Jurisprudence : CE 9/10 SSR, 09-10-2015, n° 373654, mentionné aux tables du recueil Lebon

CE 9/10 SSR, 09-10-2015, n° 373654, mentionné aux tables du recueil Lebon

A1177NTR

Identifiant européen : ECLI:FR:CESSR:2015:373654.20151009

Identifiant Legifrance : CETATEXT000031309603

Référence

CE 9/10 SSR, 09-10-2015, n° 373654, mentionné aux tables du recueil Lebon. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/26539929-ce-910-ssr-09102015-n-373654-mentionne-aux-tables-du-recueil-lebon
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Abstract

Le versement d'une indemnité au titre d'une résiliation anticipée d'un bail commercial ne peut avoir un but exclusivement fiscal, et constituer un abus de droit, lorsqu'à la suite de cette résiliation, le bailleur a disposé librement des locaux commerciaux dont il était propriétaire et a loué ceux-ci, après la réalisation de divers travaux d'aménagement, à des conditions plus avantageuses.



CONSEIL D'ETAT

Statuant au contentieux

373654

SOCIETE SOLITEL

Mme Séverine Larere, Rapporteur
M. Frédéric Aladjidi, Rapporteur public

Séance du 23 septembre 2015

Lecture du 9 octobre 2015

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


Le Conseil d'Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 9ème et 10ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 9ème sous-section de la Section du contentieux


Vu la procédure suivante :

La société Solitel a demandé au tribunal administratif de Pau de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contribution additionnelle à cet impôt auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 1999. Par un jugement n° 0701331 du 4 juin 2009, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 09BX01885 du 6 juillet 2010, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté l'appel formé par la société Solitel contre ce jugement.

Par une décision n° 343265 du 28 mars 2013, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé cet arrêt et a renvoyé l'affaire à cette cour.

Statuant à nouveau par un arrêt n° 13BX00984 du 1er octobre 2013, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté l'appel de la société Solitel.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 2 décembre 2013, 3 mars 2014 et 9 mars 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Solitel demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce dernier arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Séverine Larere, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Frédéric Aladjidi, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Célice, Blancpain, Soltner, Texidor, avocat de la société Solitel ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 24 septembre 2015, présentée pour la société Solitel ;



1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la SARL Solitel a acquis, en mars 1998, la propriété d'un immeuble situé à Lourdes, dont une partie du rez-de-chaussée était affectée à une activité commerciale de restauration ; que ce fonds de commerce était exploité en vertu d'un bail commercial consenti, le 29 novembre 1973, à M. et Mme A. et renouvelé, en dernier lieu, le 1er décembre 1991 pour une durée de neuf ans, moyennant un loyer annuel de 78 383 francs pour 1999 et d'un contrat de location-gérance consenti, le 18 janvier 1992, par les époux A. à la SARL A., dont M. A. était le gérant, pour une durée d'un an renouvelable par tacite reconduction, moyennant une redevance annuelle de 240 000 francs ; que, par un acte du 25 mars 1999, les époux A. et la SARL Solitel sont convenus de la résiliation anticipée, au 15 novembre 1999, du bail moyennant le versement aux époux A. d'une indemnité de résiliation de 6 200 000 francs ; que les locaux ont ensuite été loués, aux termes d'un acte du 23 mars 2000, à la SARL Selt, dont le gérant était cogérant de la SARL Solitel et les associés également associés de la SARL Solitel, pour un loyer annuel de 460 000 francs ; qu'à l'occasion d'une vérification de comptabilité, l'administration a estimé que l'indemnité versée en 1999 par la SARL Solitel aux époux A. au titre de la résiliation du bail avait, en réalité, été versée pour l'acquisition de la clientèle attachée au fonds de commerce qu'ils exploitaient ; qu'elle a, en conséquence, remis en cause, sur le fondement de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, la déduction de cette indemnité au titre des charges déductibles du bénéfice imposable ; que la société a contesté les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et les pénalités résultant de ce redressement ; que, par un jugement du 4 juin 2009, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande ; que, par l'arrêt attaqué du 1er octobre 2013, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté l'appel dirigé contre ce jugement ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction alors applicable : " Ne peuvent être opposés à l'administration des impôts les actes qui dissimulent la portée véritable d'un contrat ou d'une convention à l'aide de clauses : / (.) b) Ou qui déguisent soit une réalisation, soit un transfert de bénéfices ou de revenus ; (.) / L'administration est en droit de restituer son véritable caractère à l'opération litigieuse. En cas de désaccord sur les redressements notifiés sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité consultatif pour la répression des abus de droit. / (.) Si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé du redressement " ; qu'il résulte de ces dispositions que l'administration est fondée à écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable, dès lors que ces actes ont un caractère fictif, ou que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles ;

3. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la résiliation anticipée du bail commercial dont étaient titulaires les époux A. et le versement à leur profit d'une indemnité de résiliation ont permis à la SARL Solitel de disposer librement, un an avant l'expiration du bail, des locaux dont elle était propriétaire et de les louer, après y avoir réalisé des travaux, à des conditions plus avantageuses ; que, par suite, et à supposer même que l'indemnité versée au preneur ait correspondu, en tout ou partie, à l'acquisition de la clientèle attachée au fonds de commerce, la cour a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis en jugeant que la résiliation anticipée du bail et le versement d'une indemnité aux époux A. n'avaient été inspirés par aucun motif autre que fiscal ; que la société Solitel est, dès lors, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de son pourvoi, fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque ;

4. Considérant qu'aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire " ; qu'il y a lieu, par suite, de régler l'affaire au fond ;

5. Considérant qu'il résulte de ce qui vient d'être dit qu'en justifiant que la résiliation anticipée du bail commercial consenti aux époux A. et le versement d'une indemnité à leur profit lui avaient permis de disposer librement des locaux commerciaux dont elle était propriétaire et de louer ceux-ci, après la réalisation de divers travaux d'aménagement, à des conditions plus avantageuses, la société Solitel apporte la preuve, qui lui incombe dès lors que l'administration avait suivi l'avis du comité consultatif pour la répression des abus de droit, que cette opération ne poursuivait pas un but exclusivement fiscal ;

6. Considérant que le ministre demande toutefois, à titre subsidiaire, de fonder le redressement litigieux, par une substitution de base légale, sur les dispositions du 2 de l'article 38 du code général des impôts selon lesquelles " Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt diminuée des suppléments d'apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l'exploitant ou par les associés. L'actif net s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés " ; qu'il soutient que l'indemnité de résiliation versée aux époux A. constitue le prix versé par la SARL Solitel pour l'acquisition d'un élément devant être inscrit à l'actif de la société en application de ces dispositions ;

Sur la possibilité de procéder à une substitution de base légale :

7. Considérant que l'administration peut, à tout moment de la procédure, invoquer un nouveau motif de droit propre à justifier l'imposition ; qu'une telle substitution de base légale ne saurait, toutefois, avoir pour effet de priver le contribuable des garanties de procédure prévues par la loi et notamment de la faculté, prévue par les articles L. 59 et L. 59 A du livre des procédures fiscales, de demander la saisine de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, lorsque celle-ci est compétente pour connaître du différend ;

8. Considérant que, dans sa rédaction applicable à la procédure en cause, l'article L. 59 A du livre des procédures fiscales disposait que " La commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires intervient : 1° Lorsque le désaccord porte soit sur le montant du bénéfice industriel et commercial, du bénéfice non commercial, du bénéfice agricole ou du chiffre d'affaires, déterminé selon un mode réel d'imposition, soit sur la valeur vénale des immeubles, des fonds de commerce, des parts d'intérêts, des actions ou des parts de sociétés immobilières servant de base à la taxe sur la valeur ajoutée (.) " ; que la question de savoir si une indemnité dite " de résiliation " constitue une charge déductible du résultat imposable ou est la contrepartie de l'acquisition d'un élément d'actif, soulevée par la nouvelle base légale invoquée par le ministre, constitue une question de droit qui ne relève pas de la compétence de la commission départementale telle que définie par ces dispositions ; que, par suite, la société Solitel n'est pas fondée à soutenir que la substitution de base légale sollicitée par le ministre aurait pour effet de la priver du droit de demander la saisine de cette commission ;

