Vu la procédure suivante :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 6 janvier, 12 mai et 25 mai 2015, M. A., représenté par Me Blanc, demande au tribunal :
1°) d'annuler la décision du 6 octobre 2014 par laquelle Mme B., vice-présidente de l'Assemblée nationale, lui a infligé la sanction de rappel à l'ordre avec inscription au procès-verbal, ainsi que, à la suite de son recours gracieux devant le président de l'Assemblée nationale, la décision du Bureau de l'Assemblée nationale du 12 novembre 2014 confirmant cette sanction ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme d'un euro au titre du préjudice moral ainsi qu'une somme égale au quart de l'indemnité parlementaire dont il a été privé pendant un mois ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'
article L. 761-1 du code de justice administrative🏛 ;
4°) d'enjoindre au président de l'Assemblée nationale de donner lecture du jugement à intervenir à la tribune de l'Assemblée nationale, sur le fondement des
articles L. 911-1 et suivants du code de justice administrative🏛 ;
5°) de faire application des dispositions de l'
article R. 625-3 du code de justice administrative🏛 en invitant l'Académie française à éclairer le tribunal.
Il soutient que :
- le tribunal administratif de Paris est compétent pour statuer sur sa requête, la sanction étant une sanction administrative, et la responsabilité administrative de l'Etat étant en cause ;
- le présent litige est totalement détachable de la procédure législative ;
- la requête est recevable ;
- la sanction du 6 octobre 2014 a été prise par une autorité incompétente, l'
article 11 du règlement de l'Assemblée nationale conférant au seul président le pouvoir de sanction ;
- elle est entachée d'un vice de procédure, faute d'avoir respecté les droits de la défense prévus par la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000🏛 et mis en oeuvre une procédure contradictoire ;
- elle est entachée d'un défaut de motivation au regard de l'
article 1er de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979🏛 ;
- elle a violé l'article 2 de la Constitution dès lors que M. A. s'est conformé aux règles de la langue française ;
- elle a violé l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dès lors que la sanction infligée constitue une peine automatique ;
- elle a violé l'
article 10 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales🏛 qui protègent la liberté d'expression ;
- elle manque de base légale dès lors qu'elle ne respecte pas les dispositions de l'article 71 du règlement de l'Assemblée nationale ;
- elle est disproportionnée au regard des exigences issues de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et de l'article 10 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est constitutive d'un détournement de pouvoir dès lors qu'elle est due à un mobile politique ;
- la décision du 12 novembre 2014 rejetant son recours gracieux est illégale par voie de conséquence ;
- le bureau de l'Assemblée nationale, qui n'est pas une instance indépendante, ne saurait être regardé comme une juridiction au sens donné à ce terme par la jurisprudence de la CEDH ;
- l'illégalité de la sanction est de nature à engager la responsabilité pour faute de l'Etat, à titre principal, dans les conditions prévues par l'article 8 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, dès lors que la sanction prononcée est contraire aux règles juridiques supérieures ;
- la décision litigieuse ayant des conséquences sur le traitement financier de M. A., et sur son statut, le " droit à l'accès à un Tribunal " prévu par le droit conventionnel est parfaitement applicable et que l'intégralité des exigences de l'article 6 de la CEDH s'appliquent ;
- à titre subsidiaire, la responsabilité de l'Etat est engagée sur le fondement de la rupture d'égalité devant les charges publiques ;
- le préjudice moral peut être estimé à un euro et le préjudice matériel au quart de l'indemnité parlementaire dont il a été privé ;
Par des mémoires en défense, enregistrés le 4 mars et le 21 mai 2015, le président de l'Assemblée nationale, représenté par la Selas Arco-Legal, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge du requérant la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le juge administratif n'est pas compétent pour connaître de la présente requête ;
- les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution ;
- la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, notamment son article 16 ;
- la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et notamment son article 6§1 et son
article 10 ;
- l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958🏛 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, et notamment son article 8 ;
- le règlement de l'Assemblée nationale, et notamment son article 71 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A ;
- les conclusions de Mme Weidenfeld, rapporteur public ;
- les observations de Me Blanc, pour M. A., de M. A., et les observations de Me Fergon pour le président de l'Assemblée nationale.
