CONSEIL D'ETAT
Statuant au contentieux
N°
342642
COMMUNAUTE DE COMMUNES DE VERDUN
M. Fabrice Aubert, Rapporteur
M. Nicolas Boulouis, Rapporteur public
Séance du 10 octobre 2011
Lecture du
18 novembre 2011
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d'Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 7ème et 2ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 7ème sous-section de la Section du contentieux
Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 23 août et 23 novembre 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la COMMUNAUTE DE COMMUNES DE VERDUN, dont le siège est au 11 rue Poincaré BP 80719 à Verdun (55017) ; la communauté de communes demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt n° 08NC01057 du 21 juin 2010 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a, d'une part, rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement n° 0500720 du 6 mai 2008 par lequel le tribunal administratif de Nancy l'a condamnée à verser à la SAEML Sovameuse une indemnité de 240 000 euros, tous intérêts confondus, au titre de prestations supplémentaires exécutées par elle dans le cadre d'un contrat conclu pour l'élimination des ordures ménagères et a, d'autre part, porté la somme due à la SAEML Sovameuse à 299 441 euros TTC ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de la SAEML Sovameuse la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Fabrice Aubert, Auditeur,
- les observations de la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la COMMUNAUTE DE COMMUNES DE VERDUN et de la SCP Monod, Colin, avocat de la société SAEML Sovameuse,
- les conclusions de M. Nicolas Boulouis, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la COMMUNAUTE DE COMMUNES DE VERDUN et à la SCP Monod, Colin, avocat de la société SAEML Sovameuse ;
Considérant qu'il résulte des pièces du dossier soumis au juge du fond que le SIVOM de l'agglomération verdunoise a passé en 1992, avec la SAEML Sovameuse, un marché de services portant sur la collecte, le transport et le traitement de déchets, ainsi que la mise à disposition de bacs à ordures ; que l'appel d'offres portait sur une capacité de 1 300 000 litres de déchets, sur la base duquel a été fixé la rémunération du cocontractant ; que le marché a été toutefois conclu pour un volume de 1 595 900 litres, sans ajustement contractuel de cette rémunération ; qu'à ce volume révisé s'est ajouté un volume de 206 520 litres supplémentaires, fourni sans ordre de service par la SAEML Sovameuse, afin de répondre à l'augmentation de la population durant la période d'exécution du contrat ; qu'en vue d'obtenir une rémunération correspondant au volume contractuel révisé et ses prestations supplémentaires, la SAEML Sovameuse a saisi le tribunal administratif de Nancy puis la cour administrative d'appel de Nancy qui, relevant l'incapacité du SIVOM pour conclure le contrat faute d'en avoir reçu compétence de la part des communes concernées, a constaté sa nullité par arrêt du 21 octobre 2004 devenu définitif ; que, sur le fondement de cette nullité, la société a recherché la responsabilité de la COMMUNAUTE DE COMMUNES DE VERDUN ayant succédé au SIVOM, afin d'être indemnisée de ses dépenses utiles et de son manque à gagner pour les volumes de prestations litigieux ; que le tribunal administratif de Nancy a fait droit à sa demande par jugement du 6 mai 2008 ; que, par l'arrêt attaqué, la cour administrative d'appel de Nancy a réformé ce jugement en portant à 299 441 euros TTC l'indemnité à verser par la COMMUNAUTE DE COMMUNES DE VERDUN à la SAEML Sovameuse ;
Considérant que le cocontractant de l'administration dont le contrat est entaché de nullité peut prétendre, sur un terrain quasi-contractuel, au remboursement de celles de ses dépenses prévues au contrat qui ont été utiles à la collectivité envers laquelle il s'était engagé ; que les fautes éventuellement commises par l'intéressé antérieurement à la signature du contrat sont sans incidence sur son droit à indemnisation au titre de l'enrichissement sans cause de la collectivité, sauf si le contrat a été obtenu dans des conditions de nature à vicier le consentement de l'administration ; que dans le cas où la nullité du contrat résulte d'une faute de l'administration, il peut en outre, sous réserve du partage de responsabilité découlant le cas échéant de ses propres fautes, prétendre à la réparation du dommage imputable à la faute de l'administration ; qu'à ce titre, il peut demander le paiement des sommes correspondant aux autres dépenses exposées par lui pour l'exécution du contrat et aux gains dont il a été effectivement privé par sa nullité, notamment du bénéfice auquel il pouvait prétendre, si toutefois l'indemnité à laquelle il a droit sur un terrain quasi-contractuel ne lui assure pas déjà une rémunération supérieure à celle que l'exécution du contrat lui aurait procurée ; que toutefois, si le cocontractant a lui-même commis une faute grave en se prêtant à la conclusion d'un marché dont, compte-tenu de son expérience, il ne pouvait ignorer l'illégalité, et que cette faute constitue la cause directe de la perte du bénéfice attendu du contrat, il n'est pas fondé à demander l'indemnisation de ce préjudice ;
Considérant que la cour, après avoir relevé que le contrat n'avait pas été obtenu dans des conditions de nature à vicier le consentement du SIVOM et que sa nullité résultait d'une faute de cette collectivité, a fait droit à la demande d'indemnisation de la SAEML Sovameuse à hauteur de l'ensemble de ses dépenses, utiles et non utiles, et de son manque à gagner " sur le double fondement de l'enrichissement sans cause résultant de l'accomplissement de ces prestations et de la faute quasi-délictuelle constituée du motif susmentionné de nullité du contrat " ; qu'en prononçant ainsi une indemnisation globale, sans examiner les fautes alléguées du cocontractant pour procéder à un éventuel partage des responsabilités sur le terrain