Au fond :

9. Considérant qu'il résulte de l'instruction que les époux A. se sont engagés, par l'acte de résiliation du 15 novembre 1999, à ne pas gérer ou exploiter directement ou indirectement un fonds de commerce similaire à celui précédemment exploité durant cinq années, dans un rayon de cinq cents mètres ; que, de son côté, la société Selt a poursuivi, dans les locaux précédemment exploités par la SARL A., une activité de restauration analogue après n'avoir acquis auprès de cette dernière et des époux A., le 15 novembre 1999, soit avant même d'être titulaire du bail commercial, que des installations et matériels divers ainsi que la licence IV pour la vente de boissons ; que le loyer versé par la société Selt à la société Solitel, pour la seule location des locaux, dont la superficie a certes été augmentée de 20 % et qui ont fait l'objet de travaux d'aménagement, excède de plus de cinq fois le loyer précédemment acquitté par les époux A. et était nettement supérieur aux prix du marché ; qu'enfin, les sociétés Selt et Solitel appartiennent à un même groupe familial et qu'il existe ainsi entre elles une communauté d'intérêts ; que, dans ces conditions, l'indemnité de résiliation versée par la société Solitel aux époux A. doit être regardée comme lui ayant permis d'acquérir les éléments du fonds de commerce exploité par ces derniers dont elle a ensuite confié l'exploitation à la société Selt ; qu'ainsi, cette indemnité, dont il résulte de l'instruction que le montant correspondait à la valeur du fonds de commerce, doit être regardée comme la contrepartie de l'acquisition d'un élément d'actif et non comme une charge déductible du bénéfice imposable de la société Solitel ; qu'il y a lieu, dès lors, de faire droit à la demande de substitution de base légale formulée par le ministre ;

Sur les pénalités :

10. Considérant qu'aux termes du 1 de l'article 1729 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à la présente procédure : "Lorsque la déclaration ou l'acte mentionnés à l'article 1728 font apparaître une base d'imposition ou des éléments servant à la liquidation de l'impôt insuffisants, inexacts ou incomplets, le montant des droits mis à la charge du contribuable est assorti de l'intérêt de retard visé à l'article 1727 et d'une majoration de 40 p. 100 si la mauvaise foi de l'intéressé est établie ou de 80 p. 100 s'il s'est rendu coupable de manœuvres frauduleuses ou d'abus de droit au sens de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales " ; que le ministre sollicite la substitution de la majoration de 40 % pour mauvaise foi à la majoration de 80 % pour abus de droit dont les impositions en litige ont été initialement assorties ; qu'en se bornant, toutefois, à soutenir que le fait de porter en charges d'exploitation une indemnité de résiliation qui constitue, en réalité, le prix d'acquisition d'un fonds de commerce caractérise l'intention délibérée du contribuable d'éluder l'impôt, il n'établit pas, dans les circonstances de l'espèce, la mauvaise foi de la société Solitel ; qu'il y a lieu, en conséquence, de rejeter ses conclusions et de prononcer la décharge de la majoration de 80% dont les impositions en litige ont été assorties ;

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1. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société Solitel est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Pau a rejeté ses conclusions tendant à la décharge de la pénalité de 80% qui lui a été infligée ;

12. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;



D E C I D E :

Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 1er octobre 2013 est annulé.

Article 2 : La société Solitel est déchargée de la majoration de 80 % mise à sa charge.

Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Pau du 4 juin 2009 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.

Article 4 : L'Etat versera à la société Solitel une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la société Solitel est rejeté.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à la société Solitel et au ministre des finances et des comptes publics.


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