. Leveneur ; RDC 2022, n°3, p. 40, note L. Thibierge ; Cass. civ. 3, 8 décembre 2021, n° 20-21.439 N° Lexbase : A46227EW (bâtiment) ; D. 2022. 257, avis Ph. Brun, 260, note J.-S. Borghetti ; JCP E 2022, 1130, note N. Dissaux ; JCP G 2022, 169, note J.-D. Pellier ; JCP N 2022, 1127, note C.-E. Bucher ; Constr. Urb. 2002, comm. 20, obs. C. Sizaire ; AJDI 2022, 469, obs. F. Cohet ; RDI 2022, 115, obs. C. Charbonneau et J.-P. Tricoire ; RTDcom. 2022, 138, obs. B. Bouloc ; RDC 2022, n° 2, p. 55, note L. Thibierge ; Cass. civ. 3, 1er mars 2023, n° 21-25.612, F-D N° Lexbase : A57419GQ (cassettes de bardage), RDC 2023, n°2, p. 47, note L. Thibierge.
[10] Ch. mixte, 21 juillet 2023, n° 20-10.763.
[11] Cass. civ. 3, 25 mai 2022, n° 21-18.218, préc.
[12] P. Brun, Les délais applicables à l’action en garantie des vices cachés, ou le parfait casse-tête, D. 2022, 585.
[13] Le communiqué de la Cour de cassation évoque ainsi un « équilibre entre les impératifs de la vie économique et la protection des consommateurs ». Ainsi, le délai flottant de l’action en garantie des vices cachés, conçu comme un privilège pour l’acquéreur, devrait être contrebalancé par un délai butoir. Pourtant, on ne voit pas les raisons d’un tel équilibre puisque les vices ne sont imputables qu’au vendeur.
[14] Sur la notion de « découverte » du vice : Ph. Malaurie, L. Aynès, P.-Y. Gautier, Droit des contrats spéciaux, LGDJ, 12ème éd. 2022, §316 ; J. Klein, Le point de départ de la prescription, préf. N. Molfessis, Economica, 2013, §95 et s.
[15] Cass. civ. 3, 5 janvier 2022, n° 20-22.670, FS-B N° Lexbase : A42167HM (maison d’habitation avec une installation d’assainissement vétuste et incomplète) ; Cass. civ. 3, 10 novembre 2016, n° 15-24.289, FS-D N° Lexbase : A9021SG9 (maison d’habitation). Ph. Brun, Forclusion ou prescription ? Incertitude jurisprudentielle sur la nature du délai biennal de l'article 1648 du Code civil, RCA 2022, n°3, alerte 7 ; S. Mazeaud-Leveneur, Le délai biennal de la garantie des vices cachés : forclusion ou prescription ?, JCP N 2022, act. 89.
[16] Cass. civ. 1, 20 octobre 2022, n° 20-15.070, préc.
[17] Rapport au président de la République accompagnant l’ordonnance n° 2005-136 du 17 février 2005 ; rapport n° 2836 du 1er février 2006 fait au nom de la commission des affaires économiques de l’environnement et du territoire de l’Assemblée nationale sur le projet de loi de ratification de l’ordonnance précitée ; rapport n° 277 du 23 mars 2006 fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale du Sénat sur le projet de loi de ratification de l’ordonnance précitée.
[18] J. Mel, Youpi : le délai de deux ans de l’action en garantie des vices cachés est un délai de prescription, Lexbase Droit privé, n° 956, 14 septembre 2023 N° Lexbase : N6606BZP.
[19] S. Mazeaud-Leveneur, préc.
[20] Car l’article 2220 du Code civil N° Lexbase : L7188IAH précise que « les délais de forclusion ne sont pas, sauf dispositions contraires prévues par la loi, régis par le présent titre ».
[21] Cass. com., 27 novembre 2001, n° 99-13.428, FS-P N° Lexbase : A2848AXR (voilier) ; JCP G 2002, II, 10021, note P. Jourdain ; CCC 2002, comm. 43, L. Leveneur ; Cass. civ. 3, 16 novembre 2005, n° 04-10.824, FP-P+B N° Lexbase : A5556DLD (terrain) ; D. 2006, 971, note R. Cabrillac ; JCP G 2006, II, 10069, note F. -G. Trébulle ; Cass. com., 16 janvier 2019, n° 17-21.477, F-P+B N° Lexbase : A6534YT8 (plaques de fibrociment Edilfibro) ; D. 2019, 1956, obs. S. Bollée ; D. 2020, 1074, obs. C. Witz ; AJ Contrat 2019, 139, obs. C. Nourissat ; RTD com. 2019, 199, obs. B. Bouloc ; RDTCiv. 2019, 358, obs. P.-Y. Gautier ; CCC 2019, comm. 61, L. Leveneur ; JCP G 2019, act. 140, obs. B. Receveur ; Cass. civ. 1, 22 janvier 2020 n° 18-23.778 , F-D N° Lexbase : A58833CU (véhicule Peugeot) ; CCC 2020, comm. 61, L. Leveneur.
[22] N. Dissaux, Le délai butoir de l’action en garantie des vices cachés, JCP E 2022, 1130.
[23] J. François, Quel délai butoir pour l’action en garantie des vices cachés ? D. 2022, p. 1758 ; P. Jourdain, préc. ; L. Leveneur, préc. V. égal, P.-Y. Gautier, RTD civ. 2000, p. 133.
[24] Sur la jurisprudence de la CEDH : J.-S. Borghetti, Les délais applicables à l’action en garantie des vices cachés, ou le parfait casse-tête, D. 2022, 590.
[25] Sur ce texte, J.-S. Borghetti, La Cour de cassation butte toujours sur le délai butoir en matière de garantie des vices cachés, RDC 2021, n°1, p. 45.
[26] Supra, note 21.
[27] V., cependant les observations de L. Thibierge, Prescription : le silence est d’or ou Ce que ne dit pas la loi du 17 juin 2008, RDC 2023, n°2, p. 47.
[28] N. Dissaux, Le délai butoir de l’action en garantie des vices cachés, JPC E 2022, 1130.
[29] J. Klein, préc., §97.
[30] Déjà affirmée par Cass. civ. 3, 1er octobre 2020, n° 19-16.986, FS-P+B+I N° Lexbase : A70153WQ ; D. 2020, 2154, avis Ph. Brun, 2157, note P.-Y. Gautier ; 2021, 186, obs. L. Andreu, 310, obs. R. Boffa ; JCP G 2020, 1168, note J.-D. Pellier ; JPC N 2021, n° 1178, note S. Bertolaso ; CCC 2021, comm. 20, note L. Leveneur ; RDC 2021, n°1, p. 45, note J.-S. Borghetti.
[31] J. Raynard, J.-B. Seube, Droit des contrats spéciaux, Lexisnexis, 10 éd, 2019, n° 222 ; Ph. Malaurie, L. Aynès, P.-Y. Gautier, Contrats spéciaux, LGDJ, 12ème éd. 2022, §316 ; P. Puig, Contrats spéciaux, Dalloz, 8ème éd., 2019, n°463 ; A. Bénabent, Droit des contrats spéciaux civils et commerciaux, LGDJ, 14ème éd., 2021, n° 242.
[32] Sur cette question, Ph. Brun, D. 2020, 2154 ; L. Leveneur, obs sous Cass. civ. 3, 1er octobre 2020, CCC 2021, comm. 20 ; J. Klein, préc., §464.
[33] Ass. plén., 17 mai 2023, n° 20-20.559 N° Lexbase : A39489UR ; RDSS 2023, 768, obs. X. Prétot ; D. 2023, 1387, note S. Pellé. Cet arrêt est éminemment contestable car il transforme la nature du délai butoir, lequel ne devrait avoir pour effet que de limiter dans le temps le jeu des suspensions et interruptions.
[34] Aussi, le parallèle qui est souvent fait entre le délai de l’article 2232 N° Lexbase : L7744K9P et le délai de l’article 1245-15 N° Lexbase : L0635KZK nous semble inexact et trompeur.
[35] Avis Ph. Brun, D. 2020, 2154.
[36] P.-Y. Gautier, Le délai butoir, dies certus ultime de la garantie des vices cachés, D. 2020, 2157.
[37] G. Piette, Les modalités d’exercice des actions en garantie dans la vente de véhicule automobile, Lexbase Droit privé, juillet 2018.
[38] V., par exemple, Cass. com., 16 janvier 2019, n° 17-21.477, préc.
[39] J. Klein, préc, §364 et s. ; P.-Y. Gautier, Actioni non natae, praescribitur ? Régression sur le point de départ de la prescription dans la garantie des vices cachés (suite), RTDCiv. 2019, 358.
[40] V., L. Leveneur, obs sous Cass. civ. 3, 1er octobre 2020, CCC 2021, comm. 20.
[41] Cass. civ. 3, 1er octobre 2020, n° 19-16.986, FS-P+B+I N° Lexbase : A70153WQ ; D. 2020. 2154, avis Ph. Brun ; D. 2020, 2157, note P.-Y. Gautier ; D. 2021, 186, obs. L. Andreu ; JCP G 2020, 1168, note J.-D. Pellier ; JPC N 2021, n° 1107, note L. Leveneur ; CCC 2021, n° 20, note L. Leveneur ; RDC 2021, n° 1, p. 45, note J.-S. Borghetti.
[42] En ce sens, Cass. civ. 3, 1er octobre 2020, n° 19-16.986, préc.
[43] V. cependant les arguments de J.-S. Borghetti, Les délais applicables à l’action en garantie des vices cachés, ou le parfait casse-tête, D. 2022, 590.
[44] V., cependant les arguments de L. Andreu, Retour sur l’application dans le temps de l’article 2232 du code civil prévoyant un butoir à l’extension de la durée de la prescription, D. 2021, 186.
[45] Pour l’absence d’effet sur une prescription acquise : Cass. civ. 1, 27 septembre 1983, n° 82-13.035, publié au bulletin N° Lexbase : A2280CKN ; pour la réduction du délai de prescription : Req., 18 mai 1942, JCP 1942, II, 2056, note Roubier ; Cass. civ. 1, 28 novembre 1973, D. 1974 ; 112, note Massip ; pour l’allongement du délai : Cass. com., 30 novembre 1999, n° 96-16.607 N° Lexbase : A0592AYL.
[46] Observons d’ailleurs que la rédaction de l’arrêt n° 293 (pourvoi n° 20-10.763) sous-entend cette simplification au § 32.
[47] Cass. civ. 1, 9 décembre 2020, n° 19-14.772 N° Lexbase : A580739X (plaques de fibrociment Edilfibro), RDC 2021, n°1, p. 45, note J.-S. Borghetti ; Cass. com., 9 septembre 2020, n° 19-12.728, F-D N° Lexbase : A53673TX (véhicule Audi) ; RDC 2021, n°1, p. 45, note J.-S. Borghetti.
[48] L’expression « butoir au délai » a été proposée par L. Andreu, préc.
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Réf. : Cass. soc., 27 septembre 2023, n° 21-25.973, FS-B N° Lexbase : A11581IQ
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par Charlotte Moronval
Le 04 Octobre 2023
► L'action en résiliation judiciaire du contrat de travail peut être introduite tant que ce contrat n'a pas été rompu, quelle que soit la date des faits invoqués au soutien de la demande.
Faits et procédure. Le 2 février 2009, une salariée d’une entreprise est placée en invalidité deuxième catégorie, puis en invalidité première catégorie à compter du 1er mai 2011.
Par un jugement en date du 5 janvier 2012, le tribunal du contentieux de l'incapacité a reconnu son incapacité à exercer une profession et son classement en invalidité deuxième catégorie rétroactivement à compter du 1er mai 2011.
Le 26 mars 2015, cette salariée saisit la juridiction prud'homale d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur.
Pour déclarer irrecevable comme étant prescrite l'action en résiliation judiciaire du contrat de travail formée par la salariée, la cour d’appel :
1° rappelle que l'employeur est tenu d'organiser la visite de reprise devant le médecin du travail dès lors que le salarié l'informe de son classement en invalidité de deuxième catégorie, sans manifester l'intention de ne pas reprendre le travail ;
2° or, il résulte du courrier adressé à la salariée le 23 février 2009 que l'employeur avait connaissance du classement en invalidité de deuxième catégorie, de sorte qu'à compter de cette date, il était tenu à l'obligation d'organiser la visite de reprise, qui constitue le point de départ du délai de prescription ;
3° elle en déduit que, par application des dispositions transitoires de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 N° Lexbase : L0394IXU, la durée totale de la prescription ne peut pas excéder le délai de 5 années en vigueur au moment du point de départ du délai, de sorte que le délai a effectivement expiré le 23 février 2014.
