La lettre juridique n°956 du 14 septembre 2023 : Avocats/Déontologie

[Jurisprudence] Code de déontologie des avocats : qu’est-ce qui change ?

Réf. : Décret n° 2023-552 du 30 juin 2023 portant Code de déontologie des avocats N° Lexbase : L0651MIX

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par Dominic Jensen, avocat au Barreau de Paris, associé Librato Avocats. Membre expert de la Commission structures professionnelles de l’avocat du CNB, membre référent du Réseau structures du CNB, enseignant à l’EFB.

le 07 Septembre 2023

Mots-clés : avocats • déontologie • Code de déontologie des avocats •  loi pour la confiance dans l’institution judiciaire •  règlement intérieur national (RIN) •  discipline.

Le décret n° 2023-552 du 30 juin 2023, entré en vigueur le lendemain de sa publication, crée un Code de déontologie à destination des avocats, magistrats, justiciables et l'ensemble des interlocuteurs des avocats. Pour analyser la portée de ce Code, il faut d’abord en comprendre la genèse. Simple exercice de formatage et de numérotation ou davantage ? Nous chercherons à mesurer les apports réels de ce Code tant pour les avocats que pour leurs clients.


 

L’origine

Le décret n° 2023-552 du 30 juin 2023 portant Code de déontologie des avocats a été pris en application de l'article 53, 2° de la loi du 31 décembre 1971[1], dans sa version issue de l'article 42 de la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire[2]. Cette loi trouve elle-même ses racines dans un rapport de l'Inspection générale de la justice remis au Garde des Sceaux le 15 décembre 2020[3].

La loi pour la confiance dans l'institution judiciaire repose sur le principe selon lequel la confiance du public dans le travail des professionnels du droit est étroitement liée à la qualité du traitement des réclamations et à l'efficacité des mesures disciplinaires qui les concernent. L'objectif de cette loi était de concrétiser cette idée. Mettant en œuvre une des conclusions du rapport selon laquelle il était nécessaire de renforcer l'accessibilité des règles de déontologie des professionnels du droit, il a donc été décidé de doter chaque profession d'un « Code de déontologie préparé par son instance nationale ».

S’agissant des avocats, malgré l'existence d’un Code de l'avocat[4], les règles régissant cette profession proviennent de différentes sources juridiques, ce qui peut compliquer leur compréhension pour les personnes non initiées. Comme l’explique Jérôme Gavaudan, Président du CNB[5], le Code de déontologie des avocats est avant tout un exercice de compilation et de recensement effectué par le Conseil national des barreaux[6] avec pour objectif d’énoncer les grands principes applicables aux avocats dans leurs relations avec l'ensemble de leurs interlocuteurs.

La création de ce Code s’inscrit aussi dans le prolongement de la réforme de la discipline des avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation, des commissaires de justice, des greffiers des tribunaux de commerce, des notaires et des avocats, portée par la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021.

On ne peut en effet dissocier l’apparition de ce Code de déontologie des avocats de la réforme de la procédure de discipline de la profession. Le rapport susvisé de l’Inspection générale de la justice, avait relevé la diversité et la complexité des régimes disciplinaires des professions du droit en en soulignant les conséquences préjudiciables pour les justiciables : un traitement insatisfaisant des réclamations des usagers, « esseulés » et particulièrement « désemparés », un contrôle disciplinaire parfois défaillant. Notre sujet n’est pas de commenter la réforme de la discipline. Il s’agit ici de comprendre l’articulation entre la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire, la réforme de la discipline des avocats et la création du Code de déontologie. Les lecteurs pourront notamment se reporter à l’analyse faite par Édouard de Lamaze sur le sujet.

Cette articulation est parfaitement expliquée lorsque le rapport de l’Inspection générale de la justice fait le constat suivant concernant les règles déontologiques des professions concernées : « des valeurs déontologiques soutenant l’image et le bon fonctionnement de la profession plutôt qu’encadrant la prestation au client »[7]. Ce dernier point est essentiel dans la compréhension de la genèse du Code de déontologie portée par le récent décret. Il s’agit de changer de prisme dans la présentation des règles qui régissent la profession pour passer d’une approche autocentrée à une démarche explicative davantage axée sur le client.

