CONSEIL D'ETAT
Statuant au contentieux
N°s
346876, 346945
Consorts C.
M. Jean-Dominique Langlais, Rapporteur
Mme Fabienne Lambolez, Rapporteur public
Séance du 17 mai 2013
Lecture du
31 mai 2013
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d'Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 5ème et 4ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 5ème sous-section de la section du contentieux
Vu 1°, la décision du 30 avril 2012 par laquelle le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a prononcé l'admission des conclusions du pourvoi n° 346 876 de Mlle D.C.et M. B.C.dirigées contre l'arrêt n° 10BX00079, 10BX00137 de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 23 décembre 2010 en tant que cet arrêt s'est prononcé sur leurs demandes présentées à l'encontre de l'Etat et de l'Office national des forêts ;
Vu 2°, sous le n° 346945, le pourvoi sommaire, le mémoire complémentaire et le nouveau mémoire, enregistrés les 23 février, 23 mai et 4 juillet 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. E. C., demeurant. ; M. C.demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt n° 10BX00079-10BX00137 du 23 décembre 2010 de la cour administrative d'appel de Bordeaux en tant qu'il a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement n° 0700421-0700682 du 1er octobre 2009 du tribunal administratif de Saint-Denis en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à la condamnation solidaire de l'Etat et de l'Office national des forêts à lui verser la somme de 35 000 euros en réparation du préjudice moral ayant résulté pour lui de l'accident survenu le 3 avril 2002 à Cilaos (La Réunion) ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat et de l'Office national des forêts le versement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jean-Dominique Langlais, Maître des Requêtes,
- les conclusions de Mme Fabienne Lambolez, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat de Mlle D.C.et de M. B.C., à la SCP Delvolve, Delvolve, avocat de l'Office national des forêts, à Me Le Prado, avocat du centre hospitalier départemental Félix Guyon, à Me Foussard, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Oise, et à la SCP Boré, Salve de Bruneton, avocat de M. E.C. ;
1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un arrêté du 13 mars 2002, consécutif au passage d'une tempête tropicale, le préfet de La Réunion a interdit à la randonnée, entre autres itinéraires, la partie du sentier de grande randonnée GR R2 située sur la commune de Cilaos ; que l'Office national des forêts a procédé à l'affichage de cet arrêté au point de départ de ce sentier, dont l'entretien lui incombait ; qu'il a mis fin à cet affichage quelques jours plus tard, après avoir constaté que le parcours ne présentait plus de risques ; que M. E. C., Mme A.C.et leur fille Mlle D. C.ont emprunté cet itinéraire le 2 avril 2002 ; qu'en cours de randonnée, Mme A.C.et Mlle D.C.ont quitté de leur propre chef le parcours balisé pour rejoindre un site pittoresque situé à l'écart du sentier ; qu'elles ont suivi à cette fin un itinéraire non aménagé, signalé par un fléchage non officiel distinct du fléchage employé par l'Office national des forêts ; qu'alors qu'elles empruntaient le lit de la rivière du " Bras Rouge ", les rives abruptes de ce cours d'eau, fragilisées par la tempête récente, se sont éboulées ; que cet éboulement a provoqué la mort de Mme A.C.et gravement blessé Mlle D.C. ; qu'en outre, celle-ci a été secourue dans des conditions qui ont prolongé ses souffrances ; que M. E.C.a demandé à être indemnisé du préjudice moral ayant résulté du décès de son épouse et des souffrances de sa fille ; que, parallèlement, Mlle D. C.a demandé à être indemnisée des préjudices consécutifs à ses blessures, et son frère, M. B. C., de son propre préjudice moral ; que, par un jugement du 1er octobre 2009, le tribunal administratif de Saint-Denis a joint leurs demandes, condamné le centre hospitalier départemental Félix-Guyon à verser 7 000 euros à Mlle D.C., au titre des douleurs imputables au retard fautif des secours, et rejeté le surplus de leurs conclusions ; que M. E.C., d'une part, Mlle D.C.et M. B.C., d'autre part, ont formé appel devant la cour administrative d'appel de Bordeaux, qui