La lettre juridique n°956 du 14 septembre 2023 : Douanes

[Focus] Le droit du commerce international : levier d’action contre la déforestation importée au sein de l’Union européenne

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par Ellena Brunetti, Juriste en droit douanier et de l'environnement et ancienne avocate au Barreau de Paris et Marie Gemaehling, Avocate au Barreau de Paris

le 02 Octobre 2023

Mots-clés : déforestation importée • forêts • droit douanier  


 

La perte de forêt primaire tropicale s’est élevée à 4,1 millions d'hectares en 2022 [1], soit l'équivalent de la perte de 11 terrains de football de forêt par minute. L'Organisation pour l'alimentation et l'agriculture (ci-après « FAO ») a quant à elle souligné qu’entre 1990 et 2020, ce sont 420 millions d’hectares qui ont disparu, soit une superficie plus vaste que l’Union européenne.

Ces chiffres sont d’autant plus alarmants que l’on détient une connaissance de la valeur et des services rendus par les forêts. Outre son intérêt social, sur le plan environnemental, la forêt joue un rôle aussi bien dans la protection de la biodiversité  ̶  sa disparition concourant au phénomène de perte d’habitats, facteur majeur dans l’érosion de la faune et dans une moindre mesure, pouvant être à l’origine de risque sanitaire, en augmentant la probabilité de contact entre animaux et humains   ̶    que dans la lutte contre le changement climatique (les deux problématiques n’étant au demeurant pas déconnectées l’une de l’autre).

La déforestation – définie dans le langage commun comme l’« action de détruire la forêt », [2] constitue un phénomène mondialisé, qui s’étend notamment de l’Amérique latine à l’Asie du Sud-Est, en passant par l’Afrique, bien que les activités qui en sont à l’origine soient de nature variée. Comme souligné par le ministère de la transition écologique et solidaire [3], il existe une dualité de conceptions de la notion de « déforestation », qui fait l’objet de débats. Ainsi, alors que la déforestation brute correspond à la déforestation de massifs à partir d’une date donnée, la déforestation nette désigne quant à elle la différence entre les surfaces de forêts qui disparaissent chaque année et celles qui se régénèrent naturellement ou replantées.

Face au constat du rôle joué par l’Union européenne en tant que marché de consommation de marchandises issues de ce phénomène [4], les institutions européennes ont décidé de légiférer.

Ce processus législatif, initié en novembre 2021 lors de la publication de la proposition de règlement, s’est achevé près d’un an et demi plus tard, avec la publication le 9 juin 2023 du Règlement (UE) n° 2023/1115 du Parlement européen et du Conseil du 31 mai 2023, relatif à la mise à disposition sur le marché de l’Union et à l’exportation à partir de l’Union de certains produits de base et produits associés à la déforestation et à la dégradation des forêts, et abrogeant le Règlement (UE) n° 995/2010 (ci-après le« Règlement déforestation importée ») N° Lexbase : L8774MHG.

Il vient s’intégrer dans le paysage législatif préexistant relatif à la forêt et aux produits qui en sont issus, et en particulier :

  • au niveau international, les Objectifs de développement durable des Nations-Unies (ci-après « ODD ») (cible ODD 15.2 :  un terme à la déforestation d’ici à 2020), ainsi que la Déclaration de New York sur les forêts du 23 septembre 2014 ;
  • au niveau européen, le Règlement (UE) n° 995/2010, du Parlement européen et du Conseil du 20 octobre 2010, établissant les obligations des opérateurs qui mettent du bois et des produits dérivés sur le marché (plus communément désigné par l’acronyme « RBUE ») N° Lexbase : L8337IN4, qui interdit la mise sur le marché de l’Union de bois et produits dérivés issus d’une récolte illégale. Le Règlement déforestation importée va au-delà du Règlement RBUE, en ce qu’il permet d’étendre la protection des forêts des activités illégales aux activités légales. Par ailleurs, un Règlement (CE) n° 2173/2005, du Conseil 20 décembre 2005, concernant la mise en place d'un régime d'autorisation FLEGT relatif aux importations de bois dans la Communauté européenne N° Lexbase : L3916HIU, régit la mise en place d'un régime d'autorisation d'importation de certains bois et produits dérivés dans l'UE, dans le cadre des réglementations forestières, gouvernance et échanges commerciaux (FLEGT).  Peut également être cité le Règlement (CE) n° 338/97, du Conseil du 9 décembre 1996, relatif à la protection des espèces de faune et de flore sauvages par le contrôle de leur commerce N° Lexbase : L4987AUA, qui prévoit des règles et contraintes particulières pour l’importation et l’exportation de certaines essences. De manière plus prospective, doit également être signalée [5] la proposition 2022/0051 de Directive du Parlement et du Conseil sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité et modifiant la Directive (UE) n° 2019/1937, qui est actuellement en cours d’examen ;
  • au niveau national, outre la Stratégie nationale de déforestation importée (SNDI) adoptée le 14 novembre 2018, les dispositions issues de l’article 272, de la loi n° 2021-1104, du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets N° Lexbase : L6065L7R, ainsi que de son décret d'application n° 2022-641 du 25 avril 2022, ont pour ambition de mettre en place une politique d’achats publics « zéro déforestation ».

Le Règlement vise à lutter contre la déforestation importée par le biais du droit douanier. Au-delà de ses prescriptions, il conviendra de s’attarder sur son Préambule, lequel n’ayant pas une force contraignante en tant que telle, constitue néanmoins une avancée sans précédent pour une reconnaissance officielle au niveau européen, de la nécessité de protéger les forêts au niveau international et du rôle joué par les populations autochtones dans le maintien de cette ressource, en l’absence d’un texte juridique officiel international à cet effet [6].

En outre, le nouveau Règlement déforestation importée abroge et remplace le RBUE [7], rompant dès lors avec une vision uniquement productiviste de la forêt, laquelle a pu être importante, voire prédominante, notamment en Europe durant quelques siècles jusqu’à récemment.

