La lettre juridique n°952 du 6 juillet 2023 : Fiscalité des particuliers

[Jurisprudence] De l’investissement immobilier en outre-mer, du droit de jouir d’une réduction d’impôt, de l’agrément ministériel

Réf. : CAA Nantes, 5 mai 2023, n° 22NT01879 N° Lexbase : A24039T8

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N6133BZ8

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par Franck Laffaille, Professeur de droit public (IDPS) - Université de Sorbonne Paris Nord

le 05 Juillet 2023

Mots-clés : iknvestissements outre-mer • impôt sur le revenu • réduction d’impôt • immobilier

La cour administrative d’appel de Nantes est venue apporter des précisions sur les investissements immobiliers outre-mer.


 

Un contribuable souscrit en 2011 à une augmentation de capital social d’une SCI créée par les associés d’une SARL. L’objet social de cette dernière consiste en la réalisation d’un ensemble immobilier de 117 logements sur un terrain situé en Nouvelle-Calédonie. Associé de la SCI, notre contribuable bénéficie d’une réduction d’IR au titre de l’année 2015 en vertu de l’article 199 undecies A du CGI N° Lexbase : L8919MCC (réduction d’impôt en cas d’investissement en Nouvelle-Calédonie, avec agrément préalable obligatoire du ministre du budget en cas d’investissement supérieur à 2 millions d’euros). Constatant l’absence d’agrément préalable du ministre, l’administration remet en cause le bénéfice de la réduction d’impôt pour non-respect des conditions édictées par l’article 199 undecies A du CGI. Contentieux. Le contribuable se tourne vers le TA de Caen afin qu’il prononce la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d’IR et de prélèvements sociaux par lui subis. Le TA de Caen rejette sa demande.

Les griefs du requérant sont multiples. Le jugement du TA serait irrégulier faute d’avoir répondu au moyen tiré de la motivation insuffisante de la proposition de rectification ; de plus, le TA n’aurait pas répondu au moyen tiré de l’absence de communication des documents fondant la proposition de rectification. Méconnaissance il y aurait eu des articles L. 57 N° Lexbase : L0638IH4 et R. 57-1 N° Lexbase : L2033IBW du LPF en raison d’une motivation insuffisante de la proposition de rectification ; de plus, l’administration ne joint pas à ladite proposition des documents dont elle fait pourtant état. L’administration aurait violé l’article L. 76 B du LPF N° Lexbase : L7606HEG en ne l’informant pas de la teneur des renseignements et documents obtenus auprès de tiers ; en outre, ces documents ne lui ont pas été adressés. Quant au fond, est contestée naturellement la remise en cause - pour défaut d’agrément préalable du ministre du Budget - de la réduction d’impôt dont il a bénéficié. Le contribuable estime que la remise en cause de la réduction d’impôt ne peut pas être fondée sur l’article 217 undecies (III) du CGI N° Lexbase : L3603MGK : ces dispositions ne concernent pas, selon lui, les modalités d’appréciation du seuil d’agrément de 2 millions d’euros mais les conditions de délivrance de l’agrément. Quant à l’article 170 (I bis et I ter) de l’annexe IV du CGI N° Lexbase : L8046MHH, il ne concernerait pas les modalités d’appréciation du seuil d’agrément de 2 millions d’euros ; il se rapporterait exclusivement aux modalités d’appréciation du seuil de compétence de 20 millions d’euros. Enfin, le contribuable récuse l’utilisation, par l’administration, de la documentation référencée BOI-IR-RICI-80-30-20130826 n° 30 à 60 (bulletin officiel des finances publiques, 26 août 2012) pour apprécier le seuil de 2 millions d’euros par programme immobilier ; ladite documentation serait illégale en ce qu’elle ajouterait une condition supplémentaire à la loi.

Trois points méritent attention : l’application de la loi fiscale, la régularité de la procédure d’imposition, l’interprétation administrative de la loi fiscale.

Premier point : l’application de la loi fiscale.