1. Considérant qu'à la suite d'un incident ayant opposé, lors des débats publics de la séance du 6 octobre 2014 de l'Assemblée nationale, M. A., député, à Mme C., présidente de séance, celle-ci lui ayant demandé, à plusieurs reprises, de l'appeler Madame la présidente et non Madame le président, un rappel à l'ordre avec inscription au procès-verbal a été prononcé à son encontre ; que, sur recours de M. Aa devant le président de l'Assemblée nationale, le Bureau a confirmé cette sanction, qui emporte privation du quart de l'indemnité parlementaire durant un mois ; que, par la présente requête, M. A. demande l'annulation de la sanction qui lui a été infligée par la présidente de séance le 6 octobre 2014 et de la décision du Bureau de l'Assemblée nationale le 12 novembre 2014 confirmant cette sanction, ainsi que la réparation du préjudice moral et matériel qu'il estime avoir subi du fait de cette sanction ;
Sur la compétence de la juridiction administrative :
2. Considérant, d'une part, que le règlement de l'Assemblée nationale détermine les peines disciplinaires applicables aux membres de l'Assemblée ; qu'en vertu de l'article 70 de ce règlement, dans sa version alors en vigueur : " Les peines disciplinaires applicables aux membres de l'Assemblée sont : / - le rappel à l'ordre ; / - le rappel à l'ordre avec inscription au procès-verbal ; / - la censure ; / - la censure avec exclusion temporaire. " ; qu'aux termes de l'article 71 du même règlement : " ( ) Toute manifestation ou interruption troublant l'ordre est interdite. Est rappelé à l'ordre tout orateur qui trouble cet ordre. ( ) / Est rappelé à l'ordre avec inscription au procès-verbal tout député qui, dans la même séance, a encouru un premier rappel à l'ordre. / Est également rappelé à l'ordre avec inscription au procès-verbal tout député qui se livre à une mise en cause personnelle, qui interpelle un autre député ou qui adresse à un ou plusieurs de ses collègues des injures, provocations ou menaces. / Le rappel à l'ordre avec inscription au procès-verbal comporte de droit la privation, pendant un mois, du quart de l'indemnité parlementaire allouée aux députés. " ;
3. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'
article 8 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958🏛 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires : " L'Etat est responsable des dommages de toute nature causés par les services des assemblées parlementaires. Les actions en responsabilité sont portées devant les juridictions compétentes pour en connaître. / Les agents titulaires des services des assemblées parlementaires sont des fonctionnaires de l'Etat ..La juridiction administrative est appelée à connaître de tous litiges d'ordre individuel concernant ces agents, et se prononce au regard des principes généraux du droit et des garanties fondamentales reconnues à l'ensemble des fonctionnaires civils et militaires de l'Etat ../ La juridiction administrative est également compétente pour se prononcer sur les litiges individuels en matière de marchés publics. / Dans les instances ci-dessus visées, qui sont les seules susceptibles d'être engagées contre une assemblée parlementaire, l'Etat est représenté par le président de l'assemblée intéressée . " ;
4. Considérant, enfin, qu'aux termes de l'article 6§1 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement ( ) par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera ( ) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil ( ) " ;
5. Considérant que l'acte par lequel le président de l'Assemblée nationale inflige à un député une sanction instituée par le règlement, en raison de son comportement au cours d'un débat parlementaire, n'est pas détachable de l'exercice de la fonction législative dévolue au Parlement par la Constitution ; qu'ainsi, le litige dont M. Aa a saisi le Tribunal ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative ; que s'il fait valoir, à l'appui de ses conclusions, que l'article 6§1 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales impose l'ouverture d'un recours juridictionnel à l'encontre de telles décisions, la circonstance que le règlement de l'Assemblée nationale ne prévoie, en son état actuel, aucune voie de recours contre les sanctions infligées à ses membres ne saurait, en tout état de cause, avoir pour conséquence d'autoriser le juge administratif à se déclarer compétent ;
6. Considérant que, dès lors qu'il n'appartient pas au juge administratif de connaître de la légalité des sanctions infligées par les organes d'une assemblée parlementaire à ses membres, il ne lui appartient pas davantage de connaître des actions tendant à obtenir réparation des préjudices résultant directement de la mise en oeuvre de ce pouvoir disciplinaire ; que par ailleurs ces préjudices ne sauraient être regardés comme des " dommages causés par les services des assemblées parlementaires " au sens des dispositions précitées de l'ordonnance du 17 novembre 1958 ;
7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la requête de M. A. ne peut qu'être rejetée comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
8. Considérant, d'une part, que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que le président de l'Assemblée nationale, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamné à payer à M. A., la somme que celui-ci demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ; que, d'autre part, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de M. A. la somme que le président de l'Assemblée nationale demande au titre des mêmes dispositions ;