CONSEIL D'ÉTAT
Statuant au contentieux
Cette décision sera publiée au recueil LEBON
N° 230000
MINISTRE DE L'ÉDUCATION NATIONALE
c/ M. Cros Decam et Mme Michel
M. Vallée, Rapporteur
Mme Mignon, Commissaire du Gouvernement
Séance du 26 mars 2001
Lecture du 6 avril 2001
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d'État statuant au contentieux
(Section-du contentieux, 8e et 3e sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 8e sous-section de la Section du contentieux
Vu le recours enregistré le 7 février 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, présenté par le MINISTRE DE L'ÉDUCATION NATIONALE ; le MINISTRE DE L'ÉDUCATION NATIONALE demande au Conseil d'État d'annuler l'ordonnance du 18 janvier 2001 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté la demande du recteur de l'académie de Paris tendant à ce que soit prononcée, en application de l'article L. 521-3 du code de justice administrative, l'expulsion de deux occupants de logements dans l'immeuble sis 4, rue Valette à Paris (5ème arrondissement) qui abrite le collège Sainte-Barbe, aujourd'hui dépendance du domaine public ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code du domaine ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Vallée, Auditeur,
- les observations de la SCP Defrénois, Lévis, avocat de M. Cros Decam et de Mme Michel,
- les conclusions de Mme Mignon, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que le MINISTRE DE L'EDUCATION NATIONALE demande l'annulation de l'ordonnance du 18 janvier 2001 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté la demande du recteur de l'Académie de Paris tendant à ce que soit prononcée, en application de l'article L. 521-3 du code de justice administrative, l'expulsion de M. Cros Decam et de Mme Michel qui occupent des logements dans l'immeuble sis 4, rue Valette à Paris qui abritait l'ancien collège Sainte-Barbe, locaux qui ont été incorporés au domaine public par arrêté du MINISTRE DE L'EDUCATION NATIONALE et du secrétaire d'Etat au budget en date du 7 novembre 2000, publié au Journal officiel de la République française le 15 novembre 2000 ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 511-1 du code de justice administrative : « Le juge des référés statue par des mesures qui présentent un caractère provisoire. Il n'est pas saisi du principal et se prononce dans les meilleurs délais » , qu'aux termes de l'article L. 521-3 du même code : « En cas d'urgence et sur simple requête qui sera recevable même en l'absence de décision administrative préalable, le juge des référés peut ordonner toutes autres mesures utiles sans faire obstacle à l'exécution d'aucune décision administrative » ;
Considérant que, par l'ordonnance contre laquelle le ministre se pourvoit en cassation, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté la demande du recteur de l'Académie de Paris au motif que la mesure sollicitée était susceptible de porter préjudice au principal ; qu'en statuant ainsi, alors que la condition de ne pas faire préjudice au principal n'est pas au nombre de celles posées par les dispositions précitées des articles L. 511-1 et L. 521-3 du code de justice administrative, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a commis une erreur de droit ; que, par suite, son ordonnance en date du 18 janvier 2001 doit être annulée ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, le Conseil d'Etat, s'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut « régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie » ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée ;
Considérant que les actions présentées devant le juge administratif des référés tendant à ce que soit prononcée l'expulsion d'occupants sans titre du domaine public de l'Etat et celles présentées devant le juge des référés judiciaire tendant à ce que soit prononcée l'expulsion d'occupants sans titre de son domaine privé, bien que poursuivant, le cas échéant, le même objet, procèdent de causes juridiques différentes : qu'il est constant que si le vice-président du tribunal de grande instance de Paris a prescrit à M. Cros Decam et à Mme Michel, par ordonnance du 15 novembre 2000 de libérer leurs logements dans un délai de six mois après notification d'un commandement en ce sens, ladite prescription était fondée sur ce que lesdits locaux faisaient alors partie du domaine privé de l'Etat : que, dès lors, M. Cros Decam et Mme Michel ne peuvent, en tout état de cause, utilement opposer l'autorité de la chose jugée par ladite ordonnance à la demande du ministre devant le juge des référés administratifs, laquelle se fonde sur ce que lesdits locaux font désormais partie du domaine public :
Considérant qu'il résulte des pièces du dossier que M. Cros Decam et Mme Michel, qui disposaient de leurs logements en leur qualité d'employés de la SA Sainte-Barbe, ont été privés de tout titre à les occuper par la cessation d'activité de cette société, dont la liquidation judiciaire a été définitivement prononcée par arrêt de la cour d'appel de Paris en date du 11 janvier 2000 : que, par suite, et alors même que le tribunal administratif de Paris avait par jugement du 15 décembre 1998 annulé la décision du 2 juin 1998 par laquelle le préfet de la région Ile-de-France avait, avant le prononcé de cette liquidation, résilié le bail liant l'Etat à la SA Collège Sainte-Barbe, la demande du ministre tendant à l'expulsion de M. Cros Decam et Mme Michel, lesquels ont été mis en demeure de vider les lieux le 22 décembre 2000, après que plusieurs sommations dans le même sens leur aient été délivrées au cours de l'année 2000, ne se heurte à aucune contestation sérieuse ; que la libération des locaux en cause présente un caractère d'urgence en raison de la nécessité d'effectuer des travaux de sécurité et de mise en conformité dans l'ensemble de l'immeuble, affecté au service public de l'enseignement supérieur par l'arrêté susmentionné du 7 novembre 2000 : que le ministre est dès lors fondé à demander l'expulsion des intéressés, au besoin sous astreinte ; que, dans les circonstances de l'affaire, il y a lieu de fixer le taux de cette astreinte à 500 F par jour à compter de l'expiration d'un délai d'un mois suivant la notification de la présente décision ;
Sur les conclusions de M. Cros Decam et de Mme Michel tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance, la partie perdante, soit condamné à verser à M. Cros Decam et à Mme Michel la somme qu'ils demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;
DECIDE :
Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Paris en date du 18 janvier 2001 est annulée.
Article 2 : M. Cros Decam et Mme Michel sont condamnés à libérer les locaux qu'ils occupent dans l'immeuble sis 4, rue Valette à Paris dans le Vème arrondissement, sous astreinte de 500 F par jour à l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision.
Article 3 : Le surplus des conclusions du MINISTRE DE L'EDUCATION NATIONALE et les conclusions de M. Cros Decam et de Mme Michel tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'éducation nationale, à M. Jean-Victor Cros Decam et à Mme Myriam Michel.