Le juge d’appel fait lecture de l’article 199 undecies A du CGI. Les contribuables domiciliés en France au sens de l’article 4 B N° Lexbase : L6146LU8 peuvent jouir d’une réduction d’IR lorsqu’ils investissent en Nouvelle-Calédonie. La réduction d’impôt s’applique au prix de souscription de parts ou actions de sociétés dont l’objet réel est exclusivement de construire des logements neufs. Les fondations des immeubles doivent être achevées dans les 2 ans suivant la clôture de chaque souscription annuelle ; les souscripteurs doivent conserver leurs parts ou actions pendant 5 ans au moins à compter de la date d’achèvement des immeubles. Dans l’hypothèse où le montant des investissements est supérieur à 2 millions d’euros, il y a réduction d’impôt seulement si le ministre du Budget délivre préalablement un agrément sur le fondement du III de l’article 217 undecies. En vertu de cette dernière disposition, l’agrément ministériel est délivré quand l’investissement : présente un intérêt économique pour le territoire visé (et ne porte pas atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation, ne constitue pas une menace contre l’ordre public, ne laisse pas présumer l’existence de blanchiment d’argent) … poursuit comme l’un de ses buts principaux la création ou le maintien d’emplois dans le territoire … s’insère dans la politique d’aménagement du territoire ainsi que de l’environnement et du développement durable … garantit la protection des investisseurs et des tiers. Pour que délivrance de l’agrément il y ait, encore faut-il que les bénéficiaires – directs ou indirects – respectent leurs obligations fiscales et sociales, et que les modalités de réalisation et d’exploitation de l’investissement puissent faire l’objet d’idoines vérifications. La CAA de Nantes se penche sur les intentions du législateur lorsqu’il rédige les textes mentionnés en amont : il appert que réduction d’impôt il y a seulement quand les investissements réalisés outre-mer dans le secteur du logement ont reçu l’agrément ministériel, obligatoire quand le montant excède 2 millions d’euros. Comment apprécier le seuil de 2 millions d’euros eu égard à l’objet et aux critères de délivrance de l’agrément ? Ce seuil de 2 millions d’euros ne s’apprécie pas au regard des souscriptions au capital des sociétés ; il s’apprécie « au regard du coût total du programme immobilier en vue duquel les souscriptions de parts ou d’actions de sociétés ont été réalisées ». Sont réputés constituer un programme immobilier les bâtiments collectifs ou les ensembles de logements individuels faisant l’objet d’une même demande de permis de construire. Dans notre affaire, le contribuable a souscrit une augmentation de capital d’une SCI, augmentation s’inscrivant dans le cadre d’un programme immobilier dont la finalité est la réalisation de 117 logements ; ceux-ci sont répartis en 5 bâtiments ayant fait l’objet d’une unique demande de permis de construire. Le montant du programme – 19 967 864 euros – est supérieur au seuil de 2 millions d’euros mentionné à l’article 199 undecies du CGI. Dès lors, estime la CAA, l’administration pouvait à bon droit – à savoir sans méconnaître l’article 217 undecies (III) du CGI – exiger la production de l’agrément ministériel. Telle était l’impérative condition pour que le programme immobilier dans lequel le contribuable a investi puisse se traduire par une réduction d’impôt au sens de l’article 199 undecies (A) du CGI. À défaut d’avoir sollicité et obtenu l’agrément du ministre du Budget, le contribuable est redevable des impositions supplémentaires qui ont été mises à sa charge au titre de l’année 2015. Enfin, le contribuable n’est pas fondé à soutenir que l’administration ne pouvait pas avoir recours à l’article 170 decies de l’annexe IV du CGI N° Lexbase : L8905MCS[1]. Selon la CAA, « la référence à ce texte n’a constitué pour l’administration qu’un argument à l’appui de son interprétation des dispositions de l’article 199 undecies A de ce même code ». D’un point de vue herméneutique – bref, de la logique juridique quand il s’agit pour le juge de construire la maïeutique jurisprudentielle – la formule du juge apparaît hautement contestable. Quand un texte sert de référence argumentative aux fins d’interpréter une disposition normative, il entre d’évidence dans le coeur du raisonnement de l’administration. Il devrait être alors scruté avec intensité et rigueur par le juge tant il conditionne (en partie) le processus interprétatif et in fine (en partie) le sort du litige.

Second point : l’interprétation administrative de la loi fiscale.

