Le Quotidien du 27 juillet 2023 : Droit des étrangers

[Questions à...] Les conséquences de la nature de la mission « consultative »​​​​​ ​​de la CNDA sur la possibilité (ou non) de former un recours contre ses avis - Questions à Delphine Burriez, Maître de conférences, Université Paris 2 - Panthéon Assas

Réf. : CE, 2°-7° ch. réunies, 1er juin 2023, n° 468549, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A78469XU

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N6322BZ8

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[Questions à...] Les conséquences de la nature de la mission « consultative »​​​​​ ​​de la CNDA sur la possibilité (ou non) de former un recours contre ses avis - Questions à Delphine Burriez, Maître de conférences, Université Paris 2 - Panthéon Assas. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/98334404-0
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le 27 Juillet 2023

Mots clés : CNDA • réfugiés • recours contentieux • éloignement • OFPRA

Dans un arrêt rendu le 1er juin 2023, le Conseil d’État a dit pour droit qu’un avis de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) concernant l’annulation d’une mesure d’éloignement d’un « ex-réfugié » ne peut faire l’objet d’un recours contentieux. Une solution logique au vu des conclusions du rapporteur public Philippe Ranquet, dans lesquelles celui-ci indiquait que « la CNDA ne décide pas à la place de l’administration ni du juge de la mesure d’éloignement : l’avis les éclaire mais il leur appartient de déterminer quelles conséquences ils en tirent. On se trouve entièrement (…) dans une mission 'consultative' ». Pour revenir sur cette décision, Lexbase Public a interrogé Delphine Burriez, Maître de conférences, Université Paris 2 - Panthéon Assas*.


 

Lexbase : Pouvez-vous nous rappeler les compétences générales de la CNDA ?

Delphine Burriez : La Cour nationale du droit d’asile dispose d’attributions contentieuses. Elle statue sur les recours formés contre les décisions de l’OFPRA relatives à l’octroi d’une protection internationale (décision reconnaissant la qualité de refugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire, décision mettant fin au statut de réfugié ou au bénéfice de la protection subsidiaire, décision rejetant une demande de réexamen…). Elle exerce cette compétence en qualité de juge de plein contentieux appréciant la situation du requérant au titre de l’asile au regard des éléments de fait dont elle a connaissance au moment où elle statue, et non en tant que juge de la légalité de la décision prise par l’OFPRA.

Au-delà de cette compétence, dont l’exercice représente l’essentiel de son activité (61 552 recours introduits en 2022), la CNDA « examine » les « requêtes » des réfugiés faisant l’objet de certaines mesures visées par la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés N° Lexbase : L6810BHP, et formule des « avis » favorables au maintien ou à l’annulation de ces mesures (CESEDA, art. L. 532-4 N° Lexbase : L3458LZ4). Sont principalement visées les mesures d’éloignement (obligation de quitter le territoire français, expulsion…) qui peuvent être prises à l’encontre d’une personne à qui la qualité de réfugié a été reconnue.

Lexbase : Le Conseil d’État a-t-il déjà eu à se prononcer sur les avis rendus par la CNDA ?

Delphine Burriez : Par le passé, le Conseil d’État s’est prononcé à une seule reprise sur un avis rendu dans le cadre de cette procédure par une décision du 28 juillet 1995 [1]. Il s’agissait, en l’espèce, d’un avis de la Commission des recours des réfugiés qui déclinait sa compétence du fait que le requérant ne bénéficiait pas de la qualité de réfugié. Il a fallu attendre la décision du 1er juin 2023 pour que le Conseil d’État soit à nouveau saisi d’un recours contre un avis rendu par le juge de l’asile. Il faut dire que le nombre d’avis rendus par la Cour sur ce fondement est faible (12 avis rendus en 2022). Il est toutefois en augmentation ces dernières années, ce qui confère à cette saisine une certaine importance. Cette évolution tient en partie à une jurisprudence récente de la CJUE, suivie par le Conseil d’État, qui dissocie qualité et statut de réfugié [2]. Dans ce sens, l’OFPRA peut mettre fin au statut de réfugié (en application de l’article L. 511-7 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile N° Lexbase : L7583L7Y) sans remettre en cause la qualité de réfugié. Ne bénéficiant plus du statut, l’intéressé est susceptible de faire l’objet de mesures d’éloignement qui entrent dans le champ de cette procédure d’avis assez particulière, réservée aux personnes reconnues comme réfugiés.