Le fond et la forme

L’effet d’annonce de l’arrivée d’un Code de déontologie des avocats pouvait donner l’impression de la création d’un nouveau corpus de règles qui s’imposerait dorénavant à la profession d’avocat. Ce n’est pas le cas.

La mission du CNB, en application des instructions et consignes de la DACS a consisté à recenser et à compiler les principes déontologiques figurant dans les textes existants pour qu’ils puissent être plus facilement portés à la connaissance du public. Il faut y voir un double objectif : celui d’éclairer le justiciable sur ses droits lorsqu’il a recours aux services d’un avocat et, plus important encore, donner au public une information accessible sur les principes et règles déontologiques qui gouvernent la profession d’avocat. Cet objectif pédagogique dépasse le simple cadre de la relation client- avocat et s’inscrit pleinement dans la volonté d’améliorer la relation globale de confiance du citoyen avec tous les rouages de l’appareil judiciaire.

La commission des règles et usages du CNB a constitué un groupe de travail composé de certains de ses membres ainsi que de représentants du barreau de Paris et de la Conférence des Bâtonniers[8]. Il en a résulté une codification à droit constant organisée en six titres et 54 articles organisés de la manière suivante :

Titre 1er : Principes essentiels de la profession d'avocat (art. 1 à 5) ;

Titre II : Devoirs envers les clients (art. 6 à 15) ;

Titre III : Devoirs envers la partie adverse et envers les confrères (art. 16 à 20) ;

Titre IV : Incompatibilités (art. 21 à 35) ;

Titre V : Conditions d'exercice de la profession (art. 36 à 50) ;

Titre VI : Dispositions diverses (art. 51 à 54).

Quelques nuances minimes

Le Code de déontologie ne vient pas remplacer les textes existants. Ceux-ci continuent à s’appliquer. Dans leurs rapports entre eux comme avec les tiers, les avocats continueront à se référer au Règlement Intérieur National ou aux règlements intérieurs de leurs Ordres ainsi qu’à la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ou au décret n° 91-1190 du 27 novembre 1991 N° Lexbase : L8168AID.

Si rien ne change donc sur le fond, la rédaction de certains articles du Code constitue néanmoins une clarification dans la mesure où l’exercice de compilation a aussi été un exercice de synthèse et parfois de pédagogie.

Dans sa méthode de travail, le groupe constitué par le CNB est parti du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d'avocat N° Lexbase : L6025IGA, désormais abrogé. Le travail a alors consisté à compléter les textes du décret avec les principes énoncés dans la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, dans le décret n° 91-1190 du 27 novembre 1991 et enfin dans le Règlement intérieur national de la profession d'avocat (RIN) N° Lexbase : L4063IP8.

Le CNB a ainsi établi un tableau de concordance entre les articles du décret du 12 juillet 2005 et les articles du nouveau code.   

Quelques différences peuvent être relevées entre les textes du décret de 2005, les dispositions figurant actuellement dans le RIN et le nouveau Code de déontologie. Ces différences, toutefois minimes, sont essentiellement à destination du public. Elles rappellent certains principes et jettent aussi une lumière plus ouverte et moins corporatiste sur certains aspects du fonctionnement de la profession. Dans leur esprit, elles s’inscrivent dans le prolongement de la réforme de la procédure disciplinaire : plus lisible et transparente.

Les différences suivantes peuvent être relevées :

L’article 4 concernant le secret professionnel est complété par la phrase : « L’avocat ne peut en (ndlr : le secret professionnel) être relevé par son client ni par quelque autorité ou personne que ce soit, sauf dans les cas prévus par la loi ».

Article 7 apporte une précision sur les conflits d’intérêts en intégrant le dernier alinéa de l’article 4.1 du RIN : « Les mêmes règles (ndlr : celles des conflits d’intérêts) s’appliquent entre l’avocat collaborateur, pour ses dossiers personnels, et l’avocat ou la structure d’exercice avec lequel ou laquelle il collabore ».

Article 17 concernant la recherche de solutions amiables est une transposition de l’article 8.2. du RIN : « Avant toute procédure ou lorsqu’une action est déjà pendante devant une juridiction, l’avocat peut, sous réserve de recueillir l’assentiment de son client, prendre contact avec la partie adverse ou la recevoir afin de lui proposer un règlement amiable du différend ».

