CONSEIL D'ETAT
Statuant au contentieux
N° 383856
FEDERATION CGT DES PERSONNELS DU COMMERCE, DE LA DISTRIBUTION ET DES SERVICES et autre
Séance du 25 novembre 2015
Lecture du 7 décembre 2015
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d'Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 4ème et 5ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 4ème sous-section de la Section du contentieux
Vu la procédure suivante :
Le syndicat CGT Darty Ile-de-France a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler pour excès de pouvoir la décision née du silence gardé par le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France sur la demande de validation d'un accord collectif fixant le contenu d'un plan de sauvegarde de l'emploi présentée par l'unité économique et sociale Darty Ile-de-France. Par un jugement n° 1311393 du 7 février 2014, le tribunal administratif a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 14VE00884 du 24 juin 2014, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé contre ce jugement par le syndicat CGT Darty Ile-de-France.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 21 août et 20 novembre 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la fédération CGT des personnels du commerce, de la distribution et des services et le syndicat CGT Darty Ile-de-France demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à l'appel du syndicat CGT Darty Ile-de-France ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat, de la société Darty et fils et de la société A21 Darty Ile-de-France la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. David Moreau, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Gaëlle Dumortier, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat de la fédération CGT des personnels du commerce, de la distribution et des services et du syndicat CGT Darty Ile-de-France et à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la société établissement Darty et fils et de la société A21 Darty Paris Ile-de-France ;
1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les sociétés Darty et fils et A21 Darty Paris Ile-de-France, constituant l'unité économique et sociale Darty Ile-de-France, ont engagé le 26 août 2013 une procédure d'information et de consultation de leur comité d'entreprise sur un projet de réorganisation comportant un projet de licenciement collectif pour motif économique et un plan de sauvegarde de l'emploi ; que, parallèlement à cette procédure d'information et de consultation, une négociation conduite à partir du 27 août 2013 a abouti à la conclusion, le 12 septembre 2013, d'un accord collectif majoritaire portant sur le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi ; que cet accord, transmis à la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France, a été implicitement validé par l'administration le 3 octobre 2013 ; que la fédération CGT des personnels du commerce, de la distribution et des services et le syndicat CGT Darty Ile-de-France se pourvoient en cassation contre l'arrêt du 24 juin 2014 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel de ce syndicat contre le jugement du 7 février 2014 du tribunal administratif de Montreuil rejetant sa demande d'annulation de cette décision de validation ;
Sur l'arrêt attaqué :
2. Considérant que la cour administrative d'appel de Versailles n'a pas répondu au moyen soulevé par le syndicat CGT Darty Ile-de-France, qui n'était pas inopérant, tiré de l'irrégularité de la procédure d'information et de consultation du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ; que, par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, son arrêt doit être annulé ;
3. Considérant que, le délai de trois mois imparti à la cour administrative d'appel pour statuer par les dispositions de l'article L. 1235-7-1 du code du travail étant expiré, il y a lieu pour le Conseil d'Etat, en application des mêmes dispositions, de statuer immédiatement sur l'appel formé par le syndicat CGT Darty Ile-de-France contre le jugement du 7 février 2014 du tribunal administratif de Montreuil ;
Sur la régularité du jugement :
4. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article R. 732-1 du code de justice administrative : " Après le rapport qui est fait sur chaque affaire par un membre de la formation de jugement ou par le magistrat mentionné à l'article R. 222-13, le rapporteur public prononce ses conclusions lorsque le présent code l'impose. Les parties peuvent ensuite présenter, soit en personne, soit par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, soit par un avocat, des observations orales à l'appui de leurs conclusions écrites " ; qu'il ressort des pièces du dossier que la Confédération autonome du travail, qui était signataire de l'accord du 12 septembre 2013 et avait par suite été appelée à l'instance devant le tribunal administratif en qualité de partie en défense, n'avait pas produit de mémoire écrit avant que l'affaire soit appelée à l'audience ; que si les dispositions citées ci-dessus ne lui conféraient aucun droit à présenter des observations orales à l'audience, la seule circonstance que le tribunal a autorisé son représentant à prendre la parole n'entache pas le jugement d'irrégularité ; que par ailleurs, contrairement à ce que soutiennent les requérants, il ne ressort pas des pièces du dossier que le tribunal se soit fondé, pour rejeter leur demande, sur des éléments de fait ou de droit nouveaux présentés dans ces observations orales ; que le moyen tiré de l'irrégularité du jugement doit, par suite, être écarté ;
Sur la légalité de la décision de validation :
5. Considérant qu'aux termes de l'article L. 1233-24-1 du code du travail : " Dans les entreprises de cinquante salariés et plus, un accord collectif peut déterminer le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi mentionné aux articles L. 1233-61 à L. 1233-63 ainsi que les modalités de consultation du comité d'entreprise et de mise en uvre des licenciements. Cet accord est signé par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives ayant recueilli au moins 50 % des suffrages exprimés en faveur d'organisations reconnues représentatives au premier tour des dernières élections des titulaires au comité d'entreprise ou de la délégation unique du personnel ou, à défaut, des délégués du personnel, quel que soit le nombre de votants (
) " ; qu'aux termes de l'article L. 1233-57-2 du même code : " L'autorité administrative valide l'accord collectif mentionné à l'article L. 1233-24-1 dès lors qu'elle s'est assurée de / : 1° Sa conformité aux articles L. 1233-24-1 à L. 1233-24-3 ; / 2° La régularité de la procédure d'information et de consultation du comité d'entreprise et, le cas échéant, du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail et de l'instance de coordination mentionnée à l'article L. 4616-1 ; / 3° La présence dans le plan de sauvegarde de l'emploi des mesures prévues aux articles L. 1233-61 et L. 1233-63 (
) " ;
En ce qui concerne la procédure d'information et de consultation des représentants du personnel :
6. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article L. 1233-30 du code du travail : " I.-Dans les entreprises ou établissements employant habituellement au moins cinquante salariés, l'employeur réunit et consulte le comité d'entreprise sur : / 1° L'opération projetée et ses modalités d'application, conformément à l'article L. 2323-15 ; / 2° Le projet de licenciement collectif : le nombre de suppressions d'emploi, les catégories professionnelles concernées, les critères d'ordre et le calendrier prévisionnel des licenciements, les mesures sociales d'accompagnement prévues par le plan de sauvegarde de l'emploi. / Les éléments mentionnés au 2° du présent I qui font l'objet de l'accord mentionné à l'article L. 1233-24-1 ne sont pas soumis à la consultation du comité d'entreprise prévue au présent article (
) " ; qu'il résulte de ces dispositions et des dispositions citées au point 5, notamment celles du 2° de l'article L. 1233-57-2 du code du travail, que, lorsqu'elle est saisie par l'employeur d'une demande de validation d'un accord collectif conclu sur le fondement de l'article L. 1233-24-1 et fixant le contenu d'un plan de sauvegarde de l'emploi, il appartient à l'administration de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, que la procédure d'information et de consultation du comité d'entreprise prescrite par ces dispositions a été régulière ; qu'elle ne peut ainsi légalement accorder la validation demandée que si le comité a été mis à même d'émettre régulièrement un avis, d'une part sur l'opération projetée et ses modalités d'application et, d'autre part, sur le projet de licenciement collectif et, à ce titre, sur le plan de sauvegarde de l'emploi ; que, l'employeur n'étant pas tenu de soumettre pour avis au comité d'entreprise les éléments du projet de licenciement collectif fixés par l'accord collectif majoritaire qu'il soumet à la validation de l'administration, le moyen tiré de ce que la décision validant un tel accord serait illégale en raison d'un vice affectant la consultation du comité d'entreprise sur ces mêmes éléments est inopérant ;
7. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que l'accord collectif soumis à la validation de l'autorité administrative comportait l'intégralité des éléments mentionnés au 2° du I de l'article L. 1233-30 du code du travail et fixait à ce titre, notamment, le nombre de postes dont la suppression était envisagée et les modalités de reclassement des salariés dont le licenciement ne pouvait être évité ; que ces derniers éléments n'avaient, ainsi qu'il vient d'être dit, pas à être soumis pour avis au comité d'entreprise ; que si, en l'espèce, l'employeur les lui a tout de même soumis, en vue de pouvoir les faire figurer dans le document qu'il entendait édicter de manière unilatérale en cas d'échec des négociations, le syndicat requérant ne saurait utilement soutenir, pour demander l'annulation de la décision de validation de l'accord collectif, que ces éléments n'ont pas été portés à la connaissance du comité d'entreprise dans des conditions lui permettant de se prononcer en toute connaissance de cause ;
8. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article L. 2325-1 du code du travail, le comité d'entreprise " est présidé par l'employeur, assisté éventuellement de deux collaborateurs qui ont voix consultative " ; que, s'il ressort des pièces du dossier que l'employeur était, lors des réunions du comité d'entreprise, assisté d'un collaborateur de plus que le nombre prévu par ces dispositions, il n'est ni établi ni même sérieusement soutenu que cette présence a pu exercer une influence sur les membres du comité d'entreprise ;
9. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article L. 1233-57-6 du code du travail : " L'administration peut, à tout moment en cours de procédure, faire toute observation ou proposition à l'employeur concernant le déroulement de la procédure ou les mesures sociales prévues à l'article L. 1233-32. Elle envoie simultanément copie de ses observations au comité d'entreprise ou, à défaut, aux délégués du personnel et, lorsque la négociation de l'accord visé à l'article L. 1233-24-1 est engagée, aux organisations syndicales représentatives dans l'entreprise. / L'employeur répond à ces observations et adresse copie de sa réponse aux représentants du personnel et, le cas échéant, aux organisations syndicales " ; que l'obligation ainsi faite à l'employeur d'adresser aux représentants du personnel et, le cas échéant, aux organisations syndicales, la copie des réponses qu'il fait à l'administration, ne trouve à s'appliquer que dans les cas où l'administration lui a fait des observations ou des propositions au sens de cet article ;
10. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que par un message électronique du 6 septembre 2013, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France a sollicité l'employeur en vue de recueillir un certain nombre d'informations dans le cadre de l'instruction d'une demande d'injonction formulée par le syndicat CGT Darty Ile-de-France sur le fondement des dispositions de l'article L. 1233-57-5 du code du travail ; que les demandes ainsi adressées à l'employeur ne pouvant être regardées comme ayant, en l'espèce, le caractère d'observations ou de propositions au sens de l'article L. 1233-57-6 du même code, le moyen tiré de ce que l'employeur aurait méconnu les dispositions de cet article en ne communiquant pas sa réponse du 9 septembre 2013 aux représentants du personnel et aux organisations syndicales ne peut qu'être écarté ;
1
1. Considérant, en quatrième lieu, qu'aux termes de l'article L. 4612-8 du code du travail, dans sa rédaction alors en vigueur : " Le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail est consulté avant toute décision d'aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail et, notamment, avant toute transformation importante des postes de travail découlant de la modification de l'outillage, d'un changement de produits ou de l'organisation du travail (
) " ; qu'il résulte de ces dispositions et de celles du 2° de l'article L. 1233-57-2 citées au point 5 que, lorsque l'autorité administrative est saisie d'une demande de validation d'un accord collectif fixant le contenu d'un plan de sauvegarde de l'emploi pour une opération qui, parce qu'elle modifie de manière importante les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail des salariés de l'entreprise, requiert la consultation du ou des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail concernés, elle ne peut légalement accorder la validation demandée que si cette consultation a été régulière ;
12. Considérant que le syndicat CGT Darty Ile-de-France soutient que la consultation du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail du " Service après vente " était irrégulière au motif que la version finale du plan de sauvegarde de l'emploi remise en séance, lors de la réunion de ce comité le 4 septembre 2013, différait de la version du plan envoyée avec la convocation à cette réunion, en comportant notamment un nombre de licenciements moins important ; que, toutefois, il ressort des pièces du dossier que ces modifications, au demeurant très clairement mentionnées dans la version distribuée en séance aux membres du comité, n'ont, eu égard à leur nature et à leur importance, pas fait obstacle à ce que ce comité exprime son avis en toute connaissance de cause ; que le moyen doit, par suite, être écarté ;