CONSEIL D'ETAT
Statuant au contentieux
N°
322922
M. et Mme CHEDORGE
M. Thierry Carriol, Rapporteur
Mme Delphine Hedary, Rapporteur public
Séance du 12 octobre 2011
Lecture du
2 novembre 2011
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d'Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 10ème et 9ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 10ème sous-section de la Section du contentieux
Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés le 3 décembre 2008 et le 27 février 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. et Mme Claude CHEDORGE, demeurant 169, boulevard Malesherbes à Paris (75017) ; M. et Mme CHEDORGE demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt n° 07PA01332/07PA02079 du 2 octobre 2008 de la cour administrative d'appel de Paris en tant qu'il a annulé le jugement du 27 février 2007 du tribunal administratif de Paris et rejeté les conclusions tendant à la décharge du complément d'impôt sur le revenu auquel ils ont été assujettis au titre de l'année 1993 ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leur appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Thierry Carriol, chargé des fonctions de Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Fabiani, Luc-Thaler, avocat de M. et Mme CHEDORGE,
- les conclusions de Mme Delphine Hedary, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Fabiani, Luc-Thaler, avocat de M. et Mme CHEDORGE ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. et Mme CHEDORGE ont fait l'objet, au cours de l'année 1996, d'un contrôle sur pièces en matière d'impôt sur le revenu et de contributions sociales au titre des années 1993, 1994 et 1995 ; qu'à l'issue de ce contrôle, l'administration fiscale a notamment estimé qu'était imposable à l'impôt sur le revenu une plus-value non déclarée que M. et Mme CHEDORGE ont réalisée en cédant le 30 avril 1993 la participation qu'ils détenaient dans la société Holder ; qu'elle a, en conséquence, procédé à la taxation de cette plus-value ; que M. et Mme CHEDORGE se pourvoient en cassation contre l'arrêt par lequel la cour administrative d'appel de Paris a annulé le jugement du tribunal administratif de Paris prononçant la décharge de cette imposition ;
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi ;
Considérant que lorsque le juge d'appel, saisi par le défendeur en première instance, censure le motif retenu par les premiers juges, il lui appartient, en vertu de l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner l'ensemble des moyens présentés par le demandeur en première instance, alors même qu'ils ne seraient pas repris dans les écritures produites, le cas échéant, devant lui, à la seule exception de ceux qui auraient été expressément abandonnés en appel ; que M. et Mme CHEDORGE ont soutenu, devant le tribunal administratif de Paris, que l'administration fiscale n'était pas en droit de procéder à des redressements au titre de l'année 1993 dans la mesure où elle ne démontrait pas leur avoir adressé, dans le délai qui lui était imparti, une notification de redressement interrompant la prescription ; que la cour administrative d'appel de Paris, saisie du litige dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel, ne s'est pas prononcée sur ce moyen qui n'était pas inopérant et a, par suite, insuffisamment motivé son arrêt ; que, dès lors, M. et Mme CHEDORGE sont fondés à demander l'annulation de l'arrêt attaqué en tant qu'il statue sur le supplément d'impôt sur le revenu mis à leur charge au titre de l'année 1993 ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. et Mme CHEDORGE n'ont pas déclaré la plus-value qu'ils ont réalisée lorsqu'ils ont cédé, le 30 avril 1993, la participation qu'ils détenaient dans la société Holder, par un acte sous-seing privé enregistré, comme l'imposait l'article 635 du code général des impôts, à la recette des impôts de Vincennes ; que M. et Mme CHEDORGE font valoir, pour contester la régularité de la procédure d'imposition, que l'administration, lorsqu'elle leur a notifié le redressement correspondant à cette plus-value, s'est bornée à leur indiquer la teneur des renseignements sur lesquels elle s'est fondée pour asseoir l'impôt, sans leur préciser qu'elle tenait ces renseignements de l'acte de cession qu'ils avaient signé et fait enregistrer ;