La prescription était donc acquise lors de l'introduction de l'instance le 26 mars 2015.
La salariée forme un pourvoi en cassation.
La solution. Enonçant le principe susvisé, la Chambre sociale de la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel.
Elle rappelle que le salarié peut demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison des manquements de son employeur à ses obligations, suffisamment graves pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail.
Saisi d'une telle demande, le juge doit examiner l'ensemble des griefs invoqués au soutien de celle-ci, quelle que soit leur ancienneté (Cass. soc., 30 juin 2021, n° 19-18.533, FS-B N° Lexbase : A20214YI, L. Clavreul et A. Sayn, Résiliation judiciaire du contrat de travail : le juge doit examiner l’ensemble des griefs invoqués par le salarié, quelle que soit leur ancienneté, Lexbase Social, juillet 2021, n° 874 N° Lexbase : N8461BYZ).
En l’espèce, le contrat de travail de la salariée n'ayant jamais été rompu, la cour d’appel aurait dû examiner le bien-fondé de la demande de résiliation judiciaire, peu important la date des faits invoqués à l'appui de la demande.
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par Gaëlle Deharo, Full Professor ESCE International Business School Omnes Education research center
Le 04 Octobre 2023
Mots-clés : Legal privilege • juristes en entreprise • secret professionnel • confidentialité
« Le bon fonctionnement de la société veut que le malade trouve un médecin, le plaideur un défenseur, le catholique un confesseur, mais ni le médecin, ni l’avocat, ni le prêtre ne pourraient accomplir leur mission si les confidences qui leur sont faites n’étaient assurées d’un secret inviolable. Il importe donc à l’ordre social que ces confidents nécessaires soient astreints à la discrétion et que le silence leur soit imposé sans condition ni réserve, car personne n’oserait plus s’adresser à eux si l’on pouvait craindre la divulgation du secret confié. Ce secret est donc absolu et d’ordre public ».
Bien connue, cette formule d’Émile Garçon exprime le caractère fondamental, pour une société démocratique, du secret professionnel de l’avocat. Si l’indépendance est l’âme de la profession, le secret professionnel en est le cœur [1] ; ensemble, ils expriment l’identité même de la profession d’avocat [2]. Aussi, ce secret est-il garanti par la loi du 31 décembre 1971 qui, en son article 66-5, dispose que « en toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense, les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci, les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l'avocat et ses confrères à l'exception pour ces dernières de celles portant la mention " officielle ", les notes d'entretien et, plus généralement, toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel ».
À l’instar des missions de l’avocat, celles du juriste d’entreprise [3] ne peuvent se concevoir sans la confiance du dirigeant [4]. Néanmoins, ce dernier ne bénéficie pas de la protection de l’article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 dont la vocation est de protéger les documents s’inscrivant dans la relation de l’avocat avec son client. Pourtant, la place des juristes d’entreprise s’est considérablement renforcée ces dernières années [5] sous les effets conjugués de la complexification de la réglementation et du développement de la compliance, de la gestion du risque juridique en entreprise, de l’usage du droit à des fins de compétitivité et de performance, de la nécessaire sécurisation des opérations, de la recherche de solutions adaptées aux projets de l’entreprise… Le juriste d’entreprise [6] est de plus en plus associé à la création de valeur et l’on imagine mal que, « confronté à une situation délicate, un directeur hésite à solliciter son juriste en se disant que l’affaire risque de s’ébruiter [7] ». Aussi, en pratique, les grandes entreprises avaient tendance à s’assurer de la protection de la confidentialité des consultations en recrutant des juristes étrangers à des postes clés [8], précisément en raison de leur statut clair et de la protection efficace dont ils bénéficient [9]. Au demeurant, il n’est pas anodin de constater que, concernant les juristes d’entreprise, la pratique parle du « Legal privilege » ; l’usage de l’anglicisme met en exergue l’influence du droit anglo-saxon en la matière.
C’est sous cette influence que s’est installée une autre conception de la confidentialité des consultations, plus empirique. Celle-ci s’est progressivement imposée aux côtés de l’obligation déontologique de l’avocat de respecter le secret professionnel [10]. Il en est longtemps résulté un décalage entre deux modèles tirés de la protection du secret professionnel de l’avocat et du Legal privilege inspiré des pratiques anglo-saxonnes. C’est aujourd’hui une confusion qui semble émerger dès lors que la protection du secret professionnel des avocats peut bénéficier aux juristes d’entreprise. Si la jurisprudence en avait strictement encadré l’extension (I), la consécration du Legal privilege interroge sur l’identité de l’avocat et la conception de la justice (II).
I. L’extension de la confidentialité à certaines consultations du juriste d’entreprise par la jurisprudence
La coexistence de deux conceptions de la confidentialité n’a pas favorisé l’émergence d’un consensus entre les représentations respectives de la profession d’avocat et de juristes d’entreprise. La question de l’étendue de la confidentialité des consultations juridiques interroge l’identité même de l’avocat et la pratique des entreprises internationales au sein desquelles l’avocat et le juriste d’entreprise poursuivraient les mêmes enjeux [11]. Qu’il s’agisse de la création d’un avocat salarié en entreprise, de fusionner les professions de juristes et d’avocat [12], d’étendre une partie du statut d'avocat à la fonction de juriste d'entreprise [13] ou de reconnaitre une confidentialité ad hoc pour les consultations des juristes d’entreprise, le Legal privilege à la française se heurte à ce qui fait l’identité de l’avocat [14]. Fondé sur une obligation déontologique pénalement sanctionnée, le secret professionnel de l’avocat, in personam, est lié à la qualité de celui-ci et, partant, ne peut être étendu au juriste d’entreprise.
Pourtant, en pratique, l’absence d’un dispositif de protection de la confidentialité des avis et conseils des juristes d’entreprise a souvent été identifiée comme une cause de la perte de compétitivité des directions juridiques en France [15]. Les entreprises françaises s’en trouveraient placées dans une situation de grande vulnérabilité par rapport à leurs concurrents, et ce dans un contexte d'internationalisation des échanges commerciaux marqué de surcroît par des tensions géopolitiques fortes [16]. Si le juriste d’entreprise est tenu au secret professionnel (A), l’insuffisance de la protection des échanges a conduit la jurisprudence à étendre le bénéfice de la protection de la confidentialité de ceux-ci lorsqu’ils s’inscrivent dans l’élaboration d’une stratégie de défense (B).
A. De l’obligation au secret professionnel pesant sur le juriste d’entreprise à l’absence de confidentialité de ses consultations et avis
Dans les pays de common law, il n’existe aucune distinction entre avocat en cabinet et avocat en entreprise. L’ensemble de leurs avis et consultations juridiques communiqués à leurs clients (en interne ou en externe) sont protégés de toute saisie et diffusion dans des procédures pénales, administratives et civiles. En France, en revanche, le principe de la confidentialité des échanges entre l’avocat et son client a pour but de préserver les droits de la défense. Or, selon la jurisprudence, le secret professionnel de l’avocat permet d’assurer les droits de la défense [17] à la différence du Legal privilege « notion inconnue en droit français mais qui, dans les systèmes juridiques où elle existe, englobe des échanges sans lien avec l'exercice des droits de la défense [18] », aussi elle ne permet pas de caractériser si les informations relèvent de l'exercice de ces derniers et sont, par conséquent, sont couvertes par le secret professionnel [19].
Le secret professionnel se définit comme une obligation de ne pas divulguer les informations auxquelles le détenteur de l’information a pu avoir accès à l’occasion de ses fonctions. La confidentialité, quant à elle, est une caractéristique de ces informations qui sont protégées de toute diffusion.
La place centrale de l’avocat dans l’administration de la justice justifie, d’une part, qu’il soit tenu au secret en sa qualité de confident, et, d’autre part, que les échanges avec son client soient protégés par la confidentialité. Le juriste d’entreprise, quant à lui, est pareillement tenu au secret [20], mais ses consultations ne sont pas protégées en tant que telles si bien qu’il ne peut opposer aucun secret professionnel à la puissance publique lorsque sont menées des investigations au sein de l’entreprise [21]. C’est en ce sens qu’avait statué la Cour de Justice de l’Union européenne, dans un arrêt du 14 septembre 2010 [22] ; la Cour avait alors jugé que « l'avocat salarié d'une entreprise, même dans un pays où il demeure inscrit au barreau et soumis à ses règles professionnelles, ne jouit pas à l'égard de son employeur, du même degré d'indépendance qu'un avocat exerçant ses activités dans un cabinet externe. Un échange ne peut être couvert par le secret professionnel que s'il émane d'avocats indépendants, c'est-à-dire d'"avocats non liés aux clients par un rapport d'emploi ».
Il en résulte une situation « pour le moins paradoxale. Alors que le juriste d'entreprise est contraint de respecter le secret professionnel, les documents qu'il rédige ne sont pas couverts par la confidentialité, de sorte qu'il devra s'abstenir de relater ou de commenter ces documents de son propre chef à l'occasion d'une enquête menée notamment par les autorités de concurrence ou les autorités boursières, sauf dans les hypothèses où le secret professionnel est levé » [23]. En d’autres termes, les consultations auprès des juristes d’entreprise sont exposées au risque d’une divulgation ultérieure, notamment dans le cadre de saisies [24] ou d’investigations menées par les pouvoirs publics. Dans ce contexte, il devient difficile pour le juriste d’entreprise d’émettre par écrit un avis sur les questions sensibles et stratégiques de l’entreprise, sauf à faire intervenir un avocat dont la présence couvre les échanges du voile de la confidentialité.
B. L’extension de la protection fondée sur l’exercice des droits de la défense
En principe, l’identification d’un avocat en qualité d’expéditeur ou de destinataire d’un courrier est indispensable pour invoquer la confidentialité des échanges couverts par le secret professionnel [25]. Il ne peut pas être admis que les échanges entre deux correspondants, avec en copie jointe un avocat, puissent bénéficier de la protection légale relative à la confidentialité des échanges avocat/client, sauf à dénaturer cette protection légale. Il suffirait alors pour une société d'échanger des mails avec une autre société avec, en copie conforme, un destinataire qui aurait la qualité d'avocat pour que tout échange puisse bénéficier de ce privilège légal [26]. Aussi, la jurisprudence considère que ne bénéficient pas de la protection les correspondances où les cabinets d'avocats ne sont qu'en copie et ne figurent pas dans la zone expéditeur/destinataire du courriel [27].
Au-delà de la qualité de l’avocat, la jurisprudence a relevé que, dans les grandes entreprises, « la stratégie de défense a [en outre] vocation à être discutée par les cadres de la direction et ceux du service juridique, de sorte que sauf à priver de tout effet utile la confidentialité des échanges entre un avocat et son client, celle-ci doit s'étendre, dans la limite de ce qui est nécessaire à l'exercice effectif des droits de la défense, à la discussion de la stratégie de défense, en aval de la correspondance échangée. Les documents internes à l'entreprise qui, à la suite d'un entretien ou d'une correspondance avec l'avocat, en reprennent les termes ne sauraient donc faire l'objet d'une saisie [28] ». C’est ainsi la nature de l’information, relevant de la stratégie de défense qui justifie que les échanges soient confidentiels et couverts par le secret même s’ils n’étaient pas adressés à l’avocat, dès lors qu’ils reprennent une stratégie de défense mise en place par celui-ci [29].
Cette conception est très proche de celle de "l'attorney-client privilege [30]" qui protège les communications même lorsqu'elles ne sont pas adressées à un avocat ou émanant de lui, par exemple lorsque des informations provenant d'une communication privilégiée antérieure sont relayées à un autre représentant d'un client [31]. Pour autant, l’équilibre jurisprudentiel ainsi trouvé n’a pas satisfait la profession de juriste d’entreprise qui, privée de la perspective d’un avocat en entreprise, a revendiqué l’introduction d’un Legal Privilege à la française.
C’est dans ce contexte qu’a été déposé un amendement destiné à aligner la protection des juristes français sur les pratiques internationales posant les conditions de Legal privilege pour les juristes d’entreprise (A). Prévoyant l’introduction d’un article 58-1 dans la loi du 31 décembre 1971, le texte ne doit pas clore le débat (B).
