Jurisprudence : CE 3/8 SSR, 06-03-2002, n° 187871

ARRÊT DU CONSEIL D'ETAT

CONSEIL D'ETAT

Statuant au contentieux

N° 187871

SOCIETE LE MIRADOR

M. Sauron, Rapporteur
M. Bachelier, Commissaire du gouvernement

Séance du 6 février 2002
Lecture du 6 mars 2002

G 48

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d'Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 8ème et 3ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 8ème sous-section de la Section du contentieux

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 20 mai et 22 septembre 1997 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE LE MIRADOR, dont le siège est 47, avenue Est La Pointe à Lege-Cap-Ferret (33950), représentée par son gérant en exercice ; la SOCIETE LE MIRADOR demande au Conseil d'Etat

1°) d'annuler l'article 2 de l'arrêt du 18 mars 1997 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux, après avoir prononcé un non-lieu dans la limite des dégrèvements prononcés en cours d'instance au titre de l'année 1982, a rejeté le surplus des conclusions de sa requête tendant à l'annulation de l'article 2 du jugement du 2 juin 1993 du tribunal administratif de Bordeaux rejetant sa demande en décharge des cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 1982 à 1984 dans les rôles de la commune de Lège-Cap-Ferret, département de la Gironde ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 15 000 F au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique

- le rapport de M. Sauron, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Bachellier, Potier de la Varde, avocat de la SOCIETE LE MIRADOR,

- les conclusions de M. Bachelier, Commissaire du gouvernement;

Considérant que la SOCIETE LE MIRADOR, qui exploite à Lège-Cap-Ferret un bar-restaurant-crêperie, a fait l'objet d'une vérification de sa comptabilité au titre des exercices clos en 1981, 1982, 1983 et 1984 ; qu'après avoir écarté sa comptabilité comme non probante, le vérificateur a reconstitué ses recettes en appliquant aux achats revendus au cours des trois derniers exercices vérifiés un coefficient dégagé à partir des résultats du premier exercice, que devant la cour administrative d'appel de Bordeaux, elle a soutenu que le vérificateur avait ainsi utilisé une méthode excessivement sommaire et viciée dans son principe, dès lors que d'une part le quart du stock d'entrée du premier exercice vérifié avait été acheté à un tarif préférentiel à l'exploitant précédent, circonstance qui n'a pu se reproduire les années suivantes, et d'autre part que les conditions de fixation de ses prix de vente avaient été affectées, au cours des mêmes années, par la réglementation sur les prix et la variation du taux de la taxe sur la valeur ajoutée applicable ; qu'elle a également fait valoir devant la cour que la méthode de reconstitution ainsi retenue par le vérificateur aboutissait, pour l'exercice clos en 1982, à des recettes inférieures à celles qu'elle avait déclarées ; que pour juger néanmoins que la société ne démontrait pas que la méthode utilisée par le vérificateur était excessivement sommaire ou radicalement viciée dans son principe, la cour, après avoir relevé que le coefficient arrêté par le vérificateur avait été abaissé conformément à l'avis de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, s'est bornée à juger que la société n'établissait pas que ses conditions d'exploitation avaient été modifiées entre le premier exercice vérifié et les exercices suivants, qu'elle a ainsi insuffisamment motivé sa décision; qu'il y a lieu, pour ce seul motif, d'annuler l'article 2 de l'arrêt attaqué;

Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, par application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative de régler l'affaire au fond,

Considérant que la SOCIETE LE MIRADOR n'a pas produit dans les délais légaux les déclarations de résultat auxquelles elle était tenue pour les exercices clos en 1982, 1983 et 1984 ; que par suite l'administration était en droit de taxer d'office son bénéfice imposable au titre de chacun de ces exercices ; que l'absence de production des déclarations dans les délais légaux n'ayant pas été mise en évidence par la vérification de comptabilité à laquelle l'administration a procédé avant d'arrêter les bases d'imposition, les irrégularités dont serait entachée cette vérification sont, en tout état de cause, sans influence sur la régularité des impositions supplémentaires qui lui ont été assignées;

