CONSEIL D'ETAT
Statuant au contentieux
N°s
364951, 364963
SOCIETE COPHIGNON, OFFICE PUBLIC DE L'HABITAT DES ARDENNES - HABITAT 08
M. Frédéric Dieu, Rapporteur
M. Gilles Pellissier, Rapporteur public
Séance du 8 mars 2013
Lecture du
25 mars 2013
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d'Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 7ème et 2ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 7ème sous-section de la Section du contentieux
Vu 1°, sous le n° 364951, le pourvoi, enregistré le 4 janvier 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté pour la société Cophignon, dont le siège est 5 rue des Forges Saint-Charles à Charleville Mézières (08000) ; la société Cophignon demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'ordonnance n° 1202125 du 21 décembre 2012 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, statuant en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, à la demande de la société Laurent Paillas, a annulé la procédure de passation relative aux secteurs 1, 2 et 3 du lot n° 6 " Plomberie - chauffage - VMC " du marché public à bons de commande ayant pour objet des travaux d'entretien des immeubles appartenant à l'Office ;
2°) statuant en référé, de rejeter la demande de la société Laurent Paillas ;
3°) de mettre à la charge de la société Laurent Paillas le versement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens, y compris la contribution à l'aide juridique ;
Vu 2°, sous le n° 364963, le pourvoi sommaire et les mémoires complémentaires, enregistrés les 4, 8, 17 et 29 janvier 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour l'Office public de l'habitat des Ardennes - Habitat 08, dont le siège est Avenue des Martyrs de la Résistance à Charleville-Mézières (08000) ; l'Office public de l'habitat des Ardennes - Habitat 08 demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler la même ordonnance du 21 décembre 2012 du juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne ;
2°) statuant en référé, de rejeter la demande de la société Laurent Paillas ;
3°) de mettre à la charge de la société Laurent Paillas le versement de la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 8 mars 2013, présentée pour la société Laurent Paillas ;
Vu l'ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 ;
Vu le décret n° 2005-1742 du 30 décembre 2005 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Frédéric Dieu, Maître des Requêtes,
- les observations de Me Foussard, avocat de la société Cophignon, de Me Blondel, avocat de l'Office public de l'habitat des Ardennes - habitat 08, et de la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la société Laurent Paillas,
- les conclusions de M. Gilles Pellissier, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donné à Me Foussard, avocat de la société Cophignon, de Me Blondel, avocat de l'Office public de l'habitat des Ardennes - habitat 08, et de la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la société Laurent Paillas ;
1. Considérant que les pourvois de la société Cophignon et de l'Office public de l'habitat des Ardennes - Habitat 08 sont dirigés contre la même ordonnance ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, ou la délégation d'un service public (.) " ; qu'aux termes de l'article L. 551-2 de ce code : " I. Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. (.) " ; que, selon l'article L. 551-10 du même code : " Les personnes habilitées à engager les recours prévus aux articles L. 551-1 et L. 551-5 sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d'être lésées par le manquement invoqué (.) " ;
3. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne que, par un avis d'appel public à la concurrence publié le 10 juillet 2012, l'Office public de l'habitat des Ardennes - Habitat 08 a lancé, sur le fondement des articles 28, 29 et 43 du décret du 30 décembre 2005 fixant les règles applicables aux marchés passés par les pouvoirs adjudicateurs mentionnés à l'article 3 de l'ordonnance du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics, une procédure d'appel d'offres ouverte en vue de l'attribution d'un marché à bons de commande ayant pour objet des travaux d'entretien des immeubles du patrimoine de l'office au titre des années 2013 à 2016 ; que la société Cophignon, la société Thévenin et la société Laurent Paillas ont présenté une offre pour le lot n° 6, " Plomberie - chauffage - VMC ", de ce marché ; que, par un courrier daté du 29 novembre 2012, cette dernière a été informée par l'Office public de l'habitat des Ardennes - Habitat 08 du rejet de son offre ; que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés, saisi par la société Laurent Paillas, a, sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, annulé la procédure de passation de ce lot ;
4. Considérant que, pour assurer le respect des principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, l'information appropriée des candidats sur les critères d'attribution d'un marché public par un pouvoir adjudicateur soumis aux dispositions du décret du 30 décembre 2005, est nécessaire, dès l'engagement de la procédure d'attribution du marché, dans l'avis d'appel public à concurrence ou le cahier des charges tenu à la disposition des candidats ; que, dans le cas où le pouvoir adjudicateur souhaite retenir d'autres critères que celui du prix, il doit porter à la connaissance des candidats la pondération ou la hiérarchisation de ces critères ; qu'il doit également porter à la connaissance des candidats la pondération ou la hiérarchisation des sous-critères dès lors que, eu égard à leur nature et à l'importance de cette pondération ou hiérarchisation, ils sont susceptibles d'exercer une influence sur la présentation des offres par les candidats ainsi que sur leur sélection et doivent en conséquence être eux-mêmes regardés comme des critères de sélection ;