a joint et rejeté leurs requêtes par un arrêt du 23 décembre 2010 ; que M. C.et ses enfants se sont pourvus en cassation contre cet arrêt ; que le Conseil d'Etat statuant au contentieux a admis le pourvoi présenté sous le n° 346945 pour M. E.C. ; que, par une décision du 30 avril 2012, il a prononcé l'admission partielle du pourvoi n° 346876 présenté pour Mlle D. C.et M. B.C., dans la limite des conclusions dirigées contre l'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 23 décembre 2010 en tant que cet arrêt s'est prononcé sur leurs demandes présentées à l'encontre de l'Etat et de l'Office national des forêts ; que les deux pourvois étant dirigés contre le même arrêt, il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
Sur " l'intervention" de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Oise :
2. Considérant que la caisse primaire d'assurance maladie de l'Oise avait la qualité de partie à l'instance d'appel introduite par Mlle D.C.et M. B.C.devant la cour administrative d'appel de Bordeaux ; que son " intervention " au soutien du pourvoi n° 346 876 ne peut, dès lors, être regardée que comme un pourvoi en cassation ; que, compte tenu, d'une part, du lien qu'établissent les dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale entre la détermination des droits de la victime et celle des droits de la caisse et, d'autre part, de l'obligation qu'elles instituent de mettre en cause la caisse de sécurité sociale à laquelle est affiliée la victime en tout état de la procédure afin de la mettre en mesure de poursuivre le remboursement de ses débours par l'auteur de l'accident, une caisse partie à l'instance d'appel mais qui n'a pas formé de pourvoi en cassation dans le délai de recours contentieux est néanmoins recevable à le faire lorsque la victime a elle-même régulièrement exercé cette voie de recours ; qu'ainsi, le pourvoi de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Oise est recevable ;
Sur les conclusions des pourvois dirigées contre l'arrêt attaqué en tant qu'il se prononce sur la responsabilité encourue par l'Office national des forêts :
3. Considérant que, lorsqu'un établissement public tient de la loi la qualité d'établissement public industriel et commercial, les litiges nés de ses activités relèvent de la compétence de la juridiction judiciaire, à l'exception de ceux relatifs à celles de ses activités qui, telles la réglementation, la police ou le contrôle, ressortissent par leur nature de prérogatives de puissance publique et ne peuvent donc être exercées que par un service public administratif ; que si la cour administrative d'appel a constaté que l'Office national des forêts " était chargé par le préfet de La Réunion d'assurer l'affichage des arrêtés d'interdiction temporaire de circuler, et de contrôler l'état des chemins ", elle n'a pas, ce faisant, caractérisé l'attribution à cet établissement public de prérogatives de puissance publique, seule de nature à justifier la compétence de la juridiction administrative ; qu'en retenant cette compétence, elle a commis une erreur de droit de nature à entraîner, sans qu'il soit besoin d'examiner les moyens des pourvois, l'annulation de son arrêt en tant qu'il statue sur la responsabilité encourue par l'Office national des forêts ;
4. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler, dans cette mesure, l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;
5. Considérant qu'en confiant à l'Office national des forêts la mission d'assurer l'affichage de ses arrêtés temporaires d'interdiction de circuler et la mission de contrôler l'état des chemins, le préfet de La Réunion ne lui a pas confié de prérogatives de puissance publique ; que l'Office national des forêts n'exerçait pas davantage de telles prérogatives en pourvoyant à la signalisation du sentier GR R2 ; qu'il s'ensuit qu'il n'appartient pas à la juridiction administrative de connaître des conclusions des consorts C.tendant à ce que la responsabilité de l'Office national des forêts soit engagée à raison du retrait de l'affichage de l'arrêté préfectoral du 13 mars 2002 comme à raison de l'absence de signalisation du danger à l'entrée de l'itinéraire non aménagé menant aux lieux de l'accident ; que l'Office national des forêts est, par suite, fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Saint-Denis a statué sur ces conclusions, qui doivent être rejetées comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître ;