Relevons ainsi que la Commission commence par affirmer le rôle multifonctionnel des forêts :  environnemental, économique et social [8]. Le caractère économique des forêts est donc toujours présent, mais n'est plus le seul à fonder la nécessité de protéger et préserver ces espaces.

I. Présentation du Règlement

Le Règlement définit les règles qui pour les « produits à risque pour les forêts », régiront l’entrée de ces derniers dans le marché de l’Union européenne ou leur sortie. Ainsi, lorsqu’ils entrent dans le champ d’application du Règlement déforestation importée (A), les acteurs concernés devront se conformer à un certain nombre d’obligations (B).

A. Champ d’application du Règlement  

1) Ratione materiae 

Notions de forêt, déforestation et dégradation

Si « l’histoire écologique de nos forêts nous aide à comprendre que « rien n’est permanent, sauf le changement » (Héraclite, 500 AD) » [9], il n’était dès lors pas aisé d’arrêter une définition juridique unique et figée de ce que serait la forêt. À titre d’exemple, en droit français, la forêt n’est pas définie juridiquement de manière stricte, la définition ayant été retenue pour déterminer le champ d’application du code forestier étant la suivante : « sont considérés comme des bois et forêts au titre du présent code les plantations d'essences forestières et les reboisements ainsi que les terrains à boiser du fait d'une obligation légale ou conventionnelle » [10].

Le Règlement déforestation importée, reprend les termes de la FAO et définit la forêt comme ci-après : « une étendue de plus de 0,5 hectare caractérisée par un peuplement d'arbres d'une hauteur supérieure à 5 mètres et par un couvert forestier de plus de 10 %, ou par un peuplement d'arbres pouvant atteindre ces seuils in situ, à l'exclusion des terres dédiées principalement à un usage des terres agricole ou urbain ».

Le terme de « déforestation » est entendu quant à lui, comme « la conversion, anthropique ou non, de la forêt pour un usage agricole ».

Au sein de la définition de ce qui est considéré comme « forêt » au sens du Règlement, une sous-catégorisation est faite entre « forêts primaires », « forêts naturellement régénérées », « forêts plantées » et « forêts de plantation », permettant dès lors de définir également ce qui sera considéré comme une « dégradation des forêts ».

Il s’agit pour cette dernière notion de « modifications structurelles apportées au couvert forestier, prenant la forme de la conversion :

  • a) de forêts primaires ou de forêts naturellement régénérées en forêts de plantation ou en d'autres surfaces boisées ; ou
  • b) de forêts primaires en forêts plantées ».

Le Règlement déforestation importée  ne vise donc pas seulement à enrayer le processus de conversion de surfaces boisées en surfaces non boisées, et ne pouvant dès lors plus être considérées comme de la « forêt » en l’absence de boisement (phénomène de « déforestation » au sens du Règlement), mais s’étend aussi au processus consistant à intervenir pour transformer des surfaces forestières naturellement boisées, en des surfaces boisées - qui demeureront donc « forestières » - par plantation et/ou semis délibérés, la plupart du temps à des fins d’exploitation (phénomène de « dégradation » au sens du Règlement).

Notons toutefois que le Règlement  déforestation importée prévoit sa propre réévaluation selon le calendrier échelonné suivant :

1 an après la date de son entrée en vigueur : extension à d’autres surfaces boisées (la définition de la forêt retenue ayant été jugée trop restrictive par certains commentateurs) ;

2 ans après la date de son entrée en vigueur : extension à d’autres écosystèmes naturels présentant un intérêt écologique semblable à celui de la forêt (en particulier, stockage de carbone en grande quantité et grande valeur du point de vue de la biodiversité). À ce titre, sont notamment visées les prairies, les tourbières et les zones humides. Sur ce dernier point, si la savane est mentionnée dans le préambule, elle n’est pas intégrée dans la liste des écosystèmes pour lesquelles une extension éventuelle est envisagée, malgré son rôle dans la culture du soja destiné à l’alimentation du bétail [11].

Il sera intéressant de voir si la définition de la « forêt » sera modifiée en raison de ces extensions. En effet, une telle extension à d’autres écosystèmes, si elle pourrait être la bienvenue en termes de protection, pourrait néanmoins engendrer un risque de confusion sur les définitions de ce qui est considéré comme « forêt » et le phénomène de « déforestation », et nécessiterait alors une redéfinition du champ d’application du Règlement et de son titre.

Délimitation stricte des produits concernés par référence à la nomenclature combinée (NC)

Le Règlement opère une distinction entre deux types de produits. Entrent ainsi dans son champ d’application, d’une part les « produits de base en cause » [12] définis comme les bovins, le cacao, le café, le palmier à huile, le caoutchouc, le soja, mais également le bois. Ainsi, sur le champ des produits concernés, le Règlement déforestation importée est plus ambitieux que le Règlement RBUE qu’il remplace, l’abrogation de ce dernier étant ainsi prévue pour le 30 décembre 2024. D’autre part, il englobe également les « produits en cause », soit certains produits qui alternativement contiennent/ont été nourris/ont été fabriqués avec des « produits de base en cause ». La liste limitative de ces produits est établie à partir de codes correspondant aux subdivisions de la nomenclature combinée (ci-après « NC ») [13], qui constitue un système de classification des marchandises et de détermination du tarif douanier qui leur est respectivement applicable. En pratique, les produits de base en cause ne semblent pas correspondre véritablement à une réalité douanière concrète, puisque ce sont bien les produits en cause qui feront l’objet des échanges (la notion de produits de base en cause s’apparentant plutôt à une sorte de qualification générique permettant d’identifier de quelle « famille » de produits relèvent les produits en cause, étant précisé que ces derniers peuvent au demeurant être répartis au sein de chapitres distincts de la NC [14]).