quasi-délictuel, la cour a entaché son arrêt d'insuffisance de motivation et d'erreur de droit ; que, par suite et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi l'arrêt doit être annulé ; qu'il n'y a dès lors pas lieu de statuer sur le pourvoi incident de la SAEML Sovameuse ;
Considérant qu'il a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;
Considérant que, par arrêt du 21 octobre 2004 devenu définitif, la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté, au motif que le contrat était entaché de nullité, les conclusions indemnitaires présentées par la SAEML Sovameuse sur le terrain de la responsabilité contractuelle ; que les conclusions de la SAEML Sovameuse dans le cadre de la présente action sont présentées sur le fondement de causes juridiques différentes, que sont les responsabilités quasi-contractuelle et quasi-délictuelle ; que, par suite, le moyen tiré de ce que le tribunal administratif aurait méconnu l'autorité de la chose jugée par l'arrêt du 21 octobre 2004 doit être rejeté ;
Considérant que, contrairement à ce que soutient la communauté de communes, la SAEML Sovameuse l'a saisie d'une demande indemnitaire préalable, réceptionnée le 7 décembre 2004, de nature à lier le contentieux ; que, par suite, la communauté de communes n'est pas fondée à soutenir que les conclusions de la SAEML Sovameuse sont irrecevables ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment de l'arrêté du 27 décembre 2001 du préfet de la Meuse portant dissolution du SIVOM de l'agglomération verdunoise, que l'ensemble des actifs et passifs du SIVOM relatifs à la gestion des déchets ont été transférés à la COMMUNAUTE DE COMMUNES DE VERDUN, regroupant les mêmes communes ; que, par suite, la SAEML Sovameuse est fondée à rechercher la responsabilité de la communauté de communes du fait de la nullité du marché ;
Sur l'indemnisation des prestations prévues au contrat et non encore rémunérées :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que lors de la conclusion du marché, le cahier des clauses techniques particulières prévoyait la mise à disposition et le traitement d'un volume de 1 595 900 litres de bacs à déchets, dont 295 000 litres ont été fournis par la SAEML Sovameuse et n'ont pas été rémunérés par la COMMUNAUTE DE COMMUNES DE VERDUN ;
Considérant, d'une part, que s'agissant des dépenses utiles correspondant à ce volume de bacs prévu au contrat, la société est fondée à rechercher la responsabilité
quasi-contractuelle de la personne publique ; que, d'autre part, le SIVOM de l'agglomération verdunoise, auquel la communauté de communes a succédé, a commis une faute en signant un contrat portant sur le traitement des déchets, matière pour laquelle elle n'avait pas reçu compétence de la part de ses communes membres ; qu'à l'inverse, il ne saurait être reproché à la SAEML Sovameuse d'avoir contracté avec une collectivité dont elle n'avait pas de raison de douter de la compétence ; que, par suite, la société est fondée à demander l'indemnisation de ses dépenses utiles et non utiles, ainsi que de son manque à gagner correspondant au volume de 295 000 litres prévu au contrat et pour lequel elle n'a pas été rémunérée ;
Sur l'indemnisation des prestations supplémentaires :
Considérant, qu'il résulte de l'instruction que la société a fourni à la collectivité un volume de bacs supplémentaire de 206 520 litres non prévu au contrat afin de faire face à l'augmentation de la population ; que la collectivité, qui a été informée de l'exécution de ces prestations, impliquées nécessairement par la bonne exécution du service, ne s'y est pas opposée ; qu'elle doit ainsi être regardée comme ayant donné son consentement à l'exécution de ces prestations supplémentaires ; que, d'une part, la SAEML Sovameuse est fondée à demander, sur le terrain quasi-contractuel, l'indemnisation de ses dépenses utiles engagées pour la réalisation de ces prestations supplémentaires ; que, d'autre part, la société, qui n'a pas commis de faute en mettant des bacs supplémentaires à disposition avec le consentement de la personne publique, est fondée à demander sur le terrain quasi-délictuel l'indemnisation de ses dépenses non utiles et de son manque à gagner pour cette prestation ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la SAEML Sovameuse est fondée à solliciter l'indemnisation de l'ensemble des sommes demandées, pour un montant total de 299 411 euros TTC majoré des intérêts au taux légal avec capitalisation à compter du 7 décembre 2004 ;
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la COMMUNAUTE DE COMMUNES DE VERDUN au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu'il y a lieu, en revanche, de faire droit aux conclusions présentées par la SAEML Sovameuse au titre de ces dispositions et de mettre à la charge de la COMMUNAUTE DE COMMUNES DE VERDUN le versement d'une somme de 4 500 euros ;
D E C I D E :
Article 1er : L'arrêt du 21 juin 2010 de la cour administrative d'appel de Nancy est annulé.
Article 2 : La COMMUNAUTE DE COMMUNES DE VERDUN versera à la SAEML Sovameuse une somme de 299 441 euros TTC assortie des intérêts aux taux légal avec capitalisation à compter du 7 décembre 2004.
Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur le pourvoi incident de la SAEML Sovameuse.
Article 4 : La COMMUNAUTE DE COMMUNES DE VERDUN versera à la SAEML Sovameuse une somme de 4 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la COMMUNAUTE DE COMMUNES DE VERDUN et à la SAEML Sovameuse.
Délibéré dans la séance du 10 octobre 2011 où siégeaient : M. Christian Vigouroux, Président adjoint de la Section du Contentieux, Président ; M. Edmond Honorat, M. Rémy Schwartz, Présidents de sous-section ; Mme Dominique Laurent, M. Olivier Rousselle, M. Denis Prieur, M. Gilles Bardou, M. Jacques-Henri Stahl, Conseillers d'Etat et M. Fabrice Aubert, Auditeur-rapporteur.