Jurisprudence : CE 9/10 SSR, 20-03-2013, n° 345648, mentionné aux tables du recueil Lebon

CE 9/10 SSR, 20-03-2013, n° 345648, mentionné aux tables du recueil Lebon

A8540KAK

Identifiant européen : ECLI:FR:CESSR:2013:345648.20130320

Identifiant Legifrance : CETATEXT000027198400

Référence

CE 9/10 SSR, 20-03-2013, n° 345648, mentionné aux tables du recueil Lebon. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/8044601-ce-910-ssr-20032013-n-345648-mentionne-aux-tables-du-recueil-lebon
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Abstract

Le bénéfice de l'allocation de reconnaissance aux seuls ressortissants de statut civil de droit local est discriminatoire, comme excluant les anciens membres des formations supplétives de statut civil de droit commun.



CONSEIL D'ETAT

Statuant au contentieux

345648

M. Frédéric MENCHON

M. Tanneguy Larzul, Rapporteur
Mme Delphine Hedary, Rapporteur public

Séance du 13 février 2013

Lecture du 20 mars 2013

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


Le Conseil d'Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 10ème et 9ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 10ème sous-section de la Section du contentieux


Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 10 janvier et 11 avril 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Frédéric Menchon, demeurant 1, résidence Georges Courteline à Châtellerault (86100) ; M. Menchon demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 09BX02568 du 1er juin 2010 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté sa requête tendant à l'annulation, d'une part, du jugement n° 0802683 du 15 octobre 2009 du tribunal administratif de Poitiers rejetant sa demande tendant à l'annulation de la décision du 29 septembre 2008 du Premier ministre lui refusant le bénéfice de l'allocation de reconnaissance allouée aux anciens membres des forces supplétives ayant servi en Algérie, d'autre part, de la décision du Premier ministre ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 7 mars 2013, présentée par le Premier ministre (Mission interministérielle aux rapatriés) ;

Vu la Constitution, notamment son article 62 alinéa 2 ;

Vu l'ordonnance n° 62-825 du 21 juillet 1962 ;

Vu la loi n° 87-549 du 16 juillet 1987 ;

Vu la loi n° 94-488 du 11 juin 1994 ;

Vu la loi n° 99-1173 du 10 décembre 1999 ;

Vu la loi n° 2002-1576 du 30 décembre 2002 ;

Vu la loi n° 2005-158 du 23 février 2005 ;

Vu la décision n° 2010-93 QPC du Conseil constitutionnel du 4 février 2011 ;

Vu la décision du 17 juillet 2011 par laquelle le Conseil d'Etat statuant au contentieux n'a pas renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. Menchon ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Tanneguy Larzul, Conseiller d'Etat,

- les observations de la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat de M. Menchon,

- les conclusions de Mme Delphine Hedary, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat de M. Menchon ;

1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. Menchon, qui est né français en Algérie en 1922 et a combattu en qualité de membre des formations supplétives de l'armée française en Algérie, a demandé à bénéficier, par la voie dérogatoire prévue à l'article 9 de la loi du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des français rapatriés, de l'allocation de reconnaissance destinée aux rapatriés, anciens membres des formations supplétives et assimilés ; que, par décision du 29 septembre 2008, le Premier ministre lui a refusé le bénéfice de cette allocation en considérant que celle-ci était réservée aux anciens supplétifs de statut civil de droit local ; que M. Menchon se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 1er juin 2010 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du 15 octobre 2009 du tribunal administratif de Poitiers rejetant sa demande tendant à l'annulation de la décision du 29 septembre 2008 du Premier ministre lui refusant le bénéfice de l'allocation de reconnaissance ;

2. Considérant que M. Menchon soutient que la condition relative au statut civil de droit local a été abrogée tant par la loi du 23 février 2005 que par la décision n° 2010-93 QPC du Conseil constitutionnel du 4 février 2011, et que le maintien de cette condition serait, en tout état de cause, constitutif d'une discrimination illégale envers les anciens membres des formations supplétives de statut civil de droit commun ;