Produits de base en cause

Exemples de produits en cause

(assortis de leur code NC)

 

Bovin

Viande, cuir

Cacao

Fèves de cacao, chocolat et beurre de cacao

Café

Café torréfié ou non, qu’il soit ou non décaféiné

Palmier à huile

Huile de palme, glycérol, acide oléique, alcool gras industriels

Caoutchouc

Pneumatiques, gants, mitaines et moufles en caoutchouc vulcanisé, chicle (pouvant notamment servir à la fabrication du chewing-gum)

Soja

Tourteaux de soja, fèves de soja

Bois

Bois de chauffage, bois de mobilier, papier, livres imprimés

Ainsi, compte tenu des produits visés, les secteurs concernés par le Règlement sont variés et concernent à titre non exhaustif les industries non seulement agroalimentaires, mais aussi du luxe et automobile.

Lorsque les produits entrent dans la liste de ceux inclus dans le Règlement, ils peuvent néanmoins faire l’objet d’une exclusion dans plusieurs cas. D’une part, lorsque la date de leur production est antérieure à la date d’entrée en vigueur au 29 juin 2023 [15] (à l’exception du bois, en raison de la survivance du RBUE à titre transitoire jusqu’au 30 décembre 2024) [16]. D’autre part, afin de promouvoir l’économie circulaire voire de garantir la cohérence entre les différentes politiques publiques, sont également exclus les produits de base et usagés recyclés [17] qui seraient, sinon, éliminés en tant que déchets [18] (relevons toutefois que cette exclusion ne s’étend pas à certains sous-produits du procédé de fabrication). Enfin, sont exclus les produits destinés à une consommation privée sur le territoire douanier de l’Union.

Si l’on peut regretter l’absence de prise en compte par le Règlement déforestation importée de certains produits pourtant décriés en raison du rôle qu’ils jouent dans la déforestation (notamment l’avocat, l’or ou encore les hydrocarbures), il convient de noter que son champ d’application matériel a vocation à être remodelé sous un délai de 2 ans à compter de son entrée en vigueur. En effet, celui-ci prévoit une évaluation sur la nécessité et la faisabilité d’étendre le champ d’application à d’autres produits de base (notamment les biocarburants relevant du code SH 382600) ainsi que le réexamen de la liste des codes NC des produits en cause figurant à l’annexe I du Règlement.

2) Ratione personae 

Afin de permettre d’atteindre la transparence de la chaîne d’approvisionnement, le Règlement prend soin de soumettre plusieurs catégories d’acteurs du commerce international aux obligations qu’il prévoit :

  • d’une part, l’opérateur est défini comme toute personne physique ou morale qui, dans le cadre d’une activité commerciale, met les produits relevant du champ d’application sur le marché de l’Union, que ce soit à titre gratuit ou onéreux – importateur ou manufactureur - ou les exporte ;
  • d’autre part, le commerçant. Il s’agit d’une catégorie résiduelle intégrant toute personne faisant partie de la chaîne d’approvisionnement, autre que l’opérateur, qui, dans le cadre d’une activité commerciale, met des produits en cause à disposition sur le marché.

Par conséquent, le Règlement déforestation importée va au-delà du Règlement RBUE en étendant l’emprise de la réglementation en la matière sur la chaîne d’approvisionnement, puisqu’au-delà des acteurs qui interviennent en amont (importateurs), sont désormais également concernés les acteurs qui interviennent plus en aval (grands commerçants).

À l’ère du numérique, la difficulté de mise en cause de la responsabilité des acteurs de chaînes d’approvisionnement complexes peut être considérablement accrue, puisque le contrôle des entreprises établies hors UE, qui ne relèvent pas de la juridiction des États membres, n’est pas toujours possible [19]. Pour remédier à cette difficulté considérable dans un marché mondialisé, le Règlement déforestation importée prévoit également le cas de figure dans lequel les produits concernés sont mis sur le marché de l'Union européenne par des opérateurs établis en dehors de l’Union, en traitant comme un opérateur à part entière la première personne physique ou morale établie dans l'Union européenne qui met les produits concernés à disposition sur le marché. Ainsi, si en théorie, le Règlement déforestion importée impose principalement des interdictions et des obligations aux personnes physiques ou morales dans l'Union européenne, en pratique, les producteurs des matières premières et des produits concernés, y compris ceux en dehors de l'Union, seraient également touchés car leurs produits devraient répondre aux exigences du Règlement.

Enfin, si les petites et moyennes entreprises (PME) entrent dans le champ d’application du Règlement déforestation importée, elles bénéficient d’obligations allégées et de délais plus longs pour se mettre en conformité.

3) Ratione loci

Le Règlement déforestation importée est applicable à la fois aux importations de produits (qui entrent sur le marché de l’Union via la mise en libre pratique) sur le territoire douanier au sens du Règlement et aux exportations de produits (qui quittent le marché de l’Union sous le régime douanier de l’exportation).

S’agissant du champ d’application territorial, le Règlement est applicable sur le territoire douanier tel que défini par le droit communautaire douanier à l’article 4 du Règlement (UE) n° 952/2013, du Parlement européen et du Conseil du 9 octobre 2013, établissant le Code des douanes de l'Union N° Lexbase : L4115I3S (ci-après CDU) [20].

Ainsi, le territoire douanier tel que défini par le CDU est constitué par les territoires des États membres ainsi que par la mer territoriale, les eaux intérieures maritimes et par l'espace aérien de chacun de ces territoires.

Néanmoins, le territoire douanier de l’Union peut se révéler plus étendu ou plus restreint que certains territoires des États membres. À titre d’exemple, alors que la France inclut dans son territoire la Polynésie française, la Nouvelle-Calédonie, Saint-Pierre-et-Miquelon, et les Iles de Wallis-et-Futuna, ces territoires ne font pourtant pas partie du territoire douanier de l’Union. À l’inverse, le territoire douanier de Monaco fait partie intégrante du territoire douanier de l'Union en raison de la convention que cette principauté a conclue avec la France le 18 mai 1963 et qui l’intègre dans le territoire douanier français.

On peut cependant regretter qu’au stade de la définition du territoire au sens du Règlement déforestation importée, le législateur européen ne semble pas avoir tiré de conséquences de la situation géographique particulière de certaines régions d’outre-mer (telle que la Guyane, recouverte en majeure partie par la forêt amazonienne), les produits en provenance de ce territoire qui pénètre le continent européen n’étant dès lors pas susceptibles d’être juridiquement qualifiées d’importations.