À la suite du Sénat, et sur l’avis favorable du garde des Sceaux, l'Assemblée nationale a adopté le 10 juillet 2023 l'amendement n° 1512 modifiant l'article 10 du projet de loi et reconnaissant le principe de la confidentialité des consultations des juristes d'entreprises [32].
La confidentialité mise en place par l’amendement est une confidentialité in rem. Elle se distingue en cela de la confidentialité in personam attachée aux correspondances de l’avocat. Elle doit permettre aux juristes d’entreprise d’accomplir des tâches diversifiées et au cœur du fonctionnement de l’entreprise tout en préservant celle-ci du risque d’auto-incrimination. L’ambition des auteurs de l’amendement était de répondre à une tendance croissante des entreprises de recruter des lawyers bénéficiant d’un Legal privilege dans leur pays afin de protéger leurs échanges. Ces pratiques affaibliraient la compétitivité des directions juridiques françaises et nuiraient à l’attractivité juridique de la France [33].
L’article 19 de la loi créée un article 58-1 modifiant la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 N° Lexbase : L6343AGZ et prévoyant que « les consultations juridiques rédigées par un juriste d’entreprise ou, à sa demande et sous son contrôle, par un membre de son équipe placé sous son autorité, au profit de son employeur, sont confidentielles ».
D’emblée, différentes remarques s’imposent :
Différentes conditions sont encore exigées pour que la confidentialité trouve à s’appliquer :
La confidentialité reconnue in rem n’est pas absolue et le texte prévoit qu’elle puisse être levée :
La décision peut être frappée d’appel.
Le texte adopté par le Sénat et l’Assemblée nationale doit encore faire l’objet d’une commission mixte paritaire et un décret doit en préciser les modalités. La question est bien souvent présentée comme corporatiste, opposant une profession d’avocat qui se défend contre une profession de juriste d’entreprise qui revendique.
La question semble cependant bien plus profonde. Paraphrasant le vice-bâtonnier Nioré, il faut souligner « que quelle que soit la réforme envisagée, un préalable s’impose : remettre d’abord le secret professionnel de l’avocat ainsi que l’avocat de la défense au milieu du village de la justice et de la communauté juridique [34] ». Reconnaitre au juriste d’entreprise la confidentialité de ses consultations et avis revient à transposer l’un des attributs de l’identité de l’avocat. Or celui-ci joue, dans l’administration de la justice, un rôle central qui n’est pas partagé par le juriste d’entreprise ; si avocat et juriste d’entreprise peuvent répondre aux mêmes enjeux c’est parce que, dans le cadre de la défense des intérêts en justice de son client, l’avocat intervient dans le même sens que le juriste de l’entreprise. Or celui-ci ne participe pas à la mission de justice, il interagit avec les objectifs de l’entreprise : l’objet de sa mission est donc totalement différent de celui de l’avocat. Au demeurant, l’article 58 de la loi du 31 décembre 1971 énonce explicitement la mission du juriste : « les juristes d'entreprise exerçant leurs fonctions en exécution d'un contrat de travail au sein d'une entreprise ou d'un groupe d'entreprises peuvent, dans l'exercice de ces fonctions et au profit exclusif de l'entreprise qui les emploie ou de toute entreprise du groupe auquel elle appartient, donner des consultations juridiques et rédiger des actes sous seing privé relevant de l'activité desdites entreprises ».
La distinction est nette : au cœur de la vie civile, économique, sociale et juridique [35], l’avocat participe à la mission de justice et protège l’intérêt supérieur des droits de la défense. Le juriste d’entreprise, quant à lui, n’inscrit son intervention que dans la relation de subordination qu’il entretient avec l’entreprise et dans le seul intérêt de celle-ci, sans participer à l’intérêt supérieur de la mission de justice.
Aussi, il y a quelque chose d’embarrassant à transposer ce qui fait l’identité de l’avocat, acteur essentiel de la mission de justice, dans le cadre d’une activité privée afin de servir l’attractivité économique des directions juridiques et la compétitivité des entreprises. L’idée d’un asservissement de la confidentialité à des intérêts privés n’a d’ailleurs pas échappé au ministre de la justice qui entendait travailler le texte afin que celui-ci n’apparaisse pas comme une entrave aux autorités de contrôle [36].
[1] V. Nioré et L. Dusseau, Le cœur de la défense, Gaz. Pal., Ed. prof. 24-25 avril 2015.
[2] J. Barthélémy, Le secret professionnel de l’avocat, Titre VII, n° 10, Le secret, avril 2023 [en ligne].
[3] Entreprise - RSE/ESG : réflexion sur l'activité du juriste d'entreprise, JCP A, 2023, 573.
[4] J.-C. Savouré, Confiance, confidentialité, secret, "privilege", à quelle notion se fier ?, Lexbase Avocats 8 mai 2014, N° Lexbase : N1417BUZ.
[5] S. Cazaillet, 30 ans d'ECLA : les juristes d'entreprise d'Europe débattent de l'avenir de leur profession - Compte rendu de la conférence donnée par ECLA le 26 septembre 2013, Lexbase Avocats, 17 octobre 2013.
[6] J.-F. Guillemin, Point de vue sur la confidentialité, outil de compétitivité : le refus de l'accorder aux avis des juristes d'entreprise handicape les entreprises françaises dans la compétition internationale, Lexbase, 8 mai 2014, N° Lexbase : N1437BUR.
[7] J.-C. Savouré, Confiance, confidentialité, secret, "privilege", à quelle notion se fier ?, Lexbase Avocats, 8 mai 2014 N° Lexbase : N1417BUZ.
[8] M. Bartel, Employabilité et legal privilege, Lexbase Avocats, 8 mai 2014 N° Lexbase : N1435BUP.
[9] Voir sur ce point les publications Lexbase : A. Brooks, Legal professional privilege and company lawyers in the UK, Lexbase Avocats, 8 mai 2014 N° Lexbase : N1447BU7 ; H.Kooy, Legal privilege in the Netherlands, Lexbase Avocats 8 mai 2014, N° Lexbase : N1452BUC ; P. Valor, Legal privilege in Spain, Lexbase Avocats, 8 mai 2014 N° Lexbase : N1453BUD ; D. Richmond, US perspectives on the Legal privilege: an interview with Doug Richmond of AON, by Stéphanie Couture, Director Legal Services Tarkett SAS, Lexbase Avocats, 8 mai 2014, N° Lexbase : N1459BUL ; T. Marx, In house Counsel in Germany, Lexbase Avocats, 8 mai 2014 N° Lexbase : N1448BUB.
[10] J.-B. Drummen, A propos des avis rendus par le juriste d'entreprise, Lexbase Avocats, 8 mai 2014, Lexbase N° Lexbase : N1422BU9 ; E. Perron, Confidentialité des avis des juristes d'entreprise : un vrai enjeu pour les entreprises françaises, Lexbase Avocats, 8 mai 2014 ; M. de la Pérouse, De la nécessité du « legal privilege » pour les juristes de banque, Lexbase Avocats, 8 mai 2014 N° Lexbase : N1441BUW.
[11] M. Mossé, Le secret professionnel de l'avocat et du juriste d'entreprise face au projet de loi pour la confiance dans l'institution judiciaire, JCP, 2021, 744.
[12] J.-P. Lévy, Fusion des juristes d'entreprise avec la profession d'avocat : le serpent de mer fait son retour !, Lexbase Avocats, 14 juillet 2016 N° Lexbase : N3677BW4.
[13] S. deygas et al., Profession - Le juriste d'entreprise mérite mieux qu'une dénaturation du statut de l'avocat, JCP A, 2021, act. 150.
[14] CNB, actualités 4 juill. 2023 : cela « aboutirait à la création d’une nouvelle profession réglementée et à l’affaiblissement du secret professionnel de l’avocat au préjudice des entreprises et des particuliers ».
[15] C. Roquilly, Le mythe du juriste d'entreprise non-indépendant : pour une indispensable reconnaissance de la confidentialité des avis et conseils du juriste d'entreprise en France, Lexbase Avocats, 8 mai 2014,1457BUI ; A.-L. Blouet-Platin, Rapport "Prada" : renforcement de la compétitivité juridique de la place de Paris - Statut du juriste d'entreprise, Lexbase Avocats 19 mai 2011 N° Lexbase : N2823BSD ; X. Berjot, L'avocat en entreprise : les suites du rapport "Prada", Lexbase Avocats, 13 octobre 2011 N° Lexbase : N8142BSD.
[16] M. Mossé, Le secret professionnel de l'avocat et du juriste d'entreprise face au projet de loi pour la confiance dans l'institution judiciaire, JCP, 2021, 744.
[17] Cass. civ. 1, 3 novembre 2016, n° 15-20.495, F-P+B N° Lexbase : A9224SED.
[18] Cass. crim., 10 janvier 2023, n° 21-85.526, F-D N° Lexbase : A209889L.
[19] Ibid.., loc.cit.
[20] Loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, art. 55 et 58.
[21] C. Charrière-Bournazel, L'avocat, le juriste d'entreprise et le secret, Lexbase Avocats, 8 mai 2014 N° Lexbase : N1424BUB.
[22] CJUE, 14 septembre 2010, aff. C-550/07 P, Akzo Nobel Chemicals Ltd c/ Commission européenne, N° Lexbase : A1978E97.
[23] D. Poracchia, N. Bronzo, Plaidoyer pour la confidentialité des avis rendus par le juriste d’entreprise, Lexbase Avocats, 8 mai 2014, N° Lexbase : N1455BUG.
[24] C. Gaussel, A. Oesterreicher, Les juristes d'entreprise face aux saisies en droit pénal des affaires, Cahiers de droit de l'entreprise n° 2, mars 2020, dossier 8.
[25] Cass. com., 4 novembre 2020, n° 19-17.911 N° Lexbase : A931433D.
[26] CA Paris, Pôle 5, 1ère ch., 8 mars 2017, n° 15/17136 N° Lexbase : A7782TW7 et n° 15/17184 N° Lexbase : A7647TW7.
[27] CA Paris, 22 mai 2019, n° 18/08865 N° Lexbase : A0754ZCW.
[28] TJ Paris, 13 septembre 2022, 22/651, n° 41.
[29] Cass. crim., 26 janvier 2022, n° 17-87.359, F-D N° Lexbase : A87027KI ; Adde. G. Deharo, Privilège légal : vers un assouplissement ?, Dalloz actualité, 19 décembre 2017, note sous CA Paris, 8 novembre 2017, n° 14/13384. - CA Paris, Ord., 18 nov. 2017, n° 14/13384 N° Lexbase : A0252WYY.
[30] F. G’sell, Remarques sur les difficultés d'application de l'attorney client privilege aux juristes internes, Lexbase Avocats, 8 mai 2014 N° Lexbase : N1454BUE.
[31] TJ de Paris, 13 septembre 2022, 22/651, n° 42.
[32] Assemblée nationale : adoption d'un amendement favorable à la confidentialité des avis des juristes d'entreprises, Revue Internationale de la Compliance et de l'Éthique des Affaires n° 04, 27 juillet 2023, act. 152.
[34] V. Nioré, Legal privilege : vers une confidentialité auto-incriminée ?, Dalloz actualité, 20 septembre 2023.
[35] J. Burguburu, Évolution de la place de l’avocat dans le système judiciaire, in Y. Aguila éd., Quelles perspectives pour la recherche juridique, 2007, PUF, pp. 316-320.
[36] M. Lartigue, Projet de loi « justice » : retour de la confidentialité des juristes d’entreprise, Gaz. Pal., 13 juin 2023, p. 3 ; Confidentialité des avis des juristes d’entreprise : et ça continue… encore et encore ?, Gaz. Pal., 29 juin 2023, actu. pro.
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Réf. : Cass. com., 20 septembre 2023, n° 21-14.252, F-B N° Lexbase : A22211HQ
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par Jean-Baptiste Barbièri, Maître de conférences, Université Paris-Panthéon-Assas, Membre de l’IRDA Paris
Le 04 Octobre 2023
Mots-clés : dissolution • liquidation amiable • liquidation • perte de la personnalité morale • appel • action en justice • radiation du registre du commerce et des sociétés.