Sur les conclusions des pourvois dirigées contre l'arrêt attaqué en tant qu'il se prononce sur la responsabilité encourue par l'Etat :
6. Considérant que la cour a estimé que le préjudice des victimes résultait d'un aléa naturel et de la décision des intéressés de s'écarter du chemin régulièrement balisé pour s'engager dans le lit de la rivière du " Bras Rouge " ; qu'elle en a déduit qu'à le supposer fautif, le retrait de l'affichage de l'arrêté préfectoral du 13 mars 2002 par l'Office national des forêts, qui avait rendu l'accident possible, mais ne l'avait pas déterminé, était resté sans lien direct avec le préjudice des victimes ; que, pour écarter le moyen invoqué devant elle, tiré de la faute que le préfet aurait commise en ne contrôlant pas l'affichage de son arrêté, la cour s'est également fondée sur l'absence de lien direct entre le retrait de cet affichage et le dommage, sans avoir à prendre parti sur le caractère fautif du comportement du représentant de l'Etat ; qu'eu égard à ce motif, les requérants ne peuvent utilement soutenir ni que l'arrêt serait insuffisamment motivé en ce qui concerne l'existence d'une faute du préfet relative à l'exécution de l'arrêté ni que la cour aurait nié l'existence d'une telle faute en commettant sur ce point une erreur de qualification juridique ; qu'en niant l'existence d'un lien direct entre la faute imputée au préfet et le dommage, la cour n'a pas commis d'erreur de droit et a exactement qualifié les faits qui lui étaient soumis ;
7. Considérant que c'est sans erreur de droit ni erreur de qualification juridique des faits, et par une motivation suffisante, que la cour administrative d'appel a jugé qu'en l'absence d'accidents antérieurs, le préfet de La Réunion n'avait pas commis de faute lourde en ne se substituant pas au maire de la commune de Cilaos pour exercer ses pouvoirs de police et faire procéder à l'effacement du balisage non officiel de l'itinéraire suivi par Mme C.et MlleC., à la fermeture de cet itinéraire ou à la publication d'une mise en garde à l'attention des randonneurs ;
8. Considérant qu'eu égard aux moyens dont elle était saisie, la cour n'a pas entaché son arrêt d'irrégularité en ne se prononçant pas sur le point de savoir si la responsabilité de l'Etat pouvait être engagée au titre d'une faute relative à la conservation du domaine public fluvial ; qu'au demeurant, le cours d'eau dans le lit duquel l'accident s'est produit n'étant pas aménagé, la responsabilité de l'Etat ne pouvait être utilement recherchée qu'au titre des pouvoirs de police générale du préfet de La Réunion ;
9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les consorts C.et la caisse primaire d'assurance maladie de l'Oise ne sont pas fondés à demander l'annulation des arrêts attaqués en tant qu'ils statuent sur la responsabilité de l'Etat ;
10. Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions des consortsC., de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Oise et de l'Office national des forêts tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 23 décembre 2010 est annulé en tant qu'il statue sur la responsabilité de l'Office national des forêts.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Saint-Denis du 1er octobre 2009 est annulé dans la même mesure.
Article 3 : Les conclusions des consorts C.tendant à ce que la responsabilité de l'Office national des forêts soit engagée sont rejetées comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître.
Article 4 : Le surplus des conclusions des pourvois n° 346876 et 346945 est rejeté.
Article 5 : Le pourvoi de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Oise est rejeté.
Article 6 : Les conclusions présentées par l'Office national des forêts au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 7 : La présente décision sera notifiée à M. E. C., à Mlle D.C., à M. B.C., à l'Office national des forêts, à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Oise, à la Mutuelle générale de l'éducation nationale, au ministre de l'intérieur et au ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt.