Réf. : Cass. com., 5 juillet 2023, n° 22-10.104, F-B N° Lexbase : A366998E
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par Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université Côte d'Azur, Directeur du Master 2 Administration et liquidation des entreprises en difficulté de la Faculté de droit de Nice, Membre CERDP (EA 1201)
le 14 Septembre 2023
Mots-clés : admission des créances au passif • date d’appréciation de la créance • jugement d’ouverture • indifférence des événements postérieurs au jugement d’ouverture sur la créance à admettre au passif
Le montant de la créance à admettre au passif est celui existant au jour du jugement d'ouverture, date à laquelle le juge-commissaire puis la cour d'appel se prononçant sur la contestation d'une telle créance doivent se placer pour statuer sur son admission, sans tenir compte d'événements postérieurs susceptibles d'influer sur la somme qui sera ultérieurement distribuée par le liquidateur.
Les créanciers titulaires d’une créance antérieure au jugement d’ouverture sont soumis aux règles de la discipline collective. Fondamentalement, ces règles ont pour objet la protection du gage commun. Le montant de l’actif distribuable, qui existe au jour du jugement doit exister encore lorsque l’heure des paiements collectifs interviendra. Un organe est là pour veiller à ce qu’il en soit ainsi : l’organe de défense de l’intérêt collectif des créanciers.
Privés du droit d’accès individuel aux actifs saisissables du débiteur, les partenaires contractuels ou institutionnels du débiteur doivent se faire reconnaître comme créanciers par la déclaration de créance. Celle-ci représente une photographie de la créance, telle qu’elle existe au jour du jugement d’ouverture, quant à son existence, sa nature et son montant.
Le droit d’entrée du créancier dans la procédure collective, laquelle est comparable à un château fort muni d’un pont-levis, prendra la forme d’une admission de leur créance au passif. Rendant leur créance opposable à la procédure collective, l’admission entrainera la baisse du pont-levis. Le créancier entrera dans le château et se verra dire : « créancier, vous êtes des nôtres. Prenez place à table, vous avez le droit de partager le repas », c’est-à-dire de participer aux répartitions liquidatives ou aux dividendes du plan.
Cependant, ce droit de participer au partage du repas, l’actif distribuable, dépendra du montant et de la nature de la créance. À quelle date faut-il se placer pour apprécier le droit à paiement du créancier ? Trois dates peuvent en théorie être proposées : la date du jugement d’ouverture, la date de la déclaration de créance, celle de l’admission au passif.
La Cour de cassation a déjà eu, à de nombreuses reprises, l’occasion de la préciser. Elle le fait ici une nouvelle fois, sans modifier sa solution désormais bien classique.
En l’espèce, la société Crédit du Nord, aux droits de laquelle est venue la Société générale (la banque), a déclaré une créance à la procédure collective au titre de la garantie d'achèvement des travaux consentie le 26 juin 2012 à la société Capnor Invest pour un programme immobilier réalisé par la société débitrice sous le régime de la vente d'immeubles à rénover.
Le liquidateur a contesté cette créance en soutenant que la garantie d'achèvement n'était plus susceptible d'être engagée par les acquéreurs des différents lots, dès lors qu'il avait réalisé les immeubles dépendant de l'actif de la procédure collective par voie d'adjudication et que l'action susceptible d'être exercée par les acquéreurs des autres lots, en raison de l'inachèvement des travaux, était nécessairement prescrite.
La cour d’appel [1]ne va pas faire droit aux prétentions du liquidateur en admettant la créance de la banque, créance de recours de la caution avant paiement sur le fondement de l’article 2309 du Code civil N° Lexbase : L1208HIL, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 N° Lexbase : L8997L7D.
Le liquidateur pouvait-il se fonder sur des évènements postérieurs à la déclaration de créance pour prétendre au rejet de la créance de la banque ?
Reprenant une solution désormais très classique, la Cour de cassation va rejeter le pourvoi du liquidateur en jugeant qu’ « Il résulte des articles L. 622-24, alinéa 1 N° Lexbase : L8803LQ4, et L. 622-25 N° Lexbase : L9126L77 du Code de commerce, qu'au titre des créances antérieures au jugement d'ouverture de la procédure collective, le montant de la créance à admettre est celui existant au jour de ce jugement d'ouverture, date à laquelle le juge-commissaire puis la cour d'appel se prononçant sur la contestation d'une telle créance doivent se placer pour statuer sur son admission, sans tenir compte d'événements postérieurs susceptibles d'influer sur la somme qui sera ultérieurement distribuée par le liquidateur. Il s'ensuit que l'admission de la créance déclarée par la banque au titre de la garantie d'achèvement des travaux en application de l'article 2309 du code civil qui, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n 2021-1192 du 15 septembre 2021, applicable au cautionnement consenti par la société Crédit du Nord, permettait à la caution, même avant d'avoir payé, d'agir contre le débiteur pour être indemnisée, lorsque ce dernier était en procédure collective, ne peut être tributaire des conditions de la réalisation des immeubles dépendant de l'actif de la procédure collective pendant le cours de cette procédure ou d'une prescription de l'action en garantie prétendument acquise cinq ans après l'ouverture de cette procédure ».
Le premier principe rappelé par la Cour de cassation est très classique : la créance à admettre au passif est celle qui existe au jour du jugement d’ouverture [2]. L’admission au passif, comme la déclaration de créance, est une représentation de la créance telle qu’elle existe au jour du jugement d’ouverture. Par conséquent, des évènements postérieurs au jugement d’ouverture ne peuvent être pris en compte [3]. C’est ainsi que les paiements postérieurs au jugement d’ouverture ne peuvent être pris en compte pour venir minorer le montant de l’admission au passif.