Le contribuable soutient que l’interprétation de l’administration – cf. la documentation référencée BOI-IR-RICI-80-30-20130826, n° 40 à 60, BOFIP du 26 août 2013 – ajoute une condition non prévue par l’article 199 undecies A du CGI. L’administration estime en effet que l’appréciation du seuil de 2 millions d’euros s’effectue selon le programme immobilier et non au regard des souscriptions réalisées. Le contribuable n’est pas entendu par le juge qui assène la formule suivante : « les impositions contestées ont été établies sur la base des seules dispositions légales. L’éventuelle illégalité de l’interprétation administrative de la loi fiscale est donc en tout état de cause sans influence ». Formule là encore hautement contestable : comme si appliquer le droit signifiait seulement appliquer la loi… Tournons-nous vers le réalisme et l’empirisme juridiques : un texte de loi devient instrument normatif seulement après son interprétation, les interprètes réalisant, inéluctablement, opération créatrice. Nous en revenons à la question herméneutique et à la césure application (prétendument objective et neutre) / interprétation (évidement subjective et créatrice). Aussi est-il intolérable de déclarer qu’une « éventuelle illégalité de l’interprétation administrative de la loi fiscale est donc en tout état de cause sans influence » ; l’interprétation administrative de la loi fiscale est la loi fiscale puisqu’elle la fait émerger en tant que norme vivante s’appliquant à un contentieux gros de plusieurs lectures possibles. Le droit en vigueur n’est pas le texte-loi, il est ce qu’en font les interprètes, et in fine l’interprète authentique (l’organe du dernier mot) : le juge…

 

[1] CGI, art. 170 decies, annexe IV. Version en vigueur depuis le 7 mai 2022 :

« I. – L'agrément prévu aux II quater et III de l'article 217 undecies du Code général des impôts est délivré par le directeur départemental ou le directeur régional des finances publiques du département dans lequel le programme d'investissement est réalisé lorsque son montant total n'excède pas 10 millions d'euros, à l'exception du secteur du logement.

La décision est prise par le ministre du Budget lorsque le programme d'investissement est d'un montant supérieur à 10 millions d'euros ou qu'il est réalisé dans plus d'un département d'outre-mer, à Saint-Martin, à Saint-Barthélemy, en Polynésie française, aux îles Wallis et Futuna, dans les Terres australes et antarctiques françaises, en Nouvelle-Calédonie ou à Saint-Pierre-et-Miquelon ou bien lorsque l'affaire est évoquée par le ministre.

I bis. – Dans le secteur du logement, l'agrément prévu au 4 de l'article 199 undecies A, aux II quater et III de l'article 217 undecies et au VII de l'article 244 quater W du Code général des impôts, est délivré par le directeur départemental ou le directeur régional des finances publiques du département dans lequel les logements sont réalisés, lorsque le montant total du programme immobilier est inférieur ou égal à 20 millions d'euros.

L'agrément est délivré par le ministre du Budget lorsque ce montant est supérieur à 20 millions d'euros ou lorsque le programme immobilier est évoqué par le ministre.

I ter. – Les montants mentionnés au I et au I bis s'apprécient toutes taxes, frais et commissions compris, par programme.

II. – Les demandes d'agrément mentionnées au premier alinéa des I et I bis, sont adressées au directeur départemental ou au directeur régional des finances publiques du département où sera réalisé le programme d'investissement.

Les demandes d'agrément mentionnées au second alinéa du I et au second alinéa du I bis sont adressées à la direction générale des finances publiques.

III. – Pour les programmes d'investissement placés sous le régime de la copropriété ou réalisés par l'une des sociétés ou groupements visés aux articles 8 ou 239 quater du Code général des impôts, la demande d'agrément est faite par un représentant unique, promoteur de l'opération, gérant ou associé, qui doit remettre une copie de la décision obtenue aux investisseurs, copropriétaires ou associés.

IV. – (Dispositions devenues sans objet).

Modifications effectuées en conséquence de l'article 106-I [2°] de la loi n° 2016-1918 du 29 décembre 2016.

Conformément au II de l'article 11 de l'arrêté du 13 janvier 2020 ( NOR : CPAP1931008A ), les demandes de décisions administratives individuelles présentées avant l'entrée en vigueur de cet arrêté sont instruites selon les procédures applicables à la date de leur présentation ».

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