Par ailleurs, ce Règlement contient une limite intrinsèque due à son caractère seulement régional – et non international – dans un marché pourtant mondialisé. En effet, si le marché européen constitue un marché d’écoulement majeur pour les produits moteurs de déforestation, il n’est néanmoins pas l’unique ni même le plus important. Par ailleurs, même dans le cas où le territoire de consommation est bien l’UE, il existe un risque de contournement de ce Règlement, puisque ces produits peuvent, au terme d’une chaîne d’approvisionnement (et donc de traçabilité) complexe, être transformés dans un pays tiers avant d’être réexportés vers le territoire de l’Union.

Ainsi, face au risque de relativisation de l’effort contre la lutte contre la déforestation que l’Union européenne tente d’impulser à travers cette règlementation, deux leviers pourraient être mobilisés. Sur le plan diplomatique, un renforcement de la coopération internationale sur ce point afin d’influencer le marché mondial, y compris, les principaux pays consommateurs est souhaitable, afin d’encourager l’adoption de mesures nationales similaires. Surtout, l’intégration de clauses sur la déforestation et la dégradation des forêts dans les accords commerciaux à venir pourrait également inciter les États tiers concernés à se doter d’une règlementation semblable, afin de pouvoir bénéficier de régimes préférentiels sur leurs exportations, voire conquérir de nouveaux marchés.

Une autre exclusion, plus débattue, concerne les entreprises du secteur financier. En effet, certains observateurs ont soulevé le paradoxe résidant dans l’absence de soumission aux obligations du Règlement déforestation importée de ces entités, alors même qu'elles jouent un rôle prépondérant, quoiqu’indirecte, à travers le financement d’activités pouvant être à l’origine du phénomène de déforestation. À ce titre, il convient de préciser que la Commission devra dans le délai de 2 ans à compter de l’entrée en vigueur du Règlement déforestation importée se livrer à une évaluation, et, le cas échéant, présenter une proposition législative, du rôle des institutions financières pour ce qui est de prévenir les flux financiers contribuant directement ou indirectement à la déforestation et à la dégradation des forêts, ainsi que sur la nécessité de prévoir dans les actes juridiques de l’Union des obligations spécifiques applicables aux institutions financières à cet égard.

B. Des obligations au service d’une meilleure prévention de la déforestation

Lorsqu’ils sont soupçonnés de ne pas respecter les obligations qui leur incombent (1), les opérateurs ou commerçants pourront faire l’objet de sanctions (2)

Pour se conformer au Règlement déforestation importée, trois conditions doivent être vérifiées.  

Dans le cadre de leurs obligations de diligence raisonnable, les personnes identifiées en supra au titre du champ d’application personnel devront non seulement prouver que les produits sont à la fois « sans déforestation », mais également que leur production est issue d’un processus qui respecte les lois applicables en vigueur dans le pays de production. En outre, les entreprises seront également tenues de collecter des informations géographiques précises sur les terres agricoles où les produits qu'elles achètent ont été cultivés, afin que ces produits puissent être vérifiés pour leur conformité.

1) Obligations prévues par le Règlement déforestation importée

Produits garantis « zéro déforestation »

La notion de déforestation au sens du Règlement est prévue à l’article 2§13. Comme indiqué en supra, le Règlement vise assez large, puisqu’il n’est pas limité au simple processus de déforestation, mais s’étend également, pour les seuls produits qui contiennent du bois ou ont été fabriqués à partir du bois, à la dégradation (voir ces deux notions définies supra).

Outre l’aspect technique, les notions de déforestation et dégradation comprennent une dimension temporelle.
En effet, en application du principe de précaution, et afin de prévenir et de dissuader la potentielle déforestation ayant pu résulter d’une accélération anticipée des activités à l’origine de celle-ci et de la dégradation des forêts entre l’annonce faite dans la proposition de la Commission et la date d’entrée en vigueur du Règlement, les activités de déforestation survenues même avant la date d’adoption peuvent malgré tout se voir soumises aux obligations prévues par ce dernier, et le cas échéant, se voir refuser l’accès au marché UE. Une limite a néanmoins été fixée, puisque cela trouve à s’appliquer seulement pour les activités postérieures au 31 décembre 2020.

Respect de la législation pertinente du pays de production

La deuxième condition est relative au respect de la législation pertinente du pays de production. En d’autres termes, pour se conformer au Règlement, devront être respectées les lois applicables dans le pays de production relatives au statut juridique de la zone de production. Il peut s’agit aussi bien des législations environnementales, fiscales et douanières, ou encore sociales, mais également les règles de lutte contre la corruption, ainsi que de protection des droits de l’homme et des peuples autochtones.

Enfin, le Règlement déforestation importée permet une avancée importante en matière de reconnaissance du rôle joué par les populations autochtones dans la préservation des forêts. Il convient de s’attarder sur ce point qui est fondamental.

Focus sur l’avancée permise par le Règlement déforestation importée en matière de droits des populations autochtones

Éléments de contexte : À l’heure actuelle, principalement deux textes juridiques à portée internationale reconnaissent des droits aux populations autochtones :

  • la convention n° 169 de l’Organisation internationale du travail [21] qui reconnaît en particulier les droits des autochtones à l’utilisation, la propriété et la possession des terres devant être reconnues aux peuples intéressés, notamment celui de participer à la participation, à la gestion et à la conservation de ces ressources, laquelle n’a été ratifiée que par 24 États (notamment certains États membres de l’Union européenne) ;
  • la Déclaration des Nations-Unies sur les droits des personnes autochtones [22] .

Pourtant, ces textes ont une portée limitée en raison la faiblesse du nombre des États l’ayant ratifiée pour l’une, et du caractère juridiquement non-contraignant de l’autre.

Or, les populations autochtones font partie des populations les plus vulnérables de la planète ; le préambule du Règlement déforestation importée ne passe pas sous silence les persécutions et attentats meurtriers subis par les défenseurs des droits de l’Homme liés à l’environnement. Il reconnaît que ces actes de violence touchent en particulier « les populations autochtones de manière disproportionnée », et rappelons à cet égard les chiffres révélés par l’ONG Global Witness, quatre défenseurs des droits à la terre et de l’environnement tués en moyenne chaque semaine depuis la création de l’Accord de Paris sur le climat en décembre 2015. Le secteur de l’exploitation forestière est ainsi un des plus touchés [23] .

Reconnaissance par le règlement du rôle joué par les populations autochtones et de la nécessité de préserver leurs droits :

La reconnaissance par le Règlement du rôle joué par les populations autochtones dans la préservation de la forêt et de la nécessité de respecter leurs droits constitue donc une avancée importante pour ces populations.

Il est ainsi affirmé que :

« Le respect des droits des populations autochtones en ce qui concerne les forêts et le principe du consentement préalable, libre et éclairé, tels qu'ils sont notamment énoncés dans la déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, contribue à protéger la biodiversité, à atténuer le changement climatique et à répondre aux préoccupations en matière d’intérêt public qui y sont liées. Les populations autochtones possèdent des savoirs traditionnels concernant les richesses naturelles et médicales et offrent très souvent un modèle d'utilisation durable des ressources forestières […]. En outre, d'après certaines études, les populations autochtones vivant en forêt jouent un double rôle dans la lutte contre le changement climatique: d'une part, ils résistent en général à l'occupation et à la déforestation des terres qu'ils habitent depuis des générations et, d'autre part, certaines communautés autochtones considèrent qu'il est de leur responsabilité de protéger les forêts afin d'atténuer le changement climatique ».

Le Règlement déforestation importée reconnaît également le caractère central du renforcement « des communautés locales, des petits exploitants et des micros, petites et moyennes entreprises (PME), en améliorant la gouvernance et le régime foncier, en renforçant les mesures d’application de la loi et en promouvant la gestion durable des forêts, en mettant l'accent sur des pratiques forestières plus proches de la nature ».

Ainsi, au sein de l’article 10 du Règlement consacré à « l’évaluation des risques » devant être faite par les opérateurs afin d’identifier s'il existe un risque que les produits en cause destinés à être mis sur le marché ou exportés ne sont pas conformes au Règlement, trois critères sont relatifs à la présence de populations autochtones au sein du pays d’où proviennent les produits, et notamment à l’existence de processus de consultation et de coopération de bonne foi avec ces personnes, et de revendications motivées et fondées sur des informations objectives et vérifiables quant à l’utilisation ou la propriété de la zone utilisée pour la production de ces produits.

Cette disposition permettra de donner une effectivité à la reconnaissance qui est faite par le préambule du règlement, de l’importance des populations autochtones dans la préservation de la forêt.

Accès à la justice des populations autochtones ?

Il est prévu des dispositions spécifiques relatives à l’accès à la justice aux fins de contrôler la légalité des décisions, actes ou du défaut d’agir des autorités compétentes en vertu du règlement, sans préjudice des dispositions du droit national.

L’accès aux juridictions est ainsi ouvert aux « personnes physiques ou morales ayant un intérêt suffisant, déterminé conformément aux systèmes de recours nationaux existants, notamment lorsque de telles personnes satisfont aux critères éventuels prévus dans le droit national, y compris les personnes qui ont présenté des préoccupations étayées conformément à l'article 31 ». La formule est donc assez large, et l’appréciation de l’intérêt à agir doit se faire selon les règles prévues par les droits nationaux.

Étant donné les difficultés d’accès à la justice notamment environnementale des populations autochtones, aggravant de fait leur vulnérabilité face à la violation de leurs droits et à l’accaparement de leurs terres, on peut se demander dans quelle mesure l’adoption d’un tel règlement européen aurait pu être ou pourrait être l’occasion de prévoir des mécanismes de renforcement de l’accès à la justice spécifique à ces populations, par exemple via la reconnaissance d’une présomption d’intérêt à agir pour de telles communautés en matière de contrôle de la légalité des décisions, actes ou défaut d’agir des autorités compétentes en vertu du Règlement.

Respect des droits des populations autochtones par les États :

Une autre limite à l’efficacité du Règlement déforestation importée sur ce point sera liée naturellement à l’absence de reconnaissance de statut de « populations autochtones » à certaines communautés d'habitants de la forêt par les États dans l’exercice de leur pouvoir souverain.

En effet, certains États reconnaissent un tel statut auquel sont souvent rattachées des garanties, plus ou moins importantes, de protection des terres de ces populations. C'est notamment le cas en Amérique du sud. 

À titre d’exemple, la Constitution brésilienne [24] protège les terres indigènes en reconnaissant le droit des peuples autochtones à la délimitation de leurs terres par l’État, à leur inaliénabilité et indisponibilité ainsi que l'usufruit exclusif des richesses du sol, des rivières et des lacs qui s'y trouvent, et à l’encadrement des activités d’exploitation de ces ressources, ainsi que l’interdiction de déplacement des groupes indigènes.

Toutefois, l'absence de reconnaissance du statut de « populations autochtones » est de nature à limiter fortement la protection des terres au sein desquelles elles vivent, et par là même les droits qui y sont rattachés et notamment celui de participer au processus décisionnel quant à l’usage de ces terres.

C'est par exemple le cas pour les Amérindiens vivant dans la forêt primaire recouvrant à 96 % la Guyane française, lesquels ne bénéficient pas d’un statut de « populations autochtones » en France, l’État se refusant à reconnaître un tel statut afin de ne pas porter atteinte aux principes constitutionnels d’invisibilité et d’égalité de la République [25].

Ils sont néanmoins mentionnés au sein du code forestier en tant que « communautés d'habitants qui tirent traditionnellement leurs moyens de subsistance de la forêt », ce qui constitue une reconnaissance de leur existence, mais ne leur permettrait pas de bénéficier des dispositions prévues par le Règlement [26].

Mise en place d’un système de diligence raisonnée

Une obligation de réaliser une diligence raisonnée pèse sur l’opérateur ou le commerçant, afin de vérifier que les conditions exposées en supra sont bien vérifiées. Celui-ci se décompose en trois étapes, qui s’articulent de la manière suivante [27] :

  • La première étape consiste en une collecte d’informations sur la conformité du processus de production aux dispositions du Règlement déforestation importée. Ces informations devront notamment porter à la fois sur le produit, le pays de production, les zones de production spécifiques et la chaîne d'approvisionnement (identité des fournisseurs), et être de nature à permettre d’identifier un risque éventuel ;
  • La seconde étape prend la forme d’une évaluation du risque de mise sur le marché ou d’exportation de produits non conformes, qui varie en fonction de plusieurs critères, à savoir, d’une part de la nature du produit, et d’autre part, du pays d’origine (l’origine étant ici entendue au sens d’origine non préférentielle, telle que définie à l’article 60 du Règlement n° 952/2013) et de production ou de parties de ces pays. Parmi ces critères figurent notamment, outre la présence de forêts (et le cas échéant l’ampleur de la dégradation ou déforestation) et de populations autochtones (et le cas échéant, l’existence de revendications motivées et vérifiables de ces populations, sur l’utilisation ou la propriété de la zone, ainsi que leur consultation), le niveau de corruption, la complexité de la chaîne d’approvisionnement, ou encore le risque de contournement du Règlement déforestation importée ou de mélange avec des produits en cause d’origine inconnue ou produits dans des zones qui étaient ou sont concernées par la déforestation ou la dégradation des forêts.

En l’absence de liste préétablie dans les dispositions du Règlement déforestation importée de classement des pays en fonction du niveau risque, tous les pays se voient attribuer un niveau de risque standard. Les débiteurs de cette obligation devront donc faire preuve d’une diligence toute particulière lors de l’évaluation du risque, afin que celle-ci soit la plus fidèle possible.

Si l'opérateur ou le commerçant ne peut pas démontrer que ce risque est inexistant ou négligeable, il ne peut pas mettre sur le marché de l'UE ni exporter à partir du marché de l'UE les matières premières ou produits concernés, et doit passer à la troisième étape.

En troisième lieu, atténuation du risque

Au terme de cet exercice, une déclaration permettant de témoigner de la réalisation en bonne et due forme du processus de diligence raisonnée devra le cas échéant être établie. Si le Règlement ne contient pas de modèle à proprement parler de déclaration type de diligence raisonnée, il apporte néanmoins en son annexe II des indications sur le contenu attendu, en listant les éléments devant y figurer.

Concernant l’identification des territoires pour lesquels la collecte de données devra être réalisée, si le cas dans lequel un produit brut est entièrement obtenu dans un même pays ou territoire ne pose guère de difficultés – puisqu’il sera alors considéré comme originaire de ce pays ou territoire – le choix de procéder par renvoi à l’origine non préférentielle au sens du CDU comporte en revanche des limites dans les hypothèses de chaînes d’approvisionnement complexes. En effet, en vertu de l’article 60 du CDU, les marchandises dans la production de laquelle interviennent plusieurs pays ou territoires sont considérées comme originaires de celui où elles ont subi leur dernière transformation ou ouvraison substantielle. Cette notion de « dernière transformation ou ouvraison substantielle » diffère substantiellement selon le code attribué au produit dans la nomenclature combinée, et peut conduire à retenir comme pays d’origine un autre État que l’État de production où existe le risque de déforestation, un risque de contournement du Règlement sur ce point ne pouvant dès lors être ignoré [28]. Il est par exemple possible d’imaginer que des constructions préfabriquées en bois relevant du code douanier 940610, transformées dans un État tiers à l’Union européenne, pourront, si le critère selon lequel la fabrication dans laquelle la valeur de toutes les matières utilisées ne doit pas excéder 50 % du prix départ usine des produits [29] est vérifié [30], acquérir l’origine non préférentielle de cet État de transformation, et pourra ainsi lui permettre de passer sous les radars au stade de la diligence raisonnée.

2) Des obligations assorties d’une palette de sanctions

Outre le risque de ne pas pouvoir pénétrer le marché européen en cas de non-conformité, des sanctions proportionnées sont prévues [31], dont une amende pouvant atteindre 4 % du chiffre d'affaires annuel à l'échelle de l'UE, la confiscation des revenus tirés du traitement de produits non conformes, ainsi que l'exclusion des marchés jusqu'à 12 mois.

II. L’effort de lutte contre la déforestation importée au niveau européen confronté au droit de l’OMC

A. Règlement déforestation importée versus droit de l’OMC

L’Organisation mondiale du commerce (OMC), dont la mission vise à faciliter le commerce international en encourageant les échanges entre les différents États du globe, est à l’origine de plusieurs accords. Deux de ces accords feront successivement l’objet de développements, à savoir, l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1947 (ci-après « GATT »), ainsi que l'Accord sur les obstacles techniques au commerce (ci-après « OTC »).

Concernant tout d’abord le GAAT, celui-ci contient des dispositions visant à prévenir toute discrimination entre les membres de l’OMC, au moyen de l'abaissement progressif des barrières tarifaires (droits de douane susceptibles de frapper les produits à l’importation), mais aussi de la prohibition des barrières non tarifaires (tous les autres obstacles mis à l'entrée de marchandises étrangères dans un pays, y compris l'ensemble de la réglementation et des formalités afférentes aux importations ou aux exportations). Ainsi, conformément aux dispositions de cet accord (et en particulier la clause de la nation la plus favorisée) [32], tous les partenaires commerciaux doivent bénéficier de privilèges identiques : tout avantage ou accordé par un État membre à un produit originaire ou à destination d'un autre État membre doit par conséquent être étendu aux produits similaires de tous les autres États membres. À l’inverse, un désavantage ne peut peser sur un seul partenaire. À ce titre, on pourrait imaginer que les formalités administratives et obligations que le Règlement déforestation importée va faire peser sur les personnes qui entrent dans son champ d’application personnel, tel qu’exposé en supra – dont les importateurs –, répondent à la qualification de barrière non tarifaire, puisqu’elles sont susceptibles de faire obstacle à l’importation.