Comme la personnalité morale subsiste pour les besoins de sa liquidation tant que ses droits et obligations à caractère social ne sont pas liquidés, l’appel interjeté par une SARL dissoute et radiée du registre du commerce et des sociétés n’est pas automatiquement nul pour défaut de capacité d’ester en justice. La solution est transposable aux autres formes sociales.
1. « Toutes choses sont dites déjà ; mais comme personne n’écoute, il faut toujours recommencer » [1], la phrase de Gide vient spontanément à l’esprit en découvrant cet arrêt de cassation, qu’on a le sentiment d’avoir lu auparavant. Il rappelle, une fois encore, que si la personnalité morale des sociétés naît bien avec leur inscription au registre du commerce et des sociétés, elle survit pour les besoins de la liquidation malgré la radiation de ce même registre. L’application qui est faite de cette règle en l’espèce demeure intéressante.
2. En l’espèce, une SARL a pris à bail un local qu’elle a quitté un an avant sa dissolution amiable. Sa radiation du registre du commerce et des sociétés (RCS) intervient un peu moins d’un an après cette dissolution. Ses anciens bailleurs l’ont assignée entre l’ouverture de la dissolution et la radiation du RCS en paiement de loyers et charges impayés et afin d’obtenir la remise en état du local.
3. Le jugement condamnant la SARL a été prononcé après cette radiation et la SARL a interjeté appel. Devant les juges de seconde instance, le débat s’était concentré sur le fait de savoir si la nomination d’un mandataire ad hoc postérieurement à la déclaration d’appel était susceptible de couvrir son irrégularité, car la société était alors dépourvue de représentant légal. Pour la cour d’appel, le mal était cependant plus profond. Il ne s’agirait pas d’un vice de forme susceptible d’être régularisé, mais d’un vice de fond, car la SARL « n'avait plus d'existence légale lors de la déclaration d'appel ayant fait l'objet d'une dissolution amiable […] et d'une radiation du registre du commerce et des sociétés » et « l'acte accompli par une personne morale inexistante n'est pas régularisable » [2]. La sanction est alors immédiate et radicale : l’appel est déclaré nul et l’affaire radiée.
Le pourvoi est simple, les articles L. 237-2 du Code de commerce N° Lexbase : L6376AIY et 1844-8 du Code civil N° Lexbase : L2028ABQ disposent tous deux que la personnalité morale de la société subsiste pour les besoins de sa liquidation donc « ses droits et obligations à caractère social n'étaient pas liquidés ». La cour d’appel aurait donc violé ces textes, étant sous-entendu par le pourvoi que l’appel formé tendait à la liquidation de ces droits et obligations.
4. Outre des problématiques de déchéance du pourvoi et de recevabilité du moyen, lesquelles ne nous retiendront pas, la réponse des juges de cassation est tout aussi simple. Visant l’article L. 237-2 du Code de commerce, ils rappellent que « la personnalité morale d'une société dissoute subsiste aussi longtemps que ses droits et obligations à caractère social ne sont pas liquidés ». Ainsi, « l'action exercée contre la [SARL] au titre du contrat de bail révélait que les droits et obligations nés de ce contrat étaient susceptibles de ne pas avoir été intégralement liquidés, ce dont résultait la survie de la personnalité morale de cette société pour les besoins de leur liquidation, en dépit de sa radiation du registre du commerce et des sociétés » et l’arrêt est cassé pour violation de la loi.
5. L’arrêt doit bien évidemment être approuvé, tant sur le principe rappelé (I) que sur son application à l’appel formé par une société dissoute et radiée (II).
I. Le rappel du principe
6. Les articles L. 237-2, alinéa 2, du Code de commerce et 1844-8, alinéa 3, du Code civil ont une formulation presque identique : pour le premier « la personnalité morale de la société subsiste pour les besoins de la liquidation, jusqu'à la clôture de celle-ci » et pour le second « la personnalité morale de la société subsiste pour les besoins de la liquidation jusqu'à la publication de la clôture de celle-ci ». La règle est ancienne et peut, selon Bastian, « être rangée parmi les principes fondamentaux du droit des sociétés » [3] ; elle existerait dans la plupart des droits étrangers, jusqu’à la Russie tsariste [4].
Même si les auteurs anciens admettent qu’il ne s’agit là que d’une « pure fiction » [5], son objectif est simple et double [6]. Il s’agit d’organiser les opérations de liquidation sans être entravé par la perte de la personnalité et permettre aux créanciers de poursuivre leurs créances sur le patrimoine de la personne morale. Concernant le premier objectif, un arrêt récent est d’ailleurs venu préciser que la dissolution de la personne morale ne faisait pas disparaître les droits sociaux [7].
7. Néanmoins, à lire formellement les textes, une fois la clôture publiée la personne morale devrait disparaître. Une clôture trop rapide pourrait pourtant gêner les tiers, et les intérêts de ceux-ci ont paru suffisamment importants pour être préservés. C’est ainsi qu’en matière de liquidation judiciaire, l’article L. 643-13 du Code de commerce N° Lexbase : L3104I4Q dispose que « si la clôture de la liquidation judiciaire est prononcée pour insuffisance d'actif et qu'il apparaît que des actifs n'ont pas été réalisés ou que des actions dans l'intérêt des créanciers n'ont pas été engagées pendant le cours de la procédure, celle-ci peut être reprise ». En ce qui concerne la liquidation amiable, la jurisprudence vient poser une règle similaire estimant que « la personnalité morale d’une société subsiste aussi longtemps que les droits et obligations à caractère social ne sont pas liquidés » depuis les années 1970 [8]. Elle reprend depuis à intervalles réguliers la même formulation [9], que l’on retrouve également au-delà de la Chambre commerciale [10] et chez le Conseil d’État [11]. La formulation de la Cour de cassation in specie ne dévie donc pas d’un iota de cette lignée quasi cinquantenaire.
8. La cour d’appel semblait également lier « l’inexistence » de la société à sa radiation du registre du commerce et des sociétés (RCS). C’est là une vieille tentation, celle de la théorie dite « de l’acte contraire » : comme la personnalité morale de la société naît avec son inscription au RCS, sa radiation lui enlèverait symétriquement cette personnalité morale. Cette théorie a très tôt été battue en brèche, la Cour de cassation considérant dès 1976 que « la radiation de la [société] du registre du commerce n'a pas privé cette société de sa personnalité morale et, partant, de sa qualité de commerçant, dès lors qu'en vertu de l'article 391 de la loi du 24 juillet 1966 N° Lexbase : L6202AGS, la personnalité morale d'une société commerciale subsiste, pour les besoins de sa liquidation, jusqu'a la clôture de celle-ci » [12] et n’a, là non plus, pas modifié sa jurisprudence sur ce point [13]. Récemment, elle a ainsi énoncé que « la radiation d’une société du registre du commerce et des sociétés n’a pas pour effet de lui faire perdre sa personnalité morale » [14]. De même, elle considérait peu avant que « la radiation d’office d’une société à responsabilité limitée du registre du commerce et des sociétés n’a pas pour effet de mettre fin aux fonctions de son gérant » [15], preuve en est que cette radiation ne porte pas atteinte à la personnalité morale, car la perte de la personnalité morale fait normalement disparaître ses organes. D’ailleurs, en ce qui concerne les personnes morales, l’article R. 123-39 du Code de commerce N° Lexbase : L5059HZE distingue bien entre radiation d’office et dissolution [16].
Considérer la radiation du RCS comme faisant disparaître la personnalité morale est ainsi trop rapide et il existe des cas où cette radiation ne fait pas suite à une liquidation, comme justement dans le cadre d’une radiation d’office. Même si cela n’est pas précisé, la radiation du RCS fait sans aucun doute suite à la clôture de la liquidation en l’espèce [17], de sorte que normalement la perte de la personnalité a été actée par la liquidation… mais cela n’a pas d’importance, car elle ressuscite pour la liquidation des droits et obligations sociaux.
9. Si l’on résume tout ceci : la perte de la personnalité morale ne peut résulter de la seule radiation du RCS. De surcroît, quand bien même celle-ci coïnciderait avec la clôture de la liquidation, la personnalité morale subsisterait toujours tant que les droits et obligations à caractère social n’ont pas été liquidés. L’arrêt considérant que la radiation du RCS suffisait à acter le défaut de capacité d’ester en justice ne pouvait donc qu’être cassé, cependant ce n’est pas pour cela que le cas d’espèce n’était pas intéressant.
II. L’appel d’une société dissoute et radiée
10. La publication de l’arrêt peut surprendre étant donné le caractère habituel d’une telle décision, du moins à première vue ; car la règle posée, selon laquelle la société peut interjeter appel après sa dissolution est à notre connaissance inédite. Elle est logique, mais suppose de surmonter deux obstacles.
11. Premier obstacle : si la personnalité de la société survit, ce n’est, avant la clôture, que pour les besoins de la liquidation et, après celle-ci, que dans le but d’apurer les « droits et obligations à caractère social » subsistants. L’appel est-il compris dans ce périmètre ? S’agissant de se défendre contre une action en vue de condamner la société à payer diverses sommes et à la remise en état des locaux, il était difficile de considérer qu’il ne s’agissait pas des besoins de la liquidation ou, en l’espèce, de droits et obligation à caractère social. On peine d’ailleurs à imaginer des hypothèses ou interjeter appel pour une personne morale ne correspondrait pas à une de ces hypothèses.
12. Second obstacle : qui doit interjeter appel ? Normalement, en vertu de l’art. L. 237-24 du Code de commerce N° Lexbase : L6398AIS, seul le liquidateur peut représenter la société, notamment en justice [18], les organes de la société ayant disparu. Il a déjà été considéré que lorsque la dissolution survient en cours d’instance, le juge doit « constater l'interruption de l'instance et [...] inviter la partie qui y avait intérêt à faire part de ses initiatives en vue de la reprendre, notamment par la mise en cause d'un mandataire ad litem » [19], la nomination d’un mandataire pouvait intervenir à tout moment [20] au cours de l’instance. L’action dirigée contre la société suppose également la nomination d’un représentant, et il a été admis que le juge peut dans ce cadre nommer un administrateur ad hoc [21].
En l’espèce, rien n’est précisé, il est seulement fait état, que ce soit dans l’arrêt d’appel comme dans celui de cassation, que la SARL a relevé appel. On ne sait pas par l’intermédiaire de qui. Néanmoins, la liquidation étant close avant l’appel [22], la mission du liquidateur avait cessé, de sorte que la société était dépourvue de représentant. L’appel était donc relevé par une personne n’ayant pas la qualité de représentant, certainement un associé ou l’ancien gérant. Devant la cour d’appel, il était plaidé que l’appel n’était plus entaché de vice de forme, en application de l’article 121 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1412H43, [23] car un mandataire ad hoc avait été nommé entre la déclaration d’appel et la décision de la cour d’appel.
Dès lors que la Cour de cassation considère, à juste titre, que la personnalité morale n’a pas disparu, il n’y a pas de raison particulière d’écarter ce dernier argument. Il faudrait alors considérer que l’appel fait par quiconque après la clôture de la liquidation est valable, si tant est qu’un mandataire soit nommé avant que le juge statue pour représenter la société.
13. Dernière précision : le liquidateur amiable a considéré sa mission achevée alors même qu’un litige était pendant, étant né deux mois après la dissolution et le jugement prononcé un peu plus de quatre mois après la radiation du RCS. Il est difficile de considérer que le liquidateur l’ignorait et la question de sa responsabilité se pose donc.
[1] A. Gide, Traité du Narcisse, in L’enfant Prodigue précédé de cinq autres traités, NRF, 1912, p. 10.
[2] CA Caen, 21 janvier 2021, n° 19/01421 N° Lexbase : A22474DL.
[3] D. Bastian, La survie de la personnalité morale des sociétés en voie de liquidation, Journal spécial des sociétés, 1937, p. 1 et p. 65, spéc. n° 1, p. 1
[4] D. Bastian, loc. cit.
[5] A. Vavasseur, note ss. T. civ. Seine, 13 février 1885, Rev. sociétés, 1886, p. 44, spéc. p. 49.
[6] D’après Bastian, « il serait extrêmement fâcheux d’appliquer immédiatement au fonds social le régime de l’indivision et d’admettre le fractionnement des créances et des dettes entre les membres du groupement » (D. Bastian, loc. cit. n° 3, p. 4), mais il admet néanmoins que « l’intérêt des tiers l’emporte de beaucoup sur celui des associés » (Ibid., n° 4, pp. 5-7).