5. Considérant que, pour annuler la procédure de passation litigieuse, le juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a retenu que les candidats n'avaient pas été informés par les documents de la consultation que le critère du prix serait apprécié, à hauteur de 80 %, en fonction du montant total général porté au bordereau de prix unitaires remis aux candidats et, à hauteur de 20 %, en fonction du rabais consenti par les candidats sur le prix public des matériaux non identifiés dans le bordereau, lequel ferait ainsi l'objet d'une appréciation distincte de celle du montant total porté au bordereau des prix unitaires ; que le juge a ainsi estimé que le rabais demandé aux candidats sur les matériaux non identifiés dans le bordereau qui leur avait été remis constituait en lui-même un critère de prix et que le pouvoir adjudicateur avait donc mis en uvre deux critères de prix, l'un pour les fournitures, matériaux et prestations figurant au bordereau de prix unitaires remis aux candidats, l'autre pour les matériaux ne figurant pas dans ce bordereau ;
6. Considérant qu'en retenant ainsi l'existence d'un second critère de prix, alors que le rabais devant être proposé par les candidats sur les matériaux non prévus au bordereau de prix unitaires constituait, avec l'indication du montant total général porté à ce bordereau, l'un des deux éléments d'appréciation pour la notation d'un seul critère de prix, la pondération de ces deux éléments étant destinée à établir le prix de l'offre et ne manifestant pas l'intention du pouvoir adjudicateur d'accorder à l'un d'entre eux une importance particulière non liée à la part respective des matériaux et fournitures concernés dans l'ensemble des matériaux et fournitures nécessaires à l'exécution des prestations du marché, le juge des référés a commis une erreur de qualification juridique ; que, par suite et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, la société Cophignon et l'Office public de l'habitat des Ardennes - Habitat 08 sont fondés à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée ;
7. Considérant qu'il y a lieu, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée par la société Laurent Paillas ;
8. Considérant qu'ainsi qu'il a été dit, la société Laurent Paillas n'est pas fondée à soutenir que l'Office public de l'habitat des Ardennes - Habitat 08 a manqué à ses obligations de publicité et de mise en concurrence en faisant application d'un second critère de prix, dont la pondération n'avait pas été portée à la connaissance des candidats dans le règlement de la consultation ; que la circonstance que, pour évaluer le prix de l'offre, le pouvoir adjudicateur a eu recours à des éléments d'appréciation pondérés, ne saurait conduire, à elle seule, à qualifier ces éléments de sous-critères de sélection assimilables à des critères ;
9. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Cophignon et de l'Office public de l'habitat des Ardennes - Habitat 08, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, la somme que demande la société Laurent Paillas au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de cette dernière une somme de 3 500 euros à verser à la société Cophignon et de 2 000 euros à verser à l'Office public de l'habitat des Ardennes - Habitat 08 au titre de la procédure suivie devant le Conseil d'Etat et le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, ainsi qu'une somme de 1 000 euros à verser à la société Thévenin au titre de la procédure suivie devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne ; qu'il y a lieu enfin de mettre à la charge de la société Laurent Paillas une somme de 35 euros à verser à la société Cophignon au titre des dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 21 décembre 2012 est annulée.
Article 2 : La demande présentée par la société Laurent Paillas devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne et ses conclusions présentées devant le Conseil d'Etat en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La société Laurent Paillas versera une somme de 3 500 euros à la société Cophignon, de 2 000 euros à l'Office public de l'habitat des Ardennes - Habitat 08 et de 1 000 euros à la société Thévenin en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La société Laurent Paillas versera une somme de 35 euros à la société Cophignon au titre de l'article R. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société Cophignon, à l'Office public de l'habitat des Ardennes - Habitat 08, à la société Laurent Paillas et à la société Thévenin.
Délibéré dans la séance du 8 mars 2013 où siégeaient : M. Edmond Honorat, Président adjoint de la Section du Contentieux, présidant ; M. Rémy Schwartz, M. Jacques-Henri Stahl, Présidents de sous-section ; M. Francis Lamy, M. Olivier Rousselle, M. Gilles Bardou, Mme Isabelle de Silva, M. Nicolas Boulouis, Conseillers d'Etat et M. Frédéric Dieu, Maître des Requêtes-rapporteur.