Néanmoins, malgré ce principe de non-discrimination, des exceptions sont prévues par le texte afin de prendre en compte certains impératifs susceptibles d’entrer en conflit avec la libéralisation du commerce [33]. Au rang de ces impératifs, une attention particulière est portée à la protection de l’environnement, puisqu’il peut être dérogé sous certaines conditions[34] au principe de non-discrimination aussi bien lorsque ces barrières non tarifaires ont pour objectif la protection de la faune et de la flore [35], que lorsqu’elles visent à protéger des ressources naturelles épuisables [36]. Or, les obligations du Règlement déforestation importée qui conditionnent toute mise en libre pratique sur le territoire douanier de l’Union ont précisément pour objectif affiché de protéger la forêt (qui peut être qualifiée de ressource naturelle épuisable) ainsi que la biodiversité qu’elle abrite.

Quant à l’Accord sur les obstacles techniques au commerce (OTC), celui-ci a pour objet de garantir que les règlements techniques, les normes et les procédures d'évaluation de la conformité soient non discriminatoires et ne créent pas d'obstacles non nécessaires au commerce. Ainsi, par écho au GAAT, il prévoit également un principe de non-discrimination ayant pour objet non pas les barrières tarifaires et non tarifaires, mais les règlements techniques [37], qu’il définit comme tout document qui énonce les caractéristiques d'un produit ou les procédés et méthodes de production s'y rapportant, y compris les dispositions administratives qui s'y appliquent, dont le respect est obligatoire [38]. La règlementation européenne déforestation importée paraît pouvoir s’inscrire dans ce cadre, puisqu’elle conduit à faire usage du critère du mode de production associé ou non à la déforestation, pour déterminer à fois les produits entrant dans son champ d’application matériel, et le degré de diligence et de reporting à mettre en œuvre.

Toutefois, à l’instar du GAAT, l’Accord OTC prévoit également des objectifs légitimes permettant de prévoir de tels obstacles sous certaines conditions, au rang desquels on retrouve la protection de la santé ou de la sécurité des personnes, de la vie ou de la santé des animaux, la préservation des végétaux ou la protection de l'environnement.

Ainsi, la validité du Règlement déforestation importée ne semble pas de premier abord poser de difficulté particulière, bien qu’une vigilance particulière doive être portée sur ce point aux éventuelles jurisprudences de l’OMC à venir, et notamment dans le contexte de la plainte de l’Indonésie contre l’Union européenne au sujet de certaines mesures imposées par l'Union européenne et ses États membres concernant l'huile de palme et les biocarburants dérivés du palmier à huile en provenance d'Indonésie.

Outre cette consécration d’obligations de vigilance spécifiquement conçues pour répondre au risque de déforestation, on peut également s’interroger sur l’opportunité d’autres leviers dans l’effort européen de lutte contre la déforestation (2.).

B. Éléments de réflexion sur l’instauration de droits de douane différenciés comme piste complémentaire de solution

Outre certaines mesures déjà existantes telles que l’intégration de clauses sur la déforestation et la dégradation des forêts dans les accords commerciaux à venir (qui pourrait être utilement mobilisées dans le cadre du futur accord commercial envisagé entre l’Union européenne et l’Indonésie), ou encore le retrait du statut de biocarburant à l’huile de palme, certains experts se sont également interrogés sur l’opportunité d’instaurer des droits de douane différenciés (qui se traduirait pour le produit, selon que la production est ou non certifiée zéro déforestation, par une augmentation ou une baisse du tarif douanier par rapport au tarif actuel) [39]. Relevons que la Banque mondiale a envisagé cette option, qui a également été abordée lors des discussions de préparation de la SNDI, avant d’être finalement écartée.

Toutefois, la pertinence de cette piste doit être relativisée en raison de l’existence à l’heure actuelle de tarifs préférentiels pour certains produits suite à la conclusion par l’Union européenne d’accords commerciaux et l’octroi de préférence unilatérales avec les pays et régions abritant les zones concernées par le risque déforestation [40]. Un retour en arrière sous forme d’augmentation de ces tarifs semble ainsi difficilement envisageable, voire juridiquement porteur de risque, compte tenu des règles de l’OMC évoquées en supra.

III. Une mise en œuvre différée dans le temps

Une distinction est opérée entre la date d’entrée en vigueur (29 juin 2023) et la date d’application (au 30 décembre 2024, voire au 30 juin 2025 pour certaines dispositions).

Dans l’intervalle, les États membres devront désigner les autorités compétentes au niveau national, et en informer la Commission européenne au 30 décembre 2023.

D’ici le 24 décembre 2024, la Commission européenne devra avoir mis en place un système d’évaluation comparative qui devrait se fonder sur un système à trois niveaux, classant les pays comme présentant alternativement un risque faible, standard ou élevé. À cette fin, une liste de pays assortie du niveau de risque qui les caractérise sera publiée.

Puis, au 30 décembre 2024, La Commission devrait mettre en place et gérer un système d’information contenant les déclarations de diligence raisonnée, aussi bien pour les autorités compétentes et douanières, voire des opérateurs pour les seules données qui ne sont pas commercialement sensibles, et qui seront anonymisées au préalable.

 

[1] World Resources Institute, Global Forest Review [en ligne].

[2] Dictionnaire Larousse [en ligne].  

[3] MTE « Stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée » 2018-2030 ?

[4] Entre 1990 et 2008, l’Union a importé et consommé un tiers des produits agricoles associés à la déforestation qui sont échangés mondialement, considérant (18) du Règlement.

[5] Le Règlement déforestation importée prévoyant d’ailleurs en son considérant 60 que « les opérateurs relevant du champ d’application d’autres actes juridiques de l’Union établissant des exigences en matière de diligence raisonnée dans la chaîne de valeur en ce qui concerne les incidences négatives sur les droits de l’homme ou sur l’environnement devraient avoir la possibilité d’honorer les obligations de faire rapport au titre du présent règlement en incluant les informations requises par ce dernier lorsqu’ils font rapport au titre d’autres actes juridiques de l’Union ».