[7] Cass. com., 21 avril 2022, n° 20-10.809, FS-B N° Lexbase : A15717UQ, Rev. sociétés, 2023, p. 158, note B. Lecourt ; RTD com., 2022, p. 593, obs. A. Lecourt ; RDC, 2022/4, p. 46, note M. Caffin-Moi et L. Sautonie-Laguionie ; Gaz. Pal., 31 octobre 2022, p. 48, note M. Laroche ; ibid., 27 septembre 2022, p. 51, note B. Ferrari ; Bull. Joly sociétés, juin 2022, p. 42, note N. Jullian ; BJE, juillet 2022, p. 12, note J.-B. Barbièri.
[8] Cass. com., 30 mai 1978, n° 76-14.690, publié N° Lexbase : A3302AGE, Rev. sociétés, 1979, p. 361, note J.-Cl Bousquet ; JCP, 1979, II, 19087, note Y. Guyon. V. auparavant CA Aix-en-Provence, 8 avril 1975, D., 1975, somm. 94.
[9] Cass. com., 15 mai 1984, n° 83-11.957, publié N° Lexbase : A0828AAW, Rev. sociétés, 1985, 91, note J.-P. Sortais – Cass. com., 26 janvier 1993, n° 90-15.226, inédit N° Lexbase : A3832C3C, Bull. Joly sociétés, avril 1993, p. 431 – Cass. com., 7 avril 2010, n° 09-14.671, F-D N° Lexbase : A5899EUZ, Rev. sociétés, 2010, p. 221, obs. A. Lienhard.
[10] Cass. civ. 2, 6 mai 1999, n° 96-18.070, publié N° Lexbase : A8039AGT, RTD com., 1999, p. 965, obs. C. Saint-Alary-Houin ; Dr. sociétés, 1999, n° 125, note T. Bonneau ; Bull. Joly sociétés, 1999, p. 990, note P. Le Cannu ; Rev. sociétés, 1999, p. 817, note Y. Chartier – Cass. civ. 3, 31 mai 2000, n° 98-19.435, publié N° Lexbase : A5528AWN, RTD com., 2000, p. 680, obs. M.-H. Monsèrié-Bon ; Dr. sociétés 2000, n° 134, note T. Bonneau ; Bull. Joly sociétés, 2000, p. 987, note F.-X. Lucas – Cass. soc., 27 octobre 1999, n° 97-41.720, publié N° Lexbase : A2005AYW, Dr. social, 1999, p. 1120, note R. Vatinet.
[11] Par ex. CE, 3°-8° ch. réunies, 2 décembre 2016, n° 385469, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9664SNA.
[12] Cass. com., 23 novembre 1976, n° 75-11.650, publié N° Lexbase : A3181AGW, Rev. sociétés, 1977, p. 461, note P. Mabilat.
[13] Cass. com., 13 février 1996, n° 93-13.173, publié N° Lexbase : A1165ABR, Bull. Joly sociétés, 1996, p. 496, note J.-J. Daigre ; Dr. sociétés, 1996, n° 120, note T. Bonneau.
[14] Cass. com., 24 juin 2020, n° 18-14.248, F-D N° Lexbase : A70873P8, Bull. Joly sociétés, octobre 2020, p. 27, note B. Saintourens ; Gaz. Pal., 15 décembre 2020, p. 63, note M. Buchberger ; RTD com., 2023, p. 385, note A. Lecourt.
[15] Cass. com., 4 mars 2020, n° 19-10.501, F-P+B N° Lexbase : A89903HG, Rev. sociétés, 2020, p. 484, note A. Reygrobellet ; RTD com., 2020, p. 377, obs. A. Lecourt ; JCP E, 2020, 1337, note B. Receveur ; ibid. 1344, n° 4, obs. J. Valiergue; Bull. Joly sociétés, juin 2020, p. 19, note M.-L. Coquelet ; Dr. sociétés, 2020, n° 80, note J.-F. Hamelin.
[16] V. B. Saintourens, note ss. Cass. com., 24 juin 2020, n° 18-14.248, F-D, préc.
[17] Aucun élément ne nous permet de subodorer une radiation d’office. La radiation n’a pas non plus pu intervenir sans clôture de la liquidation normalement, car d’après l’article R. 237-9 du Code de commerce N° Lexbase : L0502HZM, cette radiation n’est prononcée que sur justification des formalités prévues aux articles R. 237-7 N° Lexbase : L0500HZK et R. 237-8 N° Lexbase : L6382AI9 du Code de commerce, c’est-à-dire le dépôt des comptes de liquidation et l’insertion dans un support d’annonces légales de l’avis de liquidation.
[18] Cass. com., 6 novembre 2012, n° 11-20.354, F-D N° Lexbase : A6782IW4.
[19] Cass. soc., 27 octobre 1999, n° 97-41.720, préc.
[20] Cass. civ. 3, 31 mai 2000, n° 98-19.435, préc.
[21] Cass. com., 3 juin 2008, n° 07-14.990, F-D N° Lexbase : A9337D8C, Bull. Joly sociétés, novembre 2008, p. 870, note O. Staes.
[22] Appel succédant à la radiation du RCS. Comme nous l’avons précisé, la radiation du RCS fait sans aucun doute suite à la clôture de la liquidation en l’espèce. Le liquidateur était donc dessaisi au moment de l’appel.
[23] « Dans les cas où elle est susceptible d'être couverte, la nullité ne sera pas prononcée si sa cause a disparu au moment où le juge statue ».
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Réf. : CE 3° et 8° ch.-r., 5 juillet 2023, n° 471877, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A4390984
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par Romain Victor, Rapporteur public au Conseil d’État
Le 04 Octobre 2023
Mots-clés : TVA • parahôtellerie • location • Directive TVA
Dans son avis du 5 juillet 2023, le Conseil d’État a jugé que les dispositions de l’article 261 D-4°-b du CGI étaient incompatibles avec les dispositions de l’article 135-2-a de la Directive TVA en ce sens que les conditions prévues par l’article du CGI ne reflètent pas suffisamment les dispositions prévues par la Directive.
Lexbase Fiscal vous propose cette semaine de retrouver les conclusions du Rapporteur public, Romain Victor dans cette affaire.
Lire en ce sens, P. Pradeau, M. Mahtout et O. Galerneau, TVA et parahôtellerie : vers une refonte du régime ?, Lexbase Fiscal, juillet 2023, n° 955 N° Lexbase : N6432BZA. |
1.- La présente demande d’avis concerne la compatibilité avec le droit de l’Union européenne, en l’occurrence avec la Directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de la taxe sur la valeur ajoutée, des dispositions de la loi fiscale française qui définissent les prestations de services de location de logements meublés à usage d’habitation auxquelles l’exonération de TVA ne trouve pas à s’appliquer.
2.- Les faits à l’origine de votre saisine peuvent être brièvement rappelés.
M. H., qui est citoyen belge, a acquis en l’état futur d’achèvement, en janvier 2015, une villa comprise dans un lotissement situé à Equihen-Plage, au sein d’un ensemble immobilier – la « Résidence Le domaine sauvage » – qui offre un accès direct aux belles plages de la Côte d’Opale.
Dès lors qu’elle tendait à la livraison d’un immeuble neuf, dans le cadre d’un contrat portant sur un bien immobilier à construire ou en cours de construction, l’acquisition de cette villégiature n’entrait pas dans le champ de l’exonération de la TVA sur les livraisons d’immeubles achevés depuis plus de cinq ans, prévue par le 2° du 5 de l’article 261 du CGI N° Lexbase : L8072MHG, si bien que M. H. a payé la taxe qui lui était facturée par le vendeur au taux normal de 20 % prévu par l’article 278 du même Code N° Lexbase : L0401IWR.
Préalablement à l’acquisition et parallèlement à la conclusion du contrat de réservation, M. H. avait souscrit un contrat intitulé « Programme de participation et location sans souci », par lequel il avait délégué à la SARL Holiday Suites, devenue la SARL Evancy et dont le siège est à Bray-Dunes (Nord), le droit exclusif de louer la résidence meublée à des tiers.
En avril 2015, M. H. a souscrit, par l’intermédiaire d’un mandataire, une déclaration de début d’activité commerciale par une personne physique en déposant le formulaire P0 auprès du centre de formalités des entreprises compétent.
Par la suite, l’intéressé a déposé auprès de l’administration fiscale des demandes de remboursement de crédit de TVA à hauteur de 55 130 euros au titre de l’année 2015 et de 1 642 euros au titre de l’année 2016. Ces montants lui ont été effectivement remboursés.
À l’issue d’un examen de comptabilité, l’administration lui a adressé, le 8 septembre 2017, une proposition de rectification l’informant qu’elle entendait procéder au rappel des sommes qui lui avaient été remboursées.
Elle a estimé que l’activité de location meublée exercée par M. H. ne pouvait être soumise à la TVA, dès lors que l’intéressé ne réalisait pas des prestations parahôtelières dans les conditions prévues par le b. du 4° de l’article 261 D du CGI N° Lexbase : L2401LEN, c’est-à-dire qu’il ne réalisait pas au moins trois des quatre prestations suivantes :
L’administration a en effet estimé que seules deux de ces quatre prestations étaient assurées.
Après rejet de sa réclamation, M. H. a porté le litige devant le tribunal administratif de Lille, qu’il a en outre saisi du litige né du refus de l’administration de faire droit à la demande de remboursement d’un crédit de TVA qu’il avait présentée, pour un montant de 1 688 euros, au titre de l’année 2017.
Par un jugement unique du 19 mai 2022, le tribunal a prononcé un non-lieu à statuer sur les conclusions tendant à la décharge de la majoration pour manquement délibéré dont les rappels avaient été assortis, afin de tirer les conséquences d’un dégrèvement prononcé en cours d’instance, et a rejeté le surplus des conclusions de la demande.
Saisie de l’appel de M. H. contre l’article 2 de ce jugement, la cour administrative d’appel de Douai vous a transmis le dossier de l’affaire par un arrêt du 2 mars 2023, dans le cadre de la procédure de demande d’avis prévue à l’article L. 113-1 du CJA N° Lexbase : L2626ALT, en vous soumettant les deux questions suivantes :
i) la question de la compatibilité des dispositions du b. du 4° de l’article 261 D du CGI avec l’article 135 de la directive du 28 novembre 2006 ;
ii) dans l’hypothèse où vous seriez d’avis que la loi française est incompatible avec le droit de l’Union, la question de savoir si la fourniture de deux prestations de la liste de quatre, voire d’une seule de ces prestations, suffit à considérer que l’exonération de TVA ne s’applique pas et que les locations meublées rendues dans ces conditions sont soumises à la TVA.
Il ne fait aucun doute que la demande d’avis est recevable : est effectivement en cause, au sens de l’article L. 113-1, une question de droit nouvelle, car vous ne vous êtes pas encore prononcés sur la conventionnalité des dispositions de l’article 261 D, 4° dans leur rédaction en vigueur, une question qui présente une difficulté sérieuse et, en vérité, lancinante, qui se pose actuellement et est susceptible de se poser dans de nombreux litiges. Sur ce dernier point, on peut signaler que le tribunal administratif de Lille est saisi d’une série concernant des contribuables placés dans la même situation que M. H. En outre, des solutions divergentes ont pu être adoptées par les tribunaux et les cours : ainsi, le tribunal de Grenoble a jugé qu’il fallait écarter la règle des « trois sur quatre » pour se livrer à une appréciation globale [1], tandis que la cour de Marseille a jugé que cette règle allait très bien, pour peu que les critères ne soient point interprétés de manière trop restrictive [2].
La question qui vous est soumise est par ailleurs sensible car elle n’est pas dépourvue d’incidences sur le secteur d’activité de l’hôtellerie, désormais concurrencé par les nouveaux modes de réservation d’hébergements permis par le développement de l’économie numérique et le recours aux plateformes que chacun connaît, mais aussi sur l’accès au logement dans les villes les plus touristiques et sur les finances publiques.
Imposer à la TVA, sans discernement, toutes les prestations de locations touristiques de logements meublés à usage d’habitation aurait pour conséquence certains effets d’aubaine : ceux qui investissent dans un immeuble neuf pour le louer acquittent, lors de l’acquisition, un montant important de taxe, perçue au taux de 20% [3] sur les travaux de construction neuve, qui n’est pas compensé par la taxe collectée sur les opérations de location, laquelle est perçue au taux intermédiaire de 10% [4], ce qui revient à dire que l’assujettissement à la TVA constitue, économiquement, une forme de subvention indirecte, par l’État, de l’investissement réalisé.
À cet égard, on trouve au dossier, reproduit dans la proposition de rectification adressée à M. H., un extrait édifiant de l’argumentaire commercial de la société Holiday Suites qui se conclut par le passage suivant : « Cerise sur le gâteau, le propriétaire peut lui-même en profiter en utilisant sa propriété tout en réduisant la fiscalité en récupérant la TVA sur son achat. Une économie fiscale de quelques dizaines de milliers d’euros ! ».
Ainsi conseillé, M. H. a présenté des demandes de remboursement de crédit de TVA au titre des trois premières années suivant son investissement (2015/2016/2017) pour un montant cumulé d’environ 60 000 euros, dont une demande à hauteur de 55 000 euros la première année. On peut donc supposer qu’il a payé 330 000 euros TTC une résidence qui, TVA déduite, en tout cas si le différend était tranché en sa faveur, ne lui aurait coûté que 275 000 euros, soit le montant hors taxe.
3.- Nous commençons par rappeler les termes du droit dérivé.
L’article 135, paragraphe 1, point l) de la Directive, qui reprend sur ce point les dispositions du b) du B de l’article 13 de la sixième Directive [5], dispose : « Les États membres exonèrent : / […] la location d’immeubles ».
Par dérogation au principe selon lequel toute prestation de services effectuée à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel est soumise à la TVA, ces dispositions prévoient donc une exonération des locations immobilières.
Cependant, le paragraphe 2 du même article énonce aussitôt : « Sont exclues de l’exonération prévue au paragraphe 1, point l) » (et sont donc soumises à la TVA) « les opérations suivantes : / a) les opérations d’hébergement telles qu’elles sont définies dans la législation des États membres qui sont effectuées dans le cadre du secteur hôtelier ou de secteurs ayant une fonction similaire […] ».
En ce qui concerne les locations en meublé, la loi française appliquait, jusqu’en 1990, un régime complexe combinant la soumission à la TVA des recettes correspondantes, certaines exonérations [6], une dispense de paiement de la taxe pour les loueurs en meublé non professionnels, au forfait, dont les recettes annuelles n’excédaient pas un certain seuil et l’exclusion du droit à remboursement d’un crédit de TVA pour la taxe ayant grevé les immobilisations autres que celles afférentes à des hôtels de tourisme classés [7].
La loi de finances rectificative pour 1990 [8] a simplifié ce régime en complétant l’article 261 D du CGI par un 4° qui, d’une part, exonérerait les « locations occasionnelles, permanentes ou saisonnières de logements meublés ou garnis à usage d’habitation » et, d’autre part, prévoyait de ne pas appliquer cette exonération « a. aux prestations d’hébergement fournies dans les hôtels de tourisme classés […] » et « b. aux prestations de mise à disposition d’un local meublé ou garni lorsque l’exploitant offre, en plus de l’hébergement, le petit déjeuner, le nettoyage quotidien des locaux, la fourniture de linge de maison et la réception de la clientèle et qu’il est immatriculé au registre du commerce et des sociétés au titre de cette activité ». Ainsi, les opérations de location d’un local meublé ou garni étaient soumises à la TVA comme les services fournis par les hôtels dès lors que l’exploitant offrait, en plus de l’hébergement, les quatre prestations parahôtelières énumérées et qu’il était immatriculé au RCS.
Par une décision « ministre c/ M. Lejeune » du 11 juillet 2011 (CE 9° et 10° ssr., 11 juillet 2001, n° 217675, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A2540AUM, rec. p. 369, concl. J. Courtial), vous avez examiné la compatibilité de ces dispositions avec celles de l’article 13, paragraphe B, sous b), point 1de la sixième Directive, dont elles assuraient la transposition.
Vous avez d’abord relevé que la directive imposait aux États membres de maintenir en dehors du champ de l’exonération les locations qui correspondent à des opérations d’hébergement, soit hôtelières, soit assimilables à ces dernières.
Vous avez ensuite jugé que les critères, définis par chaque État membre, permettant d’opérer une distinction entre une location exonérée et une location taxable car s’apparentant à un hébergement hôtelier, devaient être propres à garantir que ne soient exonérés du paiement que des assujettis dont l’activité ne remplit pas la ou les fonctions essentielles d’une entreprise hôtelière et qui ne sont donc pas en concurrence potentielle avec ces dernières entreprises.
Or vous avez constaté que les dispositions du b. du 4° de l’article 261 D, dans leur version applicable, avaient pour effet d’inclure dans le champ de l’exonération toute mise à disposition d’un local meublé qui n’est pas assortie de l’offre, par l’exploitant, de chacun des quatre services que constituent la fourniture du petit déjeuner, le nettoyage quotidien des locaux, la fourniture du linge de maison et la réception de la clientèle. Vous en avez déduit que ces dispositions pouvaient entraîner l’exonération de locations du seul fait de l’absence de l’une de ces prestations accessoires, dont la réunion était cumulative, alors même que des entreprises hôtelières n’assurant pas l’une de ces prestations étaient, elles, assujetties à la taxe.
À la suite de votre décision, le législateur a entendu remédier à l’incompatibilité en prenant mieux en compte les locations de logements meublés assimilables à des opérations hôtelières et devant pour ce motif être exclues de l’exonération.
Pour ce faire, par l’article 18 de la loi de finances rectificative pour 2002, il a modifié les dispositions du 4° de l’article 261 D dans le sens suivant :
i) il a estimé que la réunion de trois des quatre services parahôteliers suffisait à déclencher l’assimilation de la location d’un logement meublé à une prestation hôtelière, cette règle légale des « trois sur quatre » s’apparentant aux « règles pratiques » que l’on lit sous la plume de l’administration fiscale dans les commentaires administratifs publiés au BOFiP ;
ii) la définition de deux services parahôteliers a été assouplie au passage :
la réception de la clientèle pouvait être « même non personnalisée », pour « tenir compte du fait que certains services hôteliers mettent en œuvre la réception des clients par systèmes automatiques sans personnel » [9] ;
iii) le législateur a exigé que les prestations parahôtelières soient rendues « dans des conditions similaires à celles proposées par les établissements d’hébergement à caractère hôtelier exploités de manière professionnelle » ;
iv) il a prévu que seraient seules imposables les opérations de mise à disposition d’un local meublé ou garni « effectuées à titre onéreux et de manière habituelle » ;
v) il a abandonné la condition d’immatriculation au RCS dont dépendait précédemment la dérogation à l’exonération.
L’administration fiscale a commenté ces dispositions dans une instruction 3-A-2-03 du 30 avril 2003, dont les dispositions ont été reprises au BOI-TVA-CHAMP-10-10-50-20 du 12 septembre 2012, en apportant les précisions suivantes :
i) de manière générale, ce qui compte, ce n’est pas la fourniture effective des prestations parahôtelières, mais c’est l’offre, autrement dit le seul fait que l’exploitant du logement meublé est en mesure de fournir au moins trois des quatre prestations à ses clients, lorsque ceux-ci lui en font la demande ;
ii) le petit-déjeuner « doit être fourni selon les usages professionnels », en chambre ou dans une salle commune ;
iii) le nettoyage des locaux au début et à la fin du séjour ne peut être regardé comme un nettoyage régulier ; il faut que l’exploitant soit en mesure de proposer un tel service durant le séjour ;
iv) du linge de maison doit pouvoir être fourni à l’ensemble des locataires pendant le séjour ;
v) l’accueil peut être confié à un mandataire y compris en un autre lieu que l’immeuble dans lequel le logement meublé est loué et un système d’accueil électronique suffit.
4.- Ceci étant rappelé, la réflexion ne peut complètement se détacher de la volonté clairement exprimée par le législateur européen que le champ de la TVA soit le plus large possible, cette exigence étant inhérente au principe de neutralité de la taxe.
Dans la conception même du système de la TVA, c’est ce droit à déduction qui assure la neutralité de la TVA pour les assujettis, en faisant en sorte qu’il n’y ait aucun « reste à charge » s’agissant de la TVA payée. Or, si un assujetti réalise une opération qui est en dehors du champ d’application de la TVA ou qui est exonérée, il ne peut déduire la TVA qu’il a acquittée en amont. Aussi le 5ème considérant de la Directive de 2006, reprenant les termes du 5ème considérant de la première Directive du 11 avril 1967, énonce-t-il : « Un système de TVA atteint la plus grande simplicité et la plus grande neutralité lorsque la taxe est perçue de manière aussi générale que possible et que son champ d’application englobe tous les stades de la production et de la distribution ainsi que le domaine des prestations de services ».
Le principe est donc l’imposition.
S’agissant des opérations de location immobilière, la Directive fixe certes, nous l’avons dit, une règle d’exonération pour la location de biens immeubles, que la Cour définit comme le droit conféré par le propriétaire d’un immeuble au locataire, contre rémunération et pour une durée convenue, d’occuper cet immeuble comme s’il en était le propriétaire et d’exclure toute autre personne du bénéfice d’un tel droit (CJCE, 4 octobre 2001, aff. C-326/99, Stichting "Goed Wonen" c/ Staatssecretaris van Financiën, point 55 N° Lexbase : A4485AWZ ; CJCE, 6 décembre 2007, aff. C-451/06, Gabriele Walderdorff c/ Finanzamt Waldviertel, point 55 N° Lexbase : A9911DZ4).
La justification de cette dérogation repose sur l’idée, explicitée dans des conclusions d’avocats généraux [10] avant d’être reprise dans les motifs d’arrêts de la Cour de justice, qu’une location immobilière, tout en étant une activité économique, constitue normalement une activité relativement passive qui ne génère pas de valeur ajoutée significative (CJCE, 4 octobre 2001, aff. C-326/99, Stichting "Goed Wonen" c/ Staatssecretaris van Financiën, point 55 N° Lexbase : A4485AWZ ; CJUE, 28 février 2019, aff. C-278/18, Manuel Jorge Sequeira Mesquita, point 19 N° Lexbase : A4472YZN).
Cela étant, comme le rappelle constamment la Cour de justice, cette dérogation est d’interprétation stricte, « étant donné qu’elle constitue une dérogation au principe général selon lequel la taxe sur le chiffre d’affaires est perçue sur chaque prestation de services effectuée à titre onéreux par un assujetti » (CJCE, 15 juin 1989, aff. C-348/87, Stichting Uitvoering Financiële Acties c/ Staatssecretaris van Financiën, point 13 N° Lexbase : A7893AUU ; CJCE, 11 août 1995, aff. C-453/93, W. Bulthuis-Griffioen c/ Inspecteur der Omzetbelasting, point 19 N° Lexbase : A9632AUB ; CJCE, 12 février 1998, aff. C-346/95, Elisabeth Blasi c/ Finanzamt München I, point 18 [LXB=A0307AWB).
En revanche, et pour les mêmes motifs, les exclusions à l’exonération, c’est-à-dire les exceptions à l’exception que constitue l’exonération, sont, elles, d’interprétation large, ce qui est parfaitement logique, puisque ces exceptions-là conduisent à revenir au principe de l’imposition à la taxe de toutes les activités économiques.
Le paragraphe 2 de l’article 135 de la Directive indique d’ailleurs qu’il est loisible aux États membres de « prévoir des exclusions supplémentaires au champ d’application de l’exonération prévue au paragraphe 1, point l) », c’est-à-dire en revenir au principe de la soumission à la taxe pour telle ou telle forme de location immobilière.
Autrement dit, il faut interpréter strictement l’article 135, paragraphe 1, point l) (exonération) et largement l’article 135, paragraphe 2 (exceptions à l’exonération). En conséquence de quoi, il faut interpréter largement la notion d’« opérations d’hébergement […] qui sont effectuées dans le cadre […] de secteurs ayant une fonction similaire » au secteur hôtelier, dont les dispositions du 4° de l’article 261 D assurent la transposition.