Considérant qu'en raison de la procédure d'office dont elle relève, et alors même que l'administration a utilisé la procédure contradictoire de redressement et soumis le litige à la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, dont elle a suivi l'avis, la société requérante ne peut obtenir la décharge ou la réduction des impositions qu'elle conteste qu'en apportant la preuve de l'exagération des bases retenues par l'administration ; qu'à cette fin et si elle n'est pas en mesure d'établir le montant exact de ses résultats en s'appuyant sur les données d'une comptabilité régulière et probante, elle peut soit critiquer la méthode d'évaluation que l'administration a suivie, en vue de démontrer en quoi elle aboutit à des évaluations exagérées, soit soumettre à l'appréciation du juge une nouvelle méthode d'évaluation aboutissant à des résultats plus satisfaisants ;

Considérant que pour chacun des exercices vérifié la SOCIETE LE MIRADOR, qui n'effectuait pas de comptabilité distincte des recettes provenant de chacune de ses activités de restauration, bar, crêperie, vente de produits et d'objets divers, enregistrait globalement les recettes en cause en fin de journée sans les justifier par des doubles de notes-clients ayant une chronologie certaine et exhaustive ; que, dès lors le vérificateur a pu légalement regarder ladite comptabilité comme non probante et procéder à la reconstitution des recettes réalisées ;

Mais considérant qu'il résulte des affirmations ci-dessus rappelées de la société, non contredites par l'administration, que les conditions d'exploitation de son commerce ont été sensiblement modifiées entre l'exercice clos en 1981 et les exercices suivants ; que dès lors la méthode consistant à appliquer le coefficient multiplicateur arrêté à partir des données constatées au cours du premier exercice vérifié, aux achats revendus au cours des exercices suivants était excessivement sommaire ; que ce défaut n'a pas été corrigé du seul fait que, suivant l'avis de la commission départementale, le coefficient arrêté par le vérificateur a été abaissé pour tenir compte de la valeur d'achat du stock d'entrée des vins au cours dudit exercice et du blocage des prix intervenu au cours des exercices suivants, alors qu'il n'est pas allégué par l'administration qu'il n'aurait pas été possible de déterminer une méthode de reconstitution des recettes de ces trois exercices à partir de leurs données propres ; qu'en revanche la société ne démontre pas que la méthode, ainsi rectifiée, aboutit à minorer les recettes déclarées au titre du deuxième des exercices vérifiés et qu'elle est ainsi radicalement viciée dans son principe ;

Considérant que la SOCIETE LE MIRADOR propose une méthode concurrente de reconstitution de ses recettes consistant, à partir des doubles des six milles notes délivrées aux clients de son restaurant, conservés par elle pour les exercices clos en 1982 et 1983, à déterminer les recettes boissons facturées à ces clients et à en déduire, par soustraction des achats de boisson ainsi consommés du total, non contesté, de ceux revendus au cours des exercices en cause, les recettes de même nature réalisées au bar ; que toutefois le défaut de numérotation continue des doubles de notes-clients conservés ne permet pas d'en vérifier l'exhaustivité, et par suite, d'apporter la preuve dont la société a la charge; que cependant le nombre de notes conservées sur les deux exercices en cause, au cours desquels les conditions d'exploitation de l'entreprise n'ont pas été modifiées par rapport à l'exercice clos en 1984, est de nature à permettre de déterminer un coefficient de bénéfice sur achats liquides propre à permettre au Conseil d'Etat de se prononcer sur le bien-fondé de la requête; qu'il y a lieu, par suite, de faire droit aux conclusions de la SOCIETE LE MIRADOR tendant à la désignation d'un expert aux fins de recueillir et d'examiner tous éléments comptables et extra-comptables apportés par elle à l'appui de ses critiques des bases retenues par l'administration et au soutien de la méthode concurrente qu'elle propose ;

DECIDE:

Article 1er : L'article 2 de l'arrêt de la cour administrative de Bordeaux en date du 18 mars 1997 est annulé.

Article 2 : Avant-dire-droit sur les conclusions de la demande de la SOCIETE LE MIRADOR tendant à l'annulation de l'article 2 du jugement du tribunal administratif de Bordeaux rejetant la demande en décharge des cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés au titre des années 1982 à 1984 en litige, il sera procédé par un expert-comptable désigné par le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat, à une expertise aux fins de recueillir les éléments permettant d'apprécier si la SOCIETE LE MIRADOR apporte, par des éléments comptables ou extra-comptables, la preuve de l'exagération de l'évaluation faite par l'administration de ses bases d'imposition pour les années 1982 à 1984.

Article 3 : L'expert est dispensé de serment.

Article 4 : L'expert déposera son rapport dans les six mois de sa désignation.

Article 5 : Les frais d'expertise sont réservés pour y être statué en fin d'instance.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE LE MIRADOR et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

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