3. Considérant que le premier alinéa de l'article 9 de la loi du 16 juillet 1987 relative au règlement de l'indemnisation des rapatriés a instauré une allocation forfaitaire pour les " anciens harkis, moghaznis et personnels des diverses formations supplétives ayant servi en Algérie, qui ont conservé la nationalité française en application de l'article 2 de l'ordonnance n° 62-825 du 21 juillet 1962 relative à certaines dispositions concernant la nationalité française, prises en application de la loi n° 62-421 du 13 avril 1962 et qui ont fixé leur domicile en France " ; que l'article 2 de l'ordonnance du 21 juillet 1962 ouvre le bénéfice de la naturalisation aux " personnes de statut civil de droit local originaires d'Algérie " ainsi qu'à leurs enfants ; que la loi du 23 février 2005 a modifié le dispositif relatif à " l'allocation de reconnaissance " ouvert, sous le nom de " rente viagère ", par le I de l'article 47 de la loi du 30 décembre 1999 de finances rectificative pour 1999 au bénéfice des personnes désignées au premier alinéa de l'article 9 de la loi du 16 juillet 1987, auquel renvoie le premier alinéa de l'article 2 de la loi du 11 juin 1994 relative aux rapatriés anciens membres des formations supplétives et assimilés ou victimes de la captivité en Algérie, mentionné à ce I ; qu'aux termes de l'article 9 de la loi du 23 février 2005 : " Par dérogation aux conditions fixées pour bénéficier de l'allocation de reconnaissance et des aides spécifiques au logement mentionnées aux articles 6 et 7, le ministre chargé des rapatriés accorde le bénéfice de ces aides aux anciens harkis et membres des formations supplétives ayant servi en Algérie ou à leurs veuves, rapatriés, âgés de soixante ans et plus, qui peuvent justifier d'un domicile continu en France ou dans un autre Etat membre de la Communauté européenne depuis le 10 janvier 1973 et qui ont acquis la nationalité française avant le 1er janvier 1995 " ;

4. Considérant que, par sa décision n° 2010-93 QPC du 4 février 2011, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution les dispositions qui, dans le premier alinéa de l'article 9 de la loi du 16 juillet 1987, le dernier alinéa de l'article 2 de la loi du 11 juin 1994, le paragraphe I bis de l'article 47 de la loi n° 99-1173 du 30 décembre 1999, les sixième et septième alinéas de l'article 6 et l'article 9 de la loi du 23 février 2005, mentionnaient l'acquisition ou la possession de la nationalité française, dont celles qui, par les renvois qu'elles opéraient, réservaient aux seuls ressortissants de statut civil de droit local le bénéfice de l'allocation de reconnaissance ; que cette déclaration d'inconstitutionnalité prend effet à compter de sa date de publication au Journal officiel, le 5 février 2011, et peut être invoquée dans les instances en cours à cette date et dont l'issue dépend de l'application des dispositions déclarées inconstitutionnelles ; que, dès lors, en se fondant sur les dispositions de l'article 9 de la loi du 23 février 2005 pour juger que M. Menchon n'avait pas droit à l'allocation de reconnaissance au motif qu'il relevait, avant l'indépendance de l'Algérie, du statut civil de droit commun, la cour administrative d'appel de Bordeaux a commis une erreur de droit ; que, par suite, M. Menchon est fondé à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;

5. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

6. Considérant qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, le Premier ministre ne pouvait pas, sans commettre une erreur de droit, se fonder sur la circonstance que M. Menchon était soumis au statut civil de droit commun et non au statut civil de droit local pour lui refuser l'allocation litigieuse ; qu'il résulte de ce qui précède que M. Menchon est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande ;

7. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 500 euros au titre des frais exposés par M. Menchon tant devant la cour administrative d'appel de Bordeaux que devant le Conseil d'Etat et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : L'arrêt de cour administrative d'appel de Bordeaux du 1er juin 2010 et le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 15 octobre 2009 sont annulés

Article 2 : La décision du premier ministre du 29 septembre 2008 refusant à M. Menchon le bénéfice de l'allocation de reconnaissance allouée aux anciens membres des forces supplétives ayant servi en Algérie est annulée.

Article 3 : L'Etat versera M. Menchon une somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. Frédéric Menchon et au Premier ministre (Mission interministérielle aux rapatriés).

Délibéré dans la séance du 13 février 2013 où siégeaient : M. Edmond Honorat, Président adjoint de la Section du Contentieux, présidant ; M. Thierry Tuot, M. Jean-Pierre Jouguelet, Présidents de sous-section ; M. Alain Christnacht, M. Jean-François Mary, Mme Eliane Chemla, Conseillers d'Etat ; M. Tanneguy Larzul, Conseiller d'Etat-rapporteur ; M. Philippe Josse et M. Pierre Collin, Conseillers d'Etat.

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