Lexbase : En l'occurrence, il dénie à l'avis de la CNDA la nature d'acte juridictionnel. Êtes-vous d'accord avec cette position ?

Delphine Burriez : Alors qu’il n’avait pas expressément tranché la question dans sa décision du 28 juillet 1995, le Conseil d’État rejette la requête au motif que l’avis de la CNDA sur le maintien ou l’annulation de la mesure d’expulsion du réfugié « n’est pas susceptible de recours contentieux ». On comprend en effet, à la lecture de la décision et des conclusions du rapporteur public, que la haute juridiction dénie à cet avis le caractère d’acte juridictionnel. La question méritait d’être posée – on remarque qu’elle a passé le filtre de l’admission du recours devant le Conseil d’État – tant la procédure applicable à la demande d’avis s’apparente à une procédure juridictionnelle. Ainsi, la Cour est saisie d’une « requête » qui suspend l’exécution de la mesure et qui est soumise à des obligations procédurales (délai, obligation de joindre la mesure litigieuse à la requête…). De plus, la demande est soumise à une instruction contradictoire avec communication de la requête au ministère de l’Intérieur et convocation du requérant à une audience (en principe collégiale). Mais malgré l’importance que ces éléments revêtent en termes de garantie procédurale, ils ne sont pas suffisants à qualifier l’avis d’acte juridictionnel.

L’avis rendu par la CNDA est en effet dépourvu de caractère obligatoire. Il ne s’impose ni à l’administration qui a pris la mesure d’éloignement, ni au juge administratif qui a pu être saisi d’un recours contre cette dernière. La pratique offre ainsi des exemples de décisions du juge administratif qui rejette la requête dirigée contre la mesure litigieuse alors que la CNDA avait formulé un avis favorable à son annulation [3]. À défaut de caractère obligatoire, l’avis du juge de l’asile est dépourvu d’autorité de la chose jugée et ne peut revêtir le caractère d’acte juridictionnel. On ne peut donc que souscrire à la solution retenue par le Conseil d’État et on pourrait d’ailleurs questionner l’intérêt d’un tel recours contentieux contre un avis qui ne s’impose ni à l’administration ni au juge administratif. Il aurait toutefois peut-être été utile de préciser le fondement du caractère non contraignant de l’avis rendu par la CNDA. Si la solution semble acquise en pratique, on relèvera que les textes applicables sont silencieux sur ce point.

Lexbase : Au final, la non-admission d'un recours contre un avis de la CNDA fait-elle œuvre ou non de simplification du contentieux du droit des étrangers ?

Delphine Burriez : La procédure d’avis à la CNDA a vocation à intervenir en lien avec un recours dirigé contre les mesures d’éloignement, que ce soit au titre d’une procédure en référé ou d’un recours en légalité. En pratique, la saisine pour avis de la CNDA est généralement effectuée avant la saisine du juge administratif, afin de suspendre l’exécution desdites mesures. Au juge administratif d’apprécier alors les conséquences qu’il entend tirer, pour le contentieux dont il est saisi, de l’avis rendu par la Cour en faveur du maintien ou de l’annulation des mesures d’éloignement. Dans ce contexte, la non-admission d’un recours contre l’avis de la CNDA a pour effet d’éviter la juxtaposition de deux instances, l’une relative aux mesures d’éloignement et l’autre relative à l’avis de la CNDA. Sont ainsi écartées les difficultés d’articulation qui peuvent être source de complexification du contentieux mais aussi d’allongement de la procédure. L’admission d’un tel recours aurait, par ailleurs, soulevé de nombreuses questions relatives aux règles qui lui sont applicables (qualité de partie au recours, effet suspensif du recours…), du fait du silence des textes. Ainsi, la solution retenue par le Conseil d’État, même si elle ne se fonde pas sur ces préoccupations, évite une complexification certainement peu utile du contentieux du droit des étrangers, ou plus précisément du contentieux de l’éloignement du réfugié qui en constitue une composante assez spécifique.

*Propos recueillis par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Public.


[1] CE, 28 juillet 1995, n° 149067 N° Lexbase : A5151AN4.

[2] CJUE, 14 mai 2019, aff. C-391/16, C-77/17, C-78/17 N° Lexbase : A1555ZB9 et CE, 19 juin 2020, n° 416032, 416121, 422740, 425231 N° Lexbase : A33503PR.

[3] Voir par exemple, TA Paris, 24 juin 2022, n° 2213568/9.

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