[6] M. Torre-Schaub, Quelle protection juridique pour les forêts ?, The Conversation, 3 septembre 2019, (accès le 1er juillet 2023) [en ligne].

[7] Règlement (UE) n° 995/2010, du Parlement européen et du Conseil, du 20 octobre 2010, établissant les obligations des opérateurs qui mettent du bois et des produits dérivés sur le marché.

[8] Trois fonctions par ailleurs déjà reconnues dans le code forestier français et devant être assurées par les politiques forestières nationales. C. for., art. L. 121-1 N° Lexbase : C02677QX : « La politique forestière a pour objet d'assurer la gestion durable et la vocation multifonctionnelle, à la fois écologique, sociale et économique, des bois et forêts ».

[9] Ch. Carcaillet, B. Talon, « La forêt en France depuis la dernière glaciation » in Livre blanc sur la protection des forêts naturelles en France, sous la coordination de D. Vallauri, coll. Tec & Doc, éd. Lavoisier, 2003, pp. 19-31.

[10] C. for., art. L. 111-2 N° Lexbase : L7301MDR.

[11] En témoigne l’exemple de la savane du Cerrado au Brésil.

[12] Article 1 et Annexe I du Règlement.

[13] Annexe I du Règlement (CEE) n° 2658/87, du Conseil du 23 juillet 1987, relatif à la nomenclature tarifaire et statistique et au tarif douanier commun, dans sa dernière version consolidée du 17 juin 2023.

[14] Tel est par exemple le cas pour les produits issus du palmier à huile, puisque si les noix et amandes de palmiste relèvent du Chapitre 12 (« graines et fruits oléagineux ; graines, semences et fruits divers ; plantes industrielles ou médicinales ; pailles et fourrages »), on retrouve l’huile de palme au sein du Chapitre 15 (« graisses et huiles animales, végétales ou d’origine microbienne et produits de leur dissociation; graisses alimentaires élaborées; cires d'origine animale ou végétale »), alors que le glycérol et certains acides (palmitique, stéarique, monocarboxylique) sont quant à eux intégrés au Chapitre 29 (« produits chimiques organiques »).

[15] Article 1§2.

[16] Article 37.

[17] Considérant 40 et Annexe I.

[18] Au sens de l’article 3, point 1), de la Directive « cadre déchets » (Directive (CE) n° 2008/98 du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008, relative aux déchets et abrogeant certaines Directives N° Lexbase : L8806IBR).

[19] Considérant 30 et article 7.

[20] Auquel l’article 2, §34 du Règlement déforestation importée, consacré à la définition de la notion de « territoire douanier », renvoie expressément.

[21] C169 - Convention (n° 169) relative aux peuples indigènes et tribaux, 1989.

[22] Adoptée par l'Assemblée générale de l'ONU le 13 septembre 2007 à la majorité de 143 voix contre 4.

[23] L’ONG dévoile ainsi que « L'exploitation forestière est le secteur qui a connu la plus forte augmentation des meurtres dans le monde depuis 2018, avec 85 % d'attaques supplémentaires contre les défenseurs qui s'opposent à l'industrie. Plus des deux tiers des meurtres ont eu lieu en Amérique latine, qui a toujours été classée comme le continent le plus touché depuis que Global Witness a commencé à publier des données en 2012 ». Communiqué Global Witness, « Le nombre d'assassinats de militants pour la défense de la terre et de l'environnement en une année a été plus élevé que jamais », 29 juillet 2020 [en ligne]

[24] Article 231 de la Constitution brésilienne de 1988, qui peut être consulté ici [en ligne].

[25] QE n° 09601 de M. Jean-Etienne Antoinette, JO Sénat 5 décembre 2013 p. 3459, réponse publ. 26 décembre 2013 p. 3716, 14ème législature N° Lexbase : L1099KKW.

[26] L’impact du Règlement pour la Guyane devant selon nous être néanmoins être relativisé, puisque la Guyane semble actuellement davantage concernée par les problématiques d’orpaillage, activité hors du champ d’application du règlement qui ne porte que sur la problématique du commerce international.

[27] Articles 8, 9, 10, 11 du Règlement déforestation importée.

[28] Notons toutefois que des garde-fous existent contre ce risque, puisqu’il est exigé par le CDU que cette dernière transformation ou ouvraison devra être économiquement justifiée, effectuée dans une entreprise équipée à cet effet et ayant abouti à la fabrication d'un produit nouveau ou correspondant à un stade de fabrication important.

[29] Annexe 22-01 du Règlement délégué (UE) 2015/2446, de la Commission du 28 juillet 2015, complétant le règlement (UE) n° 952/2013, du Parlement européen et du Conseil, au sujet des modalités de certaines dispositions du code des douanes de l’Union N° Lexbase : L3629KWC (dans sa version consolidée au 7 juillet 2023 issu du Règlement délégué (UE) n° 2023/398 de la Commission du 14 décembre 2022).

[30] Et sous réserve que les autres conditions évoquées en note de bas de page n° 31 soient également vérifiées.

[31] Article 25 du Règlement déforestation importée.

[32] Article I.

[33] Article XX.

[34] Ces mesures ne soient pas appliquées de façon à constituer soit un moyen de discrimination arbitraire ou injustifiable entre les pays où les mêmes conditions existent, soit une restriction déguisée au commerce international.

[35] Article XX, b.

[36] Article XX, g.

[37] Article 2.

[38] Annexe I.

[39] Sur ce point, voir « Géopolitique des forêts du monde Quelles stratégies de lutte contre la déforestation ? » Alain Karsenty, juin 2021.

[40] Par exemple, l’Accord commercial UE-Colombie-Pérou-Équateur, l’Accord de partenariat 2000/483/CE entre les membres du groupe des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, ou encore le Règlement (UE) n° 978/2012, du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2012, appliquant un schéma de préférences tarifaires généralisées et abrogeant le règlement (CE) n° 732/2008 du Conseil N° Lexbase : L4855IUD.

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