Considérant que si l'administration a l'obligation d'informer le contribuable de l'origine et de la teneur des renseignements qui ont servi à établir les redressements afin qu'il puisse demander avant la mise en recouvrement des impositions que les documents contenant ces renseignements lui soient communiqués, s'ils ont été obtenus auprès de tiers, et qu'il puisse, dans tous les cas, discuter utilement le redressement, l'irrégularité commise par l'administration dans la procédure d'imposition en s'abstenant d'indiquer au contribuable l'origine du renseignement recueilli par elle à la suite d'une démarche auprès des services de l'enregistrement effectuée par le contribuable lui-même ne constitue pas une irrégularité substantielle de nature à vicier la procédure d'imposition dès lors qu'eu égard à la teneur du renseignement, nécessairement connu du contribuable, celui-ci n'a pas été privé, du seul fait de l'absence d'information sur l'origine du renseignement, de la possibilité d'en demander la communication afin de pouvoir discuter utilement le redressement litigieux ; que M. et Mme CHEDORGE n'allèguent pas que les renseignements utilisés par l'administration pour asseoir l'imposition de la plus-value réalisée à l'occasion de la cession des parts de la société Holder auraient pu être obtenus par d'autres sources que l'acte de cession enregistré à la recette des impôts ; que, par suite, le ministre est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Paris a prononcé la décharge de l'imposition litigieuse en se fondant sur l'irrégularité de la procédure d'imposition résultant de l'insuffisance d'information donnée aux contribuables ;
Considérant toutefois qu'il appartient au Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par les requérants devant le tribunal administratif et la cour administrative d'appel ;
Considérant que l'administration fiscale a produit une attestation des services de La Poste certifiant la présentation, le 13 décembre 1996, du pli recommandé qui contenait la notification du redressement du 11 décembre 1996 et le dépôt, en l'absence des destinataires, d'un avis les invitant à retirer le pli au bureau de poste ; que, par suite, M. et Mme CHEDORGE, qui n'ont pas retiré ce pli, ne sont pas fondés à soutenir que la notification de redressement n'aurait pas interrompu la prescription pour les impositions contestées portant sur l'année 1993 ;
Considérant que le redressement litigieux étant intervenu dans le cadre de la procédure contradictoire prévue à l'article L. 56 du livre des procédures fiscales, M. et Mme CHEDORGE ne peuvent utilement faire valoir qu'ils n'ont pas reçu la mise en demeure préalable prévue par l'article L. 67 du livre des procédures fiscales en cas de taxation d'office ;
Considérant que l'administration fiscale a pu à bon droit, après avoir constaté une omission dans la déclaration de revenus des contribuables, engager une procédure de rectification contradictoire sur le fondement des articles L. 55 et L. 57 du livre des procédures fiscales ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le ministre est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a prononcé la décharge du supplément d'impôt sur le revenu auquel M et Mme CHEDORGE ont été assujettis au titre de l'année 1993 ;
Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement des sommes que M. et Mme CHEDORGE demandent au titre des frais exposés par eux tant devant le Conseil d'Etat que devant la cour administrative d'appel et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 2 octobre 2008 et le jugement du tribunal administratif de Paris du 27 février 2007 sont annulés en tant qu'ils statuent sur le supplément d'impôt sur le revenu mis à la charge de M. et Mme CHEDORGE au titre de l'année 1993.
Article 2 : Les conclusions de la requête de M. et Mme CHEDORGE devant le tribunal administratif de Paris relatives au supplément d'impôt sur le revenu mis à leur charge au titre de l'année 1993 sont rejetées.
Article 3 : Le surplus des conclusions de M. et Mme CHEDORGE est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme Claude CHEDORGE et à la ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat, porte-parole du Gouvernement.
Délibéré dans la séance du 12 octobre 2011 où siégeaient : M. Bernard Stirn, Président de la Section du Contentieux, présidant ; M. Thierry Tuot, M. Jean-Pierre Jouguelet, Présidents de sous-section ; M. Jean-Yves Rossi, M. Jean-François Mary, M. François Séners, Mme Pascale Fombeur, Conseillers d'Etat ; M. Aurélien Rousseau, Auditeur et M. Thierry Carriol, chargé des fonctions de Maître des Requêtes-rapporteur.