La prescription, en supposant qu’elle puisse jouer après le jugement d’ouverture, ne peut davantage empêcher l’admission au passif, puisque la créance doit être admise dans les conditions de la créance au jour du jugement d’ouverture. Si la prescription n’a pas joué à cette date, elle ne peut faire obstacle à l’admission de la créance.
Au demeurant, la déclaration de créance est interruptive de la prescription en application de l’article L. 622-25-1 N° Lexbase : L7238IZ4 et cette interruption de prescription perdure jusqu’à la clôture de la procédure.
Est-ce à dire que le créancier, admis au passif, sera payé dans les conditions de l’admission de sa créance ? On serait tenté de le soutenir en raison de l’autorité de la chose jugée attachée à l’admission au passif, laquelle porte sur l’existence, la nature et le montant de la créance. Mais ce serait oublier un élément important : l’admission de la créance intervient au regard de la créance telle qu’elle existe au jour du jugement d’ouverture. Des évènements postérieurs à l’ouverture de la procédure peuvent donc être pris en compte sans venir contrarier l’autorité de la chose jugée attachée à l’admission, laquelle n’existe qu’au regard de ce qui existe au jour de l’ouverture de la procédure collective. Et cela justifie que le montant à payer au créancier ne soit pas nécessairement celui admis au passif. C’est bien ce que précise ici la Cour de cassation. « Le montant de la créance à admettre est celui existant au jour de ce jugement d'ouverture […] sans tenir compte d'événements postérieurs susceptibles d'influer sur la somme qui sera ultérieurement distribuée par le liquidateur ». La Cour de cassation considère donc clairement qu’il est possible pour le liquidateur de distribuer moins au créancier que ce qui a été admis au passif, pour tenir compte d'événements postérieurs influant sur le montant à verser au créancier.
La solution avait déjà été posée par la Cour de cassation à propos des intérêts à échoir à admettre au passif, en cas de continaution du cours des itnérêts. Le créancier est autorisé à déclarer les mensualités à échoir d’un prêt, lesquelles intégrent capital et intérêts [4]. Or la durée du cours des intérêts conditionne en réalité ce qui sera dû par le débiteur.
La Cour de cassation a cependant réussi à éviter que le créancier ne puisse toucher, sur le fondement d’une admission au passif des intérêts courant jusqu’au jour du terme du contrat, plus que ce qui lui est dû. Elle juge que le montant de la créance à admettre au passif est celui existant au jour de l’ouverture de la procédure collective. C’est donc à cette date que le juge-commissaire, qui admet une créance d’intérêts dont le cours n’est pas arrêté doit se placer pour déterminer, soit les modalités de calcul des intérêts, soit leur montant, si celui-ci peut être calculé, sans qu’il ait, au moment de l’admission, à tenir compte d’événements postérieurs pouvant influer sur le cours des intérêts à échoir. Mais l’admission de la créance déclarée étant distincte de son règlement, le paiement du capital de la créance aura pour effet d’arrêter le cours des intérêts non encore échus à la date de ce paiement. Par conséquent, seul le montant des intérêts courus jusqu’à la date de ce paiement doit être réglé par le liquidateur, le trop versé représentant les intérêts courus jusqu’au terme des prêts devant lui être restitué [5].
C’est une solution reposant sur un fondement identique qui est ici à nouveau appliquée : le montant du paiement pourra être différent du montant de l’admission au passif, dès lors que des évènements postérieurs au jugement d’ouverture conduisent à minorer le montant des sommes qui restent dues, et spécialement des paiements postérieurs au jugement d’ouverture.
Les mandataires judiciaires doivent retenir la leçon : l’admission au passif n’est que le miroir de la déclaration de créance, laquelle est elle-même une photographie de la créance au jour du jugement d’ouverture. En revanche, lorsqu’il s‘agira de répartir, il faudra prendre en compte ce qui reste effectivement dû, et tenir compte, par voie de conséquence, de tous les évènements postérieurs au jugement d’ouverture d’où résulterait une diminution de ce qui reste dû au créancier.
[1] CA Douai, 4 novembre 2021, n° 20/04199 N° Lexbase : A02707BM.
[2] Cass. com., 8 juin 2010, n° 09-14.624, FS-P+B N° Lexbase : A0130EZT, Gaz. Pal. entr. diff., 15-16 octobre 2010, p. 32, note E. Le Corre-Broly ; JCP E, 2010, Chron. 1742, n° 9, obs. M. Cabrillac ; Rev. proc. coll., 2011, comm. 39, p. 46, note F. Legrand et M.-N. Legrand – Cass. com., 26 février 2020, n° 18-20.321, F-D N° Lexbase : A77803GA.
[3] Sur le détail de cette question, P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz Action, 2023/2024, 12ème éd., n° 682.241.
[4] Cass. com. 8 mars 2017, n° 15-22.722, F-D N° Lexbase : A4542T3M.
[5] Cass. com., 1er Juillet 2020, n° 19-10.331, F-P+B N° Lexbase : A56893QR, D., 2020 chron. 1857, note F.-X.Lucas ; Rev. sociétés, 2020, 511, note L.-C. Henry ; BJE, septobre/octobre 2020, p. 29, note G. Jazottes ; Act. proc. coll., 2020/16, comm. 214, note J. Vallansan ; Rev. proc. coll., mai/juin 2021, comm. 57, note Legrand ; P.-M. Le Corre, Lexbase Affaires, juillet 2020, n° 644 N° Lexbase : N4179BYG.
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