Article 20 concernant la confraternité retient une rédaction plus simple que celle de l’article 21.5.1.1 « confraternité » - issu du Code de déontologie des avocats européens :

« La confraternité exige des relations de confiance entre avocats, dans l’intérêt du client et pour éviter des procès inutiles ainsi que tout autre comportement susceptible de nuire à la réputation de la profession. Elle ne doit cependant jamais mettre en opposition les intérêts de l’avocat et ceux du client ». Celui-ci devient : « Dans l’intérêt du client et d’un exercice professionnel de qualité, la confraternité exige des relations de confiance entre avocats. Elle ne doit cependant jamais mettre en opposition les intérêts de l’avocat et ceux du client ».

La portée du nouveau Code

Comme indiqué ci-dessus, à l’exception du décret du 12 juillet 2005 maintenant abrogé, les textes existants continuent à s’appliquer et le RIN reste le corpus de règles auquel les avocats vont continuer à se référer. Pour autant, l’apparition de ce Code soulève des interrogations sur l’articulation de la norme déontologique.

La question se pose notamment de savoir comment le Code de déontologie va évoluer alors que le CNB conserve bien entendu son pouvoir normatif d’élaboration du RIN.  

Comme le rappelle Jérôme Gavaudan[9], la publication du décret du 30 juin 2023 n'affecte pas cet ordre juridique. Le CNB conserve son pouvoir normatif défini par la loi, et le Règlement intérieur national (RIN), applicable à l'ensemble des avocats dans tous les ressorts des barreaux, continue de s'imposer, leur règlement intérieur propre ne pouvant y déroger. Le Président du CNB y voit même un renforcement des pouvoirs du CNB puisque c’est à ce dernier que la loi a confié la mission de préparer le Code de déontologie des avocats, conformément aux dispositions de l'article 53, 2° de la loi du 31 décembre 1971, qui attribue au pouvoir réglementaire la compétence pour établir les règles de déontologie.

Dans les années à venir, le Conseil national des barreaux (CNB) sera habilité à soumettre des modifications au Code de déontologie, dépassant ainsi le cadre de son Règlement intérieur national (RIN), pour s'ajuster aux réalités de l'exercice professionnel des avocats, aux évolutions du marché juridique et aux besoins des justiciables.

Le Code de déontologie est donc une compilation normative conçue pour simplifier l'accès et la compréhension des règles, tant pour les justiciables que pour les professionnels. Cependant, il est primordial de souligner que cette codification ne modifie en rien la valeur normative des règles, celles-ci conservant leur poids et leur portée d'origine. En d'autres termes, le Code n'accorde aucune supériorité aux règles qu'il recense, mais vise plutôt à les rendre plus accessibles dans la pratique professionnelle et pour le public.

Au-delà de ce constat technique, il est indéniable que la création du Code de déontologie est un progrès pour le justiciable, client de l’avocat, qui jusqu’à présent devait se tourner vers des textes (le Règlement Intérieur National, la loi de 1970 ou le décret de 1991) dont aucun n’avait été rédigé pour sa compréhension. S’agissant des avocats, eux-mêmes, gageons que les instances, et le CNB en particulier, sauront faire en sorte d’éviter les différences entre le Code de déontologie et l’ensemble des règles applicables à la profession d’avocat. Les avocats sont friands d’interprétations et de nuances. Il ne faudrait pas, qu’au fil du temps, de petits décalages entre le RIN et le Code viennent créer des zones de flou qui desserviraient à la fois les avocats et leurs clients. Pour l’heure, saluons l’initiative… même si sur le fond elle ne change pas grand-chose.

 

[1] Loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 N° Lexbase : L6343AGZ.

[2] Loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire N° Lexbase : Z459921T.

[3] Inspection générale de la justice, Rapport Mission sur la discipline des professions du droit et du chiffre octobre 2020, n° 074-20 Ω N° 2019/00287.

[4] Code de l’avocat, commenté et annoté, Dalloz.

[5] La Semaine Juridique Edition Générale n° 28, 17 juillet 2023, 889

[6] CNB, AG, réso., 10 juin 2022.

[7] Rapport Inspection générale de la justice, précité, p. 18.

[8] CNB Actualités, Le CNB pilote la création du Code de déontologie des avocats, 14 juin 2022.

[9] La Semaine Juridique Edition Générale n° 28, 17 juillet 2023, 889, précité.

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