L’interprétation de ces dispositions doit être d’autant plus large, a dit pour droit la Cour de justice, que l’expression de « secteurs ayant une fonction similaire » a pour objet de garantir que les opérations d’hébergement temporaire analogues à celles fournies dans le secteur hôtelier, qui sont en concurrence potentielle avec ces dernières, soient imposées (arrêt « Blasi », point 20). C’est là une autre facette des règles applicables en matière de TVA. Comme le rappelle le 7ème considérant de la Directive de 2006 : « Le système commun de la TVA devrait […] aboutir à une neutralité concurrentielle, en ce sens que sur le territoire de chaque État membre, les biens et les services semblables supportent la même charge fiscale […] ».
Pour en terminer avec les considérations de méthode, il convient d’indiquer que les États membres jouissent d’une large marge d’appréciation pour choisir des critères permettant de qualifier la mise à disposition d’un logement d’opération similaire à un hébergement hôtelier (arrêt « Blasi », point 21 ; CJUE, 16 décembre 2010, aff. C-270/09, MacDonald Resorts Ltd c/ The Commissioners for Her Majesty's Revenue & Customs, point 50 N° Lexbase : A1882GNZ), ainsi que votre arrêt « ministre c/ Lejeune » précité l’avait rappelé.
L’article 131 de la Directive, en facteur commun à un grand nombre d’exonérations, dont celles applicables à la location de biens immobiliers, énonce à cet égard que « Les exonérations […] s’appliquent […] dans les conditions que les États membres fixent en vue d’assurer l’application correcte et simple desdites exonérations et de prévenir toute fraude, évasion et abus éventuels ».
Cette liberté trouve toutefois « sa limite dans la finalité » des dispositions de l’article 135, paragraphe 1, sous l), qui est de parvenir à distinguer les opérations taxables (secteur hôtelier + secteurs ayant une fonction similaire) des opérations exonérées que sont la location et l’affermage d’immeubles (arrêt « Blasi », point 21), en évitant donc d’exonérer des services d’hébergement qui sont dans un rapport de concurrence avec les hôtels.
Sur ce point on peut relever que d’autres États membres ont fait des choix très éloignés de ceux de la France – sans pour autant être inconventionnels. Il en va ainsi de l’Allemagne dont la législation part de l’idée – assez convaincante dans son principe – que le séjour hôtelier se caractérise, dans la généralité des cas, par sa relative brièveté et qui assimile par conséquent à l’hébergement en hôtel les séjours d’une durée inférieure à six mois. Cette durée nous paraît à titre personnel un peu longue [11] mais il reste qu’il s’agit là d’un critère simple à manier et dont la Cour de justice a dit, dans l’arrêt « Blasi », qu’il n’était pas inapproprié, ce alors même que l’hébergement de moins de six mois ne comporterait pas toutes les prestations que l’on trouve habituellement dans un hôtel comme la fourniture de repas et de boissons et le nettoyage des chambres. L’avocat général Jacobs avait souligné à cet égard (ce propos retient l’attention) : « Il ne fait aucun doute qu’un assujetti qui louerait, par exemple, des immeubles à usage d’habitation pour des vacances de courte durée remplit essentiellement la même fonction qu’un assujetti dans le secteur hôtelier – et est en concurrence avec ce dernier » (point 19).
Et l’on ne peut manquer de signaler à votre formation de jugement qu’un projet de directive relative à la TVA à l’ère du numérique (VIDA en anglais pour VAT rules for the digital age) prévoit de modifier l’article 135 de la Directive TVA pour prévoir que la location de logements de courte durée doit être considérée comme un secteur similaire par sa nature au secteur hôtelier et ne peut donc pas être exonérée de la TVA, afin de garantir que la prestation fournie par l’intermédiaire d’une plateforme de type AirBnb au consommateur final soit soumise au même régime de TVA que la fourniture de services par des hôtels traditionnels au consommateur final.
5.- Ceci étant rappelé, il n’est guère difficile de se convaincre que les dispositions du b. du 4° de l’article 261 D sont incompatibles avec les objectifs de la directive du fait même de leur rigidité et de ce qu’elles peuvent conduire à maintenir dans le champ de l’exonération des prestations qui entrent en concurrence avec un hébergement dans un hôtel, même si la prestation fournie se différencie sur différents points de celle dont bénéficie le client d’un hôtel traditionnel.
Le seul critère qui vaille est celui de l’existence d’un rapport de concurrence car le principe de neutralité fiscale de la TVA s’oppose à ce que des prestations de services semblables, qui se trouvent donc en concurrence les unes avec les autres, soient traitées de manière différente du point de vue de la taxe (CJCE, 10 septembre 2002, aff. C-141/00, Ambulanter Pflegedienst Kügler GmbH c/ Finanzamt für Körperschaften I in Berlin, point 30 N° Lexbase : A3667AZT ; CJCE, 26 mai 2005, aff. C-498/03, Kingscrest Associates Ltd c/ Commissioners of Customs & Excise, points 41 et 54 N° Lexbase : A3971DIW ; CJUE, 10 novembre 2011, aff. C-259/10, Commissioners for Her Majesty's Revenue and Customs c/ The Rank Group plc, point 32 N° Lexbase : A9110HZG).
Il faut donc, c’est le premier élément, des prestations de services interchangeables ou substituables en raison de leurs caractéristiques, de leur prix et de l’usage auquel les services sont destinés. On sait que la Cour de justice tient compte, sur ce point, de la perception du « consommateur moyen » pour déterminer si deux prestations de services sont semblables, tout en faisant la chasse aux distinctions artificielles qui seraient fondées sur des différences insignifiantes (CJUE, 10 novembre 2011, C-259/10 et C-260/10, point 43). Il faut en outre raisonner en termes de marché géographique pertinent.
Or, le dispositif conçu fin 2002, bien qu’il soit en apparence très raisonnable en ce qu’il cherche à essentialiser un séjour à l’hôtel et en ce qu’il prescrit de recourir, un peu à la manière du juge, à une technique du faisceau d’indices, encourt à notre avis trois reproches.
Le premier, qui n’est peut-être pas le plus grave, tient à ce que le b. du 4° de l’article 261 D du CGI braque les projecteurs sur tout ce qui gravite autour de la prestation d’hébergement proprement dite, au point de faire quasiment perdre de vue que la prestation centrale fournie par un établissement hôtelier – c’est-à-dire celle qu’il faudra ensuite comparer à d’autres formes d’hébergement – demeure la mise à disposition d’une chambre équipée d’une literie et d’une salle d’eau à une clientèle de passage.
Le deuxième reproche tient à ce qui constitue à notre avis la faiblesse ontologique de la règle des « trois sur quatre » dont le seul énoncé suffit à établir qu’aucune des quatre prestations parahôtelières que cite le texte n’est, en elle-même, jugée essentielle, puisqu’il suffit de la réunion des trois autres pour basculer dans le champ de l’imposition.
Ceci nous conduit au troisième reproche qui part du constat que l’absence d’offre d’au moins deux prestations, donc aucune n’est pourtant, en elle-même, essentielle à la qualification d’hébergement hôtelier, suffit à maintenir certaines opérations de location dans le champ de l’exonération, alors que ces opérations peuvent entrer en concurrence avec la prestation fournie par l’exploitant d’un hôtel, du point de vue du consommateur moyen.
Tel est en particulier le cas de certains hébergements réservables à la nuitée ou pour des très courts séjours sur des plateformes de mise en relation telles qu’AirBnb, Abritel ou Leboncoin. La circonstance qu’au moins trois des quatre prestations ne soient pas fournies par « l’hôte » au « voyageur » n’est pas nécessairement de nature à retirer à la prestation de services le caractère de la fourniture d’un hébergement qui remplit essentiellement la même fonction qu’un hôtel : pouvoir y dormir la nuit, avoir accès à une salle de bains, sans avoir à apporter son linge ni à s’occuper du ménage. Certaines plateformes offrent d’ailleurs le choix aux internautes entre la réservation de chambres au sein d’un hôtel traditionnel et la réservation de chambres ou d’appartements mis en location par des particuliers.
Il y a, objectivement, entre ces formes d’hébergement temporaire, une concurrence que déplorent d’ailleurs les syndicats professionnels du secteur de l’hôtellerie. Il suffit de rappeler à cet égard que l’UMIH a engagé une action en concurrence déloyale devant le tribunal de commerce de Paris contre la société AirBnb et mène campagne pour obtenir une application effective de la réglementation, issue de l’article 16 de la loi du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, qui a complété L. 631-7 du Code de la construction et de l’habitation N° Lexbase : L0141LNK par un alinéa qui prévoit que le fait de louer un local meublé destiné à l’habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile constitue un changement d’usage soumis à autorisation préalable.
Il nous semble donc hautement probable, à cette aune, que la Cour de justice jugerait, comme l’a sans doute pressenti la cour de Douai, que les dispositions de la loi française ne sont pas compatibles avec la directive, si la mécanique corsetée de la règle des « trois prestations sur quatre », qui revient à faire de ces prestations des critères législatifs en tant que tels, peut aboutir à exonérer des hébergements pourtant en concurrence avec les hôtels. Et nous doutons que la Cour de justice, à supposer que vous invitiez la cour administrative d’appel de Douai à lui renvoyer une question préjudicielle, ce qu’il ne vous est pas loisible de faire vous-mêmes dans le cadre d’une demande d’avis (CE Contentieux, 4 février 2000, n° 113321 N° Lexbase : A2754B77, rec. p. 28), puisse dire autre chose que ce qu’elle a déjà clairement dit dans, notamment, son arrêt « Blasi », à la lumière des non moins claires conclusions de ses avocats généraux [12]. Il y a tout lieu de penser qu’elle renverrait à la « juridiction nationale » le soin d’apprécier si les exigences qu’elle a posées sont remplies.
6.- Si vous partagez cette analyse, il vous appartiendra de préciser, dans la présente demande d’avis, autant qu’il vous est permis de le faire mais aussi et sans doute plus tard, en tant que juge de cassation, les conséquences qu’il convient d’en tirer, en vue du règlement des litiges fiscaux nés ou à naître.
Il nous semble d’abord qu’aucune interprétation constructive du b. du 4° de l’article 261 D, c’est-à-dire aucune interprétation qui rende le texte conforme aux objectifs de la Directive, n’est ici envisageable, alors qu’il résulte de votre arrêt « ministre c/ Cercle militaire mixte de la Caserne Mortier » (CE Contentieux, 22 décembre 1989, n° 86113 N° Lexbase : A0675AQ3, rec. p. 260, RJF, 1990, n° 130, concl. M.-D. Hagelsteen p. 80) que le principe de l’interprétation conforme ne joue, pour obvier à un verdict d’incompatibilité du droit interne, que dans la mesure du possible.
C’est donc une invocabilité d’exclusion qui nous ramène, par une sorte de hoquet de l’histoire fiscale contemporaine, à ce que vous avez jugé dans votre décision « Sté Hôtel de Provence » du 27 février 2006 (CE 8° ss., 27 février 2006, n° 258807 N° Lexbase : A3964DN7, T. pp. 773-854, concl. L. Olléon), par laquelle vous avez distingué, par-delà l’incompatibilité de la version précédente de l’article 261 D, 4° avec l’article 13, paragraphe B, de la sixième Directive, qui avait été constatée dans la décision « ministre c/ M. Lejeune », un énoncé compatible avec la Directive. Vous aviez considéré en effet que les dispositions de la loi française « demeur[ai]ent compatibles avec les objectifs dudit article en tant qu’elles exclu[ai]ent de l’exonération de TVA qu’elles prévo[ya]ient les activités se trouvant dans une situation de concurrence potentielle avec les entreprises hôtelières ».
C’est à ce même résultat que l’on aboutit (ou que l’on revient)
Il faut, selon les termes de l’arrêt « Simmenthal » (CJCE, 9 mars 1978, aff. C-106/77, Administration des finances de l'État c/ Société anonyme Simmenthal, point 21 N° Lexbase : A5639AUE), « laisser inappliquée » la règle des « trois prestations sur quatre », pour ne conserver que celle selon laquelle demeurent placées en dehors du champ de l’exonération les prestations de mise à disposition d’un local meublé effectuées à titre onéreux et de manière habituelle qui, du point de vue du consommateur moyen, entrent en concurrence avec un hébergement en hôtel – ce qui est ce que vous aviez jugé dans l’affaire « ministre c/ M. Lejeune » et que vous avez réitéré dans une décision « M. Cournède », sous l’empire du nouveau texte, en retenant que les dispositions de l’article 261 D devaient être interprétées « de manière à garantir que ne soient exonérés du paiement de la taxe que des assujettis dont l’activité ne remplit pas la ou les fonctions essentielles d’une entreprise hôtelière et qui ne sont donc pas en concurrence potentielle avec ces dernières entreprises » (CE 9° et 10° ch.-r., 20 novembre 2017, n° 392740, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A7457WZ9, RJF, 2017, n° 155).
C’est certes peu précis, et donc peu satisfaisant, mais en dire plus, ce serait en dire trop et c’est nécessairement au cas par cas qu’il convient d’apprécier, en fonction des caractéristiques de chaque offre d’hébergement, le rapport de concurrence potentielle, dans le cadre d’une classique dialectique probatoire.
Pour dissiper d’avance un possible malentendu, il nous semble important de souligner que le constat de l’incompatibilité des dispositions du b. du 4° de l’article 261 D du CGI dans la stricte mesure où ces dispositions posent la règle des « trois sur quatre », n’implique pas pour autant d’abandonner tout examen des prestations parahôtelières fournies par l’exploitant du logement : petit déjeuner, réception plus ou moins personnalisée, assistance pendant le séjour, nettoyage des chambres en cours de séjour, autres services offerts. Mais ces éléments sont en quelque sorte rétrogradés du rang de critères à celui de simples indices, dans le cadre d’une approche plus souple et contextualisée.
Il nous semble, à cet égard, que la durée de la location et les modalités de la location constituent d’autres éléments pouvant être pris en compte. L’impossibilité de réserver un hébergement à la nuitée, l’obligation de réserver pour une semaine ou une quinzaine entière, l’obligation de réserver pour une série de nuitées à compter d’un samedi ou d’un dimanche exclusivement peuvent notamment constituer des indices pertinents qui jouent en faveur de l’absence d’assimilation à une prestation hôtelière.
Ce serait donc procéder par raccourci que de considérer que l’incompatibilité d’une partie des dispositions du b. du 4° de l’article 261 D du CGI équivaudrait à donner automatiquement gain de cause aux loueurs en meublé non professionnels qui considèrent que leurs opérations locatives sont soumises à la TVA.
C’est pourquoi, compte tenu de ce qui précède, nous vous invitons à répondre :
[1] TA Grenoble, 14 octobre 2022, n° 1908305 N° Lexbase : A34328Q8.
[2] CAA Marseille, 28 janvier 2016, n° 14MA01374 N° Lexbase : A4583PAY.
[3] En application de l’article 278 du CGI.
[4] En application du a. de l’article 279 du CGI. La France a mis en œuvre la faculté reconnue aux États membres par l’article 98, point 1 de la Directive. Figure en effet au point 12) de l’annexe III de la Directive (« Liste des livraisons de biens et des prestations de services pouvant faire l’objet des taux réduits visés à l’article 98 ») « l’hébergement fourni dans des hôtels et établissements similaires, y compris la fourniture d’hébergement de vacances et la location d’emplacements de camping et d’emplacements pour caravanes ».
[5] Sixième Directive n° 77/388/CEE du 17 mai 1977, du Conseil des Communautés européennes, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires.
[6] En ce qui concerne la location de pièces de l’habitation principale du loueur notamment.
[7] Le droit à déduction était aussi ouvert pour les immobilisations relatives à des villages de vacances agréés.
[8] Loi n° 90-1169, du 29 décembre 1990, de finances rectificatives pour 1990, art. 48 N° Lexbase : O0282CAP.
[9] Rapport n° 97 (2002-2003) fait le 13 décembre 2002 au nom de la commission des finances du Sénat par M. Philippe Marini, rapporteur général [en ligne].
[10] Conclusions de M. F. G. Jacobs, présentées le 25 septembre 1997 dans l’affaire C-346/95, « E. Blasi ».
[11] C’est moins, tout de même, que les sept ans du séjour d’Hans Castorp dans La Montagne magique de Thomas Mann…
[12] On peut voir aussi les conclusions de Mme Verica Trstenjak prononcées le 7 septembre 2010 dans l’affaire « MacDonald Resorts Ltd », C-270/09, point 108.
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Réf. : CE, 9°-10° ch. réunies, 21 septembre 2023, n° 467076, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A02991IW
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par Yann Le Foll
Le 05 Octobre 2023
► L’autorité de chose jugée s'attachant à un jugement, devenu définitif, annulant un permis de construire, fait obstacle à l'annulation du refus opposé par l'autorité administrative à une demande de permis ayant le même objet, en l'absence de modification de la situation de droit ou de fait.
Principe. L'autorité de chose jugée s'attachant au dispositif d'un jugement, devenu définitif, annulant un permis de construire ainsi qu'aux motifs qui en sont le support nécessaire fait obstacle à ce que, en l'absence de modification de la situation de droit ou de fait, le refus opposé antérieurement ou ultérieurement par l'autorité administrative à la demande d'un permis ayant le même objet soit annulé par le juge administratif dès lors que ce refus est fondé sur le même motif que celui ayant justifié l'annulation du permis de construire (CE, 2°- 7° ch. réunies, 12 octobre 2018, n° 412104, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3438YGG).
Alors même que la légalité d'un refus de permis s'apprécie à la date à laquelle il a été pris, il appartient ainsi au juge de l'excès de pouvoir de prendre acte de l'autorité de la chose jugée s'attachant, d'une part, à l'annulation juridictionnelle devenue définitive du permis de construire ayant le même objet, délivré postérieurement à la décision de refus, et, d'autre part, au motif qui est le support nécessaire de cette annulation.
Faits. Pour confirmer la légalité de l'arrêté du 18 octobre 2016 par lequel le maire de La Tronche a refusé, sur le fondement de l'article R. 111-2 du Code de l'urbanisme N° Lexbase : L0569KWY (atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique), à raison des risques de glissement de terrain existant dans le secteur, à la société A2C, la délivrance du permis de construire qu'elle sollicitait, la cour administrative d’appel (CAA Lyon, 1ère ch., 28 juin 2022, n° 20LY03555 N° Lexbase : A255179D) s'est fondée, après avoir relevé l'absence de changement de circonstances de droit et de fait, sur l'autorité de la chose jugée s'attachant au jugement du 8 octobre 2020 du tribunal administratif de Grenoble, devenu définitif, annulant, pour le même motif que celui fondant le refus de permis contesté, le permis de construire ayant le même objet et délivré par le maire de La Tronche à la société A2C le 6 août 2018, soit postérieurement à ce refus de permis.
Décision CE. En se fondant ainsi, pour apprécier la légalité de la décision de refus de permis de construire attaquée, sur l'autorité de la chose jugée s'attachant aux motifs d'un jugement devenu définitif annulant un permis délivré postérieurement et ayant le même objet, en relevant l'absence de changement de circonstances de fait ou de droit, la cour n'a pas commis d'erreur de droit. Pour le rapporteur public Laurent Domingo, « la ‘chose demandée’ et donc la ‘chose jugée’ consistait bien en la construction de trois maisons individuelles chemin de Maubec à La Tronche, si bien qu’il y a identité d’objet ».
En deuxième lieu, la circonstance que, pour l'application de l'article L. 600-4-1 du Code de l'urbanisme N° Lexbase : L2399ATZ (annulation ou suspension d’un acte intervenu en matière d'urbanisme), le tribunal administratif de Grenoble a, outre la méconnaissance de l'article R. 111-2 du même code, retenu dans son jugement du 8 octobre 2020 annulant le permis de construire du 6 août 2018 quatre autres moyens, ne fait pas obstacle à ce que ce motif tiré de la méconnaissance de l'article R 111-2, qui suffisait à lui seul à justifier la solution retenue par le tribunal, puisse être regardé comme un support nécessaire du dispositif de ce jugement, auquel s'attache l'autorité de la chose jugée (sur l’absence d’obligation de se prononcer sur l'ensemble des moyens de la requête susceptibles de fonder l'annulation , voir CE, 28 mai 2001, n° 218374 N° Lexbase : A9171B88).
Pour aller plus loin, v. ÉTUDE, Le juge du contentieux administratif de l'urbanisme, Les obligations faites au juge du contentieux administratif de l'urbanisme lorsqu'il se prononce au fond, in Droit de l’urbanisme (dir. A. Le Gall), Lexbase N° Lexbase : E4934E7U. |
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Réf. : Cass. civ. 3, 28 septembre 2023, n° 22-15.576, FS-B N° Lexbase : A20561IY
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par Anne-Lise Lonné-Clément
Le 04 Octobre 2023
► À défaut de disposition législative le précisant, la notification ou l'affichage du prix et des conditions de la vente projetée ne vaut pas offre ferme de vente au profit du bénéficiaire du droit de préférence, de sorte que l'exercice de ce droit par le propriétaire d'une parcelle boisée contiguë ne prive pas le vendeur de la liberté de renoncer à la vente.
C’est donc une réponse négative qu’apporte la Cour de cassation à la question soulevée dans la présente affaire, qui était de savoir, dans le cadre de la vente d’une parcelle boisée, si le propriétaire forestier voisin, titulaire d’un droit de préférence en vertu de l'article L. 331-19 du Code forestier N° Lexbase : L7077LQ8, peut obtenir la vente forcée de la parcelle lorsque le vendeur refuse de lui vendre et choisit de renoncer à la vente.
Elle censure ainsi l’arrêt rendu par la cour d’appel de Grenoble, qui avait au contraire décidé de condamner la venderesse à régulariser, au profit du propriétaire voisin titulaire d’un droit de préférence, la vente de sa parcelle boisée (CA Grenoble, 22 juin 2021, n° 19/02306 N° Lexbase : A83054WI).
Dans son arrêt, la cour avait retenu que, dès lors que ni la SAFER ni la commune n’avaient souhaité exercer leur droit de préemption, le droit de préférence du propriétaire voisin avait produit plein et entier effet par la rencontre des consentements, dès la date à laquelle il avait exprimé son intention de s'en prévaloir, la venderesse ne pouvant, dès lors, se rétracter de son intention de vendre après l'exercice de ce droit et que, par conséquent, il était fondé à voir reconnaître plein et entier effet à la vente intervenue entre la venderesse et lui-même par l'exercice de son droit de préférence.
Or ce faisant, selon la Cour régulatrice, les juges d’appel ont violé l'article L. 331-19 du Code forestier N° Lexbase : L7077LQ8, dans sa rédaction applicable en la cause, et l'article 1589, alinéa 1er, du Code civil N° Lexbase : L1675ABN.
En effet, la Haute juridiction rappelle que selon l'article L. 331-19 du Code forestier, en cas de vente d'une propriété classée au cadastre en nature de bois et forêts et d'une superficie totale inférieure à quatre hectares, les propriétaires d'une parcelle boisée contiguë bénéficient d'un droit de préférence. Le vendeur est tenu de leur notifier le prix et les conditions de la cession projetée, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou, lorsque le nombre de notifications est égal ou supérieur à dix, par voie d'affichage en mairie durant un mois et de publication d'un avis dans un journal d'annonces légales. Tout propriétaire d'une parcelle boisée contiguë dispose d'un délai de deux mois à compter de la notification pour faire connaître au vendeur, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par remise contre récépissé, qu'il exerce son droit de préférence aux prix et conditions qui lui sont indiqués par le vendeur. Lorsque plusieurs propriétaires de parcelles contiguës exercent leur droit de préférence, le vendeur choisit librement celui auquel il souhaite céder son bien. Le droit de préférence n'est plus opposable au vendeur en l'absence de réalisation de la vente résultant d'une défaillance de l'acheteur dans un délai de quatre mois à compter de la réception de la déclaration d'exercice de ce droit. Ce droit de préférence s'exerce sous réserve du droit de préemption, et de la rétrocession qui en découle, prévu au bénéfice de personnes morales chargées d'une mission de service public par le Code rural et de la pêche maritime ou par le Code de l'urbanisme.
Et aux termes de l'article 1589, alinéa 1er, du Code civil, la promesse de vente vaut vente, lorsqu'il y a consentement réciproque des deux parties sur la chose et sur le prix.
La Cour régulatrice en déduit qu’à défaut de disposition législative le précisant, la notification ou l'affichage du prix et des conditions de la vente projetée ne vaut pas offre ferme de vente au profit du bénéficiaire du droit de préférence, de sorte que l'exercice de ce droit par le propriétaire d'une parcelle boisée contiguë ne prive pas le vendeur de la liberté de renoncer à la vente.
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