Le Quotidien du 10 mars 2023 : Procédure prud'homale

[Brèves] Vidéosurveillance : la preuve illicite est-elle recevable ?

Réf. : Cass. soc., 8 mars 2023, n° 21-17.802, FS-B N° Lexbase : A92179GH

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par Lisa Poinsot

le 15 Mars 2023

Si les enregistrements démontrant la faute du salarié ont été collectés par un dispositif de vidéosurveillance illicite, mais que leur production en justice n’a pas un caractère indispensable, alors ces éléments de preuve doivent être déclarés irrecevables.

Faits et procédure. Contestant son licenciement prononcé pour faute grave, une salariée saisit la juridiction prud’homale.

La cour d’appel constate, en premier lieu, que l’employeur :

  • d’une part, n’avait informé la salariée ni des finalités du dispositif de vidéosurveillance ni de la base juridique qui le justifiait ;
  • d’autre part, n’avait pas sollicité, pour la période considérée, l’autorisation préfectorale exigée par les dispositions, alors applicables, de la loi n° 78-17, du 6 janvier 1978 N° Lexbase : L8794AGS et des articles L. 223-1 et suivants du Code de la sécurité intérieure N° Lexbase : L5229ISH.

De ces éléments, elle en déduit que les enregistrements litigieux extraits de la vidéosurveillance constituaient un moyen de preuve illicite.

Rappel. Les personnes concernées par le dispositif de vidéosurveillance doivent être informées, au moyen de panneaux affichés en permanence, de façon visible, dans les lieux concernés, qui comporte a minima, outre le pictogramme d’une caméra indiquant que le lieu est placé sous vidéoprotection:

  • les finalités du traitement installé ; 
  • la durée de conservation des images ;
  • le nom ou la qualité et le numéro de téléphone de délégué à la protection des données ;
  • l’existence de droits « Informatique et Libertés » ;
  • le droit d’introduire une réclamation auprès de la CNIL en précisant ses coordonnées.

Ces informations peuvent être également portées à la connaissance du public par d’autres moyens, notamment par le biais d’un site internet.

Par ailleurs, si les caméras filment un lieu ouvert au public, le dispositif doit être autorisé par le préfet du département.

Enfin, les instances représentatives du personnel doivent être informées et consultées avant toute décision d’installer des caméras.

La cour d’appel relève, en second lieu, que, pour justifier du caractère indispensable de la production de la vidéosurveillance, la société faisait valoir que les enregistrements avaient permis de confirmer les soupçons de vol et d’abus de confiance à l’encontre de la salariée, révélés par un audit qu’elle avait mis en place et qui avait mis en évidence de nombreuses irrégularités concernant l’enregistrement et l’encaissement en espèces des prestations effectuées par la salariée. En outre, elle constate que la société ne produisait pas cet audit dont elle faisait également état dans la lettre de licenciement.

Dès lors, il résulte des déclarations de l'employeur que la production de la vidéosurveillance n'était pas indispensable à l'exercice de son droit, puisqu'il existait d'autres éléments susceptibles de révéler les irrégularités reprochées à la salariée.

Par conséquent, les juges du fond déclarent ces éléments de preuve inopposables à la salariée puisqu’ils portent atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble. Ils jugent le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

L’employeur forme alors un pourvoi en cassation en soutenant que l’illicéité d’un moyen de preuve n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats. En outre, il argue qu’est justifiée par la nature de la tâche à accomplir et proportionné au but recherché l'atteinte portée à la vie privée d'un salarié par le placement sous vidéosurveillance du magasin où il travaille dans un but de sécurité des personnes et des biens.

La solution. Énonçant la solution susvisée, la Chambre sociale de la Cour de cassation rejette le pourvoi en application des articles 6 N° Lexbase : L7558AIR et 8 N° Lexbase : L4798AQR de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.

Elle rappelle qu’en présence d'une preuve illicite, le juge doit :

  • étape 1 : s'interroger sur la légitimité du contrôle opéré par l'employeur et vérifier s'il existait des raisons concrètes qui justifiaient le recours à la surveillance et l'ampleur de celle-ci ;
  • étape 2 : rechercher si l'employeur ne pouvait pas atteindre un résultat identique en utilisant d'autres moyens plus respectueux de la vie personnelle du salarié ;
  • étape 3 : apprécier le caractère proportionné de l'atteinte ainsi portée à la vie personnelle au regard du but poursuivi.

Autrement dit, le droit à la preuve justifie la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié à la condition que cette production en justice soit indispensable à l’exercice du droit de la preuve et que l’atteinte portée à la vie personnelle soit strictement proportionnée au but poursuivi.

Rappel. La Haute juridiction a souvent imposé que la communication forcée d’éléments portant atteinte à la vie personnelle soit « indispensable » à l’exercice du droit à la preuve. Ont été admis comme mode de preuve : 

  • Cass. soc., 30 septembre 2020, n° 19-12.058, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A41383W8 : des éléments extraits du compte Facebook privé d’un salarié dès lors que cette production a été rendue indispensable par l’exercice de son droit à la preuve ;
  • Cass. soc., 25 novembre 2020, n° 17-19.523, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A5510379 : la collecte d'adresses IP non déclarées préalablement à la CNIL (selon le régime antérieur au RGPD) ;
  • Cass. soc., 17 mars 2021, n° 18-25.597, FS-P+I N° Lexbase : A89224LZ : une enquête externe de harcèlement moral réalisée à l'insu du salarié visé par la plainte et sans que celui-ci n'y participe ;
  • Cass. soc., 10 novembre 2021, n° 20-12.263, FS-B N° Lexbase : A45237B7 : l'utilisation d’un système de vidéosurveillance dans une pharmacie ouverte au public et particulièrement exposée à des risques d'agression ou de vol, mais n'ayant pas fait l'objet d'une consultation des représentants du personnel.

Elle a parfois exigé que la production de ces pièces soit simplement « nécessaire » à l’exercice de ce droit (Cass. soc., 9 novembre 2016, n° 15-10.203, FS-P+B+R+I  N° Lexbase : A2511SG4).

En l’espèce, si la production en justice des enregistrements démontrant la faute de la salariée avait présenté un caractère indispensable, la preuve collectée par le dispositif illicite de vidéosurveillance aurait été déclarée recevable.

Pour aller plus loin :

  • v. ÉTUDES : La cause réelle et sérieuse de licenciement pour motif personnel, Les modes de preuves de la cause réelle et sérieuse N° Lexbase : E0803ZN3 et L’instance prud’homale, L’administration de la preuve lors d’un procès prud’homal N° Lexbase : E6441ZKR, in Droit du travail, Lexbase ;
  • v. aussi : É. Vergès, ÉTUDE : La preuve civile, Les deux volets du droit à la preuve : droit de produire et droit d’obtenir une preuve, in Procédure civile, (dir. É. Vergès), Lexbase N° Lexbase : E9359B4E.

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